Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Anaxagoras


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ANAXAGORAS, l’un des plus illustres philosophes de l’antiquité, naquit à Clazomèene dans l’Ionie, environ la 70e. olympiade, et fut disciple d’Anaximènes. La noblesse de son extraction, ses richesses, et la générosité qui le porta à résigner tout son patrimoine à ses parens (A), le rendirent fort considérable. Il s’appliqua tout entier à la recherche de la nature sans se mêler d’aucune affaire publique. Cela fit qu’on lui demanda s’il ne se souciait aucunement de son pays. Sa réponse fut admirable ; les philosophes chrétiens ne pourraient pas mieux parler. Oui, dit-il, en levant la main vers les cieux, j’ai un soin extrême de ma patrie [a]. Une autre fois, on lui demanda, Pourquoi êtes-vous né ? et il répondit, Pour contempler le soleil, la lune et le ciel [b]. Conformément à cela, il mettait le souverain bien, ou la fin de la vie humaine, dans la contemplation, et dans l’état libre que la contemplation produit [c]. Il n’avait que vingt ans lorsqu’il commença de philosopher dans Athènes [d]. Il y a des auteurs qui disent qu’il fut le premier qui y transporta l’école philosophique, qui avait fleuri dans l’Ionie depuis son fondateur Thalès. C’est ce que j’examinerai dans l’article d’Archélaüs le philosophe. Ce qu’il y a de certain, est qu’il eut d’illustres disciples dans Athènes, et nommément Périclès et Euripide. Quelques-uns y ajoutent Thémistocle et Socrate ; mais la chronologie les réfute à l’égard de Thémistocle [e]. Il n’y a guère de choses qui puissent donner une idée plus avantageuse de son habileté, que le caractère des progrès qu’il fit faire au grand Périclès ; car il lui inspira ces manières graves et majestueuses, qui le rendirent si capable de gouverner la république [f] : il le prépara à cette éloquence sublime et victorieuse, qui le rendit si puissant [g], et il lui apprit à craindre les dieux sans superstition [h]. Joignez à cela que ses conseils l’aidèrent beaucoup à soutenir le pesant fardeau du gouvernement [i]. Il se signala par la nouveauté et par la singularité de ses dogmes. Il enseigna qu’il y avait des collines, et des vallées, et des habitans dans la lune, et que le soleil était une masse de matière tout-à-fait en feu (B), et plus grande que le Péloponnèse [j]. Il disait que la neige est noire [k], et il en donnait une raison peu solide ; car il se fondait d’un côté sur ce que la neige est une eau condensée, et il supposait de l’autre que le noir est la couleur propre de l’eau [l]. Il croyait en général que les yeux ne sont point capables de discerner la vraie couleur des objets et que nos sens sont trompeurs ; et qu’ainsi c’est à la raison, et non pas à eux, à juger des choses [m]. Il disait aussi que les cieux étaient de pierre [n], et que c’était la vitesse de leur mouvement qui les empêchait de tomber [o]. D’autres assurent qu’il avouait que le ciel est de nature de feu quant à son essence, mais que par la véhémence de sa révolution ravissant des pierres de la terre, et les ayant allumées, elles devinrent astres [p] ; et qu’au commencement les animaux furent formés de la terre, et d’une humidité chaude [q] ; et qu’ensuite ils s’engendrèrent les uns les autres, les mâles au côté droit, et les femelles au côté gauche [r]. Il admettait autant de sortes de principes que de corps composés ; car il supposait que chaque espèce de corps était formée de plusieurs petites parties semblables, qu’il appelait homœoméries, à cause de cette conformité. Mais cela l’engageait à convenir d’une chose qui embarrassait son système [s], c’est que les semences, ou les principes de toutes les espèces, se trouvaient dans chaque corps. M. Moréri a très-mal représenté ce sentiment (C). Lucrèce l’avait néanmoins très-bien exposé, et assez solidement réfuté. Cela nous donnera lieu de proposer quelques réflexions sur cette doctrine. Ce qu’il y avait de plus beau dans le système d’Anaxagoras était qu’au lieu que jusques alors on avait raisonné sur la construction du monde, en n’admettant d’un côté qu’une matière très-informe, et de l’autre que le hasard, ou qu’une fatalité aveugle, qui l’eût arrangée ; il fut le premier qui supposa qu’une intelligence produisit le mouvement de la matière, et débrouilla le chaos (D). Ce fut sans doute la véritable raison pourquoi ce grand philosophe fut surnomme Νοῦς, c’est-à-dire l’Esprit ou l’Entendement [t]. Son orthodoxie ne fut pas assez épurée (E) : il y resta bien des défauts ; et cela est moins étrange, que de voir que les physiciens qui le précédèrent n’ont point connu la vérité dont il s’aperçut, et qu’il était si facile d’apercevoir, et que les poëtes avaient tant chantée (F). Il faudra examiner si la doctrine des homœoméries ne renfermait pas beaucoup de contradictions (G) : il me semble qu’elle en est toute farcie ; et qu’en général, les idées des anciens qui ont parlé du chaos, n’étaient pas moins embrouillées que le chaos même. Disons pour le moins, afin d’éviter tout air d’exagération, qu’elles n’étaient guère justes, et qu’ils n’ont pu dire que cet état de confusion ne subsistait plus (H). On conte qu’Anaxagoras avait prédit que la pierre qui tomba du ciel dans la rivière de la Chèvre, et qui fut gardée et vénérée comme une sainte relique, tomberait du corps du soleil (I). On lui attribue quelques autres prédictions [u]. Il cultiva beaucoup la géométrie [v] ; et l’on trouva que, dans sa prison, il avait écrit sur la quadrature du cercle [w]. Son esprit vaste suffisait à tout : les plus difficiles phénomènes de la nature, les comètes, la voie de lait, les tremblemens de terre, les vents, le tonnerre, les éclairs [x], le débordement du Nil [y], les éclipses, et semblables choses, dont il inventa des raisons ; tout cela joint aux spéculations astronomiques et géométriques ne l’empêcha pas d’étudier les poésies d’Homère, avec l’attention d’un homme qui veut découvrir des secrets, et enrichir la littérature. Il fut le premier qui supposa qu’elles sont un livre de morale, où la vertu et la justice sont expliquées par des narrations allégoriques [z]. On rapporte diversement les circonstances et l’issue du procès d’impiété qui lui fut fait dans Athènes : les uns disent qu’il fut condamné, les autres qu’il fut absous (K). Périclès, qui le protégea en cette rencontre, s’était rendu suspect d’athéisme, pour avoir été instruit par un tel maître. J’en parle ailleurs [aa]. Diogène Laërce, en rapportant un bon mot d’Anaxagoras, a commis une bévue de chronologie (L), dont je suis surpris qu’on ait tant tardé à s’apercevoir. La constance de ce philosophe, à la nouvelle de sa condamnation, et de la mort de ses fils, fut merveilleuse (M). Il comptait pour très-peu de chose de vivre ou de mourir hors de sa patrie [ab] ; et il discernait fort bien quelles conditions sont les plus heureuses (N). Quelques auteurs ont débité qu’on ne le vit jamais rire, ni même sourire [ac]. Cicéron lui donne beaucoup de gravité. Maxima fuit et gravitatis et ingenii gloria [ad]. Il mourut à Lampsaque, où il fut enterré honorablement, et orné d’une épitaphe très-glorieuse. On alla même jusqu’à lui bâtir un autel (O). Les principaux de la ville le visitèrent un peu avant qu’il mourût, et lui demandèrent s’il avait quelque ordre à donner : il leur fit réponse, qu’il ne souhaitait autre chose, sinon que l’on permît aux enfans de se divertir toutes les années dans le mois qu’il serait mort [ae]. Cela fut exécuté, et la coutume en durait encore au temps de Diogène Laërce. On dit qu’il vécut soixante et douze ans [af]. On n’est pas bien assuré qu’il ait tenu pour le dogme de la prédestination (P). Il est le premier philosophe qui ait publié des livres (Q). Socrate, qui avait espéré d’y rencontrer certaines choses, ne fut pas content de leur lecture : ce fut apparemment sa faute (R), comme je le montrerai dans les réflexions que j’aurai à faire sur son discours. Il négligea l’astronomie, entre autres raisons, à cause qu’Anaxagoras, qui s’y était extrêmement appliqué, s’égara beaucoup (S). Ce que l’on observe touchant le Traité où il raisonnait sur les éclipses est une chose curieuse. Vous la verrez à la fin de la remarque (B) de l’article de Périclès. N’oublions point que le mont Mimas, proche de Clazomène, était un lieu d’où il contemplait les astres [ag]. Encore moins faut-il oublier que la force et la sublimité de son génie, son travail, son application, et l’abondance de ses découvertes, ne firent que le conduire à l’incertitude ; car il se plaignait que tout est plein de ténèbres [ah]. Ce fut peut-être ce qui l’obligea à dire que tout consiste dans l’opinion, et que les objets sont ce qu’on veut, c’est-à-dire, tels ou tels, selon qu’ils nous semblent tels ou tels [ai]. Du reste, quoiqu’il enseignât que l’âme de l’homme est un être aérien [aj], il la croyait immortelle [ak]. Il lui faisait plus d’honneur qu’au monde ; car il était de ceux qui jugèrent que le ciel et la terre périraient [al] : et quand on lui demanda si les montagnes de Lampsaque seraient un jour une partie de la mer, il répondit que oui, pourvu que le temps ne leur manquât pas [am]. J’ai dit ailleurs [an] quel était son sentiment sur l’âme des bêtes. C’est dommage qu’il n’ait pas été ami de Démocrite, et que ces deux grands esprits n’aient pas concerté ensemble leurs hypothèses : on aurait pu corriger les défauts de l’une par les perfections de l’autre ; mais il n’y eut entre eux nulle liaison. Anaxagoras voulut du mal à Démocrite, parce que la visite qu’il souhaita de lui rendre fut refusée [ao]. Servius et Sidonius Apollinaris ont ignoré ses opinions (T). Il y aura beaucoup de passages grecs dans le commentaire de cet article. Cela doit plaire aux personnes qui entendent cette langue, et qui veulent juger des choses par les propres termes des auteurs qu’on prend à témoin, et ne doit pas déplaire à ceux qui l’ignorent ; car outre que mes pages en seront plus courtes à leur égard, ils y trouveront en français une notion générale de ce qui est dans le grec. Ceci soit dit une fois pour toutes. J’ai renvoyé ailleurs [ap], afin de ne surcharger pas davantage cet article, quelques discussions chronologiques qu’il y avait à proposer.

  1. Ex Diogen. Laërt., libr. II, num. 6, 7.
  2. Diogen. Laërt. libr. II, num. 10.
  3. Clem. Alexandr. Stromat., libr. II, pag. 416.
  4. Diog. Laërtus, libr. II, num. 7.
  5. Plutarch. in Themistoc., pag. 112.
  6. Idem, in Pericle, pag. 154.
  7. Voyez la remarque (E) de l’article de Périclès, à la fin.
  8. Voyez les remarques (A) et (B) de l’article Périclès.
  9. Voyez la citation (19).
  10. Diog. Laërtius, libr. II, num. 8.
  11. Cicero, Academ. Quæstion., libr. II, cap. XXIII et XXXI. Lactant., libr. V, cap. III.
  12. Sextus Empiricus, Pyrrhon, Hypotipos., libr. I, cap. XIII.
  13. Idem., adv. Mathem., libr. VII, p. 153.
  14. Voyez la remarque (I) au commencement.
  15. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  16. Plut. de Placitis Philosoph., libr. II, cap. XIII. Je me sers de la version d’Amiot.
  17. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  18. Id. ibid., num. 9.
  19. Voyez la remarque (G).
  20. Voyez la remarque (C), num. 2.
  21. Voyez la remarque (I).
  22. Proclus Diadochus, libr. II, in librum primum Euclidis.
  23. Plutarch, de Exilio, pag. 607.
  24. Diog. Laërt. libr. II, num. 9.
  25. Diodor. Siculus, lib. I, cap. XXXVIII.
  26. Diog. Laërt., libr. II, num. 12.
  27. Dans les remarques (G) et (D) de l’article Périclès.
  28. Voyez la remarque (M).
  29. Ælian Var. Histor., libr. VIII, cap. XIII ; Plutarque, dans la Vie de Périclès.
  30. Cicer. Quæstion. Academ., libr. II, cap. XXIII.
  31. Diog. Laërt., libr. II, num. 14. Voyez la remarque (A), vers la fin.
  32. Idem, ibid., num. 7.
  33. Philostr. in Vitâ Apollon, lib. II, cap. II.
  34. Voyez la remarque (G), vers la fin.
  35. Aristoteles, Metaphys., lib. III, cap. V, pag. 671, G.
  36. Theodoret., de Græc. Affect., Serm. V, pag. 547.
  37. Id., ibid., pag. 548.
  38. Voyez les Jésuites de Conimbre, in Arist. libr. I, de Cœlo, cap. III, pag. 65.
  39. Diogen. Laërt. lib. II. num. 10.
  40. Dans la remarque (E) de l’article Pereira.
  41. Diog. Laërt., lib. II, num. 14.
  42. À la remarque (A) de l’article d’Archélaüs le philosophe.

(A) Il résigna tout son patrimoine à ses parens. ] Avant que l’Évangile eût appris aux hommes qu’il faut renoncer au monde et à ses richesses, si l’on veut marcher bien vite dans le chemin de la perfection, il y avait eu des philosophes qui avaient compris cela, et qui s’étaient défaits de leurs biens, afin de vaquer plus librement à l’étude de la sagesse, et à la recherche de la vérité. Ils avaient cru que les soins d’une famille et d’un héritage étaient des entraves qui empêchaient de s’avancer vers le but qui est le plus digne de notre amour. Anaxagoras et Démocrite [1] furent de ce nombre. Quid ergò, dit Cicéron [2], aut Homero ad delectationem animi ac voluptatem, aut cuiquam doctio defuisse unquàm arbitramur ? An ni ità se res haberet, Anaxagoras, aut hic ipse Democritus, agros et patrimonia sua reliquissent, huic discendi quærendique divinæ delectationi toto se animo dedissent ? C’est à un tel abandon qu’Anaxagoras se crut redevable de la science qu’il avait acquise, ou de son salut, pour me servir de son expression : Quali porrò studio Anaxagoram flagrâsse credimus ? qui cùm è diutinâ peregrinatione patriam repetiisset, possessionesque desertas vidisset, « Non essem, inquit, ego salvus, nisi ista periissent [3]. » Socrate, employant à son ordinaire l’ironie, montre que les sophistes de son temps avaient plus de sagesse qu’Anaxagoras, puisqu’au lieu d’abandonner comme lui leur patrimoine, ils travaillaient ardemment à s’enrichir, désabusés qu’ils étaient de la sottise du vieux temps, et persuadés qu’il faut être principalement sage dans ses propres intérêts, c’est-à-dire, avoir l’adresse de gagner beaucoup d’argent. Τοὐναντίον γὰρ Ἀναξαγόρα ϕασὶ συμϐῆναι ἢ ὑμῖν· καταλειϕθέντων γὰρ αὐτῷ πολλῶν χρημάτων καταμελῆσαι, καὶ ἀπολέσαι πάντα. οὕτως αὐτὸν ἀνόητα σοϕίζεσθαι· Λέγουσι δὲ καὶ περὶ ἄλλων τῶν παλαιῶν ἕτερα τοιαῦτα· τοῦτο μὲν οὖν μοὶ δοκεῖς καλὸν τεκμήριον ἀποϕαίνειν περὶ σοϕίας τῶν νῦν πρὸς τοὺς προτέρους· καὶ πολλοῖς συνδοκεῖ, ὅτι τὸν σοϕὸν, αὐτὸν αὑτῷ μάλιςα δεῖ σοϕὸν εἶναι. τούτου δ' ὅρος ἐςὶν ἄρα, ὃς ἂν πλεῖςον ἀργύριον εἰργάσηται [4]. Cùm Anaxagoras, contra ac vobis contigit, amplum patrimonium cùm accepisset, neglexisse dissipasseque dicatur, adeò stultè philosophatus est : deque cæteris illorum temporum sapientibus alia quædam hujusmodi tradunt. Quapropter optimam hanc attulisse conjecturam videris, quòd sapientes nostri superioribus præstant, multique in hoc consentiunt, sapientem in primis sibi ipsi sapere oportere ; hujus autem hæc est summa, ut argentum plurimum acquiratur. Cela me fait souvenir d’une distinction que j’ai lue dans Aristote. On trouve, dit-il [5], qu’Anaxagoras et Thalès, et tels autres philosophes ont été sages, mais non pas prudens, parce qu’ils ont ignoré ce qui leur était utile [6] : ils ont su des choses abstruses, relevées, admirables, divines, mais qui ne servaient de rien ; car ils ne cherchaient pas les biens et les avantages de la vie. Voilà le goût d’une infinité de gens : ils condamnent toutes les occupations, qui ne servent pas à faire fortune. Tout ce qui ne traite pas de pane lucrando, ou qui ne sert de rien πρὸς τὰ ἄλϕιτα, c’est-à-dire, pour faire bouillir la marmite, comme l’on s’exprimerait aujourd’hui, leur semble vain et superflu [7]. Anaxagoras s’éloignait beaucoup des idées de ces gens-là. Il abandonnait ses terres à la merci des moutons, pour s’occuper tout entier à l’astronomie et à la physique. Philon [8], Plutarque [9], Philostrate [10], Himerius [11], et Suidas parlent de cela. On n’oublie guère ni Démocrite, ni Cratès, quand on tombe sur ce sujet. Les pères mêmes de l’Église en font mention [12] ; mais saint Chrysostome [13] déclare que la conduite de ces philosophes était une folie et une bêtise, et non un mépris des richesses. Le diable, ajoute-t-il, s’est étudié toujours à décrier et à diffamer les créatures de Dieu, par l’incapacité qu’on a eue de se bien servir de son argent. N’est-ce point rendre la pareille aux gentils, qui traitaient de fous et d’insensés tous les chrétiens qui renonçaient à leurs patrimoines, et se retiraient dans des solitudes [14] ? C’est ainsi qu’on trouve du bien ou du mal partout, selon que l’on est rempli de tels ou de tels préjugés. Notons qu’Apollonius de Tyane critiquait un peu la conduite d’Anaxagoras, comme l’action d’un philosophe qui avait cherché le profit des bêtes, plutôt que celui des hommes [15]. Il y a de la chicane dans cette censure ; car, pour ne rien dire du profit qu’apportent aux hommes les pâturages publics, n’est-il pas clair qu’Anaxagoras avait tout lieu de prétendre que les terres qu’il abandonnait seraient cultivées par ses parens ? Les quatre vers, qui commencent par sic vos non vobis dans la vie de Virgile, contiennent un fait très certain ; c’est qu’en travaillant pour le profit des moutons, des bœufs, etc., on travaille pour les hommes. Eusèbe a été plus équitable envers Anaxagoras qu’Apollonius de Tyane ; car il rapporte l’abandon des terres comme une preuve d’un attachement à la physique, plus grand que n’avait été encore celui de tous les autres philosophes : Φασὶ γοῦν ὡς ἄρα οὗτος μάλιςα παρὰ τοὺς πρὸ αὐτοῦ ἐθαύμασε ϕυσιολογίαν· μηλόβοτον γέ τοι τὴν ἑαυτοῦ χώραν δὲ αὐτὴν εἴασε [16]. Et verò superiores omnes quantùm is physiologiæ studio superârit, vel ex eo intelligi, quòd agros ipse suos magnitudine pastionis uberrimos ejus amore reliquerit. Je me sers de la traduction ordinaire, qui est celle de François Viger ; mais j’avertis qu’elle est fautive à l’égard de μηλὸβοτον χώραν, qu’il fallait tourner par agros ovibus depascendos, et non point agros magnitudine pastionis uberrimos.

Il nous reste encore des observations à faire sur le désintéressement d’Anaxagoras. (C’était un homme qui se serait très-bien acquitté des charges publiques ; car non-seulement ses conseils servaient de beaucoup à celui qui gouvernait les Athéniens, mais aussi ils lui étaient nécessaires [17]. Cependant il ne se soucia jamais de se mêler du gouvernement : il ne se voulut jamais prévaloir de l’autorité et du crédit de Périclès, pour s’élever aux emplois ; il se borna aux spéculations philosophiques, et se guérit parfaitement d’une ambition qu’une infinité d’autres savans sont incapables de réprimer, lors même que, comme lui, ils n’ont ni l’intelligence des affaires politiques, ni la protection et la faveur des puissances. Je ne doute point que Cicéron ne l’ait principalement compté parmi les grands personnages dont il dit, que ce fut dommage pour les républiques qu’ils se fussent entièrement adonnés à étudier la nature : Eâdem autem alii prudentiâ, sed consilio ad vitæ studia dispari, quietem atque otium sequuti, ut Pythagoras, Democritus, Anaxagoras, à regendis civitatibus totos se ad cognitionem rerum transtulerunt, quæ vita propter tranquillitatem, et propter ipsius scientiæ suavitatem, quâ nihil est hominibus jucundius, plures quàm utile fuit rebus publicis, delectavit [18]. Mais non-seulement il négligea les honneurs, il n’eut pas même le soin de se procurer ce qui lui était nécessaire pour sa subsistance : il ne fit aucune attention, ni à la facilité d’amasser du bien, que le crédit et l’amitié de Periclès lui auraient fournie, ni aux besoins de la vieillesse. La recherche des secrets de la nature absorbait toutes ses autres passions. Il éprouva enfin que son mépris des richesses n’eût pas dû être si grand ; il se vit réduit dans ses vieux jours à n’avoir pas de quoi vivre, et il n’eut recours dans cette nécessité qu’à une tranquille résolution de mourir de faim ; mais Périclès ayant su cela en prévint l’effet. Écoutons Plutarque : Periclès, dit-il [19], secourut de ses richesses plusieurs pauvres gens, et mesmement Anaxagoras, entre autres : duquel on conte, qu’estant Périclès si empesché ailleurs, qu’il n’avoit pas loisir de penser à lui, il se trouva délaissé de tout le monde en sa vieillesse, et se coucha la teste affublée en resolution de se laisser mourir de faim. De quoi Périclès estant averti, s’encourut aussitost tout esperdu devers lui, et le pria le plus affectueusement qu’il lui fut possible qu’il retournast en volonté de vivre, en lamentant non lui, mais soi-mesme, de ce qu’il perdoit un si féal et si sage conseiller ès occurrences des affaires publiques. Adonc Anaxagoras se descouvrit le visage, et lui dit : « Ceux qui ont affaire de la lumière d’une lampe, Periclès, y mettent de l’huile pour l’entretenir. » Voulez-vous voir une autre preuve du peu d’ambition de ce philosophe ? On lui offrit de consacrer à sa mémoire tous les honneurs qu’il voudrait : il rejeta cette faveur, et ne demanda autre chose, si ce n’est que le jour de sa mort fût une journée de vacances pour les écoliers : Τὰς διδομένας ἀϕεὶς τιμάς, ᾐτήσατο τὴν ἡμέραν ἐκείνην καθ´ ἣν ἂν τελευτήσῃ, τοὺς παῖδας ἀϕιέναι παίζειν σχολάζειν ἀπὸ τῶν μαθημάτων. [20]. Honoribus qui offerebantur recusatis, postulavit ut eâ quâ decessisset è vivis die, pueris scholarum vacatio et discendi concederetur. N’était-ce pas souhaiter que sa mort fût un sujet de plaisir à bien des gens, et non pas une affliction ? et ne voit-on point là un mépris extrême de tout ce qui flatte le plus la vanité des mortels ?

Faisons deux petites réflexions sur le passage de la vie de Périclès. Il nous apprend qu’Anaxagoras entendait très-bien la politique, quoiqu’il ne fît profession que de la philosophie spéculative. Pourquoi donc ne croirions-nous pas qu’il composa le Traité de Regno, dont Élien a cité une sentence [21] ? Je veux qu’il soit d’un autre Anaxagoras, comme Meursius et M. Ménage le supposent [22], toujours est-il vrai que la raison qu’en donne M. Ménage n’est pas solide [23] : il l’aurait compris lui-même s’il eût songé à cet endroit de Plutarque. Voilà ma première réflexion. L’autre est que cette vieillesse, que l’on attribue à notre philosophe, ne s’accorde point avec ceux qui disent qu’il vint à Athènes âgé de vingt ans, et qu’il y séjourna trente années. Il aurait donc fallu qu’avant que d’avoir plus de cinquante ans, il eût reçu de Périclès la visite dont Plutarque fait mention. Je finis par un passage d’Ovide, où l’on voit que les premiers astronomes ont dû être des personnes épurées de la sensualité, et du soin de parvenir aux honneurs, et d’acquérir des richesses. Anaxagoras en est un exemple bien parlant :

Felices animos, quibus hæc cognoscere primis,
Inque domos superas scandere cura fuit !
Credibile est illos pariter vitiisque locisque
Altiùs humanis exseruisse caput.
Non Venus et vinum sublimia pectora fregit ;
Officiumque fori, militiæve labor.
Nec levis ambitio, perfusaque gloria fuco,
Magnarumve fames sollicitavit opum.
Admovêre oculis distantia sidera nostris ;
Ætheraque ingenio supposuêre suo.
Sic petitur cœlum : non ut ferat Ossan Olympus,
Summaque Peliacus sidera tangat apex.
Nos quoque sub ducibus cœlum metabimur illis,
Ponemusque suos ad stata signa dies [24].

(B) Il enseignait que le soleil était une masse de matière tout-à-fait en feu. ] Je me suis servi de cette expression générale, parce que les interprètes ne s’accordent pas sur le véritable sens de ces paroles de Diogène Laërce : Τὸν ἥλιον μύδρον εἶναι διάπυρον [25]. Les uns veulent qu’elles signifient une masse de fer brûlant ; d’autres aiment mieux une pierre tout enflammée ; d’autres un globe de feu, qui n’était ni fer ni pierre. Videtur mihi Anaxagoras, c’est ainsi que parle Casaubon, per μύδρον διάπυρον non tam lapidem aut ferrum, quàm globum quendam igneum, λιθώδη et βαρὺν, ut ait Plutarchus, intelligere voluisse [26]. La plupart de ceux qui ont rapporté ce dogme d’Anaxagoras se sont fixés à la seconde explication, et elle s’accorde parfaitement avec l’hypothèse de ce philosophe, comme on le verra ci-dessous [27]. Citons d’abord Xénophon : Φάσκων δὲ τὸν ἥλιον λίθον φάσκων δὲ τὸν ἥλιον λίθον διάπυρον εἶναι, καὶ τοῦτο ἠγνόει ὅτι λίθος μὲν ἐν πυρὶ ὢν, οὔτε λάμπει, οὔτε πολὺν χρόνον ἀντέχει· ὁ δὲ ἥλιος τὸν πάντα χρόνον πάντων λαμπρότετος ὢν διαμένει [28]. C’est-à-dire, selon la version de M. Charpentier, Disant aussi que le soleil n’estoit qu’une pierre enflammée, il ne considéroit pas qu’une pierre ne brille point dans le feu, et n’y peut pas durer long-temps, sans se consumer ; au lieu que le soleil dure tousjours, et est une source inépuisable de lumière. Platon sera mon second témoin. Il introduit Socrate, qui, se voyant accusé de dire que le soleil était une pierre, et que la lune était une terre [29], répond : On me prend pour Anaxagoras, dont les livres sont remplis de tels discours, et l’on s’imagine que je suis assez simple pour enseigner ces absurditez à des jeunes gens, qui se moqueroient de moi, si je m’attribuois une doctrine contenue dans les ouvrages d’un autre, et qui se vendent à bon marché. Comme je ne fais que donner là une notion générale des paroles de Platon, il est juste de les montrer elles-mêmes à ceux qui ne se contentent pas du précis d’un témoignage : Ἀναξαγόρου οἴει κατηγορεῖν, ὦ ϕίλε Μέλιτε, καὶ οὕτω καταϕρονεῖς τῶνδε, καὶ οἴει αὐτοὺς ἀπείρους γραμμάτων εἶναι, ὥςε οὐκ εἰδέναι ὅτι τ᾽ Ἀναξαγόρου βιϐλία τοῦ Κλαζομενίου γέμει τούτων τῶν λόγων· καὶ δὴ καὶ οἱ νέοι ταῦτα παρ᾽ ἐμοῦ μανθάνουσιν, ἃ ἔξεςιν ἐνίοτε, εἰ πάνυ πολλοῦ, δραχμῆς ἐκ τῆς ὀρχήςρας πριαμένοις, Σωκράτους καταγελᾷν, ἐὰν προσποιῆται ἑαυτοῦ εἶναι, ἄλλως τε καὶ οὕτως ἄτοπα ὄντα [30] Anaxagoram tu quidem, ô amice Melite, accusare tibi videris, atque ità hos parvi facis, existimans eos litterarum ignaros esse, quasi nesciant libros Anaxagoræ Clazomenii ejusmodi opinionibus esse plenos. Juvenes verò hæc à me discant, quibus liceret interdùm etiam si multa sint, unius drachmæ pretio ementibus ex orchestrâ Socratem deridere, si sua esse fingeret, præsertìm quùm tam absurda sint. Vous trouverez dans Plutarque qu’Anaxagoras fut condamné comme un impie, pour avoir dit que le soleil était une pierre [31]. Saint Cyrille d’Alexandrie [32], et saint Augustin [33], sont aussi de ceux qui ont dit que, selon Anaxagoras, le soleil était une pierre enflammée. Suidas explique par πύρινον λίθον le μύδρον διάπυρον de Diogène Laërce. Je m’étonne donc de ce que M. Charpentier aime mieux dire qu’Anaxagore soutint que le soleil n’estoit qu’une masse de fer enflammée [34].

(C) M. Moréri a très-mal représenté un de ses sentimens, que Lucrèce avait néanmoins très-bien exposé, etc. ] Nous mettrons dans cette remarque toutes les erreurs de M. Moréri.

1°. Il se figure qu’Anaxagoras enseigna, que les principes des choses avoient en eux les caractères des parties : car, comme l’or est composé de petites parcelles unies ensemble, de même tout ce grand monde est fait de semblables parties, qui font le tout, et sont le premier mobile des choses. Quel galimatias ! quelles ténébres ! Héraclite a-t-il jamais pu s’exprimer si obscurément ? À quoi bon l’exemple de l’or composé de petites parcelles unies ensemble ? Cela convient-il à l’or plutôt qu’à tout autre mixte ? Ne fallait-il pas ajouter que ces petites parcelles, qui composent l’or, sont elles-mêmes de l’or ? C’est ce qu’enseignait Anaxagoras : il croyait qu’un os visible était composé de plusieurs os invisibles ; et que le sang, que nous voyons, était composé de plusieurs petites gouttes, dont chacune était du sang. C’est pour cela qu’il appelait ses principes ὁμοιομερείας [35], similaritates. Lisez ces vers de Lucrèce.

Nunc et Anaxagoræ scrutemur homœomerian,
Quam Græci memorant, nec nostrâ dicere linguâ
Concedit nobis patrii sermonis egestas.
Sed tamen ipsam rem facilè est exponere verbis,
Principium rerum quam dicit homœomerian.
Ossa videlicet à pauxillis atque minutis
Ossibu’ ; sic et de pauxillis atque minutis
Visceribus viscus gigni ; sanguenque creari,
Sanguinis inter se multis coëuntibu’ guttis ;
Ex aurique putat micis consistere posse
Aurum ; et de terris terram concrescere parvis ;
Ignibus ex ignem ; humorem ex humoribus esse.
Cætera consimili fingi ratione, putatque [36].


Je ne rapporterai pas toutes les raisons que Lucrèce étale contre ce dogme, je n’insisterai que sur la première. Il montre que, suivant cela, les premiers principes des choses seraient corruptibles tout autant que les corps mêmes les plus composés. Cette conséquence entraîne deux grands inconvéniens : l’un, que la différence, qui doit être entre les principes et les mixtes, ne se trouve point dans l’hypothèse d’Anaxagoras. La différence dont je parle, est que les principes [37] doivent toujours demeurer les mêmes, quelque souvent que les mixtes soient détruits. Ce sont seulement les mixtes qui naissent, qui meurent, et qui passent par mille vicissitudes de génération et de corruption ; mais les principes retiennent invariablement leur nature sous toutes les formes qui se produisent successivement. Anaxagoras ne pouvait pas dire cela de ses principes ; car si par exemple ceux de la chair avaient la nature de chair, ils étaient aussi sujets à la destruction qu’une grosse masse de chair, et ainsi des autres, vu que d’ailleurs il n’admettait dans la matière aucune partie indivisible [38]. Nous verrons ci-dessous [39] s’il aurait pu supposer que les principes, étant éternels et incréés, devaient être impérissables. L’autre inconvénient est que la destruction des premiers principes ne diffère pas de ce qu’on appelle annihilation ; car, quand ils cessent d’être, ils ne se résolvent point en d’autres choses dont ils soient composés, vu que la simplicité qui leur est propre ne souffre point de composition. Ils périssent donc entièrement, et ils sont anéantis. Or, la lumière naturelle ne conçoit pas qu’un tel changement soit possible [40]. La destruction des corps composés n’est point sujette à cette difficulté ; ils subsistent toujours dans leurs principes : le bois, par exemple, détruit par le feu, ne cesse pas d’exister en tant que matière, ou que substance étendue. Voilà donc un très-grand défaut dans le système d’Anaxagoras ; les principes y sont composés, et de matière, et de forme, et n’ont point par conséquent la simplicité et l’immutabilité que l’ordre demande. On n’eût point remédié à ce mal-là, en supposant que l’intelligence qui présidait aux générations ne souffrait jamais qu’ils fussent détruits. N’était-ce pas un assez grand inconvénient, que de leur nature ils fussent sujets à la corruption, et qu’ils n’en pussent être garantis que par privilége, ou pour mieux dire par miracle ? Je ne dis rien de leur multitude, qui est aussi un défaut insigne ; car il est de l’essence d’un beau système, qu’un très petit nombre de causes y produisent une infinité d’effets.

Lucrèce ne s’avisa pas de proposer une objection qui eût pu ruiner tout le fondement de l’hypothèse d’Anaxagoras. Le motif de ce philosophe, dans la supposition de ses homœoméries ou homogénéités, fut qu’aucun être ne se fait de rien, et ne se réduit au néant[41]. Or, si la terre, par exemple, était formée de choses qui ne fussent point terre, elle se ferait de rien ; et si, ayant été terre, elle cessait d’être terre, elle serait anéantie : il faut donc qu’elle se fasse de ce qui est terre, et que, dans ce qu’on nomme destruction ou corruption, elle se réduise ou se résolve en parties qui soient terre. Selon cela, il n’y avait point de génération ni de corruption, point de naissance ni de mort, proprement dites. La génération d’une herbe n’était autre chose que l’assemblage de plusieurs petites herbes : la destruction d’un arbre n’était autre chose que la désunion et la dispersion de plusieurs arbres. Nous voyons, ajoutait-il[42], que les alimens les plus simples, l’eau et le pain, se convertissent en cheveux, en veines, en artères, en nerfs, en os, etc. : il faut donc que dans le pain et dans l’eau il y ait de petits cheveux, et des veines, et des artères, etc., que nos sens à la vérité ne découvrent point ; mais qui ne sont pas invisibles à notre raison, ou à notre entendement. Il est clair qu’il se fondait sur une fausse supposition, savoir, que de rien il se ferait quelque chose si les parties du pain qui fournissent de la nourriture aux os n’avaient pas eu la nature d’os dans le pain même. On doit s’étonner qu’un si grand génie ait pu raisonner ainsi. Ne voyait-il pas qu’une maison ne se faisait point de rien, encore qu’elle fût bâtie de matériaux qui n’étaient pas une maison ? Quatre lignes dont aucune n’est carrée, ne font-elles pas un carré ? ne suffit-il pas qu’on les range d’une certaine façon ? De plusieurs pièces de toile dont aucune n’est un pourpoint, ne fait-on pas un pourpoint ? y a-t-il là le moindre vestige de création ? Puis donc que dans les choses artificielles le seul changement de la figure et de la situation des parties suffit à former un tout qui est différent de chacune de ses parties quant à son espèce et à ses propriétés, ne fallait-il pas comprendre que la nature, infiniment plus habile que l’art humain, peut former des os et des veines, sans joindre ensemble des parties qui soient déjà des os et des veines ; mais qu’il lui suffit de travailler sur des corpuscules qui puissent recevoir telle ou telle situation, telle ou telle configuration ? Moyennant cela, sans que de rien il se fasse quelque chose, ce qui n’était aucunement chair deviendra chair, etc. Voilà ce que Lucrèce eût pu objecter à notre Anaxagoras : il eût ruiné l’hypothèse des homœoméries par les fondemens. Passons aux autres fautes de M. Moréri[43].

2o. Anaxagoras, dit-il, fut surnommé Νοῦς ou l’Esprit, à cause de la subtilité de sa doctrine. Diogène Laërce ne dit rien de cette raison : il assure simplement et absolument qu’on le surnomma ainsi, à cause de son hypothèse, qu’une intelligence avait présidé au débrouillement du chaos[44]. Timon[45], et Harpocration[46], le disent aussi. Je ne nie point que Plutarque n’ait parlé de la raison que M. Moréri propose ; mais comme il allègue aussi celle qu’on lit dans Diogène Laërce [47], et qui est plus vraisemblable, il ne fallait point que M. Moréri la supprimât.

3°. Il impute faussement à notre Anaxagoras d’avoir admis des atomes [48]. Cette erreur est d’autant plus lourde qu’il venait de dire qu’Anaxagoras admettait des parties infinies en tous les corps. Voilà deux sentimens qui se détruisent l’un l’autre : car généralement parlant, l’hypothèse des atomes peut bien souffrir qu’il y ait une infinité de corpuscules ; mais elle demande que leur nombre soit fini dans chaque corps, puisque l’une des raisons des atomistes est d’éviter les absurdités de la divisibilité à l’infini, qui suit nécessairement la supposition que chaque corps est composé d’un nombre infini de parties.

4°. Il n’est pas vrai que Lucien feigne que Jupiter écrasa Anaxagoras d’un coup de foudre. Nous verrons ci-dessous [49] les paroles de Lucien.

5°. Je ne sais sur quel fondement M. Moréri raconte qu’Anaxagoras voyagea en Égypte, où il apprit les secrets et les mystères des savans de ce pays. Je ne me souviens point d’avoir lu cela dans aucun ancien auteur ; car je demande qu’il me soit permis à cet égard-là de mettre Théodoret parmi les modernes : Théodoret, dis-je, qui a parlé de ce voyage d’Anaxagoras [50], mais qui se trompe d’ailleurs en faisant ce philosophe contemporain de Pythagoras. Au pis aller, il me restera une matière de censure, puisque Moréri n’a point cité Théodoret, ni aucun auteur qui ait fait mention de ce voyage.

6°. Il croyait que les astres, ce sont les termes de M. Moréri, avaient d’abord eu un mouvement confus, qui s’était enfin réglé. Ce n’était point du tout le sentiment d’Anaxagoras. Voici au contraire ce que Diogène Laërce lui attribue : qu’au commencement les astres se mouvaient de telle manière, que le ciel ayant la forme d’une voûte, le pôle qui ne se couche jamais, était vertical à la terre ; mais qu’ensuite il s’inclina [51]. Ne lui en déplaise, c’était avoir une connaissance bien médiocre de la sphère. C’était ignorer que le pôle boréal, incliné sur l’horizon de l’Ionie et de plusieurs autres pays, est vertical à la terre à l’égard d’un certain endroit tout autant qu’il l’a pû être au commencement. Si l’on a voulu dire que ce pôle, étant autrefois dans le zénith de l’Ionie, avait décliné ensuite vers l’horizon, on s’est très-mal exprimé, et l’on a dû croire que l’Ionie était au commencement une région bien disgraciée et bien malheureuse. Plutarque rapporte ceci un peu autrement. Il dit qu’Anaxagoras croyait que le monde fut composé, et les animaux produits de la terre ; que le monde se pencha de lui-même (ἐκ τοῦ αὐτομάτου), vers le midi, à l’aventure par la divine Providence (ἴσως ὑπὸ προνοίας), afin qu’il y eût des parties habitables, et des parties inhabitables par froid excessif, par embrasement, par température [52].

7°. Il n’est pas vrai que Diogène Laërce fasse mention d’un orateur nommé Anaxagoras, et disciple de Socrate. Il le fait disciple d’Isocrate [53].

8°. Il est encore plus faux que notre Anaxagoras ait enseigné que les parties semblables étaient le premier mobile des choses. Nous verrons dans la remarque suivante que le premier mobile était, selon lui, un esprit distinct des homœoméries. Si M. Moréri avait entendu l’auteur de la vie de ce philosophe, il ne serait pas tombé dans cette bévue : Ἐκ τῶν ὁμοιομερῶν μικρῶν σωμάτων τὸ πᾶν συγκεκρίσθαι· καὶ νοῦν μὲν ἀρχὴν κινήσεως [54]. Ex parvis similium partium corporibus hoc totum esse compositum, mentemque initium esse motus.

9°. M. Moréri n’a pas bien représenté le sens de la première partie de ce grec de Diogène Laërce. Tout ce grand monde, dit-il, est fait de semblables parties, qui font le tout. Je me suis déjà plaint du galimatias de ces paroles ; mais il faut ici les examiner plus amplement, afin de montrer de quelle manière un auteur français se doit garantir des équivoques où l’on tombe, quand on ne se souvient pas qu’une expression, qui était claire pour les Grecs, n’est que ténèbres en ce siècle, si l’on n’use pas de paraphrase. Je dis cela, sans vouloir justifier le bon Diogène Laërce, qui, la plupart du temps, ne savait ce qu’il disait, en abrégeant les dogmes des philosophes. J’eusse voulu que M. Moréri se fût servi de ces termes : l’univers a été l’effet ou le résultat du triage des petites parties semblables. De la manière qu’il s’exprime, il nous fait prendre le monde pour un tout, dont chaque partie est de même nom et de même qualité que toutes les autres [55] ; ce qui est si faux, qu’il suffit d’ouvrir les yeux, pour connaître ce mensonge : les aveugles même le peuvent connaître, et ne le peuvent ignorer ; car ils savent nécessairement qu’ils sont composés de chair et d’os, et que leurs cheveux ne ressemblent point à leurs ongles. Ceux qui ont la plus petite teinture de la philosophie des écoles, savent qu’un composé homogène est celui dont les parties ont le même nom et les mêmes qualités que leur tout ; et qu’un composé hétérogène est celui dont les parties ne s’appellent point comme leur tout, et n’ont point chacune les mêmes propriétés que les autres. L’eau, le lait, le vin, la chair, un os sont des composés homogènes ; car, par exemple, chaque goutte du liquide, qui compose un fleuve, s’appelle de l’eau et a l’essence de l’eau. Il en va tout autrement d’un composé hétérogène ; ses parties n’ont point son nom, ni sa nature, ni le nom et les qualités les unes des autres. Tel est, par exemple, le corps d’un bœuf : il est composé de sang, et de chair, et d’os, et de plusieurs autres parties qui ont chacune leur nom et leurs qualités. Cela étant, il n’y a personne qui puisse dire que l’univers est un composé homogène, et non pas un tout hétérogène : ses parties sont les unes opaques, et les autres diaphanes ; les unes liquides, et les autres dures : ici est la terre, et là l’air et l’eau : ici une prairie, et là un bois. Anaxagoras eût extravagué plus follement que le plus absurde visionnaire qu’on ait jamais mis dans les Petites-Maisons, s’il eût hésité sur cela ; et néanmoins les expressions de M. Moréri signifient clairement qu’il enseignait que l’univers était un tout homogène. C’est donc lui imputer très-faussement une absurdité épouvantable. Il fallait donc se servir d’une autre phrase, pour décrire son sentiment : il fallait choisir des termes qui ne confondissent pas le sens collectif avec le sens distributif du mot tout [56]. Je m’explique par un exemple. Supposons que tous les bourgeois d’une grande ville soient divisés en dix classes, et qu’on mette dans la première ceux qui ont vingt mille francs, et dans la seconde ceux qui en ont quinze mille, et ainsi du reste. Quiconque dirait, toute cette ville est composée de bourgeois également riches, n’aurait raison que dans un sens distributif dont notre langue ne s’accommoderait pas facilement en cette rencontre. Il voudrait dire que les dix portions qui composeraient tout ce peuple seraient composées chacune de gens également riches ; mais il couvrirait sa pensée sous des mots impropres, obscurs et embarrassés : il aurait besoin d’un c’est-à-dire que l’égalité des richesses ne se trouve qu’en comparant les gens d’une même classe les uns avec les autres ; car si l’on compare ceux de la dixième avec ceux de la première, on trouvera beaucoup d’inégalité. Voilà le mauvais office que rendent à notre Anaxagoras ceux qui soutiennent qu’il a dit que l’univers est tout composé de portions semblables : ils font soupçonner les lecteurs français qu’il a donné là une énigme ridicule ; et si l’on n’ajoute pas un bon c’est-à-dire, ils ne savent où ils sont, et ils pestent contre l’écrivain. Épargnons-leur cet embarras, et développons un peu le sentiment de ce philosophe.

Il me semble qu’il a voulu dire que l’intelligence, qui avait formé le monde, avait trouvé dans une matière infinie une infinité de sortes de très-petits corpuscules, qui se ressemblaient, et qui, par un mélange confus, étaient entourés d’autres corpuscules qui ne leur ressemblaient pas. Elle joignit ensemble les corpuscules de même espèce ; et par ce moyen elle fit ici un astre, là une pierre, ailleurs de l’eau, de air, du bois, etc. Cette action fit que l’univers fut partagé en plusieurs amas de particules semblables ; mais de telle manière, que les particules d’un amas ne ressemblaient point aux particules d’un autre : il n’y avait de la ressemblance qu’entre les portions d’un même amas. Il faut donc ici donner au mot tout, non pas le sens collectif, mais le sens distributif ; et sans cela, vous auriez autant de raison de dire que le monde a été formé de particules dissemblables, que de dire qu’il a été fait de particules semblables. Louis Vives, ayant observé que ce passage de saint Augustin, Anaxagoras... dixit ex infinitâ materiâ quæ constaret dissimilibus inter se particulis, etc. porte dans les vieux manuscrits similibus inter se particulis, ajoute, utrumque rectè.

Quant aux objections qu’Anaxagoras avait à craindre, nous en dirons quelque chose dans la remarque (G).

(D) Il fut le premier qui supposa qu’une intelligence produisit le mouvement de la matière, et débrouilla le chaos. ] Ce sont des faits bien attestés : Πρῶτος τῇ ὕλῃ νοῦν ἐπέςησεν, ἀρξάμενος οὕτω τοῦ συγγράμματος, ὅ ἐςιν ἡδέως καὶ μεγαλοϕρόνως ἡρμηνευμένον. Πάντα χρήματα ἦν ὁμοῦ, εἶτα νοῦς ἐλθὼν αὐτὰ διεκόσμησε [57]. Primus hic materiæ mentem adjecit, in principio operis sui suavi ac magnificâ oratione sic scribens : « Omnia simul erant, deindè accessit mens, eaque composuit. » J’ai cru qu’il fallait commencer par ce passage de Diogène Laërce, parce que l’on y trouve les propres paroles d’Anaxagoras [58]. Voyons ce qu’Aristote remarque sur ce sujet. Il condamne les philosophes, qui, en traitant des principes, ne s’arrêtaient qu’à la cause matérielle, sans rechercher la cause efficiente des générations et des corruptions. La cause matérielle, dit-il, ne se change pas elle-même, le cuivre ne se convertit pas lui-même en statue, ni le bois en lit : il y a un autre principe de ce changement : chercher ce principe, c’est remonter jusqu’au premier moteur. Ses paroles sont si remarquables, qu’il est bon de les rapporter : Εἰ γὰρ ὅτι μάλιςα πᾶσα ϕθορὰ καὶ γένεσις ἔκ τινος, ὡς ἑνὸς ἢ καὶ πλειόνων ἐςὶν, διὰ τὶ τοῦτο συμϐαίνει, καὶ τὶ τὸ αἴτιον ; οὐ γὰρ δὴ τό γε ὑποκείμενον αὐτὸ ποιεῖ μεταϐάλλειν ἑαυτό· λέγω δ᾽ οἷον, οὔτε τὸ ξύλον οὔτε ὁ χαλκὸς αἴτιος τοῦ μεταϐάλλειν ἑκάτερον αὐτῶν· οὐδὲ ποιεῖ τὸ μὲν ξύλον κλίνην, ὁ δὲ χαλκὸς ἀνδριάντα, ἀλλ᾽ ἕτερόν τι τῆς μεταϐολῆς τὸ αἴτιον· τὸ δὲ τοῦτο ζητεῖν, ἐςὶ τὸ τὴν ἑτέραν ἀρχὴν ζητεῖν, ὡς ἂν ἡμεῖς ϕαίημεν, ὅθεν ἡ ἀρχὴ τῆς κινήσεως [59]. Nam etsi quàm maximè omnis corruptio, et generatio ex aliquo ut ex uno aut ex pluribus sit, cur hoc accidit, et quæ causa est ? Hon enim ipsum subjectum sese mutari facit, ut puta, dico quòd neque lignum, neque æs causa est, ut utrumque eorum mutetur. Neque lignum quidem lectum, æs verò statuam facit, sed aliud quippiam mutationis causa est. Hoc autem quærere, aliud principium quærere est, perindé atque id, quod nos undè principum motûs dicimus. Il ajoute 1°., qu’après qu’on eut reconnu l’insuffisance des élémens, la force de la vérité contraignit les physiciens à rechercher un autre moteur. 2°. Qu’il n’est point probable, ni que le feu, la terre, etc. soient la cause du bel état de certains êtres, et de la génération des autres ; ni que ces anciens philosophes l’aient cru. 3°. Qu’il ne serait pas raisonnable d’attribuer un si grand effet au hasard et à la fortune : Οὐδ᾽ αὐτῷ αὐτομάτῳ καὶ τύχῃ τοσοῦτον ἐπιτρέψαι πράγμα καλῶς ἔχει. Nec rursùs casui et fortunæ tantam attribuere rem probè se habet [60]. Que c’est pour cela qu’Anaxagoras, qui dit que dans la nature, non moins que dans les animaux, un esprit est l’auteur du monde et de l’ordre, parut comme un personnage de bon sens, en comparaison des physiciens ses prédécesseurs, grands diseurs de rien. Il y a beaucoup plus de force dans l’original, que dans l’idée que j’en donne. Tous ceux qui seront capables de bien entendre le grec que je vais copier, trouveront que mon aveu est sincère : Νοῦν δέ τις εἰπὼν εἶναι, καθάπερ ἀν τοῖς ζώοις, καὶ ἐν τῇ ϕύσει τὸν αἴτιον καὶ τοῦ κόσμου, καὶ τῆς τάξεως πάσης, οἷον νήϕων ἐϕάνη παρ᾽ εἰκὴ λέγοντας τοὺς
πρότερον. Φανερῶς μὲν οὖν Ἀναξαγόραν ἴσμεν ἁψάμενον τούτων τῶν λόγων [61]. Quare qui ut animalibus, ità in naturâ intellectum inesse causam mundi, totiusque ordinis dixerat, quasi sobrius, comparatus ad antiquiores vana dicentes, apparuit. Istas autem rationes qui palàm attigit, Anaxagoram fuisse scimus. Si ces témoignages sont bien formels, celui de Plutarque l’est peut-être encore plus. Voyons les paroles de cet auteur : Ὅν (Ἀναξαγόραν) οἱ τοτ᾽ ἄνθρωποι νοῦν προσηγόρευον, εἴτε τὴν σύνεσιν αὐτοῦ μεγάλην εἰς ϕυσιολογίαν καὶ περιττὴν διαϕανεῖσαν θαυμάσαντες, εἴθ᾽ ὅτι τοῖς ὅλοις πρῶτος οὐ τύχην οὐδ᾽ ἀνάγκην, διακοσμήσεως ἀρχήν, ἀλλὰ νοῦν ἐπέςησε καθαρὸν καὶ ἄκρατον, ἐμμεμιγμένοις πᾶσι τοῖς ἄλλοις, ἀποκρίνοντα τὰς ὁμοιομερείας. [62]. Quem (Anaxagoram) illius temporis æquales Mentem uppellavêre, vel quòd perspicaciam ejus singularem in naturâ perscrutandâ, excellentemque admirarentur, vel quôd universitati, non fortunam neque fatum ordinatæ descriptionis principium, sed Mentem princeps puram ac sinceram præfecerit, cum omnibus confusas aliis secernentem particulas similes. Ce passage est cité par quelques auteurs, comme s’il y fallait lire ἐμμεμιγμένον μένον au lieu de ἐμμεμιγμένοις ; mais j’aimerais mieux rejeter l’une et l’autre de ces deux leçons, et substituer ἐμμεμιγμένας. C’est ainsi que l’auteur de la traduction latine que je rapporte a supposé qu’il fallait lire. Vossius, citant en grec ce passage avec le mot ἐμμεμιγμένον, ne laisse pas de donner une traduction qui montre qu’il s’est réglé sur ἐμμεμιγμένοις ; Voici sa version : Non fortunam neque fatum ordinatæ descriptionis principium, sed Mentem puram ac sinceram præfecerit, ab aliis omnibus admixtis similes particulas secernentem [63]. Fort peu de pages après, il emploie le même passage à prouver qu’Anaxagoras enseignait que Dieu est mêlé avec toute la matière : Quarè ex ejus sententiâ opifex mundi Deus est, ut ex Plutarcho anteà monitum, νοῦν καθαρὸς καὶ ἄκρατος, ἐμμεμιγμένος πᾶσι, mens pura ac sincera omnibus permixta [64]. Je ne crois point que Plutarque ait voulu parler d’aucun mélange de la nature divine avec les parties de la matière : cela s’accorderait mal avec l’épithète καθαρὸν et ἄκρατος, dont il venait de se servir, et par laquelle il a marqué clairement qu’Anaxagoras croyait que Dieu est un esprit pur et simple, distinct et séparé de la matière. Son sens est, à mon avis, que cet esprit immatériel séparait les homoémeries mêlées avec tous les autres corps. Voilà comment il est difficile aux plus savans hommes, tel qu’a été Vossius, d’écrire beaucoup, et de prendre garde à toutes choses : l’attention les abandonne souvent ; ils oublient en un lieu ce qu’ils ont dit en un autre ; il leur arrive même de ne pas trop s’accorder au commencement et à la fin d’une période.

J’ai une nouvelle raison de croire que Plutarque a voulu dire ce que je lui attribue ; car, outre ce que je rapporterai de Tertullien [65], je vois dans Aristote qu’Anaxagoras disait que l’esprit qui avait mû la matière était exempt de tout mélange : Πλὴν ἀρχήν γε τὸν νοῦν τίθεται μάλιςα πάντων· μόνον γοῦν ϕησὶν αὐτὸν τῶν ὄντων ἁπλοῦν εἶναι, καὶ ἀμιγῆ τε καὶ καθαρόν. Ἀποδίδωσι δ᾽ ἄμϕω τῇ αὐτῇ ἀρχῇ, τό τε γινώσκειν καὶ τὸ κινεῖν, λέγων νοῦν κινῆσαι τὸ πᾶν. [66]. Verum mentem principium maximè omnium ponit : solam namque rerum omnium ipsam, simplicem et non mistam et puram esse sinceramque dixit. Atque eidem principio hæc utraque tribuit, cognitionem inquam et motum, dicens universum mentem movisse. Cela est encore plus clair dans les paroles suivantes : ϕησὶ (Ἀναξαγόρας) δ᾽ εἶναι μεμιγμένα πάντα, πλὴν τοῦ νοῦ· τοῦτον δὲ ἀμιγῆ μόνον καὶ καθαρόν. [67] Ait autem (Anaxagoras) omnia esse mista, intellectu excepto : hunc verò solum, impermistum et purum. Voici un témoignage de Plutarque, qui nous apprend, d’une façon très-manifeste, qu’Anaxagoras donnait à Dieu la première production du mouvement et de l’ordre : Ὀ δὲ Ἀναξαγόρας ϕησὶν ὡς εἱςήκει κατ᾽ ἀρχὰς τὰ σώματα, νοῦς δὲ αὐτὰ διεκόσμησε θεοῦ, καὶ τὰς γενέσεις τῶν ὅλων ἐποίησεν. ὁ δὲ Πλάτων
οὐχ ἑςηκότα ὑπέθετο τὰ πρῶτα σώματα, ἀτάκτως δὲ κινούμενα. διὸ καὶ θεὸς (ϕησὶν) ἐπιςήσας ὡς τάξις ἀταξίας ἐςὶ βελτίων, διεκόσμησε ταῦτα[68]. Anaxagoras dixit initio constitisse corpora, Dei autem mentem ea digessisse, itaque omnium rerum ortus effecisse. Plato posuit prima corpora non stetisse, sed absque ordine fuisse mota. « Deus autem, inquit, ordinem animadvertens confusioni præstare, ea composuit. » Vous voyez là une extrême différence entre Anaxagoras et Platon. Le premier suppose que Dieu trouva les corps en repos : le second, au contraire, que Dieu les trouva en mouvement. Je suis épouvanté de la réflexion que fait Plutarque sur ces deux dogmes ; car non-seulement elle enferme une impiété horrible, mais aussi une contradiction très-grossière. Il avait blâmé les philosophes qui ne reconnaissent qu’un principe : Il est impossible, avait-il dit[69], que la matière soit le seul principe de toutes choses : il faut y joindre la cause efficiente ; car l’argent ne suffit pas pour la production d’un vase, si l’on n’a de plus un ouvrier qui fasse ce vase. La même chose se doit dire de l’airain, du bois, et de toute autre matière. Dans la même page il avait loué Anaxagoras d’avoir admis un entendement qui eût arrangé les particules semblables : Τὰς μὲν ὁμοιομερείας, ὕλην, τὸ δὲ ποιοῦν αἴτιον τὸν νοῦν τὰ πάντα διαταξάμενον[70] : Homœomerias statuit materiam ; causam verò efficientem, mentem quæ disponeret universa ; c’est à dire, d’avoir ajouté la cause efficiente au sujet passif, et l’ouvrier à la matière. Ἀποδεκτέος οὗτος ἐςὶν ὅτι τῇ ὔλῃ τὸν τεχνίτην προσέζευξεν[71]. Hic approbandus est qui materiæ artificem adjunxerit. Que veut-il donc dire, lorsque cinq pages après il censure Anaxagoras et Platon, celui-là d’avoir attribué à Dieu le mouvement et l’arrangement des corps, celui-ci de lui en avoir attribué l’arrangement ? Leur erreur commune, dit-il, est de penser que Dieu se soucie des choses humaines, et qu’il a bâti un monde pour cet effet. Κοινῶς οὖν ἁμαρτάνουσιν ἀμϕότεροι, ὅτι τὸν θεὸν ἐποίησαν ἐπιςρεϕόμενον τῶν ἀνθρωπίνων, ἢ καὶ τούτου χάριν τὸν κόσμον κατασκευάζοντα[72]. Communis ambobus hic est error, quòd Deum faciunt res humanas curantem, ac eâ de causâ mundum adornantem. Après quoi il étale les raisons les plus spécieuses qu’un athée puisse alléguer contre ceux qui attribuent à Dieu d’avoir fait le monde, et de le régir. Quoi donc ! il approuve qu’Anaxagoras admette une intelligence qui ait été le premier moteur des corps et la cause efficiente du monde ; et il le blâme de prendre pour Dieu ce premier moteur et cet agent ? Peut-on raisonner d’une manière plus pitoyable et moins uniforme ? Et si l’on voulait opiniâtrer qu’il n’y a point là de contradiction, ne faudrait-il pas du moins convenir qu’il a réfuté en cet endroit-là une infinité d’autres passages de ses livres, où il suppose la providence ?

Je serais trop long, si je voulais rapporter tous les témoignages qui établissent l’une ou l’autre de ces deux vérités, ou même toutes les deux : 1o. qu’Anaxagoras admettait une intelligence qui avait mû la matière, et formé le monde par le triage des homogénéités ; 2o. qu’il fut le premier philosophe qui avança ce système. Contentons-nous donc d’indiquer Platon[73], Tertullien[74], Clément d’Alexandrie[75], Eusèbe[76], Thémistius[77], saint Augustin[78], Théodoret [79], Proclus [80], et Simplicius [81]. Je n’en userai pas ainsi à l’égard de Cicéron : je rapporterai ses paroles, parce qu’elles fournissent une matière d’examen. Indè Anaxagoras, dit-il [82], qui accepit ab Anaximene disciplinam, primus omnium rerum descriptionem et modum mentis infinitæ vi ac ratione designari ac confici voluit. In quo non vidit, neque motum sensui junctum et continentem in infinito ullum esse posse, neque sensum omninò quo non ipsa natura pulsa sentiret. Deindè si mentem istam quasi animal aliquod esse voluit, erit aliquid interius ex quo illud animal nominetur. Quid autem interius mente ? Cingitur igitur corpore externo. Quod quoniam non placet, aperta simplexque mens nullâ re adjunctâ quæ sentire possit, fugere intelligentiæ nostræ vim et notionem videtur. Il est un peu surprenant que Cicéron donne cette primauté au philosophe Anaxagoras, puisqu’il venait de dire que Thalès [83] avait reconnu un entendement ou un Dieu, qui de l’eau avait formé toutes choses : Thales Milesius, qui primus de talibus rebus quæsivit, aquam dixit esse initium rerum : Deum autem, eam menten, quæ ex aquâ cuncta fingeret [84]. Est-il possible que Cicéron mette sitôt en oubli ses propres paroles ? Peut-on s’imaginer qu’il ait voulu dire que Thalès ne donnait à Dieu que l’action de convertir l’eau en d’autres corps ; mais qu’Anaxagoras faisait Dieu l’auteur de l’ordre et de la belle symétrie du monde ? Je ne vois dans tout cela rien de vraisemblable ; et j’aimerais mieux soupçonner que ce passage est corrompu : la confusion et l’obscurité qui se rencontrent dans les paroles qui le suivent, peuvent confirmer beaucoup ma conjecture. Quoi qu’il en soit, je ne voudrais pas qu’on mît en balance ce témoignage de Cicéron avec celui de tant de célèbres écrivains de l’antiquité, qui affirment unanimement qu’Anaxagoras est le premier qui joignit à la cause matérielle la cause efficiente, c’est-à-dire, qui reconnut un entendement, auteur de l’économie ou de l’architecture de l’univers. Saint Augustin fait si peu de cas de ce témoignage de Cicéron, que dans le lieu même où il rapporte le sentiment des philosophes de la secte d’Ionie, conformément à Cicéron à l’égard du reste, il le contredit formellement à l’égard de Thalès : Iste autem Thales, ut successores etiam propagaret rerum naturam scrutatus, suasque disputatiores litteris mandans eminuit... aquam... putavit rerum esse principium, et hinc omnia elementa mundi ipsumque mundum, et quæ in eo gignuntur existere. Nihil autem huic operi, quod, mundo considerato, tam admirabile aspicimus, ex divina mente præposuit [85]. Notez que Cicéron même, dans un autre livre, exclut Thalès de la primauté, et la donne simplement et absolument au philosophe Anaxagoras. Je rapporterai ses paroles dans la remarque (F).

Le jésuite Lescalopier tâche de guérir la contradiction, en supposant qu’Anaxagoras fut le premier qui publia cette doctrine, ses prédécesseurs les philosophes s’étant contentés de la débiter de leurs auditoires [86]. Ce dénoûment n’est guère bon ; car puisqu’on a su les dogmes des prédécesseurs d’Anaxagoras, et en quoi les uns différaient des autres ; puis, dis-je, qu’on a su cela encore qu’Anaxagoras fût le premier qui eût publié des livres, n’aurait-on pas su également ce qu’ils eussent enseigné touchant la cause efficiente de ce monde ? Quant aux objections contre la doctrine de ce philosophe, contenues ci-dessus dans le passage de Cicéron, je vous renvoie à saint Augustin, qui les réfute solidement [87].

(E) Son orthodoxie ne fut pas assez épurée. ] Tertullien le blâme de ne s’être pas soutenu ; car d’un côté il avait dit que Dieu était une intelligence pure et simple, et de l’autre il l’avait mêlé et confondu avec l’âme : Quàm Anaxagoræ turbata sententia est ! initium enim omnium commentatus animum, universitatis oscillum de illius axe suspendens, purumque eum adfirmans, et simplicem et incommiscibilem, hoc vel maximè titulo segregat ab animæ commistione, et tamen eundem alibì animæ addicit [88]. Aristote avait déjà fait cette remarque : Ἀναξαγόρας δὲ ἧττον διασαϕεῖ περὶ αὐτῶν· πολλαχοῦ μὲν γὰρ τὸ αἴτιον τοῦ καλῶς καὶ ὀρθῶς, τὸν νοῦν λέγει· ἑτέρωθι δὲ, τὸν νοῦν εἶναι τὸν αὐτὸν τῇ ψυχῇ· ἐν ἅπασι γὰρ ὑπάρχειν αὐτὸν τοῖς ζώοις, καὶ μεγάλοις, καὶ μικροῖς, καὶ τιμίοις καὶ ἀτιμιωτέροις. Οὐ ϕαίνεται δὲ ὅ γε κατὰ ϕρόνησιν λεγόμενος νοῦς, πᾶσιν ὁμοίως ὑπάρχειν τοῖς ζώοις, ἀλλ᾽ οὐδὲ τοῖς ἀνθρώποις πᾶσιν [89]. Anaxagoras autem minus de ipsis explanat : multis enim in locis boni rectique mentem causam esse dicit : alibi autem animam ipsam mentem esse asserit : nam animalibus universis, tam parvis quàm magnis, tam prestabilibus quàm minùs etiam præstabilibus, mentem inesse dicit. At ea mens tamen, et intellectus, cui prudentia tribuitur, non universis similiter animalibus, quin etiam neque cunctis hominibus inesse videtur. Ce passage d’Aristote nous apprend qu’Anaxagoras admettait dans toutes les bêtes une âme, à laquelle il donnait le même nom d’entendement qu’il avait donné au premier moteur de la matière, et à l’ordonnateur de la construction du monde. Le même Aristote observe qu’Anaxagoras employait une intelligence à la production des choses, comme un Dieu de machine, c’est-à-dire, qu’il ne recourait à cela que dans les cas de nécessité, et lorsque toutes les autres raisons lui manquaient : Ἀναξαγόρας τε γὰρ μηχανῇ χρῆται τῷ νῷ πρὸς τὴν κοσμοποιίαν· καὶ ὅταν ἀπορήσῃ διὰ τίν᾽ αἰτίαν ἐξ ἀνάγκης ἐςί, τότε ἕλκει αὐτόν. ἐν δὲ τοῖς ἄλλοις πάντα μᾶλλον αἰτιᾶται τῶν γινομένων ἢ νοῦν [90]. Nam et Anaxagoras, tanquàm machinâ utitur intellectu ad mundi generationem. Et cùm dubitat propter quam causam necessariò est, tunc eur attrahit. In cæteris verò, magis cætera omnia, quam intellectum, causam eorum, quæ fiunt, ponit. Voilà sans doute le fondement d’une observation de Clément Alexandrin, qu’Anaxagoras n’a point maintenu les droits et la dignité de la cause efficiente, dont il avait attribue les fonctions à un esprit ; car il a parlé de certaines révolutions qui se faisaient sans que cet esprit en sût rien, sans que cet esprit y coopérât. C’est, si je ne me trompe, le vrai sens des termes grecs de ce père de l’Église. Ἀναξαγόρας πρῶτος, dit-il [91], ἐπέςησε τὸν νοῦν τοῖς πράγμασιν· ἀλλ᾽ οὐδὲ οὗτος ἐτήρησε τὴν ἀξίαν τὴν ποιητικήν, δίνους τινὰς ἀνοήτους ἀναζωγράϕων, σὺν τῇ τοῦ νοῦ ἀπραξίᾳ τε καὶ ἀνοίᾳ. Primus Anaxagoras mentem rebus adhibuit. Sed nec ille dignitatem servavit efficientem, nescio quas amentes describens revolutiones cum mentis ab agendo cessatione et amentiâ. Eusèbe, sans doute, a copié ce passage, lorsqu’en lui donnant un autre tour il a dit qu’Anaxagoras ne conserva point sain et sauf le dogme qui préposait une intelligence à la production des choses : Λέγεται δὲ μηδε οὗτος σῶον ϕυλάξαι τὸ δόγμα· ἐπιςήσαι μὲν γὰρ τὸν Νοῦν τοῖς πᾶσι, οὐκέτι δὲ κατὰ νοῦν καὶ λογισμὸν τὴν περὶ τῶν ὄντων ἀποδοῦναι τὴν ϕυσιολογίαν [92]. Verumtamen ne ipse quidem sanum illud suum dogma retinuisse fertur. Mentem enim cunctis ità præfecisse, ut tamen de rerum naturâ ex mentis rationisque regulâ minimè disputaret. Il le prouve par cette raison, c’est qu’Anaxagoras philosophait sur la nature, et expliquait les phénomènes, sans supposer cette intelligence. Je sais bien qu’on me pourra dire qu’Eusèbe n’entend pas ainsi la chose, et qu’il déclare seulement qu’Anaxagoras donnait des raisons physiques qui étaient contraires au bon sens. Mais trois choses me persuadent que mon interprétation de Clément Alexandrin et d’Eusèbe est meilleure que celle-là. En premier lieu, c’est très-mal prouver qu’un philosophe abandonne ou énerve l’hypothèse de la providence, et de l’activité universelle de Dieu, que de dire qu’il raisonne quelquefois impertinemment, sottement, ou contre les règles. Toutes les sectes de philosophie, parmi les chrétiens, se font ce reproche les unes aux autres, sans néanmoins s’entr’accuser d’hétérodoxie à l’égard du concours universel de Dieu, la cause première de tous les êtres. C’est pourquoi, si l’on n’avait pu se plaindre d’Anaxagoras, que parce qu’en expliquant plusieurs effets de la nature il raisonnait mal, sans esprit, et sans justesse, on aurait eu très-grand tort de lui reprocher qu’il abandonnait ou qu’il gâtait la supposition qu’il avait admise d’une intelligence préposée à la production du monde. Il faut donc que ce reproche ait été fondé, non pas sur les explications impertinentes qu’il pouvait donner, mais sur ce qu’il en donnait au préjudice et à l’exclusion de cette intelligence. En second lieu, Eusèbe se fortifie d’un long passage de Platon, où il y a une plainte qu’Anaxagoras expliquait les choses sans recourir à l’intelligence, ni aux causes de la beauté et de l’ordre de l’univers ; mais qu’il s’arrêtait à l’air, à l’éther, à l’eau, etc., comme à la cause des êtres [93]. Qui ne voit dès là qu’il est très-probable qu’Eusèbe voulait parler du même défaut ? Je dis en troisième lieu qu’Anaxagoras, comme nous l’apprend Plutarque, enseignait que certaines choses arrivent par nécessité, d’autres par la destinée, d’autres par délibération, d’autres par fortune, et d’autres par cas d’aventure : Ἃ μὲν γὰρ εἶναι κατ᾽ ἀνάγκην, ἃ δὲ καθ᾽ ἑιμαρμένην, ἃ δὲ κατὰ προαίρεσιν, ἃ δὲ κατὰ τυχὴν, ἃ δὲ κατὰ τὸ αὐτόματον [94]. Fieri enim alia necessariò, alia fato, alia instituto animi, alia fortè fortunâ, alia casu. Il ne faut point douter que, dans le détail de ces distinctions inexplicables, il ne dérobât à l’intelligence divine plusieurs événemens, et que cela n’ait donné lieu à la plainte de Clément Alexandrio, copiée par Eusèbe.

Je ne sais si l’on doit mettre entre les erreurs d’Anaxagoras ce qu’il disait de notre main. Il assura qu’elle avait été la cause de la sagesse et de l’industrie de l’homme. Plutarque lui en a fait un procès. Le contraire de cela est véritable, dit-il [95] : car l’homme n’est pas le plus sage des animaux, pour autant qu’il a des mains ; mais pour ce que de sa nature il est raisonnable et ingénieux, il a aussi de la nature obtenu des outils qui sont tels. Comme on n’a point les livres d’Anaxagoras, on ne saurait décider s’il a donné lieu à cette censure ; mais je ne saurais croire qu’il la mérite. Son système l’engageait à penser tout autrement là-dessus, que ne pensaient les philosophes qui attribuaient au hasard la formation de tous les êtres dont le monde est composé. Ce dogme impie les engagea à soutenir que les organes n’avaient pas été donnés à l’homme, afin qu’il s’en servît ; mais qu’ayant trouvé que ses organes étaient propres à certaines fonctions, il les employa à cet usage. Voyez le quatrième livre de Lucrèce [96].

Notez ces paroles d’un père de l’Église : Anaxagoras autem, qui et Atheus cognominatus est, dogmatisavit facta animalia decidentibus è cœlo in terram seminibus, quòd et hi ipsi in matris sucæ transtulerunt semina, et esse hoc semen seipsos statìm confitentes apud eos qui sensum habent, et ipsos esse quæ sunt Anaxagoræ irreligiosi semina [97]. Vous y apprenez qu’Anaxagoras était surnommé Athée, et que saint Irénée l’a traité d’impie. Vossius ne s’en plaint point : il dit seulement que Justin martyr, dans l’Exhortation aux Grecs, a nommé athée ce philosophe ; et il fait sur cela quelques réflexions [98]. Je n’ai rien trouvé de semblable dans ce livre de Justin martyr, et je pense que Vossius eût mieux fait de réserver ses excuses pour saint Irénée. Si Justin Martyr en a besoin, c’est seulement pour avoir tronqué le dogme d’Anaxagoras. Il en supprime le bel endroit : il ne dit rien de l’entendement, premier moteur ; il se contente de parler de ses homœoméries [99].

(F). Les physiciens qui le précédèrent n’ont point connu la vérité,.…. que les poëtes avaient tant chantée. ] On peut produire une foule de témoins pour ce fait-ci, qu’Anaxagoras est le premier philosophe qui ait donné l’arrangement de la matière à l’intelligence d’un premier moteur [100]. Thalès, Anaximander, Anaximènes, qui le précédèrent dans l’école d’Ionie, avaient tâché sans cela d’expliquer tout : Princeps Thales, unus è septem cui sex reliquos concessisse primas ferunt, ex aquâ dixit constare omnia. At hoc Anaximandro populari et sodali suo non persuasit. Is enim infinitatem naturæ dixit esse è quâ omnia gignerentur. Post ejus auditor Anaximenes infinitum aëra, sed ea quæ ex eo orirentur definita : gigni autem terram, aquam, et ignem, tum ex his omnia. Anaxagoras materiam infinitam, sed ex eâ particulas similes inter se minutas, eas primum confusas, poste in ordinem adductas mente divinâ [101]. Qui n’admirera que de si grands hommes aient été dans une si crasse ignorance ? Cette réflexion n’a pas été négligée par le jésuite Pérérius. Ferunt primos philosophorum, dit-il [102], Pherecydem Syrum, et Anaxagoram : illum quidem, immortalitatem animi nostri, hunc autem, Deum, quem ipse mentem vel intellectum vocabat, esse mundi, cunctarumque rerum opificem, Græcos docuisse : ut permirum sit, priores philosophos qui hæc ignorârunt, sapientûm nomen, et honorem habuisse ; et duas has res, quarum cognitio cunctis mortalibus oplatissima est, et ad benè pièque vivendum maximè necessaria, tam serò ad Græcorum notitiam pervenisse. Le père Thomassin avait là-dessus une pensée remarquable. « Tous les poëtes, dit-il [103], « qui avoient esté les plus anciens philosophes, et tous les sages des siècles fabuleux, comme on les appelle, n’ayant point cherché, ni célébré par leurs écrits d’autre cause que la première, et la divinité suprême : comment pouvoit-il se faire qu’aussi-tost après, Thalès et ses premiers successeurs ignorassent, ou laissassent dans le silence ce qui avoit fait l’occupation de tous les sages, et de tous les siècles jusqu’alors ? Il y a donc de l’apparence que ces premiers philosophes ioniens, présupposans ce qui estoit incontestable, et jusqu’alors incontesté de la première cause efficiente de toutes choses, ne parlèrent que des causes secondes qui avoient esté inconnues jusqu’alors, et qui n’avoient pas même esté recherchées. Ils craignirent que s’ils faisoient encore remonter jusqu’à Dieu tous les effets particuliers, on ne retombast dans la première accoutumance, où on avoit esté de négliger la recherche de toutes les causes secondes, et de se contenter de la première. Il en est de mesme des anges. Homère, et les autres poëtes ou philosophes très-anciens, les faisoient seuls auteurs de toutes choses sous les ordres de Dieu. Les disciples de Thalès, pour faire valoir l’efficacité des causes corporelles et immédiates, se passèrent de nommer les anges... Mais enfin Anaxagore jugea qu’en son temps le monde estoit capable de comprendre l’alliance et la subordination des causes corporelles sous les substances angéliques, et tant des unes que des autres sous la sagesse et sous la main toute-puissante de Dieu... C’estoit..…. simplement pour supposer les parties de la philosophie, dont tout le monde estoit assez instruit, que Thalès et ses disciples ne parlèrent ny de la morale, ny de la métaphysique, et afin qu’on donnast toute son attention à celle qui n’avoit pas encore esté cultivée. Mais comme on s’aperceut que la connoissance des causes secondes estoit peu certaine, et qu’il y avoit à craindre qu’elle ne fist oublier la science de Dieu, des anges et des mœurs, qui estoit et plus constante, et plus utile, et plus nécessaire, Anaxagore, Socrate et Platon rendirent à la théologie et à la morale leur lustre et leur crédit anciens. »

Voilà une belle pensée, voilà une idée ingénieuse : mais elle a peut-être moins de solidité que d’éclat ; puisque nous voyons qu’Anaximènes, précepteur d’Anaxagoras, ne traita point la philosophie comme une personne qui supposait que l’existence de Dieu, en qualité de première cause, était si connue, qu’il ne fallait pas en parler. Il parla des dieux ; mais, bien loin de les considérer comme des principes, il soutint qu’ils devaient eux-mêmes leur existence au principe qu’il établissait : Qui (Anaximenes) omnes rerum causas infinito aëri dedit : nec deos negavit, aut tacuit : non tamen ab ipsis aërem factum, sed ipsos ex aëre ortos credidit [104]. Cicéron attribue un semblable sentiment à Anaximander, précepteur d’Anaximènes : Anaximandri opinio est nativos esse deos, longis intervallis orientes occidentesque, eòque innumerabiles esse mundos. Notez que les deux disciples d’Anaximènes [105] corrigèrent l’hypothèse de leur maître, soit en admettant une intelligence distincte des corps, et cause du monde, soit en supposant que l’air, le principe de toutes choses, n’était principe qu’en tant qu’il était doué d’un esprit divin. La première de ces deux hypothèses est celle d’Anaxagoras ; l’autre est celle de Diogène d’Apollonie : Diogenes quoque Anaximenis alter auditor aërem quidem dixit rerum esse materiam de quâ omnia fierent : sed eum esse compotem divinæ rationis, sine quâ nihil ex eo fieri posset [106]. Tout ceci combat contre le père Thomassin. Il n’est plus question de physiciens qui n’aient que passé sous silence la doctrine de l’existence de Dieu ; il s’agit de physiciens qui en ont parlé, mais d’une manière fort opposée à celle des poëtes, et à celle d’Anaxagoras. J’ajoute que leur simple silence prouverait beaucoup ; car en ce temps-là les physiciens remontaient jusqu’au chaos, jusqu’à la première origine des choses [107]. Il fallait donc qu’ils s’expliquassent sur ce qu’ils croyaient de la nature de Dieu, et qu’ils épuisassent toute la doctrine des premiers principes ; après quoi, il leur était fort permis de donner raison des effets particuliers et quotidiens de la nature, sans remonter jusqu’à la première cause. Aujourd’hui les physiciens ne considèrent que les causes secondes, la matière, la forme, etc. Mais ce n’est point parce qu’ils supposent que la connaissance de Dieu, comme de la cause première, est assez bien établie ; c’est parce qu’ils en traitent amplement, et avec beaucoup d’étude, dans une partie de leur cours, distincte de la physique [108]. Quoi qu’il en soit, tenons pour constant que ces anciens philosophes n’ignoraient pas ce que les poëtes avaient dit de Dieu. D’où vient donc qu’ils ne les ont pas imités ? Serait-ce parce qu’ils ne faisaient pas grand fond sur des poésies où ils voyaient tant de bagatelles, et tant d’opinions populaires qui n’étaient pas à l’épreuve d’un examen philosophique [109] ? Aristote insinue cette raison [110]. En jugeaient-ils comme Socrate en jugea lorsqu’il dit que les fanatiques ressemblent aux poëtes, et que les uns et les autres n’entendent point ce qu’ils avancent : Ἔγνων οὖν αὖ καὶ περὶ τῶν ποιητῶν ἐν ὀλίγῳ τοῦτο, ὅτι οὐ σοϕία ποιοῖεν· ἀλλὰ ϕύσει τινὶ, καὶ ἐνθουσιάζοντες, ὥσπερ οἱ θεομάντεις καὶ οἱ χρησμῳδοί. Καὶ γὰρ οὗτοι λέγουσι μὲν πολλὰ καὶ καλά, ἴσασι δὲ οὐδὲν ὧν λέγουσι. Τοιοῦτον τί μοι ἐϕάνησαν πάθος καὶ οἱ ποιηταὶ πεπονθότες [111]. Deprehendi igitur brevi id in poëtis, eos videlicet non sapientiâ facere quæ faciunt, sed naturâ quâdam ex divinâ animi concitatione, quemadmodùm et hi qui divino furore afflati vaticinantur. Nam et hi multa quidem dicunt atque præclara : sed eorum quæ dicunt, nihil intelligunt. Tali quodam pacto poëtæ affecti fuisse mihi videntur. Il est certain que les poëtes les plus orthodoxes ont fort erré sur la nature de Dieu ; car Orphée, qui chanta que Dieu fit le ciel, ne le traite que de premier-né de toutes les créatures, et lui donne l’air pour père : Πρωτόγονος Φαέτων περιμήκεος ἠέρος ὐιός [112]. Diogène Laërce prétend qu’Anaxagoras emprunta du poëte Linus l’un de ses dogmes [113] ; mais ce ne fut pas à l’égard de l’entendement premier moteur. Notez qu’Aristote, sur ce point-là, met beaucoup de différence entre Anaxagoras et Thalès [114]. Finissons ceci par un beau passage de Théodoret ; nous y verrons que les philosophes, qui précédèrent celui dont je fais ici l’article, ne virent goutte dans la doctrine de la première cause : Ἀναξαγόρας.... τῶν πρὸ αὐτοῦ γεγενημένων ϕιλοσόϕων οὐδὲν περαιτέρω τῶν ὁρωμένων
νενοηκότων, πρῶτος νοῦν ἔϕησεν ἐϕεςάναι τῷ κόσμῳ, καὶ τοῦτον εἰς τάξιν ἐκ τῆς ἀταξίας ἀγαγε͂ιν τὰ ςοιχεῖα [115]. Anaxagoras.... cùm superiores philosophi nihil ultra ea que oculis videntur, excogitâssent, primus mentem mundo insedisse dixit, eamque ex confusione in ordinem elementa disposuisse.

(G) J’examinerai si la doctrine des homœoméries ne renfermait pas beaucoup de contradictions. ] Je ne me servirai point des argumens d’Aristote [116], quelque subtils et quelque solides qu’ils puissent être ; et s’il se trouve que mes réflexions aient du rapport aux siennes, ce sera un pur hasard.

I. Nous avons vu [117] pourquoi Anaxagoras voulait que chaque chose fût composée de particules semblables : il voulait éviter par-là qu’un corps ne fût fait de rien. Or, comme les alimens les plus simples peuvent être la matière dont toutes les parties d’un animal se nourrissent, il fallait qu’il avouât que l’herbe d’un pré contient actuellement des os, et des ongles, et des cornes, beaucoup de sang, beaucoup de chair, beaucoup de peaux et de poils, etc. Elle n’était donc point composée de particules semblables ; elle était plutôt un assemblage de toutes sortes d’hétérogénéités : à quoi servait donc la doctrine des homœoméries ? Ne fallait-il pas qu’il l’abandonnât dans tous les cas particuliers, après l’avoir supposée dans le général ? Ce que j’ai dit de l’herbe ne convient-il pas au lait, au vin, à l’eau, au pain, et à une infinité d’autres choses ? Y a-t-il aucun corps qui ne serve de matière à plusieurs autres, dans les changemens qu’on appelle génération et corruption ? Voici donc de premiers principes, qui sont homogènes, et qui ne le sont point. Ils le sont dans la supposition d’Anaxagoras, et ils ne le sont point en effet, puisque les mixtes devant être selon lui de la même nature que leurs principes, et n’étant qu’un assemblage de parties dissemblables, il s’ensuit que les principes sont hétérogènes. Je retoucherai ceci dans le paragraphe V.

II. Il se trouvera de plus que tous les noms ont été mal imposés : car, par exemple, si tout le sang des animaux avait été dans les herbes qu’ils ont mangées, elles méritaient mieux le nom de sang, que celui de foin. Anaxagoras répondait que certaines particules étant plus nombreuses dans un mixte, ou placées à la surface, le faisaient paraître uniforme, et lui procuraient un nom spécifique [118]. Lucrèce a réfuté cette réponse par les fausses conséquences qui en émanent. « Il résulterait de là, dit-il [119], que quand on brise les grains, on en tirerait quelques particules de sang, ou de quelqu’un des autres organes dont notre corps est composé. Or cela est contraire à l’expérience. »

Linquitur hic tenuis latitandi copia quædam ;
Id quod Anaxagoras sibi sumit, ut omnibus omnes
Res putet immistas rebus latitare ; sed illud
Apparere unum, cujus sint pluria mixta,
Et magis in promptu, primâque in fronte locata.
Quod tamen a verâ longè ratione repulsum est.
Conveniebat enim fruges quoque sæpè minutas,
Robore cùm saxi franguntur, mittere signum
Sanguinis, aut alium, nostro quæ corpore aluntur.

Consimili ratione herbas quoque sæpè decebat,
Et laticis dulces guttas, similique sapore
Scilicet et glebis terrarum sæpè friatis
Herbarum genera, et fruges, frondesque videri
Dispertita, ac in terris latitare minutè :
Postremò in lignis cinerem fumumque videri,
Cum præfracta forent, ignesque latere minutos.
Quorum nil fieri quoniam manifesta docet res,
Scire licet non esse in rebus res ita mixtas.

Cette réfutation n’est pas mauvaise ; car enfin mêlez comme il vous plaira diverses sortes de grains ; prenez cent fois plus de blé que d’orge ; mettez toujours les grains d’orge autant qu’il vous sera possible dans une enceinte de grains de blé : que gagnerez-vous ? Ferez-vous accroire qu’il n’y a là que du blé ? Demeurerait-on dans cette erreur, après même que l’on aurait éparpillé votre monceau ? Ne verrait-on jamais paraître quelques grains d’orge ? Fables et rêveries que tout cela. Anaxagoras n’eût pu résoudre cette objection, qu’en supposant que chaque partie sensible d’un grain de blé est tellement conditionnée, que les hétérogénéités y sont en plus petit nombre, et enveloppées des particules du blé ; et que de là vient, qu’en brisant le blé entre deux meules, nous ne découvrons jamais les parties hétérogènes ; mais si nous portions la division jusqu’aux particules insensibles, ce serait alors que le sang, la chair, les os, etc. se montreraient à des yeux plus fins que les nôtres. En un mot, il ne se peut tirer de ce mauvais pas que par la divisibilité à l’infini ; et c’est imiter un homme qui, pour éviter un coup d’épée, se précipite à corps perdu dans un abîme d’une profondeur inconcevable. Mais attachons-nous seulement aux difficultés qui enferment quelque sorte de contradiction.

III. Je dis en troisième lieu, qu’Anaxagoras devait supposer que les particules semblables se trouvaient, et en plus grand nombre et en plus petit nombre dans le pain : en plus grand nombre, puisque ce composé s’appelait du pain : en plus petit nombre, puisque peu d’heures après que le pain a été mangé, il s’appelle chyle, et ne montre dans toutes ses particules sensibles, que les qualités du chyle. On comprendra plus facilement cette objection, si l’on compare la pâte avec le blé, ou le pain avec la pâte. On verra qu’il fallait que ce philosophe demeurât d’accord, que les homogénéités étaient tout ensemble et plus nombreuses, et moins nombreuses, dans un même mixte : dans la pâte, par exemple ; car, pendant qu’elle est pâte, elle contient plus de corpuscules de pâte que d’une autre espèce de corps ; mais, quand elle est convertie en pain, elle contient moins de corpuscules de pâte que de pain ; et cependant les corpuscules de pain ne sont venus que de la pâte.

IV. Voici une autre contradiction. C’est se contredire, que d’établir une hypothèse qui ramène d’un côté l’inconvénient qu’on lui veut faire chasser de l’autre. Voilà le mal du système d’Anaxagoras. Ce philosophe, ayant supposé que les parties de la matière avaient été éternellement dans un état de confusion ; c’est-à-dire, que les plus petits corpuscules homogènes avaient été entourés partout de corpuscules hétérogènes, supposa qu’enfin une intelligence chassa ce désordre, par la séparation des particules semblables d’avec celles qui ne leur ressemblent point. Mais il renversait lui-même sa supposition, puisqu’il se voyait contraint d’avouer que toutes sortes d’homœoméries étaient mêlées ensemble dans tous les corps ; et cela, quant aux particules insensibles. Il y avait, selon lui, une infinité de petits os et de petites gouttes de sang, etc., dans chaque brin d’herbe, et dans chaque morceau de pain : tout était mêlé dans tout, puisque chaque chose se faisait de chaque chose : Διó ϕασι πᾶν ἐν παντὶ μεμίχθαι, διóτι πᾶν ἐκ παντὸς ἑώρων γινόμενον [120]. Quapropter inquiunt quodque in quolibet esse mistum, quia quodlibet ex quovis oriri videbant. Ἀναξαγóρας μεμίχθαι πᾶν ἐν παντί ϕησι [121]. Anaxagoras omne in omni misceri ait. Quel plus grand état de confusion voulez-vous voir que celui-là ? Platon en jugeait ainsi ; car plus d’une fois il emploie la doctrine d’Anaxagoras comme un symbole de chaos : Κἂν εἰ συγκρίνοιτο μὲν πάντα, διακρίνοιτο δὲ μὴ, ταχὺ ἂν τὸ τοῦ Ἀναξαγóρου γεγονὸς εἴη, ὁμοῦ πάντα χρήματα [122]. Proindè si confunderentur quidem omnia, nunquàm verò discernerentur, Anaxagoræ illud repentè contingeret, universa videlicet esse simul. Il dit ailleurs : Τὸ τοῦ Ἀναξαγóρου ἂν πολὺ ἦν, ὧ ϕίλε Πῶλε.... ὁμοῦ ἂν πάντα χρήματα ἐϕύρετο ἐν τῷ αὐτῷ, ἀκρίτων τ᾽ ὄντων τῶν τε ὑγιεινῶν καὶ ἰατρικῶν καὶ ὀψοποιητικῶν [123]. Illud Anaxagoræ prorsùs accideret, amice Pole.... omnia videlicet in eodem indiscreta commiscerentur, et quæ ad medicinam pertinent et salutem, et quæ ad coquinariam attinent. M. Ménage rapporte que Luther donnait le nom de théologiens anaxagoristes à ceux qui trouvaient tout dans chaque texte de l’Écriture : Atque indè est quod Luthero theologicus Anaxagoricus dicitur is qui quodlibet in quolibet loco Scripturæ Sacræ invenire possit [124].

V. Ses premiers principes l’étaient et ne l’étaient pas : ils l’étaient, selon sa supposition ; et ils ne l’étaient pas réellement, puisqu’ils étaient composés et corruptibles, tout autant qu’aucun autre corps. Il admettait la divisibilité à l’infini : il devait donc dire, qu’il y avait une infinité de corpuscules dans la plus petite goutte d’eau ; et par conséquent, qu’elle n’en contenait pas un moindre nombre que toute la terre. D’ailleurs ce nombre infini de corpuscules était un amas de toutes sortes d’hétérogénéités. Il n’était donc pas plus simple qu’un arbre ; et, à cet égard, il ne différait des corps qu’on appelle mixtes, que parce que les yeux de l’homme n’auraient pas pu découvrir les parties dissimilaires, comme ils les découvrent dans un arbre. Enfin l’entendement, qui avait mû la matière, pouvait diviser à l’infini ces prétendus premiers principes, aussi aisément que le feu divise le bois ; il était donc aussi périssable que le bois : d’où il résulte que s’ils existaient dans la nature des choses, ce n’était pas en qualité de premiers principes. Outre cela, que pourrait-on supposer de plus absurde, que d’établir pour principes ce qui n’existait point du tout ? Or il est certain, selon l’hypothèse d’Anaxagoras, qu’il n’y avait aucune homœomérie dans l’univers.

Examinons une réponse qu’il aurait pu faire. Il aurait pu supposer que l’essence des homœoméries ne consiste point dans la ressemblance de toutes leurs parties, mais dans la conformité qui se trouve entre l’arrangement des hétérogénéités d’un petit os, par exemple, et l’arrangement des hétérogénéités de tout autre os. « Je ne prétends point, eût-il pu dire, qu’un os de dix pouces, divisé en cent mille parties, ou, ce qui est la même chose dans mon hypothèse, en cent mille petits os, ne contienne absolument aucun corpuscule qui ne ressemble à tous les autres. J’avoue que chacun de ces petits os est un mélange de toutes sortes de principes ; il contient des chairs ; il contient du sang et des membranes, etc. ; mais comme ces matières différentes sont rangées selon la même symétrie dans chacun de ces petits os, j’ai raison de soutenir que l’assemblage de cent mille de ces petits os est un composé homogène, ou un tas d’homœoméries : et puisque je suppose que l’entendement, qui en a fait le triage, les a trouvées toutes faites, je puis soutenir que chacune d’elles prise à part est indestructible : car elles ont toujours existé par elles-mêmes ».

Cette réponse contient deux chefs : l’un est l’explication de l’hypothèse à l’égard du sens du mot homœomérie ; l’autre regarde l’incorruptibilité de ces homœoméries. Je vais éclaircir le premier par un exemple. Mettez dans une bibliothéque tous les exemplaires d’un même livre, reliés de la même façon. Ce sera un amas de livres semblables, un amas homogène : non pas à cause que chacun de ces volumes est composé de parties qui se ressemblent parfaitement, mais à cause que le blanc et le noir, les espaces, les lettres, les accens, les points, les virgules, et les autres parties hétérogènes, ont la même symétrie dans l’un que dans tous les autres. Laissons en repos cette explication d’Anaxagoras, et contentons-nous d’attaquer le second point de sa réponse.

VI. Je ne lui demande point pourquoi cette intelligence, qu’il a reconnue, a laissé les homœoméries dans la confusion pendant toute l’éternité, ni d’où vient qu’elle s’est avisée si tard de les mouvoir et de les unir, ni pourquoi il nie que de rien on puisse produire quelque chose, lui qui avoue que le mouvement a commencé ? Ces trois objections, et quelques autres, embarrassent étrangement tous ceux qui admettent une matière éternelle, incréée, et distincte de l’Être divin ; mais, comme ce sont des difficultés qu’on peut alléguer aussi-bien contre d’autres philosophes, que contre Anaxagoras, il ne serait pas à propos de s’y arrêter. J’éclaircirai seulement un peu la dernière. Il est certain que la production d’une qualité distincte de son sujet ne diffère point d’une vraie création. C’est ce que les philosophes modernes [125] prouvent démonstrativement aux aristotéliciens, qui admettent une infinité de formes substantielles et accidentelles, distinctes de la matière ; car, puisqu’elles ne sont point composées d’aucun sujet préexistant, il s’ensuit qu’elles sont faites de rien. La meilleure réponse que puissent faire les sectateurs d’Aristote, est de rétorquer cette objection, et de dire que les cartésiens sont donc obligés de reconnaître, que le mouvement ne se peut produire que par création. Les cartésiens avouent cette conséquence : ils n’attribuent qu’à Dieu la production du mouvement ; et ils disent que mouvoir la matière, n’est autre chose que la créer dans chaque moment, en différens lieux. Concluez de tout ceci, qu’Anaxagoras et plusieurs autres se contredisaient lorsque, d’un côté, ils ne voulaient pas admettre que de rien on pût faire quelque chose ; et qu’ils avouaient de l’autre, que le mouvement, ou quelque autre modification, avait commencé dans le chaos éternel [126]. Mais, laissant cela, attachons-nous seulement aux difficultés qui ne concernent qu’Anaxagoras.

VII. Je lui allègue cette maxime : Toutes les choses qui sont distinctes entre elles, peuvent être séparées les unes des autres : et je conclus de là, que chaque homœomérie peut être divisée à l’infini en plusieurs portions ; car elle est composée de toutes sortes de principes mêlés ensemble. Puis donc que le mouvement est un principe nécessaire de division, et que Dieu a produit le mouvement dans la matière, il s’ensuit que, par cette force motrice, il a pu porter la désunion dans chaque partie de l’univers, et mettre en pièces quelque homœomérie que ce soit que vous voudriez prendre pour une unité. Si elle était un atome d’Épicure, un corps parfaitement simple, parfaitement unique, exempt de toute composition. J’avoue que rien ne le pourrait diviser ; mais Anaxagoras ne reconnaît point de tels corps, ni aucune homœomérie, pour si petite qu’elle soit, qui ne renferme une infinité de corpuscules distincts, et différens même en qualité les uns des autres. Il est donc vrai, que ce qu’il nomme premiers principes est une chose aussi sujette à destruction, que les corps les plus composés, qu’un bœuf, par exemple : cela, dis-je, est très-vrai, lors même que l’on suppose que les homœoméries existent éternellement par elles-mêmes ; car il suffit qu’une cause externe les puisse faire passer du mouvement au repos, quoiqu’elle n’ait pas la puissance, ni de les faire exister, ni de les anéantir. Le recours au progrès à l’infini serait inutile dans cette rencontre. On ne pourrait pas me répliquer, que les homœoméries étant composées d’une infinité de corpuscules, celles qui font un petit os peuvent être divisées à l’infini sans cesser d’être un petit os : elles deviennent seulement un plus petit os, après chaque division. Cette réplique n’est point bonne ; car il y a deux choses à considérer dans chaque homœomérie ; 1°. Qu’elle contient une infinité de particules, et cela lui est commun avec les autres ; 2°. que les particules sont rangées d’une certaine manière, et cela lui est particulier : c’est sa forme spécifique, c’est son essence, c’est par là qu’elle est, ou un petit os, ou une petite goutte de sang, plutôt que toute autre espèce de premiers principes. Afin donc d’ôter à une homœomérie d’os, son essence et son espèce, il suffit d’arranger d’une nouvelle façon les corpuscules qui la composent. Or dès là qu’un entendement, premier moteur, a pu diviser les corps, et les démêler les uns des autres, il a pu déranger les corpuscules de chaque homœomérie particulière, et leur donner une autre combinaison ; il a donc pu les faire changer d’espèce, comme l’on en fait changer à la farine en la pétrissant, c’est-à-dire, en mêlant et en combinant d’une autre manière ses corpuscules.

Je n’objecte point à ce philosophe, qu’il reconnaissait de la différence entre les parties de la matière avant qu’elles fussent mues. Cette objection m’a semblé toujours très-faible : je conçois très clairement que la division suppose la distinction, et qu’une cheville de fer fichée dans une pièce de bois, et parfaitement en repos autour du bois parfaitement en repos, est aussi différente du bois, que si elle se mouvait, et le bois aussi.

VIII. Je passe à la dernière objection. Qu’arriverait-il, si l’on accordait gratuitement à ce philosophe, que la même nécessité qui fait exister les corps, les fait exister distincts en une infinité d’homœoméries, dont chacune doit demeurer nécessairement toujours entière ; la nature des choses ayant été telle qu’il fallait que dans chaque espèce il y eût des bornes fixes, comme l’on dit ordinairement qu’il y a un minimum quod sic [127], dans chaque espèce de corps vivant ? Cette concession gratuite ferait-elle beaucoup de bien à l’hypothèse d’Anaxagoras ? N’aurait-il point par-là l’incorruptibilité, et l’immutabilité intérieure de ses premiers principes ? Ne seraient-ils pas un si petit os, qu’en devenant un peu plus petit par la division actuelle de leurs parties, ils ne seraient plus un os, et ainsi des autres espèces ? et ne serait-ce pas un signe que la nécessité de la nature les a faits indivisibles ? J’en conviendrais : mais on ne ferait qu’éviter un mal par un autre. Je trouverais ensuite ce défaut dans le système : c’est que le Νοῦς, ou l’entendement, y entrerait contre les règles ; on le ferait venir pour l’ouvrage le plus facile, après avoir donné le plus difficile à une nécessité aveugle. Absolument parlant, il est très-vrai que tout philosophe qui veut donner de bonnes raisons de l’arrangement que l’on voit dans les parties de univers, a besoin de supposer une intelligence qui ait produit ce bel ordre. Il ne doit point craindre que des personnes raisonnables lui reprochent qu’il imite certains poëtes qui font descendre sur le théâtre un Dieu de machine, pour dénouer des difficultés qui n’en valent pas la peine. Mais, si, après avoir supposé que les homœoméries ont été formées sans la direction d’aucune cause intelligente, il supposait une telle cause qui les eût démêlées et arrangées, on lui pourrait dire qu’il imite ces poëtes-là, au mépris des règles [128]. Pour voir aisément la force de cette objection, il suffit de prendre garde qu’il est beaucoup plus difficile de faire de bonnes montres, que de les tirer d’un tas de médailles, et de coquillages, avec quoi elles auraient été mêlées, et puis de les ranger, et de les mêler d’une meilleure façon. Un petit apprenti, un enfant, ferait ce triage et ce nouvel arrangement. Chacun m’avouera que la formation des hommes [129] est un ouvrage qui demande plus de direction et d’habileté, que n’en demande l’art de les ranger selon les évolutions militaires. La plupart des philosophes modernes supposent que les lois générales de la nature suffisent à faire croître le fœtus, pourvu qu’il ait été dans la semence bien formé, bien organisé ; mais ils supposent que ces petits animaux organisés dans la semence sont l’ouvrage du Créateur infiniment puissant et infiniment habile. Ils croient donc que la principale difficulté, celle qui demande le plus la direction d’une intelligence, consiste dans la première formation d’une machine organisée, c’est-à-dire, dans la construction de ces petits animaux qu’ils supposent être dans la semence. Chacun de ces petits animaux est à proprement parler une homœomérie d’Anaxagoras. Il est donc plus malaisé de former des homœoméries, que de faire croître les animaux par le moyen de la nourriture. C’est donc pour expliquer la formation des homœoméries, que l’on a principalement besoin d’un entendement ; car toute homœomérie est un certain assemblage d’une infinité de sortes de corps : et cet assemblage doit être fait selon certaines proportions et certaines situations. Autre est l’assemblage qui est nécessaire pour une homœomérie d’os, et autre celui qui est nécessaire pour une homœomérie de chair ; et si vous n’aviez pas suivi précisément cette symétrie-là, vous n’eussiez point eu les premiers principes du sang, ou de la moelle, mais ceux de quelque autre mixte. Or Anaxagoras n’a point supposé qu’il fût besoin d’une intelligence, pour former une infinité d’espèces d’homœoméries, dont chacune est un certain assemblage de toutes sortes de corps, tellement mêlés ensemble, qu’il faut que ceux d’une espèce prévalent en nombre, et soient situés plutôt d’une façon que d’une autre, et qu’en général il règne là plutôt cette proportion, cette symétrie-ci, que toute autre. Il a donc donné pour la cause de ce qui était le plus difficile une nécessité aveugle. Il n’a donc point raisonné conséquemment lorsqu’il a cru nécessaire une intelligence pour ce qui était moins malaisé. Voici, selon sa doctrine, toutes les fonctions de l’intelligence : mettre en ordre ce qui n’y était pas, mouvoir ce qui était en repos, séparer les choses mêlées, orner celles qui manquaient d’ornement. Ἀναξαγόρας.... ταῦτα παιδεύει, ἀρχὴ πάντων ὁ νοῦς, καὶ οὗτος αἴτιος καὶ κύριος τῶν ὅλων, καὶ παρέχει τάξιν τοῖς ἀτάκτοις, καὶ κίνησιν τοῖς ἀκινήτοις, καὶ διάκρισιν τοῖς μεμιγμένοις, καὶ κόσμον τοῖς ἀκόσμοις. [130]. Anaxagoras hæc docet : Mens omnium est initium, eaque causa et omnium domina est, et ordinem confusis præbet, et motionem immobilibus, et discrimen commixtis, et ornatum inornatis. Il pouvait être attaqué, et par devant, et par derrière. Ou vous en faites trop, lui pouvait-on dire, ou vous n’en faites pas assez. Si vous croyez que la nature, sans aucune direction, ni connaissance, a formé toutes les homœoméries, vous deviez croire qu’elle les a pu mouvoir, démêler, et distribuer : l’entendement donc est superflu. Que si vous le croyez nécessaire pour la séparation et pour la distribution de ces homœoméries, vous deviez aussi lui donner leur formation : vous n’étendez pas son influence partout où l’on en avait besoin. Ainsi une partie de votre système ruine l’autre : vous ne l’avez pas formé de pièces bien assorties et bien liées ensemble [131]. Si nous avions ses écrits, ou tous ceux de Théophraste [132], nous verrions peut-être qu’il discuta quelques-unes des difficultés que je viens de proposer, et qu’il avoua que ses hypothèses ne le contentaient pas, et qu’il succombait sous la pesanteur des mystères de la nature. Il disait que tout est rempli de ténèbres : Anaxagoras pronunciat circumfusa esse tenebris omnia [133]. Plusieurs autres philosophes s’en plaignent aussi, et jusqu’à s’imaginer que les ténèbres dont parle Moïse, qui étaient au-dessus de l’abîme avant que Dieu créât la lumière [134], n’ont été dissipées qu’à l’égard des yeux ; car pour les ténèbres de l’esprit, disent-ils, elles couvrent encore tout le dessus de l’abîme. La lumière de la vérité concentrée dans ce goufre n’en sort jamais : elle envoie seulement quelques rayons qui parviennent à notre esprit après tant de réflexions et de réfractions, et après avoir mêlé leur éclat avec tant de corpuscules sombres dans les espaces ténébreux qu’ils ont traversés, qu’ils ne sont propres qu’à former de fausses images.

(H) Les idées des anciens, qui ont parlé du chaos,..... n’étaient guère justes, et ils n’ont pu dire que cet état de confusion ne subsistait plus. ] J’avais résolu d’étaler ici quelques réflexions sur ce sujet ; mais comme les remarques particulières, et celles qui restent à faire donneront à cet article assez d’étendue et même trop, j’ai changé de résolution par quelque petit pressentiment de prolixité. Il se présentera assez d’occasions de donner dans un autre article ce que je supprime ici.

(I) On conte qu’Anaxagoras avait prédit qu’une pierre... tomberait du corps du soleil. ] Diogène Laërce rapporte cela [135]. Plutarque a parlé de ce prodige ; voici ce qu’il dit : « Il y en a aussi qui disent que la cheute d’une pierre fut un présage qui pronostiquoit ceste grande desfaite [136]. Car il tomba du ciel, environ ce temps-là, ainsi que plusieurs le tiennent, une fort grande et grosse pierre, en la coste qu’on appelle la rivière de la Chèvre, laquelle pierre se monstre encore aujourd’hui tenue en grand’révérence par les habitans du pays de la Cherronèse. Et dit-on que le philosophe Anaxagoras avoit prédit que l’un des corps attachés à la voûte du ciel en seroit arraché, et tomberoit en terre par un glissement et un esbranlement qui devoit avenir : car il disoit que les astres n’estoyent pas au propre lieu où ils avoyent esté nez, atendu que c’estoyent corps pesans et de nature de pierre ; mais qu’ils reluisoyent par l’objection et réflexion du feu élémentaire, et avoyent esté tirez là sus à force, là où ils estoyent retenus par l’impétuosité et violence du mouvement circulaire du ciel, comme au commencement du monde ils y avoyent esté arrestez, et empeschez de retomber ici-bas, lorsque se fit la séparation des corps froids et pesans d’avec les autres substances de l’univers [137] ». J’ai rapporté tout ce passage afin que l’on vît en même temps la tradition de ce prodige et la singularité du dogme d’Anaxagoras. Les paroles de Pline ne méritent pas moins d’être citées : Celebrant Græci, dit-il [138], Anaxagoram Clazomenium, Olympiadis septuagesimæ octavæ secundo anno, prædixisse cœlestium litterarum scientiâ, quibus diebus saxum casurum esset è sole. Idque factum interdiù in Thraciæ parte ad Ægos flumen. Qui lapis etiam nunc ostenditur, magnitudine vehis, colore adusto, comete quoque illis noctibus flagrante. Quod si quis prædictum credat, simul fateatur necesse est, majoris miraculi divinitater : Anaxagoræ fuisse : solvique rerum naturæ intellectum, et confundi omnia, si aut ipse sol lapis esse, aut unquàm lapidem in eo fuisse credatur : decidere tamen crebrò, non erit dubium. In Abydi gymnasio ex eâ causâ colitur hodièque, modicus quidem, sed quem in medio terrarum casurum idem Anaxagoras prædixisse narratur. Colitur et Cassandriæ, quæ Potidæa vocitata est, ob id deducta. Vous voyez là qu’Anaxagoras avait prédit plus d’une fois ces chutes de pierre, et que le culte de ces pierres se multiplia à proportion. Notez qu’Ammien Marcellin et Tzetzès se sont servis du nombre pluriel touchant le prodige de la rivière de la Chèvre. Ils prétendent qu’Anaxagoras prédit qu’il tomberait des pierres du ciel [139]. Philostrate s’est exprimé de la même sorte ; voici un peu au long ce qu’il a dit : je n’en retrancherai rien ; car ce sera une matière de critique : Injustement doncques auroit-on blasmé Apollonius d’une telle impiété et erreur, pour avoir préveu plusieurs choses, et en avoir prédict d’autres : de la mesme sorte que Socrates en auroit esté instruit par les esprits de tout plein devant qu’elles advinssent. Anaxagoras aussi : car qui est celui qui ignore, que, comme une fois estant allé aux jeux olympiques vestu d’un gaban, pour prédire qu’il pleuveroit [140], encore que le jour fust si clair et serein, qu’il n’y avoit aucune apparence de pluye, il ne tarda guères toutesfois qu’il pleut comme à seaux : une autre fois, ayant prédict que dans peu de jours une maison devoit fondre, bien tost après elle tomba. Après, ayant encore adverti que le jour en plein midy tout à un instant deviendroit nuict, et s’obscurciroit de ténèbres : et une autrefois, que des grosses pierres tomberoient du ciel dans la rivière d’Egospotamos, il arriva ainsi. Advouans doncques que ces choses-là et autres semblables préveues d’Anaxagoras fussent un indice d’un très-grand sçavoir seulement, comment les peut-on imputer à Apollonius pour un art magique [141] ? Un commentateur a fait là-dessus une note bien ridicule : Quant à ce que dit Philostrate, qu’Anaxagoras prédit la pluye, et qu’une pierre tomberoit du ciel, et autres choses semblables, il n’y a aujourd’huy si petit astrologue qui n’en fist autant [142]. Quelle absurdité ! Les astrologues d’aujourd’hui, quelque fous qu’ils puissent être, n’ont point la témérité de prédire qu’il tombera des pierres du ciel. Nos faiseurs d’almanachs, nos plus fameux tireurs d’horoscope se donnent bien garde de commettre si imprudemment leur réputation. Ils savent trop bien que la prévision de telles chutes surpasse toutes leurs lumières. Pline avait raison de dire que la prédiction d’Anaxagoras eût été un plus grand miracle, que de voir tomber une pierre qui aurait été au corps du soleil [143]. Remarquez qu’il y a un intervalle d’environ soixante années entre le temps où Pline dit que la prédiction fut faite, et le temps où, selon Plutarque, elle fut accomplie. Voici une autre observation. Photius, dans ses extraits de la Vie d’Apollonius, prétend qu’Anaxagoras fut considéré comme un grand devin, pour avoir prédit par l’art magique qu’il pleuvrait [144]. Je ne saurais croire que Photius ait si mal compris la pensée de Philostrate : j’attribue cette fausseté énorme au mauvais état où son ouvrage a été mis par les copistes ; et je ne puis assez m’étonner de ce que le traducteur [145] a pu se résoudre à faire imprimer cette page-là. Sa traduction est un tissu d’impertinences si grossières, et de raisonnemens si monstrueux, et avec cela si formellement contraire à l’original de Philostrate, qu’on ne peut comprendre quoi que ce soit à sa conduite. A-t-il cru que le texte de Photius était correct ? Il fallait donc qu’il rêvât à quelque autre chose. A-t-il cru que les lecteurs auraient la stupidité de prendre cela pour bon ? Il était donc dans une sécurité qui tient da prodige. J’exhorte ceux qui en ont le talent à examiner cet endroit de Photius : ils y trouveront des plaies qui demandent la dextérité des meilleures mains, et qu’ils guériront peut-être par le secours des manuscrits comparés avec le texte de Philostrate.

(K) Touchant le procès d’impiété qu’on lui fit ; les uns disent qu’il fut condamné ; les autres qu’il fut absous. ] Il fut accusé par Cléon comme un impie, pour avoir dit que le soleil est une masse de matière enflammée ; et, malgré la protection de Périclès, il fut condamné au bannissement et à une amende de cinq talens. C’est ainsi que Sotion narrait la chose [146]. Mais dattes disaient que Thucydide le déféra et l’accusa, non-seulement d’impiété, mais aussi de trahison, et que l’accusé fut condamné à la mort par contumace [147]. D’autres ont dit qu’il était dans la prison lorsqu’on prononça contre lui l’arrêt de mort. Ils ajoutaient que Périclès demanda aux juges : Trouvez-vous qu’il ait commis quelque crime ? et qu’ayant compris qu’on ne lui en imputait aucun, il dit : Je suis son disciple : ne le perdez donc point, prévenus par des calomnies ; croyez-moi plutôt et redonnez lui la liberté. Il obtint cela ; mais l’accusé conçut un si grand chagrin de ce procès, qu’il renonça à la vie [148]. D’autres contaient qu’il fut mené devant les juges par Périclès, et que le chagrin l’avait tellement amaigri et abattu, qu’il avait beaucoup de peine à marcher ; de sorte qu’il fut absous, bien moins parce qu’on le trouva innocent, qu’à cause de la compassion qu’il excita [149]. J’ai dit ailleurs [150] que Périclès ne trouva point de meilleur moyen de sauver ce philosophe, que de le faire sortir d’Athènes.

Notez un peu quatre choses : 1°. Les accusateurs d’Anaxagoras [151] étaient des gens dont la faction était opposée aux intérêts de Périclès. Ce ne fut donc point par zèle de religion qu’ils persécutèrent ce philosophe : ce fut dans la vue de soutenir leur cabale, et d’affaiblir autorité de Périclès, en faisant tomber sur lui très-malignement les soupçons d’irréligion. Ils ne pouvaient mieux y réussir, qu’en accusant d’impiété Anaxagoras. C’est presque toujours le premier mobile de cette espèce de procès ; on se veut venger de quelqu’un ou se délivrer de quelque obstacle d’autorité et de fortune ; et l’on appelle à son aide les passions du peuple, par le faux semblant des intérêts du bon Dieu. 2°. Il n’est pas vrai que les délateurs d’Anaxagoras se soient fondés sur ce qu’il reconnaissait que l’entendement divin avait fabriqué le monde ; ils se fondèrent sur ce qu’en disant que le soleil était une pierre, il le dégradait de la qualité de dieu. Ce fut aussi le fondement de l’arrêt de condamnation [152]. Disons donc que Vossius a fait une faute dans ces paroles : Laërtii industria nobis ipsa Anaxagoræ verba conservavit. Sunt autem hujus modi : Πάντα Χρήματα ἧν ὁμοῦ· εἶτα νοῦς ἐλθὼν
αὐτὰ διεκόσμησε. Ommia simul erant : deindè accessit mens, eaque composuit. Quàm apertè hic opificem ab opificio distinguit ! Hoc ferre non potuêre Athenienses, ac ἀθεότητα vel ἀσέϐειαν vocârunt [153]. On ne condamna point Anaxagoras précisément à cause de la distinction qu’il établissait entre Dieu et les ouvrages de Dieu, mais à cause qu’il n’enseignait pas comme les poëtes que le soleil fût tout ensemble l’ouvrage de Dieu et un dieu ; car, selon la loi des peuples, puisée dans les écrits des poëtes, le soleil était Apollon, fils de Jupiter, et l’une des plus grandes divinités. La faute de Vossius est toute semblable à celle que l’on ferait si l’on accusait l’inquisition d’avoir fait mourir un homme pour avoir dogmatisé qu’il n’y a que Dieu, l’auteur, le conservateur, le souverain maître de toutes choses, qui mérite le suprême culte de latrie ; et qu’aucune créature qui soit dans le paradis, ne mérite nos invocations et le culte de dulie. Ce dogme contiendrait deux chefs ; et ce ne serait que pour le second que l’on punirait un homme dans Salamanque. Un protestant ne serait-il pas mal fondé de dire qu’on aurait puni cet homme à cause du premier chef ? Disons néanmoins qu’Eusèbe a raison de trouver étrange qu’Anaxagoras ait été presque lapidé comme un athée, nonobstant son orthodoxie à l’égard de l’existence d’un Dieu auteur de ce monde ; dogme qu’il avait enseigné le premier de tous les Grecs : Θαυμάται δ᾽ ἐςὶν ὡς οὖτος πρῶτος παρ᾽ Ἕλλησι τοῦτον θεολογήσας τὸν τρόπον, δόξας Ἀθηναίος ἄθεος εἷναι, ὅτι μὴ τὸν Ἥλιον ἐθεολόγει, τὸν δὲ Ἡλίου ποιητὴν, μικροῦ δεῖν καταλευσθεὶς
ἔθανε [154]. In quo sanè permirum illud est, qui princeps apud Græcos eam theologiæ rationem intulerat, cum Atheniensibus, quod non jam Solem, ac Solis ipsius effectorem Deum statueret, atheum esse visum, ac proptereà parùm abfuisse, quin ab iis lapidibus necaretur. Cela, dis-je, est digne d’étonnement ; car enfin, et c’est ma troisième remarque, on a de la peine à concevoir que dans une ville aussi savante qu’Athènes, un philosophe n’ait pu expliquer par des raisons de physique les propriétés des astres, sans courir risque de la vie. N’est-ce pas un sort déplorable que d’avoir plus de lumières qu’un peuple superstitieux et conduit par des entêtés ? À quoi sert cette supériorité de génie et de connaissances au milieu de telles gens ? Ne tient-elle point lieu de crime ? N’expose-t-elle point à mille diffamations, à mille dangers ? Ne jouirait-on pas mieux des commodités de la vie, si l’on était entraîné par le torrent de l’ignorance et de la superstition ? Οἱ προγεγραμμένοι τοῦ Χριςοῦ κατὰ τὸ ἀνθρώπινον λόγῳ πειραθέντες τὰ πράγματα θεωρῆσαι καὶ ἐλέγξαι, ὡς ἀσεϐεῖς καὶ περίεργοι εἰς δικαςήρια
ἤχθησαν [155]. Qui ante Christum fuêre quod ratione pro captu humano innixi res plerasque contemplari, explorare, et arguere contenderint, tanquàm impii et curiosi ad judicum tribunalia sunt protracti. 4°. Je dis en quatrième lieu que l’on doit être choqué qu’un procès aussi remarquable que celui d’Anaxagoras, où Périclès, le premier homme d’Athènes, entra si avant, n’ait pas été mieux connu des historiens. Il y en a qui sur le point capital assurent tout le contraire de ce que les autres nient. Cela ne fait point d’honneur à l’antiquité.

N’oublions pas un beau passage de Lucien. On y suppose que le plus grand des dieux tâcha d’écraser Anaxagoras ; mais qu’il le manqua, et que la foudre, détournée par Périclès, alla brûler un temple et pensa se rompre contre le roc : Δίκην δώσουσιν, ἐπειδὰν τὸν κεραυνὸν ἐπισκευάσω. Κατεαγμέναι γὰρ αὐτοῦ, καὶ ἀπεςομωμέναι εἰσὶ δύο ἀκτῖνες αἱ μέγιςαι, ὁπότε ϕιλοτιμότερον ἠκόντισα πρώην ἐπὶ τὸν σοϕιςὴν Ἀναξαγόραν, ὃς ἔπειθε τοῦς ὁμιλητὰς μηδὲ ὅλως εἶναί τινας ἡμᾶς τοὺς θεοὺς. Ἀλλ᾽ ἐκείνου μὲν διήμαρτον. [ὑπερέσχε γὰρ αὐτοῦ τὴν χεῖρα Περικλὴς,] ὁ δὲ κεραυνὸς, εἰς τὸ ἀνάκειον παρασκήψας, ἐκεῖνό τε κατέϕλεξε, καὶ αὐτὸς ὀλίγου δεῖν συνετρίϐη παρὰ τὴν πέτραν [156]. Pœnas dabunt simul atque fulmen præparavero. Nam fracti sunt et retusâ cuspide duo radii ejus maximi, quùm nuper acris in sophistam Anaxagoram jacularer, qui suis familiaribus persuadebat, nullos esse nos qui Dii vocamur. At ab illo aberravi ; nam obtentâ manu Pericles eum protexit : fulmen verò in Castoris et Pollucis templum detortum, tum illud exussit, tum ipsum ad saxum penè est comminutum. Vossius, qui s’est contenté de dire que Jupiter lança la foudre contre ce philosophe [157], a été cause de ce que M. Moréri débite qu’Anaxagoras en fut écrasé. Il était assez naturel de le croire ; car on ne se figure pas aisément qu’un coup de foudre destiné à la ruine de quelqu’un ne le tue point. Mais cela nous doit apprendre à recourir aux originaux, sans nous arrêter à des modernes qui ne rapportent un fait qu’à l’égard des circonstances dont ils ont besoin. Vossius, par exemple, qui n’avait que faire en cet endroit-là de dire si Jupiter réussit ou non, supprima la moquerie de Lucien. Cette omission à été un piége pour M. Moréri ; il aurait pu l’éviter s’il eût simplement traduit le latin de Vossius. Pourquoi faisait-il le paraphraste ? Lambert Barleus, commentant cet endroit de Lucien, assure qu’Anaxagoras fut accusé d’athéisme à cause du dogme de l’entendement premier moteur, etc. [158]. C’est un mensonge qu’il a pris de Vossius et que j’ai déjà réfuté. Il dit aussi que l’on promit un talent à qui que ce fût qui tuerait ce philosophe [159]. C’est confondre, ce me semble, Anaxagoras avec l’athée Diagoras. Enfin il compare, en matière d’orthodoxie, Anaxagoras avec Lucien, et se plaint de ce que Justin Martyr met Lucien entre les athées : Anaxagoræ.…. non absimilis fuit Lucianus noster, quem immeritò ἄθεον vocat Justinus Martyr in oratione contra Græcos [160]. Sa comparaison est aussi fausse que sa plainte ; mais voici la source de son erreur. Il avait lu dans Vossius : Lucianus in Timone ait Jovem in Anaxagoræ caput..... sed Lucianum quid dico ? Ecce Justinus Martyr oratione ad Græcos eum ἄθεον vocat [161] : et il n’a point compris que cet eum se rapporte au philosophe Anaxagoras et non pas à Lucien.

(L) Diogène Laërce, en rapportant un bon mot d’Anaxagoras, a commis une bévue de chronologie. ] Il dit qu’Anaxagoras, voyant le sépulcre de Mausole, s’écria : C’est un monument de la conversion de l’or en pierres. Je ne m’attache pas à une version littérale ; mais voici le grec : Τάϕος πολυτελὴς λελιθωμένης ἐςὶν οὐσίας εἴδωλον [162]. Monumentum pretiosum in lapides conversarum divitiarum imago est. On peut croire qu’en effet il débita cette pensée en voyant quelque tombeau somptueux ; mais ce ne fut pas en voyant celui de Mausole, car sa mort précéda de plusieurs olympiades la construction de ce monument : Anaxagoras..... olymp. lxxxviii mortuus est. Mausoli autem sepulchrum ante olymp. cvii conditum non est. Aut igitur hæc verba philosophus ille non dixit, aut aliâ certé occasìone dixit : Mausoleum enim nunquàm vidit : quod ab illustratoribus Laërtii nondùm opinor observatum est. Verba sunt Joannis Pearsonii viri undecunquè doctissimi, in libro de epistolis sancti Ignatii, pag. 9 secundæ partis ; quibus ego assentior. Id ipsum observatum à Gisberto Cupero in antiquis numismatibus explicatis, viro elegantissimii ingenii [163].

(M) La constance d’Anaxagoras, à la nouvelle de sa condamnation, et de la mort de ses fils, fut merveilleuse. ] Il dit sur la première nouvelle : Il y a long-temps que la nature a prononcé son arrêt autant contre eux [164] que contre moi ; et sur la seconde : Je savais bien que je les avais engendrés mortels [165]. Diogène Laërce insinue qu’il les perdit tous, et ajoute que, selon Démétrius Phaléréus, ses fils l’enterrèrent de leurs propres mains [166]. Ce serait une contradiction entre les auteurs : mais on la pourrait lever, si l’on supposait que, depuis qu’il eut témoigné cette constance, il mit au monde d’autres enfans, ou qu’il ne fit cette réponse que sur la nouvelle que l’un de ses fils était mort. Cicéron emploie le nombre singulier : Quem (Anaxagoram) ferunt nunciatâ morte filii, dixisse : « Sciebam me genuisse mortalem [167]. » Valère Maxime [168], Plutarque [169], et Simplicius [170] emploient le même nombre ; mais Élien observe qu’Anaxagoras n’avait que deux fils, et qu’il prononça cette parole en apprenant la mort de tous deux [171]. Notez qu’il reçut cette nouvelle en faisant une leçon de philosophie [172].

Mettons ici ce qu’il répondit à ses amis, qui lui demandaient à Lampsaque s’il voulait qu’après sa mort on le fît porter à Clazomène sa patrie : « Cela n’est pas nécessaire, leur dit-il, le chemin des enfers n’est pas plus long d’un lieu que d’un autre. » Præclarè Anaxagoras, qui quùm Lampsaci moreretur, quærentibus amicis velletne Clazomenas in patriam, si quid ei accidisset, afferri, « Nihil necesse est, inquit, undiquè enim ad inferos tantundem viæ est [173]. » Diogène Laërce suppose qu’il dit cela à quelqu’un qui se fâchait de mourir hors de sa patrie [174]. Je me suis souvent étonné que les bons mots des anciens soient rapportés si diversement : j’en ai cherché la raison, et voici ce qui m’a paru de plus vraisemblable. Les lecteurs retiennent mieux le gros et le fond d’un fait que les circonstances : ils veulent donc le rapporter ; ils suppléent le mieux qu’ils peuvent ce qu’ils en ont oublié ; et comme les goûts sont différens, il arrive que les uns suppléent une chose, les autres une autre. Je ne dis rien des supplémens que l’on fait exprès pour ajuster mieux les choses au sujet qu’on traite. Ce sont des variations artificieuses et de mauvaise foi ; je n’en parle pas. Ce que j’ai dit des lecteurs se doit étendre sur toutes sortes de gens. On falsifie encore plus ce que l’on a ouï dire que ce qu’on a lu.

(N) Il discernait fort bien quelles conditions sont les plus heureuses. ] Il croyait que celles qui le paraissent le moins le sont le plus, et qu’il ne fallait pas chercher, parmi le gens riches et environnés d’honneurs, les personnes qui goûtent la félicité ; mais parmi ceux qui cultivent un peu de terre, ou qui s’appliquent aux sciences sans ambition. Valère Maxime vous le dira mieux que moi : Nec parùm prudenter Anaxagoras interroganti cuidant, quisnam esset beatus ? « Nemo, inquit, ex his quos tu felices existimas : sed eum in illo numero reperies, qui à te ex miseris constare creditur. Non erit ille divitiis et honoribus abundans ; sed aut exigui ruris, aut non ambitiosæ doctrinæ fidelis ac pertinax cultor, in secessu quàm in fronte beatior [175]. »

(O) On lui fit une épitaphe très-glorieuse. On alla même jusqu’à lui bâtir un autel. ] Élien et Diogène Laërce nous ont conservé cette épitaphe ; elle consiste en ces deux vers :

 ̓Ενθάδε, πλεῖςον ἀληθείας ἐπὶ τἐρμα περῄσας
Οὐρανίου κόσμου, κεῖται Ἀναξαγόρας [176].

Hìc situs ille est, cui rerum patuêre recessus,
Atque arcana poli, magnus Anaxagoras.


Il y a autant d’énergie dans ce distique, que dans ces sept vers français, où l’on a voulu donner un semblable éloge.

Descartes, dont tu vois ici la sépulture,
A dessillé les yeux des aveugles mortels :
Et gardant le respect que l’on doit aux autels,
Leur a du monde entier démontré la structure.
Son nom par mille écrits se rendit glorieux,
Son esprit mesurant et la terre et les cieux,
En pénétra l’abîme et perça les nuages [177].


Diogène Laërce ne parle point de l’autel d’Anaxagoras ; c’est Élien qui en fait mention [178]. Il semble dire qu’on lui en consacra deux : l’un, sous le nom de l’entendement ; l’autre, sous le nom de la vérité ; mais un fort savant critique [179] n’entend pas ainsi le passage : il le fait signifier que l’inscription de l’autel était selon quelques-uns à l’entendement, et selon d’autres à la vérité. Aristote observe que les habitans de Lampsaque continuaient à honorer Anaxagoras [180]. Remarquons qu’au temps de saint Augustin, on faisait encore sonner bien haut l’autorité de ce philosophe : Quam (veritatem) si sensit Anaxagoras, eamque Deum esse vidit, mentemque appellavit, non solùm nomen Anaxagoræ quod propter litteratam vetustatem, omnes, ut militariter loquar, litteratiores libenter sufflant, nos doctos et sapientes non facit, sed ne ipsa quidem ejus cognitio, quâ id verum esse cognovit [181].

(P) On n’est pas assuré qu’il ait tenu pour le dogme de la prédestination. ] Il s’opposa, dit-on, à ce dogme très-fortement [182], et le combattit dans ses ouvrages : mais il n’y a qu’Alexandre d’Aphrodisée qui l’assure ; et il le fait même d’un air à nous tenir en suspens, puisqu’il observe qu’Anaxagoras réfuta cette doctrine par engagement de dispute, et non par un choix prémédité, ou primitif. Il avait besoin de la combattre, pour soutenir un autre dogme ; c’est-à-dire, qu’ayant compris qu’en ne la combattant point, il ne pourrait pas se bien défendre contre ceux qui attaqueraient ce dogme, il écrivit contre le destin. Alexandre d’Aphrodisée remarque judicieusement qu’une telle circonstance rend douteuse la foi d’Anaxagoras. En effet, il y a bien peu de choses qu’un auteur ne fasse dans la chaleur de la dispute, pour ôter à ses adversaires les avantages qu’ils pourraient tirer, ou de son silence, ou de ses aveux. Il se contredira plutôt, il affirmera plutôt ce qu’il ne croit pas, que de souffrir qu’on se serve de ses propres armes contre lui-même. Quoi qu’il en soit, voici un passage de Gabriel Naudé : Obtulit se tandem Alexander ex Aphrodisiade [* 1], facemque in his tenebris versanti prætulit, quamquam eo scrupulo injecto, quòd fide dignus Anaxagoras, dùm istud assereret, minimè fuerit, non quòd propositio ejusmodi vera non esset, verùm quia in alterius opinionis suæ defensionem, quam suscipere cogebatur, non autem ex solâ determinatâque voluntate adversùs fatum scribendi, illam protulisset [183]. Cet auteur venait de dire que les modernes, qui assurent qu’Anaxagoras était contraire à la prédestination, ne citent aucun ancien qui ait parlé de cela. Il avait dit aussi que Diogène Laërce, Cicéron, Galien, Plutarque, Origène, n’en ont fait nulle mention.

(Q) Il est le premier philosophe qui ait publié des livres. ] Diogène Laërce le dit positivement : Πρῶτος δὲ Ἀναξαγόρας καὶ βιϐλίον ἐξέδωκε συγγραϕῆς. [184]. Primus autem Anaxagoras librum à se scriptum edidit : mais, comme il semble se déclarer en un autre lieu pour Phavorin, qui avait dit qu’Alcméon disciple de Pythagoras fut le premier qui écrivit sur la physique [185], il rend fort douteux son témoignage. Clément d’Alexandrie n’a rien décidé : il se contente de dire, que les uns attribuent à Alcméon le premier ouvrage qui ait été publié touchant la nature, et que les autres prétendent qu’Anaxagoras est le premier qui ait donné un livre au public [186]. Ces deux opinions seraient fausses, si Thalès avait fait des livres, comme l’assure saint Augustin [187], et si la tradition des Grecs, rapportée par Suidas [188], était vraie, c’est que le philosophe Phérécydes fut le premier qui écrivit des ouvrages. Notez qu’Aristote observe que les écrits d’Anaxagoras sont postérieurs à ceux d’Empédocle, quoique celui-ci fût plus jeune qu’Anaxagoras [189].

(R) Socrate... ne fut pas content de la lecture de ses ouvrages : ce fut apparemment sa faute. ] Nous allons faire deux choses : l’abrégé de la plainte de Socrate, et puis quelques réflexions.

Ayant su, dit-il [190], qu’on établissait dans un ouvrage d’Anaxagoras, qu’un entendement règle toutes choses, et les produit [191], je fus fort content de cette espèce de cause, et je me figurai qu’il en devait résulter que chaque être avait été conditionné et situé de la manière la plus excellente. J’espérai donc avec une extrême joie de trouver enfin dans ce livre d’Anaxagoras un maître qui n’enseignât les causes de chaque chose, qui m’apprît d’abord si la terre est ronde ou plate, et puis la raison de ce qu’il aurait déterminé ; et comme je crus que cette raison aurait pour base l’idée de la plus haute perfection, j’espérai qu’il me montrerait que l’état où est la terre est le meilleur qu’elle pût avoir, et que s’il la mettait au centre, il exposerait pourquoi cette situation était la meilleure de toutes. Je me fixai à ne rechercher aucune autre espèce de cause, pourvu qu’il m’éclaircît bien cela, et à demander seulement ensuite par rapport aux proportions de vitesse et de révolution, etc., qui se trouvent entre le soleil, la lune et les autres astres, quelle est la meilleure raison pourquoi ces corps, et en qualité d’agens, et en qualité de patiens, sont ce qu’ils sont ; car je n’eusse jamais pu m’imaginer qu’un philosophe, qui avait dit qu’un entendement conduisait toutes ces choses, alléguerait aucune autre cause que de prouver que l’état où elles se trouvent est le meilleur qui puisse être. Je croyais aussi, qu’ayant expliqué par cette sorte de cause la nature particulière de chaque corps, il expliquerait en général leur bien commun. Plein de cette belle espérance, je me portai avec la dernière ardeur à la lecture de ses écrits, afin de connaître bientôt ce qui est très-excellent et ce qui est très-mauvais ; mais je trouvai que ce philosophe n’emploie point l’intelligence, ni aucune cause de l’arrangement : il ramène toutes choses à l’air, à l’éther, à l’eau et à tels autres sujets impertinens, comme à leur origine [192]. C’est comme si quelqu’un, après avoir dit que je fais par l’entendement tout ce que je fais, donnait ensuite la cause de mes actions particulières, à peu près comme ceci : Socrate est assis, parce que son corps est composé d’os et de nerfs, qui, par les règles de la mécanique, font qu’il peut plier et courber ses membres. Il parle, parce que le mouvement de sa langue agite l’air, et porte son impression jusqu’aux oreilles, etc. Un tel homme oublierait la vraie cause ; savoir que les Athéniens ayant jugé qu’il valait mieux qu’ils me condamnassent, j’ai trouvé qu’il valait mieux que je fusse ici assis, et qu’il était plus juste que je subisse la peine qu’ils ont ordonnée. Si quelqu’un m’objecte, que sans mes os et mes nerfs, etc., je ne pourrais pas exécuter ce que je veux, il aura raison ; mais s’il prétend que je l’exécute, à cause de mes os et de mes nerfs, etc., et non par le choix de ce qui est le meilleur, moi, qu’il suppose agir par l’entendement, y a dans son discours une grande absurdité [193].

Vous voyez là bien à découvert le goût de Socrate. Il avait abandonné l’étude de la physique, et s’était appliqué tout entier à la morale : c’est pourquoi il demandait que l’on expliquât toute la nature par des raisons morales, par les idées de l’ordre, par les idées de la perfection. J’oserai bien dire qu’il censurait mal à propos Anaxagoras. Tout philosophe qui a supposé une fois qu’un entendement a mû la matière et arrangé les parties de l’univers, n’est plus obligé de recourir à cette cause, quand il s’agit de donner raison de chaque effet de la nature. Il doit expliquer par l’action et la réaction des corps, par les qualités des élémens, par la figure des parties de la matière, etc., la végétation des plantes, les météores, la lumière, la pesanteur, l’opacité, la fluidité, etc. C’est ainsi qu’en usent les philosophes chrétiens, de quelque secte qu’ils soient. Les scolastiques ont un axiome, qu’il ne faut pas qu’un philosophe ait recours à Dieu, non est philosophi recurrere ad Deum : ils appellent ce recours l’asile de l’ignorance. Et en effet, que pourriez-vous dire de plus absurde, dans un ouvrage de physique, que ceci, les pierres sont dures, le feu est chaud, le froid gèle les rivières, parce que Dieu l’a ainsi ordonné. Les cartésiens même, qui font Dieu, non-seulement le premier moteur, mais aussi le moteur unique, continuel et perpétuel de la matière, ne se servent point de ses volontés et de son action, pour expliquer les effets du feu, les propriétés de l’aimant, les couleurs, les saveurs, etc. ; ils ne considèrent que les causes secondes, le mouvement, la figure, la situation des petits corps. De façon que si la remarque de Clément Alexandrin, rapportée ci-dessus [194], n’était fondée que sur le discours de Socrate, elle serait très-injuste. Il faudrait pour la trouver légitime, que nous sussions, non pas qu’Anaxagoras expliquait beaucoup de choses sans faire mention de l’entendement divin, mais qu’il l’excluait nommément et formellement lorsqu’il expliquait une partie des phénomènes de la nature. Peut-être y avait-il dans ses écrits certains endroits, où il disait ce qu’Euripide son disciple a dit depuis : c’est que Dieu se mêle des grandes choses, et laisse faire les petites à la fortune [195] : comme si l’univers était semblable au tribunal des prêteurs, de minimis non curat prætor. Nous avons vu ci-dessus [196] que ce philosophe attribuait quelques effets au hasard, quelques autres à la nécessité, etc., et qu’il n’appelait à son aide l’intelligence, que lorsqu’il ne pouvait pas faire voir comment la nécessité avait produit une chose [197]. On peut supposer, en général, que son système n’était pas bien débrouillé ; qu’il ne l’avait, ni bien aplani, ni bien arrondi ; qu’il y avait laissé beaucoup de pièces mal agencées. Aristote nous insinue cela, lorsqu’il parle des physiciens qui ont les premiers reconnu deux causes, la matérielle et l’efficiente. Il les compare à des gens qui n’ont point appris l’art de se battre et qui ne laissent pas de bien blesser assez souvent. Ils le font sans suivre les règles ; ces physiciens aussi ne possédaient pas la science de ce qu’ils disaient : Οὗτοι μὲν οὗν... δυεῖν ἀιτίαιν ἐϕήψαντο... τῆς τε ὑλῆς, καὶ τοῦ ὅθεν ἡ κίνησις· ἀμυδρῶς μέν τοι καὶ οὐδὲν σαϕῶς, ἀλλ᾽ οἵον ἐν ταῖς μάχαις οἱ ἀγύμναςοι ποιοῦσι. Καὶ γὰρ ἐκεῖνοι περιϕερόμενοι, τύπτουσι πολλακὶς καλὰς πληγάς· ἀλλ᾽ οὕτε ἐκεῖνοι ἀπὸ ἐπιςήμης, οὔτε οὗτοι ἐοίκασιν εἰδόσι λέγειν ἃ λέγουσι [198]. Atqui hi quidem... duas causas attigerunt,.... materiam, et undè motus : obscurè tamen, et non clarè : sed quemadmodùm inexercitati in prælio faciunt. Etenim illi circumeuntes, egregias plerumquè plagas infligunt. Sed nec illi ex scientiâ, nec isti videntur scire quid dicant. Vous verrez ailleurs [199], qu’il y a des choses qu’Anaxagoras n’a point expliquées, et qu’il eût admises infailliblement, si quelqu’un lui en avait fait l’ouverture ; et qu’enfin, en développant ses principes et ses pensées, on étalerait de fort beaux dogmes.

Je ne blâmerais point Socrate d’avoir souhaité une explication de l’univers toute telle qu’il l’indique : car qu’y aurait-il de plus beau, ou de plus curieux, que de savoir distinctement et dans le détail, pourquoi la perfection de la machine du monde a demandé que chaque planète eût la figure, la grandeur, la situation et la vitesse qu’elle a, et ainsi du reste ? Mais cette science n’est pas faite pour le genre humain, et l’on était fort injuste de l’attendre d’Anaxagoras. À moins que d’avoir toute l’idée que Dieu a suivie en faisant le monde, on ne pourrait point donner les explications que Socrate souhaitait. Tout ce que les plus grands philosophes peuvent dire là-dessus revient à ceci : que puisque la terre est ronde et située à une telle distance du soleil, cette figure et cette situation étaient requises pour la beauté et la symétrie de l’univers ; l’auteur de cette vaste machine ayant une intelligence et une sagesse qui n’a point de bornes. Nous savons par-là en général, que tout va bien dans cette machine et que rien n’y manque ; mais si nous entreprenions de faire voir pièce à pièce que tout est au meilleur état qui se puisse, nous en donnerions infailliblement de très-mauvaises raisons. Nous ferions comme un paysan, qui, sans avoir aucune idée d’une horloge, entreprendrait de prouver que la roue, qu’il en verrait par une fente, a dû être de telle épaisseur de telle grandeur, et posée précisément en ce lieu-là, vu que si elle eût été plus petite, moins épaisse et située en un autre lieu, il en serait arrivé de grands inconvéniens. Il jugerait de cette machine comme un aveugle des couleurs ; et sans doute, il raisonnerait pitoyablement. Les philosophes ne sont guère plus en état de juger de la machine du monde, que ce paysan de juger d’une grosse horloge. Ils n’en connaissent qu’une petite portion, ils ignorent le plan de l’ouvrier, ses vues, ses fins et la relation réciproque de toutes les pièces. Alléguez à quelqu’un, que la terre a dû être ronde, afin qu’elle tournât plus facilement sur son centre, il vous répondra qu’il vaudrait mieux qu’elle fût carrée, afin de tourner plus lentement et de nous donner de plus longs jours. Que pourriez-vous répondre de raisonnable, si vous étiez obligé d’articuler les embarras où l’univers tomberait, en cas que Mercure fût plus grand et plus proche de la terre ? M. Newton, qui a découvert tant de beautés mathématiques et mécaniques dans les cieux, voudrait-il bien être caution, que si les choses n’étaient point telles qu’il les suppose, ou quant aux grandeurs ou quant aux distances ou quant aux vitesses, le monde serait un ouvrage irrégulier, mal construit, mal entendu ? l’intelligence de Dieu n’est-elle pas infinie ? Il a donc les idées d’une infinité de mondes différens les uns des autres, tous beaux, réguliers, mathématiques, au dernier degré. Croyez-vous que d’une terre carrée et plus proche de Saturne, il ne pourrait pas tirer des usages équivalens à ceux qu’il tire de notre terre ? Concluons que Socrate n’a point dû s’imaginer qu’Anaxagoras lui prouverait par des raisons de détail, que l’état présent de chaque chose est le meilleur où elle pût être. Il n’y a que Dieu qui puisse prouver cela de cette façon.

Comment ferions-nous ce que Socrate voulait à l’égard de la machine du monde, nous qui ne le saurions faire à l’égard de la machine d’un animal, après tant de dissections et tant de leçons d’anatomie qui nous ont appris le nombre, la situation, l’usage, etc., de ses principaux organes ? Par quelles raisons particulières pourrait-on prouver que la perfection de l’homme et celle de l’univers demandent que nos veux, au nombre de deux, soient situés comme ils le sont, et que six yeux placés autour de la tête feraient du désordre dans notre corps et dans l’univers ? On peut raisonnablement prétendre, qu’afin de donner à l’homme six yeux autour de la tête, sans s’écarter néanmoins des lois générales de la mécanique, il eût fallu déranger de telle sorte les autres organes, que le corps de l’homme eût été formé sur un autre plan et fût devenu une autre espèce de machine : mais on ne saurait donner de cela aucunes raisons particulières ; car tout ce que vous pourriez dire serait combattu par des objections aussi vraisemblables que vos preuves. Il faut s’arrêter à cette raison générale, la sagesse de l’ouvrier est infinie ; l’ouvrage est donc tel qu’il doit être. Le détail nous passe ; ceux qui veulent y entrer ne se sauvent pas toujours du ridicule [200].

Au reste, nous pouvons prouver par ce discours de Socrate, qu’il n’avait pas été le disciple d’Anaxagoras ; car, s’il l’eût été, eût-il eu besoin d’apprendre d’un homme qui lisait les livres d’Anaxagoras, que l’on y établissait un entendement pour la cause de toutes choses [201] ?

(S) Socrate négligea l’astronomie à cause qu’Anaxagoras, qui s’y était extrêmement appliqué, s’égara beaucoup. ] Afin qu’on voie plus nettement les pensées de Socrate là-dessus, je rapporterai un peu au long les paroles de son historien. « Il estoit d’avis qu’on employast quelque temps à l’astronomie, afin de pouvoir connoistre quelle heure il est aux estoilles, en quel jour du mois et en quelle saison de l’année on est ; pour sçavoir quand il faut relever une sentinelle durant la nuit, quand il est à propos de se mettre sur la mer, ou de faire voyage ; et il disoit que cela se pouvoit apprendre facilement dans l’entretien des matelots, ou de ceux qui chassent de nuit. Mais de vouloir pénétrer plus avant, jusqu’à connoistre quels astres ne sont pas en mesme déclinaison ; de vouloir expliquer tous les différens mouvemens des planètes et sçavoir de combien elles sont esloignées de la terre, en combien de temps elles font leurs révolutions, quelles sont leurs influences ; c’est de quoy il dissuadoit fortement : car ces sciences luy sembloient entièrement inutiles, non pas qu’il en fust ignorant, mais parce qu’elles demandent un homme tout entier, et le divertissent de plusieurs autres bonnes occupations. En un mot, il ne vouloit point qu’on recherchast trop curieusement l’artifice admirable avec lequel les dieux ont disposé tout l’univers ; parce que c’est un secret que l’esprit de l’homme ne peut comprendre et que ce n’est pas faire une action agréable aux dieux, que de tascher à descouvrir ce qu’ils nous ont voulu cacher. Il tenoit de plus, qu’il y avoit danger de s’esgarer l’esprit dans ces hautes spéculations, comme fit Anaxagore, qui se vantoit d’y estre fort entendu. Car enseignant que le soleil estoit une mesme chose que le feu, il ne songeoit pas que le feu n’éblouit point les yeux ; mais qu’il est impossible de soustenir l’esclat du soleil [202]. » Je ne rapporte point deux autres raisons que l’historien emploie contre ce dogme d’Anaxagoras : elles ne sont pas meilleures que la première, et ne méritent point autant d’attention que l’idée que Socrate se faisait des dieux. Il les croyait fort jaloux de leurs secrets et fort disposés à se fâcher contre les hommes qui voulaient porter jusque-là leur curiosité. Voici les expressions de Xénophon : Ὅλως δὲ τῶν οὐρανίων ᾖ ἕκαςα ὁ θεὸς μηχανᾶται, ϕροντιςὴν γίγνεσθαι ἀπέτρεπον. Οὔτε γὰρ εὕρετα ἀνθρώποις αὐτὰ ἐνόμιζεν εἶναι, οὔτε χαρίζεσθαι θεοῖς ἂν ἡγεῖτο τὸν ζητοῦντα ἃ ἐκεῖνοι σαϕηνίσαι οὐκ ἐϐουλήθησαν [203]. Ut una omnia complectar, cœlestium unumquodque quomodò Dii machinentur scrutari dehortabatur. Neque enim hominibus facile esse adinvenire : neque Diis eos facere grata arbitrabatur, qui ea quærant quæ ipsi Dii in promptu et manifesta esse noluerunt. Notez qu’Aristote avait une opinion plus avantageuse de la Divinité : il ne nie pas que si elle était capable de jalousie, elle n’enviât principalement à l’homme la plus sublime des sciences ; mais il nie ce que les poëtes affirmaient de la prétendue envie des dieux. Ses paroles sont très-remarquables : Εἰ δὲ λέγουσί τι οἱ ποιηταὶ, καὶ πέϕυκε ϕθονεῖν τὸ θεῖον, ἐπὶ τούτου συμϐῆναι μάλιςα εἰκὸς, καὶ δυςυχεῖς εἷναι πάντας τοὺς περιττούς. ἀλλ οὔτε τὸ θεῖον ϕθονερὸν ἐνδέχεται εἷναι, ἀλλὰ κατὰ τὴν παροιμίαν πολλὰ ψεύδονται ἀοιδοί [204]. Quòd si aliquid poëtæ dicunt, et in naturam divinam cadit invidia, verisimile est hâc in re id maximè accidere et infelices esse eos omnes qui altiora se quærunt [205]. Sed neque Divinitas invida esse potest, multaque, ut est in proverbio, mentiuntur poëtæ.

(T) Servius et Sidonius Apollinaris ont ignoré les opinions d’Anaxagoras. ] Le premier assure qu’il donnait le feu pour le principe de toutes choses [206] : c’est le confondre avec Héraclite. L’autre prétend que, comme Thalès, il établit l’eau pour le principe de tous les corps, et qu’il joignit à ce principe un entendement. C’est lui ôter la doctrine des homœoméries. Elle n’était pas inconnue à Sidonius Apollinaris ; mais il la donne sans raison au philosophe Anaximander. Il lui donne aussi la πανσπερμία, c’est-à-dire, que les semences de toutes choses étaient partout : doctrine qui appartenait au philosophe Anaxagoras. Elle appartenait aussi à Démocrite, comme Aristote l’a observé au chapitre IV du IIIe, livre de sa Physique :

........ Sed rebus inutile ponit [207]
Principium, dùm credit aquis subsistere mundum.
Hujus discipuli versa est sententia, dicens,
Principus propriis semper res quasque creari,
Singula qui quosdam fontes decrevit habere
Æternùm irriguos, ac rerum semine plenos.
Hunc etiam sequitur, qui gignere cuncta putabat
Hunc aërem, pariterque Deos sic autumat ortos.
Quartus Anaxagoras Thaletica dogmata servat :
Sed divinum animum sertit, qui fecerit orbem [208].


Le docte Savaron n’a pas remarqué ces bévues dans ses notes sur ce poëme de Sidonius Apollinaris.

  1. (*) Lib. de Fato, cap. I, et lib. de Animâ, cap. ultim.
  1. Voyez la remarque (B) de l’article Démocrite.
  2. Cicero, Tusculan., lib. V, circa finem.
  3. Valer. Maximus, lib. VIII, cap. VII, num. 6 in Externis.
  4. Plato, in Hippiâ majore, (et non pas in Phædro, comme cite M. Ménage in Diog. Laërt., lib. II, num. 6. pag. 1246.
  5. Aristot. Eudemior., lib. V, cap. VII, pag. 184.
  6. Σοϕοὺς μὲν, ϕρονίμους δ᾽ οὔ ϕασιν εἶναι, ὅταν ἴδωσιν ἀγνοῦντας τὰ συμϕέρονθ᾽ αὑτοῖς. Sapientes quidem esse dicunt, prudentes verò nequaquàm, cùm videant eos quæ sibi utilia sunt ignorare. Aristotel. Eudemior. lib. V, cap. VII, pag. 184.
  7. Voyez le paragraphe VIII du Projet de ce Dictionnaire, dans le tom. XVe.
  8. Philo, de Vitâ contemplativâ.
  9. Je cite ses paroles dans la remarque (B) de l’article Démocrite.
  10. Philostrat. in Vitâ Apollon., lib. I, cap. VIII.
  11. Himer. apud Phot., pag. 1088.
  12. Lact., lib. III, cap. XXII. Origenes contra Cels, lib. II.
  13. Voyez son Homélie VII sur les Actes des Apôtres, pag. 67, édition de Paris, en 1636.
  14. Voyez Rutilius Numatianus dans son Itinéraire. J’ai rapporté ci-dessus quelques-unes de ses paroles, à la fin de la remarque (E) de l’article Adamites.
  15. Philostr. in Vitâ Apollon., lib. I, cap. VIII. Cet endroit a été misérablement traduit par Vigenère, qui fait dire à l’auteur, qu’Anaxagoras, s’estant adonné à la nourriture des bestes blanches et des chameaux, avait plutost employé sa philosophie pour l’utilité du bestail que des hommes. La version latine de Rhinuccinus ne vaut pas mieux : Aiebat Clazomenium Anaxagoram gregibus et camelorum armentis nutriendis intentum pecorum gratiâ magis quàm hominum philosophatum esse.
  16. Euseb. Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 750.
  17. Voyez ci-dessous les paroles de Plutarque, citation (19).
  18. Cicero, de Oratore, lib. III, cap. XV, (et non pas lib. II, comme cite M. Ménage sur Diogène Laërce, num 7.) folio 91, B.
  19. Plutarch. in Vitâ Periclis, pag. 162. Je me sers de la version d’Amiot.
  20. Idem in Præcept. Reip. gerendæ, pag. 820, D. Diogène Laërce, comme on l’a vu dans le corps de cet article, a circonstancié les choses un peu autrement.
  21. Ælian. Var. Hist. lib. IV, cap. XIV.
  22. Voyez les notes de Kuhnius sur cet endroit d’Élien.
  23. Alius igitur fuerit ab Anaxagorâ nostro, etc. Menag. in Laërt., lib II, num 7. Il tire cette conséquence de ce qu’Anaxagoras ne s’était pas appliqué au gouvernement.
  24. Ovid. Fastor. lib. I, vs. 297 et seqq.
  25. Diog. Laërtius, lib. II, num. 8.
  26. Is. Casaubon. in hunc locum Diogen. Laërt.
  27. Dans la remarque (I).
  28. Xenophont. Memorabil., lib. IV.
  29. Τὸν μὲν ἥλιον, λίθον ϕησὶν εἶναι, τὴν δὲ σελήνην, γῆν. Solem quidem lapidem esse dicit, Lunam verò terram. Plato, in Apologiâ Socratis, pag. 21, A.
  30. Idem, ibid.
  31. Plutarch. de Superstit. pag. 169, E.
  32. Cyrillus, lib. VI, contra Julian.
  33. August. de Civitat. Dei, lib. XVIII, cap. XLI.
  34. Charpentier, Vie de Socrate, pag. 7.
  35. Plut. de Placit. Philosoph, lib. I, cap. III, pag. 876. Diogen. Laërtius, lib. II, num. 8.
  36. Lucret., lib. I, vs. 830.
  37. J’entends par-là la matière ou le Subjectum ex quo.
  38. Nec tamen esse ullâ parte idem in rebus inane

    Concedit, neque corporibus finem esse secundis.
    Lucret., lib. I, vers. 843.

  39. Dans la remarque (G).
  40. At neque recidere ad nihilum res posse, neque autem

    Crescere ex nihilo, testor res antè probatas.
    Lucret., lib. I, vs. 857.

  41. Plutarch. de Placit. Philosophor., lib. I, cap. III, pag. 876. Aristoteles, Physicor. lib. I, cap. IV, pag. 256.
  42. Plutarch. ibid.
  43. Je ne lui marquerai point celles de citation : il ne cite Plutarque qu’in Vitâ Nicias, (il fallait dire Niciæ ;) or il ne rapporte rien de ce que Plutarque dit là, et il y a d’autres Traités de Plutarque, qu’il était plus à propos de citer.
  44. Diogen. Laërt., lib. II, num. 6.
  45. Timon Phliasius in Sillis, apud Laërt., lib. II, num. 6.
  46. Harpocrat., voce Ἀναξαγόρας.
  47. Je rapporte les paroles de Plutarque dans la remarque (D), citation (62).
  48. Voyez ci-dessus les vers de Lucrèce, pag. 28, citation (36).
  49. Dans la remarque (K), citation (156).
  50. Theodoret., de Græc. Affect. Serm. II, pag. 489.
  51. Diogen. Laërt., lib. II, num. 9.
  52. Plutarch. de Placit. Philosophor., lib. II, cap. VIII, pag. 887.
  53. Diogen. Laërt., lib. II, num. 15.
  54. Idem, ibid., num. 8.
  55. C’est-à-dire, selon le sentiment d’Anaxagoras.
  56. M. Arnauld, dans ses Difficultés à M. Steyaert, VIe, Part. p. 122 et suiv. fait des remarques sur ces deux sens du mot tout.
  57. Diogen. Laërt. in Anaxagorâ, initio lib. II, num. 6.
  58. On les trouve aussi dans Plutarque, de Placitis philosophor., lib. I, cap. III, pag. 876, D.
  59. Arist. Metaphys., lib. I, cap. III, pag. 645, H.
  60. Idem, ibid., pag. 646. C.
  61. Idem, ibid.
  62. Plutarch. in Pericle, pag. 154, B.
  63. Vossius de Origine et Progressu Idololatriæ, lib. I, cap. I, pag. 5.
  64. Idem, ibid., cap. II, pag. 12.
  65. Dans la remarque (E).
  66. Arist. de Animâ, lib. I, cap. II, pag. 479, D. Voyez aussi le IVe. chapitre du IIIe. livre, pag. 503, G, où l’on trouve qu’Anaxagoras disait que l’Entendement devait être pur de tout mélange, afin d’être maître. Ἀμιγῆ εἶνα : ἵνα κράτῃ, τοῦτο δ᾽ ἐςὶν, ἵνα γνωρίζῃ. Non mistum esse, ut superet atque vincat, id est ut cognoscat.
  67. Aristotel., Metaphys., lib. I, cap. VII, pag. 651, E.
  68. Plutarch. de Placit. Philosophor., lib. I, cap. VII, pag. 881, A.
  69. Idem, ibid, cap. III, pag 876.
  70. Idem, ibid.
  71. Idem, ibid.
  72. Plutarch. de Placit. Philosophor., cap. VII, pag. 881, A.
  73. Plato, in Phædone, pag. 72.
  74. Tertullian., de Animâ.
  75. Clem. Alexandr. Stromat., lib. II, pag. 364.
  76. Euseb., de Præpar. Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 550.
  77. Themist. Orat. XV.
  78. Augustin. de Civitat. Dei, lib. VIII, cap. II.
  79. Je rapporte ses paroles ci-dessous, citation (115).
  80. Proclus, in Timæum Platonis.
  81. Simplic., in Aristotel. de Physicâ auscult.
  82. Cicero, de Nat. Deorum, lib. I, cap. XI.
  83. Il était le quatrième prédécesseur d’Anaxagoras.
  84. Cicero, de Nat. Deorum, lib. I, cap. X.
  85. Augustin., de Civitat. Dei, lib. VIII, cap. II, pag. 711.
  86. Lescalop. in Cicer. de Nat. Deorum, pag. 40.
  87. Voyez la LVIe. Lettre de saint Augustin, pag. 271, et suiv.
  88. Tertullian., de Animâ.
  89. Aristoteles, de Animâ, lib. I, cap. II, pag. 478, G.
  90. Idem, Metaphys., lib. I, cap. IV, pag. 646, H.
  91. Clem. Alexandr. Stromat., lib. II, pag. 364.
  92. Eusebii Præpar, Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 750.
  93. Voyez ce que je dirai sur cela dans la remarque (R).
  94. Plutarch., de Placit. Philosophor., lib. I, cap. ult., pag. 885. Voyez aussi le passage cité par M. Ménage in Diog. Laërt., lib. II, num. 6, et tiré d’un Livre attribué faussement à Galien : c’est ϕιλοσόϕου ἱςορία.
  95. Plutarch., de Amicitiâ fraternâ, init. pag. 478 : je me sers de la Version d’Amiot.
  96. Lucret., lib. IV, vs. 821, et seq.
  97. Irenæus, lib. II advers. Hæres., cap. XIX.
  98. Vossius, de Orig. et Progr. Idololat., lib. I, cap. I, pag. 5.
  99. Just. Martyr. Orat. ad Græcos, pag. 4.
  100. Voyez ci-dessus les citations 73-82.
  101. Cicero, Academ. Quæst., lib. II, cap. 37.
  102. Pererius, de communibus omnium rerum naturalium Principiis, lib. IV, cap. IV, pag. 206.
  103. Thomassin, Méthode d’étudier et d’enseigner la Philosophie, liv. I, chap. XIV, pag. 162, 163. Voyez aussi pag. 165.
  104. August., de Civit. Dei, lib. VIII, cap. II. Voyez aussi Cicéron, de Nat. Deorum, lib. I, où il dit, Anaximenes aëra Deum statuit, eumque gigni.
  105. Savoir Anaxagoras, et Diogène d’Apollonie.
  106. August., de Civitate Dei, lib. VIII, cap. II. Voyez aussi Cicéron, de Nat. Deor., lib. I, cap. X, où il dit, Quid ? aër quo Diogenes Apolloniates utitur Deo,
  107. Voyez Cicéron, Tuscul. V, vers le commencement ; et Virgile, Ecl. VI, vs. 31.
  108. C’est dans la métaphysique.
  109. Comme dans la Théogonie d’Hésiode, où il y a tant d’absurdités touchant les dieux et même, comme Lactance s’en plaint dans le chap. V du Ier. Livre de ses Institutions, le chaos y précède les Divinités.
  110. Arist. Metaphys., lib. III, cap. IV, pag. 662, B.
  111. Plato in Apologiâ Socratis, pag. 27, F.
  112. Lactant., lib. I, cap. V.
  113. Diog. Laërt., in Proœm. num. 4.
  114. Arist., de Animâ, lib. I, cap. II, pag. 479.
  115. Theodoretus, de Græc. Affect. Serm. II, pag. 489.
  116. Voyez le chapitre VII du Ier. livre de sa Métaphysique, et le chap. IV, du Ier. livre de sa Physique.
  117. Ci-dessus dans la remarque (C).
  118. Voyez Aristotel. Physic., lib. I, cap. IV, pag. 456.
  119. Lucret., lib. I, vs. 874.
  120. Aristotel. Physic., lib. I, cap. IV, pag. 256, G.
  121. Idem, Metaphys., lib. III, cap. V, pag. 671, C.
  122. Plato in Phædone, pag. 54.
  123. Idem, in Gorgiâ, pag. 317.
  124. Menag., in Laërtium, lib. II, pag. 73.
  125. Voyez Gassendi, Phys. Sect. I, lib. VII, cap. II.
  126. Method. apud Phot., Cod. CCXXXVI, pag. 943.
  127. C’est-à-dire un degré de petitesse au-dessous duquel l’animal, une fourmi, par exemple, ne pourrait pas être une fourmi.
  128. Nec Deus intersit, nisi dignus vindice nodus Inciderit. Hor. de Arte Poët. vs. 191.
  129. On n’entend point ici ce que les pères et les mères y contribuent : on entend, non pas la cause matérielle, mais la cause efficiente, qui organise le fœtus, et qui construit cette admirable machine.
  130. Hermias in Philosophor. Irrisione. Cet Ouvrage d’Hermias se trouve dans la Bibliothéque des Pères, et à la fin des Œuvres de Justin Martyr, édition de Paris, en 1636 ; et de Cologne, en 1686.
  131. Voyez ci-dessous, citation (195), un passage d’Aristote….
  132. Il avait fait un livre περὶ τῶν Ἀναξαγόρου, de Anaxagoræ Decretis. Voyez Diog. Laërt. in Theophr., lib. V, num. 42.
  133. Lactant., lib. III, cap. XXVIII, pag. 217.
  134. Voyez le Ier. chapitre de la Genèse.
  135. Diog. Laërt., lib. II, num. 10.
  136. C’est la ruine de la flotte des Athéniens par Lysander.
  137. Plutarch. in Lysandro, pag. 439. Je me sers de la Version d’Amiot.
  138. Plinius, lib. II, cap. LVIII.
  139. Ammian. Marcell., lib. XXII, cap. VIII, pag. 308. Tzetzes, chil. II, vs. 892.
  140. Diog. Laërce, liv. II, num. 10. Elien. de Animal., chap. VIII, et Suidas, font aussi mention de cela.
  141. Philostr. in Vitâ Apollonii, lib. I, cap. II. Je me sers de la Traduction de Vigenère.
  142. Artus Thomas Sr. d’Embri, Annotat. sur la Vie d’Apollonius, tom. I, pag. 91.
  143. Voyez ses paroles ci-dessus, citation (138).
  144. Photius, Biblioth. Cod. CCXLI, pag. 1017.
  145. André Schottus,
  146. Sotion, in Successionibus Philosophorum, apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  147. Satyrus in Vitis, apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  148. Hermippus in Vitis, apud Diog. Laërt. lib. II, num. 13.
  149. Hieronymus, in sec. lib. Commentar. varior. apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  150. Dans la remarque (M) de l’article de Périclès, vers le milieu.
  151. Cléon, ou Thucydide. Voyez Plutarque dans la Vie de Périclès, pag. 170, et 155.
  152. Voyez Josephe, liv. II, contre Appion, p. 1079, F. ; saint Cyrille, liv. VI, contre Julien.
  153. Vossius de Orig. et Progres. Idololatr., lib. I, cap. I, pag. 5.
  154. Euseb. Præpar. Evangel., lib. XIV, cap. XIV, pag. 750, C.
  155. Justinus Martyr, Apolog. I, pag. 48.
  156. Lucianus, in Timone, pag. 65, tom. I Operum.
  157. Vossius, de Philosoph. Sectis, pag. 27.
  158. Lambert. Barlæus, in Luciani Timon. pag. 62.
  159. Id., ibid.
  160. Id., ibid., pag. 63.
  161. Vossius, de Origine et Progressu Idolol., lib. I, cap. I, pag. 5.
  162. Diog. Laërtius, lib. II, num. 10.
  163. Menag., in Diog. Laërt., pag. 77 col. 2.
  164. C’est-à-dire, contre ses juges.
  165. Diog. Laërtius, lib. II, num. 13.
  166. Idem, ibid.
  167. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. III, cap. 24.
  168. Valer. Maximus, lib. V, in fine.
  169. Plutarchi Consol. ad Apollon., pag. 118 ; de cohib. Irâ, pag. 463, de Tranq. Animi, pag. 474. M. Ménage, in Laert., lib. II, num. 13, cite comme deux Traités de Plutarque celui de cohibendâ Irâ, et περὶ ἀοργησίας.
  170. Simplic., in Epicteti Enchirid., cap. XXII.
  171. Ælianus, Var. Hist., lib. III, cap. II.
  172. Plut., de Consol. ad Apoll. pag. 118. Ælian., Var. Hist., lib. III, cap. II. Stobæus, Serm. CVI.
  173. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. I, cap. 43.
  174. Diog. Laërt., lib. II, num. 11.
  175. Valer. Maxim., lib. VII, cap. II, num. 9, in Extern., pag. 604.
  176. Diog. Laërtius, lib. II, num. 15.
  177. Baillet, Vie de Descartes, tom. II, pag. 443.
  178. Æliani Var. Hist., lib. VIII, cap. XIX.
  179. Kuhnius in hunc locum Æliani.
  180. Arist. Rhetoric., lib. II, cap. XXIII, pag. 445.
  181. Aug. Epist. XVI, pag. 272.
  182. Communi hominum opinioni de fato quantùm potuit reluctatus est. Naudæus, de Fato et Vitæ Termino, pag. 20.
  183. Idem, ibid.
  184. Diog. Laërtius, lib. II, num. 11.
  185. Diog. Laërtius, lib. VIII, num. 83. Voyez ci-dessus la citation (a) de l’article Alcméon de Crotone.
  186. Clem. Alexand. Stromat., lib. II, pag. 308.
  187. Ci-dessus, citation (85).
  188. Suidas in Ἑκαταῖος.
  189. Aristot. Metaphys., lib. I, cap. III. Voyez là-dessus le Commentaire de Fonseca, pag. 218.
  190. Plato, in Phædone, pag. 72, et seq.
  191. ̔Ως ἄρα νοῦς ἐςὶν ὁ διακοσμῶν τε καὶ πάντων αἴτιος. Mentem omnia exornare, omniumque causam esse. Plato, in Phædone, pag. 72.
  192. Ὁρῶ ἄνδρα τῶ μὲν νῷ οὐδὲν χρώμενον, οὐδέ τινας αἰτίας ἐπαιτιώμενον εἰς τὸ διακοσμεῖν τὰ πράγματα, ἀέρας δὲ καὶ αἰθέρας καὶ ὕδατα αἰτιώμενον καὶ ἄλλα πολλὰ καὶ ἄτοπα. Hominem video mente nusquàm uti, ornatusque rerum causas afferre nullas. Sed aëreas naturas et æthereas aqueasque et talia multa absurda pro rerum causis assignare. Plato, in Phæd., pag. 73, D.
  193. Πολλὴ ἂν καὶ μακρὰ ῥαθυμία εἴη τοῦ λόγου. Negligens admodùm ac supina futura est hæc ejus oratio. Plato, in Phædone, pag. 74, A.
  194. Dans la remarque (E), citation (91).
  195. Τῶν ἄγαν γὰρ ἅπτεται θεὸς, τὰ μικρὰ δ᾽ εἰς τύχην ἀνεὶς ἐᾷ, κατὰ τὸν Εὐριπίδην. Summa procurat modò Deus, inque fortunam minora rejicit, ut ait Euripides. Plutarch. in Reipublicæ gerend. Præceptis, pag. 811, D.
  196. Dans la remarque (E), citation (94) pag. 37.
  197. Ci-dessus, pag. 36, citation (90).
  198. Aristoteles, Metaphys., lib. I, cap. IV, pag. 646, G.
  199. Idem, ibid., cap. VII, pag. 651, C.
  200. Voyez les Discours Anatomiques de Guillaume Lami, médecin de Paris.
  201. Plato, in Phædone, pag. 72, et c.
  202. Xénophon, Choses mémorables de Socrate, liv. IV, pag. 384 et suiv. Je me sers de le traduction de Charpentier.
  203. Xénophon, Ἀπομν., liv. IV, p. 474.
  204. Aristoteles, Metaphys., lib. I, cap. II, pag. 644, E.
  205. C’est ainsi que Bessarion traduit περιττούς. Argyropyle traduit, qui hæc superflua quærunt. Voyez Fonseca sur cet endroit d’Aristote, pag. 130.
  206. Servius in Virgil. Eclog. VI, vs. 31.
  207. C’est-à-dire, Thalès.
  208. Sidon. Apollin. Carm. XV, vs. 81, pag. 151, 152.

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