Dictionnaire des proverbes (Quitard)/cloche

cloche.Fondre la cloche.

C’est prendre un parti sur une chose qui est demeurée long temps en suspens, venir à la conclusion d’une affaire qui a été longtemps agitée. — La fonte d’une cloche est une opération sérieuse qui demande beaucoup de préparatifs.

Étonné ou Penaud comme un fondeur de cloche.

Qu’on se figure la surprise que doit éprouver un homme qui a employé beaucoup de temps, de soins et d’argent pour la fonte d’une cloche, lorsque, défaisant le moule dans lequel la matière a été coulée, il trouve que l’opération est manquée ; on concevra sans peine combien est juste cette comparaison proverbiale, par laquelle on exprime le désappointement et la confusion de ceux qui voient avorter une affaire dont ils croyaient le succès assuré.

On cite plusieurs fondeurs de cloche morts de douleur de n’avoir pas réussi dans leur ouvrage ; on en cite aussi plusieurs morts de joie d’avoir réussi. Parmi ces derniers figure Jean Masson, qui fondit la grosse cloche de Rouen, connue sous le nom de George d’Amboise.

Qui n’entend qu’une cloche n’entend rien.

On ne peut connaître une affaire et la juger sur le rapport de l’une des deux parties ; il faut écouter les raisons qui peuvent être alléguées par chacune d’elles. — On dit aussi Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son.

Gentilshommes de la cloche.

On appelait ainsi avant la révolution les maires et les échevins, à qui l’exercice de leurs fonctions conférait un droit de noblesse dans seize villes de France, savoir : Abbeville, Angers, Angoulême, Bourges, Cognac, Lyon, Nantes, Niort, Paris, Péronne, Poitiers, La Rochelle, Saint-Jean-d’Angely, Saint-Maixent, Toulouse et Tours. Cette dénomination venait de ce que les assemblées où se fesait l’élection de ces officiers municipaux étaient convoquées au son de la cloche.

On fait dire aux cloches tout ce qu’on veut.

Ce dicton s’applique aux personnes qui ne parlent ordinairement que d’après les idées qu’on leur suggère et qui font écho aux paroles des autres.

Comment puis-je gagner le ciel ? demandait un riche laboureur à un religieux mendiant. Celui-ci lui répondit par ce pas sage qui se trouvait, disait-il, dans le catéchisme de son couvent : Audite campanas monasterii ; dicunt : dando, dando, dando. Écoutez les cloches du monastère ; elles disent que c’est par des dons, des dons, des dons.

On conte qu’une veuve alla consulter son curé pour savoir si elle ferait bien de se remarier. Elle alléguait qu’elle était sans appui et qu’elle avait un excellent valet fort habile dans le métier de feu son mari. — C’est bien, lui dit le curé ; mariez-vous avec lui. — Mais, ajouta-t-elle, il y a du danger à cela : je crains que mon valet ne devienne mon maître. — En ce cas, ne l’épousez point, répliqua le curé. — Comment ferai-je donc ? s’écria-t-elle ; car je ne puis soutenir seule le poids des affaires que m’a laissées mon pauvre défunt, et j’ai besoin absolument de quelqu’un qui le remplace. — Eh bien ! prenez ce quelqu’un. — Cependant s’il avait un mauvais caractère, s’il ne songeait qu’à s’emparer de mes biens et à les dissiper. — Alors, ne le prenez pas. C’est ainsi que le curé ajustait ses réponses aux arguments de la veuve et abondait toujours dans leur sens. Voyant enfin qu’elle aspirait à de secondes noces et qu’elle avait un penchant décidé pour son valet, il lui conseilla d’écouter attentivement les cloches de l’église et d’agir suivant ce qu’elles lui diraient. Quand elles sonnèrent, elle interpréta leur son conformément à ses désirs et entendit fort distinctement ces paroles : Prends ton valet, prends ton valet. En conséquence elle se hâta de le prendre. Mais bientôt après elle fut menée rudement et battue par ce nouveau mari, et de maîtresse qu’elle était elle se trouva servante. Dans sa douleur, elle alla se plaindre au curé du conseil qu’il lui avait donné, maudissant le jour où elle avait été trompée par les cloches. Le curé lui répondit qu’elle ne les avait pas bien entendues. Pour le lui prouver il les fit sonner encore, et la pauvre femme comprit alors qu’elles disaient : Ne te prends pas, ne le prends pas. Le malheur lui avait donné de l’intelligence.

J’ai traduit littéralement cette dernière historiette du troisième sermon latin De viduitate (du veuvage), par Jean Raulin, moine de Cluny, prédicateur du xve siècle, qui ne le cède en rien à Maillard, à Barlette et à Menot. Rabelais en a copié les principaux traits dans les chapitres 9, 27 et 28 de son troisième livre.