Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Acciaioli 1


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ACCIAIOLI (Donat), homme illustre tant par son érudition que par les emplois qu’il eut à Florence sa patrie, a fleuri dans le quinzième siècle. Il aurait pu devenir beaucoup plus docte qu’il ne l’a été, si les affaires publiques lui avaient permis de donner plus de temps à ses études, et si la délicatesse de son tempérament ne l’eût empêché de jouir d’une longue vie[a]. Sa probité et son désintéressement n’ont pas besoin d’autres preuves que du peu de bien qu’il laissa à ses enfans. Ses filles furent mariées aux dépens du public[b], comme autrefois celles d’Aristide ; et cela marquait en même temps combien sa patrie était satisfaite des services qu’elle avait reçus de lui. On l’avait envoyé en France pour demander du secours contre le pape Sixte IV, qui harcelait extrêmement les Florentins ; mais il mourut avant que d’avoir passé les Alpes[c]. Ce fut à Milan, au mois d’août 1473[* 1] : il courait sa trente-neuvième année[d]. Son corps fut porté à Florence, et enterré dans l’église des Chartreux [e]. L’épitaphe que l’on voit sur son tombeau est de la façon de Politien. Les ouvrages qu’on a de lui se réduisent à la Traduction latine de quelques Vies de Plutarque (A), à la Vie de Charlemagne, et à des Commentaires sur la Morale et sur la Politique d’Aristote. Cette vie de Charlemagne ayant été quelquefois jointe avec celles de Plutarque, a donné lieu à une étrange bévue de George Wicélius. Il a débité cette vie comme un ouvrage de Plutarque[f], tant il était versé dans la doctrine des temps. Quelques-uns ont accusé Acciaioli de plagiat (B), par rapport au Commentaire sur la Morale d’Aristote ; d’autres ont outré les louanges qu’ils lui ont données pour ce livre (C). Il a eu beaucoup de part à l’estime du cardinal de Pavie, comme il paraît par les lettres qu’il en recevait, et que l’on trouve parmi celles de ce cardinal qui ont été publiées.

On trouvera ci-dessous un supplément considérable (D)[* 2].

  1. * Joly dit que c’est en 1478.
  2. * Joly a suppléé ou corrigé plusieurs choses dans un long et ennuyeux article, et il y revient encore dans ses additions et cor- rections. Chauſepié donne la liste de quelques ouvrages d’Acciaioli omis par Bayle.
  1. Jovius in Elogiis. cap. XVI.
  2. Volaterr., lib. XXI.
  3. Jovius in Elogiis. cap. XVI.
  4. Varillas, Anecd. de Florence, p. 169.
  5. Jovius in Elogiis. cap. XVI.
  6. In Hagiologiâ, fol. 178, apud Vossium de Hist. Lat., pag. 624.

(A) De quelques Vies de Plutarque. ] Il en aurait traduit quatre, si nous en croyions Vossius[1] et Konig [2] : celle d’Annibal, celle de Scipion, celle d’Alcibiade, et celle de Démétrius ; mais, comme il ne paraît pas que ni la vie de Scipion, ni la vie d’Annibal par Plutarque, soient dans la nature des choses, il est beaucoup plus probable qu’Acciaiolus a composé de son chef les vies de ces deux grands capitaines[3], qu’il n’est probable qu’il les ait traduites du grec. C’est à quoi Vossius ne semble pas avoir pris garde. Apparemment l’abréviateur de la Bibliothéque de Gesner lui a servi de mauvais guide. Le père Ménétrier assure qu’Acciaioli fut un imposteur en se vantant d’avoir traduit sur le grec la vie d’Annibal[4].

(B) Quelques-uns ont accusé Acciaioli de plagiat. ] On prétend qu’il s’appropria les Leçons de Jean Argyropylus, et qu’il en bâtit le commentaire qu’il publia sur la morale d’Aristote, sans rendre à chacun ce qui lui appartenait. Scripta, quæ sub nomine Acciaioli ed de re circumferuntur, non Acciaioli commentaria, sed Argyropyli Prælectiones Florentiæ habitæ, et ab Acciaiolo descriptæ editæque a plerisque existimantur. C’est ainsi que parle Simon Simonius dans l’épître dédicatoire d’un livre imprimé en 1567[5]. Gabriel Naudé renouvela cette accusation long-temps après d’une manière fort positive. Argyropylus Byzantinus, dit-il[6], cujus Prælectiones Florentiæ habitas non absque manifesto plagii crimine sibi poste à vindicavit Donatus Acciaiolus. M. Moréri a confondu la Morale d’Aristote avec le Commentaire sur cette morale : On a même cru, dit-il, que la Morale d’Aristote à Nicomachus, que Donat avait publiée, était de la façon du même Argyropyle ; mais Volaterran soutient le contraire. Voilà comment cet auteur savait traduire le latin le plus aisé, je veux dire le latin de Vossius : il avait lu ces paroles dans Vossius : Imò, commentaria illa in Nicomachiâ Aristotelis multi arbitrantur non ipsius esse Acciaioli, sed Prælectiones esse Argyropyli, ab Acciaiolo autem descriptas, inque lucem emissas. Nihil tale tamen de eo Volaterranus[7]. C’est confondre deux fois les choses ; c’est prendre le Commentaire pour le texte : c’est prendre le silence d’un homme pour la réfutation formelle d’une accusation. Le docte Conringius a justifié notre Donat contre Naudé ; non pas en montrant qu’Argyropylus n’avait point fourni les matériaux de l’ouvrage, mais en disant qu’Acciaioli avait indiqué sa source[8]. Quel aveu peut-on demander plus authentique que celui-ci ? Joannes Argyropylus Byzantius. cùm Florentiæ inter cætera philosophiæ opera Aristotelis libros qui ad Nichomachum de moribus scribuntur, mirificè esset complexus, eos tuo nomine latinos fecit, publicèque deindè explicuit, non sine magnâ audientium approbatione : habent enim libri 2 summam dignitatem, admirabilemque doctrinam, ordinem verò propè singularem. Itaque, si accurata et exquisita quædam explanatio accedat, magnum auditoribus afferent fructum ; quod ego jam indè ab initio mecum considerans unà cum plerisque aliis, qui hujus quoque præceptoris disciplinam sequuntur, in iis audiendis præcipuam curam diligentiamque adhibui.… Posteà verò cùm viderem hos libros à te et ab iis omnibus, qui ingenio vehementer excellunt, libentissimè legi, ulteriùs progrediendum ratus expositionem hujus doctoris, accommodatam præcipuè menti philosophi, litteris mandare constitui, ut ii, qui adesse non potuerunt,.... hæc quæ nos ex ejus ore accepimus percipere et ipsi pro arbitrio possent ; quare traductionem illus ac ordinem explicandi pluribus verbis secuti sumus, latâ interdùm et diffusâ oratione utentes, ut explanatio aperta magis magisque omnibus asset communis[9]. Si Vossius avait eu connaissance de ce passage, se serait-il contenté d’opposer aux accusateurs d’Acciaioli le silence de Volaterran ? Il pouvait lire cela dans un ouvrage de Gesner[10]. N’est-il pas bien étrange qu’un pauvre auteur qui avait si solennellement déclaré dans sa préface qu’il ne donnait qu’une traduction paraphrasée des leçons d’Argyropylus ait été pendant long-temps accusé de plagiat ?

(C) Outre les louanges. ] Cela paraît par le parallèle du texte de Paul Jove avec la paraphrase de M. Varillas. Eruditâ et pereleganti commentatione magnum lumen attulisse judicatur Moralibus Aristotelis, explosis scilicet sophistarum interpretum ineptiis, quùm Eustratii Græci placita secutus, certiore ubique vestigio niteretur[11]. Voilà le texte ; et voici la paraphrase. Il ne laissa pas de traduire les Morales d’Aristote beaucoup plus exactement que ceux qui l’avaient précédé dans cette sorte de travail, ni de les purger des interprétations ridicules, que les anciens et les sophistes nouveaux leur avaient données, par un admirable commentaire où il montra que quiconque s’engage dans ce labyrinthe, sans un autre guide que le fameux Eustachius, ne saurait éviter de s’égarer [12]. Il n’est pas besoin que j’avertisse que l’auteur des anecdotes va plus loin que son latin, tant à l’égard d’Acciaioli qu’à l’égard d’Eustratius [13] ; et qu’au lieu de louer ce dernier, comme il en a l’intention, il le ravale au dernier rang des interprètes, il devait dire avec un autre, et non pas sans un autre. Que dirait le père Bouhours de par un admirable commentaire ? Ces paroles sont si mal placées, qu’elles font penser que les sophistes ont donné des interprétations ridicules par un admirable commentaire.

(D) On trouvera ci-dessous un supplément considérable. ] J’en puis parler avec cet éloge, puisqu’il s’agit d’un mémoire qu’un fort habile homme [14] m’a communiqué. « Le traité que Matthieu Palmieri a laissé de l’origine de la famille des Acciaioli peut beaucoup servir à rectifier et à remplir l’article de Donat Acciaioli. Ce traité, écrit en latin par Matthieu Palmieri, a été traduit en italien par un Donat Acciaioli, chevalier de Rhodes. L’original jusqu’ici n’a point paru ; la traduction seule a été imprimée à Florence, in-4o., l’an 1588, chez Barthélemi Sermartelli, à la suite de l’Histoire des Ubaldini, et de la Vie de Nicolas Acciaioli, grand sénéchal des royaumes de Sicile et de Jérusalem. Il y est dit que notre Donat naquit en 1428[* 1] ; qu’il fut enterré aux depens du public, que Christophle Landin fit son oraison funèbre[* 2]. Les autres particularités seraient trop longues à rapporter.... Sabellic, dans son Dialogue de Reparatione Linguaæ latinæ (Dialogue, pour le dire en passant, qu’on cite ordinairement comme d’un anonyme ), et Vives, libro V de Tradendis disciplinis, ont parlé avec éloge de la Vie de Charlemagne par Donat Acciaioli. L’Histoire Florentine de Léonard d’Arezzo, traduite du latin en italien par ce Donat, a été imprimée à Venise, in-folio, en 1473, au rapport du père Labbe, page 341 de son Supplem. Novæ Biblioth. MSS. »

  1. * Joly reproche à Bayle un mécompte. Né en 1428, Acciaioli aurait eu plus de trente-neuf ans en 1473. Voyez le texte.
  2. (*) Pocciantius, de Script. Florent. pag. 51, observe cela.
  1. Vossius de Hist. lat., pag. 624.
  2. Konigii Bibl. vet. et nov., pag. 4.
  3. Pocciantius, de Script. Flor., pag. 51, le dit expressément : dictavit proprio Marte Vitam Annibalis et Scipionis.
  4. Voyez le Journal des Savans du 2 septembre 1697, pag. 654.
  5. Sim. Simonii Commentar. in Aristotel. Ethic.
  6. Naudæi Bibliogr. polit. pag. 16.
  7. Vossius, de Hist. Lat. pag. 624.
  8. Conring. Introd. in Polit. Arist. pag. 649, 659 apud Thomasium de Plagio litterar. pag. 153.
  9. Donat. Acciaioli Præfat. ad Cosmum Medicem Commentar. in Ethicâ Arist. ad Nicomach.
  10. Gesn. Biblioth. fol. 216, verso.
  11. Jovius, Flogior. cap. XVI.
  12. Varillas, Anecdot de Florence. pag. 169.
  13. C’est ainsi qu’il faut dire, et non pas, Eustachius.
  14. M. de la Monnaie.

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