Dictionnaire des proverbes (Quitard)/bonnet

bonnet. — Opiner du bonnet.

Adopter l’opinion d’autrui sans examen. Ducange dit que, dans plusieurs couvents, les vieillards opinaient de la voix, tandis que les jeunes n’opinaient que par une inflexion de tête, capitis inflexione, ou en portant la main à leur bonnet. De là cette expression, ainsi que la suivante : Passer du bonnet, c’est-à-dire, passer tout d’une voix sur une affaire.

À Rome, on opinait des pieds. Ceux qui adoptaient l’avis de quelqu’un allaient se ranger de son côté, ce qui les fit appeler pedarii, et donna lieu à la locution In alienam sententiam pedibus ire. Labérius comparait une pareille manière d’opiner à une tête sans langue. Caput sine linguâ pedaria sententia est.

Le mot bonnet a une origine curieuse. Il servit primitivement à désigner une certaine étoffe qui se fabriquait, dit-on, dans la ville de Saint-Bonnet, par la même raison que celui de Caudebec a servi à désigner des chapeaux qui sortaient des manufactures de la ville de Caudebec. Comme la plupart des couvre-chef étaient faits de cette étoffe, ils en reçurent le nom.

Porter le bonnet vert.

Expression autrefois très usitée en parlant d’un débiteur qui avait fait faillite ou cession de biens en justice, parce que celui qui se trouvait dans ce cas était condamné à porter un bonnet vert, et ne pouvait paraître en public sans en avoir la tête couverte, sous peine d’être constitué prisonnier par ses créanciers, conformément à un usage observé en France jusque sous le règne de Louis XIV, comme l’attestent ces vers de la première satire de Boileau :

Ou que d’un bonnet vert le salutaire affront
Flétrisse les lauriers qui lui couvent le front.

Cet usage, si peu d’accord avec les mœurs françaises, d’échapper au châtiment par la honte, était venu d’Italie vers la fin du xvie siècle, suivant les arrêts rapportés par nos jurisconsultes.

Pasquier pense que la couleur verte du bonnet signifiait que le failli ou le cessionnaire était devenu pauvre par sa folie, attendu que cette couleur était affectée aux fous. (Recherches, liv. iv, ch. 10.) Le dictionnaire de Trévoux, au contraire, croit qu’elle annonçait qu’il était entièrement libéré après avoir fait l’abandonnement de ses biens, parce qu’elle était le symbole de la liberté.

Cette dernière raison me paraît préférable, et c’est encore à elle qu’il faut attribuer la coutume de sceller en cire verte et en lacs de soie verte les lettres de grâce, d’abolition et de légitimation.

Les évêques adoptèrent la couleur verte pour leurs chapeaux. L’abbé Tuet dit que ce fut en signe de leur exemption, et que ces chapeaux verts qu’on trouve dans leurs armoiries furent introduits en France par Tristan de Salazar, archevêque de Sens, qui les tira d’Espagne, où ils avaient paru dès l’an 1400.

C’est un bonnet rouge.

Le bonnet rouge était autrefois un attribut de haute noblesse, et quand on voulait parler d’un bon gentilhomme, on disait qu’il portait bonnet rouge, ou qu’il était bonnet rouge. Mais les expressions ont quelquefois une destinée malheureuse, et celle-ci devait cesser de désigner de grands personnages pour ne plus désigner que des forçats et des anarchistes pires que des forçats. Voici comment elle passa de la gloire à l’opprobre. Quelques soldats du régiment suisse de Chateau-Vieux qui s’était révolté à Nancy, en 1790, avaient été condamnés aux galères. Délivrés quelque temps après par les révolutionnaires devenus tout-puissants, ils furent appelés à Paris où des banquets et des fêtes les attendaient. Ces honnêtes criminels y parurent en triomphe sous le costume du bagne qu’on les félicitait d’avoir ennobli. Le bonnet rouge dont ils avaient la tête couverte fut regardé comme une couronne civique, et tous les ardents révolutionnaires s’empressèrent de l’adopter. Telle est l’histoire exacte de ce fameux bonnet que le peintre David façonna à la ressemblance de l’antique bonnet phrygien, pour en coiffer la statue de la Liberté.

Avoir la tête près du bonnet.

Les auteurs qui ont expliqué cette locution pensent qu’elle est une variante de cette autre, Avoir la tête chaude, et qu’elle signifie en développement, Être porté à la colère, comme si l’on avait la tête chaude dans son bonnet, car la chaleur fait monter le sang à la tête et dispose à l’emportement. Pour moi, je crois que les deux phrases ne présentent qu’une fausse analogie, et ne peuvent être assimilées ni pour le fond ni pour la forme. Quand on dit d’un homme qu’Il a la tête près du bonnet, on n’indique pas seulement qu’il est sujet à s’emporter, on indique aussi que ses emportements sont voisins de la folie, désignée par le bonnet qu’elle a ici pour attribut, ainsi que dans ce vieux proverbe, À chaque fou plaît son bonnet. C’est une allusion au bonnet qui était autrefois la coiffure distinctive des fous en titre d’office.

Ce bonnet rappelle la fameuse boutade de Triboulet, fou de François Ier. Il disait un jour devant son maître : Si l’empereur Charles-Quint est assez peu sensé pour voyager en France sur la parole de notre roi qui a tant de raisons de le traiter en ennemi, je lui donnerai mon bonnet. — Et s’il y voyage, répondit le monarque, sans avoir à s’en repentir ? — Alors, répliqua Triboulet, je reprendrai mon bonnet pour en faire présent à Votre Majesté.

Chausser son bonnet.

S’opiniâtrer, n’en vouloir pas démordre, suivre les mouvements de son caprice.

Mettre son bonnet de travers.

Se livrer à sa mauvaise humeur. C’est le désordre de l’esprit représenté par le désordre de la coiffure.