Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Accurse 4


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ACCURSE (Marie-Ange, en latin Mariangelus) est un des critiques qui ont vécu au seizième siècle. Il était d’Aquila (A), dans le royaume de Naples. Sa grande passion était de chercher et de conférer les vieux manuscrits, afin de corriger les passages des anciens. Les Diatribes, qu’il fit imprimer à Rome, in-folio, l’an 1524, sur Ausone, sur Solin et sur Ovide, montrèrent de quoi il était capable en ce genre d’érudition. Il avait fort travaillé sur Claudien (B) ; mais cet ouvrage n’a point été publié, encore que l’auteur eût fait savoir qu’il y avait corrigé environ sept cents passages sur les anciens manuscrits. Barthius a témoigné du chagrin de ce qu’un pareil ouvrage n’est point sorti de dessous la presse [a], et de ce qu’on ne réimprimait point les autres [b]. Il ne méprise point Accurse du côté de l’esprit, et il le trouve souvent judicieux. Ce critique faisait des vers en latin et en italien (C) ; il entendait et la musique et l’optique, et il voyagea au septentrion (D). Ceux qui nous apprennent cela pouvaient ajouter qu’il entendait parfaitement la langue française, l’espagnole et l’allemande ; qu’il ramassa un grand nombre d’antiques qui furent mises dans le Capitole, et qu’il passa trente-trois ans[* 1] à la cour de Charles-Quint, auquel il était fort agréable, et dont il reçut bien des faveurs[c]. Il ne faut pas oublier que son édition de Marcellin est plus ample de cinq livres que les précédentes [d] (E). Cette édition est d’Augsbourg, en 1533. Il prétend avoir corrigé cinq mille fautes dans cet historien[e]. Il publia, en la même année et dans la même ville, les Lettres de Cassiodore, en douze livres, accompagnées du Traité de l’âme ; et c’est à lui que l’on doit la première édition de cet auteur[f]. Comme il y avait de son temps quelques écrivains latins qui aimaient à se servir des termes les plus surannés, il se moqua d’eux fort plaisamment dans un dialogue qu’il publia l’an 1531 (F). Il y joignit un petit traité de Volusius Metianus, ancien jurisconsulte[g]. Il a fait aussi un livre touchant l’invention de l’imprimerie (G). On l’accusa de plagiat au sujet de son Ausone ; car on débita qu’il s’était approprié le travail de Fabricio Varano, évêque de Camerin ; mais il s’en purgea avec serment, et protesta qu’il n’avait jamais lu de livre dont il eût tiré quelque chose qui eût servi à orner le sien. La forme de son serment est remarquable (H). On aurait vu sortir de dessous la presse plusieurs ouvrages de sa façon, si son fils Casimir, qui était homme de lettres (I), avait vécu plus longtemps [h].

  1. * Charles-Quint ayant abdiqué en 1555, et Accurse étant encore à Rome en 1524, Joly remarque qu’Accurse ne peut avoir passé 33 ans à la cour de ce monarque. Ce serait tout au plus 31, qu’il faut réduire de beaucoup, si A. M. Accurse est mort en 1535, comme le croit Joly.
  1. Barth. in Statium, tom. II, pag. 399 ; tom. III, pag. 1602 ; in Claudian. pag. 826 ; et Adversarior. lib. XX, cap. XVIII.
  2. On l’a fait à l’égard d’Ausone dans l’édition d’Amsterdam, en 1671, mais non pas selon toute l’étendue du titre qui promet Notas integras Accursii.
  3. Nicolo Toppi, Biblioth. Napoletana, pag. 206.
  4. Henr. Valesii Præf. in Ammian. Marceli.
  5. Toppi, Biblioth. Napolet, pag. 206.
  6. Leonardo Nicodemo, Addizioni alla Biblioth. Napolet. pag. 170.
  7. Il a pour titre, Distributio, item vocabula ac notæ partium in rebus pecuniariis, pondere, numero, mensurâ.
  8. Toppi, Biblioth. Napolet., pag. 206.

(A) Il était d’Aquila. ] Outre le témoignage du Toppi, approuvé par le Silence de Léonard Nicodème, voici des vers qui confirment cette vérité.

Ut voluerum regina supervolat æthera, et alti
Immotum lumen solis in orbe tenet ;
Sic illâ genitus Mariangelus urbe....
Alite quæ à Joviâ nobile nomen habet,
Felice ingenio solers speculatur, etc.


Ils sont dans une pièce de François Arsilus[1], imprimée à la fin d’un recueil de vers, intitulé Coryciana, qui fut publié à Rome, l’an 1524. Il y a dans ce recueil un protrepticon de notre Accurse ad Corycium[2], qui contient 87 vers. La pièce d’Arsillus a pour titre, de Poëtis urbanis ad PauIum Jovium. Pierius Valerianus, contemporain d’Accurse, le surnomme Aquilanus, non-seulement dans son commentaire sur le XIIe. livre de l’Énéide ; mais aussi dans des vers latins [3] qu’il lui adresse. Comptons donc à coup sûr pour une faute ce que Barthius a dit de la patrie d’Accurse. Il l’a fait naître à Amiterne[4]. Konig, n’ayant point su que cela fût faux, l’a adopté tout du long. Ces paroles d’Accurse : Nec placuit reticere, ne quis (quod Sallustius civis ait meus), modestiam in conscientiam duceret [5], ont trompé Barthius. Or, voici pourquoi Accurse a traité Salluste de compatriote ; Salluste, dis-je, qui était natif d’Amiterne : c’est que la ville d’Aquila a profité de la ruine d’Amiterne, et lui a été substituée en quelque façon. Elle n’est qu’à cinq milles des masures d’Amiterne. Consultez M. Baudrand.

(B) Il avait fort travaillé sur Claudien. ] Puisque les fatigues de son voyage d’Allemagne et de Pologne ne l’empêchèrent pas de corriger près de sept cents fautes dans ce poëte, on peut s’imaginer que pendant un meilleur loisir il s’appliqua fortement au même travail. Talis, dit-il[6], non ales legitur in codicibus (Claudiani) etiam novissimè recognitis. Qui tantùm abest ut non etiam nunc versibus sint claudi ac deformes, ut eos ex vetustis exemplaribus, dùm Germaniam Sarmatiasque nuper peragramus, septingentis ferè mendis inter equitandum eluerimus.

(C) Faisait des vers en latin et en italien. ] Voici ce qu’Accurse nous apprend sur ce sujet dans une fable intitulée Testudo, qu’il a jointe à ses Diatribes. Il y raconte les persécutions qu’il souffrait à Rome de la part de ses envieux, et comment ils lui faisaient un crime des choses les plus innocentes. Novistis, dit-il en s’adressant à deux jeunes princes de la maison de Brandebourg, auxquels il a dédié son livre, ipsi principes, quàm mihi vestitum propè (ut aiunt) militarem probro verterint, tùm fidibus scire musicem callere, philosopho indignum prædicent, quantùmque invaserint, quòd et opticen cum litterarum studiis, vernaculosque cum latinis numeris conjunxerim. Il dit là qu’il travaillait à l’histoire de la maison de Brandebourg, sur les mémoires qu’on lui fournissait.

(D) Et il voyagea au septentrion. ] Nous l’avons déjà entendu lui-même, faisant savoir à ses lecteurs le grand nombre de passages qu’il corrigeait sur les arçons de la selle, en traversant l’Allemagne et la Pologne. Ce qui suit nous apprendra qu’il remarquait jusqu’aux moindres choses, jusqu’aux chansons avec quoi l’on endormait les enfans ; mais il n’en tirait pas de fort bonnes conséquences. On le va voir : Nuper, dit-il[7], non in Pannoniâ solùm, atque adeò apud septemtrionales plerosque populos, verùm etiam ultra Sauromatas, non sine admiratione audivimus, ad suadendum nutricio more infantibus somnum, dici li lu, li lu, tùm et la lu, la lu, et la la, la la. Quod nostrates ferè nan na, nan na, et nin na, nin na, etiam morâ quâdam vocem suspendentes passìm dicere consueverunt. Movit porrò nos majori quâdam admiratione, quòd infantes ipsi et horriduli et sordiduli vixdùm fari incipientes mamman atque tatam latinè balbutiunt, ipsis quoque matribus non intellecti. Ut videri possint et hœ quoque voces naturales magis quàm arbitrariæ. Il a tort de s’imaginer que les mères n’entendissent pas ce que leurs petits enfans voulaient dire ; c’étaient elles qui leur avaient appris ces mots.

(E) Son édition de Marcellin est plus ample de cinq livres que les précédentes. ] Le Toppi avait de mauvais mémoires sur ce fait. Il n’a point dit ce qu’il fallait dire, et il a dit ce qu’il ne fallait pas avancer. Il n’a point dit qu’Accurse eût joint cinq nouveaux livres à ceux qu’on avait déjà ; il n’a parlé que du sixième. Or il est faux que le sixième ait été trouvé : il nous manque encore les treize premiers livres de cet historien. Léonard Nicodème a relevé là-dessus comme il fallait Nicolas Toppi[8].

(F) Dans un dialogue qu’il publia l’an 1531. ] Comme tous ceux qui auront mon livre n’auront pas celui de Léonard Nicodème, copions amplement le titre de ce dialogue. Osco, Volsco, Romanoque eloquentid interlocutoribus, Dialogus ludis Romanis actus. In quo ostenditur verbis publicâ monetâ signatis utendum esse, prisca verò nimis et exoleta tanquàm scopulos esse fugienda. Si quid itaque, lector optime, antiquitatem amas, ut sanè debes, libellum hunc ingenti quamvis pecuniâ à bibliopolâ te tibi redemisse non pœnitebit. Nam prœter quàm quòd vocibus partim Oscis, partim Volscis conscriptus est, latina quoque istuc verba exoletiora nimisque prisca quibus Aborigines, Picus, Evandrus, Carmentaque ipsa loquebantur, affatìm collata sunt. Quœque omnia apud Ennium, Pacuvium, Plautum, aliosve hujus notœ priscos auctores abstrusiora leguntur. Itemque recentiorum cacatas Apulei et Capellæ chartas, hujusmodive aliorum. Quæ ut certè sunt evitanda, ita tamen ab eo qui docti nomen ferat agnoscenda sunt, ut cùm aliquandò in eas offenderit, de illorum sensu ei turpiter hæsitandum non sit[9]. Voici le jugement qu’André Scholtus fait de ce livre : De Apuleio metamorphoseos ex Lucio Patrensi, seu Luciano, scriptore audi, amabo, quæ in Dialogo olim ante hos ipsos octoginta annos a Mariangelo Accursio (homine, ut illis temporibus pererudito, quique Nasonem, Ausonium, ac Solinum Diatribâ illustravit) oscè ac volscè conscripto, ut sæculi degenerantis nimiùm à primâ eloquentiâ insaniam veluti aceto aspersa satira perstringeret, audi, inquam, et risum contine, si potes, etc.[10].

Notez que ce livre de notre Accurse est in-8o, mais notez surtout ce qui m’a été communiqué par M. de la Monnaie. « Le dialogue de Marie-Ange Accurse contre ces corrupteurs de la langue latine peut avoir été imprimé l’an 1531 ; mais il faut croire qu’il avait déjà paru quelques années auparavant, puisque Geoffroi Tory le cite dans son Champ fleuri, imprimé par lui-même, in-4o. l’an 1529 Semblablement, dit-il, mille autres façons de dire que Hieronyme Avance, natif de Vérone, allègue au commencement de ses Annotations qu’il a très-diligentement faites sur les œuvres du poëte ancien nommé Lucretius, que je laisse aux curieux et amateurs d’antiquité, et de laquelle chose on peut amplement voir et lire en un dialogue intitulé Osci et Volsci Dialogus ludis Romanis actus. Cette pièce est désignée par Paul Jove dans l’éloge de Baptiste Pio, qu’elle attaquait principalement. Le titre du dialogue est assez particulier, et bien honnêtement long : mais j’ai peine à en construire les premiers mots : Osco, Volsco, Romanoque eloquentiâ interlocutoribus. Il faudrait, ce me semble, et eloquentiâ, etc. »

(G) Un livre touchant l’invention de l’imprimerie. ] Je ne me vante point de l’avoir vu :[* 1] j’avance cela sur la foi du Toppi[11] ; mais voici un fait dont je suis bien assuré. On a cru que notre Accurse avait écrit de sa main au premier feuillet d’une grammaire de Donat imprimée sur papier vélin, que ce Donat, avec un autre livre intitulé Confessionalia, étaient les premiers livres imprimés, et que Jean Faust, Bourgeois de Mayence, inventeur de l’art, les avait mis sous la presse l’année 1450[12]. M. Chevillier observe que cet Accurse vivait en l’an 1500[13] ; et néanmoins il met quelque différence entre son témoignage et celui qui fut rendu par Ulric Zel, libraire de Cologne, l’an 1499 : il y met, dis-je, quelque différence à l’égard du temps. Il y avait, dit-il, un plus long temps que le Donat était imprimé, lorsqu’Accurse écrivait cela, que lorsque Zel en parlait[14]. Chacun comprend qu’une année de plus ou de moins est ici sans conséquence. De plus, doit-on dire qu’un homme qui a passé trente-trois années à la cour de Charles-Quint, vivait l’an 1500 ?[* 2]

(H) La forme de son serment est remarquable. ] La voici : Quod dii hominesque, fas, fidesque audiat, sacramenti religione, ac si quid est jusjurando sanctius, affirmo, idque ritè pariter ac sine dolo malo dici, cæterisque accipi volo, me nec ullius unquàm scripta perlegisse ac ne conspexisse quidem, undè fel tantillùm lucubrationes nostræ redimiri juvarique datum fuerit. Quin immò laborâsse, quoad ejus fieri licuerit, ut si quippiam alterius, post observationem quoque meam, editum occurrerit, è nostris protinùs aboleverimus. Quòd si pejerem, tùm pontifex perjurio, malus autem genius Diatribis contingat, usque adeò ut, si qua bona aut saltem mediocria in ipsis fuerint, imperitorum turbæ pessima, bonis leviuscula tricisque viliora censeantur, famæ si qua manent munera, vento evolent, proque vulgi levitate ferantur[15]. Combien de réflexions pourrait-on faire sur ce serment !

(I) Son fils Casimir.....[* 3] était homme de lettres. ] C’est apparemment celui que le docte et le fameux patron des doctes, Vincent Pinelli, eut pendant quelque temps dans sa maison ; car, encore que le Gualdo donne le nom de François au fils d’Accurse, il a peur de se méprendre en le lui donnant. Voici comme il parle. Præter hos domi habuit Benedictum Octavianum, res philosophicas theologicasque doctum... Mariangeli Accursii filium Franciscum, ni fallor, insignem moribus et doctrinâ[16].

  1. * Le livre dont parle le Toppi n’existe pas, ainsi que le remarque Joly. Le Toppi a métamorphosé en livre la note sur le Donat.
  2. * Joly, sur le poids des témoignages de Zel et Accurse, dit que le plus rapproché des temps où les faits ont eu lieu a le plus de poids ; que Zel est antérieur à Accurse, et conclut que le raisonnement de Chevalier a été à tort attaqué par Bayle.
  3. * Ce Casimir était, suivant Joly, non le fils, mais le petit-fils d’Accurse.
  1. L. Nicodemo le nomme mal Arsillus dans ses Addizioni alla Bibioth. Napolet., pag. 179.
  2. C’était un Allemand, nommé Geritz, à ce que j’ai appris de M. de la Monnaie.
  3. Lib. IV Amorum, apud Nicodem. Add. alla Biblioth. Napolet., pag. 170.
  4. Ipse Sallustii civis, Amiternimus nempè. Barth. in Stat. tom. II, pag. 399.
  5. Mariang. Accurs. in Testitudine.
  6. Accursii Diatr. in Ausonium. On a retranché ces paroles dans l’édition d’Ausone de 1671.
  7. Diatrib. in Auson.
  8. Leonardo Nicodemo, Addizioni alla Biblioth. Napolet., pag. 170.
  9. Tiré de Leonardo Nicodemo, Addizioni alla Biblioth. Napolet., pag. 170.
  10. Andr. Schottus, lib. I. Quæst. Tullianar., pag. 59, apud Leon. Nicodemum, Addizioni alla Bibl. Napoletana, pag. 170.
  11. Toppi, Biblioth. Napolet., pag. 206.
  12. Chevillier, Origine de l’Imprimerie de Paris, pag. 21. Il cite le livre de Bibliothecâ Vaticanâ, composé par Ange Roccha, et imprimé à Rome l’an 1591. Boxhornius, dans son Théâtre Hollandais, pag. 138, cite fort au long ce passage d’Ange Roccha.
  13. Chevillier, Origine de l’Imprim. de Paris, pag. 21 et 281.
  14. La même, pag. 284.
  15. Mariang. Accursius in Testudine ad calcem Diatrib.
  16. Galdus, in vitâ Vinc. Pinelli.

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