Dictionnaire des proverbes (Quitard)/absence

absence. — L’absence est l’ennemie de l’amour.

On dit aussi : Loin des yeux et loin du cœur ; ce qui paraît pris de ce vers de Properce (élégie 21, liv. iii) :

Quantum oculis, animo tum procul ibit amor.

Un bel esprit, écrivant à un voyageur, lui rappelait ce proverbe et ajoutait plaisamment : « Hâtez-vous donc d’oublier la maîtresse que vous avez laissée à Paris ; car il est bon de prévenir les infidèles. »

Un peu d’absence fait grand bien.

Les personnes qui s’aiment se revoient avec plus de plaisir après une courte séparation. Le sentiment, affaibli par l’habitude d’être ensemble, se retrempe dans l’absence. « L’imagination, dit Montaigne (Ess., liv. iii, ch. 9), embrasse plus chaudement et plus continuellement ce qu’elle va quérir que ce que nous touchons. Comptez vos amusements journaliers : vous trouverez que vous êtes le plus absent de votre ami, quand il vous est présent. Son assistance relâche votre attention et donne liberté à votre pensée de s’absenter à toute heure, pour toute occasion. »

Les deux passages suivants de Saadi offrent une explication plus sensible. « Abuhurra allait tous les jours rendre ses devoirs à Mahomet, à qui Dieu veuille être propice. Le prophète lui dit : Abuhurra, viens me voir plus rarement, si tu veux que notre amitié s’accroisse ; de trop fréquentes visites l’useraient trop promptement. » — « Un plaisant disait : Depuis le temps qu’on vante la beauté du soleil, je n’ai jamais ouï dire que personne en soit devenu plus amoureux. C’est, lui répondit-on, parce qu’on le voit tous les jours, si ce n’est en hiver où il se cache quelquefois sous les nuages ; mais alors même on en connaît mieux le prix. »

La beauté même à l’œil sait-elle toujours plaire ?
Vous croyez que le temps la détruit ou l’altère :
L’habitude, voilà son plus triste ennemi.
À qui nous voit toujours on ne plaît qu’à demi.

(Barthe, Art d’aimer.)

M. Raynouard parle d’un tenson manuscrit où est discutée cette question : « Laquelle est plus aimée, ou la dame présente, ou la dame absente ? Qui induit le plus à aimer, ou les yeux ou le cœur ? » Cette question, dit-il, fut soumise à la décision de la cour d’amour de Pierrefeu et de Signe ; mais l’histoire ne dit pas quelle fut la décision.

Il ne faut pas croire pourtant que l’absence ait une influence vivifiante sur toutes les passions. Elle augmente les grandes et diminue les petites. La Rochefoucauld l’a comparée au vent, qui allume le feu et éteint les bougies.