Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alamos


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ALAMOS (Balthasar) naquit à Medina-del-Campo, dans la Castille. Ayant étudié en droit à Salamanque, il entra au service d’Antoine Perez, secrétaire d’état sous le roi Philippe II, et il eut beaucoup de part à l’estime et à la confidence de son maître : de là vint que l’on s’assura de sa personne, après la disgrâce de ce ministre. On le détint en prison onze ans. Philippe III, parvenu à la couronne, le mit en liberté, suivant les ordres que son père lui en donna dans son testament. Alamos mena une vie privée, jusqu’à ce que le comte duc d’Olivarez, favori de Philippe IV, l’appelât aux emplois publics. On lui donna la charge d’avocat général dans la cour des causes criminelles, et dans le conseil de guerre ; ensuite il fut conseiller au conseil des Indes, et puis au conseil du patrimoine royal. Il était chevalier de Saint Jacques, homme d’esprit et de jugement, et qui avait la plume meilleure que la langue. Il vécut quatre-vingt-huit ans, et ne laissa que des filles. Sa traduction espagnole de Tacite, et les aphorismes politiques, dont il en borda les marges, lui ont acquis beaucoup de réputation ; mais non pas sans que les sentimens soient partagés là-dessus (A). Cet ouvrage, publié à Madrid l’an 1614, devait être suivi d’un Commentaire (B) qui n’a jamais été imprimé, que je sache. L’auteur avait composé le tout pendant sa captivité, et il avait même travaillé en cet état à obtenir un privilége pour l’impression (C). Il laissa quelques autres ouvrages qui n’ont pas été imprimés : Advertimientos al govierno, adressés au duc de Lerme, vers le commencement du règne de Philippe III ; el Conquistador : c’étaient des conseils touchant des conquêtes à faire dans le Nouveau-Monde ; Puntos politicos ó de Estado. Don Garsias Tellode de Sandoval, chevalier de Calatrava, gendre d’Alamos, a donné connaissance de ces manuscrits à don Nicolas Antonio [a], duquel j’ai tiré la plus grande partie de cet article.

  1. Voyez la Bibliotheca Scriptorum Hispaniæ, tom. I, pag. 141.

(A) Les sentimens sont partagés touchant son travail sur Tacite. ] Ce partage concerne beaucoup plus les Aphorismes que la traduction, comme on le va voir par les citations suivantes : « Quant aux Aforismes d’Alamos, ce n’est point ce que l’on pense : car vous n’y trouvez presque rien qui sente l’Aforisme, ni qui approche même de la force de ce qui est exprimé dans le texte de la version. Au lieu que l’Aforisme devroit être plus sentencieux que le texte, les paroles du texte sont toujours plus sentencieuses que l’Aforisme. Enfin, pour trancher court, l’Aforisme n’est le plus souvent qu’une version périfrasée de la version même : chose fade et ennuyeuse pour des lecteurs qui ont de l’intelligence et de la délicatesse. Cela supposé, je ne feins point de dire que la traduction d’Alamos est beaucoup meilleure que les Aforismes ; et c’est un jugement qu’a fait avant moi l’auteur de la Bibliografie Historique-Politique dans l’article des historiens latins. Le Tacite illustré, dit-il (c’est le titre de la version d’Alamos), est fort estimé de nos voyageurs ; mais, à en juger sainement, les notes n’en valent pas mieux que les impertinentes Pensées nouvelles de Louis d’Orléans sur cet auteur, ni que les Remarques auliques et politiques du comte Annibal Scot de Plaisance, lesquelles Juste Lipse appelle à bon droit des Notes de plomb. Cependant, certain secrétaire espagnol, nommé Juan Onate, n’a pas laissé de prendre la peine d’arranger ces Aforismes sous des titres particuliers par ordre alfabétique, et n’a pas fait difficulté de les intituler, Aima de Cornelio Tacito : et de plus, un Jérôme Canini les a traduits en italien, et les a incorporez à la version italienne d’Adriano Politi, comme, quelque chose de bien excellent, témoin ce titre : Opere di Corn. Tacito, illustrate con notabilissimi Aforismi del Signor D. Baldassar Alamo[1]. »

Voilà deux auteurs qui partent avec mépris de ces Aphorismes ; et deux qui en font beaucoup de cas. On s’étonnera moins de cette différence de sentimens, si l’on se souvient, qu’en l’année 1683, M. Amelot n’avait pas la même opinion là-dessus, qu’il a fait paraître en 1686 et en 1690. Consultons la préface de son Tibère[2]. Il est bien vrai, dit-il, qu’Alamos n’a pas seulement traduit Tacite, mais y a fait encore un grand nombre de Remarques, qu’il appelle Aforismes, et qu’Antoine de Covarruvias, son approbateur, dit être la principale partie de son ouvrage[* 1]...... J’avoue que le sien est excellent, soit pour la traduction, qui est aussi claire que l’original. est obscur, soit pour les Aforismes, qui sont à toutes les marges, dont la plupart sont proprement des parafrases et des versions des sentences de Tacite, et les autres des conclusions morales ou politiques, tirées des événemens qu’il raconte ; mais quelque applaudissement que ce livre ait eu dans le monde, je ne laisse pas d’espérer que le mien y sera très-bien reçu de ceux qui sont capables d’être juges en cette sorte de matière, et même d’autant mieux que ce que j’ai fait était beaucoup plus difficile à faire que ce qu’Alamos a fait. Car tous ses Aforismes.... sont autant de pièces et de morceaux, et, comme dit le proverbe, du sable sans chaux et sans ciment ; au lieu que dans mes chapitres, je fais un discours continu de toutes les citations latines qui sont aux marges, et même un corps uniforme de toutes pièces différentes. À quoi Juste Lipse dit qu’il faut avoir travaillé, pour savoir combien cela est difficile. Voici les paroles de Lipse, telles qu’elles sont citées par M. Amelot : Nec verò nudas aut sparsas sententias dedimus, ne diffluerent, et esset, quod dicitur, arena sine calce : sed eas aut inter se haud indecenter vinximus, aut interdùm velut cæmento quodam commisimus nostrorum verborum, è mille aliquot particulis uniforme hoc et cohærens corpus formantes. Hoc totum quàm arduum mihi fucrit, frustrà dixerim apud non expertum... eò major mihi molestia quòd per hæc aliena vestigia sic iverim, tanquàm in liberrimo ingenii cursu[* 2].

(B) Cet ouvrage devait être suivi d’un Commentaire. ] Le privilége du roi fait expressément mention de ce Commentaire. Antoine Covarruvias en parle comme d’un livre qu’il a lu, et il nous en apprend même la forme et les principales parties : c’est dans l’approbation qu’il a donnée à l’ouvrage d’Alamos, imprimée à la tête de la traduction. Un autre approbateur parle nommément du Commentaire. Alamos, dans ses préfaces, en parle plus d’une fois, et promet d’éclaircir là les obscurités de Tacite : cependant Nicolas Antoine n’en dit pas un seul petit mot ; et, ce qui est plus étrange, il ne parle pas même de la traduction : il dit seulement qu’Alamos fit des Aphorismes sur les Œuvres de Tacite.

(C) Il avait travaillé en prison à obtenir un privilége pour l’impression. ] Je ne remarque pas cela afin d’allonger l’article comme quelques lecteurs accoutumés à précipiter leurs jugemens se pourront imaginer. Je me propose l’instruction d’un petit procès qu’on a intenté à Don Antonio, avec beaucoup d’apparence de raison. Il prétend qu’Emanuel Sueiro traduisit les Œuvres de Tacite en espagnol, après qu’Antoine de Herrera en eut traduit quelque partie, et après que Balthasar de Alamos, et Carlos Coloma, les eurent traduites toutes entières : Post Antonii de Herrera aliqualem, Balthasaris de Alamos, et Caroli Coloma, illustrium virorum, integram operam in hujusmet Autoris interpretatione positam[3]. Or il reconnaît que la version de Sueiro fut imprimée à Anvers en 1613 ; et il est certain que celle d’Alamos fut imprimée à Madrid, en 1614. C’est la date que Don Nicolas Antonio a donnée aux Aphorismes d’Alamos[4]. D’ailleurs Alamos a exposé dans sa préface les raisons qui ne l’avaient pas empêché de publier son Tacite, depuis que la traduction de Sueiro avait vu le jour[5]. Il ne semble donc pas qu’il soit possible de répondre pour le bibliothécaire des écrivains espagnols à cette objection de M. Amelot de la Houssaie : Témoignage, dit-il, en citant ce que je viens de citer, que Don Nicolas Antonio s’est mépris quand il fait la version d’Emanuel Sueiro postérieure à celle d’Alamos[6]. Je ne vois que ce seul rayon d’excuse : c’est de dire que peut-être Sueiro n’ignorait pas, lorsqu’il entreprit son ouvrage, qu’Alamos avait déjà obtenu un privilége, pour en publier un tout semblable, qui avait été vu et approuvé par Antoine Covarruvias. La nouvelle avait pu lui en venir jusqu’à Anvers ; car, dès l’an 1594, le roi Philippe II avait donné ordre à ce Covarruvias d’examiner tout ce travail d’Alamos ; et dès l’an 1603, Philippe III avait accordé la permission de l’imprimer. Alamos conte tout cela dans son avis au lecteur : ce qui, pour le dire en passant, renverse la conjecture de ceux qui se voudraient imaginer qu’il ne borda d’Aphorismes sa traduction, qu’afin d’enchérir sur celle de Sueiro[7]. Les Aphorismes étaient l’une des parties principales de son travail, dès le temps qu’il fut approuvé par Antoine Covarruvias.

  1. (*) Aun es la principal parte, y de mas momento, desta Obra.
  2. (*) Lipsius. præfatione Doctr. Civilis.
  1. Amelot de la Houssaye, Disc. Critique, à la tête de sa traduction des Annales de Tacite, imprimée à Paris, l’an 1690. Ce Discours Critique avait déjà paru à la tête de sa Morale de Tacite, en 1686. Il est un peu augmenté dans l’édition des Annales.
  2. Imprimé à Amsterdam, en 1683.
  3. Nicol. Antonii Bibl. Hisp., tom. I, p. 273.
  4. Id. ibid., pag. 140.
  5. Y aunque agora avia salido otro Tacito, traducido por Manuel Sueyro, no quise que dexasse de publicarse el mio, etc.
  6. Amelot, Disc. Critique, au-devant de la Morale de Tacite, et de la version de ses Annales.
  7. Amelot, là même.

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