Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Audebert


◄  Aubigné (d’)
Index alphabétique — A
Audiguier (N. d’)  ►
Index par tome


AUDEBERT (Germain), président en l’élection d’Orléans [* 1], a été un homme de beaucoup de mérite, et bon poëte latin, au XVIe. siècle. Il fut disciple d’Alciat, à Bologne, pendant quelques années, et il revint d’Italie si satisfait du pays, et des gens qu’il y avait pratiqués, qu’il employa tout l’art de sa poésie à la description de Rome, à celle de Venise et à celle de Naples [a]. Ces trois poëmes ont été insérés au premier volume des Délices des poëtes de France. On verra ci-dessous de quelle manière les Vénitiens récompensèrent la description de leur ville. Il avait composé d’autres poëmes, qui auraient pu être communiqués au public, si son fils, qui était conseiller au parlement de Bretagne, lui eût survécu quelque temps [b]. Scévole de Sainte Marthe a fait l’éloge de notre Audebert, avec son éloquence ordinaire. Il lui a donné les qualités les plus essentielles à un honnête homme. M. Moréri a fidèlement rapporté le précis de cet éloge. Je ne doute point qu’il n’ignorât les conséquences avantageuses que les protestans ont tirées de ce chapitre de Scévole de Sainte-Marthe, pour justifier d’une horrible accusation d’un de leurs plus illustres ministres. On ne saurait assez déplorer, ou la malice, ou l’ignorance de l’homme, quand on songe [* 2] que Théodore de Bèze a été accusé d’une infamie abominable, sur un fondement aussi frivole que l’est son épigramme, de suâ in Candidam et Audebertum benevolentiâ. M. Maimbourg renouvela cette accusation dans son Histoire du Calvinisme. On le réfuta très-solidement par l’examen de la pièce même, et on n’oublia point de fortifier l’apologie par le grand mérite d’Audebert [c]. Théodore de Bèze s’était déjà servi de cette raison (A). M. Graverol le ministre avait eu dessein de publier les épitaphes de cet illustre magistrat, dans une dissertation latine qu’il mit au jour en ce temps-là [d] ; mais il les reçut trop tard. Il me les a communiquées, et voici une occasion très-commode de les publier (B). On y verra l’histoire de notre Audebert toute telle qu’un dictionnaire historique la doit fournir. Le sieur Konig a coupé cet auteur en deux (C). Sainte-Marthe n’est pas le seul qui ait fait l’éloge de cet honnête homme (D).

  1. * Il ne fut jamais président, dit Leclerc, c’est ce qu’on voit par son épitaphe rapportée dans la remarque (B).
  2. * Tous les honnêtes gens, dit Joly, souscriront sans peine à cette réflexion.
  1. Sammarthanus, Elogior. lib. II.
  2. Relictis, præter ea quæ commemoravi poëmata, Silvarum aliquot libris qui lucem expectare poterant ab ejus hærede, etc., Sammarthanus, Elogiorum lib. II.
  3. Jurieu, Apologie pour les Réformés, Ire. part., pag. 141 et suiv.
  4. Elle est intitulée, De Juvenilibus Theodori Bezæ Poëmatis, et imprimée à Amsterdam, en 1683, in-12.

(A) On fit servir son grand mérite à la justification de Bèze,.… qui s’était déja servi de cette raison. ] C’est dans sa IIe. Apologie contre Claude de Sainctes. Il dit que, lorsqu’il composa l’épigramme, Audebert était déjà avocat au parlement de Paris. Voici son latin. Quid quùm eousque proveheris ut meam cum honestissimo viro, et jam tum in Senatu Parisiensi advocato, quem vocant, nunc verò in civitate Aureliensi magnâ cum dignitate versanti, amicitiam et familiaritatem summam ad nefarium et execrandum illud scelus transferas, quod à nobis ne nominari quidem sine horrore potest, à vobis autem in vestris illis gurgustiolis, ut omnes nôrunt, pro ludo et joco ducitur, quis te ipsum vir honestus non execretur[1] ?

(B) Voici une occasion très-commode de publier les épitaphes d’Audebert. ] Pour ne point la laisser perdre, j’insérerai ici mot à mot ce que la personne que j’ai nommée m’écrivit et m’envoya.

Je vous prie d’agréer que je vous envoye un extrait fidèle des épitaphes de Germain Audebert et de son fils. Si je les eusse reçues dans le temps qu’on me les avait promises, je les aurais ajoutées à la petite apologie latine de Théodore de Bèze, qu’une occasion singulière m’obligea de donner au public. Une pièce si authentique me paraît seule capable de mettre fin à la calomnie atroce dont on a jusques ici chargé la mémoire de cet excellent serviteur de Dieu, par quelque évasion qu’on tâche d’en éluder la force, et vous rendrez un service signalé à la vérité, si vous donnez au public ce nouveau moyen de la défendre.

« Cy gist Messire Germain Audebert, natif de cette ville d’Orléans, prince des poëtes de son temps, qui pour sa seule vertu fut anobli lui et les siens naiz et à naistre parle très-chrestien roi de France et de Pologne Henri III, et fait chevalier. Et pour comble d’honneur, Sa Majesté lui donna deux fleurs de lys d’or pour mettre au chef de ses armes, pour la décoration d’icelles. Nostre saint Père le pape Grégoire XIII, et le duc et seigneurie de Venise, le firent pareillement chevalier, et ceux-ci lui envoyèrent par leur ambassadeur l’ordre de Saint-Marc jusques en France. Et nonobstant ces grands honneurs, il s’est tousjours plu à exercer l’estat d’élu dans cette élection l’espace de 50 ans, tant il estoit amateur de sa patrie. Ce que considérant Sadite Majesté, ayant créé et érigé un président et un lieutenant en chaque élection de France, exempta ledit Messire Germain Audebert, et voulut qu’il présidast et précédast l’un et l’autre. Il a escrit trois livres de Venise, un de Rome, un de Naples, deux de Sylves, trépassa l’an 1598, le 24 de décembre, âgé de quatre-vingts ans ou environ.

« Et sous le mesme marbre gist Messire Nicolas Audebert, conseiller du roi en sa cour de parlement de Bretagne, fils dudit Messire Germain Audebert, grand imitateur des vertus paternelles, qui trépassa cinq jours après son père, en l’âge de quarante-deux ans. Leurs âmes soient entre les bienheureux. »

« Audebertorum, Germani patris et Nicolai filii Tumulus.

« Audebertorum si quis depingere laudes
Cogitet, ille sibi nihilo plus explicet, ac si
Insane sapiens solem illustrare laboret.
Parcendum verbis igitur, vanoque labori.
Su dixisse satis, situs hîc jacet Audebertus,
Et pater, et gnatus patris citò fata secutus.
Nominat hæc quisquis sincerâ nomina linguâ,
Virtutum et laudum gazas simul eruit omnes.
Quas qui nescierit communis luminis expers
Credatur furvis semper vixisse sub antris. »

Ces trois épitaphes se trouvent écrites en lettres d’or sur un marbre noir attaché à la muraille de la galerie du cimetière de l’église de Sainte-Croix d’Orléans, en entrant à main gauche, environ 60 pas dans la galerie. Elles ont été copiées mot à mot sur l’original par une personne fidèle. Ici finit l’extrait de la lettre de M. Graverol. Concluez de ce qui est dit de la charge d’Audebert dans la première de ces épitaphes, que M. Jurieu s’est trompé, lorsqu’il a dit qu’Audebert mourut après avoir passé dans toutes les plus belles charges de la robe[2]. Sainte-Marthe aurait pu lui épargner ce mensonge, car il est expressément remarqué qu’Audebert fut si modeste, qu’il se contenta d’une charge fort au-dessous de son mérite. Nec sibi quidquam, dit-il, de solitâ modestiâ detraxit, contentus eâ quam apud suos jamdudùm exercebat vectigalium indictionumque præfecturâ, humili fortassè illâ et obscurâ, si hominis dignitatem respicias, sed quam eo tantùm animo susceperat, ne nullam reipublicæ partem attigisse, sibique soli vixisse diceretur[3].

(C) Konig a coupé cet auteur en deux. ] Il nous donne un Germanus Audebertus, et un Aurelius Audebertus. Il nous renvoie pour le premier à la page 191 des Éloges de Sainte-Marthe, et il dit du second qu’il a composé trois poëmes en l’année 1603. Scripsit Venetias, Romam, Parthenopen, carmine, A. 1603. Cette date est une nouvelle faute, puisqu’Audebert mourut en l’année 1598. Il est vrai que ces trois poëmes furent imprimés à Hanaw, en 1603 ; mais ce n’était pas la première édition. On peut voir par-là qu’il est moins facile qu’on ne pense de bien composer la Bibliothéque des auteurs. Ceux qui ne connaissent point la chronologie des éditions ni la différence des noms de baptême et des noms de patrie, sont bien sujets à se tromper. Germanus est le nom de baptême d’Audebert ; Aurélius est son nom de patrie. Ce qu’il y a d’admirable, c’est de voir que M. Konig nous renvoie à un auteur qu’il n’avait pas vu lui-même ; car s’il avait pris la peine de jeter les yeux sur l’endroit qu’il cite de Sainte-Marthe, il y aurait vu que Germanus Audebert est celui qui a composé les trois poëmes de Venise, de Rome, et de Naples, Venetias, et Romam, et Parthenopen.….. eâ carminis majestate descripsit. Quand on renvoie son lecteur à quelque livre, il faudrait payer d’exemple, il faudrait y aller soi-même tout le premier.

(D) Sainte-Marthe n’est pas le seul qui ait fait l’éloge d’Audebert. ] Un avocat aux conseils, qui s’est donné en latin le nom de Rodolphus Botereius, a loué magnifiquement Audebert dans son histoire de France[4]. Il n’oublie point les honneurs que le pape et la république de Venise lui firent ; mais au lieu que l’épitaphe attribue à Grégoire XIII l’honneur qu’Audebert reçut de la cour de Rome, il l’attribue à Grégoire XIV. Il dit où l’ambassadeur de Venise conféra la chevalerie de Saint-Marc, et devant quel concours de monde. Gregorius XIV ac Veneti illum civitatis jure et equestris ordinis dignitate donârunt : effusiùs Veneti, qui per oratorem suum in suburbano Tybure gentiliaco, assidente spectaculo et convivio longâ coronâ hominum literatissimorum, Audebertum torque aureo divi Marci insigniverunt.

  1. Beza, Operum tom. II, pag. 360.
  2. Jurieu, Apologie pour les réformés, Ire. partie, pag. 145.
  3. Sammarth., in Elogiis.
  4. Botereius, lib. V, pag. 460 et seqq. ad ann. 1598.

◄  Aubigné (d’)
Audiguier (N. d’)  ►