Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Auriège


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AURIÈGE, ou plutôt ARIÈGE (A), rivière de France, a sa source dans les montagnes qui servent de bornes au comté de Foix vers le Roussillon. Elle passe à Tarascon, à Foix, à Pamiers, à Barilles, à Bonac[a], à Saverdun, à Sainte-Gabelle, à Haute-Rive, et se jette dans la Garonne à Portet, à une grande lieue au dessus de Toulouse, après avoir reçu à la droite les eaux du Lers, et à la gauche celles de l’Arget et celles de la Lèze (B). L’Ariège est rapide et poissonneuse, et très-bonne à boire ; mais elle n’est navigable que depuis Haute-Rive. Du Bartas la loue beaucoup (C). Voyez aussi le passage de Bertrand Hélie, que Papyre Masson rapporte [b].

  1. C’est une seigneurie qui a été érigée en marquisat pour feu M. Dusson, frère aîné de M. de Bonrepaux, ambassadeur de France à la cour de Danemarck, et puis en Hollande.
  2. Papyrii Massoni Descriptio Flum. Galliæ, pag. 412.

(A) Ariège. ] C’est ainsi qu’on la nomme dans le pays où elle passe. Elle est nommée Aregia dans les vieilles cartes, et Areia dans un martyrologe manuscrit du monastère de Moissac. On trouve dans ce manuscrit la passion de saint Antonin, martyrisé à Pamiers, et l’on y assure que la barque où son corps fut déposé entra par cette rivière dans la Garonne. Per fluvium qui Areia dicitur, ad Garonnam usque perveniens fluvium navicula (in quâ corpus Antonini martyris à gentilibus necati), indè alium qui Tarnis dicitur inveniens fluvium, indè retrogrado cursu per Tarnim intravit in Avarionis alveum[1]. Hadrien de Valois, dont je prends ceci, a critiqué ceux qui la nomment Auriége, et fort mal traité Papyre Masson, qui l’a nommée Aurigera. Fluvius est vulgò dictus Ariège, quibusdam corruptè l’Auriège à ; Massono [2] prisci ejus fluvii nominis ignaro, Aurigera novo ac ridiculo nomine nuncupatus[3]. M. Baudrand croit que le véritable nom latin de cette rivière est Alburacis[4]. Je voudrais qu’il eût cité quelque bon auteur. M. Sanson la nomme Lauriègue, dans une carte qu’il publia l’an 1675[5]. La plupart des noms propres y sont si défigurés, qu’on doit croire que ce sont des fautes du graveur. M. Moréri s’est imaginé fort plaisamment que l’Auriège ou Lauriège sont les deux noms qu’on emploie. Il oublie le véritable, et ne songe pas que les deux noms qu’il rapporte sont la même chose : le premier sans article, et le dernier avec l’article. Son abus est tout semblable à la faute que l’on ferait en disant de la rivière qui passe à Paris, qu’on la nomme Seine, ou Laseine. Je sais que bien des auteurs se moquent d’un écrivain qui leur relève des erreurs de cette nature, et qu’ils se vantent de se mettre fort au-dessus de ces minuties ; mais ce sont des fanfarons, qui veulent couvrir d’un beau masque, ou leur ignorance, ou leur paresse, ou leur mauvais goût, ou leur inexactitude. Si l’on ne parlait, ou d’une ville, ou d’une rivière, que par occasion dans un ouvrage de raisonnement, les fautes que ces messieurs appellent des minuties seraient excusables. Il n’en va pas de même, quand elles tombent sur le sujet principal d’un livre. Ce qui n’est qu’une vétille dans l’écrit d’un théologien, sera quelquefois une faute capitale dans un géographe, ou dans un auteur de dictionnaire. Je me suis ressouvenu que Papyre Masson a dit la Riége. Voyez ci-dessous la remarque (A) de l’article Garonne.

(B) Après avoir reçu à la droite les eaux du Lers, elle reçoit à la gauche celles de l’Arget et de la Lèze. ] M. Moréri mérite ici une petite censure : il dit que l’Auriège, ayant reçu le Lers, l’Arget et la Lèze, se joint à la Garonne. Cela signifie manifestement que l’embouchure du Lers est au-dessus de l’embouchure de l’Arget, et que l’embouchure de la Léze est entre les deux autres. Rien de plus faux. L’Arget entre dans l’Ariège proche de Foix, et il y a huit ou neuf lieues de Gascogne entre Foix et Sainte-Gabelle, où est l’embouchure du Lers à peu près. Lertius verò in Aurigeram labitur propè templum S. Gauvillæ[6]. La Lèze a son embouchure à trois ou quatre lieues au-dessous de celle du Lers. Coulon aurait pu apprendre à M. Moréri le rang de ces embouchures. Notez qu’il observe que l’Auriège est nommée des Latins Aurigera[7] et Larget Argentigera[8], et que l’une porte l’or, et l’autre l’argent[9]. Il avait pris peut-être cette remarque dans Olhagarai, car c’est un auteur qui a écrit ce que je vais dire : Et que ne dirons-nous du Lers avec son flus et reflus[10] ? de L’Auriège et de l’Arget, rivières aux bords dorés et argentés ? Cela ne fait-il pas foy des thrésors cachés dans l’amary de ces mons[11] ?

(C) Du Bartas la loue beaucoup. ] Voici le IIIe. Sonnet de ses Neuf Muses Pyrénées, présentées au roi de Navarre[12].

Fleuue d’or, et de flot et de nom et de sable,
Riche en grains, en pastel, en fruits, en vins, en bois,
Auriège au viste cours, clair ornement de Foix,
Qui rends par ton tribut Garonne nauigable
Fille de si grand Mont, qui cache, espouuantable,
Son front dedans le ciel, qui chenu tous les mois,
Depuis le bord de Su iusqu’au bord escossois,
Ne void autre plus grand à sa grandeur semblable ;
Clair flot, ie te feroy par un discours facond
Plus riche que Pactol, plus que Le Nil fécond :
Plus loin que l’Océan on orroit tes eaux bruire :
Fier, on t’égaleroit aux fleuues les plus grands ;
On te verroit au ciel comme le Pô reluire,
Si je voyoy tes bords repurgéz de brigands[13].


Voyez aussi le sonnet VII vous y trouverez ceci au commencement :

François, arreste-toy, ne passe la campagne,
Que nature mura de rochers d’un costé,
Que l’Auriège entrefend d’un cours précipité :
Campagne qui n’a point en beauté de compagne[14].

  1. Hadrian. Valesius, in Notitiâ Galliæ, pag. 26.
  2. Papyr. Masso, in Descript. Fluminum Galliæ, pag. 470, edit. 1685.
  3. Valesii Notitia Galliæ, pag. 26.
  4. Voyez sa Geograph., pag. 33, 88 et 118.
  5. Celle des monts Pyrénées.
  6. Papyrii Massoni Descriptio Fluminum Galliæ, pag. 470.
  7. Coulon, Rivières de France, tom. I, pag. 483.
  8. Il venait de dire deux fois l’Arget, qui est la vraie orthographe.
  9. Notez que Bertrand Hélie, Historiæ Comitum Fuxensium, lib. I, rapporte des circonstances curieuses touchant cet or. Papyre Masson, Descript. Fluminum Galliæ, pag. 412, rapporte ses paroles.
  10. Voyez sur ce phénomène admirable le troisième jour de la première Semaine de du Bartes, pag. 288.
  11. Pierre Olhagarai, préface de l’Histoire de Foix, Béarn et Navarre.
  12. Du Bartas, dans l’Appendix de la première Semaine, pag. 934.
  13. Depuis Le temps de du Bartas les choses ont été changées en mieux à cet égard-là.
  14. Du Bartas, Appendix de la première semaine, pag. 936.

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