Dictionnaire historique d’argot /Édition Dentu/1881/Supplément, T

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TABLEAU ! : Exclamation par laquelle on exprime la joie ou la surprise générale. (Boutmy.) — Mot à mot : vous voyez d’ici le tableau. — L’emploi de ce mot est fort répandu. Il est généralement ironique.

TABLETTE : Brique. (Michel.) — Allusion de forme.

TABLIER DE CUIR : Cabriolet. (Id.) — Partie prise pour le tout.

TAFFOUILLEUX : Chiffonnier des bords de la Seine. (Rigaud) — Mot à mot : tas-fouilleur, fouilleur de tas.

TAL : Derrière. — Tapeuse de tal : Fille publique. (Id.)

TALBIN : Huissier. (Halbert.) — De tailbin : billet à ordre.

TALBINE : Halle. (Id.)

TALBINER : Assigner. (Id.) — De talbin : huissier.

TALBINIER : Hallier. (Id.) — Marchand de la halle ?

TALENT DE SOCIÉTÉ : Raffinement secret. — « Si les charmes ne peuvent plus se vendre assez cher, elles emploient leurs talents de société. » (Le Sublime.)

TAMBOUILLE : Ragoût, petite cuisine. (Delvau.)

TAMPONNER : Battre à coups de poing. (Id.)

TAPE À L’ŒIL : Borgne. — Allusion à l’accident qui cause d’ordinaire cette infirmité.

TAPE À L’ŒIL : Chapeau. Il descend sur les yeux. — « Ils avaient des tape à l’œil flambant neufs. » (Huysmans, 79.)

* TAPETTE : Verve, entrain. (Delvau)

TAPIQUER : Habiter. (Id.) — Dérivé de se tapir qui a fait tapinet et tapis.

TAPIS : Café. (Halbert.)

TAPIS BLEU : Ciel. (Rigaud.)

TAPIS VERT : Table de jeu, café de voleurs, prairie (Halbert, Michel).

TAPOTEUR : Mauvais joueur de piano. (Rigaud.)

TAPPE : Marque au fer chaud. (Halbert.)

TARAUDER (se) : Se disputer. (Rigaud.)

TARRE (à la) : Voler les mouchoirs de poche. (A. Pierre.) — Tarre est ici pour tire qu’on aura trouvé trop connu. V. Tire, p. 343.

TARTARE : Apprenti tailleur. (Delvau.)

TARTE, TARTELETTE : Faux. (Michel.)

TARTIR : Aller à la selle. (Id.) — Pour tartiner.

TAS : Personne sans énergie. (Rigaud.) — Mot à mot : qui se tasse, qui s’affaisse.

TAS DE PIERRES : Prison. (Michel.) — On n’y voit pas de fenêtres.

TÂTE-MINETTE : Sage femme (Halbert, A. Pierre.)

TAUPIN : Soldat du génie. Il fait un travail de taupe dans les sièges. (D. Lacroix.)

TAUPINIÈRE : Cours ou école préparatoire à une école spéciale de l’État. (Rigaud.) — Elle est composée de taupins. (V. p. 341).

TE DEUM RABOTEUX (faire chanter un) : Battre. — Allusion aux cris de la victime. — « Il lui a fait chanter un Te Deum raboteux que c’était ça. » (Le Sublime, 72.)

TÉLÉGRAPHE SOUS-MARIN : Se dit des signaux amoureux hasardés sous les tables par les pieds d’une ou de deux personnes. (Rigaud.)

TEMPLE : Objet acheté au marché du Temple. (Id.)

TERREAU : Tabac à priser. (Delvau.) — Il y a communauté d’aspect.

TESSON : Tête. (Id.)

TÊTARD : Homme de tête. (Halbert.)

TÊTES DE CLOU (imprimé avec des) : Imprimé avec de vieux caractères. — Allusion à l’aspect morcelé de chaque lettre.

TÊTUE : Épingle. (Halbert.) — Sa tête était plus grosse autrefois.

* THOMAS : Pot de nuit. — « Il entrevit sous le lit un immense Thomas qui brillait de profil dans l’ombre. » (Hennique.)

TICHE : Profil (Delvau.)

TICKET : Billet de chemin de fer. (Id.) — Billet quelconque. — « L’exposition de 1878 laissera dans notre langue le terme de ticket, actuellement employé par quiconque tient une plume, — à la place de billet, honni et rejeté. Honte donc sur « billet » et vive le vocable anglais. » (J. Amero.) — Ajoutons que l’administration elle-même de l’Exposition a introduit ticket dans sa langue officielle.

TIERCE (il y a de la) : La police est en nombre. (Rigaud.) — Allusion à la tierce du jeu de piquet.

TIGNER D’ESBROUFFE : Violer. (Michel.)

TIMBALE (décrocher la) : Surpasser. (Rigaud.) — Allusion à la timbale qui était le prix ordinaire, placé au sommet du mât de cocagne.

TINETTES : Bottes. (Halbert.) — Allusion de puanteur.

TINTEUR : À faire rentrer dans la longue nomenclature qui finit Être (en), p. 162.

TIPSTER : « Homme faisant métier d’annoncer les noms des chevaux gagnants. » — Anglicanisme. (Carnet des courses, 77.)

TIRANT : Lacet. (Halbert.)

TIRE, page 343. Au lieu de voler à la tire, lisez voler dans la poche.

TIRER AU MUR : Se passer, se priver. (D. Lacroix.) — Terme d’escrime. Celui qui tire au mur ne pique rien.

TIRER DES LONGES : Faire plusieurs années de prison. (Halbert.)

TIRER LE CHAUSSON : Fuir. (Michel.) — Chausson est ici pour pied.

TIRER SON PLAN : Subir un emprisonnement. (Rigaud.) — Mot à mot : tirer sa prison.

TIRER UNE DENT : Escroquer de l’argent. (Michel.) — Allusion d’extraction.

TIRETAINE : Voleur de campagne. (Id.) — Jeu de mots sur tirer (voler) et sur l’étoffe grossière appelée tiretaine qui est portée par les campagnards.

TIRON : Route pavée (Halbert), petit chemin. (Michel.)

TITI : Volaille. Jargon de chiffonnier. (Rigaud.) — Allusion au cri de petits ! petits ! poussé pour appeler la volaille à la distribution de grain.

TITI : Typographe. (Id.) — Redoublement de première syllabe.

* TOC : Amusant. (Rigaud.)

TOCASSE, TOCASSON : Femme laide, ridicule. (Delvau.) — V. Toquasse.

TOCCANGE : Coquille de noix. (Halbert.) — Pour cocange.

TOCCANTE : Montre. (Id.) — V. Toquante, p. 345.

TOC-TOC : Un peu toqué. (Rigaud.) V. p. 345. — Abrév. avec redoublement des premières lettres.

TOGNE : Malin. (Michel.)

TOITURE : Chapeau d’homme. (Rigaud.) — On dit aussi tuile ; toit (pour chapeau) existe en fourbesque, dit M. Fr. Michel, et si la forme comble, qu’il donne aussi est plus ancienne que combre (chapeau), il n’est pas douteux qu’il faille y voir une allusion au couronnement de notre édifice humain. Le chapeau est en effet le toit, le comble, de la tête.

TÔLE : Derrière, logement, maison. (Halbert.) — Pour taule.

* TOPO : Communication écrite, mais particulière aux élèves ; on la fait circuler dans les salles d’étude. — Argot des écoles.

TOQUASSE : Laide. Augmentatif de Toc, V. p. 344. — Devrait s’écrire tocasse :

Si j’ guigne un beau brun qui passe,
L’ cœur tout palpitant,
Souvent j’ l’entends m’ dire ; toquasse,
C’est bien embêtant.
V. Vathier.

TOQUE : Malin (Michel) ; amusant. (Rigaud.)

TOQUE : Mauvais. V. Toc, p. 344.

TORCHECUL : Écrit ou imprimé sans valeur. (Rigaud.) — On disait autrefois dans le même sens, bon à mettre au cabinet.

TORCHON : Femme galante d’humble condition. La lorette élégante s’appelle linge, ce qui suffit pour préciser la nature de ces deux surnoms. — « Il s’est payé un torchon. On lui refuse l’entrée. » (Le Sublime, 72.)

TORDU : Joueur volé au jeu par un grec. — Augmentatif de pigeon (dupe) ; on tue le pigeon en lui tordant le cou. — « Après une demi-heure, les jeunes pigeons sont plumés… Vous n’avez pas de chance, messieurs, s’écrie Raoul de Brisemailles, je vous propose une partie sur parole. — Alléchés, les jeunes tordus tiennent des sommes plus fortes. » (Paillet.)

TORTILLANTE : Vigne. (Rigaud.) — Allusion à sa flexibilité.

TORTILLARD : Fil de fer ou de laiton. (Halbert.) — Il se tortille aisément.

TORTILLER : Boiter. (Id.) — V. Tortillard, p. 347.

TORTORE : Repas. (Rigaud.) — Doit venir de tortiller : manger.

TORTOUSE : Corde. (Halbert.) V. Tourtouse, p. 348.

TORTUE : Femme, maîtresse. — « Et ta tortue, qu’est-ce que tu en fais ? » (Huysmans, 79.)

TORTUE (faire la) : Jeûner. (Rigaud.) — La tortue mange fort peu.

TOULABRE : Toulon. (Michel.) — Changement de finale.

TOUPIN : Boisseau. (Halbert.) — Vieux mot. Tupin se disait au moyen âge pour pot, caisse.

TOUPINER : Mesurer au boisseau. (Id.)

TOUR DE CRAVATE (donner un) : Étrangler. — « Elle disait avec des airs équivoques et tentateurs que ça serait facile de donner un tour de cravate au cou des Pelletier. » (Petit journal, sept. 77.)

TOURNE-AUTOUR : Tonnelier. (Vidocq.) — Il frappe en tournant sur ses tonneaux.

TOURNER (faire) : Attraper. (Halbert.) — Variante de faire aller.

TOURNEVIS : Chapeau à cornes. C’est le fond du chapeau qui représente la tête de vis ; les ailes relevées figurent la partie qui sert à la faire tourner. — Le surnom de tournevis est resté aux gendarmes en certains pays.

TOURNIQUET : Chirurgien de marine. (Delvau.) — Moulin. (Rigaud.) V. Torniquet, p. 346.

TOUR POINTUE : Préfecture de police. (Rigaud.) — Allusion à la tour pointue de la Conciergerie.

* TOURTE : Vieille ridicule. (Rigaud.)

* TOURTOUSINE : Ficelle. (Halbert.)

TOUT : « Espion cherchant à surprendre les secrets des écuries et les vendant aux tipster et aux book maker. » — Anglicanisme. On prononce taout. (Carnet des courses, 77.)

TRAÎNÉE : Fille perdue. — Ce qui est traîné est souillé. Vieux mot resté dans nos patois.

TRAMWAY : Omnibus sur rails. — « Le chiffre des termes français exportés de Normandie en Angleterre est estimé par Tbommerel à 8.489. Au nombre de ces mots était voie (chemin, route), que les bonnes gens de Normandie prononçaient voué. De voué les Anglais firent way qui se prononce ouay. Tram est une abréviation de trammel (traîneau). Les Anglais tronquent volontiers les mots pour aller plus vite. Ainsi disent-ils cab pour cabriolet. L’expression « tramway » signifie donc traîneau-voie, en bon français « voie-de-traîneau, chemin à traîneau. » Mais un chemin destiné à un véhicule n’a jamais passé pour être le véhicule. C’est pourtant ce que l’on a dit en appelant tramways les voitures qui circulent sur les voies à « trams. » (J. Amero.)

V’là le tramway qui passe,
Ernest est là-bas qui m’attend.
(Chanson populaire. 78.)

TRAVAILLER DANS LE BÂTIMENT. Voler avec effraction dans les maisons. Jeu de mots. — « Il ne savait pas travailler dans le bâtiment. » (Petit journal, mai 1879.)

TRAVERSIN : Fantassin. (Rigaud.)

TRAVIOLE : Traverse. (Halbert.) — Changement de finale.

TREFFLIÈRE : Tabatière. (Id.) — V. Trèfle, p. 350.

TREFOUINE : Tabatière. (Id.) — De trèfle : tabac.

TREMPLIN : La scène. (Delvau.) — Jeu de mots sur la planche du tremplin et les planches de la scène.

TRIBU (se mettre en) : Même sens que popote. Terme de l’armée d’Afrique. (D. Lacroix.)

TRICHER : Suivre l’école matrimoniale de Malthus. (Rigaud.)

TRIGO : Trigonomètre. — Argot des écoles.

TRIMANCHER : Cheminer, marcher. (Halbert.) — C’est trimer avec changement de finale.

TRIMAR : Éventaire, balle. (Rigaud) — Le petit marchand trime en les portant.

TRIPER : Donner le sein à un enfant.

TRIPIÈRE : Femme très avantagée sous le rapport de la poitrine. (Rigaud.)

TRIPOT : Garde municipal. (Id.)

TRIQUAGE : Triage de chiffonnier. (Id.) — Diminutif.

TRIQUE À LARDER : Canne à épée. (Id.)

TRIQUE : Surveillance de police. — Casser sa trique : rompre son ban. (Rigaud.) — C’est une variante de Canne, V. page 78.

TRIQUER : Trier. — TRIQUEUR : maître chiffonnier. (Delvau.) — C’est trier, trieur modifiés par l’adjonction de deux lettres.

TROLLER : Rôder (Rigaud), porter. (Halbert.)

TROLLEUR : Commissionnaire, vagabond (Rigaud), — marchand (Id.), — marchand de peaux de lapins. (Delvau.) Dans ces trois sens, trolleur vient de troller, vieux mot qui signifie cheminer, arpenter le terrain (dialectes de l’Est). On prononce troiller, troilleur.

TROMBILLE : Bête. (Delvau.)

TROMBOLER : Aimer. (Id.)

TROMBONE (faire) : Faire semblant de prendre dans son gousset de l’argent. Comparaison du va-et-vient des doigts au va-et-vient du trombone. (Rigaud.) — Il s’agit ici du trombone ancien modèle.

TROMPE : Nez. (Delvau.) — Animalisme.

TRÔNE (être sur le) : Être aux lieux d’aisance. (Delvau.) — Ironique allusion aux gradins sur lesquels le siège s’élevait autrefois.

TRONQUE : Tête. (Halbert.) — Pour tronche.

TROTTINET : Soulier. (Id.)

TROU : Salle de police. (Rigaud.) — Se dit surtout pour prison. Allusion d’obscurité.

TROU : Lacune imprévue. « L’instrumentation à parfois des trous. » (De Lapommeraye, 79.) — On dit d’un homme qui passe de l’aisance à une pauvreté inexpliquée : « Il y a des trous » (c’est-à-dire causes de désordre cachées, trous par où l’argent s’écoule).

TROUILLARDE, TROUILLE : Souillon, dévergondée. (Rigaud.) — Vieux mot de nos patois. Même origine que trolleur.

TROU SOUS LE NEZ (il a un) : Il boit avec excès. — Comparaison de la bouche à un gouffre.

* TRUC : Industrie quelconque. (Halbert.)

TRUCAGEUR : Fabricant d’antiquités. (Rigaud.) — Pour Truqueur (p. 354).

TRUNE : Aumône. (Halbert.) — Pour thune. De tuner : mendier.

* TRUQUER : Commercer. (Id.)

TUBE : Fusil. (Id.)

TUBE : Nez. (Delvau.)

TUBER : Fumer la pipe. (Id.)

TUÉ (être) : Rester immobile de stupéfaction. On dit aussi : il est mort. Argot de collège. (Tourneux.)

* TUER LE VER : La coutume est ancienne comme l’a fait remarquer M. du Camp dans cet extrait du journal d’un bourgeois de Paris (juillet 1519) : « Il est expédient de prendre du pain et du vin au matin, au moins en temps dangereux, de peur de prendre le ver. »

TUILE : Chapeau, casquette. (Delvau.) — Même allusion que dans Toiture.

TUILER (s’) : S’enivrer. Mot à mot : s’empourprer, devenir couleur de brique. (Id.)

TUITE (prendre une) : S’enivrer. — Altération de cuite. (Boutmy.)

TUNEBÉE : Bicêtre. (Michel.)

TURC : Tourangeau. (Halbert.) — Trois des premières lettres du nom ont été conservées et le c a été ajouté pour dérouter.

TURCAN : Tours. (Id.)

TURIN : Pot de terre. (Halbert.) — Pour terrin qui a fait terrine.

TURQUIE : Touraine. (Id.)

TUYAU : Jambe. (Delvau.)

TUYAU À OPÉRA : Gosier. On saisit l’allusion. — « Vous venez de vous le laver, votre tuyau à opéras… Vous vous en fourrez dans le coco… » (Huysmans, 79.) — On dit plus simplement tuyau. « Le tuyau est bouché : je suis enrhumé. » (Delvau. )

* TYPO : « Le typo laborieux si prompt à soulager les infortunes imméritées. » (Boutmy.)

TYPOTE : Ouvrière typographe. « Ces jeunes filles ne manquent pas de devenir de vraies typotes, comme elles se nomment entre elles. » (Id.)

TYRAN : Roi (Delvau) ; roi de cartes. (Rigaud.)