Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amama


◄  Amable
Index alphabétique — A
Amaseus (Romulus)  ►
Index par tome


AMAMA (Sixtinus), professeur en langue hébraïque dans l’académie de Franeker, a été un fort savant homme. Il était de Frise, et il avait été disciple de Drusius (A). L’université de Leide, qui enlève autant qu’elle peut aux académies voisines leurs plus célèbres professeurs, en leur offrant des avantages plus considérables que ceux qu’ils possèdent, tâcha de l’ôter à l’académie de Franeker[a]. C’était pour remplir la place d’Erpenius, qui avait été l’un des plus habiles hommes de son siècle dans les langues orientales. Amama ne refusa point cette vocation ; mais d’autre côté il ne l’accepta pas absolument : il n’y donna les mains que pourvu que ses supérieurs de Frise lui accordassent son congé. Or c’est ce qu’ils ne firent pas[b] ; et sans doute ils améliorèrent de telle sorte sa condition, qu’il n’eut pas sujet de se repentir de n’être pas professeur à Leide. Le premier livre qu’il publia fut un essai d’un très-beau dessein qu’il avait conçu. Il avait entrepris de censurer la version Vulgate, que le concile de Trente a déclarée authentique ; et sans attendre que tout son dessein fût exécuté, il publia la Critique de la version du Pentateuque[c]. Voilà par où il débuta pour s’agréger au corps des auteurs[d]. Il préparait la suite de cette Critique, lorsqu’il se vit obligé de travailler à une autre chose ; je veux dire à conférer la version flamande de l’Écriture avec les originaux, et avec les plus exactes versions. Cette traduction flamande avait été faite sur la version allemande de Luther. Il rendit compte de son travail au public par l’ouvrage qui parut[e] à Amsterdam, en langue vulgaire, intitulé Bybelsche Conferentie. On a parlé de cet ouvrage dans le Supplément de Moréri (B). Ce soin de collationner occupa beaucoup Amama, de sorte que la publication de ce livre, et celle de quelques écrits de grammaire l’empêchèrent assez long-temps de s’appliquer à la censure de la Vulgate [f]. Il se remettait à ce travail, lorsqu’il sut que Marin Mersenne l’avait réfuté quant aux six premiers chapitres de la Genèse (C). Quittant donc toute autre besogne, il s’attacha à justifier sa Critique contre ce censeur. Sa réponse est une des pièces dont l’Anti-Barbarus Biblicus, qu’il publia l’an 1628, est composé. Les autres pièces sont la Critique de la Vulgate sur les livres historiques du Vieux Testament, sur Job, sur les Psaumes, sur les Livres de Salomon, et quelques Dissertations particulières. Il y en a une sur le célèbre passage des Proverbes, Le Seigneur m’a créée au commencement de toutes ses voyes, où Amama montre que ceux qui accusaient Drusius de favoriser l’arianisme étaient d’insignes calomniateurs. L’Anti-Barbarus Biblicus devait contenir deux parties, chacune de trois livres. L’auteur ne donna que la première. On la réimprima après sa mort (D) ; et l’on y joignit le quatrième livre, qui contient la censure de la Vulgate sur Ésaïe, et sur Jérémie. Il est impossible de parer les coups qu’il a portés à la Vulgate, et de satisfaire aux raisons par lesquelles il a établi la nécessité de consulter les originaux. Aussi voit-on peu d’habiles gens de la communion romaine qui nient cela : ils se retranchent à soutenir, pour sauver l’honneur du dernier concile, qu’il n’a point prétendu soumettre les originaux à l’autorité de la Vulgate. Il n’est pas ici question d’examiner si l’on peut dire cela dans la bonne foi. Notre Sixtinus exhorta si fortement à l’étude des langues originales de la Bible, qu’il y eut des synodes qui, étant frappés de ses raisons, ordonnèrent que désormais on ne recevrait aucun ministre qui n’eût pour le moins une médiocre intelligence de l’hébreu et du grec de l’Écriture (E). Il ne faut pas oublier parmi ses éloges le zèle qu’il témoigna pour faire cesser dans l’académie de Franeker un désordre qui n’y régnait pas avec moins de débordement qu’aux universités d’Allemagne. Je parle de l’ivrognerie (F). Il harangua fortement sur cette matière en 1621. On fut si content de lui en Frise, qu’après sa mort, qui arriva le mois de décembre 1629[g], on usa de beaucoup de libéralité envers ses enfans, comme Nicolas Amama, l’un d’eux, le témoigne avec bien de la reconnaissance, dans l’épître dédicatoire d’un livre (G).

  1. En 1626.
  2. Voyez l’Épître dédicatoire de l’Anti-Barbarus Biblicus.
  3. Censura Vulgatæ latinæ editionis Pentateuchi ; Franekeræ, 1620, in-4.
  4. Te obstetricante (dit-il à Gomarus) primus ille adolescentiæ meæ fœtus in dias luminis oras prodiit. Sixt. Amama, Anti-Barb. Bibl., pag. 295. Je crois qu’il avait déjà publié en 1618 un petit Traité de Decimis Mosaïcis, qui contient 9 pages in-4°, et qui a été réimprimé à Londres, l’an 1660.
  5. L’an 1623.
  6. Sixt. Amama, Anti-Barb. Biblici, p. 160.
  7. Konig, qui le fait vivre en 1630, et le père Morin, qui suppose dans ses Exercitat. Biblicæ, part. I, pag. 61, qu’il enseignait à Franeker, l’an 1633, se sont donc trompés.

(A) Il avait été disciple de Drusius. ] Cela est certain par divers passages de l’Anti-Barbarus Biblicus. Pour ce qui est de Sinesius, dont on le fait disciple dans le Supplément de Moréri, j’avoue qu’il m’est absolument inconnu, et je doute fort qu’on le connaisse dans les Provinces-Unies.

(B) On a parlé de sa Bybelsche Conferentie dans Le Supplément de Moreri. ] Ce Supplément porte que, selon M. Simon, le dessein de Sixtinus Amama dans ce livre est de faire voir que la Bible flamande, qu’on lisait parmi les protestans des Pays-Bas, et qui aavait été traduite sur l’allemande de Luther, était remplie de fautes : et c’est ce qu’il montre fort bien, ajoute-t-on. Pour donner une instruction plus complète là-dessus, il faut rapporter en propres termes ce qu’a dit l’auteur que l’on cite. Les protestans des Pays-Bas, c’est M. Simon qui parle dans sa Lettre à M. P. touchant l’inspiration des livres sacrés, page 10, n’ont appuyé leur réformation que sur une version flamande, qui avait été faite sur celle de Luther ; mais enfin... ils résolurent de travailler à une nouvelle traduction. Sixtinus Amama composa pour ce sujet en flamand un livre intitulé Bybelsche Conferentie, où il fait voir fort au long les raisons qu’on avait de publier une nouvelle Bible pour les églises flurmandes. Il assure que La version flamande qu’ils lisaient dans leur église, et qui avait été prise de celle de Luther, contenait en de certains lieux plus de fautes que de versets, et il en donne dans cet ouvrage un grand nombre d’exemples. Dans la page 11, M. Simon rapporte ceci... : Il est vrai que les calvinistes des Pays-Bas rejetèrent leur ancienne version, et en composèrent une nouvelle. Mais s’ils ont suivi dans leur nouvelle traduction la méthode que Sixtinus Amama propose dans sa Bybelsche Conferentie, elle ne peut pas être exacte : car, pour faire sa réformation, il ne suit que Pagnin, Junius et Tremellius, la Bible de Zurich, la française de Genève, l’allemande de Piscator, l’espagnole de Cyprien de Valera, l’italienne de Diodati[* 1], l’anglaise de Genève, et d’autres nouvelles traductions... défectueuses.

(C) Il sut que Marin Mersenne l’avait réfuté quant aux six premiers chapitres de la Genèse. ] Ce fut M. Rivet qui le lui apprit : car sans cela, il courait risque de ne le savoir de long-temps : il n’avait jamais ouï dire qu’il y eût un père Mersenne au monde. Voici comme il parle dans son Épître dédicatoire[1] : Absque te fuisset, Cl. Rivete, nomen Mersenni qui VI priorum Geneseos capitum adversùs meas stricturas suscepit patrocinium, etiamnùm juxta cum ignarissimis ignorâssem. Tu primus mihi indicium, tu voluminis copiam fecisti, tu ad modestam et mansuetam replicationem hortamentis tuis me animâsti. Je m’étonne qu’il n’ait pas inséré dans son Anti-Barbarus l’avant-coureur de sa réponse ; il l’avait publié en l’année 1627, sous le titre de Epistola πρόδρομος ad Marinum Marsennum[2], M. Crenius l’a inséré dans la IIIe. partie de ses Animadversiones [3].

(D) On réimprima son Anti-Barbarus après sa mort. ] Ce fut à Franeker, l’an 1656, in-4o. C’est de cette édition que M. Baillet a parlé dans ses Anti, à la page 315 du IIe. tome. Il ne faut pas oublier, dit-il, l’Anti-Barbare, qu’un professeur en hébreu de l’université de Franeker en Frise, nommé Sixtinus Amama, publia sur de texte de l’Écriture Sainte, l’an 1656, in-4°, dans la ville où il enseignait..… L’ouvrage est farci de diverses petites dissertations et discours qui ne rendent pas son économie fort agréable. Notez qu’on a inséré dans la nouvelle édition des Grands Critiques[4] sa Censure de la Vulgate du Pentateuque, et ses Notes in Libros Historicos, Psalmos, Proverbia, et Ecclesiasten, qui n’avaient jamais été imprimées.

(E) Ses raisons portèrent des synodes..…. à ordonner qu’on ne recevrait aucun ministre qui n’eût au moins une légère intelligence des langues originales de l’Écriture. ] Voici les termes de l’acte qui fut dressé sur cela par le synode de Frise, tenu à Harlingen l’an 1624 : Decretum est ut in posterum theologiæ candidati quotquot ad examen ministerii Eccles. admitti desiderabunt, præter testimonia senatis academici et theologiæ professorum exhibeant etiam testimonia professorum ebrææ et Græcæ linguæ, quibus doceant se in prædictis linguis eos saltem progressus fecisse, ut originalem Veteris Novique Testamenti textum mediocriter possint intelligere, utque in classe istâ, cujus examini se offerunt, ejus quoque rei specimen edere teneantur. Il paraît par le même acte, que ce fut la Supplex Parænesis d’Amama [5], dont on avait distribué des exemplaires à la compagnie qui fit prendre cette bonne résolution.

(F) Il témoigna beaucoup de zèle pour purger l’académie de Franeker du vice de l’ivrognerie. ] Les vigoureuses résolutions qui furent prises contre ce désordre ne doivent pas être principalement attribuées à Sixtinus Amama : il suffit de dire qu’il y contribua pour sa part : et, quand il n’aurait fait que haranguer et que féliciter publiquement ceux qui avaient réformé l’académie sur ce chef, il mériterait bien des louanges. Il reconnaît qu’Amesius, professeur en théologie, et Hachting, professeur en logique, ayant été agrégés au sénat académique, et se trouvant bien soutenus par le recteur de l’université, entreprirent courageusement, avec un heureux succès, la réformation de ce désordre. Il les en félicite, et leur dédie à cause de cela sa harangue de Barbarie Morum. On ne sera pas fâché de voir ici comment il s’exprime et les difficultés qu’essuyèrent ces réformateurs. Ad primam occasionem.... intrepidis et commasculatis animis horrendas illas et feroces belluas ebrietatem et licentiam, quæ hìc stabulabantur, ex academiâ ejecistis, ac christianam disciplinam jam desperatam, Deo supra quam à quoquam sperari potuis et benedicente, academiæ redonâstis. Cujus præclari et æternâ gratitudine dignissimi facinoris, sicuti invidiam apud dissolutam et barbaram juventutem sustinuistis, et quasi præpilatis hastis objecti fuistis soli, ità et æquissimum censeo, ut vobis quoque præ aliis tam egregii operis gloria transcribatur[6]. Il dit des choses affreuses touchant la débauche qui régnait dans quelques académies. Tous les nouveaux venus s’y enrôlaient au service de Bacchus, avec certaines cérémonies solennelles ; et on les faisait jurer par un saint Étienne de bois, qu’ils dépenseraient tout leur argent. Si quelqu’un avait plus d’égard au serment qu’il avait prêté au recteur de l’académie, qu’à ce prétendu serment bachique, les écoliers débauchés le harcelaient de telle manière, qu’ils le contraignaient, ou de s’en aller, ou de faire comme les autres. Il a joint à sa harangue quelques fragmens des complaintes d’Alstedius sur le même sujet. Bellarmin déplore avec beaucoup de véhémence, dans son XXe. sermon, l’ivrognerie qui régnait dans l’université de Louvain[7].

(G) Un de ses fils a témoigné sa reconnaissance dans l’épître dédicatoire d’un livre. ] Il fut imprimé l’an 1651. C’est un in-8o. de 600 pages, intitulé Dissertationum Marinarum Decas, où il y a beaucoup de lecture, et où, sans s’attacher à la nouvelle philosophie, on s’éloigne très-souvent des opinions d’Aristote. Il n’est pas jusqu’à l’orthographe que l’auteur n’ait innovée.

  1. (*) Elle n’a paru que bien des années après cet ouvrage d’Amama. Voyez M. Ancillon, à la page 230 du IIe. tome de son Mélange critique de littérature.
  1. Elle est datée du 27 de décembre 1626.
  2. Voyez le Catalog. Bibliothecæ Oxoniensis, où, au lieu de Marsennum, on a mis Marsennam.
  3. Imprimée à Leide, l’an 1698.
  4. C’est celle de Hollande, en 1698. Voyez la Bibliotheca novorum Librorum, au mois de juillet et d’août 1698, pag. 453.
  5. Elle fait partie de l’Anti-Barbarus Biblicus, et avait déjà été imprimée deux fois.
  6. Sixtin. Amama in Præliminar. Anti-Barbari Biblici.
  7. Amama le remarque dans l’épître dédicatoire de sa harangue de Ebrietate.

◄  Amable
Amaseus (Romulus)  ►