Dictionnaire historique de l’ancien langage françois/1re éd., 1875/A (preposition)

A, préposition. A. De. Par. En. Pour. Avec. Selon. Suivant. Après.

La préposition, dit M. du Marsais, supplée aux rapports qu’on ne sauroit marquer par les terminaisons des mots. Nous n’avons point de cas en François, si l’on en excepte quelques pronoms ; de là la nécessité de faire usage des prépositions plus souvent qu’en Latin, pour déterminer les rapports des objets de nos pensées, lorsque la place des mots ne les indique pas. Ces rapports sont presque infinis, et le nombre des prépositions infiniment borné, d’où vient qu’on est obligé de donner divers usages à la même préposition.

L’A, comme préposition, conserve plusieurs significations différentes ; mais on ne dit plus « à ce mesmement » que pour semblablement, pareillement à ce que. » Il n’y a homme au monde, quand il se voit deshérité, que il peust jamais aymer celluy qui l’a deshérité ([1]) : à ce mesmement que vous deshéritastes mon pere et moy. » (Lanc. du Lac, T. III, fol. 46, R° col. 2.)

On dit encore en différentes provinces : le livre à Jean, pour le livre de Jean, etc. ; alors cet A marque un rapport d’appartenance ; c’est ainsi qu’en parlant de lieux dédiés et consacrés aux Saints, l’Auteur du Roman MS. de Gérard de Roussillon en françois, appelle lieu à St Pierre et à Ste Magdeleine-du-Mont, les églises de St Pierre et de la Madeleine, que Gérard fonda, la première à Auxerre, et la seconde à Soissons. Dans le détail des fondations que fit le Duc Gérard avec Berthe sa femme, on lit :

A Auxerre tout droit dedans la suborbie ([2])
Fondèrent-ils aussi une riche Abbaye.
Puis n’y ot ([3]) que Moines, si com les chartres dient :
Or n’y a que Chanoines, qui Dieu servent et prient.
Ils sont abergiés ([4]) et cloux ([5]) de bonne pierre,
L’on appelle le lieu à Monseigneur St. Pierre :

A Soissons ourent l’autre Chanoines Reguliers,
Oi n’y sont mais ([6]) que Clercs et Pretres seculiers ;
Le lieu est appellé à Ste Magdeleine-
Du-Mont ; c’est belle église dévote et de biens pleine.

Ger. de Rouss. MS. p. 175 et 176.

Cette même préposition, employée pour De, servoit à former des qualificatifs-adjectifs ; et l’on disoit " Est du poil à un cerf " pour Est du poil de cerf. (Voy. Modus et Racio. ms. fol. 39. V°.)

Quelquefois elle signifioit Par.

Se fuisse pris à paiens,
Puis eusse été raiens ([7])

Will. li Viniers, Anc. Poët. Fr. MSS. avant 1300, T. III, p. 1278.

Dans ce sens, c’est la préposition latine A ou Ab. « Apreneiz à mi » pour apprenez par moi : en latin, discite à me. (St Bern. Serm. Fr. MSS. p. 123.) « Ensi ke nos mansuetume ([8]) et humiliteit aprengniens à Nostre Signor. » (Ibid. p. 256.)

Quelquefois on l’employoit pour En ; ainsi l’on disoit « à daerrains » pour en dernier lieu, enfin. (Voy. Du Chesne, Gén. de Béth. Pr. p. 115, tit. de 1145.) « Huict mille livres à tournois » pour huit mille livres en tournois. (Voy. Froissart, Vol. I, p. 177.) « Livres à Digenois » pour en monnoye de Dijon. (Voy. Pérard, H. de Bourg, p. 466, tit. de 1246, passim.) « Livrées à forts » pour livres en monnoie forte. (Voy. Du Chesne, Gén. de Bar-le-Duc, Pr. p. 28, tit. de 1243.) « à bonne foy » pour en bonne foy. (Id. Gén. de Béth. p. 135, tit. de 1252.)

A dans la signification de Pour, exprimoit un rapport de tendance, de cause finale. « Quan vous creastes homme, vous le mariastes, et lui donnastes ame à son epouse, » pour son épouse « et étoit homme Seigneur, et l’âme étoit dame, etc. » (Voy. Modus et Racio, ms. fol. 210, R°.)

C’est dans ce même sens qu’on l’employoit dans la conjugaison des futurs formés anciennement des verbes auxiliaires Avoir et Etre ; et alors cette préposition emportoit l’idée d’un temps à venir. On disoit « sont à ressusciter » sont pour ressusciter, ressusciteront. « Est à venir » est pour venir, doit venir. « Sont à rendre » doivent rendre. (Voy. St Athan. Symb. en Fr. 2e trad. p. 735, col. 2.) En supposant une ellipse, il faut rendre sont à ressusciter, par sont faits pour ressusciter. On disoit de même, " En seureté de la devant dite concorde perpetueument à durer. » (Voy. Du Chesne, Gén. de Béth. Pr. p. 146.) Les Italiens employent de la même façon les verbes Avere et Essere, comme auxiliaires, avec les prépositions a, da et per, pour former les futurs des verbes auxquels ils sont joints.

On pourroit encore, au moyen de l’ellipse, rendre raison de la construction grammaticale de ces expressions « Faire à mettre ; » c’est-à-dire faire chose pour mettre, faire mettre. (Voy. Pérard, H. de Bourg. p. 446. tit. de 1246). « Se faire à veoir, » pour se montrer. (Vigil. de Charles VII, p. 97.) Pasquier, dans ses Lettres, T. II, p. 380, reprochant à Montaigne d’avoir employé fréquemment l’A de cette manière, observe que c’est un idiome propre aux Gascons : mais cet usage étoit plus général et fort ancien, comme on vient de le voir ; celui de notre expression faire à savoir, remonte jusqu’au douzième siècle. On lit « fesons à savoir. » dans La Thaumass. Cout. d’Orl. p. 464, tit. de 1137.

Les prépositions Por et De, dans le sens de pour, se trouvent aussi réunies à la préposition à prise dans la même signification, par une espèce de pléonasme, dans les exemples suivans. « Por ti à salveir, Por eles à saneir » pour te sauver, pour les guérir. (Voy. St Bern. Serm. Fr. mss. p. 148, et passim.) « Poosteit de nos à salveir, volenteit de nos à salveir ; » c’est-à-dire, pouvoir et volonté de nous sauver. (Ibid. p. 218.)

A pour avec, marquoit un rapport d’union. « à peu de gens » c’est-à-dire, avec peu de gens. (Voy. Rabelais, T. II, p. 222.)

Un rapport de cause instrumentale dans cet autre passage : « à leurs espées » c’est-à-dire avec leurs épées. (Voy. Joinville, p. 94.)

Nous nous servons encore d’A pour avec, dans cette phrase « prendre à la main » c’est-à-dire prendre avec la main.

Dans le sens de selon, suivant, il exprime un rapport de conformité « Vendition fait à loy et à le costume del païs. » Vente faite suivant la Loi et selon la Coutume du pays. (Voy. Du Chesne, Gén. de Guines, p. 290, tit. de 1264.)

On a considéré le temps comme un lieu. De là, la préposition A pour marquer la postériorité de temps, dans le sens d’après. « Lui pryoient tendrement que incontinent qu’il sçauroit nouvelles de la venue de cette nouvelle Loy, qu’il leur amenast ung preud’homme qui de ce les informast, car à ce ne vouloit plus vivre. " (Percef. Vol. VI, fol. 118, V° col. 2.)

En général, l’A, comme préposition, a été réuni à divers mots, pour ajouter à leur signification : On écrivoit quelquefois Ad. (Voy. ce mot.) Alors c’est proprement l’ad des Latins, dont on a retranché le d pour adoucir la prononciation ; ainsi on disoit autrefois buser, masser, etc. et l’on a dit depuis abuser, amasser, etc. Ce Glossaire en fournira quantité d’exemples. Voyez entr’autres l’article Abandon.

Souvent le d s’est changé en la consonne qui commençoit le mot, dont la préposition ad est devenue inséparable. De là ces mots complir, coutumer, etc. ont formé ceux de accomplir, accoutumer, etc. au lieu de ad-complir, ad-coutumer.

Cette addition sembloit donner plus de force au mot, mais n’en changeoit pas l’acception ; aussi s’est-on permis indifféremment de retrancher cet A, comme de l’ajouter ; et l’on dit aujourd’hui béqueter, cacher, etc. au lieu d’abequeter, acacher, etc. que l’on trouve quelquefois chez nos anciens écrivains. Voy. ces articles ci-après.

La préposition A s’est aussi trouvée quelquefois réunie au mot qui la suit, par un abus qui venoit d’ignorance et de méprise. Nous le remarquons ici d’autant plus volontiers, que cet abus peut jeter souvent de la confusion dans la Géographie. On lit par exemple Anevers pour Nevers ; Arevebrac pour Revebrac, etc. Cet abus paroit être né de ce que l’on a confondu la préposition avec le nom même qu’elle précédoit ; ainsi dans l’expression aller en Arevebrac on n’a fait qu’un mot du nom de Revebrac et de sa préposition, et l’on s’est cru obligé d’en ajouter une autre. « S’esmeut le Roy pour aler à l’encontre de son pere en ung lieu qui a nom Engelhan. D’illec ala jusques en Arevebrac. » (Voy. Chron. St Den. Tom. I, fol. 154.) Il falloit dire jusques à Revebrac. Le nom de Revebrac est lui-même la corruption de Regenesburg, que nous nommons Ratisbonne. (Voy. les passages indiqués aux mots Reganesburg, Regenesburg, etc. dans les Tables géograph. de la Collect. des Hist. de Fr. Tom. V et suivants.)

L’on a de même prononcé comme un seul mot Anevers au lieu de à Nevers.

.... de la vostre Conté
D’Anevers ne fetes plus conte.

H. de Fr. en vers, à la s. de Fauvel, MS. du R. no 6812, fol. 78, V° col. 1.

Nous aurons par la suite occasion de faire la même remarque sur la préposition En.

  1. dépouillé, dépossédé.
  2. faubourg
  3. n’y eut
  4. logés
  5. clos, fermés
  6. aujourd’hui il n’y a plus.
  7. racheté.
  8. douceur