Dictionnaire de théologie catholique/VIEUX-CATHOLIQUES I. Origines

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 725-727).

VIEUX-CATHOLIQUES. — Nom donné aux schismatiques séparés de l’Église catholique, parce qu’ils n’ont pas admis la définition de l’infaillibilité du pape, au concile du Vatican, le 18 juillet 1870.
I. Origines.
II. Doctrines (col. 2991).
III. Évolution (col. 2994).

I. Origines.

Le schisme des vieux-catholiques eut des origines lointaines et des causes prochaines.

Origines lointaines.

Historiquement ce schisme se rattache au mouvement conciliaire issu du Grand-Schisme du xive siècle finissant. Il se rattache aussi aux tendances hostiles à la papauté qui avaient suivi les conflits entre Philippe le Bel et Boniface VIII.

Dans ce mouvement et ces tendances, on distingue un parti radical et un parti modéré. Marsile de Padoue, Jean de Jandun, Guillaume d’Occam, dans la première moitié du xive siècle, Jean Wyclif et Jean Hus, dans la seconde moitié et au début du siècle suivant, sont les principaux représentants du radicalisme qui ne tend à rien de moins qu’à la suppression de la papauté. Mais, auprès de ces théoriciens outranciers, il y avait eu, à la suite du Grand-Schisme, de très nombreux théologiens, animés d’une grande foi et d’une piété sincère, qui n’avaient vu d’autre moyen de salut pour l’Église que le recours à la doctrine de la supériorité du concile sur le pape. Cette doctrine avait triomphé au Concile de Constance (1414-1418). Elle s’y était du reste hautement opposée au radicalisme indiqué plus haut et Jean Hus avait payé de sa vie son obstination à soutenir ses erreurs. Le concile de Bâle (1431-1449), en cherchant à appliquer et à développer la doctrine conciliaire de Constance, n’avait su que provoquer un nouveau schisme. La papauté était sortie plus forte et plus respectée de ces longues luttes. La théorie conciliaire se maintenait toutefois dans la doctrine dite du « gallicanisme théologique ». Du xve au xixe siècle, les théologiens gallicans n’avaient cessé de soutenir que les décrets du concile de Constance, en sa quatrième session, établissant la supériorité du concile sur le pape, étaient bien une véritable définition dogmatique, absolue et irréformable, et que les décisions du pape ne pouvaient revêtir un caractère infaillible qu’avec le consentement de l’Église. Le gallicanisme avait formulé ses principes dans la célèbre « Déclaration de 1682°. Les historiens sont assez d’accord pour voir dans la « Constitution civile du clergé » de 1791 et dans le schisme dont elle fut la cause les fruits amers du gallicanisme politique.

Après le Concordat de 1801, le schisme de la Petite-Église avait été lui aussi une application de la même doctrine. Dans les pays de langue allemande, le fébronianisme avait été une transposition des idées gallicanes. Trois traits principaux caractérisent la théologie gallicane et fébronienne : 1° Le pape possède bien la primauté dans l’Église, mais cette primauté n’est qu’une primauté d’honneur, non de juridiction ; — 2° Le concile général, fait de la réunion de tous les évêques, doit bien être convoqué et présidé par le pape, mais il est supérieur au pape, et nulle décision du pape n’est irréformable sans le consentement explicite de l’Église ; — 3° Le pouvoir civil relève directement de Dieu seul et le pape ne peut exercer à son égard aucune autorité ni directe ni indirecte. Il appartient au contraire à ce pouvoir de régler les rapports entre son clergé et le pape.

Causes prochaines du schisme vieux-catholique.

— Les courants d’idées qui viennent d’être résumés très brièvement faisaient encore sentir leur influence sur de très nombreux catholiques, évêques, prêtres ou fidèles instruits, au milieu du xixe siècle, lorsque commença à se poser la question de l’infaillibilité

papale. En Allemagne surtout, les professeurs catholiques d’université avaient une tendance marquée à considérer cette question comme extrêmement périlleuse. « Tous les ecclésiastiques jouissant de quelque réputation de savoir et de doctrine, écrivait le nonce de Munich, Meglia, se font gloire de former ce qu’ils appellent le grand parti des savants d’Allemagne. Leurs aspirations consistent en général à encourager et à suivre, jusque dans ses dernières

évolutions, le progrès scientifique, maintenant

sans doute le dogme intact, mais sacrifiant certaines doctrines qui s’y rattachent et qui ne sont pas définies par l’Église ; à laisser de côté les antiques méthodes de la scolastique, ces vieilleries du Moyen Age, disent-ils, incompatibles avec le progrès moderne ; à rendre la méthode scientifique catholique le plus semblable possible à la méthode scientifique protestante ; à donner enfin aux études bibliques, philologiques, historiques, une large place pour n’en laisser qu’une fort petite à la théologie véritable. » Cité par Goyau, L’Allemagne religieuse, t. iv, p. 299.

A la tête de ce puissant parti des professeurs, se trouvait le doyen de la Faculté de théologie de Munich, Ignace Dôllinger (1799-1890). Ce personnage avait joué un rôle de premier plan dans la restauration catholique d’Allemagne et s’était acquis la vénération et la reconnaissance des catholiques du monde entier par ses nombreux travaux d’histoire ecclésiastique et ses remarquables écrits apologétiques. Mais, depuis 1860, environ, une lente évolution l’avait détaché des doctrines romaines dont il s’était fait jusque-là le champion. Il s’en rendait lui-même si bien compte que, durant la période qui précéda immédiatement le concile du Vatican, il n’osa jamais signer ses articles anti-infaillibilistes et continua au contraire à publier sous sa signature des ouvrages pleinement orthodoxes, si bien qu’un soupçon fondé a pu peser sur sa loyauté, en cette circonstance. Du 10 au 15 mars 1869, parurent dans YAllgemeinc Zeitung d’Augsbourg, sous le pseudonyme de .lanus, une série d’études contre l’omnipotence papale. Ces articles furent ensuite réunis en brochure, sous le titre Der Papst und das Ko mil, Leipzig, 1869. Ils eurent un retentissement énorme. Dans le même temps, Dôllinger faisait pour le président du Conseil bavarois, Clovis de Hohenlohe, un brouillon d’où sortit, le 9 avril 1869, une dépêche diplomatique adressée à tous les cabinets d’Europe pour les inviter à une action commune pour la défense des droits de l’Etat contre le péril d’une définition de l’infaillibilité papale.

Dos autres universités allemandes arrivaient à Dôllinger des approbations. De nombreux évoques, surtout en Allemagne et en France, prenaient occasion de ces manifestations de pensée pour déclarer inopportune la définition projetée. Mais entre les anti-infaillibilistes et les inopportunistes, il se faisait de dis échanges d’arguments et d’objections qu’ils apparaissaient comme les membres d’un seul et même parti résolument opposé au dogme de l’infaillibilité. Le membre le plus éminent du parti inopportuniste, en France, Mgr Dupanloup, croyait pouvoir écrire, le 1 er mars 1870, au futur cardinal Dechamps, archevêque de Malines : Au ixe siècle, nous avons eu la douleur de perdre à peu près la moitié de l’Eglise ; au xvie siècle, le tiers au moins de l’autre moitié. En ce moment, ta moitié un moins de

rr i/iii nous reste est plus ou moins entamée, ("est les en fixés … sur cette triste statistique religieuse du

monde, … que. … j’ai pesé les conséquences certaines « le la définition que vous poursuivez et Je ne la poursuis pas. » Cité par Emile Ollivier, L’ÉgliSt et I’{.lut ou, , , nrilr du Vatican, Paris, 1879, t. ii, p. 160.

Tout annonçait donc un schisme, au cas où la définition de l’infaillibilité serait prononcée, et quelques-uns redoutaient même un schisme très étendu. Cependant, ces pronostics menaçants ne se réalisèrent pas. La définition fut promulguée, le 18 juillet 1870, en dépit des objections multipliées, sous le couvert de l’anonymat, une fois encore, par Dôllinger, dans les Lettres romaines de Quirinus, que publia de nouveau V Allgemeine Zeitung, et, avec plus de courage et de franchise par le P. Gratry, en des brochures immédiatement réfutées par dom Guéranger. La totalité des évêques de la minorité s’inclina plus ou moins promptement. Même ceux qui s’étaient le plus engagés dans la lutte contre le dogme de l’infaillibilité, tels que Mgr Hefele, évêque de Rottenburg, et Mgr Strossmayer, évêque de Diakovo, finirent par triompher de leurs premières hésitations. Il ne resta plus, pour s’élever contre la décision conciliaire, qu’un petit groupe de professeurs. Quand l’archevêque de Munich, Mgr Scherr, de retour du concile, invita les professeurs de la faculté de théologie de sa ville épiscopale à exprimer leur soumission, il se tourna vers leur chef, Dôllinger, et lui dit : « Nous allons donc de nouveau travailler pour la sainte Église I » — « Oui, répliqua l’interpellé, pour l’ancienne Église ! » — « Il n’y a qu’une Église, reprit vivement l’archevêque, il n’y a pas de nouvelle, il n’y a pas de vieille Église ! »

— « On en a fait une nouvelle ! » prononça Dôllinger. C’était le commencement du schisme. Dès la fin de juillet 1870, Dôllinger inspirait la publication d’une Protestation de professeurs laïques catholiques portant 44 signatures, dont plusieurs du reste étaient d’apostats notoires. Le 25 août, Dôllinger invitait à Kurenberg les professeurs ecclésiastiques partageant son sentiment contre le concile. Il s’en trouva 12, dont 3 de Munich ; 3 de Bonn ; 2 de Brestau ; 2 de Braunsberg ; 2 de Prague, auxquels s’était joint un laïque, le fougueux chevalier von Schulte. Dès le 26, eux qui s’étaient tant plaints de la précipitation du concile du Vatican, qui avait duré sept mois, ils adoptaient une Déclaration rejetant les décrets relatifs à l’infaillibilité pontificale. D’autres adhésions élevèrent le total des signatures à 32. Cependant la rupture avec l’Église n’était pas encore prononcée. Elle fut précipitée par les sommations des évêques aux protestataires. Dôllinger, après des délais peu motivés, durant lesquels il avait déjà brisé, dans son cœur, avec tout son passé de fidèle serviteur de l’Église, refusa toute soumission, le 28 mars 1871. En conséquence, il fut excommunié, ainsi que son disciple et futur biographe, Friedrich. Disons tout de suite que Dôllinger repoussa dès lors toute tentative de rapprochement, qu’il dédaigna toutefois de faire partie de la secte des vieux-catholiques, bien qu’il en fut le père authentique, qu’il ne produisit plus rien de fécond et mourut, très âgé, en 1890, sans s’être réconcilié à l’Église.

Le groupe des vieux-catholiques, que l’historien Hergenrôther a dénommé beaucoup plus justement les néo-protestants, tint un congrès d’organisation i Munich du 22 au 24 septembre 1871. Il v vint, outre

les Allemands, dos Anglais. Français, Hollandais e1 Russes, voire des Américains. Schulte, professeur à

l’université de Prague, présidait. Dôllinger. qui y

prit part, essaya on vain de détourner l’assemblée

de dresser autel contre aulel. oo qui n’aboutirait, avoua-t-il, qu’à la formation d’une socle. La majorité se prononça contre lui. Mais la diversité des opinions

fut telle qu’aucune conclusion pratique no put être

atteinte. I.e gouvernement bavarois, celui de Bade, la

Prusse se montrèrent très favorables au mouvement vieux-catholique et prirent sous leur protection, 984

contre leurs évêques, les dissidents frappés de l’excommunication. Le deuxième congrès, — car ces vieux-catholiques n’osaient employer le terme cependant si vieux au sein du catholicisme de concile, — eut lieu en septembre 1872, à Cologne. Cette fois, on y vit des anglicans, des schismatiques russes, des protestants. L’unité n’en fut pas accrue, bien au contraire. II y fut nommé une commission d’organisation du culte. Le 4 juin 1873, le professeur de théologie Joseph-Hubert Reinkens de l’université de Brestau, fut élu évêque et sacré, le Il août, à Rotterdam, par l’évêque Heykamp de l’Église janséniste d’Utrecht. Il fut reconnu en septembre par la Prusse, en novembre, par Bade, en décembre par la Hesse-Darmstadt et prit son siège à Bonn, avec un traitement confortable de 16.000 thalers (62.000 francs-or). Dans l’intervalle, le nouvel évêque avait présidé le troisième congrès de la secte, à Constance, du 12 au 14 septembre. Quelles doctrines s’étalaient dans ces diverses assemblées et dans les écrits de leurs adhérents ?