Dictionnaire des proverbes (Quitard)/chèvre

chèvre. — Ménager la chèvre et le chou.

C’est ménager deux intérêts opposés, pourvoir à deux inconvénients contraires. Cette locution est fondée sur le problème suivant qu’on propose aux enfants pour exercer leur sagacité : Un batelier doit passer en trois fois du bord d’un fleuve à l’autre bord un loup, une chèvre et un chou, sans laisser la chèvre exposée à la dent du loup, ou le chou à la dent la chèvre. Comment faut-il qu’il s’y prenne ? Voici la solution de ce problème : il faut qu’il passe 1o la chèvre, 2o le chou qu’il gardera dans son bateau, 3o le loup qu’il débarquera avec le chou.

La locution Ménager la chèvre et le chou s’applique d’ordinaire en mauvaise part, et ce n’est point sans raison. Il y a par le temps qui court tant de gens qui ne ménagent la chèvre et le chou que dans l’espoir de mettre le chou au pot et la chèvre à la broche ! comme dit très bien M. A. A. Monteil.

Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle broute.

Suivant Feydel, ce proverbe ne concerne pas les hommes. Il ne concerne pas même les femmes en général, et il n’a guère d’application que pour imposer silence poliment à une femme qui se plaint de son mari. Tel est, en effet, le sens qu’il a eu autrefois ; mais le sens actuel est que toute personne doit se résigner à vivre dans l’état où elle se trouve engagée, dans le lieu où elle est établie. Le texte a subi aussi un changement. Dans plusieurs éditions du Dictionnaire de l’Académie, il était énoncé ainsi : Où la chèvre est attachée, il faut qu’elle y broute ; dans celle de 1835, on a supprimé l’avant-dernier mot autorisé par l’usage ancien de la langue, et condamné par l’usage moderne qui le regarde comme une périssologie.

Il aimerait une chèvre coiffée.

Cette expression, qu’on emploie en parlant d’un homme qui s’éprend de toutes les femmes quelque laides qu’elles soient, n’est pas aussi hyperbolique qu’elle le paraît. On peut en voir la preuve dans le Lévitique (ch. 17, v. 7), dans le traité de Plutarque, Que les bêtes usent de la raison (ch. 17), et dans un chapitre des Mémoires d’Artagan, où il est parlé de deux mille chèvres qui étaient couvertes de caparaçons de velours avec des galons d’or, et avaient la tête parée d’ornements de poupée.

Rhulières rapporte qu’à une époque qu’il ne précise point, la cour de Russie s’amusa à célébrer le mariage d’un bouffon avec une chèvre.

On connaît la fameuse épigramme de l’Anthologie qui a été traduite par Voltaire, et qui commence par ce vers :

Charmantes filles de Mendès, etc.

On n’a jamais vu chèvre morte de faim.

La chèvre trouve à vivre partout ; elle broute également les plantes de toute espèce, les herbes grossières et les arbrisseaux chargés d’épines. De là ce proverbe, qu’on emploie pour signifier qu’il y a de l’avantage à prendre l’habitude de n’être point difficile sur les aliments et de manger de tout.

Prendre la chèvre.

« La chèvre, dit Buffon, est vive, capricieuse et vagabonde… L’inconstance de son naturel se marque par l’irrégularité de ses actions ; elle marche, elle s’arrête, elle court, elle bondit, elle saute, s’approche, s’éloigne, se montre, se cache, ou fuit, comme par caprice et sans autre cause déterminante que celle de la vivacité bizarre de son sentiment intérieur ; et toute la souplesse des organes, tout le nerf du corps, suffisent à peine à la pétulance et à la rapidité de ces mouvements qui lui sont naturels. » Quelqu’un qui courrait après une chèvre échappée pour la prendre serait donc obligé de se donner une agitation extraordinnaire, et il éprouverait en même temps beaucoup d’impatience. On croit que de là est venue l’expression, Prendre la chèvre, pour dire se fâcher, s’emporter sans raison.

Peut-être vaudrait-il mieux rapporter cette expression au jeu de la cabre ou de la chèvre, espèce de trépied de bois que les joueurs renversent avec des bâtons lancés d’une distance de vingt à trente pas, et que l’un d’eux relève dans un rond marqué, jusqu’à ce qu’il ait mis la main sur quelqu’un de ceux qui osent franchir ses lignes pour reprendre leurs bâtons, tandis que ce trépied est debout. Le cabrier ou chevrier, c’est-à-dire l’individu chargé de garder la chèvre ou de prendre la chèvre, suivant les termes techniques du jeu, ne cesse de se démener, afin de redresser son trépied fréquemment abattu, et de poursuivre ses adversaires entrés dans son quartier. Il va, vient, court de côté et d’autre, s’élance par sauts et par bonds, et présente l’image naturelle d’un homme qui se laisse emporter à tous les brusques mouvements que l’impatience et la colère peuvent produire.

Ce jeu, en usage dans quelques départements du midi, fesait autrefois le délassement des soldats, et l’on peut s’étonner que Rabelais ait oublié de l’ajouter à la liste des deux cent-quinze jeux auxquels s’esbattait le jeune Gargantua, après s’estre lavé les mains de vin frais, et s’estre escuré les dents avec un pied de porc.

Les chèvres de Blois.

Ce sobriquet, rapporté par Guill. Cretin (page 176), fut autrefois donné aux femmes de Blois, parce que, dit Le Duchat, elles étaient toutes, généralement parlant, laides et de mauvais air, de vraies chèvres coiffées.

Je crois que le sexe blaisois possède aujourd’hui toutes les qualités opposées aux défauts signalés dans cette citation, dont il ne saurait se plaindre, s’il est vrai qu’il n’y ait que la vérité qui offense.