Dictionnaire de théologie catholique/VIENNE (CONCILE DE)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 722-725).

VIENNE (CONCILE DE), XVe concile œcuménique (1311-1312). — De ce concile œcuménique tenu à Vienne en France en 1311-1312, on n’a longtemps connu que les décrets ; sur les événements qui ont déterminé le cours du concile et qui, en éclairant l’origine et le but de ses décisions, eussent permis d’en apprécier la portée, on possédait peu de documents : la plupart d’entre eux avaient été perdus, d’autres supprimés ou falsifiés ; les témoignages des contemporains étaient viciés par des préoccupations polémiques. Beaucoup de sources n’ont pas encore pu être retrouvées. Cependant, après les recherches et les découvertes du cardinal Fr. Ehrle, puis de H. Finke, l’histoire du concile a pu être retracée dans ses lignes essentielles par le P. Éwald Millier, O. M., Das Konzil von Vienne, 7311-1312, Seine Quellen und Geschichle, Munster-en-W., 1934. Nous rappellerons d’abord les circonstances qui ont occasionné le concile et exercé une influence sur ses travaux ; elles aideront à comprendre les décrets dogmatiques et disciplinaires qu’il a portés.

I. Histoire.

II. Décrets dogmatiques.

III. Décisions disciplinaires.

I. Histoire du concile.

L’occasion du concile fut fournie par la lutte soutenue par Philippe le Bel contre la papauté. Le concile axait été voulu et demandé par le roi de France depuis 1297, il avait été préparé par ses légistes, et il était l’aboutissement des théories conciliaires répandues par les partisans du roi, cf. Dom Jean Leclercq, Jean de Paris ri l’ecclésiologie du XIIe siècle, Paris, 1942, p. 124-131, et La renonciation de Célestin V et l’opinion théologique en France du vivant de Boniface VIII, dans d’histoire de l’Église de France, t. xxv, 1939, p. 185-190. Philippe le Bel avait d’abord demandé qu’un concile universel fût convoqué en vue de juger et de déposer Boniface VIII, accusé d’avoir supplanté Célestin V d’une manière illégitime. A partir de la mort de Boniface VIII (1303), le prétexte Invoqué pour motiver le concile fut de mettre un terme an procès ouvert par Philippe le lie ! contre les templiers. Parallèlement ail procès des templiers s’en poursuivi ! un autre, sur le développement duquel nous sommes peu renseignés pour cette période, celui qui divisait les deux factions adverses de l’ordre franciscain, les « spirituels », et la « communauté », voir Spirituels.

Le 12 août 1308, le pape Clément V avait lancé la bulle d’indiction du concile (Registre, n. 6293), invitant tous les prélats à s’y rendre. Par la bulle Aima mater du 4 avril 1310 (Hardouin, Concil., t. vii, col. 1134), il fixait au 1 er octobre suivant l’ouverture de l’assemblée. Mais, pour la première fois dans l’histoire des conciles œcuméniques et sous la pression de Philippe le Bel, le pape procédait alors à un choix parmi les prélats convoqués : la bulle s’adressait à tous les évêques, mais ceux-là seuls étaient tenus de venir qui étaient expressément désignés dans la lettre. À cet effet, Clément V avait dressé une liste officielle portant 231 noms ; cette liste fut, à Paris et sur les ordres du roi, réduite à 165 noms (texte des deux listes dans Mùller, op. cit., p. 663-670) ; encore parmi les prélats qui y figuraient beaucoup s’excusèrent-ils de ne pouvoir venir à cause des frais qu’entraînerait pour eux ce voyage en des temps aussi difficiles. Si les prélats invités étaient matériellement peu nombreux et en grande majorité français, le concile n’en était pas moins — formellement, c’est-à-dire dans l’intention du pape, et en fait — un concile œcuménique.

Il s’ouvrit le 16 octobre 1311. Étaient présents 20 cardinaux, 4 patriarches, 29 archevêques, 79 évêques, 38 abbés, les généraux des franciscains et des dominicains ; avec les procureurs des prélats absents, le nombre total des membres du concile atteignait environ 300. Les rois d’Aragon et d’Angleterre avaient envoyé des ambassadeurs ; Philippe le Bel était représenté par Guillame de Plaisians, auquel se joignit, à partir du 17 février 1312, Enguerrand de Marigny.

Les premiers travaux du concile (décembre 13Il début d’avril 1312) furent surtout consacrés au problème du secours à porter à la Terre sainte. On discuta différents projets, en particulier ceux qu’avait présentés Baymond Lulle, et on examina quels étaient les moyens de lever des dîmes en vue de financer une croisade éventuelle ; les envoyés de Philippe le Bel firent échouer toutes les propositions, prétextant l’absence de leur roi sine quo factum est nihil, disaientt ils. Mùller, p. 168. Sur les entrefaites (janvier-mars 1312), Philippe le Bel avait réuni à Lyon les États , généraux du royaume, entrepris avec le pape des négociations secrètes au cours desquelles le procès de Boniface VIII semble avoir été remis en question, et décidé de mettre bientôt un terme au concile. Le Il mars. Clément V tint un consistoire au cours duquel il fut impossible de concilier les exigences des rois de Portugal et d’Aragon avec celles du roi de France au sujet des biens des templiers. Le 20 mars, arriva Philippe le Bel accompagné d’une suite nombreuse. Aussitôt, dès le 22 mars, s’ouvrit la première session solennelle où fut décidée la suppression de l’ordre des templiers. Il restait à statuer sur le sort qui serait réservé à leurs biens. Malgré toutes les manœuvres de Philippe le Bel, spécialement autour du consistoire du 28 mars, le pape ne prit alors aucune décision au sujet des possessions des templiers d’Espagne. I.c 3 avril se tint la deuxième session solennelle, où Clément Y supprima définitivement l’ordre des templiers, en vertu de son pouvoir apostolique et avec l’approbation du concile. non pas, expliqua t il. par suite d’une décision infaillible, mais en Mie de la bonne administration de l’Église et pour s’acquitter des devoirs de sa charge pastorale. Millier, p. 209. Au cours de cette session. le pape prescrivit également a Ions les prélats de lever pendant six ans une dîme destinée à secourir

la Terre sainte. À la suite de nouvelles délibérations, toujours dominées par l’influence de Philippe le Bel, le pape et le concile décidèrent que les biens des templiers passeraient à l’ordre des hospitaliers et que celui-ci serait réformé. Bulles Ad providum du 2 mai, Rey., n. 7885, et Nupcr in generali concilio du 16 mai, Reg., n. 7952. Il restait à terminer le procès des spirituels et à résoudre les problèmes doctrinaux soulevés depuis quelques années au sujet des écrits de Pierre de Jean Olieu ou Olivi († 1298). Ce fut l’objet de la troisième session solennelle au cours de laquelle furent portés les décrets relatifs à la pauvreté franciscaine et aux erreurs attribuées à Olieu. Cette session clôtura le concile (6 mai 1312).

II. Décisions dogmatiques. - - 1° La décrétale « Fidei catholicæ » (Clem., t. I, tit. i, éd. Friedberg, Corpus juris canonici, t. H, col. 1133 sq. ; Denz-Bannw., n. 480) est dirigée contre les erreurs attribuées à Olieu, lequel avait été défendu au concile par Baymond Gaufredi et surtout par Ubertin de Casale, le nouveau chef des spirituels depuis la mort d’Olieu. Le concile y propose trois points de doctrine en suivant l’ordre et même en reprenant les termes d’un mémoire présenté le 1 er mars 13Il par la « communauté », pour dénoncer les opinions hérétiques imputées à Olieu.

1. La blessure du Christ.

Le concile affirme d’abord que le Christ, en tant que Dieu, subsiste éternellement avec son Père ; pour devenir un homme véritable, il a assumé un corps et une âme raisonnable informant vraiment, elle-même et essentiellement, le corps. Dans cette nature humaine, poursuit la décrétale, le Christ a voulu souffrir et mourir ; il a voulu aussi qu’après qu’il eût rendu l’âme son côté fût ouvert par une lance, comme en témoigne le écrit de saint Jean l’Évangéliste. Conformément à la sentence commune des docteurs et avec l’approbation du concile, le pape insiste sur le fait que c’est après la mort du Christ que son côté fut transpercé par la lance du soldat. Il semble qu’Olieu ait occasionnellement exprimé comme probable l’opinion contraire.

2. L’union de l’âme et du corps.

Le paragraphe suivant de la même décrétale, D.-B., n. 481, introduit la célèbre définition du concile sur l’union de l’âme et du corps. Afin d’exclure toute doctrine erronée qui nierait ou mettrait même seulement en doute que la substance de l’âme raisonnable est vraiment et par elle-même la forme du corps humain, ce qui serait contraire à la vérité de la foi catholique, le pape, approuvé par le concile, déclare hérétique quiconque prétendrait que l’âme raisonnable n’est pas par elle-même et essentiellement la forme du corps. Cette définition implique l’application au corps et à l’âme des concepts de matière et de forme, utilisés par la scolastique pour expliquer l’union qui existe entre le corps et l’âme. Aucun document ne permet de savoir sur quels arguments se sont appuyées les commissions qui ont préparé la formule de la définition ; mais le préambule du décret laisse clairement entendre que la vérité concernant la nature humaine du Christ fut pour le concile l’argument décisif.

Olieu n’est pas nommé dans le décret, qui vise seulement une erreur possible. De la teneur du texte et des témoignages contemporains, il ressort que le concile a condamné les erreurs que la communauté attribuait à Olieu ; rien ne prouve qu’il ait voulu atteindre la personne et la doctrine d’Olieu lui-même. En ce sens, les efforts d’Ubertin de Casale n’avaient pas été vains : Olieu ne fut pas déclaré hérétique. Mûller, p. 357-363. La doctrine réellement professée par Olieu était-elle, de fait, inconciliable avec la définition du concile et, par conséquent, condamnée ?

Les sources actuellement connues ne permettent pas d’apporter à cette question une réponse définitive. Tel est l’avis du P. E..Millier qui, à l’aide d’un mémoire inédit du P. L. Jarreaux, O. M., Un philosophe languedocien méconnu : Essai sur la philosophie de Pierre Olivi, franciscain du x/lf siècle (Mémoire présenté à l’université de Toulouse en 1929), s’est efforcé d’analyser la doctrine d’Olieu sur l’âme humaine (p. 364-384). Une partie seulement de*, textes où Olieu traitait cette question nous a été conservée et il n’est pas actuellement possible de reconstituer avec exactitude l’ensemble de sa doctrine. De l’examen des textes qui sont parvenus jusqu’à nous il semble ressortir qu’Olieu enseignait un certain triehotomisme. L’âme humaine, selon lui, est constituée de trois parties substantielles : l’âme végétative, l’âme sensitive et l’âme intellectuelle. L’âme tout entière informe directement le corps par ses parties végétative et sensitive, non par sa partie intellectuelle. Celle-ci est unie au corps substantiellement par une union non formelle (comme est l’union des parties végétative et sensitive avec le corps), mais dynamique, c’est-à-dire en tant que l’âme est motrice. — Le concile a-t-il voulu exclure cette théorie ? Le décret n’en dit rien, et on n’est en droit ni de le nier ni de l’affirmer. Les adversaires d’Olieu prétendaient qu’on pouvait déduire de sa doctrine des erreurs relatives à la nature humaine du Christ. Il est possible aussi qu’ils aient trouvé dans son système des tendances favorables à la doctrine averroïste de l’âme unique de tous les hommes, bien qu’Olieu ait rejeté expressément cette doctrine ; en effet, Bichard de Médiavilla, un des juges d’Olieu, réprouve, dans son Commentaire des Sentences, t. II, dist. XVII, a. 1, l’erreur de ceux qui disent « que l’âme intellective n’est pas forme du corps selon tout elle-même… Cette opinion, ajoute-t-il, paraît favoriser celle des docteurs qui disent qu’il n’y a qu’une âme pour tous les hommes ». De fait, le Ve concile du Latran devait, en 1513, utiliser la définition du concile de Vienne contre les averroïstes. Denz.-Bannw. , n. 738. — Quoiqu’il en soit, d’ailleurs, des erreurs que le concile a voulu exclure, le contenu positif du décret est clair. Plusieurs points sont hors de doute : a) Le concile a voulu définir ce qui, en tout état de cause, doit être maintenu pour sauvegarder la vérité de la nature humaine du Christ, à savoir que, dans l’homme, l’âme raisonnable informe par elle-même et essentiellement le corps. — b) Le concile n’a pris position en aucune manière contre la pluralité des âmes. Olieu lui-même affirmait que l’âme est une, mais pensait qu’elle est composée de plusieurs parties essentielles. De cette explication on pourrait déduire la pluralité des âmes ; mais ce n’est pas sous cet aspect que la doctrine d’Olieu avait été soumise au jugement du concile. — c) Le concile n’a pas voulu définir qu’une certaine forme de corporéité ne puisse convenir au corps avant son union avec l’âme raisonnable, car les adversaires d’Olieu admettaient eux-mêmes cette explication, alors très répandue. La lettre et le contenu du décret n’excluent nullement l’existence de formes du corps partielles et subordonnées : le concile affirme que le corps humain a une forme essentielle qui est l’âme ; il ne dit rien de la structure, de chacune des parties de l’âme humaine. — d) Le concile a voulu affirmer que l’union entre l’âme et le corps humain n’est pas suffisamment sauvegardée si, entre les parties de l’âme humaine, on admet une distinction telle que toute partie de l’âme ne concourre pas également à cette union. Le terme de forme appliqué à une matière qui est le corps exprime simplement l’union substantielle du corps et de l’âme. Si donc on veut admettre un certain triehotomisme, 297’VIENNE (CONCILE DE)

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il faut l’exposer en telle sorte que soit sauvegardée cette union substantielle. — Le décret du concile de Vienne n’équivaut donc ni à une définition de l’hylémorphisme tel qu’il est appliqué à l’homme dans l’enseignement de telle ou telle école théologique, ni à un jugement infaillible porté par l’Église en tant que gardienne du dépôt révélé sur un sujet qui relève de la connaissance naturelle. Le concile utilise une terminologie et précise le sens qu’il lui donne. Il n’entend pas consacrer de son autorité le sens que cette terminologie revêt dans l’ensemble d’aucun système philosophique, cf. R. Garrigou-Lagrange, Le sens commun, la philosophie de l’être et les formules dogmatiques, 3 ? éd., Paris 1922, p. 293-298 et passim. — Sur l’interprétation de ce décret, toute la bibliographie antérieure à 1917, date de la publication des textes d’Olieu, est périmée ; voir cependant l’excellent article de M. Debièvre, La définition du concile de Vienne sur l’âme, dans Recherches de science religieuse, t. iii, 1912, p. 321 sq. ; Wimmer, De anima intellecliva ut forma corporis, dans Zeitschrift fur kalholische Théologie, 1919, p. 577 sq. ; B. Jansen, Quonam spectet definitio concilii Viennensis de anima, dans Gregorianum, t. i, 1920, p. 78 sq. ; J. Koch, dans Theologische Quarlalschrifl, 1932, p. 142 sq. ; B. Jansen, dans Franziskanische Studien, t. xxi, 1934, p. 297 sq.

3. La grâce baptismale.

Dans leur mémoire du 1 « * mars 1311, les adversaires d’Olieu avaient attribué à ce dernier huit erreurs. La première de ces propositions concernait la blessure du Christ, la cinquième l’âme humaine. Millier, p. 273. La quatrième proposition était celle-ci : « les enfants ne reçoivent au baptême ni la grâce ni les vertus ». Prenant la défense d’Olieu, sur ce point, Ubertin avait invoqué le fait que, jusqu’alors, l’Église n’avait jamais défini si, dans le baptême, la grâce et les vertus étaient accordées aux enfants de la même façon qu’aux adultes, bien que les uns et les autres y reçussent la rémission dis péchés et la grâce sanctifiante. Innocent III, Décrétâtes. t. III, c. xliii, éd. Friedberg, t. H, col. 644 sq. el déjà le Lombard, /V° Sent., dist. II, c. vii, poursuivait Ubertin, s’étaient contentés sur ce point de rapporter les deux opinions contraires en se refusant à prendre parti. Millier, p. 284. Les deux derniers paragraphes de la constitution Fidei catholicw sont consacrés à cette question. Millier, p. 385, texte dans D.-B., n. 482-483. — Le texte laisse supposer que la communauté avait proposé à Clément V de décider lui-même laquelle des deux opinions en présence devail être admise ; elle avait sans doute espéré quc li-pape ne se bornerait pas à choisir simplement entre deux opinions théologiques probables et qu’il con damnerait expressément Olieu. Mais Ubertin avait insisté sur le fait que les théologiens n’étaient pas unanimes à affirmer dans quelle mesure la grâce baptismale obtenait chez les enfants et chez les adultes tous ses effets, à savoir la rémission du péché originel, la justification par la grâce sanctifiante et l’infusion des vertus, et que le magistère de l’Église ne s’était pas prononcé jusqu’alors sur cette question, Ainsi n’y avait-il, pour le concile, aucune raison décisive de trancher le débat. De fait, le texte donne l’impression quc le concile n’a voulu heurter aucun des deux partis qui avaient porté la question devant lui : il semble, d’une part, aller au devant des désirs de la communauté et. d’autre part, éviter â l’opinion d’Olieu t mil c accusation d’hérésie. On ne Bit rien sur les délibérations et tel travaux qui avaient préparé la rédaction de cette partie du « lient I Hli’i catholicee. Mais, ici encore, le contenu positif du décret se dégage clairement du sens obvie <^i texte : le pape, , -ivec l’approbation du concile.

choisit comme plus probable l’opinion de ceux qui pensent que, chez les enfants comme chez les adultes, le baptême ne remet pas seulement le péché, mais confère la grâce de la justification et les vertus, du moins quoad habitum, sinon encore quoad usum. Comme argument en faveur de cette décision, la décrétale invoque l’efficacité universelle de la mort du Christ, laquelle est également appliquée aux enfants et aux adultes. Le texte ajoute que cette opinion est plus conforme que l’autre à la doctrine des Pères et des théologiens.

2° Le décret « Ad noslrum » contre les erreurs des bégards el des béguines. Clem., t. V, tit. iii, c. 3, Friedberg, t. ii, col. 1 183 ; Denz-Bannw., n. 471-478. — Sous le nom de bégards et béguines, on désignait tous ceux et celles qui faisaient profession de la vie religieuse en dehors des formes ordinaires et des ordres légitimement constitués ; le bégardisme était, surtout depuis la fin du xii c siècle, une des manifestations du mouvement de ferveur religieuse qui s’étendait particulièrement dans les pays germaniques ; ses origines avaient été mêlées à certaines formes du catharisme et il avait toujours conservé un certain relent d’hérésie. À l’idéal de la chasteté, sur lequel avaient d’abord insisté les bégards, s’était joint, au cours du xiiie siècle, l’idéal de la pauvreté. Vers la fin du xine siècle, la hiérarchie ecclésiastique, devant les dangers présentés spécialement par les bégards ambulants dont la ferveur n’était plus garantie par aucune forme juridique ni contrôlée par aucune autorité, commença de s’occuper de la répression de la secte, voir J. von Mierls, art. Bégardisme, dans Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique ; Miiller, op. cit., p. 577-583. À la demande des évêques d’Allemagne, le concile de Vienne porta contre les bégards et les béguines deux décrets : l’un, Cum de quibusdam mulieribus, interdisait leur genre de vie, l’autre, Ad noslrum, condamnait leurs erreurs. Ces dernières ne forment pas un corps de doctrine ; certaines d’entre elles semblent même contradictoires ; mais elles montrent à quels excès pouvait conduire cette tendance à ne retenir de la vie religieuse que ses manifestations spirituelles. Les propositions condamnées par le concile sont empruntées à des sources diverses, Millier, p. 583-587, et particulièrement aux affirmations des Frères du Libre Esprit.

3° La décrétale « Ex gravi > sur l’usure Clem., t. V, tit. v, Friedberg. t. ii, col. 1184 ; cf. Millier, p. 618-620. - — Ce qui nous est parvenu des actes du concile ne donne aucune indication sur les raisons qui ont motivé cette constitution. Le début de la décrétale fait seulement allusion â des plaintes portées contre les usuriers par des communautés civiles. Le concile édicté la sentence d’excommunication contre ceux qui se rendent coupables des abus qu’on lui a dénoncés. Il s’élève ensuite contre une erreur doctrinale et déclare quc celui qui persisterait â affirmer quc se livrer â la pratique de l’usure n’est pas un péché devrait être puni comme hérétique et poursuivi comme tel par l’Inquisition. (Fragment du texte dans Denz.-Bannw, n. 479.)

III. Décisions DISCIPLINAIRES. - 1° La décrétale

Exivi <lr paradiso » sur la pauvreté et l’ordre de Saint-François. Clem.. I. V, lit. xi. c. 2 ; cf. Millier, p. 310-345. Ce document fait partie du dossier du procès des spirituels. Ces derniers n’avaient cessé de

revendiquer contre la communauté une interpréta lion stricte de la pratique de la pauvreté dans l’ordre de Saint François. Successivement Grégoire IX. Innocent IV. Nicolas III. (.élestin V et linnifacc VIII avaient eu à Intervenir dans le débat sur la pauvreté. u concile de Vienne se poursuivirent sur ce sujet de longues et épineuses délibérations dans lesquelles

se trouvaient engagées à la fois des questions de doctrine et des rivalités personnelles. La décrétale Exivi de paradiso régla les points en litige dans un sens plus sévère que celui qu’avait proposé la communauté. Les principales solutions portent sur deux points

1. Les frères mineurs ne sont pas tenus à la pratique de tous les conseils évangéliques contenus dans les Livres saints, mais seulement aux trois qui sont prescrits par la règle : pauvreté, chasteté, obéissance, non pas considérés en eux-mêmes et isolément, mais avec les observances de règle inspirées par le souci de ces trois voeux. — 2. Tous les points de la règle n’obligent pas de la même façon. Ceux qui obligent sub mortali peccato sont les points directement prescriptifs et ceux qui, ne l’étant pas, sont néanmoins exprimés en termes analogues. — Le décret précise comment il importe de concevoir et de réaliser la pauvreté dans l’ordre : ni un frère quelconque, ni l’ordre ne peuvent posséder ; ce qui est donné à l’ordre appartient à l’Église ; les frères en ont l’usage. La controverse sur la question de savoir si les mineurs sont autorisés seulement ad usum tenuem et pauperem ou ad usum moderalum des biens mis à leur usage est tranchée en faveur de l’usus pauper seu arclus. Le texte entre dans certains détails concernant la pratique de la pauvreté et divers points de l’observance et de l’organisation de l’ordre. La décrétale laissait indécis un point important dont les spirituels désiraient avant tout la solution : leur séparation définitive d’avec la communauté. Le problème n’allait pas cesser de poser celui de la pauvreté et de l’organisation de l’ordre longtemps après le concile de Vienne. Cf. P. Gratien, Histoire de la fondation et de l’évolution de l’ordre de saint François, Paris-Gembloux, 1928, en particulier p. 458-475, et Fr. de Sessevalle, Histoire générale de l’ordre de saint François, Paris, 1935, t. i, p. 127-132.

2° L’œuvre réformatrice du concile. — L’un des buts que Clément V avait assignés au concile dans son discours d’ouverture (16 octobre 1311) était la réforme des mœurs et celle de l’état ecclésiastique. L’effort du concile pour y parvenir tendit surtout à assurer la liberté de l’Église à l’égard de la mainmise des princes temporels sur les personnes et sur les biens de l’Église. Mùller, p. 422 sq. À la suite de divers projets de réforme qui lui furent présentés, en particulier par Guillaume Le Maire, évêque d’Angers, Raymond Lulle et Guillaume Durand, évêque de Mende, le concile porta trente décrets relatifs à la discipline canonique. Ils furent incorporés aux Constitutions Clémentines, promulguées par Jean XXII en 1317. Le décret qui institue la fête du Corpus Christi n’a pas été porté par le concile, contrairement au titre qui l’introduit dans les Clémentines, cf. Mùller, p. 642 sq.

Sources.

Fragments des actes du concile dans

Fr. Ehrle, Ein Bruchstùck der Acten des Concils von Vienne dans Archiv fur Literatur-und Kirchengeschichtc des Miltelallers, t. iv, 1888, p. 361-470 et Mùller, op. cit., p. 663-708. — Texte de plusieurs des décrets du concile dans Hefele-Leclercq, Histoire des conciles, t. vi b, 1915, p. 672-715 ; Mansi, Concil., t. xxv, col. 367 ; Regesta démentis V, 9 vol., Rome, 1885 sq.

Études.

Et. Baluze, Vitæ paparum Avenionensium,

éd. G. Mollat, 4 vol., Paris, 1914-1922 ; Fr. Ehrle, Zur Vorgeschichte des Concils von Vienne, dans Archiv…, t. ii, 1886, p. 353-416, 672 ; t. iii, 1887, p. 1-195 ; M. Heber, Gutæhten und Reformvorschlâge fur das Vienner Generalconcil, 1311-1312, Leipzig, 1896 ; H. Finke, Papsttum und Untergang des Templerordens, Munster, 1907, t. i, p. 345 sq., t. ii, p. 230-306 ; G. Lizerand, Clément V et Philippe le Bel, Paris, 1910, p. 250-340.

On se reportera aux art. Forme du corps humain, t. vi, col. 546-551, et la bibliographie, col. 586 ; Olieu, t. xi, col. 982 sq. ; Spirituels, t. xiv, col. 2522 sq., surtout col. 2533 sq. j. Leclercq.