Dictionnaire des proverbes (Quitard)/chat
chat. — Acheter chat en poche.
C’est acheter une chose sans l’avoir vue, faire un marché de dupe. — L’auteur des Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie prétend que ce dicton a été altéré dans son orthographe, qu’il rectifie ainsi : Acheter chat’en poche, ce qui signifie au propre, suivant lui, Acheter un bijou chatoyant sans l’avoir fait démonter. Mais son interprétation n’est pas admissible. Il s’agit certainement, non d’un bijou, mais d’un chat mis à la place d’un lièvre dans une poche de gibecière pour tromper un acheteur de peu de précaution, et la preuve en est dans cet autre dicton qui a la même signification, Acheter le chat pour le lièvre. — Montaigne a dit (liv. iii, ch. 5), Acheter chat en sac.
Il est comme le chat qui tombe toujours sur ses pieds.
Comparaison proverbiale fréquemment employée en parlant d’une personne qui sait se tirer avec adresse de toutes les situations embarrassantes. — « Les chats, quand ils tombent d’un lieu élevé, tombent ordinairement sur leurs pieds, quoiqu’ils les eussent d’abord en haut et qu’ils dussent par conséquent tomber sur la tête. Il est bien sûr qu’ils ne pourraient pas eux-mêmes se renverser ainsi en l’air où ils n’ont aucun point fixe pour s’appuyer ; mais la crainte dont ils sont saisis leur fait courber l’épine dorsale de manière que leurs entrailles sont poussées en haut ; ils allongent en même temps la tête et les jambes vers les lieux d’où ils sont tombés, comme pour les retrouver, ce qui donne à ces parties une plus grande action de levier. Ainsi leur centre de gravité vient à être différent de leur centre de figure et placé au-dessus. Il s’ensuit que ces animaux doivent faire un demi-tour en l’air, et retourner leurs pattes en bas, ce qui leur sauve presque toujours la vie. La plus fine connaissance de la mécanique ne ferait pas mieux dans cette occasion que ce que fait un sentiment de peur confus et aveugle. » (Mémoires de l’Académie des Sciences, an 1700, p. 156.)
Chat échaudé craint l’eau froide.
Quand on a été attrapé en quelque chose, on craint tout ce qui a l’apparence d’une nouvelle surprise. L’auteur de l’histoire des chats prétend que ces animaux ne peuvent être dupés deux fois, et qu’ils sont armés de défiance non-seulement contre ce qui les a trompés, mais contre tout ce qui fait naître l’idée d’une nouvelle tromperie. — On dit aussi : Chat échaudé ne revient pas en cuisine.
Le chat qui a été mordu par un serpent appréhende jusqu’à la corde. (Proverbe arabe.)
Tranquillas etiam naufragus horret aquas.
Celui qui a été exposé au naufrage redoute jusqu’aux eaux tranquilles.
Qui naquit chat court après les souris.
C’est-à-dire que les inclinations originelles conservent leur influence, et que le naturel perce toujours en dépit de l’éducation. — Proverbe dérivé d’une fable d’Ésope mise en vers par La Fontaine, dans laquelle il s’agit d’une chatte changée en femme qui, oubliant sa métamorphose à la vue d’une souris, s’élance sur cet animal pour le dévorer.
Ce proverbe est très usité en Italie, chi gata nasce sorice piglia ; et un auteur de ce pays lui a attribué une autre origine que je rapporterai, car elle se rattache à une anecdote curieuse. Dante et Cecco avaient l’habitude de se proposer l’un à l’autre des questions philosophiques à résoudre. Un jour ils disputèrent sur celle-ci : L’art l’emporte-t-il sur la nature ? Dante se prononça pour l’affirmative, et il allégua l’exemple de son chat qu’il avait dressé à tenir entre les pattes une chandelle allumée pour se faire éclairer pendant le repas du soir. Cecco soutint la négative, en disant qu’il pourrait opposer au fait cité quelque fait plus concluant encore, et les deux antagonistes se séparèrent sans avoir pu s’accorder. Le lendemain la dispute recommença de plus belle. Dante crut la terminer à son avantage par l’expérience du chat. Aussitôt que le docile animal fut en fonction, Cecco tira une boîte de sa poche, l’ouvrit, et lacha deux souris qu’il y avait enfermées. Le chat ne les eut pas plutôt aperçues qu’il laissa tomber la chandelle, et se précipita à leur poursuite, donnant par là gain de cause à Cecco.
Dante changea dès lors d’opinion, et il proclama la supériorité de la nature sur l’art, dans un vers de sa Divina comedia, où il dit que la nature est la fille de Dieu, tandis que l’art n’en est que le petit-fils.
C’est un nid de souris dans l’oreille d’un chat.
Cela se dit pour marquer une situation périlleuse ou une chose impossible.
Propre comme une écuelle à chat.
Pour bien comprendre cette comparaison, il faut connaître la différence qui distingue la netteté de la propreté. Le chat rend l’écuelle nette à force de la lécher ; mais cette écuelle n’est pourtant pas propre. Elle ne devient telle qu’après avoir été lavée. C’est pour cela qu’on dit très bien d’une personne ou d’une chose dont la propreté est équivoque, qu’Elle est propre comme une écuelle à chat.
Appeler un chat un chat.
C’est-à-dire, nommer les choses par leur nom. — On connaît ce vers de Boileau passé en proverbe à cause de sa simplicité et du sens naïf qu’il renferme :
J’appelle un chat un chat et Rolet un fripon.
Rolet était procureur au parlement de Paris, où on l’avait surnommé l’Ame damnée. Son improbité présentait un caractère si peu douteux et si public, que le président de Lamoignon disait ordinairement c’est un Rolet, quand il voulait désigner un insigne fripon. Ce procureur, que Furetière, dans son Roman bourgeois, a peint sous le nom de Volichon, ayant été convaincu d’avoir fait revivre une obligation de cinq cents livres, dont il avait déjà reçu le paiement, fut condamné par un arrêt du mois d’août 1681 au bannissement pour neuf années, à quatre mille livres de réparation civile et à d’autres amendes.
Les Grecs disaient : Appeler une figue une figue et un bateau un bateau, ce que Rabelais a eu en vue dans cette phrase : « Nous sommes simples gens puisqu’il plaît à Dieu, et appelons les figues figues. » (Pantagr., liv. iv, ch. 54.)
Les Latins avaient la même expression que les Grecs, en y remplaçant le mot bateau par le mot hoyau : Ficus, ficus, ligonem, ligonem vocare.
Emporter le chat.
C’est s’en aller sans payer ou sans prendre congé. Ce dicton a les deux acceptions que je viens d’indiquer dans le recueil d’Oudin, ainsi que dans tous les anciens recueils. L’abbé Tuet et La Mésangère ne lui ont attribué que la dernière, sans doute parce qu’elle leur a paru seule conforme à l’origine qu’ils en voulaient donner. Le premier a pensé qu’il pouvait être une allusion à quelque trait trop peu important pour qu’on en eût conservé la mémoire, par exemple, au trait d’un homme qui, emportant le chat d’une maison, se serait sauvé sans dire adieu, dans la crainte que l’animal ne vînt à miauler et à découvrir le vol. Le second l’a rattaché à un usage observé encore dans les Vosges, où une jeune fille congédie un jeune garçon qui n’est plus dans ses bonnes grâces en lui faisant l’envoi d’un chat. Je crois qu’il doit être expliqué différemment. Ce n’est que par calembourg que le mot chat s’entend ici d’un animal ; il désigne proprement une monnaie du même nom qui était autrefois en grande circulation, particulièrement dans le Poitou. Le Glossaire de Ducange parle de cette monnaie au mot Chatus, et rapporte cette phrase d’une charte de 1459 : Confessus est recepisse in chatis et aliâ monetâ… Il avoua avoir reçu en chats et autre monnaie… Ainsi Emporter le chat c’est emporter l’argent, s’en aller sans payer, et par extension, partir sans prendre congé.
Payer en chats et en rats.
Les chats, comme je viens de le dire, étaient une monnaie qui avait cours autrefois. Payer en chats pourrait donc signifier payer en espèces sonnantes ; mais en ajoutant et en rats, on fait entendre qu’il n’est question d’espèces que par plaisanterie ou par calembourg, et l’expression s’emploie en parlant des personnes qui paient fort mal ou qui ne paient pas du tout. L’Académie dit qu’elle signifie payer en bagatelles, en toute sorte d’effets de mince valeur. Cette signification, qui repose sur une fausse interprétation, est très moderne.
La nuit tous chats sont gris.
La nuit, il est facile de se méprendre ; ou, dans un sens particulier qui est le plus usité, il n’y a point de différence pour la vue, pendant l’obscurité, entre les belles et les laides, Hélène n’a aucun avantage sur Hécube, comme dit Henri Étienne. Les Grecs se servaient d’un proverbe analogue passé dans la langue latine en ces termes : Sublatâ lucernâ, nihil discriminis inter mulieres ; quand la lampe est ôtée, les femmes ne diffèrent pas l’une de l’autre. Plutarque rapporte, dans son traité Des préceptes du mariage, qu’une belle et chaste dame cita ce proverbe à Philippe roi de Macédoine, pour l’engager à cesser les poursuites amoureuses dont elle était l’objet de la part de ce roi.
Il ne faut pas faire passer tous les chats pour des sorciers.
Il ne faut pas conclure du particulier au général ; il ne faut pas imputer à tous les fautes ou les vices de quelques individus. — Ce proverbe fut sans doute originairement une réclamation de quelque bonne femme amie des chats contre une croyance superstitieuse qui les fesait regarder non-seulement comme inséparables compagnons des sorciers, mais comme sorciers eux-mêmes. On allait jusqu’à les accuser de se rendre à un sabbat général, la veille de la Saint-Jean. Aussi était-ce œuvre pie de faire ce jour-là des perquisitions dans les gouttières, de s’emparer de tous les matous qui s’y étaient réfugiés, et de les enfermer dans une grande cage qu’on plaçait sur le feu de joie pour en faire un auto-da-fé. Cette coutume bizarre existait en plusieurs villes de France, particulièrement à Paris, où un fournisseur breveté était chargé d’apporter sur le bûcher que le roi devait allumer un sac rempli de chats, afin de faire rire Sa Majesté. Elle ne fut abolie qu’au commencement du règne de Louis XIV.