Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ammonius 2


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AMMONIUS, surnomme Saccas (A), a été l’un des plus célèbres philosophes de son temps. Il florissait vers le commencement du troisième siècle. Il était d’Alexandrie ; et ayant sucé avec le lait la foi chrétienne, il y persévéra jusqu’à la fin, comme ses ouvrages le témoignaient. Eusèbe, rapportant cela, accuse Porphyre d’une fausseté évidente [a], pour avoir dit qu’Ammonius abandonna le christianisme au quel on l’avait élevé, et passa dans la religion publique dès que l’âge lui permit de philosopher (B). Ce grand philosophe donna un merveilleux éclat à l’école d’Alexandrie, et mit sur un pied honorable la science dont il faisait profession. Il la trouva misérablement dépravée par les vaines subtilités des disputeurs. On a vu dans le christianisme ce qu’ils sont capable faire ; on l’a vu, dis-je, par les controverses des thomistes et des scotistes, des réaux et des nominaux. Ils faisaient tous profession de suivre Aristote, et néanmoins ils multiplièrent les disputes à l’infini. Quelle idée ne doit-on pas donc se former des disputes qui régnaient anciennement, lorsque les philosophes, partagés en plusieurs sectes sous différens chefs, condamnaient les uns Platon, et les autres Aristote, etc. ? C’était un chaos de chicaneries qui déshonorait la profession. Le véritable moyen de réhabiliter cette science était de bannir les disputes inutiles et de s’attacher aux dogmes en quoi Platon et son disciple s’étaient accordés. C’étaient sans doute les doctrines les plus certaines, et par conséquent les plus importantes. Voilà pourquoi Ammonius se fit un devoir capital de concilier ces deux chefs de secte (C), et d’éclaircir le malentendu sur lequel on bâtissait leurs prétendues oppositions ; et l’on ne saurait dire la gloire qu’il s’acquit par cette manière de philosopher. On lui donna l’éloge d’un inspiré, d’un homme enseigné de Dieu (D), d’un homme qu’un instinct céleste avait mis dans cette route. M. Moréri et bien d’autres ont ignoré le fondement de cette louange (E). On ne s’est pas moins trompé lorsqu’on a dit qu’Ammonius enseignait à ses disciples les mystères de l’Évangile sous le sceau du secret (F). Il y a des gens qui ont confondu ses ouvrages de théologie avec ceux de quelques autres auteurs (G) ; mais enfin on a su rendre à chacun le sien. Il eut, entre autres disciples, Plotin et Origène. Il mourut environ l’an 230[b]. Je crois qu’on le doit distinguer du péripatéticien Ammonius (H) qui était, selon Philostrate, le plus savant homme de son siècle, et celui qui avait le plus de lecture.

J’ai trouvé une grosse faute dans l’un des commentateurs de Boëce. Il impute à notre Ammonius d’avoir été le principal corrupteur de la doctrine de Platon sur l’éternité du monde (I). Rien n’est plus faux que cela.

  1. Euseb., Hist. Eccles., lib. VI. cap. XIX.
  2. Selon Cave, Histor. Litterar., p. 72.

(A) Ammonius, surnommé Saccas. ] Ammien Marcellin[1] et Suidas[2] témoignent qu’il avait ce surnom. On croit assez communément que de son premier métier il était porteur de sacs, et l’on se fonde sur le même Suidas. Voici les paroles du docte Henri de Valois : Saccas videtur ex eo dictus Ammonius, quod mercibus ex portu Alexandrino comportandis victum sibi quæsivisset, cujusmodi homines saccarios antiqui vocabant, ut videre est in codice Th. tit. de Saccariis portûs urbis Romæ. Suidas, Πλωτῖος, inquit, μαθητὴς Ἀμμωνίου τοῦ πρῶην γενομένου σακκοϕόρου[3].

(B) Porphyre dit faussement qu’Ammonius abandonna le christianisme... dès qu’il fut en âge de philosopher. ] Voyons les paroles originales : Ὅ τε τοῦ ϕρονεῖν καὶ τῆς ϕιλοσοϕίας ἥψατο, εὐθὺς πρὸς τὴν κατὰ νόμους πολιτείαν μετεϐάλετο[4]. Simul atque per ætater sapere potuit, et philosophiæ limen attingere, statìm ad vivendi rationem legibus consentientem descivit. Porphyre, en disant cela, était animé de l’esprit dont j’ai fait mention dans la remarque (E) de l’article d’Abulpharage.

(C) Il se fit un devoir de concilier Platon et Aristote. ] Nous apprenons cela d’Hiéroclés, auteur d’un ouvrage sur la Providence, dont on trouve des extraits dans la Bibliothéque de Photius. Il n’y avait, selon cet auteur, que des gens dominés par l’envie de contredire, par la manie de disputer, ou par la force des préjugés et par les ténèbres de leur esprit, qui trouvassent de la discorde entre les dogmes de Platon et ceux d’Aristote : Τοὺς μὲν ἑκόντας ἔριδι καὶ ἀπονοίᾳ σϕᾶς αὐτοὺς προσαναθέντας, τοὺς δὲ καὶ προλήψει καὶ ἀμαθίᾳ δεδουλωμένους[5]. Alios suâ sponte contendendi studio atque vesaniæ sese addicentes, alios præoccupatâ opinione atque imperitiâ subactos. De ces deux sortes de disputeurs, la première avait été fort nombreuse avant que les lumières d’Ammonius vinssent éclairer le monde : Ammonii aliquandò sapientia orbi illuxit, quem etiam divinitùs edoctum appellari prædicat. Hunc enim veterum philosophorum opinionibus perpurgatis, et resectis quæ utrimque excreverant nugis, in præcipuis quibusque et maximè necessariis dogmatibus concordem esse Platonis et Aristotelis sententiam demonstrâsse[6].

(D) On lui donna l’éloge d’un inspiré, d’un homme enseigne de Dieu. ] Nous venons de rapporter un passage d’Hiéroclés où se trouvent ces paroles : ὅν καὶ θεοδίδακτον ἐπικαλεῖσθαι ὑμνεῖ, quem etiam divinitùs edoctum appellari prædicat. En voici un autre où ce même auteur raconte que les disciples de Platon et ceux d’Aristote se plaisaient tellement à immortaliser leurs querelles, qu’ils corrompaient le texte de ces deux chefs de parti, afin de montrer plus facilement que l’un était opposé à l’autre. Ce désordre dura, poursuit-il, jusqu’au temps d’Ammonius, le disciple du grand Dieu ; car, enlevé par enthousiasme vers la vérité philosophique, il pénétra le fond des deux sectes, et les accorda ensemble, et donna à ses auditeurs un système de philosophie affranchi des brouilleries de la dispute : Ἕως Ἀμμωνίου τοῦ θεοδιδάκτου· οὗτος γὰρ πρῶτος ἐνθουσιάσας πρὸς τὸ τῆς ϕιλοσοϕίας ἀληθινὸν, καὶ τὰς τῶν πολλῶν δόξας ὑπεριδὼν, τὰς πλεῖςον ὄνειδος ϕιλοσοϕία προστριϐομένας, εἷδε καλῶς τὰ ἑκατέρου, καὶ συνήγαγεν εἰς ἕνα καὶ τὸν αὐτὸν νοῦν καὶ ἀςασίαςον τὴν ϕιλοσοϕίαν παραδέδωκε πᾶσι τοῖς αὐτοῦ γνωρίμοις, μάλιςα δε τοῖς ἀρίςοις τῶν αὐτῷ συγγεγονότων Πλωτίνῳ καὶ Ὠριγένει καὶ τοῖς ἕξῆς ἀπὸ τούτων[7]. Usque ad divinitùs edoctum Ammonium. Hic enim primus æstu quodam raptus ad philosophiæ veritatem, multorumque opiniones, qui magnum dedecus philosophiæ attulerunt, contemnens, utramque sectam probè calluit, et in concordiam adduxit, et à contentionibus liberam philosophiam tradidit omnibus suis auditoribus, et maximè doctissimis æqualibus suis Plotino et Origeni et successoribus.

(E) Moréri et bien d’autres ont ignoré le fondement de cette louange. ] Ammonius, selon M. Moréri, « s’attacha plus particulièrement à la divine philosophie de Jésus-Christ. Il y acquit en effet une telle estime, qu’on le regarda comme un homme qui avait été particulièrement instruit de Dieu, et on lui donna pour cette raison le nom de Théodidacte. » Il se trompe : je ne veux point contester à Ammonius son savoir théologique : il en aura tant qu’on voudra ; mais sûrement ce n’est point par cet endroit qu’il acquit l’éloge de Théodidacte. Il l’acquit par ses leçons de philosophie, qui ne parlaient que de Platon et d’Aristote, et nullement de Jésus-Christ et de l’Évangile. Ses auditeurs étaient partagés ; les uns professaient le paganisme, les autres le christianisme : il fallait donc qu’il laissât à part les matières de religion, et principalement celles de piété. Hiéroclès, qui était un philosophe païen, aurait-il parlé comme il a fait si la science de l’Évangile avait procuré à Ammonius l’éloge dont il s’agit ? Je croirais sans peine qu’Ammonius ne passait point pour chrétien parmi les païens, et que c’est la raison qui a mu Porphyre à débiter qu’Ammonius était sorti du christianisme dès qu’il avait pu manier la philosophie. Il était connu pour chrétien parmi ses frères, et il témoigna sa foi par des écrits qui apparemment ne furent guère connus aux païens. Plotin se serait-il attaché pendant si long-temps à la discipline d’Ammonius, s’il l’eût cru ennemi de la religion dominante ? Les chrétiens n’étaient pas encore si considérés.

(F) On s’est trompé en disant qu’il enseignait à ses disciples les mystères de l’Évangile sous le sceau du secret. ] J’ai été étonné de trouver ici le père Labbe en flagrant délit. Idem Porphyrius, dit-il[8], in Vitâ Plotini, Platonicæ sectæ philosophi, narrat Ammonium religionis christianæ arcana discipulis suis sub silentii religione communicâsse, et Herennium, Origenem, atque Plotinum obstrinxisse ; cùmque Herennius primus eam fregisset, nec Origenem nec Plotinum promissis stetisse. Il y a là deux très-grandes fautes : premièrement, il n’est pas vrai qu’Ammonius ait fait jurer ses disciples qu’ils ne communiqueraient à personne ce qu’ils apprendraient de lui. En second lieu, il est faux que Porphyre parle d’autre chose que des dogmes de philosophie. Tout ce qu’il dit se peut réduire à ceci. Érennius, Origène et Plotin étaient convenus de ne point rendre publiques les choses qu’ils avaient ouï dire à Ammonius, et qui leur avaient paru d’un travail exquis et d’un raffinement singulier. Plotin garda sa parole ; mais Érennius, n’ayant pas gardé la sienne, fut bientôt imité par Origène. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que cet Origène n’est pas celui qui a tant écrit et tant allégorisé l’Écriture ; mais, comme la plupart de mes lecteurs seront hors d’état d’avoir un Plotin à consulter, je rapporte ici ses propres paroles : Ἐρεννίῳ δὲ καὶ Ὠριγένει καὶ Πλωτίνῳ συνθηκῶν γεγονυιῶν μηδὴν ἐκκαλύπτειν τῶν Ἀμμωνίου δογμάτων ἃ δή ἐν ταῖς ἀκροάσεσιν αὐτοῖς ἀνεκεκάθαρτο, ἔμενε καὶ ὁ Πλωτῖνος, συνὼν μέν τισι τῶν προσιόντων· τηρῶν δε ἀνέκπυςα τὰ παρὰ τοῦ Ἀμμωνίου δόγματα. Ἐρεννίου δε πρώτου τὰς συνθηκὰς παραϐάντος, Ὠριγένης μὲν ἠκολούθει τῷ ϕθάσαντι Ἐρεννίῳ [9]. Cùm verò Érennius et Origenes et Plotinus olim inter se constituissent ne Ammonii dogmata ederent, quæ audita ab eo tanquam in primis purgata præcipuè comprobaverant ; Plotinus quidem stetit promissis, familiariter quidem nonnullos excipiens salutantes, instituta verò Ammonii secreta integraque conservans. Erennius autem primus pacta dissolvit, et Origenes anticipantem Erennium est deindè sequutus. Autre sujet d’étonnement : les deux fautes du père Labbe se trouvent dans Luc d’Holstein [10].

(G) On a confondu ses ouvrages de théologie avec ceux de quelques autres auteurs. ] Saint Jérôme met Ammonius au nombre des écrivains ecclésiastiques, et lui attribue, entre autres ouvrages, l’invention des canons évangéliques [11]. Il ajoute qu’Eusèbe s’est servi de ce modèle en faisant un pareil ouvrage. Si cela était vrai, Eusèbe serait un grand fourbe, puisque, dans une lettre[12] où il explique la nature et les usages de ses dix canons sur la concorde des Évangiles, il assure qu’il les a inventés à l’occasion d’un ouvrage d’Ammonius. Cet ouvrage est intitulé Monotessaron, ou Diatessaron. Voici comment il diffère des canons évangéliques. Ces canons ne sont que des indices des endroits des Évangiles qui sont contenus dans un, deux, trois ou quatre évangélistes, au lieu que l’Harmonie ou La Concorde d’Ammonius (c’est la même chose que le Diatessaron, ou Monotessaron) contenait le texte entier des quatre évangélistes dont Eusèbe s’était servi pour faire ses canons, qui se rapportaient à cette Concorde, et qui en étaient comme la table[13]. C’est donc une faute que de dire, comme fait M. Moréri, que les Canons Évangéliques et l’Harmonie de l’Évangile sont la même chose. Victor, évêque de Capoue ; Zacharie, évêque de Chrysople ; Trithème, et plusieurs modernes, s’appuyant sur l’autorité de saint Jérôme, et ne faisant aucune attention à la lettre d’Eusèbe que j’ai citée, font Ammonius l’inventeur des Canons Évangéliques. Voici une autre confusion. Il y a dans la Bibliothéque des Pères deux Harmonies des quatre Évangiles. L’une fut attribuée à Tatien par Victor, évêque de Capoue, qui, vers l’an 545, la traduisit en latin [14], et y joignit une préface[15]. De là est venu que l’autre Harmonie a été donnée à Ammonius. Mais on a fait tout le contraire de ce qu’il fallait. L’Harmonie, que l’évêque de Capoue a donnée à Tatien ne peut pas être de cet auteur, puisqu’elle contient toutes les généalogies de Jésus-Christ que les évangélistes ont rapportées ; au lieu que Tatien avait ôté de son Harmonie tous les passages des Évangiles qui prouvent que Jésus-Christ est issu de David[16]. D’autre côté, l’Harmonie qu’on attribue à Ammonius est mutilée de ces passages[17]. Sixte de Sienne, George Éderus et plusieurs autres, ont suivi l’erreur de Victor. Mais il y a plus de cinq cents ans que Zacharie, évêque de Chrysople, a fait voir qu’Ammonius est l’auteur de cette Harmonie[18]. Baronius a suivi ce sentiment. Remarquons bien une chose dont le père Oudin nous avertit, c’est que l’Harmonie, qui est sous le nom d’Ammonius dans la Bibliothéque des Pères, imprimée l’an 1575, laquelle Harmonie a été traduite en latin par Ottomarus Luscinius, n’est ni d’Ammonius, ni de Tatien[19]. On a perdu l’ouvrage d’Ammonius de Consensu Mosis et Jesu. Si l’on s’en rapporte à Henri de Valois, on a aussi perdu tous les autres : Hujus Ammonii, quod sciam, hodiè nihil exstat, dit-il dans son Commentaire sur le dernier chapitre du XXIIe. livre d’Ammien Marcellin. Se souvenait-il de l’Harmonie des Évangiles, insérée dans la Bibliothéque des Pères, ou croyait-il qu’elle n’est pas d’Ammonius ? Hadrien de Valois, n’ayant point fait de remarque sur cela dans la seconde édition, a fait assez connaître sa conformité avec son frère.

(H) Je crois qu’on le doit distinguer du péripatéticien Ammonius. ] Un fort savant homme ne penche pas à l’en distinguer. Hic esse videtur, dit-il [20], Ammonius peripateticus philosophus, quem πολυγραμματώτατον fuisse sæculi sui testatur Philostratus in Sophistæ Hippodromi Vitâ, quo qui plura legisset neminem se vidisse. Mais, s’il avait pris garde aux paroles de Longin, rapportées dans la Vie de Plotin, il n’aurait pas balancé à distinguer ces deux philosophes l’un de l’autre. Longin remarque qu’il y a eu des philosophes qui ont composé des livres ; mais qu’il y en a eu d’autres qui n’ont instruit que de vive voix. Il en nomme quelques-uns de chacune de ces deux espèces ; les uns sont platoniciens, les autres sont stoïciens ou péripatéticiens, il met dans la seconde classe Ammonius et Origène, et il les donne pour des sectateurs de Platon. Il dit qu’il les a connus, et qu’ils ont surpassé en intelligence tous les philosophes de leur siècle : ῟Οις ἡμεῖς τὸ πλεῖον τοῦ χρόνου πρόσεϕοιτήσαμεν, ἀνδράσιν οὐκ ὀλίγῳ τῶν καθ᾽ ἑαυτοὺς εἰς σύνεσιν διενεγκοῦσι [21]. Quibuscum nos diù versati sumus, viris profectò intervallo non parvo sui sæculi philosophos intelligentiâ superantibus. Après cela il nomme quelques stoïciens qui ont été aussi de cette seconde classe de philosophes : je veux dire de ceux qui n’ont point écrit ou qui ont peu écrit. Enfin il nomme deux péripatéticiens de la même classe, qui sont Ammonius et Ptolomée. Il dit qu’en matière de philologie ils ont surpassé tous les savans de leur siècle : il dit cela principalement d’Ammonius : Ἀμμώνιος καὶ Πτολεμαῖος ϕιλολογώτατοι μεν τῶν καθ᾽ ἐαυτοὺς ἄμϕω γενόμενοι, καὶ μάλιςα ὁ Ἀμμώνιος· οὐ γάρ ἐςιν ὅςις ἐκείνῳ γέγονεν εἰς πολυμαθείαν παραπλήσιος[22]. Ammonius atque Ptolemæus, disciplinarum ambo profectò maximè omnium suo tempore pleni, præsertim Ammonius : nullus enim ad disciplinarum illius copiam propè accessisse videtur. Voilà donc l’Ammonius dont Philostrate a parlé ; il est donc très-différent de celui qui philosophait à Alexandrie, et qui a été le maître de Plotin et d’Origène. Nous apprenons dans la lettre de Longin que ces péripatéticiens si savans n’ont écrit que des poëmes et des harangues. Ce grand critique suppose qu’ils n’avaient point prétendu que ces ouvrages fussent conservés ; car, s’ils avaient eu ce dessein, dit-il, ils auraient écrit avec plus d’exactitude.

(I) On l’a accusé à tort d’être le principal corrupteur de la doctrine de Platon sur l’éternité du monde. ] Afin qu’on voie clairement toute la faute, je rapporterai un peu au long les termes du commentateur : Nulla autem Platonis sententia est, quam fœdiùs corruperint, et obstinatiùs defenderint veteres Platonis interpretes : seu quia eorum alii ità sentirent, seu ut christianam fidem impugnarent. Eorum signifer Ammonius fuit, fidus alioquin ac illustris doctrinæ platonicæ assertor ; quem Zacharias dialogo cui Ammonius titulus est, confutavit. Mox ejus discipuli, Plotinus passìm libris suis ; et quod mirum est, ne à magistro dissentiret, fax illa fidei, Origenes ; cujus errorem sanctus Methodius lib. περὶ των γενητῶν, ut est apud Photium, redarguit[23]. Vous voyez clairement qu’il parle de l’Ammonius qui a été le précepteur d’Origène. Serait-il tombé dans cette bévue, s’il eût eu recours aux originaux, et s’il n’eût point cité sur la foi d’autrui le Traité de Zacharie ? Car, dès l’entrée de ce Traité, nous apprenons que l’Ammonius, contre qui on le composa, vivait encore, et enseignait dans Alexandrie avec un grand faste, après avoir été à Athènes disciple de Proclus. L’auteur, je veux dire Zacharie, évêque de Mitylène, a vécu au VIe. siècle ; car il assista au concile de Constantinople, l’an 536. Il est donc faux qu’il ait réfuté le précepteur d’Origéne. Mais il est vrai que le philosophe Ammonius qu’il réfuta enseignait que Dieu et le monde étaient et seraient toujours coéternels. Cet ouvrage de Zacharie a été traduit de grec en latin par Génebrard, et inséré dans la Bibliothéque des Pères [24]. Possevin remarque que Canisius censure Gesner, d’avoir dit que l’ouvrage de Zacharie de Mundi æternitate était différent de celui qui a pour titre Ammonius[25]. Cette censure, qui serait très-bien fondée à l’égard de Simler, abréviateur de Gesner, est injuste par rapport à Gesner même, qui a déclaré expressément. qu’il lui semblait que le Dialogue intitulé Ammonius ne différait point du Traité de Rerum æternitate. Je ne passerai point sous silence la surprise où j’ai été en remarquant que l’on souffrait au VIe. siècle qu’un philosophe païen fût professeur dans Alexandrie, et qu’il dogmatisât hautement sur l’éternité du monde, contre l’opinion des chrétiens. Il cachait si peu sa croyance, qu’il la soutenait publiquement dans ses leçons, et l’on ne pouvait pas ignorer qu’il ne la persuadât à plusieurs de ses disciples. L’un d’eux[26], étant devenu le principal professeur en médecine dans la même ville, disputait avec chaleur pour le même sentiment. Tout cela paraît par le Traité de Zacharie de Mitylène.

  1. Amm. Marcellin., lib. XXII, circa fin.
  2. Suidas in Ὠριγένης.
  3. Henr. Vales. in Ammian. Marcellin., lib. XXII.
  4. Porph., lib. III, adversùs Christianos, apud Euseb. Hist. Ecclesiast., lib. VI, cap. XIX.
  5. Photius, Bibliotb., num. 214, pag. 549.
  6. Hierocles apud Photium, ibidem.
  7. Ibidem, num. 251, pag. 1381.
  8. Labbe, de Script. Ecclesiastic., tom. I, p. 58.
  9. Porphyrius, in Vitâ Plotini.
  10. Lucas Holsten. de Vitâ et Scriptis Porphyrii, pag. 28.
  11. Hieronym. de Scriptor. Ecclesiast., cap. LV.
  12. Ad Carpinnum : elle est imprimée avec les dix canons de Consonantiâ quatuor Evangeliorum, à la tête du Nouveau Testament grec de Robert Étienne, édition de Paris, en 1550. Voyez le père Labbe, de Script. Eccles., tom. I, pag. 308, et pag. 58.
  13. Du Pin, Biblioth. des Auteurs Ecclésiast., tom. I, pag. 120, édition d’Amsterd.
  14. Bellarmin. de Script. Ecclesiast., pag. 226. Oudin, Supplem. de Scriptor. Ecclesiast., pag. 15.
  15. Labbe, de Script. Ecclesiast., pag. 57.
  16. Eusèbe et Théodoret l’assurent. Voyez Labbe, de Scriptor. Eccles., tom. I, pag. 57.
  17. Cave, Hist. Litterar., pag. 572.
  18. Commentar. in eam Harmoniam apud Labbe, de Script. Ecclesiast., pag. 57.
  19. Oudin, de Script. Ecclesiast., pag. 15.
  20. Hadr. Valesius in Ammian Marcellin., lib. XXII, pag. 344, édition in-folio.
  21. Longinus, apud Porphyr. in Vitâ Plotin.
  22. Idem, ibidem.
  23. Renatus Vallinus, Not. ad lib. V. Boëtii de Consolat. Philosoph., pag. 96.
  24. Il est dans le onzième volume de la Bibliothéque des Pères, pag. 331 et suiv. de l’édition de Paris, en 1644.
  25. Possevin. Appar., tom. II, pag. 552.
  26. Il s’appelait Gessius. Voyez la Bibliothéque des Pères, tom. XI, pag. 339.

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