Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amyraut


◄  Amyot
Index alphabétique — A
Amyrutzes  ►
Index par tome


AMYRAUT (Moïse) ministre et professeur en théologie à Saumur, a été un des plus illustres théologiens[* 1] qu’on ait vus en France dans le XVIIe. siècle. Il était d’une bonne et ancienne famille, originaire d’Orléans (A), et il naquit à Bourgueil, petite ville de Touraine, au mois de septembre 1596. Ayant fait son cours de philosophie, il fut envoyé à Poitiers, pour y étudier en droit : il s’appliqua à cette science, avec tant d’assiduité, qu’il y employait 14 heures chaque jour. Il prit ses licences au bout d’un an[a] ; mais il en demeura là. M. Bouchereau, son compatriote, et ministre de Saumur, lui conseilla d’étudier en théologie : la lecture de l’Institution de Calvin lui donna un grand goût pour ce conseil. Ainsi ayant témoigné à son père, qui avait ses vues en le destinant au barreau (B), qu’il souhaitait passionnément d’être ministre, il obtint, quoique avec peine, le consentement qu’il demandait. Il alla étudier à Saumur, sous Cameron, qui l’aima et qui l’estima d’une façon particulière, et il fut assez long-temps proposant. Lorsqu’il fut reçu ministre, on le donna à l’église de Saint-Aignan, au pays du Maine, où ayant demeuré dix-huit mois, il fut appelé à Saumur, pour y succéder à M. Daillé, qui sortait de ce poste, afin d’aller être ministre de Charenton [b]. En même temps que l’église de Saumur le souhaita pour ministre, le conseil académique jeta les yeux sur lui pour la profession en théologie. C’est pour cela que l’église de Rouen, et celle de Tours, qui le demandèrent en même temps au synode, ne l’obtinrent pas ; car les synodes nationaux avaient réglé que les intérêts des académies seraient préférés à ceux des églises. Sa réception au professorat en 1633, l’examen qui la précéda, et la thèse inaugurale de Sacerdotio Christi, lui attirèrent beaucoup d’applaudissemens. On reçut avec lui deux autres excellens professeurs, Louis Cappel, et Josué de la Place : si bien que l’on donna tout à la fois à l’académie de Saumur les trois personnes qui étaient les plus capables de la rendre florissante ; puisque, outre leur grand savoir, il y avait entre eux une sympathie merveilleuse qui a produit une concorde pleine d’édification et de bonheur, et d’autant plus digne de louange, qu’elle est une rareté fort difficile à trouver en pays académique. M. Amyraut fut député au synode national de Charenton, l’an 1631. Cette compagnie le députa pour aller haranguer le roi, et pour présenter à sa majesté le cahier des plaintes concernant les infractions des édits. On le chargea en particulier de faire en sorte qu’il ne parlât point à genoux (C), comme avaient fait les députés du dernier synode national ; et il ménagea cette affaire avec tant d’adresse et de fermeté, qu’il fut enfin admis à l’audience selon l’ancien usage, et selon le désir de la compagnie [c]. Cette députation le fit connaître au cardinal de Richelieu, qui s’étonna de lui trouver tant de qualités qui ne sentaient point son homme d’étude. Quelque temps après il publia un écrit, où il expliqua le mystère de la prédestination et de la grâce, selon les hypothèses de Cameron (D). Cet écrit excita une espèce de guerre civile parmi les théologiens protestans de France (E). Ceux qui n’étaient point dans ces hypothéses crièrent à la nouveauté, et surtout lorsqu’ils virent le grand du Moulin en campagne, qui ne cessait d’accuser M. Amyraut de contravention au synode de Dordrecht, et de favoriser l’arminianisme. L’autorité de ce célèbre théologien, qui s’était acquis dans son parti la vénération des peuples par quantité de livres de controverse, fit une telle impression sur plusieurs ministres, qu’encore que M. Amyraut eût publié un écrit[d], où il soutenait que Calvin avait enseigné la grâce universelle, on vit au synode national d’Alençon[e] un bon nombre de députés chargés d’instructions contre M. Amyraut ; et il y en eut de si ardens, qu’ils ne parlaient que de déposer (F). Les députés des provinces de delà la Loire furent ceux qui témoignèrent le plus de chaleur. Néanmoins la compagnie, ayant ouï en plusieurs séances M. Amyrautt qui exposa son sentiment, et qui satisfit aux difficultés qui lui étaient proposées, le renvoya avec honneur à l’exercice de sa charge, et imposa sur ces questions un silence qui ne fut pas trop bien gardé. On[f] porta plainte au synode national de Charenton, en 1645, contre M. Amyraut, comme ayant contrevenu aux règlemens qui concernaient ce silence ; et il se plaignit à son tour de quelques contraventions faites contre les mêmes règlemens. La compagnie ensevelit par une sainte amnistie toutes ces plaintes réciproques, renouvela les règlemens du silence, renvoya M. Amyraut avec honneur à l’exercice de sa charge, et lui permit de faire contre les étrangers qui l’attaqueraient ce que le synode d’Anjou trouverait bon. Ce synode lui permit de publier une réponse aux trois volumes de M. Spanheim sur la grâce universelle (G) ; ce qui fut la source de quantité d’autres livres[g]. Pendant le synode national de l’année 1645, M. Amyraut fut prié par la compagnie d’entrer en conférence avec M. de la Milletière, afin de tâcher de le ramener. La conférence dura plusieurs jours ; mais ils ne s’accordèrent pas mieux en disputant de vive voix, que dans les livres qu’ils avaient déjà publiés l’un contre l’autre. La doctrine de M. de la Place sur le péché originel fut attaquée dans ce synode. M. Amyraut, en ayant été averti, se présenta à la compagnie, pour plaider la cause de son collègue, et montra par un long discours, que le sentiment dont on se plaignait n’avait rien de dangereux. Cette action ne fut pas seulement louée, à cause de l’habileté avec laquelle la doctrine de M. de la Place fut soutenue ; mais aussi, à cause que M. Amyraut n’avait en vue que l’intérêt de son collègue : car son sentiment là-dessus n’était point celui de M. de la Place. Si j’ajoute que M. Cappel ne suivait pas la route ordinaire des protestans sur l’antiquité des points de l’Écriture hébraïque, j’aurai dit tous les chefs de plainte que l’on faisait contre l’académie de Saumur ; mais ces plaintes n’empêchaient pas que l’on n’y vit un grand concours de proposans, qui diminua à vue d’œil après la mort de ces illustres professeurs[h]. M. Amyraut survécut à ses deux collègues, et a eu le temps de publier un très-grand nombre de livres (H). Il avait autant de facilité pour la plume que pour la langue : et c’est beaucoup dire ; car il avait un flux de bouche merveilleux, tant en latin qu’en français, tant pour les leçons de théologie que pour les sermons. Il savait le monde, et il pouvait fournir en conversations cent sortes de choses qui étaient hors de son métier : et c’est sans doute ce qui contribua autant ou plus que la réputation de sa science au bonheur qu’il eut toute sa vie d’être considéré et honoré des grands seigneurs de contraire religion. J’ai déjà dit que le cardinal de Richelieu eut de l’estime pour lui : je n’ajoute point qu’il lui fit parler de son grand dessein de réunir les églises (I) ; car ce ne serait pas une preuve de considération assez distinguée, ce cardinal ayant sondé là-dessus plusieurs ministres, qui étaient bien inférieurs à celui-ci. Le maréchal de Brezé (K) et le maréchal de la Meilleraie (L) doivent être mis au nombre des grands seigneurs qui firent un cas tout particulier de notre Amyraut. M. le Goux de la Berchère (M), premier président au parlement de Bourgogne, et les intendans de la province d’Anjou (N), sont de ce nombre ; et nous y pouvons même joindre des évêques et des archevêques (O), et par-dessus tous le cardinal Mazarin (P), dont les honnêtetés pour ce professeur furent extraordinaires. Il y a beaucoup d’apparence qu’il trouva grâce auprès de ce cardinal, entre autres raisons, parce qu’il se déclara hautement pour la doctrine de l’obéissance des sujets. Il le fit utilement pour la cour de France, pendant les désordres de la Fronde, où la fortune du cardinal Mazarin fut si ballottée ; et, en plusieurs autres occasions, il témoigna que c’était son dogme favori (Q), jusqu’à s’en quereller avec un ministre de la Rochelle[i] : mais cela n’empêcha point, qu’en ce qui regardait la conscience il n’exhortât à désobéir (R). Il n’est pas besoin de dire en quelle considération il était chez les grands seigneurs protestans : cela s’entend assez de soi-même. Il fut brouillé avec un ministre de Saumur, nommé M. d’Huisseau, et il n’eut pas toute la satisfaction qu’il attendait de cette affaire au synode national de Loudun[j]. On a cru que la gloire dont il jouissait lui avait été contraire en cette rencontre ; comme s’il eût été un grand arbre, qui faisait ombre aux petits, et qu’il fallait abaisser. Outre que les parens de ceux qui s’étaient déclarés chefs de parti contre le dogme de la grâce universelle favorisèrent son ennemi le plus qu’ils purent. Il aurait apparemment été de la table dans ce synode (S), où il assista de la part de sa province, si l’on ne l’eut cru personnellement intéressé aux affaires que M. d’Huisseau avait avec l’église de Saumur. Il mourut fort chrétiennement le huitième jour de janvier 1664[k], et fut enterré selon toutes les cérémonies académiques. Il eut pendant sa dernière maladie une grande liberté d’esprit, qui lui donna lieu de tenir plusieurs discours très-édifians, et de donner de beaux témoignages de sa foi en présence d’un bon nombre de personnes de différente religion. Entre ses autres vertus, on doit remarquer sa charité pour les pauvres. Il leur donna les gages de son ministère pendant les dix dernières années de sa vie. Il donnait l’aumône sans distinction de catholiques et de réformés : les religieux mendians qui allaient à la quête chez lui ne s’en retournaient jamais à vide, et il commanda à M. Hervart[l] les récollets de Saumur, lorsqu’ils recoururent à l’épargne, pour faire rebâtir leur cloitre qui avait été brûlé. Ils le remercièrent du bon effet de sa recommandation. Il ne laissa qu’un fils, qui a été un fort habile avocat au parlement de Paris, et qui s’est réfugié à la Haie depuis la révocation de l’édit de Nantes. Il avait eu une fille, qui mourut en 1645, dix-huit mois après avoir été mariée [m]. La douleur où cette perte plongea sa femme fut cause qu’il composa un Traité de l’état des Fidèles après la Mort, et qu’il le lui dédia. On l’imprima l’année suivante. On ne sera pas fâché de voir le distique que M. du Bosc écrivit de sa propre main au bas de l’estampe de M. Amyraut :

A Mose ad Mosem par Mosi non fuit nullus :
More, ore, et calamo, mirus uterque fuit[n].


Ce fut quelques années après la mort de ce professeur, que l’on grava son portrait par les soins de monsieur son fils[o].

On trouve quelques particularités touchant M. Amyraut dans un ouvrage intitulé Mélange critique de littérature, recueilli des conversations de feu M. Ancillon [p] : on y voit, entre autres choses, que c’est de lui qu’il faut entendre un passage d’une lettre de Balzac[q], où l’auteur d’une apologie est bien loué. On y voit aussi que Patin l’estimait beaucoup ; mais prenez garde que ce qu’il y a de désobligeant dans la lettre de Patin ne concerne pas le ministre de Saumur. Je parlerai de cela dans une remarque, et de quelque autre petite méprise (T).

  1. * Leclerc trouve cet article trop flatteur ; il reproche à Bayle la source où il a puisé, et dont, dit-il, il devait se défier. Voyez la note (p) sur le texte.
  1. En 1616.
  2. La Vie de M. Daillé nous apprend qu’il fut appelé à Paris l’an 1626
  3. La Harangue qu’il fit au roi est insérée dans le Mercure français de l’an 1631.
  4. Intitulé, Échantillon de la Doctrine de Calvin.
  5. L’an 1637.
  6. Blondel, Actes authentiq., pag. 36.
  7. Là même, pag. 40, 41.
  8. Ils sont les auteurs de ce qu’on appelle Thèses Salmurieuses, ouvrage très-estimé.
  9. Philippe Vincent.
  10. En 1659.
  11. Konig dans sa Bibliothéque, et Witte dans son Diarium, mettent mal sa mort en 1665.
  12. Il était alors contrôleur des finances.
  13. À Bernard de Haumont qui fut depuis avocat du roi à Saumur.
  14. C’est une allusion à ce que les Juifs ont dit à la louange de Moses Manmonides, fameux rabbin.
  15. Tiré des Mémoires communiqués par M. Amyraut le fils. Tout ce dont on ne donnera point de preuves publiques dans les remarques de cet article, est tiré de ces Mémoires.
  16. Imprimé à Bâle, l’an 1698.
  17. La première à M. Conrart.

(A) Il était d’une bonne et ancienne famille, originaire d’Orléans. ] Étienne l’Amyrault[* 1], son bisaïeul, était échevin d’Orléans lorsqu’on y réforma la coutume, en 1509. Le procès verbal de la coutume en fait foi. On prétend que le chef de la famille est un l’Amyrault, dont le tombeau est de l’année 1370, et se voit dans l’église de Saint-Pierre-en-Pont. Il était venu d’Hagenaw, ville d’Alsace, capitaine d’une compagnie de reîtres, à ce que porte son épitaphe. Cette famille est bienfaitrice du couvent et de l’église des Minimes d’Orléans, et, en cette qualité, ses armes se trouvent dans les vitreaux de l’église. Je remarquerai, par occasion, qu’un Anglais de la communion romaine a très-mal latinisé le nom d’Amyraut, puisqu’au lieu d’Amyraldus il a dit Amurath. Cette faute serait petite si, par une froide et basse allusion, il ne l’avait accompagnée d’un doute fort ridicule. Moses quidam Amurath, dit-il[1], minister salmuriensis, homo saltem nomine (nescio an et progenie) judæoturca. Dans les pages suivantes il l’appelle Amyrath.

Ces paroles du père Bartolocci sont fort surprenantes : Moses Amyraldus, dit-il[2], videtur Judæus conversus ad fidem, scripsitque eruditissimam et catholicam Dissertationem de Mysterio Trinitatis, deque Vocibus, ac Phrasibus, quibus tam in Scripturâ, quàm apud Patres, explicatur. Pars IV, quæ est de Primordiis Revelationis Mysterii Trinitatis in Veteri Testamento, habetur in Libro Wagenseilii inscripto, Tela ignea Satanæ, pag. 140. Voilà comment les auteurs les plus illustres sont inconnus quelquefois les uns aux autres. Le père Bartolocci, n’ayant connu M. Amyraut que par une pièce adoptive de M. Wagenseil, l’a pris bonnement pour un ex-juif.

(B) Son père avait ses vues en le destinant au barreau. ] Il le destinait à remplir la charge de sénéchal, occupée par son oncle, qui n’avait point d’enfans.

(C) On le chargea de faire en sorte de ne parler point à genoux. ] M. Amyraut fut celui qui représenta au synode l’état de cette question, et il promit en même temps de faire toutes les instances possibles, en cas que la compagnie lui donnât des instructions là-dessus. Il fut donc chargé de demander le rétablissement du privilége dont les ministres avaient joui, de parler debout à sa majesté, comme font les ecclésiastiques du royaume. Il partit, accompagné de deux anciens, pour Monceaux, où était la cour ; et s’étant adressé à M. de la Vrillière, secrétaire d’état, il apprit que le roi n’entendait point que les députés du synode lui parlassent autrement que ceux du synode précédent. Comme il y avait toujours un commissaire de la part du roi dans nos synodes, celui qui assistait alors au synode national de Charenton, avait fait savoir au roi ce que l’on avait chargé les députés de demander ; et la cour ayant trouvé à propos de ne pas accorder cette demande, M. de la Vrillière eut ordre de le déclarer aux députés. M. Amyraut lui représenta fort adroitement, et fort respectueusement tout ensemble, les raisons de la compagnie, et il se passa plus de quinze jours sans que de part ni d’autre on relâchât quelque chose. Le cardinal de Richelieu, informé de la vigueur de ce ministre, voulut conférer avec lui sur ce sujet, et tâcha de l’induire à n’insister pas davantage. On répondit, et on répliqua sur tout ce que cette éminence put alléguer de plus plausible ; et enfin, l’audience fut accordée sur le pied que M. Amyraut la demandait. Le cardinal s’entretint avec lui diverses fois touchant le cahier des plaintes, et goûta extrêmement l’esprit et les manières de ce ministre.

(D) Il publia un écrit, où il expliqua les mystères de la prédestination et de la grâce, selon les hypothèses de Cameron. ] Un catholique romain de qualité fut l’occasion de cet écrit. Il avait dîné à Bourgueil, avec M. Amyraut, chez M. l’évêque de Chartres, de qui ce ministre était fort connu[3]. Après le repas, il fit tomber la conversation sur une matière de controverse : il accusa les protestans d’enseigner des choses tout-à-fait dures sur la prédestination. M. Amyraut prit la parole, et il se noua entre lui et M. l’évêque de Chartres une espèce de dispute, mais douce et honnête, sur cette question épineuse. Le soir étant venu, on se sépara : le lendemain, M. Amyraut, s’en retournant à Saumur, passa chez l’homme de qualité[4], comme il le lui avait promis, et lui trouva de bons sentimens pour la religion protestante, avec divers scrupules sur le dogme de la prédestination, tel que Calvin l’a expliqué. Il lui leva tous ces scrupules le mieux qu’il lui fut possible, et acquiesçant à la prière que lui fit ce gentilhomme de composer un traité où la chose fût beaucoup mieux approfondie que dans une simple conversation, il écrivit et publia[5] le livre dont je parle. Voilà ce que portent mes mémoires manuscrits. M. Amyraut ne débite point ce sujet de son ouvrage, mais un autre assez différent[6].

(E) Son écrit excita une espèce de guerre civile parmi les théologiens protestans de France. ] Cette dispute a été assez considérable pour devoir faire un bon morceau des Annales ecclésiastiques des protestans. Celui qui a publié en anglais un histoire très-curieuse de nos synodes de France [7] peut nous instruire des différens que le dogme de la grâce universelle y a excités. Ce serait médire, je pense, bien cruellement de ceux qui ont les premiers remué cette question, que de soutenir qu’ils n’auraient pas laissé de le faire, encore qu’ils eussent prévu tous les maux qui en devaient résulter : car où est l’utilité et le cui bono de ces disputes ? ne reste-t-il plus de difficultés, pourvu qu’on se serve de l’hypothèse de Cameron ? N’est-il pas vrai, au contraire, que jamais remède ne fut aussi palliatif que celui-là ? On a bien besoin d’autre chose, pour contenter la raison ; et si vous n’allez pas plus loin, autant vaut-il ne bouger de votre place : tenez-vous en repos dans le particularisme. Mais je veux que l’universalisme ait quelque avantage, et qu’il réponde mieux à certaines objections. Cela est-il capable de balancer tant de crimes spirituels, que les factions traînent après elles, tant de mauvais soupçons, tant de sinistres interprétations, tant de fausses imputations, tant de haines, tant d’injures, tant de libelles, tant d’autres désordres, qui viennent en foule à la suite d’un tel conflit théologique ? Si vous croyez que le particularisme damne les gens, vous faites bien de le réfuter quoi qu’il en coûte. Je dis la même chose à ceux qui prendraient l’universalisme pour une hérésie mortelle : mais puisque de part ni d’autre vous ne croyez pas réfuter une opinion pernicieuse, ne disputez qu’autant que vous le pouvez faire sans troubler le repos public, et taisez-vous dès que l’événement vous montre que vous divisez les familles, ou qu’il se forme deux partis. N’achevez pas de réveiller mille mauvaises passions, qu’il faut tenir enchaînées comme autant de bêtes féroces ; et malheur à vous, si vous êtes cause qu’elles brisent leurs fers. Grâce à Dieu, la guerre civile de la grâce universelle, et quelques autres encore, n’ont pas été dignes (il s’en faut beaucoup) de l’application que j’ai ouï faire de quelques vers aux disputes schismatiques. On comparait les préparatifs et les troupes auxiliaires des deux chefs à cette décoration de théâtre :

Aigles, vautours, serpens, griffons,
Hippocentaures et Typhons,
Des taureaux furieux dont la gueule béante
Eût transi de frayeur le grand cheval d’Atalante,
Un char que des dragons étincelans d’éclairs
Promenaient en sifflant par le vide des airs,
Démogorgon encore, à la triste figure,
Et l’Horreur et la Mort, s’y voyaient en peinture[8].


M. Amyraut eut la joie de se réconcilier avec ses plus ardens adversaires, et il ne fallut pas que les grands du monde se mêlassent toujours de la pacification. M. le prince de Tarente s’en était mêlé en 1649 : je ne sais pas si les parties lui donnèrent plus de peine que n’en donnent aux maréchaux de France les différens qui relèvent de leur ressort ; mais, quoi qu’il en soit, il vint à bout de son entreprise, et mieux peut-être que n’aurait fait un synode[9]. Pour ce qui est de la réconciliation avec M. du Moulin, ce fut M. de Langle, ministre de Rouen, qui la procura. Dès qu’il en eut fait la proposition, M. Amyraut y donna les mains avec joie, et offrit toutes les avances. Il écrivit une lettre le premier, et M. du Moulin lui répondit fort honnêtement. On publia ces lettres pour l’édification de l’Église. Elles sont datées de l’an 1655. M. Duaillé a inséré la réponse de M. du Moulin dans l’un de ses livres[10]. La raison et la charité nous portent à croire que ceux qui avaient tant crié, et tant excité de tempêtes contre un dogme qu’ils ont reconnu enfin innocent, et dont enfin le défenseur leur a paru un fidèle serviteur de Dieu, ne sont point morts sans s’être couverts de confusion, pour le moins au pied du trône de la Majesté divine, à la vue de cette prévention mortifiante, qui leur avait montré comme un dogme affreux une hypothèse où il n’y a nul venin. Voyez ce qui suit.

(F) Il y eut au synode d’Alençon des députés si ardens contre son hypothèse, qu’ils ne parlaient que de déposer. ] S’ils ont vécu encore trente ou quarante ans, je ne vois pas de quelle manière ils osaient regarder le monde ; car enfin, cette doctrine, qu’ils jugeaient digne des anathèmes les plus foudroyans, se trouva être celle des plus grands hommes qui servissent les églises réformées de France. Ce fut celle de M. Mestrezat, celle de M. le Faucheur, celle de M. Blondel, celle de M. Daillé, celle de M. Claude, celle de M. du Bosc. Il fallut que les particularistes reconnussent bientôt pour leurs frères, et pour de fidèles ministres de Jésus-Christ, les partisans de la grâce universelle ; et l’on a vu que les ministres réfugiés, qui ont signé un formulaire au synode de Rotterdam en l’année 1686, n’ont point été soumis à quelque déclaration qui donnât la moindre atteinte au système de M. Amyraut[11]. D’où venaient donc les vacarmes que l’on fit au commencement contre ce système ? D’où vint que la même doctrine passa d’abord pour un monstre, et puis pour une chose innocente ? Ne faut-il pas reconnaître là le doigt du péché originel, et l’influence de mille passions ténébreuses, qui doivent enfin produire, si l’on est du nombre des prédestinés, une salutaire et mortifiante humiliation ? Le pis est qu’on ne profite pas du passé : chaque génération fournit les mêmes symptômes, tantôt plus grands, tantôt plus petits ; car on peut bien dire très-souvent, lorsque l’on voit en campagne les factums, les dénonciations, les apologistes, les thèses,

Jamque faces et saxa volant[12],


et que les livres coup sur coup volent en foule de lieu en lieu : laissez-les faire : ils s’accorderont bien, et à peu de frais :

Hi motus animorum, atque hæc certamina tanta,
Pulveris exigui jactu compressa quiescent[13].


Mais on ne peut pas le dire toujours. Les choses sont quelquefois poussées à l’extrémité : Res in nervum erumpit.

(G) Le synode d’Anjou lui permit de publier une réponse aux trois volumes de M. Spanheim sur la Grâce universelle. ] Elle est intitulée Specimen Animadversionum in Exercitationes de Gratiâ universali, et fut imprimée à Saumur en 1648, in-4°. Il n’est pas vrai, comme on l’assure dans le Mélange critique, tome I, page 129, que M. Amyraut ait attaqué M. Spanheim, ni que son volume soit contre les thèses de M. Spanheim. Il est contre les trois volumes de celui-ci, qui fut l’agresseur. Voyez les Lettres de Sarrau, pages 83, 95, 108, édition d’Utrecht, en 1697.

(H) Il a publié un très-grand nombre de livres. ] Il publia en 1631 son Traité des Religions. Cinq ans après, il publia six sermons sur la nature, l’étendue, etc. de l’Évangile. Il en a publié plusieurs autres, en divers temps. Son livre de l’Élévation de la Foi et l’Abaissement de la raison, parut en 1641. La Défense de Calvin sur la doctrine de la réprobation absolue parut en latin la même année : et l’an 1644 en français. Il commença ses Paraphrases sur l’Écriture en 1644 : l’Épître aux Romains fut paraphrasée la première ; il continua par les autres épîtres, et finit par les Évangiles : mais il eut la même sagesse que Calvin, de ne toucher pas à l’Apocalypse. De peur que son nom n’empêchât les catholiques romains de lire ses paraphrases, il ne l’y mit pas. Il publia, en 1647, une Apologie pour ceux de la religion, un Traité du franc Arbitre, et un autre de Secessione ab Ecclesiâ Romanâ, deque Pace inter Evangelicos in negotio Religionis constituendâ. Il traita depuis plus amplement cette matière de la réunion des calvinistes et des luthériens, dans l’Irenicon qu’il fit imprimer l’an 1662. Son livre de la Vocation des pasteurs, parut en 1640. Il avait prêché sur cette matière devant M. le prince de Tarente, pendant la tenue d’un synode provincial dont il fut modérateur. Ce prince souhaita que ce sermon fût imprimé, et que la matière fût traitée plus amplement ; car c’était un grand lieu commun entre les mains des missionnaires. C’est pourquoi M. Amyraut ne se contenta pas de faire imprimer son sermon, il publia aussi un Traité complet sur cette importante controverse, et dédia le tout à M. le prince de Tarente. Sa Morale Chrétienne, en six volumes in-8°., dont le premier fut imprimé l’an 1652, est le fruit des conversations qu’il avait souvent avec M. de Villarnoul, seigneur d’un mérite extraordinaire, et l’un des plus savans gentilshommes de l’Europe, héritier, en cela aussi, de son aïeul maternel, M. du Plessis-Mornai. Il y a peu de matières sur quoi M. Amyraut n’ait écrit. Il a publié un Traité des Songes ; deux volumes sur le règne de mille ans, où il réfute un avocat de Paris, nommé M. de Launai, qui était un grand chiliaste[14] ; la Vie du brave la Noue, surnommé Bras-de-fer ; et plusieurs autres ouvrages, dont je ne parle pas, ou dont je parle dans le reste de cet article. Il monta même sur le Parnasse ; car il fit un poëme intitulé l’Apologie de saint Étienne à ses juges. On attaqua cet ouvrage du côté qui donnait le moins à craindre à certains égards, puisque ce ne furent point les poëtes qui s’élevèrent contre, et que ce furent les missionnaires. On prétendit que l’auteur avait parlé du Saint-Sacrement de l’autel avec la dernière irrévérence ; mais il publia un Écrit pour sa justification, duquel je ne puis rien dire de plus à propos que ce que M. Daillé en a dit. Écoutons-le donc : « Quant à l’Apologie de saint Étienne à ses juges, que vous[15] employez ensuite pour nous convaincre d’avoir maltraité votre sacrement, si vous, et ceux qui s’en sont si fort offensés, aviez daigné lire la lettre que l’auteur a fait imprimer pour se justifier, vous et eux n’en auriez pas cette mauvaise opinion, et peut-être même que vous vous étonneriez de l’illusion que les préjugés de votre passion ont causée dans votre esprit, lui faisant prendre, comme dites, contre votre transsubstantiation, des choses qui n’avaient été écrites que contre les extravagances de l’idolâtrie des païens[16]. »

(I) Le cardinal de Richelieu lui fit parler de son grand dessein de réunir les deux Églises. ] Le jésuite qui s’entretint là-dessus avec M. Amyraut s’appelait le père Audebert[* 2]. M. de Villeneuve, qui était alors lieutenant de roi à Saumur, les ayant fait dîner ensemble, et cela, avec tant de complaisance pour le ministre, qu’il lui donna le haut bout sur le jésuite, et qu’il n’y eut point pour le coup de Benedicite à sa table, fit en sorte que l’après-dînée ils se pussent entretenir en particulier. Il est vrai que M. Amyraut déclara qu’il ne pourrait s’empêcher de communiquer à ses collègues tout ce qui se passerait. Le jésuite débuta par avouer que le roi et son éminence l’envoyaient faire des propositions d’accommodement sur le fait de la religion ; et puis, étant entré en matière, il fit entendre qu’on sacrifierait au bien de la paix l’invocation des créatures, le purgatoire et le mérite des œuvres ; qu’on limiterait le pouvoir du pape, et que, si la cour de Rome refusait d’y consentir, on en prendrait occasion de créer un patriarche ; qu’on donnerait la coupe aux laïques, et qu’on pourrait même se relâcher sur d’autres choses, si l’on remarquait dans les protestans un véritable désir de paix et de réunion. Mais il déclara, lorsque M. Amyraut le mit sur les dogmes de l’eucharistie, qu’on ne prétendait pas y rien changer ; sur quoi l’autre lui répondit, qu’il n’y avait donc rien à faire. Leur conversation dura environ quatre heures. Le jésuite voulut exiger le secret. M. Amyraut lui protesta que, selon la déclaration qu’il en avait faite d’abord à M. de Villeneuve, il communiquerait à ses collègues l’entretien qu’ils venaient d’avoir ; mais, qu’il lui répondait de leur discrétion. Dès le soir même, il leur rendit compte de la conférence, et il ne fit point scrupule d’en parler dans l’occasion, après que le cardinal de Richelieu et le père Audebert furent morts.

(K) Il fut très-estimé du maréchal de Brezé. ] Il était gouverneur de Saumur, et il n’y allait jamais sans envoyer prier M. Amyraut de le venir voir. Il le priait même fort souvent d’aller à son château de Milly, où il demeurait ordinairement ; et lorsqu’il reçut la nouvelle de la mort du duc de Fronsac son fils, amiral de France, il voulut avoir toujours auprès de lui M. Amyraut. Il en reçut plusieurs visites durant sa dernière maladie, et il se recommanda même à ses prières, et voulut que l’on priât Dieu pour lui dans le temple de Saumur. Il mourut dans le château de Milly, en 1650.

(L) Du maréchal de la Meilleraie. ] Du temps qu’il était de la religion, il avait étudié à Saumur avec M. Amyraut. Il s’était toujours souvenu de cette ancienne connaissance, et, dès le lendemain de son arrivée à Saumur, lorsque la cour y était en 1652, il envoya faire un compliment à ce ministre, qui ne manqua pas de lui aller faire la révérence tout aussitôt, et d’en être reçu comme à l’ordinaire, avec mille marques de considération. Ce maréchal ayant appris la dernière maladie de M. Amyraut, le fit visiter par un gentilhomme, et lui témoigna que si sa goutte lui eût permis de supporter le carrosse, il serait venu le voir. Il était alors à son château de Montreuil-Bellai, à quatre lieues de Saumur.

(M) De M. le Goux de la Berchère. ] Il fut relégué à Saumur, l’an 1637, et il y demeura jusqu’en 1644. Comme il avait beaucoup de mérite et beaucoup d’érudition, il aimait les gens de lettres, de quelque religion qu’ils fussent. Il voulut d’abord connaître M. Amyraut, et il le trouva si digne de son amitié, qu’il se forma entre eux une grande liaison. Ils se voyaient ordinairement deux fois la semaine ; ainsi l’on ne doit pas s’étonner que le ministre ait pu fournir des mémoires pour la Vie du président. Il n’est pas besoin de dire ici que M. de la Berchère mourut premier président au parlement de Grenoble, et que M. son frère lui succéda ; mais il est bon de dire que ce dernier, voulant faire écrire la vie de l’autre, pria M. Amyraut de lui communiquer des mémoires touchant ce qui s’était passé entre eux de particulier. M. Amyraut lui envoya, entre autres choses, le récit de la conférence qu’il avait eue avec le père Audebert ; car dès que le bruit se fut répandu dans Saumur qu’il s’était entretenu secrètement avec ce jésuite, M. de la Berchère voulut savoir de lui-même ce qui en était. M. Amyraut lui en récita une bonne partie, en lui recommandant le silence. Cet endroit de ses Mémoires n’a pas été employé dans la vie de M. de la Berchère, qui a été donnée au public. Il dédia, en 1648, son livre des Droits du mariage à cet illustre magistrat, qui était alors premier président de Grenoble.

(N) Des intendans de la province d’Anjou. ] Il ne manquait jamais de les aller saluer, et ils lui rendaient tous sa visite, et lui marquaient une grande considération. Lorsqu’en 1658 il alla prendre les eaux de Bourbon il reçut mille honnêtetés à Bourges, de M. Mandat, intendant de la province. Il ne tint qu’à lui d’aller loger chez cet intendant, qui l’en pria, et chez qui il dîna avec l’archidiacre de Bourges, et avec quelques autres ecclésiastiques.

(O) Des évêques et des archevêques. ] Voyez ce qui a été dit ci-dessus [17] concernant M. l’évêque de Chartres. J’ajoute ici, qu’en l’année 1662 M. l’archevêque de Paris, Hardouïn de Péréfixe, étant allé à Saumur pour un vœu que la reine mère avait fait à Notre-Dame des Ardilliers[18]. fit dire à M. Amyraut, qu’il serait bien aise de le voir. M. Amyraut fut trés-disposé à lui rendre une visite : mais il fit entendre qu’il ne lui donnerait point le titre de monseigneur. L’archevêque y ayant donné les mains, reçut deux visites de ce ministre, s’entretint avec lui près de deux heures chaque fois, et le traita fort civilement. On parla entre autres choses des livres de M. Daillé, dont le prélat dit beaucoup de bien par rapport à l’érudition.

(P) Et par-dessus tous le cardinal Mazarin. ] Il arriva à Saumur, en 1652, quelques jours après que le roi et la reine mère y furent arrivés : et comme il apprit qu’à la table de la reine on avait parlé amplement d’un sermon du sieur Amyraut, il pria le comte de Comminges de témoigner à ce ministre qu’il serait bien aise de le connaître. Ce comte était gouverneur de Saumur, et avait beaucoup d’amitié pour M. Amyraut : il lui avait promis que ceux de la religion pourraient s’assembler à l’ordinaire le dimanche, quoique le roi fût dans la ville ; mais il lui déclara en même temps qu’il fallait qu’ils interrompissent leurs assemblées les trois premiers jours après l’arrivée du roi. On tint ce qui avait été promis. M. Amyraut prêcha le dimanche sur ces paroles, Craignez Dieu, honorez le roi, et fut ouï de beaucoup de personnes de la cour, qui en furent très-satisfaites, et qui parlèrent de son sermon avec éloge, non-seulement au roi, dès qu’ils furent sortis du temple, mais aussi le soir pendant le souper de la reine. Ce fut alors que le cardinal Mazarin ouït parler de ce sermon, et qu’il apprit de la bouche de M. de Comminges le zèle que M. Amyraut, et tous ceux de la religion de ces quartiers-là, avaient témoigné pour le service du roi dans les derniers troubles. L’envie qu’eut le cardinal de voir ce ministre fut si grande, qu’il la lui fit témoigner dès le lendemain matin par le juge de la prévôté : de sorte que M. de Comminges, ayant vu qu’il n’avait pas été le premier porteur de la nouvelle, dit à M. Amyraut en riant : Je vois bien, monsieur, qu’au premier jour nous aurons besoin de votre intercession auprès de son Éminence : ce qui vous prouvera l’utilité de l’invocation des saints. La première visite fut assez courte ; mais on pria M. Amyraut de revenir le lendemain à huit heures. Le cardinal lui fit toute sorte d’honnêtetés ; il le fit asseoir auprès du feu, il lui parla d’affaires d’état, il lui étala tous les efforts que l’on faisait en Xaintonge pour entraîner ceux de la religion au parti des princes, et le pria de travailler à rendre inutile toute cette machination. M. Amyraut l’assura qu’il n’y avait rien à craindre de la part des protestans de France, et qu’il écrirait à plusieurs ministres de Xaintonge, afin que le synode qu’ils devaient tenir bientôt témoignât authentiquement sa fidélité. La chose fut exécutée. Deux jours après cette audience, le cardinal, sous prétexte de voir le collége de ceux de la religion, et la bibliothéque de M. du Plessis-Mornai, eut un autre tête-à-tête avec M. Amyraut, dans le cabinet de ce dernier. Ils parlèrent de l’édit de Nantes, et sur ce que M. Amyraut, interrogé si Henri IV avait été dans l’obligation de le donner, avait répondu que oui ; mais que, quand même c’aurait été une grâce au commencement, l’observation en serait aujourd’hui une chose nécessaire, le cardinal lui dit qu’il avait raison, et lui cita cette maxime du droit : Quod initio fuit voluntatis, ex post-facto fit necessitatis. On sera peut-être bien aise de voir ici ce que M. de Guitaut [19] dit à madame de la Trimouille, en présence de la reine : Son Éminence est chez le ministre Amyrault : ce sont deux ecclésiastiques ensemble ; mais je suis sûr qu’ils ne parleront point de religion ; son Éminence n’y trouverait pas son compte. Pendant les cinq semaines que le roi fut à Saumur, M. Amyraut fit plusieurs visites au cardinal, et en fut toujours bien reçu ; et lorsqu’il prit congé de son Éminence, elle lui dit de lui écrire directement toutes les fois qu’il aurait à demander quelque chose, soit pour le parti en général, soit pour ses intérêts particuliers. Il ne se servit d’une telle permission qu’après le voyage qu’il fit à Paris, sur la fin de l’année 1658. Il vit trois ou quatre fois son Éminence, qui lui fit beaucoup de civilités. Il lui parla du synode national, dont on demandait la convocation depuis tant d’années. Le cardinal répondit que les raisons qui avaient empêche de l’accorder subsistaient encore, et voulut que M. Amyraut lui en écrivît. On se donna l’honneur de lui en écrire deux fois : il répondit de sa propre main ; et depuis, toutes les fois qu’il lui fit réponse, il se servit à la vérité de la main d’un secrétaire, mais il signa proprio pugno.

(Q) Il témoigna en diverses occasions que l’obéissance des sujets était son dogme favori. ] Dans l’Apologie qu’il publia pour ceux de la religion, l’an 1647, il excuse le mieux qu’il peut leurs guerres civiles de France ; mais il déclare néanmoins, qu’il ne veut nullement entreprendre la défense de la prise des armes contre son prince, pour quelque cause que ce puisse être... : et qu’il a toujours cru qu’il convient beaucoup mieux à la nature de l’Évangile, et à la pratique de l’Église ancienne, de n’avoir recours à autres armes qu’à la patience, aux larmes et aux prières... [20]. Et à toutes les fois, dit-il [21], que je repasse les yeux de l’esprit sur l’histoire de nos pères, je ne puis que je ne regrette très-sensiblement qu’ils n’ayent couronné tant d’autres belles vertus, dont il nous ont laissé les exemples, de l’imitation des premiers chrétiens, en cette invincible patience qu’ils montrèrent sous les persécutions des empereurs. Un écrit latin[22], qu’il publia deux ans après, fait voir comment il soutint cette cause contre les plaintes d’un ministre de la Rochelle, qui aurait bien mieux fait de ne se pas reconnaître au livre de M. Amyraut, que de s’en formaliser. Le livre De la Souveraineté des rois, publié en 1650, à l’occasion de la mort tragique de Charles Ier., roi d’Angleterre, témoigne encore avec plus de force les sentimens de notre M. Amyraut, sur la prise d’armes des sujets contre leurs princes. Il n’y avait pas moyen de se taire, car on ne cessait d’imputer cette tragédie au parti presbytérien, et d’en tirer mille conséquences odieuses contre les protestans de France. M. Amyraut ne crut pas devoir laisser sans réponse l’injustice de ces reproches. Pendant les troubles de la dernière minorité, ce ministre inspira toujours aux peuples, par ses prédications, le parti de l’obéissance ; et lorsqu’on le consulta sur la manière dont on se devait conduire, il répondit qu’il n’y avait pas d’autre parti à prendre que de se tenir au gros de l’arbre. Apparemment, les personnes qui le consultèrent y allaient de bonne foi, et ne pénétraient pas l’artifice perpétuel qui règne dans ces sortes de confusions. Les rebelles ne manquent jamais de soutenir qu’ils ne veulent que remédier aux abus, et chasser d’auprès du maître les mauvais conseillers qui l’environnent. Il faut être bien simple pour donner dans ce panneau, et pour avoir besoin de consulter son directeur de conscience. La distinction du pape et du saint siége n’est pas un sophisme si grossier. Enfin M. Amyraut déchargea pleinement son cœur dans l’épître dédicatoire de sa Paraphrase latine des Psaumes. C’est là qu’il soutient et qu’il établit que, par les véritables principes du christianisme, les sujets ne doivent point prendre les armes contre leurs souverains. Il se déclara hautement pour ce qu’on nomme l’obéissance passive. Cet ouvrage fut dédié au roi d’Angleterre Charles II, peu après que ce prince fut remonté sur le trône. L’auteur avait fait connaissance, à Paris, avec un chapelain de ce même prince, l’an 1658. Deux ans après, il lui témoigna sa joie du rétablissement du roi, et le félicita de l’évêché de Durham. On lui fit réponse que le roi le remerciait. C’est ce qui encouragea M. Amyraut à lui dédier sa Paraphrase des Psaumes ; mais il ne le fit qu’après avoir su de l’évêque de Durham que ce monarque en serait bien aise.

(R) En ce qui regardait la conscience, il exhortait à désobéir. ] Cela parut lorsque le sénéchal de Saumur lui communiqua un arrêt du conseil d’état, qui ordonnait à ceux de la religion de tendre devant leurs maisons le jour de la Fête-Dieu. Il le lui communiqua la veille de cette fête, et le pria de donner ordre qu’on s’y conformât, de peur que la désobéissance ne fît soulever le peuple contre ceux de la religion. M. Amyraut lui répondit qu’au contraire il s’en allait exhorter ses ouailles à ne point tendre, et qu’il serait le premier à ne tendre point ; qu’il avait toujours prêché qu’il faut obéir aux puissances supérieures, mais qu’il n’avait jamais entendu cela à l’égard de semblables choses, qui intéressent la conscience. En sortant du logis du sénéchal, il alla de maison en maison exhorter ses paroissiens à tout souffrir plutôt que d’exécuter cet arrêt. Le sénéchal le fit publier à son de trompe : le consistoire s’assembla, remercia M. Amyraut de sa conduite, et chargea les anciens de tenir la main à ce que personne ne tendit. Le lieutenant de roi refusa de prêter main forte au sénéchal, et empêcha le tumulte qui commençait à se former. L’arrêt fut révoqué quelque temps après.

(S) Dans le synode de Loudun, il aurait été de la table, etc. ] Si tous ceux qui liront ce livre étaient des Français de la religion, cette remarque serait superflue ; mais elle ne le sera pas à l’égard des autres lecteurs. Il y avait ordinairement dans nos synodes de France quatre personnes qui formaient ce qu’on appelait la table. L’une de ces quatre personnes était le président de la compagnie (on l’appelait le modérateur) ; les trois autres étaient l’adjoint au modérateur, le secrétaire, et celui qui recueillait les actes.

(T) Je parlerai... dans une remarque et de quelque autre petite méprise. ] Patin, dans sa Lettre CXIII de la première édition, dit[23] qu’il y avoit en 1663 un médecin de Niort, nommé M. Lussand, qui vouloit faire imprimer une Apologie pour les Médecins, contre ceux qui les accusent de trop déférer à la nature : il dit que ce médecin entendoit parler et avoit principalement en veue M. Amyraut, ministre de Saumur, qui en a ainsi parlé dans le dernier tome de sa Morale Chrestienne..… Il témoigne[24] n’être pas fort content de M. Amyraut dans cette occasion ; car voici ce qu’il ajoute : « Si M. Amyraut daigne se donner la peine de répondre à ce livre, il est homme à dire là-dessus de belles choses, que Lussand ne sait point, et qui ne sont point dans son livre. Je luy en ay suggéré quelques-unes, dit-il, et entre autres, de beaux passages et de bonnes authoritez ; mais il n’en a pas fait cas. » Cela l’avoit apparemment fâché ; car voicy comme il parle ensuite : « Aussi est-il dans une province qui n’est pas loin du pays d’Adieu-Sias, où on est ordinairement plus glorieux que scavant, etc. » Je ne copie point toute la suite de ce passage, que M. Ancillon a rapportée, et qui est fort désobligeante ; mais j’avertis mes lecteurs que la personne si mal traitée par Patin, est le médecin de Niort, et non pas le théologien dont je donne ici l’article. Je les avertis aussi, que le Traité des Religions contre ceux qui les estiment indifférentes, n’est pas le seul livre de M. Amyraut dont il se soit fait deux éditions[25] : je suis bien certain que l’Apologie pour les protestans a été mise sous la presse plus d’une fois ; que le Traité de la Prédestination, imprimé en 1634, fut réimprimé à Saumur, l’an 1658, avec l’échantillon de la doctrine de Calvin, et avec la réplique à M. de la Milletière sur son offre d’une conférence amiable pour l’examen de ses moyens de réunion ; que ces deux derniers traités avaient paru l’an 1638, et que le libraire qui les réimprima en 1658, avec le Traité de la Prédestination, déclare[26], qu’il redonne ces trois livres au public, parce que l’on ne les trouvait plus. Je suis aussi qu’on réimprima onze Sermons d’Amyraut sur divers textes de l’Écriture, l’an 1653 ; que la Vie de la Noue a été réimprimée à Leide ; que les thèses de ce professeur et celles de ses collègues, ont été réimprimées à Genève ; et que son Traité de l’état des fidèles après la mort a été imprimé à Londres en anglais, et à Utrecht en flamand.

  1. * Leclerc remarque que la différence des deux noms aurait dû frapper Bayle, et indiquait assez qu’Étienne l’Amyrault n’était pas bisaïeul de Moyse Amyraut.
  2. * Leclerc prétend que cette conférence prétendue n’a pas même de vraisemblance. L’abbé Renaudot ayant qualifié de fausseté ce projet de réunion, Bayle (dans le n°. XXVII de sa Suite des Réflexions sur le prétendu Jugement du public. pag. 748 du tom. iv des œuvres diverses, 1727-1731), se couvre du Mémoire, qu’il a cité, d’Amyraut fils.
  1. Dans ses Notes sur quelques Extraits des Harangues d’Édouard Dering. Cela fut imprimé à Londres, l’an 1659, avec une Pièce intitulée, Nuncius à mortuis, qui est un Dialogue supposé entre l’âme de Henri VIII et celle de Charles Ier.
  2. Bartolocci Bibliotheca Rabbin, part. IV, pag. 66.
  3. Il était de la maison d’Étampes-Valençai, et fut depuis archevêque de Reims.
  4. Au Plessis-Rideau.
  5. En 1634.
  6. Præfat. Speciminis Animadvers. de Gratiâ Universali.
  7. Joannes Quick, ministre à Londres : son livre, intitulé Synodicon in Galliâ reformatâ, a été imprimé en 1692, in-folio.
  8. Voyez la Vie d’Eschyle de M. Le Fèvre.
  9. Il accorda, dans le château de Thouars, le 16 d’octobre 1649. M. Amyraut avec M. de Champvernou, ministre de Taillebourg, et avec M. Vincent, ministre de la Rochelle. Voyez les Actes authentiques de David Blondel, pag. 85. Ce M. de Champvernou s’appelait Guillaume Rivet, et était frère d’André Rivet, professeur en théologie à Leide.
  10. Vindiciæ Apologiæ, etc., pag. 418.
  11. Voyez la remarque (M) de l’article Daillé.
  12. Virgil. Æn., lib. I, vs. 150.
  13. Virgil. Georg., lib. IV, vs. 86
  14. Voyez M. Ancillon, aux pag. 129, 130 du premier tome de son Mélange critique de Littérature.
  15. Il s’adresse au père Adam.
  16. Daillé, Réplique aux deux livres d’Adam et de Cottiby, IIe. part., chap. XVII, p. 108.
  17. Dans la remarque (D).
  18. Elle est dans l’église des pères de l’Oratoire, au bout d’un faubourg de Saumur.
  19. Il était capitaine des gardes de la reine, oncle de M. de Comminges.
  20. Apologie pour ceux de la Religion, p. 75.
  21. Pag. 76.
  22. Intitulé, Adversùs Epistolæ Historicæ Criminationes Mosis Amyraldi Defensio.
  23. Mélange Critique de Littérature, tom. I, pag. 133, 134.
  24. Patin, Lettre CXIV de la première édition.
  25. On l’affirme dans le Mélange Critique, pag. 132. La 1re. est de 1631, et la 2e. de 1652.
  26. Dans l’Epître dédicatoire aux étudians en théologie.

◄  Amyot
Amyrutzes  ►