Dictionnaire de théologie catholique/XIPHILIN Jean (patriarche)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1044-1045).

XIPHILIN Jean (patriarche grec de Constantinople sous le nom de Jean VIII, 1er  janvier 1064-2 août 1075), personnage qui joua un rôle important dans les milieux intellectuels et ecclésiastiques du xie siècle byzantin. — Né à Trébizonde vers 1010, il vint de bonne heure à Constantinople où, après de brillantes études, surtout juridiques, il exerça quelque temps la carrière d’avocat et bénéficia des faveurs de la cour. A l’Académie restaurée de la capitale, il contribua, avec son ami Psellos, à la renaissance littéraire et scientifique du xie siècle. Puis, vers 1055, dégoûté par les méfaits de la malveillance et de la calomnie, il se retira dans un monastère de l’Olympe, près de Brousse. Michel Psellos, qui l’y avait suivi par amitié personnelle, ne tarda pas à quitter une vie qui n’était pas faite pour lui, et revint à la capitale. Quant à Xiphilin, après la mort de Constantin Likhoudès (août 1063), il fut arraché à sa retraite monastique pour être élevé au trône patriarcal. C’est surtout par Psellos que nous sommes renseignés sur son compte, notamment par l’oraison funèbre qu’il prononça en août 1075, au lendemain de la mort du patriarche son ami.

L’activité patriarcale de Jean VIII Xiphilin fut marquée par de méritoires essais de réforme, spécialement sur le clergé. Elle se signala aussi — et l’histoire impartiale ne peut que le regretter — par une violente opposition aux tentatives de réunion entamées avec le Saint-Siège, en 1072. Voir Constantinople (Église de), t. iii, col. 1375.

Psellos souligne, non sans une visible complaisance personnelle, combien la tournure d’esprit de Xiphilin différait de la sienne : Xiphilin à tendance juridique et pratique ; lui-même, Psellos, philosophe, orateur, écrivain, érudit encyclopédique, artiste. En une circonstance spéciale, cette différence éclata en opposition. Bien que la vanité de Psellos exagère sans doute un peu les détails du conflit, le fait vaut d’être noté, car il n’est pas dénué d’importance du point de vue de ce que l’on a pu appeler des épisodes scolastiques dans la Byzance du xie siècle. Ce n’est pas tant, comme on l’a cru, une des premières phases de l’antagonisme entre la philosophie d’Aristote et celle de Platon au service de la théologie, qu’une apologie du travail même de la raison sur les données de la foi. Platon, il est vrai, est au premier plan, mais Aristote n’est pas exclu. Psellos, qui paraît avoir eu la note juste sur le parti à tirer de l’un et de l’autre, professait pourtant un culte fervent pour Platon. Ce dernier, au contraire, était plutôt en horreur aux gens d’Église ; et quand Psellos, lassé des ennuis de la politique au début de 1055, se réfugia dans les couvents de l’Olympe bithynien, où loti ami Xiphilin l’avait précédé, il nous raconte qu’au seul nom du philosophe athénien les moines « se signaient et balbutiaient des anathèmes contre le Satan hellénique ». K. Sathas, Bibliotheca qræca medii ævi. t. iv, Paris, 1874, p. lxvii-lxviii. Xiphilin lui même, esprit moins hellénique qu’asiatique, avait nettement pris parti contre le platonisme, non sans mêler d’ailleurs à ses propres idées certains éléments empruntés à l’astrologie et à la magie orientales. Voir Psellos, Oraison funèbre de Xiphilin, dans Sathas, op. cit., p. 456-462. Il reprochait sévèrement à Psellos de consacrer trop de temps à l’étude de Platon comme à une vanité. La polémique s’aviva lorsque Xiphilin eut quitté l’Olympe pour venir occuper le trône patriarcal (décembre 1063). Psellos avait alors adressé au nouveau patriarche une lettre enthousiaste. La réponse lui fit savoir que les admirateurs de Platon avaient cessé d’être chrétiens. « En outre, Xiphilin l’accusait de vouloir renverser l’Église pour renouveler les folies du paganisme en posant l’édifice social et moral sur les idées de Platon et de Chrysippe. Effrayé de cette imputation, Psellos répondit à Xiphilin par une longue lettre, qui est le document le plus complet en notre possession sur les tendances platoniciennes et aristotéliciennes au xie siècle. » Chr. Zervos, Un philosophe néoplatonicien du xie siècle : Michel Psellos, sa vie, son œuvre, ses luttes philosophiques, son influence, Paris, 1920, p. 217 ; cf. p. 100, 138, 140, 146. Cette appréciation de Chr. Zervos est exacte, à la réserve de la distinction finale entre platonisme et aristotélisme, qui ne se présentent pas ici avec le caractère tranché d’opposition que l’on insinue. Il faut lire cette riposte de Psellos pour saisir la portée réelle du débat ouvert entre les deux amis. Plein de son sujet, Psellos commence ex abrupto : « Je fais mien Platon ? O très saint et très sage ! Je le fais mien ? O terre, ô soleil ! dirai-je, pour renvoyer comme un écho à ton coup de théâtre. » Lettre à Jean Xiphilin devenu patriarche, dans Sathas, op. cit., t. v, Paris, 1876, p. 444. « Mien assurément, continue-t-il, mais à la manière des Pères qui puisaient dans le philosophe athénien des armes contre les hérétiques. C’est vrai, j’ai étudié les philosophes : et Platon ne pouvait m’échapper, ni Aristote, ni les Chaldéens et les Égyptiens ; mais je l’ai fait en rapportant tout à nos Écritures inspirées, qui m’ont permis de découvrir les faussetés et les scories dont ces systèmes étaient remplis… »

Les deux amis, devenus en cette circonstance antagonistes, demeurèrent d’ailleurs d’accord sur la question pratique de l’indépendance ecclésiastique byzantine, et leurs efforts conjugués firent échouer l’essai d’union avec Rome en 1072 sous le pape Alexandre II et l’empereur Michel VII Parapinakès. On trouvera dans V. Grumel, Regestes des patriarches de Constantinople, n. 891-903, l’énumération et l’analyse des actes officiels connus du patriarcat de Jean VIII Xiphilin.

Quant à l’important Homiliaire attribué par les manuscrits à un Jean Xiphilin (publié en partie par Sophronios Eustratiadès sous le titre Ὁμιλίαι εἰς τὰς κυριακὰς τοῦ ἐνιαυτοῦ, t. i, Trieste, 1903), A. Ehrhard a démontré, Ueberlieferung und Bestand der hagiographischen und homiletischen Literatur der griechischen Kirche von den Anfängen bis zum Ende des 16. Jahrhunderts, Erster Teil, III. Band, Leipzig, 1941, p. 525-559, que cette compilation était l’œuvre du moine Jean Xiphilin, neveu du patriarche Jean VIII, et qu’à celui-ci revenait seulement le mérite d’avoir encouragé le travail.

Michel Psellos, Oraison funèbre du patriarche Jean Xiphilin, texte grec publié par K.-N. Sathas, Bibliotheca græca medii ævi, t. iv, Paris, 1874, p. 421-462 ; Migne, P. G., t. cxix, col. 755-761, a recueilli quelques actes patriarcaux de Jean Xiphilin. Pour la liste complète des actes patriarcaux, voir V. Grumel, Regestes des patriarches de Constantinople, n. 891-903. — Quant aux quelques homélies que Migne a reproduites sous le nom de ce patriarche, P. G., t. cxx, col. 1201-1292, elles ne lui appartiennent pas ; se référer à A. Ehrhard, Ueberlieferung…, Ire partie, t. iii, p. 526-528 sq., qui donne la liste complète des homélies, avec les incipit.

L’ouvrage de K.-G. Bonis, Ἰωάννης ὁ Ξιφιλῖνος, ὁ νομοφύλαξ, ὁ μοναχός, ὁ πατριάρχης, καὶ ἡ ἐποχή αὐτοῦ, Athènes, 1937, exige, pour être utilisé, que l’on tienne compte préalablement des données acquises par l’étude de A. Ehrhard ; brève notice dans K. Krumbacher, Geschichte der byzantinischen Literatur, 2e éd., Munich, 1897, p. 170-171, a rectifier de même d’après le récent travail de A. Ehrhard.

Sur l’époque de Jean Xiphilin, Fischer, Studien zur byzantinischen Geschichte des elften Jahrhunderts, Plauen, 1883. Sur ses relations avec Michel Psellos, voir Chr. Zervos, Un philosophe néoplatonicien du XIe siècle : Michel Psellos, sa vie, son œuvre, ses luttes philosophiques, son influence, Paris, 1920. Sur la discussion à propos de Platon et des philosophes, S. Salaville, Philosophie et théologie ou épisodes scolastiques à Byzance de 1059 à 1117, dans Échos d’Orient, t. xxix, 1930, p. 135-141.

S. Salaville.

XIPHILIN Jean, écrivain byzantin (xie siècle).

— Originaire de Trébizonde, neveu du précédent, il fut moine à Constantinople dans la seconde moitié du xie siècle. Érudit et lettré, il fut sollicité par le basileus Michel Parapinakès d’abréger l’historien grec Cassius Dion, qui, dans le premier tiers du iiie siècle, avait publié une volumineuse Histoire romaine, Ῥωμαϊκὴ ἱστορία en 80 livres, depuis les origines jusqu’en 229. La première partie de cet énorme et précieux ouvrage avait déjà disparu quand Xiphilin se mit à l’œuvre et l’abréviateur n’eut en main que les livres XXXVI-LXXX, couvrant, en dépit de quelques lacunes au t. LXX, la période qui va de 68 avant Jésus-Christ à 229 après. L’érudition moderne n’a d’ailleurs plus retrouvé que les livres XXXVI-LX (de 68 av. J.-C. à 47 après). Nous ne disposons donc plus, pour connaître le dernier tiers de l’œuvre de Cassius, que de l’abrégé de Xiphilin. C’est dire l’importance de son œuvre ; là où il double le travail primitif, l. XXXVI à LX, xxviii, 5, il est un témoin important du texte ; pour le reste il a sauvé des renseignements précieux. Il avait d’ailleurs essayé de donner une forme personnelle à son travail, divisant la grande histoire de Cassius en biographies des empereurs, depuis Auguste jusqu’à Élagabale, et faisant précéder son abrégé des biographies, composées par lui-même, de César et de Pompée. On s’est d’ailleurs posé la question de savoir si le moine byzantin utilisait le Cassius primitif ou seulement un abrégé. En dépit de l’indifférence apparente avec laquelle il narre les événements, Xiphilin laisse percer, de-ci, de-là, son caractère de chrétien. C’est ainsi que racontant, l. LXXI, c. viii et ix, le célèbre miracle de la « Légion fulminante », il commence par donner la narration de son garant, puis la discute et fait remarquer l’erreur volontairement commise par Cassius, lequel ne pouvait ignorer l’origine du surnom de κεραυνοβόλος ; donné à ce corps de troupes. Il y aurait intérêt à relever dans Xiphilin d’autres exemples du même genre d’une christianisation de l’histoire profane. Ceci a d’autant plus d’importance que cette compilation est notre unique source pour certains événements de l’histoire ecclésiastique, pour la persécution de Domitien par exemple. — L’essentiel a été dit à l’art, précédent sur l’important Homiliaire compilé par Xiphilin.

Le texte de Xiphilin est d’ordinaire publié à la suite de celui de Cassius Dion, par exemple dans l’édition de Samuel Reimarus, 2 vol., Hambourg, 1750-1752, ou de Bolssevaux, Berlin, 3 vol., 1901 ; A. Gros a donné en face du texte grec une traduction française, 10 vol., Paris. Se reporter aux notices sur Cassius Dion dans les Histoires de la littérature grecque ; voir en particulier Christ-Stàhlin-Schmid, Geschichte der griechischen Literatur, t. ii, p. 629 sq., et Krumbacher, Gesch. der byzant. Lit., 2° éd., p. 369-370 ; voir aussi la bibliographie de l’art, précédent.

É. Amann.