Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Altilius


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ALTILIUS (Gabriel), natif du royaume de Naples, a fleuri vers la fin du XVe. siècle[a]. Il se fit principalement estimer par ses vers latins, qui montrèrent qu’il cultivait la belle littérature, et qu’il lisait les anciens avec beaucoup de profit. Cela lui fut avantageux pour se pousser à la cour de Ferdinand, roi de Naples, laquelle se ressentait encore du bon goût qu’on avait acquis sous le roi Alphonse. Il fut choisi pour précepteur du jeune prince Ferdinand (A). Il paraît même qu’il fut employé à des affaires d’état, et qu’il accompagna Jovien Pontanus à Rome, pour une négociation de paix entre le roi Ferdinand et le pape Innocent VIII[b]. Il eut beaucoup de part à l’amitié et à l’estime du même Pontanus : on en a des marques publiques dans les écrits de ce dernier[c]. Sannazar ne lui a pas donné de moindres marques de son estime dans ses poésies[d] : et ces deux-là ne sont pas les seuls qui l’aient loué (B). L’un des plus beaux poëmes de Gabriel Altilius est celui qu’il composa sur le mariage d’Isabelle d’Aragon (C). On ne croirait pas aisément que des vers latins l’eussent élevé à la prélature ; mais il est sûr qu’ils lui servirent beaucoup à obtenir l’évêché de Policastro. Quelques-uns ont trouvé mauvais que depuis cette élévation, il ait négligé les Muses, qui lui avaient été si utiles (D). Ils ont trouvé de l’ingratitude et de l’impudence[e] dans la manière précipitée dont il les abandonna : et sa faute leur paraîtrait irrémissible, s’ils n’avaient égard aux excuses qu’il pouvait faire sur ce que l’épiscopat exigeait de lui qu’il s’appliquât promptement à l’étude des saintes lettres. Je tâcherai de rectifier ce qu’on a dit touchant le temps de sa mort[f]. On n’a inséré dans le recueil de Gruterus et dans celui de Jean-Matthieu Toscan, que l’épithalame d’Isabelle d’Aragon (E). Il y a beaucoup d’apparence que la plupart des autres vers d’Atilius sont péris.

  1. Et non pas du XIVe., comme dit Moréri.
  2. Pontanus, præf. Tractatûs de Magnificentiâ.
  3. Il fit l’épitaphe d’Altilius, et il lui dédia le Traité de Magnificentiâ. Voyez aussi son Dialogue Ægidius, pag. 1471.
  4. Eleg. XI, vers. XVII et Epigram. VII.
  5. Voyez ci-dessous le commencement de la remarque (D).
  6. Voyez la remarque (D), à la fin.

(A) Il fut choisi pour précepteur du jeune prince Ferdinand. ] C’est ce qu’a voulu dire Paul Jove, en se servant de cette expression, junioris Ferdinandi regis[1] : Ughelli s’en sert aussi[2]. Le Toppi est d’un autre sentiment : Fu maestro, dit-il, di Rè Ferdinando I d’Aragona, e Vescovo di Policastro, nel 1471[3]. Je crois qu’il se trompe. Ferdinand Ier. mourut l’an 1494, âgé de plus de soixante-dix ans : il était donc né environ l’an 1424 ; il faudrait donc qu’Altilius eût été son précepteur environ l’an 1440. Le précepteur d’un fils de roi n’est pas ordinairement fort jeune : il faut qu’il ait eu le temps de faire paraître son érudition : et, sans doute, le roi Alfonse, qui était savant, et environné de savans, n’aurait pas choisi Altilius, sans avoir examiné les preuves de sa noblesse littéraire. On peut donc supposer, qu’en 1440, Altilius aurait eu trente ans. Or, à peine était-il né : il ne vécut qu’un peu plus de soixante ans[4], et il mourut l’an 1501[5].

(B) Pontanus et Sannazar ne sont pas les seuls qui l’aient loué. ] Le Giraldi en parle très-avantageusement. Basile Zanchius a fait plusieurs vers à la louange d’Altilius, qui se trouvent dans les Délices des poëtes d’Italie, Jean-Matthieu Toscan dit beauconp de bien de lui, tant en vers qu’en prose[6] ; mais ceux qui voudront voir l’éloge de son esprit et de son cœur en même temps doivent lire Alexander ab Alexandro, qui a décrit assez amplement la manière dont lui et quelques autres furent régalés par Altilius, quand ils le furent féliciter de sa prélature[7]. Il leur donna un souper plus conforme à son premier état qu’à la dignité épiscopale dont il était alors revêtu : il n’avait pas encore répudié les Muses, ses premières maîtresses (supposé qu’il les ait jamais répudiées) ; ainsi l’entretien roula sur quelques vers de Martial, qui avaient été chantés par un jeune musicien.

(C) L’un des plus beaux poëmes d’Altilius est celui qu’il composa sur le mariage d’Isabelle d’Aragon. ] C’est par-là, et par ses élégies, qu’il acquit sa réputation : Usque adeò molliter ac admirandè in elegis et heroïco carmine excelluit, sicuti ex Epithalamio Isabellæ Aragoniæ perspici potest, ut Pontani atque Actii testimonio antiquis vatibus æquaretur[8]. Jules Scaliger a trouvé trop de profusion dans l’épithalame : voici le jugement qu’il en a fait : Gabriel Altilius epithalamium cecinit longè optimum, excellentissimum verò futurum, si sibi ille temperâsset. Dùm enim vult omnia dicere, afficit auditorem aliquandò fastidio tanto quantâ in aliis voluptate. Est enim nimius, quod vitium illi genti est peculiare. Est enim totis illis Italiæ tractibus perpetua loquendi fames [9]. Cela n’est guère obligeant pour ceux de Naples[10].

(D) On lui a reproché d’avoir negligé les Muses, qui lui avaient été si utiles. ] On a de la peine à digérer qu’un évêque soit l’auteur de ce reproche, et qu’il l’ait exprimé en termes si durs : Is virtutis merito Policastri (ea urbs olim Buxentum fuit) antistes factus, à Musis per quas profecerat, celeriter imipudenterque discessit, magno herclè ingrati animi piaculo, nisi ad spem non injustæ veniæ ob id culpa tegeretur, quòd ad sacras litteras nequaquàm ordinis oblitus tempestivè confugisset[11]. Voyez sur cela les réflexions judicieuses de M. Baillet[12]. Ces quatre vers de Latomus ne sont pas mauvais :

Audiit Altilius desertis transfuga Musis,
In quarum tabulis nobile nomen erat.
Sed quid peccavit si demereatur, ut olim
Carminibus Phœbum, nunc pietate Deum ?

Altilius aurait été plus blâmable, si,

après avoir obtenu la mitre à force de prêcher, il eût fait comme bien d’autres, qui ne prêchent plus dès qu’ils se voient au rang d’évêque. Ils savent, qu’afin de conserver cette sorte de domination, il n’est pas besoin d’employer les mêmes expédiens dont on s’est servi pour y parvenir[13].

Paul Jove n’a guère été plus heureux quant à la question de fait. Il prétend qu’Altilius ne fit plus de vers depuis son élévation à l’épiscopat, et que le plus beau de ses poëmes est l’Épithalame d’Isabelle d’Aragon[14]. Je ne doute pas que cette Isabelle ne soit celle qui fut accordée le 1er. de novembre 1472 avec Jean Galeas Sforce, duc de Milan. Je ne saurais donc me persuader qu’Altilius soit coupable de la désertion qu’on lui impute. Il devint évêque l’an 1471 : le plus beau de ses poëmes fut composé depuis ce temps-là : peut-on donc se plaindre que la mitre l’ait fait abandonner le Parnasse ? Notez qu’il fit cet Épithalame, non pas au temps des fiançailles, mais au temps des noces d’Isabelle d’Aragon, c’est-à-dire, l’an 1489[15]. Cela se prouve par les premiers vers :

Purpureos jam læta sinus Tithonia conjux
Extulerat, roseoque diem patefecerat ortu,
Cæruleum tremulo percurrens lumine pontum,
Qui cupido sua vota viro desponsaque dudum
Connubia, optatosque locos et gaudia ferret.


Par-là, nous convainquons d’une grosse faute l’abbé Ughelli, qui a dit qu’Altilius mourut dans son évêché de Policastro, l’an 1484[16]. On peut prouver qu’il ne mourut qu’environ l’an 1501 ; car Jovien Pontanus observe, en parlant de la nouvelle de sa mort, que Sannazar s’en allait en France avec le roi Frideric[17].

(E) On n’a inséré dans les recueils de Gruterus et de J.-M. Toscan, que l’Épithalame d’Isabelle d’Aragon. ] J’entends par le recueil de Gruterus l’ouvrage qu’on intitule Deliciæ CC. Italorum Poëtarum, collectore Ranutio Ghero. Le recueil de Jean-Matthieu Toscan est intitulé, Carmina illustrium Poëtarum Italorum. Cet auteur dit dans son Peplum, qu’il n’a lu que l’Épithalame, et quelque peu d’épigrammes d’Altilius. Celui qui a procuré en 1689 une nouvelle édition des poésies latines de Sannazar[* 1], et qui les a ornées de quelques notes, observe qu’il ne se souvient point d’avoir vu d’autres pièces imprimées d’Altilius, que l’Épithalame et une épigramme ; d’où il infère qu’il s’en est perdu beaucoup, puisque Paul Jove parle des élégies de ce poëte, et que Sannazar lui attribue des odes [18]. Pour réparer en quelque façon cette perte, on nous a donné dans les notes sur Sannazar trois ou quatre pièces d’Altilius, qu’on avait en manuscrit[* 2]. Le Toppi fait mention de trois pièces d’Altilius, insérées ne’ Fiori delle Rime de’ Poeti illustri raccolti ed ordinati da Girolamo Ruscelli, stampati in Venetia, nel 1558, in-8o. [19]. Ces trois pièces sont : Gabrielis Altilii Lamentatio, ejusdem Epithalamium, ejusdem Elegia.

  1. (*) C’est feu M. Broeckhusius. Rem. crit.
  2. * La Monnaie sur les Jugemens des Savans, n°. 1234, et Leclerc après lui, et Joly après eux, remarquent que ces pièces avaient paru à la suite des poésies de Bazilius Zanchius, Bâle, chez Oporin, 1555, in-8°.
  1. Pauli Jovii Elog., cap. CXXV.
  2. Ughelli Italia sacra, tom. VII, p. 796.
  3. Toppi, Bibliotheca Napoletana. pag. 101.
  4. Jovius, in Elogiis, cap. CXXV.
  5. Voyez ci-dessous, citation (17).
  6. In Peplo Italiæ.
  7. Alex. ab Alex. Genial. Dierum lib. V, cap. I.
  8. Jovius, Elogior. cap. CXXV.
  9. Jul. Cæsar. Scalig. Poëtices lib.VI, p. 736.
  10. Voyez la remarque (H) de l’article Alexander ab Alexandro, vers la fin.
  11. Paul Jovius, Elogiorum cap. CXXV.
  12. Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. I, pag. 138. Voyez aussi tom. III, pag. 82.
  13. Salluste a dit que, Imperium facilè iis artibus retinetur, quibus initio partum est.
  14. Jovius, Elogiorum cap. CXXV.
  15. M. de la Monnaie m’a communiqué cette remarque.
  16. Ughelli Ital. Sacra, tom. VII, pag. 796.
  17. Jovian. Pontanus, in Dialogo cui titulus Ægidius, pag. 1471, 1487. M. de la Monnaie m’a indiqué cela.
  18. Notæ in Sannaz., pag. 184.
  19. Toppi, Bibliotheca Napoletana, p. 102.

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