Dictionnaire de théologie catholique/WILFRID D'YORK (Saint)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1005-1007).

WILFRID D’YORK (Saint), archevêque de cette ville, et l’un des personnages qui ont le plus contribué à affermir dans l’Angleterre nouvellement convertie les usages romains (6347-710). — La Vie de Wilfrid a été écrite, peu après sa mort, par un de ses admirateurs, Heddi, surnommé Etienne ; bien que n’étant pas exempte de préoccupations apologétiques, cette Vie fournit un bon cadre chronologique ; c’est à elle que Bède a emprunté l’essentiel de ce qu’il raconte de Wilfrid.

Celui-ci est né en Northumbrie, en 634 ou 635, d’une famille puissante ; pour des difficultés intérieures, il la quitta vers l’âge de quatorze ans et, se rendant à York, fut introduit auprès de la reine Eanfled, chrétienne fervente et gagnée, d’ailleurs, aux usages romains. Elle envoya bientôt le jeune homme au monastère de Lindisfarne, où il désirait s’initier aux choses de Dieu ; mais Wilfrid ne se fit pas moine, d’autant que bien des choses le choquaient dans ce couvent tout dévoué aux idées et aux pratiques des Scots. L’idée lui vint bientôt de se rendre à Rome, pour s’initier aux façons de prier et de penser qui régnaient dans la ville du prince des apôtres. Il inaugurait ainsi le mouvement qui, dans les siècles suivants, entraînerait vers le tombeau de Pierre tant de ses compatriotes. Après s’être arrêté quelque temps à Cantorbéry, pour y trouver une occasion favorable, il franchit le détroit, arriva en Gaule et, passant à Lyon, reçut de l’archevêque Annemond le plus favorable accueil. En dépit des efforts de celui-ci pour le retenir, il arriva enfin à Rome, où il fut présenté au pape Eugène I er (654-657), ou à son successeur Vitalien (657672). Il se renseigna avec avidité sur les usages, tant monastiques que généraux, et étudia tout spécialement la question du comput pascal, sur lequel portait le conflit le plus aigu entre Scots et Romains. De retour à Lyon, il retrouva la protection de l’archevêque, s’initia sous sa direction aux sciences ecclésiastiques et reçut de lui la tonsure romaine. Quand Annemond fut mort, dans les circonstances tragiques que l’on sait, Wilfrid retourna en Northumbrie. Il entra fort avant dans l’amitié d’Alchfrid, fils du roi

Oswy. Tout acquis, à l’inverse de son père, aux usages romains, le jeune prince fit don à Wilfrid, désormais champion infatigable de ces mêmes usages, du couvent de Ripon, fondé par lui, où furent ainsi introduits et la tonsure romaine et le comput pascal romain et, naturellement, la règle de saint Benoît. Wilfrid était encouragé par l’évêque Agilbert, gaulois d’origine, instruit en Irlande et qui avait déjà fait œuvre missionnaire dans le Wessex ; ce fut Agilbert qui l’ordonna prêtre, avant que de rentrer quelque temps après en Gaule, où il deviendrait évêque de Paris. L’agitation faite autour de la question pascale détermina le roi, partisan lui-même de l’usage scot, à convoquer une assemblée mi-civile, mi-ecclésiastique qui prendrait enfin position.

Cette assemblée, réunie au couvent de Strenashalch (Whitby) peu avant Pâques 664, est longuement décrite par Bède, H. E., III, xxv. Grâce aux efforts d’Agilbert et de Wilfrid, qui fit tout spécialement appel à l’autorité de Pierre pour revendiquer la priorité de l’usage romain, celui-ci l’emporta. De ce chef, l’autorité des abbés de Lindisfarne sur la Northumbrie recevait un coup dont elle ne se releva pas. Un certain Tuda qui, bien que consacré par les Celtes, suivait l’usage romain fut proclamé pontifex Nordhymbranorum ; mais il fut emporté, très peu après, par la peste jaune, qui fit à ce moment un grand nombre de victimes ; on décida alors de diviser la Northumbrie, en deux évêchés : Chad (Ceadda) aurait l’un d’eux ; Wilfrid serait évêque d’York. Il ne voulut pas d’ailleurs se faire consacrer dans l’île ; c’est à Compiègne qu’avec une pompe inusitée Agilbert, maintenant évêque de Paris, le sacra (666). Mais il s’attarda trop sur le continent ; quand il rentra en Northumbrie, Chad avait étendu sa juridiction sur tout l’État que gouvernait Alchfrid. Wilfrid était ainsi réduit à son monastère de Ripon. Il se dirigea vers la Mercie, où il restait bien des païens à convertir ; puis, l’évêché de Canterbury étant vacant depuis 664 par la mort d’Honorius, il en prit l’administration, sans en avoir le titre régulier. En 669, quand Théodore eut été nommé à Cantorbéry par le pape Vitalien en personne (voir l’art. Théodore de Cantorbéry), Wilfrid revint en Northumbrie ; à l’été de cette même année, Chad ayant renoncé à son siège épiscopal, il devenait évêque de toute la Northumbrie.

Il déploya dans cette situation la plus grande activité, rebâtit la cathédrale, où le service fut fait désormais à la romaine, par des chantres venus de Cantorbéry, parmi lesquels figurait Heddi, son futur biographe ; un zèle plus grand encore dans les deux couvents de Hexham et de Ripon. Il multipliait d’ailleurs dans tout son ressort le nombre des diacres et des prêtres. Ce temps de tranquille labeur ne dura guère. Théodore de Cantorbéry, fort de l’antiquité de son siège, fort aussi de l’autorité pontificale qu’il croyait représenter, se considérait de plus en plus comme ayant juridiction primatiale sur toute l’Angleterre. Wilfrid, de son côté, se considérait un peu comme le métropolitain du Nord et ne voulait en tout cas accepter aucune diminution de ses droits. Un conflit était inévitable. Sous le prétexte que toute la Northumbrie dépassait les forces d’un seul homme, Théodore proposa de la partager en plusieurs diocèses. Wilfrid en fut fort irrité et son opposition empêcha l’archevêque de Cantorbéry d’étendre à l’Angleterre du Nord la réorganisation de la hiérarchie entreprise au concile de Hertford (673). Mais Théodore ne renonçait pas pour autant à ses projets ; il réussit à y gagner le nouveau roi de Northumbrie, Egfrid, fils d’Oswy, avec qui Wilfrid commençait à se brouiller. Se prévalant de l’appui royal, Théodore divisa en quatre le ressort d’York ; Wilfrid garderait cette ville, mais trois

autres sièges seraient établis, à Lindisfarne, Hexham et Sidnacæster. Wilfrid s’insurgea contre ce coup d’État et déclara qu’il en appelait à Rome (678).

C’était chose presque inouïe en Occident et surtout en Angleterre qu’une pareille démarche ; elle mérite d’autant plus d’être signalée. Théodore n’en tint pas compte dans la pratique, tout en s’efïorçant, par l’envoi à Rome d’un émissaire, d’en prévenir les effets. Wilfrid cependant faisait pour gagner la Ville éternelle un long détour par la Frise, voulant éviter la Gaule, où le féroce Ébroïn, à la sollicitation d’Egfrid, était prêt à l’arrêter. La Frise était encore presque entièrement païenne ; ayant gagné la faveur du duc Aldgild, Wilfrid y travailla quelque temps à jeter les semences de l’Évangile, préludant ainsi au travail missionnaire de saint Willibrod ; puis il remonta le Rhin, passa à la cour du roi d’Austrasie, Dagobert II, qui lui aurait offert l’évêché de Strasbourg, et finit par atteindre Rome. Dans un synode du Latran qui suivit d’assez près le concile (679 ou 680) relatif à l’affaire monothélite, sa cause fut entendue. (Sur la distinction du concile de Wilfrid et de l’assemblée contre le monothélisme, il y a eu discussion, de même que sur leurs dates respectives. Voir Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. ni a, p. 476 sq., à l’avis de qui nous nous rangeons ; et cf. Jaffé, Regesta pont. Rom., t. I, post n. 2106.) Quoiqu’il en soit, l’affaire de Wilfrid fut ventilée en présence du pape ; mais l’émissaire de Théodore avait su prévenir l’esprit de celui-ci. On n’accorda à l’évêque d’York qu’une demi-satisfaction : la division de la Northumbrie entre quatre évêchés était reconnue, bien que l’on déclarât irrégulière la promotion des titulaires qui avait été faite ; une nouvelle élection aurait lieu et Wilfrid était invité à s’arranger amicalement avec ses nouveaux collègues.

Retardé pendant son voyage à travers la Neustrie par le mauvais vouloir d’Ébroïn, Wilfrid fut fort mal accueilli en Northumbrie, l’appel à Rome ayant été considéré par le roi Egfrid comme une atteinte à son autorité. Une assemblée réunie par le souverain déclara faux les actes rapportés de Rome et condamna Wilfrid à la prison. Sans doute on lui fit remise d’une partie de la peine, mais on l’expulsa de Northumbrie, et il se vit interdire aussi l’accès des royaumes alliés de Mercie et de Wessex. Il ne restait comme ressource au condamné que de s’établir dans le Sussex, encore presque entièrement païen, où le roi Aedilwalch lui témoigna quelque faveur, lui accordant à Selsey un domaine pour l’établissement d’un couvent et d’un siège épiscopal. À la faveur d’un changement de règne, il put également rayonner dans le Wessex, et de là dans l’île de Wight, dernier refuge du paganisme (après 683). La renommée de ces conquêtes évangéliques amena Théodore à tenter une réconciliation, d’autant qu’Alchfrid, l’ancien protecteur de Wilfrid, avait remplacé le roi Egfrid (685). En 686, Wilfrid put rentrer en Northumbrie. Il administra d’abord les évêchés de Hexham et de Lindisfarne. Puis, le mi ayant expulsé les évoques d’York « de Ripon, Wilfrid put reprendre le gouvernement de son ancien diocèse d’York, revenu à l’unité. Mais Wilfrid voulait davantage ; la reconnaissance de sa juridiction métropolitaine sur toute la Northumbrie. Aussi se refusait-il à reconnaître les décréta archiepiscopi Theodori pris entre 678 et 686. De nouveaux conflits étaint inévitables, tant avec Cantorbéry qu’avec les évêchés nortbumbrlens. Conflits d’autant plus dan gereux que Wilfrid avait réussi à se brouiller, pour des raisons tout a fait personnelles, avec le roi Aie h frid, son ancien protecteur, Il se retira donc en Mercie en 691, ou il connut, d’ailleurs, d’autres difficultés. Indésirable en Mercie, indésirable en N’ort humhric, il

s’entendit condamner au concile d’Austerfield (ou Oustrefelda), où l’on se refusa à admettre ses explications. Il serait privé de toutes ses possessions en Northumbrie et en Mercie et ne conserverait que le couvent de Ripon (702). En attendant, il était excommunié avec tous ses adhérents. Voir Hefele-Leclerc, op. cit., p. 591 sq.

Wilfrid se tourna une seconde fois du côté de Rome ; malgré son grand âge il refit le voyage qu’il avait fait tout jeune. Ce fut le pape Jean VI (701-705) qui le reçut et soumit sa cause à un synode romain, où le nouvel archevêque de Cantorbéry, Britwald, le même qui avait présidé le concile d’Austerfield, s’était fait représenter. Il ne fallut pas moins de quarante séances pour terminer l’affaire (704) ; encore ne le fut-elle pas à la parfaite satisfaction de Wilfrid : « Comme les deux évêques Jean et Bosa, dont les prétentions opposées à celles de Wilfrid étaient le point principal de l’affaire, n’avaient pas paru à Rome, on ne prononçait point de sentence définitive. Ordre était seulement donné à Britwald de tenir un concile avec Wilfrid, où l’on convoquerait ces deux évêques, pour obtenir un compromis entre leurs prétentions réciproques ; si ce compromis ne pouvait aboutir, tous devraient venir à Rome pour que l’affaire fût reprise à nouveau. » Cf. Jaffé, Reg. pont. Rom., n. 2142 ; texte dans P. L., t. lxxxix, col. 59.

De dépit Wilfrid voulut rester à Rome, pour y terminer ses jours en paix ; le pape le contraignit à retourner dans son île et Wilfrid dut s’exécuter. Il ne fut reçu qu’avec peine par le roi Alchfrid, lequel mourut en 705. Ce fut seulement après cette mort que Britwald put convoquer à Nithfluss, en Northumbrie, le concile demandé par le pape (705). Suivant la teneur des lettres pontificales, les deux évêques Jean et Bosa furent mis dans l’alternative de céder leurs diocèses à Wilfrid ou d’aller défendre leur cause à Rome. Ils finirent par s’incliner ; on parvint à réconcilier les deux parties et l’on s’entendit sur une transaction : Bosa demeurerait évêque d’York et Wilfrid conserverait les deux monastères-évêchés de Ripon et de Hexham. Ce fut la dernière querelle de Wilfrid ; il put enfin jouir de la paix ; il mourut quelques années plus tard, le 21 avril 710 ( ?), à Oundle (Northamptonsh. ), d’où son corpsfut rapporté à Ripon ; au xe siècle, il sera transféré à Cantorbéry.

Bien que sa vie intéresse principalement l’historien de l’Église, elle ne laisse pas de fournir quelques enseignements au théologien. Celui-ci constatera dans quel état inorganique était demeurée, cent ans après la conquête chrétienne, l’Angleterre ecclésiastique : rivalité des usages scots et romains, instabilité des évêques, interventions continues et capricieuses des roitelets de l’Heptarchie dans les affaires de l’Église, absence, même chez les « Romains », d’une hiérarchie tant soit peu sédentaire, tout cela n’était pas de nature à donner vigueur au christianisme insulaire. C’est de Rome que sont venues, en tin de compte, les interventions efficaces : la nomination de Théodore de Cantorbéry a été un coup de maître, mais Rome, par ailleurs, s’est toujours réservé le droit de contrôler à distance l’action de ceux qu’elle envoyait ; la réception des appels de Wilfrid, les jugements si mesures qui, à chaque fois, ont été rendus dans ses affaires témoignent du souci qu’avait la papauté de montrer paît ont son droit de regard dans toutes les affaires ecclésiastiques.

Sources.

La principale est la’ita Wilfrtdi epUcopt,

rédigée par Ileddl (nu fitienne) ; elle n été publiée d’abord ptU Maliillnu. Ado sunrt. (>. S. B., t. IV a, p. 721, (|iii a

donné quelques complément ! au t. iv b, suppléai. ; puis

par l.iles, VtttB quonmilum sont ttirum, Londres, 1854 ; ensuite pal Haine, 1 lie histnriims o/ the Cluin h n/ V.irA tintl S 5 43

WILFRID IV YORK — WIMPHELING (JACQUES)

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ils archbishops, 1879, t. i, p. 1-103 (dans Rolls Séries), finalement par Levison, dans Mon. Germ. hisl.. Script, rerunt merouingicarum, t. vi ; elle n’est pas dans P. L. liède a certainement connu Heddi et l’a utilisé, tout en le corrigeant sans rien dire ; cf. Ilistoria ccclesiastica Anylorum, surtout t. III, c. xxv (question pascale au concile de Whitby) ; t. V, c. xix et passim. La Vila de Heddi, au milieu du Xe siècle, a été mise en vers par un certain Fridegodus, à la demande de l’archevêque de Cantorbéry, Odon ; par suite de l’emploi de mots rares, grecs ou latins, et de tournures prétentieuses, ce poème est presque incompréhensible ; le. texte, publié d’abord par Mabillon, op. cit., t. ni a, p. 150 (la finale, t. iv, p. 670) est reproduit dans P. L., t. cxxxiii, col. 979. On peut tenir pour négligeables les Vies postérieures par Eadmer de Cantorbéry et Guillaume de Malmesbury, qui se retrouvent dans Raine, op. cit.

Travaux.

Montalembert, dans les Moines d’Occident,

t. iv, 1. XIV ; B.-W. Wells, Eddis Life oj Wilfrid, dans Enylish historical review, t. vi, p. 535 sq. ; K. Obser, Wilfrid der Aeltere, Bischof von York, Carlsruhe, 1884 ; les notices du Dictionnary oj Christian Bioyraphies, t. iv ; de H. lîôhmer, dans Protest. Kealencyclopœdic, t. xxi ; E. Cabrol, L’Anyleterre chrétienne avant les Normands, p. 109133 ; R. Aigrain, dans Fliche-Martin, Histoire de l’Éylise, t. v, p. 316 sq. — Sur les divers conciles signalés, Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. m a, passim.

É. AMANN.