Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Alabaster


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ALABASTER (Guillaume), théologien anglais, naquit à Hadley, dans le comté de Suffolk. Il fut un des docteurs du collége de la Trinité à Cambridge, et il accompagna le comte d’Essex, en qualité de chapelain, à l’expédition de Cadix, sous le règne d’Élisabeth. On veut que les premières pensées de changer de religion lui soient venues, pour s’être laissé éblouir à la pompe des églises de la communion romaine et au respect dont il lui sembla que les prêtres sont honorés ; et qu’ayant paru chancelant, il ait trouvé des personnes qui ménagèrent ces dispositions, et qui profitèrent de telle sorte des plaintes qu’il faisait d’avoir été peu avancé en Angleterre, qu’il n’hésita plus à passer dans le papisme, dès qu’il eut bien considéré que l’espérance d’un meilleur avancement ne serait pas trop bien fondée. Quoi qu’il en soit, il s’agrégea à la communion romaine et n’y trouva point ce qu’il avait espéré. Il s’en dégoûta bientôt : il ne s’accommoda point d’une discipline qui ne lui passait en compte aucun des degrés où il était déjà monté. Apparemment il ne s’accommodait pas mieux de ce culte des créatures, que les protestans sont accoutumés de regarder avec horreur ; ainsi il repassa en Angleterre, pour y reprendre sa première religion. Il y obtint un canonicat dans l’église de Saint-Paul, et puis la cure de Tharfield, dans la province de Hartford. Il entendait fort bien la langue hébraïque, mais il se gâta l’esprit par l’étude de la cabale dont il s’entêta. On en vit des preuves dans le sermon qu’il fit quand il fut reçu docteur en théologie à Cambridge. Il prit pour texte le commencement du premier livre des Chroniques, Adam, Seth, Enos ; et, après avoir touché le sens littéral, il se jeta dans le mystique, soutint qu’Adam signifiait là malheur et misère, et ainsi des autres[a]. Sa méthode d’expliquer l’Écriture ne fut point au goût des catholiques romains (A) : je dirai dans les remarques ce qu’ils en pensèrent, et comment il se tirait de l’objection que l’on fait sur les trois jours et les trois nuits que Jésus-Christ devait être dans le ventre de la terre comme Jonas au ventre de la baleine[b]. Je ne dois point oublier qu’on faisait un très-grand cas de ses vers. Il fit une tragédie latine, intitulée Roxama, dont la représentation dans un collége de Cambridge fut accompagnée d’un accident très-notable[c]. Il y eut une dame qui fut si épouvantée du dernier mot de la tragédie, Sequar, Sequar, tant il fut prononcé d’un air furieux, qu’elle en perdit l’esprit pour toute sa vie. Alabaster vivait encore en 1630. Son Apparatus in revelationem Jesu Christi fut imprimé à Anvers l’an 1607. Quant au Spiraculum tubarum, seu Fons spiritualium expositionum ex æquivocis Pentaglotti[d] significationibus, et son Ecce sponsus venit, seu tuba pulchritudinis hoc est demonstratio quòd non sit illicitum nec impossibile computare durationem mundi et tempus secundi adventûs Christi, ils sont imprimés à Londres[e]. On peut juger par ces seuls titres quel était le goût du personnage ; mais on en jugera mieux par les paroles d’André Rivet, que je citerai (B). Il ne faut pas oublier son Lexicon Hebraicum, in-folio. Je n’ai point parlé des Motifs de conversion, qu’il publia après avoir embrassé le catholicisme : on sait assez que c’est la coutume de ceux qui changent de religion. Cette coutume était même plus en vogue en ce temps-là qu’aujourd’hui. Le public n’avait pas encore eu le temps de se dégoûter de cette sorte de livres. Celui d’Alabaster fut réfuté par Roger Fenton[f].

  1. Ex libro Fulleri, cui titulus Worthies of England.
  2. Voyez la remarque (A).
  3. Fuller, Worthies of England.
  4. C’est ainsi que porte le Catalogue d’Oxford. Il fallait dire Pentateuchi.
  5. Voyez le Catalogue de la Bibliothéque d’Oxford.
  6. Sa réponse est intitulée, An Answer to W. Alabaster’s Motives. London, 1599, in 4°.

(A) Sa méthode d’expliquer l’Écriture ne fut point du goût des catholiques romains. ] François Garasse, jésuite, après avoir rapporté une opinion assez grotesque d’Isidore de Peluse[1], continue ainsi : « L’exposition d’Alabaster est encores plus esloignée du sens commun ; car il s’en va ravaudant sur des fantaisies rabbinesques, qui sont à la vérité plaisantes, si elles estoient aussi solidement fondées, comme elles sont subtilement controuvées. Il dit en son Apparat, ch. ix, que Jonas et N. S ont demeuré ponctuellement trois jours et trois nuicts, l’un dans le ventre de la terre, et l’autre dans le ventre de la baleine, en la façon qui s’ensuit. Jonas, dit-il, fut porté jusques au centre du monde, comme il le dépose luy-mesme : Ad extrema montium descendi, terræ vectes circumdederunt me. Or est-il, qu’estant en cet endroit, il avoit le jour et la nuict tout à la fois ; car regardant vers nostre hémisphere, il avait le jour en face, et la nuict à dos : et puis le lendemain, tout au contraire ; de façon que n’ayant que demeuré un jour et demi, il y a demeuré trois jours entiers, d’autant qu’il faut doubler l’espace, pource qu’il avoit tout à la fois ce que nous avons successivement. Ainsi, nostre Seigneur estant dans le ventre de la terre, a eu comme Jonas le jour et la nuict tout à la fois ; d’autant que son âme s’en est allée jusques au centre de la terre, afin d’avoir le jour d’un costé, et la nuict de l’autre, et par ainsi accourcir le terme de sa demeure sans forcer la vérité, tant il avait d’impatience de laisser ses disciples désolez. Je dis que cette invention faict tort à l’Escriture sainte, d’autant qu’elle est trop contraincte et sophistiquée, et ressemble justement les fantaisies des rabbins ; et partant, ce n’est pas sans sujet que le livre d’Alabaster a esté condamné à Rome : mais il fut si idolastre de ses inventions, qu’il fit encores pis que Héliodore, pource qu’il quitta sa religion, pour ne quitter pas ses grotesques dangereuses qu’il a faits sur l’Écriture sainte[2]. » Joignons le jugement d’un jésuite du Pays-Bas à celui de ce jésuite français. Boufrerius, ayant condamné ceux qui par les machines de la cabale trouvent tout dans chaque passage de l’Écriture, poursuit ainsi : Quod nuper fecit insulsè nimis et irreligiosè Guilielmus Alabaster, qui in illo suo Apparatu ex inanibus hujusmodi fundamentis, ne dicam quisquiliis, conatus est nobis suam mysticam theologiam, et (ità ipse vocat) interiorem Scripturæ sensum ad medullam (re ipsâ aliud nihil quàm deliramenta et somnia) exprimere. Quâ ex re malè audiit et Romæ censoriam Ecclesiæ virgulam meritò expertus est. Quis enim ferat quempiam in re tam seriâ, Scripturæ inquam interpretatione, pro probatis mercibus vendere quæ ipse parùm sano cerebro delirârit[3] ? Il rapporte ensuite quelques exemples des explications chimériques de cet homme.

Nous entendrons bientôt un protestant qui reproche aux catholiques romains d’avoir toléré les visions de cet Alabaster.

J’ai été averti par un habile homme que les lecteurs n’aiment pas qu’on leur indique en général qu’un tel ou un tel ont avancé une opinion chimérique ; cela réveille leur curiosité : ils voudraient la contenter sur-le-champ, et quelquefois même sans être obligés d’aller prendre un autre livre qu’ils ont dans leur cabinet. Cet habile homme aurait donc voulu, ou que je n’eusse rien dit d’Isidore de Peluse, ou qu’ayant marqué en général, que son opinion était grotesque, je l’eusse rapportée, vu principalement que le livre de Garasse ne se trouve guère dans le cabinet des particuliers. Je profite de cet avis ; j’en sais par expérience les fondemens : et c’est pourquoi, en plusieurs autres rencontres, j’ai mieux aimé joindre des queues à mes Commentaires, qu’exciter en vain l’avidité des lecteurs. Isidore de Peluse, pour trouver le nombre complet, a supposé que les ténèbres de la passion doivent être prises pour une nuit, et que le retour de la lumière jusques au coucher du soleil, doit être pris pour un jour. Lisez ce qui suit : « Je respons qu’il est vrai que ce passage[4] a bien donné de la peine pour l’accorder avec la vérité de l’histoire, et que c’a esté un des principaux argumens dont Julian l’Apostat a tasché de renverser la vérité de l’Évangile ; mais qu’il n’est point si désespéré, qu’on n’en tire bien une vraye et naturelle exposition, sans recourir aux fantaisies : ce que quelques-uns ont faict à la bonne foy, comme nous avons veu cy-dessus touchant l’heure de la resurrection. S. Isidore de Peluse, au premier livre de ses Épistres, en l’Épistre cxlv, en rapporte une exposition nouvelle, en ces termes : Sic habeto ; sextâ horâ Parasceves in crucem actus est Dominus, ab hâc horâ usque ad nonam tenebræ exstiterunt ; has tu noctem intellige : rursùs horâ nonâ lux, hæc tu pro die habe : nox rursùm Parasceves : tùm dies Sabbathi, tùm nox Sabbathi Dominici diei : Suyvant cette exposition, il est vray que Jésus-Christ demeura trois jours et trois nuicts dans les entrailles de la terre : mais ce sont des jours et des nuicts réduictes au petit pied[5]. »

(B) On jugera de son goût par les paroles d’André Rivet, que je citerai. ] Anno 1607, dit-il[6], quidam Pontificius Anglus, Guilielmus Alabastrus, edidit Antverpiæ librum cui titulum fecit, Apparatus in Revelationem Christi, in quo profitetur se novam et admirabilem rationem afferre investigandi Prophetiarum mysteria ex Scripturâ se ipsam interpretante. Ibi novam Cabbalam instituit, ex quâ quidlibet ex quolibet educit, et mutatis vel inversis aut separatis et disjunctis Ebræorum vocabulorum litteris aut syllabis, vel etiam in iisdem variorum numerorum ratione excogitatâ, novis etiam significationibus contra grammaticæ rationem assignatis, diversis nominibus aut verbis omnia pervertit ; et ipsi adeò commentum placet, ut quamvis sæpè excipiat se nolle præjudicare latinæ versioni, cùm tamen videat ex eâ nullis fidiculis sensum quem sibi proponit posse erui, non veretur dicere pag. 61, Deum Christi et Religionis Christianæ mysteria per illam verborum formam in Ebræo legis codice expressisse, quæ sensum carnalem et à divinâ mente alienum lectori primâ fronte offerret, atque itâ voluisse ut in Ecclesiâ Christianâ nulla passìm legeretur versio quàm quæ secundùm Ebræorum verborum corticem conciperetur, ut hoc modo sapientia divina non esset cuivis profano obvia. Sed posteà idem, per totum illud opus ità sapientiam illam divinam ex Scripturæ, si Deo placet, penetralibus haurit, ut ne ulli quidem hactenùs ex Patribus sanctissimis, vel unius loci talis interpretatio in mentem unquàm venerit, ne ipsis quidem omnisciis Pontificibus. M. Rivet, ayant donné deux exemples des visions de ce personnage[7], continue ainsi son discours : Alia hujus farinæ multa, pag. 57 et seqq. afferuntur à nugatore blasphemo, quibus syllabas unius nominis et verbi seorsìm accipiens, et à suâ radice divellens, omnia sursùm deorsùm vertit. Et tamen in regno Pontificio toleratur hæc novitas, ubi simplex scripturæ ex ipsâ Scripturâ interpretatio hæreseos insimulatur. Sed de his hactenùs. Videant Pontificii an suo Alabastro non debeant nigrum præfigere theta : nos hominis insolentissimam audaciam detestamur, etsi eum jesuita Possevinus suis Catholicis Scriptoribus inseruerit, Appar. Sacri Tomo primo. Notez : 1o. Que l’ouvrage dont ceci est tiré parut pour la première fois en 1626, et que l’édition in-folio, dont je me sers, imprimée l’an 1652, avait été revue, corrigée, et augmentée par l’auteur : 2°. que le livre d’Alabaster avait été condamné à Rome, le 30 de janvier 1610 ; et que l’auteur était revenu au giron de l’église anglicane depuis assez longtemps, lors de la première édition du livre de M. Rivet. Voici les termes dont se servit la congrégation de l’Index : je les rapporte, parce qu’il semble que l’on en pourrait inférer que l’Apparat d’Alabaster fut réimprimé à Rome, avec des changemens et des corrections. Apparatus in Revelationem Jesu Christi, Auctore Gulielmo Alabastro Anglo, Antuerpiæ 1607 : Et Antithesis Benedicti à Benedictis Veneti, contra Gulielmuni Witackerum, nisi fuerint ex Correctis ab auctoribus et Romæ impressis, cum approbatione P. Mag. Sacri Palatii. Mais peut-être n’a-t-on voulu signifier, sinon qu’en cas que ces auteurs corrigeassent leurs ouvrages et les fissent imprimer à Rome, avec l’approbation du maître du sacré palais, alors il serait permis de lire cette nouvelle édition. Je crois que c’est le vrai sens. Samuel André, théologien allemand, a fait un livre[8] contre la Cabale de Henri Morus[9], où il rapporte quelques exemples des chimères d’Alabaster[10].

  1. Vous la trouverez à la fin de cette remarque.
  2. Garasse, Doctrine curieuse, imprimée à Paris, chez Chapelet, l’an 1623, in-4°., pag. 593, 594.
  3. Bonfrerius, dans les Prolégomènes de son Commentaire sur le Pentateuque, imprimé en 1625, in-fol.
  4. Celui du chapitre XII de saint Matthieu, où il est dit que Jésus-Christ devait demeurer dans le ventre de la terre trois jours et trois nuits.
  5. Garasse, Doctrine curieuse, p. 592, 593.
  6. Riveti Isagoge ad Scripturam Sacram, cap. XI, Operum tom. II, pag. 937.
  7. L’un est sur le verset 9 du chap. XXXVII de la Genèse, l’autre, sur le verset 8 du chap. XL du même livre.
  8. Voyez l’Index Librorum prohibitorum, imprimé à Rome, sous Alexandre VII, p. 206.
  9. Il est intitulé, Examen Cabb. Henr. Mori.
  10. Andr. Examen Cabb. Mori, pag. 55.

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