Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Arimanius


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ARIMANIUS, l’une des principales divinités des Perses. Cette nation devait sa philosophie à Zoroastre, dont les manichéens renouvelèrent l’un des dogmes les plus fondamentaux ; savoir, qu’il y a deux premiers principes, l’un du bien, l’autre du mal. Les Perses nommaient Oromasdes la divinité qu’ils reconnaissaient pour le principe de tout bien, et pour l’auteur du premier état où les choses furent produites ; et ils appelaient Arimanius la divinité qu’ils reconnaissaient pour le principe du mal, et pour l’auteur de la corruption dans laquelle la première nature est tombée. Ils disaient qu’Oromasdes, ayant produit les bons esprits et les étoiles, enferma celles-ci dans un œuf (A) ; et qu’Arimamius produisit les mauvais génies, qui cassèrent cet œuf, d’où sortit la confusion et le mélange du bien et du mal. Ils ajoutaient qu’enfin, après plusieurs combats où la victoire serait tantôt d’un côté tantôt de l’autre, Oromasdes vaincrait pleinement Arimanius, et le perdrait sans ressource ; ce qui serait suivi d’un grand bonheur pour le genre humain, et d’un changement très-commode, qui ferait que le corps de l’homme serait transparent, et qu’il se conserverait sans nourriture [a].

Ce que je viens de dire a été tiré d’un auteur qui l’avait pris de Plutarque, dont je rapporterai ailleurs le passage tout entier [b]. On remarque que le roi de Perse, voyant Thémistocle se réfugier auprès de lui, pria Arimanius d’inspirer toujours de telles pensées à ses ennemis, qu’ils exilassent leurs plus braves gens [c]. C’est une preuve, que les Perses considéraient Arimanius comme une divinité qui ne se plaisait qu’à faire du mal (B). On entendait, sans doute, la même divinité, lorsque, sur les plaintes que fit Darius contre le démon de la Perse, en apprenant que la reine son épouse était morte prisonnière d’Alexandre, on lui répondit : à l’égard des honneurs de la sépulture, etc., vous n’avez aucun sujet d’accuser le mauvais génie de la nation [d]. Il n’a rien manqué de leur première fortune à votre femme, à votre mère, et à vos enfans, que de voir votre lumière, que le seigneur Oromasdes remettra dans son éclat [e]. Nous voyons dans ces paroles l’opposition que faisaient les Perses entre Oromasdes et Arimanius.

  1. Tiré du Telluris Theoria sacra du docteur T. Burnet, liv. II, chap. X, pag. 289, 290 : il cite Plutarch., de Iside et Osiride.
  2. Dans la remarque (C) de l’article Manichéens, et dans la remarque (E) de l’article Zoroastre,
  3. Plutarch., in Themist., pag. 126.
  4. Τὸν πονηρὸν δαίμονα. Plutarch., in Alexandro, pag. 682.
  5. Idem, ibid.

(A) Oromasdes... enferma les étoiles dans un œuf. ] J’ai averti en un autre endroit [1], que je toucherais ici quelque chose touchant l’œuf qui, selon l’ancienne théologie des païens, avait servi à la production des êtres, lorsque le chaos fut débrouillé. Je dis donc que, suivant les Phéniciens, l’air obscur et le chaos avaient été le principe de toutes choses. Cet air obscur est sans doute la même chose que d’autres appellent la nuit, et à laquelle ils attribuent la génération d’un œuf, duquel l’amour et le genre humain sortirent. Τίκτει πρώτιςον νὺξ ἡ μελανόπτερος ὠόν [2]. On peut ingénieusement expliquer cela de la Terre, et l’ajuster avec les paroles de Moïse, en supposant que les parties les plus grossières de cet air obscur et épais se précipitèrent sur la circonférence de l’abîme, où ils trouvèrent une écume grasse et gluante, avec quoi elles s’embarrassèrent, pour former ensemble une espèce de limon, qui s’étant durci, devint la terre habitable [3]. Quelques anciens ont dit qu’une colombe, couvant un œuf, avait produit Vénus ou l’Amour. Verba citat Grotius ex Nigidio in Scholiasten Germanici, ovum miræ magnitudinis quod volventes ejecerunt in terram, atque ità columbam insedisse, et post aliquot dies exclusisse Deam Syriæ quæ vocatur Venus [4]. Lucius Ampelius a dit que c’était un œuf de poisson : Ovum piscis columbam adsedisse dies plurimos, et exclusisse Deam Benignam [5]. Le docteur Burnet entend le chaos par l’œuf, le Saint-Esprit par la colombe, et la Terre par Vénus [6]. Mais il semble qu’il ne faudrait pas borner à la seule production de la Terre cette Vénus qui sortit de l’œuf : il faudrait entendre toute la machine du monde. Ce docteur remarque que l’œuf était une chose fort sacrée dans les mystères de Bacchus, à cause de sa conformité avec l’être qui engendre et qui enferme tout en lui-même : Ὡς μίμημα τοῦ τὰ πάντα γεννῶντος καὶ περιέχοντος ἐν ἑαυτῷ [7]. Il n’oublie pas d’observer que l’expression de Moïse à du rapport à l’action des poules qui couvent : Huic doctrinæ de ovo mundano datæque interpretationi tacitè favere mihi videtur incubatio Spiritûs Sancti in abyssum, de quâ Moses in primâ telluris productione, ubi ad ovum manifestò alluditur [8].

(B) Les Perses considéraient Arimanius comme une divinité, qui ne se plaisait qu’à faire du mal. ] Si l’on voulait me nier cela, on me pourrait objecter que le roi de Perse eut un grand plaisir d’avoir gagné Thémistocle ; il croyait donc que ce serait une très-bonne fortune pour son pays, que de telles gens fussent exilés par leur patrie, et qu’ils se réfugiassent à sa cour : lors donc qu’il priait Arimanius d’inspirer à ses ennemis la résolution de bannir leurs plus braves citoyens, il lui demandait une grâce très-insigne ; et par conséquent, il le regardait comme une cause bienfaisante en quelques rencontres à l’égard des Perses. Je réponds que c’est un raisonnement qui ne prouve point ce qu’on veut prouver. Ce monarque ne s’écartait pas des idées de ses théologiens : il ne considérait Arimanius que comme un être malfaisant : il ne lui demandait l’exil des grands hommes de la Grèce, qu’en tant que cela était préjudiciable à ce pays-là. C’était une action du ressort et du goût d’Arimanius, en tant qu’elle était injuste et pernicieuse par rapport aux villes qui exilaient : mais en tant qu’elle procurait du bien aux Perses, elle ne lui était pas agréable ; et ce n’était point sous cette notion qu’on le priait d’y travailler. En un mot, pour résoudre cette objection, il suffit de dire que les choses de ce monde étant si mêlées, qu’ordinairement parlant un pays profite du malheur de l’autre, Arimanius ne pouvait presque rien faire qui fût purement et simplement pernicieux : il en résultait toujours quelque utilité, ou par accident, ou de quelque autre manière. Mais comme il ne faisait une chose qu’à cause du mal qu’il y voyait, on ne peut pas prétendre qu’il fût le principe d’aucun bien. Il eût empêché, s’il l’eût pu, que les Perses ne trouvassent quelque avantage dans le préjudice d’Athènes. Il est donc vrai que la prière, dont nous parlons, ne prouve pas qu’on le regardât autrement que comme un être qui ne se plaisait qu’à nuire.

  1. Ci-dessus, dans la remarque (A) de l’article Adam.
  2. Aristophanes, apud T. Burnetium, Tell. Theor. sacr., lib. II, cap. VII, pag. 243.
  3. C’est ce que fait le docteur Burnet, même, pag. 244.
  4. Id., ibid, pag. 259.
  5. Idem, ibid.
  6. Idem, ibid.
  7. Ex Plutarchi Sympos., lib. II, Qu. III, pag. 636.
  8. Burnet., Telluris Theoria sacra, pag. 286.

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