Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alting 1


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ALTING (Henri), professeur en théologie à Heidelberg et à Groningue, naquit à Embden, le 17 de février 1583. Sa famille était depuis long-temps fort considérable dans la Frise. Dès le berceau, il fut destiné à une charge où son père s’était signalé ; je veux dire au saint ministère (A). Pour cet effet, on l’envoya de fort bonne heure aux écoles ; et après qu’il eut fait à Groningue ses humanités et son cours de philosophie, on le fit aller en Allemagne, l’an 1602. Il s’arrêta trois ans à Herborn, et y fit de si grands progrès sous le célèbre Piscator, sous Matthias Martinius et sous Guillaume Zepperus, qu’il obtint la permission d’enseigner la philosophie et la théologie. Il se préparait à voyager en Suisse et en France, lorsqu’il fut choisi pour être précepteur de trois jeunes comtes[a] qui étudiaient à Sedan avec le prince électoral palatin. Il prit possession de cet emploi au commencement de septembre 1605. L’orage qui menaça le duc de Bouillon de la part de Henri IV, et qui n’eut aucune suite, fut cause que le prince électoral sortit de Sedan avec ces autres jeunes seigneurs, en l’année 1606. Alting les suivit à Heidelberg, où il continua d’instruire les trois jeunes comtes. Il fut même admis à donner quelques leçons de géographie et d’histoire au prince électoral, et il devint tout-à-fait son précepteur, l’an 1608. On en peut trouver des preuves dans la Bibliothéque Vaticane (B). Il l’accompagna à Sedan en cette qualité, et il l’instruisit d’une si bonne manière, que ce jeune prince, après son retour à Heidelberg, en 1610, étant interrogé sur tous les points de la religion devant le duc de Deux-Ponts, administrateur de l’électorat, et devant plusieurs autres personnes d’importance, répondit fort pertinemment, et en latin. Il fut l’une des personnes d’élite qui accompagnèrent en Angleterre le jeune électeur, l’an 1612. Il y acquit la connaissance de George Abbot, archevêque de Cantorbéri ; celle de King, évêque de Londres ; et celle du docteur Hacquell, précepteur du prince de Galles. Il eut même l’honneur de parler avec le roi Jacques. Les noces de l’électeur et de la princesse d’Angleterre ayant été célébrées à Londres au mois de février 1613[b], Alting prit les devans avec ses anciens disciples, et arriva à Heidelberg le 1er. d’avril. Au mois d’août suivant, on lui donna la profession des lieux communs de théologie ; et, comme il n’aurait pas pu présider à des disputes s’il n’eût été docteur en théologie, il fallut qu’au mois de novembre il reçût le doctorat selon les cérémonies ordinaires. En 1616, on lui conféra une charge qui n’était pas peu pénible : ce fut la direction du séminaire, s’il m’est permis d’appeler ainsi le collége de la Sapience, qui était à Heidelberg. On voulait lui donner la profession que la mort de Coppenius rendit vacante l’an 1618 : c’était la seconde chaire dans la faculté de théologie ; mais il s’en excusa, et fit qu’elle fût donnée à Scultet. Il donna des preuves éclatantes de son savoir dans le synode de Dordrecht, où il fut envoyé avec deux autres députés du Palatinat [c]. Ce fut alors que l’académie de Leide fut réhabilitée par rapport au doctorat qu’elle avait laissé éteindre. Alting y créa solennellement licencié en théologie le professeur Jean Polyander, qui ensuite reçut de Scultet le caractère de docteur, et se vit par-là revêtu de l’autorité requise pour conférer le doctorat à ses collègues. Alting conçut sans doute bien des espérances peu après son retour à Heidelberg. Les troubles de Bohême valurent une couronne à l’électeur palatin ; mais ces beaux commencemens furent suivis d’une affreuse ruine. Tilli prit d’assaut Heidelberg au mois de septembre 1622, et y laissa commettre tous les désordres qu’on se peut imaginer (C). Alting, échappé comme par miracle à la fureur du soldat (D), alla trouver sa famille qu’il avait envoyée depuis quelque temps à Heilbron. Il la rejoignit à Schorndorf, et eut de la peine à y pouvoir séjourner durant quelques mois : les ministres luthériens exerçaient contre lui le dogme de l’intolérance (E). Il se retira avec sa famille à Embden, l’an 1623, et fut d’abord saluer le roi de Bohême à la Haie. Ce prince le retint auprès de lui pour l’instruction de son fils aîné [d], et ne voulut point consentir qu’il s’engageât à servir l’église d’Embden, qui le demandait pour ministre, ni l’académie de Franeker, qui, en 1625, lui offrit la place de professeur en théologie, que la mort de Sibrant Lubbert avait fait vaquer. Ce prince consentit avec peine, l’année suivante, qu’il acceptât une profession en théologie à Groningue. Alting en prit possession le 16 de juin 1627, et ne la quitta qu’avec la vie. Il est vrai qu’il était parfaitement résolu, en 1633, de changer Groningue contre Leide ; mais il s’était réservé cette condition, que les états de Groningue y consentiraient ; or, c’est ce qu’ils ne firent pas. Il est vrai encore qu’il avait prêté l’oreille aux propositions que le prince Louis Philippe [e] lui fit faire en 1634, de venir rétablir l’académie d’Heidelberg et les églises du Palatinat ; et qu’il s’était déjà avancé jusqu’à Francfort, au travers de mille périls ; mais la bataille de Norlingen, gagnée par les Impériaux, fit évanouir cette entreprise. Il fallut qu’il s’en retournât à Groningue par des chemins détournés. Il ne paraît dans son histoire aucune autre envie de transmigration. Les dernières années de sa vie furent un temps très-fâcheux ; les chagrins et les maladies le persécutèrent cruellement. Il eut tant de regret de la mort de sa fille aînée, en 1639, qu’il en tomba dans une opiniâtre mélancolie qui lui causa une fièvre quarte, dont il ne guérit qu’avec mille peines, et encore n’en guérit-il qu’imparfaitement ; car les restes de la maladie dégénérèrent l’an 1641, en une fâcheuse léthargie. Cent combats livrés par les médecins à ce mal l’avaient à peine chassé, qu’il survint une affliction domestique qui ramena plus que jamais l’infirmité corporelle. Altung perdit sa femme l’an 1643, et en conçut tant de chagrin, qu’il ne fut plus capable de surmonter la mélancolie. Il ne fit presque, depuis cette solitude jusqu’au jour de sa mort, que passer d’infirmité en infirmité. Il mourut chrétiennement et dévotement, le 25 d’août 1644. C’était un homme de beaucoup de mérite. Les livres qu’il a composés (F) font foi de sa science et de son application au travail académique ; et on sait d’ailleurs qu’il se mêlait d’autres choses pour le service du prochain. Il allait voir tous les ans le roi de Bohème, et faisait la revue des études de la famille royale. Il travailla puissamment aux collectes qui furent faites dans tout le monde protestant pour les églises d’Allemagne, et principalement pour celles du Palatinat. Il fut l’un des trois économes des collectes d’Angleterre, et il présida aux aumônes de Louis de Geer. Je ne parle point de deux commissions importantes dont il fut chargé, dont l’une regarde la revue qui se fit à Leide de la nouvelle version flamande de l’Écriture, et l’autre regarde la visite de la comté de Steinfurt. Il eut des collègues dans la première ; mais il fut le seul inspecteur général dans la seconde, le comte de Bentheim l’ayant fait venir pour informer contre le socinianisme qui menaçait le pays, et pour mettre un bon ordre dans les églises. Alting, à ce que dit son Éloge, n’était point un théologien querelleux (G) : il ne s’amusait point à la vétille des faux scrupules ; il n’aimait point les nouveautés ; il était zélateur de l’ancienne traditive, ennemi des subtilités de l’école, et il ne voulait puiser que dans l’Écriture[f]. Toutes les personnes de sa profession devraient régler leur domestique comme le sien était réglé (H). On n’en parlait que pour dire en général que tout y était dans l’ordre : il ne fournissait point d’autre matière aux conversations. Il s’était marié à Heidelberg, l’an 1614, et avait eu sept enfans. Il y en eut trois qui lui survécurent, une fille et deux garçons. L’aîné a été professeur en droit à Deventer[g]. L’article suivant traite de l’autre.

  1. Le comte de Nassau, le comte de Solms et le comte d’Isenberg.
  2. Konig ne lui donne pas un temps convenable, en disant, vixit anno 1613 : ce n’était point encore son état le plus florissant.
  3. Abraham Scultet, et Paul Tossan. Ce dernier fut député du sénat ecclésiastique, les deux autres, de l’académie.
  4. Qui périt sur la mer de Haerlem, le 7 de janvier 1629.
  5. Il était administrateur du Palatinat, et il offrit en 1633 à Alting une place de professeur en théologie, et de sénateur ecclésiastique.
  6. Theologiam probabat ac tuebatur solidam ac masculam, non ex lacunis scholasticorum, etsi illarum inexpertus non esset, sed ex fontibus Siloé et Scripturarum derivatam ; ut gloriæ sibi duceret se ab imperitis nonnullis ac nasutis Palæmonibus traduci tanquàm Theologum scripturarium et Biblicum. Vita Alting.
  7. Tiré de la Vie de Jacques Alting, parmi celles des professeurs de Groningue, imprimées in-folio, l’an 1654.

(A) Son père s’était signalé dans le saint ministère. ] Il s’appelait Menso Alting, et était petit-fils d’un autre Menso, qui avait été donné en otage au duc de Gueldre, par les états de Drente, l’an 1523. Un autre Menso Alting, bisaïeul de celui qui fut donné en otage, avait été conseiller de Reinold-le-Gras, duc de Gueldre, et s’était retiré au pays de Drente, l’an 1361[1]. Menso Alting, le ministre, fut le premier, qui, avec deux autres, prêcha la réformation dans le territoire de Groningue, environ l’an 1566, pendant les violences du duc d’Albe, sub ipsâ Albani ducis grassante tyrannide[2]. Il fut aussi le premier ministre qui prêcha dans la grande église de Groningue, après la réduction de la place au pouvoir des états-généraux, l’an 1594. Il servit fidèlement l’église d’Embden 38 ans, et s’opposa avec un courage ferme aux fureurs des anabaptistes, et aux machinations des ubiquitaires. Il mourut le 7 d’octobre 1612, le jour même que son fils et Abraham Scultet pensèrent périr sur le lac de Haerlem : Subitâ ac procellosâ coortâ tempestate, naufragio ac submersione proximi (Scultetus et Altingius), ægrè tandem toto corpore madentes, salvi tamen divinâ clementiâ in proximam ripam evaserunt[3]. Sa vie, amplement écrite par Ubbo Emmius, est entre les papiers de ses héritiers[4].

(B) Il a été précepteur du prince électoral palatin : on en peut trouver des preuves dans la Bibliothéque Vaticane. ] On y conserve les thèmes du roi de Bohème, corrigés de la main d’Alting ; et on les montre aux voyageurs, à ce que dit l’auteur de la Vie de ce professeur. Il ajoute, que ces monumens ne sont pas moins dignes d’être montrés aux curieux, que la plupart des reliques qu’on leur montre : Hujus magisterii ejus ne unquàm apud posteros intestata queat esse industria, vel Roma, quod miremur, faciet, quæ in Bibliothecâ Vaticanâ inter Heidelbergensia cimelia, dicam an spolia, ostentat themata et exercitia styli regis Bohemiæ, Altingii manu emendata, eruditis peregrinatoribus minimèque superstitiosis visenda, atque non minùs credo, quàm pleræque ipsorum reliquiæ ἄξιοθέατα, digna spectatu[5].

(C) On commit, dans la prise d’Heidelberg, tous les désordres qu’on se peut imaginer. ] On pilla, on tua, on viola, on gêna ; en un mot, on n’oublia rien de tout ce que la fureur du soldat, animée par le faux zèle de religion, est capable de commettre : Urbs.... impetu et vi capta, omniaque dira exempla passa direptionis, lanienæ, libidinis, quæ militaris licentia, victoris insolentia, odium religionis, barbarorum Croatarum feritas comminisci potuêre aut patrare.... Eâ nocte insomni et mœstâ inter lamenta et ejulatus quibus omnia undique perstrepebant, aut sequioris sexûs vim patientis, aut virorum equuleis subditorum, ac per varia tormenta ac vulnera lentâ citâve morte affectorum, etc.[6]. Voilà les fruits ordinaires de la guerre : voilà de quoi faire trembler ceux qui l’entreprennent, ou qui la conseillent, pour remédier à des maux qui peut-être n’arriveraient jamais, et qui, au pis aller, seraient quelquefois beaucoup moindres que les maux qui suivent nécessairement une rupture. Nous aurons lieu de rapporter plus d’une fois les angoisses où de grands capitaines se sont vus réduits, lorsque leur conscience leur reprochait les ravages dont ils avaient été cause.

(D) Il échappa comme par miracle à la fureur du soldat. ] Les circonstances de son évasion méritent d’être rapportées. Il était dans son cabinet lorsqu’il apprit que l’ennemi, maître de la ville, commençait à la saccager. Il ferma le verrou de sa porte, et n’eut recours qu’à l’oraison. Un de ses amis, accompagné de deux soldats, fut l’avertir de se retirer par la porte de derrière chez le chancelier, dont la maison avait été mise sous une bonne sauvegarde, parce que le comte de Tilli voulait avoir en leur entier tous les papiers qui y étaient. Le lieutenant colonel du régiment de Hohenzollern gardait cette maison. Avec cette hache, disait-il, j’ai tué aujourd’hui dix hommes : le docteur Alting serait bientôt le onzième, si je savais où il est caché. Qui êtes-vous ? poursuivit-il, en adressant la parole à ce docteur. Alting ne fut pas si troublé, qu’il n’inventât sur-le-champ une réponse, qui n’était pas la plus fausse qu’il pouvait faire. J’ai été régent, répondit-il, dans le collége de la Sapience. L’auteur de son Éloge compare cette réponse à celle que fit saint Athanase : Sanè, dit-il, ille vultus, ille habitus, ille sermo, is rerum articulus quemvis alium percellere poterat : at noster imperterritus, solerti lamen usus responso, nec apertè se negavit Altingium, nec tamen intempestivè se prodidit, eâdem ferè quâ olim in casu simili sanctus Athanasius dexteritate usus, « Ego, inquit, ludimagister fui in collegio Sapientiæ. » Le lieutenant colonel lui promit de le sauver. Le lendemain, les jésuites prirent possession de la maison, et en firent décamper si vite cet officier, qu’il n’eut pas le temps de s’informer de son régent du collége de la Sapience. Alting se trouva donc entre les mains des jésuites ; mais il s’était sauvé dans un galetas ; et, par bonheur, un cuisinier de la cour électorale fut employé par le comte de Tilli, dont la cuisine fut logée dans la maison du chancelier. Cet homme nourrit en secret Alting dans le galetas, et lui fournit même le moyen d’aller voir ce qui se passait chez lui. Il lui donna pour escorte trois soldats de l’armée bavaroise. Alting trouva sa maison dans un grand désordre, et son cabinet au pouvoir d’un capitaine, qui lui dit, ou par moquerie, ou par courtoisie, qu’il lui permettait d’emporter tel livre que bon lui semblerait. On ne voulut point accepter son offre, et l’on se contenta de lui répondre, que, si ces choses lui appartenaient, on souhaitait que Dieu lui en accordât une plus longue possession qu’à leur premier maître. Alting essuya mille périls en s’en retournant ; et, au bout de trois jours, Tilli lui permit de se retirer. J’ai lu quelque part que si Alting n’avait pas craint d’exposer son propre bien, et de passer pour plagiaire, il aurait pu sauver plusieurs livres de la bibliothéque électorale, et qu’il en avait transporté plusieurs au collége de la Sapience ; mais j’avoue que je n’entends rien à tout cela : j’y trouve de la contradiction. Si, de peur de passer pour plagiaire, il ne transporta point dans son cabinet aucun livre de la bibliothéque électorale, pourquoi dites-vous qu’il en avait retiré plusieurs au collége de la Sapience, et qu’il aurait pu en sauver plusieurs ? Outre que, selon l’auteur de sa Vie, il n’eut permission que d’emporter un volume. Lisez pourtant ce qui suit : Hunc (Quintilianum) et alios illius bibliothecæ libros suâ manu in collegio Sapientiæ exceperat Henricus Altingius, atque ex communi illo incendio bavarico eripuisset, nisi suis reculis timuisset, et ne plagiarius haberetur, si antiquus liber in ejus supellectile reperiretur, veritus fuisset[7].

(E) Les ministres luthériens exerçaient contre lui le dogme de l’intolérance. ] À la prière de l’électrice, il obtint du duc de Wirtemberg la permission de séjourner à Schorndorf. Il s’y arrêta jusqu’au mois de février qui suivit la désolation du Palatinat. Les ministres luthériens murmuraient de ce séjour, et de la permission que le duc lui avait donnée : le fondement de leur chagrin était qu’Alting était un professeur d’Heidelberg. Ibi ad februarium usque hæsit, facultate hâc per serenissimam Electricem impetratâ à duce Wirtembergico, cujus aliàs ministri lutherani quasi Ponti Axeni accolæ, aut aves Diomedæ, quæ solos socios gratenter excipiunt, id ferebant ægerrimè, non aliâ de causâ quàm quòd Altingius professor esset Heidelbergensis[8]. Je crois en effet qu’ils eussent mieux observé les droits d’hospitalité envers un marchand du Palatinat, ou même envers un professeur calviniste d’un pays tres-éloigné, qu’envers un professeur d’Heidelberg. Le Palatinat était voisin du Wirtemberg : les professeurs de Tubingue, et ceux d’Heidelberg, se choquaient de temps en temps par des thèses, et par des écrits polémiques. Voilà une source de haine théologique et professorale. Mais, après tout, il n’est pas possible d’excuser l’intolérance qu’on eut pour Alting. Il était échappé du milieu des flammes papales : l’injure que l’ennemi commun lui avait faite lui devait servir d’une puissante recommandation ; sa foi ne différait de celle de Wirtemberg qu’en des choses non essentielles. Si l’on avait à se haïr et à se persécuter pour la religion, on devrait attendre que l’on fût, comme les peuples d’Égypte, les uns au service d’un dieu, et les autres au service d’un tout autre dieu :

Inter finitimos vetus atque antiqua simultas,
Immortale odium, et nunquàm sanabile vulnus
Ardet adhuc Ombos, et Tentyra, summus utrinque
Indè furor vulgo, quòd numina vicinorum
Odit uterque locus, quùm solos credat habendos
Esse deos, quos ipse colit[9].


Aussi voit-on que les promoteurs des guerres ecclésiastiques supposent toujours que les différens sont d’une extrême conséquence. C’est une gangrène, disent-ils ; c’est la sape des fondemens de la religion.

(F) Les livres qu’il a composés. ] Voici ceux qui ont été donnés au public[* 1] : Notæ in decadem problematum Johannis Behm de glorioso Dei et beatorum cœlo, Heidelbergæ, 1618. Loci communes, cum didactici, tum elenctici : Problemata, tam theoretica, quàm practica : Explicatio catecheseos Palatinæ cum Vindiciis ab Arminianis et Socinianis, Amstelodami, 1646, en trois volumes. Exegesis Augustanæ confessionis, unà cum syllabo controversiarum lutheranarum, Amstelodami, 1647. Methodus theolosiæ didacticæ et catecheticæ, Amstelodami, 1650. Ceux qu’on n’a point publiés sont en plus grand nombre : la dernière main manque à quelques-uns. On en voit la liste à la fin de la Vie de l’auteur. J’y ai vu que la Medulla historiæ profanæ, publiée par Daniel Pareus, est un ouvrage de notre Alting : c’est un plagiat qui n’a pas été remarqué par Thomasius, ni par M. Almeloveen[10]. L’Histoire ecclésiastique du Palatinat, depuis la réformation, jusqu’à l’administrateur Jean Casimir, est parmi les ouvrages manuscrits d’Alting l’un des plus considérables.

(G) Il n’était point un théologien querelleux. ] Rapportons les propres termes de son historien : Alienus à jurgiis et vitilitigiis cuminisectorum ; ab iis distinctiunculis et ineptiis sophistarum, quibus mysteria salutis potiùs implicantur quàm explicantur ; à scrupulositatibus præcisistarum, qui nodunt quærunt in scirpo, colant culicem, camelum deglutientes[11]. La secte des précisistes faisait du bruit en Hollande, il y a quarante ans[12], plus ou moins : la voilà fort bien caractérisée ; on y coule le moucheron, on y engloutit le chameau ; on y ouvre la porte à des disputes qui ne servent qu’à l’armement des profanes et des libertins. Poursuivons : ab omni deniquè καινωϕονία et novatione in theologicis, quasi illud semper Tertulliani tenens, « primum quodque verissimum. » Il n’y a point de doute que l’amour des nouveautés ne soit une peste qui, après avoir mis en feu les académies et les synodes, ébranle et secoue les états, et les bouleverse quelquefois : ainsi l’on ne saurait trop louer les professeurs qui recommandent à leurs disciples de s’éloigner de cet esprit d’innovation. Il ne faut pas se rebuter, sous prétexte qu’en recommandant fortement l’observation de l’ancienne et commune traditive, il semble qu’on suppose le principe ou la voie de l’autorité, que l’on a rejetée quand on a eu à combattre l’Église romaine : il ne faut point, dis-je, se décourager pour tout cela ; car si l’on attendait à se servir d’une raison jusqu’à ce qu’elle fût à couvert de toute difficulté, on serait trop longtemps sans rien faire.

(H) Les ministres devraient régler leur domestique comme le sien était réglé. ] On savait seulement que personne ne savait ce qui s’y passait, hormis qu’on n’ignorait pas que toutes choses y étaient dans la bienséance, et selon la crainte de Dieu : Hinc in familiâ ejus omnia semper pacata, omnia ordinata, de quâ hoc solum sciretur, quod à nemine sciretur quid in illâ fieret, nisi quòd piè, compositè, decenter omnia fieri neminem lateret[13]. Cela est cent fois plus beau que si le monde s’entretenait de ce qui se dit, et de ce qui se passe chez un ministre. On y a débité une telle nouvelle ce matin[14], dit l’un. On y disputa hier au soir sur une telle réflexion de nouvelliste, dira l’autre. Il peut s’excuser comme Adam, dit un troisième, et dire, la femme que tu m’as donnée me l’a fait faire. Quoi, dit un quatrième, vous n’avez appris cette circonstance qu’en ce lieu-là ? je m’en défie. C’est un mauvais bureau d’adresse, etc. : la Nympha loquax, qui y préside, ajoute et fait ajouter ce que bon lui semble aux relations. Je ne veux point de ses gloses, ni de ses commentaires ; j’en appelle au texte, quelque incertain qu’il puisse être. ne faut pas s’étonner qu’Alting ait été inconsolable après la mort de son épouse, s’il est vrai, comme son historien le débite, qu’il ait vécu avec elle près de trente ans, sans aucune plainte ni contestation : Cum eâ per annos propè triginte sine rixâ, sine querelâ conjunctissimè vixit[15]. Peu de gens se peuvent vanter d’une telle chose, et se plaindre d’ignorer si les effets de la réconciliation sont aussi doux dans le mariage, que dans la galanterie :

Amantium iræ amoris integratio est[16].

  1. * Cette liste est très-incomplète, dit M. Stapfer dans la Biographie universelle ; mais les nombreux ouvrages d’Alting n’ont plus qu’un intérêt historique.
  1. Vita Jacobi Alting.
  2. J’avertis le lecteur que le duc d’Albe n’arriva dans le Pays-Bas qu’en 1567 : ainsi l’auteur de la Vie de Henri Alting n’a pas été ici assez exact.
  3. Vita Henr. Alting.
  4. Vita Jacobi Alting.
  5. Vita Henr. Alting.
  6. Ex Vitâ Henr. Alting.
  7. Lomeier, de Biblioth., pag. 278. Je ne sais si plagiaire se dit d’un homme qui dérobe, non les pensées d’un auteur, mais un livre ou un volume en espèce, sans le publier sous son nom.
  8. Vita Altingii.
  9. Juvenal. Sat. XV, vs. 33.
  10. Il a publié un Catalogue des Plagiaires à la fin de ses Amænitates Theologico-Philologicæ, Amstelod. 1694, in-8°.
  11. Vita Jacobi Alting.
  12. On écrit ceci en 1698.
  13. Vita Jacobi Alting.
  14. Conférez avec ceci la remarque (N) de l’article de Gruterus.
  15. Vita Jacobi Altingii.
  16. Terent. Andr., act, III, sc. III, vs. 24.

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