Dictionnaire des proverbes (Quitard)/mort

mort. — Il y a remède à tout, hors la mort.

On trouve dans l’Imitation de Jésus-Christ : Nemo impetrare potest à Papâ bullam nunquam moriendi ; ce que Molière a très bien traduit par ce vers de sa comédie de l’Étourdi :

On n’a point pour la mort de dispense de Rome.

La mort assise à la porte des vieux guette les jeunes.

C’est-à-dire que les vieux ont à redouter le voisinage de la mort et les jeunes sa surprise. Ce proverbe est tiré de celui-ci qu’ont souvent employé les écrivains ecclésiastiques du moyen-âge : Dies ultimus senibus est in januis, juvenibus in insidiis.

La mort, disent les Turcs, est un chameau noir qui s’agenouille devant toutes les portes. Rien n’est plus certain que la mort, rien n’est plus incertain que l’heure de la mort.

Notre dernière heure à tous nous est inconnue, mais elle arrive inévitablement pour les jeunes comme pour les vieux, et Dieu n’accorde à personne un tour de cadran comme à Ézéchias.

Un homme mort n’a ni parents ni amis.

Ce proverbe se trouve dans le sirvente que Richard Ier, roi d’Angleterre, composa pendant sa captivité en Autriche. La meilleure explication qu’on en puisse donner est dans le passage suivant du discours du père Aubry à Atala : « Que parlé-je de la puissance des amitiés de la terre ! Voulez-vous, ma chère fille, en connaître l’étendue ? Si un homme revenait à la lumière, quelques années après sa mort, je doute qu’il fût revu avec joie par ceux-là même qui ont donné le plus de larmes à sa mémoire, tant on forme vite d’autres liaisons, tant on prend facilement d’autres habitudes, tant l’inconstance est naturelle à l’homme, tant notre vie est peu de chose, même dans le cœur de nos amis ! »

Les vers suivants, extraits d’une pièce de M. Victor Hugo, À un voyageur, reviennent aussi au proverbe, et sont dignes de figurer à côté du beau passage que j’ai rapporté.

Combien vivent joyeux qui devraient, sœurs ou frères,
Faire un pleur éternel de quelques ombres chères !
Pouvoir des ans vainqueurs !
Les morts durent bien peu ; laissons-les sous la pierre.
Hélas ! dans le cercueil ils tombent en poussière
Moins vite qu’en nos cœurs.
Voyageur ! voyageur ! quelle est notre folie ?
Qui sait combien de morts à chaque heure on oublie,
Des plus chers, des plus beaux !
Qui peut savoir combien toute douleur s’émousse,
Et combien, sur la terre, un jour d’herbe qui pousse
Efface de tombeaux !

Les morts ont tort.

Pour dire que, lorsqu’un homme est mort, on rejette sur lui la faute de beaucoup de choses ; qu’on excuse volontiers les vivants aux dépens des morts. L’abbé Tuet a rapporté l’origine de ce proverbe au duel judiciaire, où le combattant qui succombait sous les coups de son adversaire était réputé coupable, parce qu’on pensait que la divinité, prise pour juge de la cause, manifestait toujours le bon droit par la victoire. Mais l’abbé Tuet ne s’est pas souvenu que, longtemps avant l’usage dont il parle, on disait proverbialement en latin, qui periere arguuntur ; ce qui a été traduit en français par les morts ont tort. Pline-le-Naturaliste (liv. xxix), parlant des médecins qui s’instruisent aux risques et périls des malades, et qui tuent avec impunité, a observé que les reproches ne tombent point sur ces assassins privilégiés, et que ce sont les morts qui ont tort : ultro qui periere arguuntur.