Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ariston 2


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ARISTON (Titus), jurisconsulte romain, sous l’empire de Trajan, était un si honnête homme, et un si savant personnage, qu’il méritait de n’être pas oublié dans le Moréri. Il entendait parfaitement le droit public et le droit civil, l’histoire, les antiquités (A). S’il ne répondit pas promptement aux questions qui lui étaient faites, c’était à cause que par la force de son jugement il remontait jusqu’aux sources des raisons du pour et du contre, afin de les comparer ensemble. Un homme, d’ailleurs, ennemi du luxe, et sans aucun faste, et qui cherchait la récompense d’une belle action dans l’action même, et non pas dans les applaudissemens de la multitude [a]. Il ne faisait point profession d’être philosophe (B) ; mais aucun de ceux qui en faisaient profession ne le surpassait dans la pratique de la vertu. Il fit paraître une fermeté d’esprit incomparable pendant une longue maladie (C), et il pria enfin ses amis de demander aux médecins s’il en pouvait réchapper, et leur déclara, qu’en cas qu’on la jugeât incurable, il se donnerait la mort ; mais que, s’il en pouvait être quitte pour souffrir longtemps, il se résoudrait à vivre, et accorderait cela aux prières de sa femme, et aux larmes de sa fille, et au désir de ceux à qui il parlait [b]. Pline le jeune, l’un d’eux, fait sur cela une bonne réflexion (D), et il exprime admirablement la tendresse de son amitié (E). Les médecins donnèrent d’assez bonnes espérances [c]. Quelques-uns assurent qu’Ariston parvint à une extrême vieillesse (F), mais la preuve qu’ils en apportent est très-infirme. Il fut auteur de quelques livres (G).

  1. Voyez la preuve de tout ceci dans la remarque (A).
  2. Plinius, Epist. XXII, lib. I, pag. 67.
  3. Idem, ibid.

(A) Il entendait parfaitement le droit,... l’histoire, les antiquités. ] Ce que Pline dit sur cela, et sur la vertu d’Ariston, est si beau, que je n’en veux retrancher aucune parole, Nihil est illo (Tito Aristone), dit-il [1], gravius, sanctius, doctius : ut mihi non unus homo, sed litteræ ipsæ omnesque bonæ artes in uno homine summum periculum adire videantur. Quàm peritus ille et privati juris et publici [2] ! quantùm rerum ! quantùm exemplorum ! queantùm antiquitatis tenet ! Nihil est, quod discere velis, quod ille docere non possit. Mihi certè quoties aliquid abditum quæro, ille thesaurus est. Jam quanta sermonibus ejus fides ! quanta authoritas ! quàm pressa et decora cunctatio ! quid est quod non statìm sciat ? et tamen plerumquè hæsitat. Dubitat diversitate rationum : quas acri magnoque judicio ab origine causisque primis repetit, discernit, expendit. Ad hoc quàm parcus in victu ! quàm modicus in cultu ! Soleo ipsum cubiculum ejus ipsumque lectum, ut imaginem quamdam priscæ frugalitatis, aspicere. Ornat hæc magnitudo animi, quæ nihil ad ostentationem, omnia ad conscientiam refert : rectèque facti, non ex populi sermone mercedem, sed ex facto petit.

(B) Il ne faisait point profession d’être philosophe. ] Sa philosophie était pratique en deux manières ; car ses mœurs étaient semblables à celles d’un vrai philosophe, et il ne passait point sa vie dans l’ombre d’un cabinet ou d’un collége, mais dans les fonctions du barreau. Écoutons Pline. In summâ non facilè quis quemquam ex istis qui sapientiæ studium habitu corporis præferunt, huic viro compardrit. Non quidem gymnasia sectatur, aut porticus, nec disputationibus longis aliorum otium, suumque delectat, sed in togâ, negotiisque versatur : multos advocatione, plures consilio juvat. Nemini tamen istorum castitate, pietate, justitiâ, fortitudine, etiam primo loco cesserit [3].

(C) Il fit paraître une fermeté d’esprit incomparable pendant une longue maladie [4]. ] Il demeurait immobile et bien couvert dans le plus chaud de la fièvre, et différait à faire cesser l’ardeur de sa soif. Mirareris, si interesses, quâ palientiâ hanc ipsam valetudinem toleret, ut dolori resistat, ut incredibilem febrilem ardorem immotus opertusque transmittat [5].

(D) Pline... fait sur sa grandeur d’âme une bonne réflexion. ] « C’est une chose commune, dit-il, que de courir à la mort par impétuosité d’esprit ; mais il n’y a qu’une grande âme qui, ayant délibéré s’il faut vivre ou s’il faut mourir, pèse exactement les motifs de part et d’autre, et se détermine, par le poids de la raison, ou à mourir, ou à vivre. » Id ego arduum in primis, et præcipuâ laude dignum puto. Nam impetu quodam, et instinctu procurrere ad mortem, commune cum multis : deliberare verò, et caussas ejus expendere, utque suaserit ratio, vitæ mortisque consilium suscipere, vel ponere, ingentis est animi [6].

(E) Pline exprime admirablement la tendresse de son amitié pour Ariston. ] Il souhaitait passionnément d’aller jouir de quelque repos dans sa maison de campagne, et d’y étudier à son aise ; mais il se privait de ce plaisir, pour ne pas quitter Ariston malade depuis long-temps, et il souffrait mille inquiétudes à la vue de cet objet : cela lui ôtait le temps et l’envie de vaquer à ses études. Laissons-le parler lui-même : Diù jam in urbe hæreo, et quidem attonitus. Perturbat me longa et pertinax valetudo Titi Aristonis quem singulariter et miror et diligo [7]. C’est le commencement de sa lettre. « Les médecins, dit-il dans la suite, nous promettent sa guérison. Dieu veuille ratifier leurs promesses, et me délivrer enfin de cette inquiétude ! » Et medici quidem secunda nobis pollicentur. Superest, ut promissis Deus adnuat, tandemque me hâc solicitudine exolvat. Quâ liberatus, Laurentinum meum, hoc est libellos et pugillares, studiosumque otium repetam. Nunc enim nihil legere, nihil scribere, aut assidenti vacat, aut anxio libet. Habes, quid timeam, quid optem, quid etiam in posterum destinem [8]. Je rapporte tout ce passage, tant pour l’honneur d’Ariston, que pour celui de Pline le jeune ; car on y voit le caractère d’un bon cœur, et une preuve que la vertu a toujours trouvé des retraites dans les villes les plus corrompues par une longue prospérité suivie des longues fureurs des guerres civiles et du gouvernement des tyrans. C’est ce qu’on pouvait dire de Rome dans ce siècle-là.

(F) Quelques-uns assurent qu’Ariston parvint à une extrême vieillesse ; mais la preuve qu’ils en donnent est très-infirme. ] Cette preuve est tirée de ce qu’Ariston avait assisté à des plaidoyers de Cassius, c’est-à-dire de Caius Cassius Longinus, qui fut consul sous l’empire de Tibère. Or on compte soixante ans entre Tibère et Trajan, et l’on sait qu’Ariston fut consulté par Trajan sur une affaire de droit. Voilà le raisonnement de Bertrand [9]. On le réfute par la raison que Cassius a vécu jusqu’à l’empire de Vespasien [10], et qu’entre le commencement de cet empire et celui de Trajan, il n’y a qu’environ vingt-huit années [11].

(G) Il fut l’auteur de quelques livres. ] Les Pandectes en font mention, et vous en verrez les titres dans les deux auteurs que, je cite [12] Voyez aussi Aulu-Gelle, qui avait lu dans un ouvrage d’Ariston, que toutes sortes de vols étaient permises dans l’ancienne Égypte. Id etiam memini legere me in libro Aristonis jureconsulti haudquaquàm indocti viri, apud veteres Ægyptios, quod genus hominum constat et in artibus reperiendis sollertes exstitisse, et in cognitione rerum indagandâ sagaces furta omnia fuisse licita et impunita [13]. Bertrand conjecture que c’était un traité du larcin, puisqu’Aulu-Gelle le cite au singulier, lui qui savait qu’Ariston était auteur de beaucoup de livres [14].

  1. Plinius, Epist. XXII, lib. I, pag. 65, 66.
  2. Joignez à cela ces paroles de la Lettre XIV du VIIIe. livre, laquelle Pline écrivit à Ariston : Cùm sis peritissimus et privati juris et publici... peto ut medearis scientiâ tuâ, cui superfuit curæ sic jura publica ut privata, sic antiqua ut recentia, sic rara ut assidua tractare.
  3. Plinius, Epist. XXII, lib. I, pag. 66, 67.
  4. Voyez la remarque (E).
  5. Plinius, Epist. XXII, lib. I, pag. 67.
  6. Idem, ibid.
  7. Idem, ibid.
  8. Idem, ibid.
  9. Vid. Bertrand, in vitis jurisperitorum, lib. II, pag. 295, 297.
  10. Pomponius l’assure. Vide Guillelm. Grotium in Vitis Jurisconsultor., lib. II, cap. III, pag. 123.
  11. Gullielm. Grotii Vitâ Jurisconsultorum, pag. 123.
  12. Bertrand, et Guillaume Grotius.
  13. Aulus Gellius, lib. XI, cap. XVIII, pag. 302.
  14. Bertrand, de Vitis Jurisconsultorum, pag. 299.

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