Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alains


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ALAINS, peuples barbares qui contribuèrent beaucoup à la ruine de l’empire romain. Pline les place dans l’Europe, au delà des embouchures du Danube[a] ; mais Josephe marque plus précisément leur situation : car il les met proche des Marais Méotides et du Tanaïs[b]. Il décrit une furieuse irruption qu’ils firent dans la Médie et dans l’Arménie, sous l’empire de Vespasien. Ce fut alors que Vologèses, roi des Parthes, fit prier cet empereur de le secourir contre les Alains, et de lui envoyer pour général un de ses fils : sur quoi Domitien fit tout son possible pour obtenir cette commission[c]. Voilà ce qui a pu engager M. Moréri à nous dire, en confondant un peu les temps, que ces barbares s’étaient déjà fait connaître du temps de Domitien. Mais ce défaut d’exactitude chronologique est peu de chose, si on le compare avec le reste. Il nous conte que les Alains se joignirent aux Vandales, aux Suèves, et puis aux Goths, au commencement du Ve. siècle ; qu’ils combattirent contre les Français, l’an 505 ; qu’ils ravagèrent les Gaules ; qu’ils avaient pour chef Gonderic, fils de Aodegigile ; que vers l’an 509 ils passèrent en Espagne ; qu’ils s’y établirent, et qu’ils y furent défaits par Vallia, roi des Visigoths, en 418. Il n’est pas aisé de comprendre que de pareilles méprises puissent ne pas sauter aux yeux du lecteur ; car enfin, des peuples vaincus en 418, dans un pays où ils sont passés environ l’an 509, devraient réveiller l’attention la plus languissante. La vérité est que M. Moréri a fait un anachronisme de cent ans. Les Alains s’avancèrent, en 406, des bords du Danube jusqu’au Rhin, sans trouver nulle résistance ; et ayant été joints par les Vandales réchappés d’une bataille perdue contre les Francs, ils entrèrent dans les Gaules. Leur roi s’appelait Respendial : celui des Vandales s’appelait Gunderic, et était fils de Godisigile, qui avait été tué dans la dernière bataille. Plusieurs autres nations barbares s’unirent à ces deux-là, et causèrent une désolation prodigieuse dans toutes les Gaules. Une partie des Alains, sous la conduite d’Utace, qui avait succédé à Respendial, passa en Espagne, l’an 409, et s’établit dans la province de Carthagène, et dans la Lusitanie ; l’autre partie tint bon dans les Gaules, sous la conduite de deux rois. Les Alains d’Espagne, défaits par Vallia, roi des Wisigoths, près de Merida, an 418, furent contraints de se soumettre à Honorius. Leur roi Vatace perdit la vie dans le combat[d]. Nous trouvons encore, sous l’an 464, des Alains, qui secouent le joug des Huns, après la mort d’Attila, et qui entrent dans l’Italie, pour y fixer leur demeure ; mais Ricimer, marchant contre eux avec les troupes de l’empire, les défait de telle sorte près de Bergame, qu’il ne s’en sauve que très-peu, et que leur roi même Biorg est tué dans le combat. Il y avait long-temps que les Huns, ayant fait beaucoup de ravage et de carnage dans le pays des Alains, s’étaient associés avec ceux qui échappèrent à leur fureur. C’est Ammien Marcellin qui nous l’apprend[e]. Il fait une assez longue description des mœurs des Alains[f] : il dit que c’étaient les mêmes peuples que l’antiquité avait nommés Massagètes (A) ; il veut qu’ils aient habité dans les vastes solitudes de Scythie, et communiqué leur nom aux nations voisines en les subjuguant, et répandu ce nom jusqu’au Gange. Quoiqu’il les représente cruels et sauvages (B), il ne leur fait pas égaler à cet égard la brutalité des Huns ; et il remarque qu’ils exerçaient leurs brigandages jusqu’aux Palus Méotides, et jusque dans la Médie et dans l’Arménie.

  1. Plinius, Hist. Natur., lib. IV, cap. XII, et non pas cap. XI, comme dans Moréri.
  2. Joseph., de Bello Judaïco, lib. VII, cap. XXIX.
  3. Cùm Vologeses Parthorum Rex auxilia adversùs Alanos ducemque alterum ex Vespasiani liberis depoposcisset, omni ope contendit ut ipse potissimùm mitteretur : Sueton. in Domit., cap. II.
  4. Cordemoi, Histoire de France, aux années que je marque.
  5. Amm. Marcell., lib. XXX, cap. III.
  6. Voyez la remarque (B).

(A) C’étaient les mêmes peuples que l’antiquité avait nommés Massagètes. ] Il y a deux passages sur cela dans Ammien Marcellin[1]. Le premier est au chapitre V du livre XXIII, et ne souffre aucune difficulté : Lucullus per Albanos et Massagetas, quos Alanos nunc appellamus, hâc quoque natione perruptâ, vidit Caspios lacus. L’autre est au IIe. chapitre du XXXIe. livre, dans un endroit où les manuscrits sont si brouillés, qu’il a fallu recourir aux conjectures de la critique, pour y trouver ce que j’attribue ici à Marcellin. Ce n’est donc que suivant la conjecture du docte M. de Valois, que cet historien a dit là, adusque Alanos pervenit, veteres Massagetas. Or, comme le premier passage prouve manifestement que Marcellin plaçait les Alains dans l’Asie, il me semble que l’on pourrait contester à ce savant commentateur l’explication qu’il donne à ces paroles du texte : Hister advenarum magnitudine fluente Sauromatas prætermeat adusque amnem Tanaïm pertinentes qui Asiam terminat ab Europâ. Hoc transito in immensum extentas Scythiæ solitudines Alani inhabitant[2]. M. de Valois veut que Hoc transito se rapporte au Danube, et non pas au Tanaïs ; et il allègue sur cela Pline, Denys Characénus, Orose, et Tzetzès, qui placent les Alains dans la Sarmatie, et au delà du Danube : mais il ne s’agit pas de ce que d’autres en ont dit ; il n’est question que du sentiment de Marcellin : et sur ce pied-là, il me semble que hoc transito se doit rapporter à Tanaïs, puisque outre que les Massagètes n’ont point habité entre le Tanaïs et le Danube, nous voyons que peu après cet historien met les Alains au voisinage des Amazones, et qu’il les fait courir en brigands, d’un côté jusque dans la Médie et dans l’Arménie, et de l’autre jusques aux Marais Méotides et au Bosphore Cimmérien. Parte aliâ prope Amazonum sedes Alani sunt Orienti adclines, diffusi per populosas gentes et amplas, Asiaticos vergentes in tractus quos dilatari ad usque Gangen accepi fluvium[3]... latrocinando et venando adusque Mæotica stagna et Cimmerium Bosphorum, itidemque Armenios discurrentes et Mediam[4]. Toutes ces choses témoignent qu’il n’a pas suivi le sentiment des auteurs qui ont placé les Alains dans la Sarmatie de l’Europe ; car qui s’aviserait jamais de donner pour une chose notable, que des brigands, situés en ce lieu-là, ravageassent non-seulement la Médie et l’Arménie, mais aussi les Marais Méotides ? Marcellin ne serait pas le seul qui mettrait ces barbares dans l’Asie. M. de Valois ne cite-t-il pas Procope[5], qui les met entre le Caucase et les Portes Caspiennes ? Au reste, que veut dire M. Moréri par ces paroles : Pline les met dans la Sarmatie de l’Europe, où est aujourd’hui la Lithuanie ? Il veut dire sans doute, en cas qu’il sache parler nettement français, que la Sarmatie des anciens est la Lithuanie d’aujourd’hui ; mais cela est faux ; car la Lithuanie n’est qu’une petite portion de l’ancienne Sarmatie européenne. Remarquez que Ptolomée reconnaît deux sortes d’Alains, les uns en Europe, les autres en Asie.

(B) On les représente cruels et sauvages. ] Ils n’avaient point d’autres maisons que leurs chariots. C’était là qu’ils faisaient et qu’ils nourrissaient leurs enfans ; et ils ne s’arrêtaient en un même lieu, qu’autant que le pâturage y durait. La chair et le lait étaient leur seul aliment ; ils ne labouraient point la terre : Nec enim ulla sunt illis tuguria, aut versandi vomeris cura : sed carne et copiâ victitant lactis, plaustris supersidentes.… absumptisque pabulis velut carpentis civitates impositas vehunt, maresque supra cum feminis coëunt, et nascuntur in his et educantur infantes[6]. Ils s’accoutumaient de bonne heure à monter à cheval, et ils regardaient comme une bassesse de marcher à pied. Ils aimaient tellement la guerre, qu’il estimaient heureux ceux qui y perdaient la vie, et qu’ils accablaient d’injures et de reproches de lâcheté ceux qui mouraient de vieillesse ou de maladie. Il n’y avait rien de quoi ils tirassent plus de vanité que d’avoir tué un homme. Ils coupaient la tête à ceux qu’ils tuaient, ils les écorchaient, et ils employaient cette dépouille à des ornemens de leurs chevaux. Ils n’avaient aucun temple, et ils ne rendaient de culte qu’à une épée nue fichée en terre : c’était leur dieu Mars, patron des pays où ils habitaient. Ils devinaient l’avenir, par le moyen de quelques verges choisies avec des enchantemens : Judicatur ibi beatus, qui in prælio profuderit animam : senescentes enim et fortuitis mortibus mundo digressos, ut degeneres et ignavos conviciis atrocibus insectantur : nec quidquam est quod elatiùs jactent, quàm homine quolibet occiso : proque exuviis gloriosis, interfectorum avulsis capitibus detractas pelles pro phaleris jumentis accommodant bellatoriis. Nec templum apud eos visitur, aut delubrum, etc.[7]. C’est là la peinture qu’Ammien Marcellin nous fait de ces Barbares ; et il est bon de représenter à ceux qui ne voient que des peuples civilisés, qu’il y en a d’autres si féroces, qu’on a plus de sujet de les prendre pour des bêtes brutes, que pour une partie du genre humain. Cela peut fournir bien des réflexions, tant physiques que morales, et faire admirer les plis infinis dont notre nature est susceptible, et dont pour un bon l’on peut compter plus de cent mille mauvais.

  1. Moréri cite le Ier. livre, qui est perdu.
  2. Amm. Marcell., lib. XXXI, cap. II.
  3. Ibidem.
  4. Ibidem.
  5. Henr. Valesius in Marcell., lib. XXXI, cap. II.
  6. Amm. Marcell., lib. XXXI, cap. II.
  7. Ibidem.

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