Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Aristée 1


◄  Aristarque
Index alphabétique — A
Aristée  ►
Index par tome


ARISTÉE, en latin Aristœus, fils d’Apollon et de Cyrène (A). Son article a été donné fort imparfait par M. Moréri, qui s’est borné à nous apprendre, 1o. qu’en poursuivant partout Eurydice, femme d’Orphée, il fut cause qu’elle mourut de la piqûre d’un serpent ; 2o. que les nymphes, pour se venger d’Aristée, firent mourir ses abeilles ; 3o. qu’ayant fait le sacrifice de quelques taureaux, il recouvra ce qu’il avait perdu [a] ; 4o. qu’il fut l’inventeur du secret de tirer le miel, de faire l’huile et le fromage (B). Il avait bien d’autres choses à dire touchant ce fils d’Apollon, car on aurait dû raconter qu’il naquit dans cette partie de la Libye où la ville de Cyrène fut bâtie ; qu’il fut élevé par les nymphes ; qu’étant allé à Thèbes il y épousa Autonoé fille de Cadmus ; qu’il en eut Actéon, qu fut mis en pièces par ses propres chiens ; qu’après la perte de ce fils, il fut consulter l’oracle d’Apollon ; qu’en vertu de la réponse qui lui fut faite touchant les honneurs qu’il recevrait dans l’île de Céa, il s’y transporta (C) ; que, la peste ravageant toute la Grèce, il offrit des sacrifices qui firent cesser ce mal ; qu’ayant laissé sa famille dans l’île de Céa, il repassa en Libye, d’où, avec la flotte que sa mère lui donna, il fit voile vers la Sardaigne (D) ; qu’il y choisit une habitation, qu’il cultiva ce pays avec un grand soin ; qu’il en bannit la barbarie et l’état sauvage ; qu’il visita quelques autres îles ; que l’abondance des moissons, et la multitude des bestiaux, l’obligèrent à s’arrêter quelque temps dans la Sicile, où il enseigna aux habitans ses beaux secrets ; qu’en reconnaissance, ils l’honorèrent comme un dieu et principalement ceux qui cultivaient les oliviers ; qu’enfin il passa en Thrace ; qu’il y fut admis par Bacchus aux mystères des orgies, et que, dans la familiarité qu’il eut avec lui, il apprit beaucoup de choses profitables à la vie humaine ; qu’ayant demeuré quelque temps proche du mont Hémus, il disparut ; et que non-seulement les peuples barbares de ce pays-là, mais aussi les Grecs, lui décernèrent les honneurs divins [b]. C’est faussement que M. Moréri observe que Diodore de Sicile fait mention d’un autre Aristée dans le chapitre LXXXIV du IVe. livre, car ce chapitre et le précédent contiennent ce que je viens de narrer. Je suis surpris qu’on n’y voie rien de l’Arcadie, qui fut l’une des principales stations d’Aristée (E). Vous verrez dans les remarques les variations des auteurs, la fausseté de quelques censures, et telles autres particularités ; et je n’oublierai pas la découverte astronomique que l’on donne à Aristée (F), ni son culte pour la canicule, ni sa fille Macris (G). On a dit que, pour les services qu’il avait rendus au genre humain par la connaissance qu’il avait de tous les arts profitables, les dieux le placèrent entre les étoiles, et qu’il était l’Aquarius du zodiaque [c]. Les conformités de son histoire avec celle de Moïse ont été curieusement et doctement étalées par M. Huet [d]. Presque tout ce que Lloyd a joint à Charles Étienne dans cet article, a été tiré mot à mot du commentaire de la Cerda [e] : il ne le cite pas pourtant.

  1. Tout ceci se trouve dans Virgile, au IVe. livre des Géorgiques.
  2. Tiré de Diodore de Sicile, liv. IV, chap. LXXXIII, LXXXIV.
  3. Voyez le Comment. de Germanic. in Aratea Phænomena, cap. de Aquario, pag. 118.
  4. Huet. Demonstr. Evang., propos. IV, cap. VIII, num. 17, pag. 110.
  5. In lib. IV Georgic. Virgilii.

(A) Il était fils d’Apollon et de Cyrène. ] C’est la tradition générale ; et il y en a bien peu dans les sujets mythologiques, qui soient plus constantes que celle-là. Cependant Cicéron en allègue une autre : les Grecs assurent, dit-il, qu’Aristée est fils de Bacchus. Il ajoute qu’on l’honorait en Sicile, dans le temple de cette divinité. Quid ? il s’adresse à Verrès, ex æde Liberi simulacrum Aristei non tuo imperio palam ablatum est ? .... Aristæus, qui, ut græci ferunt, Liberi filius, inventor olei esse dicitur, unà cum Libero patre apud illos eodem erat in templo consecratus [1]. Dans un autre livre, il s’arrête à l’opinion la plus commune ; il dit qu’Apollon était père d’Aristée. Quid Aristæus qui olivæ dicitur inventor Apollinis filius [2] ? Parlons de Cyrène : elle était fille d’Hypseüs roi des Lapithes, fils de Peneüs et de Creuse [3]. Celle-ci était fille de la Terre ; Peneüs était fils de l’Océan. Cyrène méprisait les occupations des autres filles et leurs divertissemens de table [4] ; et se souciant très-peu de dormir la grasse matinée [5], elle n’aimait que la chasse, et faisait un grand carnage de bêtes féroces. Apollon l’ayant rencontrée, lorsqu’elle se battait seule avec un lion, demanda à Chiron qui elle était, et s’il ne ferait pas bien d’user de main mise, et de coucher avec elle ?

............ Ὁσία
Κλυτὰν χεῖρά οἱ προσενεγκεῖν ;
Ἦ ῥὰ καὶ ἐκ λεχέων
Κεῖρεν μελιηδέα ποίαν [6] ;

Fas-ne est illustrem manum ei admovere ?
Utrum et ex stratis tondere mellitam herbam ?

Chiron, commençant par répondre à la dernière demande, représenta que les amans se doivent servir de la clef du cœur, c’est-à-dire de paroles douces et adroites, qui persuadent à la belle d’accorder ce qu’ils désirent. Il ajouta que, parmi les dieux et parmi les hommes, la pudeur s’oppose à la précipitation avec laquelle on prétendait débuter par la jouissance, et s’expliquer là-dessus fort nettement :

....Καὶ ἔν τε θεοῖς
Τοῦτο κἀνθρώποις ὁμῶς
Αἰδέοντ᾽ ἀμϕαδὸν ἁδείας
τυχεῖν τὸ πρῶτον εὐνᾶς. [7].

Et inter deos et homines pariter verecundantur apertè postulato dulci frui primùm cubili.

« Au reste, continua-t-il, c’est par un effet visible de votre grande civilité, que vous me faites l’honneur de m’interroger : vous me demandez l’extraction de cette fille, vous qui savez toutes choses. » Voilà le sens de Pindare : je ne prétends point donner une traduction de mot à mot, il me suffit de représenter la pensée. Or, si c’est là ce qu’il veut dire, qui pourrait voir sans indignation la licence d’un auteur français, qui l’a fait parler ainsi ? « Est-il permis de la voir ? Puis-je bien m’en approcher ? Ne serai-je point téméraire si je prends sa belle main, et si je cueille sur sa bouche une de ces roses vermeilles que j’y vois peintes ? Mais le Centaure, en souriant, lui répondit de la sorte : Un chaste amour, Apollon, doit être toujours caché, et le beau sexe, parmi les dieux, comme parmi les mortels, n’accorde point ses faveurs aux yeux du monde. C’est sans doute cette raison qui vient de vous faire parler avec tant de retenue. Un amant moins chaste que vous n’aurait pas eu tant de respect, et c’est à vos bonnes mœurs, plutôt qu’à mes enseignemens, que vous devez cette modestie [8], » Cette traduction est contraire à l’original, et ne se soutient point dans ses faussetés ; car si l’on suppose qu’Apollon ne s’exprima point grossièrement, mais honnêtement et chastement, la réponse de Chiron est ridicule et contradictoire. La fin fut qu’Apollon, sans nul délai, enleva Cyrène, et la transporta en Afrique, et jouit d’elle sur-le-champ.

Ὠκεῖα δ᾽ ἐπειγομένων ἤδη θεῶν
πρᾶξις, ὁδοί τε βραχεῖαι.
Κεῖνο κεῖν᾽ ἆμαρ διαίτασεν·
θαλάμῳ δὲ μίγεν
ἐν πολυχρύσῳ Λιϐύας [9].

Celer autem est properantium jam deorum actio, viæque breves. Illud illa dies peregit. In thalamo autem Libyæ divite auri congressi sunt.

Chiron eût voulu qu’il eût poussé les beaux sentimens, et filé le parfait amour ; mais les dieux des poëtes, comme l’observe Pindare, ne s’accommodaient pas de cette patience ; ils expédiaient promptement les choses ; ils allaient au fait par les chemins les plus courts, et fort vite à l’abordage, et de but en blanc à la jouissance, ou de gré ou de force. Ils prenaient le roman par la queue [10], et ils disaient comme Borée,

Apta mihi vis est [11].


Cyrène conçut, et mit au monde notre Aristée. Notez que Virgile [12] et Hygin [13], qui la font fille de Pénée, suivent en cela une ancienne tradition [14]. C’est pourquoi nous pouvons dire que Frischlin a eu grand tort de blâmer Boccace, et d’ignorer ce qu’ils avaient affirmé. Constat non rectè scripsisse Bocatium, l. 7 Geneal., c. 28, dum asserit Cyrenen Penei fuisse filiam [15]. Apollonius suppose qu’elle était bergère, et qu’elle avait résolu de vivre dans le célibat ; mais qu’Apollon qui l’enleva ne lui permit point de conserver sa virginité [16].

(B) Il fut l’inventeur du secret de tirer le miel, de faire l’huile et le fromage. ] Diodore de Sicile rapporte qu’Aristée ayant appris des nymphes qui le nourrirent l’art de cailler le lait, et de préparer des ruches, et de cultiver les oliviers, fut le premier qui communiqua aux hommes ces trois inventions. Les commodités qu’ils en tirèrent les remplirent d’une telle reconnaissance, qu’ils lui rendirent les mêmes honneurs divins qu’à Bacchus. Cet historien dit aussi que les nymphes lui imposèrent trois noms, celui de Nomius, celui d’Aristæus, et celui d’Agreus [17]. Cela s’accorde assez bien avec Pindare [18]. Mais notez qu’il dit que les Heures et la Terre, auxquelles Mercure porta ce petit enfant, le nourrirent de nectar et d’ambroisie. Notez aussi que d’autres disent qu’Aristée ayant inventé dans l’île de Céa la préparation du miel et celle de l’huile, et ayant fait lever les vents qu’on nommait Étésiens, fut surnommé Jupiter Aristæus [19], et Apollon Agreüs et Nomius [20]. Le surnom de Nomius lui convenait à cause du soin des bestiaux, et celui d’Agreüs à cause de l’application à la chasse [21]. Voici une autorité curieuse touchant cette application : Ceux qui attrapent les loups et les ours avec des fosses et des piéges, font prières à Aristeüs, pour ce que ce fut le premier qui inventa la manière de les prendre aux piéges et avec des laqs courans. C’est un passage du Plutarque d’Amiot ; en voici l’original : Εὔχονται δ᾽ Ἀριςαίῳ δολοῦντες ὀρύγμασι καὶ βρόχοις λύκους καὶ ἄρκτους ὃς πρῶτος θήρεσσιν ἔπηξε ποδάγρας [22]. Aristæo vota faciunt foveis actis, aut laqueis positis, quilupis aut ursis insidiantur, ille feris primus pedicas quia tendere cœpit. Le scoliaste d’Apollonius n’explique pas de la même sorte l’étymologie de ces deux surnoms. Il fonde celui de Nomius sur ce que Cyrène eut affaire avec Apollon pendant qu’elle était bergère, et celui d’Agreüs, sur ce que l’action se passa au milieu des champs. Il ajoute que, selon d’autres, l’étymologie vient de ce qu’Aristée enseigna l’agriculture aux bergers. Ἀγρέα καὶ Νόμιον, dit-il, τὸ μὲν, ὅτι ἐν ἀγρῷ ἐμίγη τῇ μητρὶ αὐτοῦ ὁ Ἀπόλλων. Νόμιον δέ, ὅτι νεμούσῃ ἐμίγη. οἱ δέ, ὅτι τὴν κατὰ τοὺς ἀγροὺς θεραπείαν τοῖς νομεῦσι εἰσηγήσατο [23]. L’endroit où Apollonius dit que les habitans de Thessalie donnèrent ces deux surnoms à Aristée, contient des choses qu’il est bon de mettre ici. On y trouve qu’Aristée fut élevé dans l’antre de Chiron ; et que, lorsqu’il fut adulte, les Muses le marièrent, et lui enseignèrent la médecine et les sciences divinatrices, et le préposèrent à tous leurs troupeaux [24]. On trouve dans un autre endroit du même poëte, qu’il inventa le miel et l’huile [25]. Il dit dans Virgile, que la peine qu’il s’était donnée pour perfectionner l’agriculture, et pour nourrir le bétail, lui avait acquis toute la gloire qu’il possédait.

En etiam hunc ipsum vitæ mortalis honorem,
Quem mihi vix frugum et pecudum custodia sollers
Omnia tentanti extuderat, te matre, relinquo [26].

Il est l’une des divinités que Virgile invoque ayant à écrire de l’agriculture :

Et cultor nemorum, cui pinguia Ceæ
Ter centum nivei tondent dumeta juvenci [27].

Oppien [28], Nonnus [29], le scoliaste de Pindare, celui d’Apollonius, etc., s’accordent à le faire l’inventeur des choses que j’ai marquées. On verra ci-dessous quelques passages sur ce sujet. En voici un où on lui donne pour patrie la ville d’Athènes. Oleum et trapetas Aristæus Atheniensis. Idem mella [30]. Le mot trapetes veut dire les meules à broyer les olives [31]. N’oublions pas qu’il inventa le benjoin. C’est ce qu’assure un ancien auteur cité par le scoliaste d’Aristophane [32], comme vous le pourrez voir à la page 356 du commentaire de Saumaise sur Solin.

Notez que Justin [33] débite que Cyrène engrossée par Apollon, à Deo repleta, eut quatre fils, Nomius, Aristæus, Authocus, et Argæus [34]. C’est avoir changé en deux hommes les deux surnoms d’Aristée [35].

(C) Il se transporta dans l’île de Céa. ] Le grec de Diodore de Sicile porte εὶς Κῶ νῆσον, et un peu après ἐν τῇ Κῷ. Rhodoman traduit in Co insulam, et in Co. Cette traduction embarrasse les lecteurs, car elle les porte à croire que cet historien grec parle là de l’île de Cos, la patrie du grand Hippocrate, et non pas de l’île de Céa, comme font les autres auteurs, quand il s’agit d’Aristée. Soyons néanmoins assurés qu’il parle de l’île de Céa, soit qu’il faille corriger le texte en mettant Κέω au lieu de Κῶ [36] [* 1], soit que les règles de la contraction aient pu permettre qu’on dît indifféremment Κῶ ou Κέω, quand il s’agissait de cette île [37]. Prenons garde à ces paroles de Diodore, παρὰ τῶν Κείων τιμαῖς, de honoribus apud Ceos [38]. Elles montrent visiblement qu’il ne prétend point parler de l’île de Cos. Quoi qu’il en soit, alléguons quelques auteurs qui ont assuré qu’Aristée s’établit dans l’île de Céa, et commençons par le commentaire de Servius sur ces paroles de Virgile :

Et cultor nemorum, cui pinguia Ceæ, etc.


qu’on a vues ci-dessus [39]. Aristæum invocat, id est Apollinis et Cyrenes filium,.… hic (ut etiam Sallustius docet) post laniatum à canibus Actæonem filium Thebas reliquit, et Ceam insulam tenuit primò adhùc hominibus vacuam [40]. Apollonius nous apprend qu’Aristée ayant été appelé par les habitans des îles Cyclades, pour faire cesser la peste, passa de Thessalie en l’île de Céa.

....Λίπεν δ᾽ ὅγε πατρὸς ἐϕετμῇ
Φθίην. ἐν δὲ Κέῳ κατενάσσατο λαὸν ἀγείρας
Παρράσιον, [41].

Is relictâ ex parentis jussu
Phthiâ in Ceum ivit habitatum, contracto exercitu
E Parrhasiis.

Le scoliaste de ce poëte assure, comme je l’ai déjà dit, que ce fut dans la même île qu’Aristée enseigna à faire le miel et l’huile. Ἀριςαῖος δὲ ἐν τῆ Κέῳ εὑρὼν τὰ μελισσουργικὰ πρῶτος, καὶ τὴν τοῦ ἐλαίου κατεργασίαν [42]. Nous verrons dans la remarque (F), qu’il y établit des lois pour le culte de la Canicule. Varron Atacinus avait raconté dans son poëme des Argonautes, qu’une grande mortalité de bestiaux ayant affligé cette île, Aristée s’y transporta par le conseil d’Apollon, et la délivra de ce fléau, après avoir fait un sacrifice à Jupiter Icmæus. Les vents et les chaleurs qui causaient la mortalité s’apaisèrent. Aristée étant mort, les habitans de l’île de Céa obéirent à l’oracle, qui leur commandait de le mettre au nombre des dieux, et ils le nommèrent Nomius et Agreüs, à cause du bien qu’il leur avait fait par son adresse dans la nourriture des troupeaux, et dans la culture des terres [43]. Ne soyez point surpris de voir ici qu’il fit cesser la mortalité en calmant les vents, et de trouver ci-dessous, qu’il la fit cesser en faisant lever des vents ; car c’est ainsi que sont faites les anciennes traditions : l’une réfute l’autre ; l’une oublie les particularités qui sont les seules que l’autre n’oublie pas. Une narration complète eût pu apprendre, qu’en faisant changer le vent, il ramena la santé ; mais ceux qui ne savent pas tout dire observent que le vent cessa : n’attendez point d’eux le reste ; ou que le vent se leva : vous n’en saurez point davantage ; ils ne vous apprendront pas que le vent contraire fut arrêté, et que le vent favorable lui succéda. La correction d’un passage d’Héraclide, que j’ai lue dans Saumaise, me paraît heureuse ; cependant je ne voudrais pas jurer qu’il n’y eût dans l’original, que le fléau de l’île de Céa venait du vent. Φθορᾶς οὔσης ϕυτῶν καὶ ζώων διὰ τὸ πνεῖν ἐτησίας [44]. Quùm contigisset hìc aliquandò magna lues stirpibus et animantibus propter continuos Etesiarum flatus. Saumaise corrige ainsi, Δία ᾐτήσατο τὸ πνεῖν ἐτησίας. Jovem rogavit Etesias flare [45] : ce qui s’accorde avec ce que je dirai dans la remarque (F).

(D) De Libye... il fit voile vers la Sardaigne. ] Selon Diodore de Sicile, il fut s’établir dans l’île de Céa, après la mort d’Actéon, et puis il alla en Libye, et après cela en Sardaigne [46] ; mais d’autres prétendent que le déplaisir d’avoir perdu Actéon lui donna un tel dégoût pour la Béotie, et pour tout le reste de la Grèce, qu’il fut chercher une demeure dans les pays éloignés [47]. Ce fut alors, disent-ils, qu’il conduisit une colonie en Sardaigne. On a dit que Dédale, s’étant sauvé de l’île de Crète, s’associa avec lui pour la conduite de cette colonie [48] ; mais la chronologie réfute cela invinciblement. Il était contemporain d’Œdipe, roi de Thèbes [49] : il n’a donc pu lier aucune partie avec Aristée gendre de Cadmus. Quoi qu’il en soit, les variations sont ici bien dégoûtantes. Pausanias dit qu’une troupe de Libyens s’était établie dans la Sardaigne, et associée avec les naturels du pays, avant qu’Aristée y allât ; mais Aristote raconte qu’Aristée fut le premier qui la cultiva, et qu’auparavant elle ne servait de demeure qu’à beaucoup de grands oiseaux [50]. Consultez M. Bochart, qui soutient que ce voyage d’Aristée est une fable [51].

(E) L’Arcadie.….fut l’une des principales stations d’Aristée. ] C’est pour cela que Virgile le surnomme Arcadius, quand il parle de l’invention de produire de nouvelles abeilles :

Tempus et Arcadii memoranda inventa Magistri
Pandere, quoque modo cæsis jam sæpè juvencis
Insincerus apes tulerit cruor.... [52].


Cet art fut une invention d’Aristée, et le fit honorer comme Jupiter dans l’Arcadie. Pòst eâ (Ceâ) relictâ, cum Dædalo ad Sardiniam transitum fecit. Huic opinioni Pindarus refragatur, qui eum ait de Ceâ insulâ in Arcadiam migrâsse, ibique vitam coluisse. Nam apud Arcadas pro Jove colitur, quòd primus ostenderit qualiter apes debeant reparari [53]. Justin donne à Aristée un grand royaume dans l’Arcadie : je citerai ses paroles dans la remarque suivante. Il n’est pas vrai, comme M. Lloyd l’assure, qu’Apollonius fasse passer Aristée de l’Arcadie en l’île de Céa. Il a copié cette faute de Saumaise [54].

(F) Je n’oublierai point la découverte astronomique que l’on donne à Aristée. ] À ne considérer les paroles de Justin que fort superficiellement, il pourrait venir dans l’esprit qu’il attribue à Aristée la première découverte des solstices ; mais ceux qui lisent avec attention s’aperçoivent aisément qu’il parle du lever de la canicule. Aristæum in Arcadiâ latè regnâsse, eumque primum et apium et mellis usum et lactis ad coagula hominibus tradidisse, solstitialesque ortus sideris primum invenisse [55]. Les plus savans critiques ont remarqué qu’il faudrait lire ou solstitialisque ortus sideris, ou solstitialesque ortus Sirii [56]. L’une et l’autre de ces deux leçons nous donnent la canicule, à ce qu’ils prétendent. Ce qu’il y a de certain est que cet astre avait une relation particulière à notre Aristée. En voici la cause : les chaleurs de la canicule désolaient les îles Cyclades, et y produisaient une peste que l’on pria Aristée de faire cesser. Il passa alors en l’île de Céa, et fit bâtir un autel à Jupiter : il offrit des sacrifices à ce dieu ; il en offrit aussi à cet astre malfaisant, et lui établit un anniversaire. Cela produisit un très-bon effet ; car ce fut de là que les vents étésiens tirèrent leur origine ; vents qui durent quarante jours, et qui tempèrent l’ardeur de l’été.

Καὶ βωμὸν ποίησε μέγαν Διὸς ἰκμαίοιο·
Ἱερά τ᾽ εὖ ἔῤῥεξεν ἐν οὔρεσιν ἀςέρι κείνῳ
Σειρίῳ, αὐτῷ τε Κρονίδῃ Διί. Τοῖο δ᾽ ἕκητι
Γαῖαν ἐπιψύχουσιν ἐτήσιοι ἐκ Διὸς αὖραι
Ἤματα τεσσαράκοντα. Κέῳ δ᾽ ἔτι νῦν ἱερῆες
Ἀντολέων προπάροιθε κυνὸς ῥέζουσι θυηλάς. [57].

Tùm augusta extructa ara Jovis Humiferi,
Sacra litato fecit in montosis et stellæ illi
Sirio, et ipsi Jovi Saturni filio. Cujus rei gratiâ
Venti Diales anniversarii perfrigerant tellurem
Quadraginta diebus ; et hodièque sacerdotes in Co
Ante Caniculæ exortum operantur sacris.


Diodore de Sicile ne fait pas entendre avec assez de clarté, si les vents étésiens furent l’effet du sacrifice d’Aristée [58]. Il semble dire que ce sacrifice ayant été offert environ le temps du lever de la canicule, temps qui concourt avec la saison de ces vents étésiens, la peste cessa. Mais il est sûr qu’il prétend que les ardeurs de la canicule furent adoucies par les actes de religion qu’Aristée fit. Il trouve en cela un sujet d’étonnement, puisque la même personne dont le fils avait été déchiré par les chiens, corrigea la malignité d’un astre qui s’appelle le chien. Je laisse son grec, et je ne rapporte que la traduction de Rhodoman. Singularem hanc rerum conversionem, si quis penitiùs examinet, meritò demiretur. Qui enim filium à canibus discerptum vidit, is cœlestè sidus canis nomine appellatum, quod hominibus exitium adferre putatur, mitigavit, et mortalibus non paucis auctor salutis extitit [59]. D’autres auteurs disent en termes clairs et précis, que les dévotions d’Aristée furent la cause de ces vents-là. Canicula exoriens æstu eorum [60] loca et agros fructibus orbabat : et ipsos morbo affectos, pœnas Icario cum dolore sufferre cogebat, eò quòd latrones recipissent. Quorum rex Aristeus, Apollinis et Cryenes filius, Actæonis pater, petit à parente quo facto à calamitate civitatem posset liberare : quem Deus jubet multis hostiis expiare Icarii mortem, et ab Jove petere, ut quo tempore canicula exoriretur, dies quadraginta ventum daret, qui æstui caniculæ mederetur. Quod jussum Aristeus confecit, et ab Jove impetravit ut Etesiæ flarent [61]. Le scoliaste d’Apollonius dit formellement, qu’à la prière d’Aristée, les vents étésiens soufflèrent. Ὅτι ἐτησίαι ἔπνευσαν Ἀριςαίου αἰτεσαμένου [62]. Consultez aussi le commentaire de Germanicus sur les Phénomènes d’Aratus [63]. Parlons de l’anniversaire qu’il établit. Il ordonna que tous les ans les prêtres de Céa offrissent des sacrifices avant le lever de la canicule, et que les habitans se missent en armes, pour observer le lever de cette constellation, et pour lui offrir des victimes [64]. Ἐνομοθέτησε γὰρ τοῖς Κώοις (lisez Κείοις) κατ ̓ ἐνιαυτὸν μεθ᾽ ὅπλων ἐπιτηρεῖν τὴν ἐπιτολὴν τοῦ Κυνὸς, καὶ θύειν αὐτῷ [65]. Cicéron dit qu’ils croyaient prévoir, par l’observation de cet astre, si l’année serait saine ou non. Ceos accepimus ortum caniculæ diligenter quotannis solere servare, conjecturamque capere, ut scribit Ponticus Heraclides, salubrisne an pestilens annus futurus sit [66]. Manile attribue la même chose aux Ciliciens [67]. Je ne sais si les habitans de la Calabre, qui faisaient des vœux à la Canicule, avaient emprunté d’Aristée médiatement ou immédiatement cet acte de religion.

Sic cùm stabulis et messibus ingens
Ira Deùm et Calabri populator Sirius arvi
Incubuit, coit agrestum manus inscia priscum
In nemus, et miseris dictat pia vota sacerdos [68].


Quelles superstitions ! mais ce n’étaient pas les plus étranges qui fussent dans le paganisme. Au reste, le passage de Justin que j’ai rapporté au commencement de cette remarque, formera ici un incident. M. Lefèvre de Saumur croyait être le premier qui l’eût entendu. « Justin, dit-il, ne prétend point dire qu’Aristée enseigna l’usage du lait : cela eût été contraire à la vérité, et à toute l’antiquité, il ne parle que de l’industrie de cailler le lait. » Se ostendisse hominibus quâ arte coagulum ex lacte confici conformarique posset [69]. « Il ne prétend point même qu’Aristée ait inventé l’usage du miel : le lait et le miel servirent à la nourriture du plus grand des dieux. » Nam Jupiter pater ille hominumque deûmque melle nutritus est ac lacte [70]. « Il parle donc de l’invention de cailler le lait avec du miel. » Ergò aliud docuit Aristæus, scilicet coagulum fieri ex mixturâ, seu ut Græci vocant, cramate mellis et lactis. Hunc locum à nemine hactenùs intellectum arbitror [71]. Cette explication me paraît très-belle, mais les raisons sur quoi on la fonde prouvent trop ; car si l’ancienne tradition sur les alimens qui furent donnés à Jupiter pendant son enfance avait empêché Justin de dire qu’Aristée montra aux hommes l’usage du miel, il n’aurait point débité que Gargoris roi des Cynètes [72], ou des Cunètes, fut le premier inventeur du miel ; et néanmoins, il l’a débité clairement, et sans qu’on puisse donner à ses termes deux explications. Quorum (Cunetum) rex vetustissimus Gargoris mellis colligendi usum primus invenit [73]. Je ne vois point qu’on puisse prétendre que Justin a tellement respecté les traditions poétiques, qu’il s’est bien gardé d’avancer des choses qui les réfutassent. Une infinité d’auteurs ont dit qu’Aristée inventa le miel ; leurs paroles signifient cela précisément, et ne peuvent point être détournées à ce sens-ci : Il inventa un certain mélange du miel et du lait, pour composer une coagulation. On pourrait donc croire raisonnablement que Justin parla comme eux, et qu’il ne tint aucun compte de ce que les poëtes avaient débité touchant le lait et le miel de Jupiter. Notez en passant, que les inventions d’Aristée consistaient quelquefois dans des mélanges ; car il fut le premier qui apprit aux Thraces à mêler du miel avec le vin de Marone. Aristæum primum omnium in eâdem gente mel miscuisse vino, suavitate præcipuè utriusque naturæ spontè provenientis [74].

(G) …….. ni sa fille Macris. ] Il n’y a guère d’auteurs qui en parlent ; mais voici ce qu’Apollonius en raconte [75] : Ce fut elle qui prit le petit Bacchus sur son giron, après que Mercure l’eut tiré du milieu des flammes. Ce fut elle qui lui fit prendre du miel. Elle demeurait alors au centre de l’île d’Eubœe. Elle s’exposa à l’indignation de Junon, par le bon office qu’elle rendit à cet enfant, et fut contrainte d’abandonner le pays, et de se sauver dans un autre, en l’île des Phéaques, où elle fit une infinité de biens aux habitans [76]. Inférons de là qu’Aristée, oncle d’alliance de Bacchus [77], était beaucoup plus âgé que lui. Cela ne réfute point ce que Diodore de Sicile raconte touchant l’admission d’Aristée aux Orgies, etc., ni ce que d’autres supposent, qu’il commandait quelques troupes dans l’armée de Bacchus [78] ; car il est de l’ordre que la supériorité appartienne à un fils de Jupiter, lors même qu’il est plus jeune.

  1. * Wesselingue, dans son excellente édition de Diodore de Sicile, (Amstelod., 1745), a adopté l’opinion de Bayle et a écrit Κέω, au lieu de Κῶ.
  1. Cicero, in Verrem, Orat. IX, cap. LVII.
  2. Idem, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. XVIII.
  3. Pindari Ode IX Pythior., pag. 433.
  4. Idem, ibid., pag. 434.
  5. Τὸν δὲ σύγκοιτον γλυκὺν
    παῦρον ἐπὶ βλεϕαροις
    Ὓνον ἀναλίσκοισα, ῥέποντα πρὸς ἀῶ.

    Exiguum autem somnum concubitorem suavem in palpebris impendens, quùm adventaret aurora. Pindari Ode IX Pythior., pag. 434.

  6. Idem, ibid., pag. 437.
  7. Idem, ibidem.
  8. Notes sur l’Aristée de Virgile, traduit en français, et imprimé à Lyon, l’an 1668, pag. 28, 29.
  9. Pindari Ode IX Pythior., pag. 443.
  10. Conférez la Ve. scène des Précieuses ridicules.
  11. Ovidius, Metamorph., lib. VI, vs. 690.
  12. Virgil., Georgic., lib. IV, vs. 355. Voyez aussi Servius sur le 317e. vers de Virgile.
  13. Hygin., cap. CLXI.
  14. Scholiast. Apollonii in lib. II Argonaut., vs. 502.
  15. Frischlin., in Callimach. Hymn. II, pag. 392, edit. Ultraj. an. 1697.
  16. Apollon., Argon., lib. II, vs. 502 et seq.
  17. Diod. Sicul., lib. IV, cap. LXXXIII, pag. 167.
  18. Pindari Ode IX Pythior., pag. 441.
  19. Scholiast. Apoll. in Argon., lib. II, vs. 500.
  20. Apollon., Argon., liv. IV, vs. 1218, fait mention d’un temple d’Apollon Nomius.
  21. Benedictus in Pindarum, Ode IX Pythior., pag. 442.
  22. Plutarch., in Amator., pag. 757.
  23. Scholiast. Apollonii, in lib. II, vs. 509.
  24. Apollon., Argonaut., lib. IV, vs. 512 et seq.
  25. Idem, ibidem, vs. 1132.
  26. Virgil., Georgic., lib. IV, vs. 326.
  27. Idem, ibidem, lib. I, vs. 14.
  28. Oppian. Cyneg., lib. IV.
  29. Nonnus, Dionys., lib. V.
  30. Plin., lib. VII, cap. LVI, pag. 99.
  31. Varro, de Linguâ lat., lib. IV, pag. 34.
  32. Ἀριςαῖος..... πρῶτον τὴν ἐργασίαν τοῦ σιλϕίου ἐξεῦρεν ὥσπερ καὶ τοὺ μέλιτος.
  33. Lib. XIII, cap. VII.
  34. Il faut lire Agræus.
  35. Voyez Vossius, de Theolog. Gentili, lib. VII, cap. X, pag. 350.
  36. C’est la pensée de Vossius, de Theolog Gentili, lib. VII, cap. X, pag. 350.
  37. C’est la prétention de Saumaise sur Solin, pag. 144, 145.
  38. Et non pas apud Coos, comme Rhodoman a traduit.
  39. Citation (27).
  40. Servius, in Georgic., lib. I, vs. 14.
  41. Apollon., Argon., lib. II, vs. 521.
  42. Schol. Apollon., in lib. II, vs. 500.
  43. Voyez Vossius, de Theolog. Gentili, lib. VII, cap. X, pag. 350.
  44. Heraclides, de Politiis, pag. 20.
  45. Salmas., in Solin., pag. 144.
  46. Diodor. Siculus, libro IV, capite LXXXIV.
  47. Pausan., lib. X, pag. 332. Voyez aussi Silius Italic, lib. XII, pag. 498.
  48. Pausan., lib. X, pag. 332. Salluste avait dit cela, comme on l’a vu ci-dessus dans un passage de Servius, citation (40).
  49. Pausan., lib. X, pag. 332.
  50. Aristotel., de Mirabilibus Auscult., Oper., tom. I, pag. 881.
  51. Bochart., Geograph. sacr., parte II, lib. I, cap. XXXI, paf. 632, 633.
  52. Virgil., Georgic., lib. IV, vs. 283.
  53. Servius, in Georgic., lib. I, vs. 14.
  54. Salmas., in Solin., pag. 99.
  55. Justin., lib. XIII, cap. VII, pag. 313, 314.
  56. Voyez le Justin Variorum de M. Grævius, sur cet endroit.
  57. Apollon., Argon., lib. II, vs. 524.
  58. Diodor. Sicul., lib. IV, cap. LXXXIV.
  59. Idem, ibid., pag. 268.
  60. C’est ainsi qu’il faut lire, et non pas corum. Voyez Saumaise, sur Solin, pag. 144.
  61. Hygin. Poëtic. Astronom., lib. II, cap. IV, pag. 365.
  62. Schol. lApollon., in lib. II, vs. 500.
  63. Germ. in Aratea Phænom., in Aquario, pag. 118, 119.
  64. Apollon., lib. II, vs. 528. Vous trouverez les paroles ci-dessus, citation (57).
  65. Schol. Apollon., in lib. II, vs. 528.
  66. Cicero, de Divinat., lib. I, cap. LVII.
  67. Manil., Astronom., lib. I, pag. 13.
  68. Valer. Flaccus, Argonaut., lib. I, vs. 682.
  69. Tanaq. Faber, Not. in Justin., lib. XIII, cap. VII.
  70. Idem, ibid.
  71. Idem, ibid.
  72. Peuple d’Espagne.
  73. Justin., lib. XLVII, cap. IV.
  74. Plin., lib. XIV, cap. IV, pag. 127.
  75. Apollon., Argon., lib IV, vs. 1131 et seq.
  76. .... Καὶ πόρεν ὄλϐον ἀθέσϕατον ἐνναέτῃσιν,

    Et infinitis beuvit insolarios opibus.
    Idem, ibid., vs. 1140.

  77. Il était mari d’Autonoé, sœur de la mère de Bacchus.
  78. Nonnus, Dionysiacor. lib. XIII.

◄  Aristarque
Aristée  ►