Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Achée


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ACHÉE, en latin Achæus, cousin germain de Seleucus Céraunus et d’Antiochus-le-Grand (A), rois de Syrie, devint un puissant monarque, et posséda long-temps les états dont il s’était emparé ; mais enfin ses usurpations furent punies d’une terrible manière. Il rendit d’abord de très-grands services, et avec une admirable fidélité, à ses souverains ; car, ayant accompagné Séleucus Céraunus dans l’expédition contre Attalus, il fit mourir les deux capitaines qui avaient ôté la vie à ce Séleucus, et il regagna toutes les provinces qu’Attalus avait conquises, et refusa le titre de roi que les suffrages des troupes et la faveur des circonstances lui mettaient en main [a]. Il résista généreusement à ces tentations, et ne voulut vaincre que pour le successeur légitime du monarque dont il avait vengé la mort, c’est-à-dire pour Antiochus, frère puîné de Séleucus. Mais la bonne fortune l’aveugla ; car, dès qu’il vit que ses victoires l’avaient rendu maître de tous les états d’Attalus, si vous en exceptez la seule ville de Pergame, il se fit appeler roi. Il soutint cette usurpation avec beaucoup de prudence et de courage, et il n’y eut au-deçà du Taurus aucun prince qui se fit craindre autant que lui[b]. Les grandes et belles provinces qu’il possédait au-deçà de cette montagne ne suffirent pas à son ambition ; il songea aussi à la conquête de la Syrie, quand il eut appris qu’Antiochus était allé faire la guerre à Artabazane[c]. Il espéra, ou que cette expédition ferait périr Antiochus, ou qu’elle serait si longue, qu’il aurait le temps de s’emparer de la Syrie avant le retour de ce monarque. Il compta aussi beaucoup sur la rébellion de quelques provinces qui venaient de se soulever. Il partit donc de Lydie avec une grande armée, et pendant sa marche il écrivit aux sujets d’Antiochus ; mais, quand il fut proche de Lycaonie, il s’aperçut que ses soldats ne voulaient point porter les armes contre leur ancien roi. Cela fit qu’il leur déclara qu’il se désistait de son entreprise. Il rebroussa chemin, et ayant pillé la Pisidie, il leur distribua un butin si considérable, qu’il regagna entièrement leur amitié[d]. Inférons de là en passant que ceux qui disent qu’il se déclara roi de Syrie parlent sans exactitude. Antiochus, ayant fini glorieusement la guerre qu’il avait faite à Artabazane, envoya des ambassadeurs à Achée pour se plaindre de ce qu’il prenait le titre de roi, et favorisait ouvertement les Égyptiens[e]. Ce reproche ne fut pas entièrement sans effet ; car nous trouvons qu’Antiochus fit une trêve avec leur prince[f], parce qu’il savait qu’Achée, son allié en apparence, était réellement dans leurs intérêts. Cela montre que l’usurpateur eut quelques égards pour les plaintes d’Antiochus, et qu’il fit semblant de se joindre à lui contre Ptolomée, roi d’Égypte. Celui-ci tâcha vainement de le faire comprendre au traité de paix ; Antiochus en rejeta toujours la proposition, et ne pouvait souffrir que le roi d’Égypte osât lui parler pour des rebelles [g] ; et, dès qu’il eut les mains libres, il s’appliqua fortement à recouvrer les états qu’Achée avait usurpés : il en vint à bout ; il le confina dans Sardes, il l’y assiégea, il prit la ville après un long siége[h], et il se trouva des traîtres dont l’intrigue fit donner Achée dans le panneau. Ils l’engagèrent à sortir de la citadelle de Sardes, et ils le livrèrent à Antiochus, qui le fit punir du dernier supplice, cruellement et ignominieusement : il lui fit couper les extrémités des membres, et puis la tête, qui fut cousue dans une peau d’âne, et il fit attacher le reste du corps sur une croix [i]. Ceci se passa l’an 540 de Rome. Ce fut un exemple propre à servir en deux façons (B). Je ne marque point les fautes de M. Moréri : on les connaîtra aisément par la seule comparaison de son narré avec le mien ; mais pour les fautes de François Patrice, je les marquerai nettement (C).

  1. Ce fut vers la fin de la 139e. olympiade. et l’an de Rome 533 Calvisu Chronol. pag. 278.
  2. Tiré de Polype, liv. IV. ch. XIII, p. 322.
  3. Prince dont les états étaient situés proche de la mer Caspienne. Voyez Polybe, liv. V. chap. XIII, pag. 408
  4. Polybii Histor. lib. V. cap. XIII. 410
  5. Idem, ibid, pag. 409.
  6. Idem, ibid. cap. XV, pag. 418.
  7. Idem, ibid, pag. 418.
  8. Idem, ibid, lib. VII, cap. III.
  9. Idem, ibid, lib. VIII, cap. V et VI.

(A) Cousin germain de Séleucus Céraunus, et d’Antiochus-le-Grand. ] Il était fils d’Andromaque, qui était frère de Laodice, femme de Séleucus Callinicus, et mère de ces deux princes [1]. Observons qu’il fut bon fils : car, ayant su qu’Andromaque était en prison dans Alexandrie, il n’oublia rien pour le tirer de cette captivité. Les Rhodiens, ayant connu là-dessus ses dispositions, envoyèrent des ambassadeurs au roi Ptolomée pour lui demander Andromaque. Leur dessein était d’en faire un présent à Achée, afin de l’engager à ne pas tenir aux Byzantins la promesse qu’il leur avait faite de les secourir. Il y avait alors une forte guerre entre les Rhodiens et les Byzantins. Le roi d’Égypte fit quelque difficulté de se dessaisir d’Andromaque : il savait qu’un prisonnier tel que celui-là lui pourrait être de quelque utilité en temps et lieu ; car il était encore brouillé avec le roi de Syrie, et il n’ignorait pas la grande puissance d’Achée. Mais, pour faire plaisir à ceux de Rhodes, il voulut bien enfin leur remettre ce prisonnier ; afin que, s’ils le jugeaient à propos, ils l’envoyassent à son fils. C’est ce qu’ils firent ; et par ce moyen, et par quelques autres, ils se procurèrent l’amitié d’Achée, et ôtèrent au Byzantin le principal fondement de ses espérances[2]. Notez qu’Achée fut marié à Laodice, fille du roi Mithridate [3], laquelle avait été très-bien élevée par Logbasis, bourgeois de Selge, ville de Pisidie[4]. Cette dame soutint le siége de Sardes avec son mari, et se vit contrainte de se rendre après qu’il eut été mis à mort[5].

(B) Ce fut un exemple propre à servir en deux façons. ] Car ce fut un avertissement de se tenir dans la défiance, et de ne point abuser des faveurs de la fortune. Copions les paroles de Polybe, l’auteur de cette moralité. Κατὰ δύο τρόπους οὐκ ανωϕελὲς ὑπόδειγμα γενόμενος τοῖς ἐσομένοις· καθ᾽ ἕνα μὲν, πρὸς τὸ μηδενὶ πιςεύειν ῥαδίως· καθ᾽ ἕτερον δε, πρὸς τὸ μὴ μεγαλαυχεῖν ἐν ταῖς εὐπραγίαις, πᾶν δὲ προσδοκᾶν ἀνθρώπους ὄντας[6]. Exemplum posteris duobus modis utile : primùm, ut nemini temerè esse credendum discamus : deindè, rebus lætis, ut spiritus ne attollamus, sed, ut homines, kumani nihil à nobis alienum putemus.

(C) Pour les fautes de François Patrice, je les marquerai nettement. ] Il prétend que les sujets d’Achée, accablés d’impôts, se soulevèrent et le massacrèrent avec toute sa famille, et jetèrent son cadavre dans le Pactole pour lui faire boire des eaux dorées. Achæus, Lydiæ Mæoniæque rex, gentilitio avaritiæ crimine ardebat ; is siquidem creba ac gravia populis tribula semper imperabat, in quibus exigendis sævus, improbus, atque inexorabilis erat : verùm cùm tantam injuriam diutiùs populi ferre nequirent, nocturnâ tesserâ inter se datâ, subitò hominum concursu illum cum omni familiâ trucidaverunt, et regiâ incensâ ejus cadaver unco tractum in Pactolum flumen demerserunt, ut auri feras aquas semper potaret[7]. Remarquez d’abord qu’il se trompe en prétendant que notre Achée était Lydien, issu des anciens rois du pays, et héritier de leur avarice. Il songeait et aux richesses de Crésus et aux demandes de Midas[8] : il eût mieux valu se souvenir qu’Achée était Syrien. Mais cette faute est petite en comparaison du reste ; car toutes les circonstances de ce narré sont des mensonges. M. de Boissieu se persuade que les mauvais interprètes de ces paroles d’Ovide,

Morte vel intereas capti suspensus Achæi,
Qui miser auriferâ pependit aquâ[9],


ont trompé cet écrivain. Il observe avec raison qu’elles signifient qu’on pendit le corps d’Achée proche du Pactole[10]. Il ajoute que Zarottus est le premier qui ait entrevu la pensée du poëte, et que Léopardus la connue pleinement, et qu’ainsi Lipse n’a pas dû se glorifier de la première découverte du vrai sens de ce passage. Hanc esse poëtæ nostri mentem primus vidit Zarottus, sed quasi per nebulam ; et omninò Paulus Leopardus Emendat. lib. I. cap. 20, ideò non erat, quò Justus Lipsius, lib. I. de Cruce, cap. 4, principem sibi hujus loci explanationem tribueret. Valeat autem Alciatus cum suâ illâ explicatione, quam libro IX, capite 24, Parergon Juris inseruit[11]. Quoi qu’il en soit, François Patrice place très-mal ses exemples. Achée ne fut point puni pour son avarice, mais pour son ambition. Aquilius, qu’on lui associe[12], à cause que Mithridate lui fit verser de l’or fondu dans la bouche, n’a rien de commun avec la vengeance qu’Antiochus employa.

  1. Polybii Histor. lib. IV, cap. XIII, pag. 324 ; et lib. VIII, cap. VI, pag. 531.
  2. Polyb. lib. IV, cap. XIII.
  3. Idem, lib. VIII, cap. VI, pag. 531.
  4. Idem, lib. XV, cap. XVII, pag. 425.
  5. Idem, lib. VIII, cap. VI, pag. 532.
  6. Idem, lib. VIII, pag. 528, edit. Casauboni.
  7. Franciscus Patricius, de Regis Institutione, lib. IV, tit. IX, pag. 242.
  8. Ovidii Metam. lib. XI, vs. 103.
  9. Ovnidius, in Ibin, vs. 301.
  10. Dionys Salvagnii Boessii Notæ in libellum Ovidii in Ibin, pag. 63.
  11. Idem, ibid.
  12. Patricius, de Reg. Instit. lib. IV, lib. IX, pag. 243.

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