Dictionnaire de théologie catholique/VERBE II. Origine du Logos johannique

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 558-562).

II. Origines du logos johannique. —

L’Ancien Testament : la Parole. —

La « Parole de Dieu » est une métaphore fréquemment employée pour exprimer l’efficacité immédiate de la volonté divine. Gen., i, 3 : « Dieu dit : que la lumière soit et la lumière fut ». Ps., xxxiii (xxxn), 6, 9 : « Par la parole de Jahvé (LXX : τῷ λόγῳ τοῦ κυρίου) les cieux ont été faits… Il dit, et tout a été fait ». Cf. Ps., cxLvIn, 5 ; Eccli., xcii, 15 ; xt, 26 (ἐν λόγῳ αὐτοῦ σύγκειται πάντα) ; Sap., ΙΧ, 1 (ὁ ποιήσας τὰ πάντα ἐν λόγῳ σου). Sur l’efficacité de cette parole, voir aussi Osée, vi, 5 ; Ez., xxxvii, 5 ; Eccli., xlviii, 3. D’autres textes, plus expressifs, semblent personnifier la parole et en faire la messagère de Dieu. Cf. Is., lv, 10-11 ; ix, 7 ; Ps., cvii (cvi), 20 ; cxlvii, 4, 7. Dans un sens analogue, le prophète Zacharie va jusqu’à personnifier la

« parole de malédiction », rouleau long de vingt

coudées et large de six, qui se déploie sur toute la face du pays et balaie tout devant lui. Zach., v, 1-4. Ce ne sont là que de hardies figures de langage ; en aucun texte, la « parole i n’est conçue comme une hypostase distincte de Dieu.

En rapprochant la « Parole » et la « Sagesse », les livres sapientiaux fournissent une personnification un peu plus accentuée de la Parole. Comme la Parole, la Sagesse est sortie de la bourbe du lu Haut. Voir Fils de Dieu, t. v, col. 2307-2371 ; Trinité, t. xv, col. 1555. Dans sa prière, pour demander la sagesse, Salomon attribue à la Parole un rôle parallèle, sinon identique à celui de la Sagesse et il fait asseoir la Sagesse près du trône de Dieu. Sap., ix, 1-2, 4. Plus loin, il représente la parole divine « s’élançant du haut du ciel, de son trône royal ». xviii, 14. Sans doute, la parole n’est pas hypostasiée en ces textes ; néanmoins, ces métaphores permettent des développements ultérieurs, y compris, sous l’influence de l’inspiration divine, la conception d’une

« Parole », d’un Logos personnifié.

La théologie juive palestinienne.

Un de ces développements est celui des targoums avec la Memra. Voir les textes à Fils de Dieu, t. v, col. 2374 « Sans cesse, dit J. Lebreton, dans les targoums on rencontre la Memra de Jahvé ; elle vit, elle parle, elle agit ; mais si l’on veut préciser la portée de cette expression, on ne trouve le plus souvent qu’une périphrase substituée par le targoumiste au nom de Jahvé. Ainsi que l’a justement remarqué M. Dalmann, Die Worte Jesu, Leipzig, 1898, t. i, p. 188, « on est très éloigné d’en faire une hypostase divine ; on prononce « la parole » mais on pense « Dieu ». J. Lebreton, 'op. cit., p. 162. Les rabbins n’osent nommer Dieu aussi souvent qu’il est nommé dans la Bible ; en voilant la majesté divine derrière la périphrase de la Parole ou de la Demeure, ou de la Gloire souvent jointe à la Demeure, leurs scrupules sont calmés. Cf. Fr. Zorell, De reverentia erga nomen divinum in S. Scriptura quibusdam caulelis significata, Rome, 1925.

Les rabbins ont si peu voulu personnifier ces expressions que, familière aux targoums, la « Parole » devient d’un emploi très rare dans le Talmud et dans la Midrach, peut-être par défiance du dogme chrétien. Il ne faut donc pas faire de rapprochement réel entre la Memra des targoumistes et le Logos de saint Jean ; une simple analogie verbale suffit. Ce qui n’empêche pas que la terminologie rabbinique ait pu être présente à l’esprit de l’évangéliste quand il écrivait son prologue et qu’on puisse, avec quelque vraisemblance, en trouver une trace non seulement dans le Logos, mais encore dans la gloire du Verbe et sa demeure en nous.

Théologie néoplatonicienne de Philon.

La théorie philonienne des puissances intermédiaires entre Dieu et le monde sensible et la doctrine du Logos, le premier et le plus important de ces intermédiaires, a été suffisamment exposée à Fils de Dieu, col. 2381-2385 et à Trinité, col. 1567-1571. Il suffit ici d’établir, dans la mesure où ils existent, les points de contact entre la conception philonienne et la doctrine johannique du Verbe.

1. Comparaison générale. —

Le point de départ des deux doctrines est le même : il s’agit de trouver l’intermédiaire qui rapproche un Dieu infiniment parfait de ses créatures infiniment distantes de lui. Mais, dans leurs lignes générales, les solutions apparaissent bien différentes.

a) Le Logos philonien.

Le Logos est le premier et le plus important des intermédiaires entre Dieu et le monde sensible. Mais Philon lui prête une multitude de rôles qui manifestent les divers aspects de sa qualité d’intermédiaire : le Logos est sagesse et raison divines ; fils, ange et grand prètre de Dieu ; il est l’image de Dieu, le modèle et l’idée du monde sensible, sa loi vivante, sa force vitale, le lien entre ses éléments ; il est l’instrument de la création. Il est celui par qui nous connaissons Dieu et qui intercède pour nous, par lequel nous nous élevons progressivement à la contemplation divine. Comme dit Philon,

« il a le privilège d’être mitoyen entre la créature et le créateur et de séparer l’un de l’autre… ; il est,

près des sujets, l’ambassadeur du Roi ». Qui* rerum divin, heres, 205 (édlt, Mangev. t. i. 501). Le Logos se présente donc comme n’étant ni sans principe (ἀγένητος) comme Dieu, ni produit (γενητός) comme les créatures, « mais, dit-il lui-même, intermédiaire entre ces deux extrêmes, je suis pour tous deux comme un otage ». Ibid., 206, p. 502 Cf. Lebreton, ἈΓΕΝΝΗΤΟΣ, dans Histoire du dogme de la Trinité, T. II, Paris, 1928, note C, p. 610-642.

Il est donc impossible d’identifier le Logos philonien et Dieu, si du moins on entend Dieu au sens strict du mot, comme Philon l’entendait certainement. Voir De somniis, i, 228-230 (p. 655) et la note que lui consacre Lagrange, op. cit., p. 3. Toutefois, trois ou quatre passages de Philon semblent attribuer au Logos une sorte de divinité dérivée, improprement dite. Voir Fils de Dieu, t. v, col. 2385-2386 ; J. Lebreton, Hist. du dogme de la Trinité, t. i, p. 237-242.

Quelle réalité accorder à cet intermédiaire ? Personne ou force abstraite ? La pensée de Philon est difficile à saisir et ses interprètes sont en désaccord. Tantôt le Logos est représenté avec un caractère personnel : grand-prêtre, intercesseur, ange, otage ; tantôt des textes plus nombreux et plus caractéristiques semblent en faire une force impersonnelle. Faut-il admettre que Philon a professé inconsciemment deux opinions inconciliables, affirmant à côté du Logos impersonnel des stoïciens un Logos personnel d’origine juive ou alexandrine ? Une telle contradiction n’aurait rien d’étonnant chez un philosophe de cette époque.

Beaucoup d’auteurs acceptent ce dualisme chez Philon : Zeller, Die Philosophie der Griechen, Leipzig, 1923, t. v, p. 379 ; Heinze, Die Lehre vom Logos in der griechischen Philosophie, Oldenbourg, 1872, p. 294 ; A. Aall, Geschichte der Logosidee in der griechischen Philosophie, Leipzig, 1896, p. 213 ; J. Réville, Le Logos d’après Philon d’Alexandrie, Genève, 1877, p. 61 ; H. Soulier, La doctrine du Logos chez Philon d’Alexandrie, Turin, 1876, p. 158.

D’autres pensent qu’il est possible de ramener la doctrine de Philon à l’unité ; cf. Fils de Dieu, col. 2386. — É. Bréhier ne voit dans le Logos qu’une conception mythologique, sans personnalité réelle : Les idées philosophiques et religieuses de Philon d’Alexandrie, Paris, 1908, p. 111. D’autres n’ont trouvé dans la personnification du Logos qu’une simple figure de langage, une accommodation exégétique : Dorner, Entwicklungsgeschichte der Lehre von der Person Christi, t. i, Berlin, 1846, p. 33 ; J. Drummond, Philo Judæus or the Jewinsh-Alexandrian philosophy in its developpment and completion, Londres, 1888, t. II, p. 225, dont les arguments ont été résumés et les conclusions reproduites par Grill, Untersuchungen tiber die Entstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1902, p. 140 sq. — Le P. Lagrange, par contre, croit reconnaître chez Philon un Logos personnellement distinct du Dieu supérieur. Le Logos de Philon, dans Revue Biblique, 1923, p. 321-371. Voir la discussion de cette interprétation dans le Bulletin d’histoire des origines chrétiennes des Recherches de science religieuse 1926, p. 324-328. — Tout en déniant au Logos philonien une personnalité distincte, le P. Lebreton se refuse à ne voir dans les personnifications philoniennes du Logos que de simples figures de langage ; et il les justifie par des influences philosophiques et mythologiques. Op. cit., p. 247-248. Voir aussi Fils de Dieu, col. 2386.

b) Le Verbe de saint Jean.

Sur les deux points essentiels de la doctrine philonienne : caractère d’intermédiaire, ni Dieu ni créature, prêté au Logos et absence de personnalité vivante et consistante, la pensée de saint Jean apparaît en contradiction absolue avec l’enseignement de Philon. Sans doute, saint Jean conçoit le Verbe comme un intermédiaire entre Dieu et l’homme, mais un intermédiaire qui, d’une part, est égal et consubstantiel à Dieu et, d’autre part, est homme parfait. Affirmation impossible à concilier avec la notion philonienne d’intermédiaire et qui ne trouve sa réalisation que dans le dogme chrétien de l’incarnation, le Verbe étant et demeurant Dieu, mais se faisant chair, c’est-à-dire s’unissant la nature humaine.

Le Logos philonien a été conçu pour jouer un rôle de médiateur ou plutôt d’intermédiaire entre Dieu et l’homme ; pour cela, on l’imagine si grand qu’il puisse remplir la distance infinie qui sépare ces deux termes et les toucher l’un et l’autre comme dit Philon, « par leurs extrémités » . Mais ce n’est là qu’une imagination et qui voile mal la contradiction inhérente au système : si cette distance est infinie, quel intermédiaire pourra la combler ? S’il est Dieu, il nous est, lui aussi, inaccessible ; s’il n’est qu’une créature, Dieu reste en dehors de ses atteintes… En face de lui, le Christ Jésus apparaît dans la pleine lumière de sa personnalité vivante, unissant dans l’unité de sa personne ces deux termes si distants et si séparés : il est cet homme, le Christ Jésus, et il est le Dieu béni dans tous les siècles.

Le Logos philonien ne se définit que par des négations qui effacent en lui tous les traits de ces êtres qu’il doit unir ; la foi chrétienne les confesse en lui les unes et les autres ; il est « incréé » et « créé » . J. Lebreton, op. cit., p. 249-250.

2. Comparaisons particulières.

Les traits de ressemblances, plus verbales que réelles, qu’on peut trouver entre le philonisme et la doctrine néotestamentaire ont été minutieusement établis et discutés dans deux notes substantielles du P. Lebreton, op. cit., t. i, notes G et J : La doctrine du logos chez Philon et la doctrine du Fils dans l’épître aux Hébreux, p. 616-627 ; La doctrine du logos chez Philon et chez saint Jean, p. 636-644. On voudra bien s’y reporter.

Le caractère plus spécial de cet article nous oblige à condenser nos remarques autour de trois points où la doctrine chrétienne est plus directement en cause : le terme même de Logos (Joa., i, 1) ; le « monogène » (Joa., i, 14, 18) ; le rôle du Verbe dans la création (Joa., i, 4-5, 10).

a) Le terme Logos.

Le terme Logos, commun aux deux doctrines ne peut s’expliquer, chez saint Jean, uniquement par des influences juives palestiniennes. Le souvenir de la « Parole » , même personnifiée par les prophètes et les psalmistes, ne pouvait suggérer à Jean l’emploi du nom personnel de Verbe. La Memra, nous l’avons vu, n’a pu avoir qu’une influence moindre encore. La doctrine du Verbe a un tout autre caractère : elle exprime la foi de la première génération chrétienne en la personne du Christ en deux natures, divine et humaine. Or, saint Jean n’a pas inventé cette foi ; il lui a donné seulement une forme nouvelle, en appelant le Fils de Dieu fait homme, le Verbe fait chair.

Cette forme nouvelle semble avoir été préparée par d’autres écrits apostoliques, ceux notamment de saint Paul, qui donne déjà au Fils des qualifications où se reflète une influence alexandrine. Le Christ est « puissance et sagesse de Dieu » , I Cor., i, 24 ; « image de Dieu » . II Cor., iv, 4. L’épître aux Colossiens, i, 15-17, reprend la même figure en l’amplifiant et en la complétant : « Il est l’image du Dieu invisible, né avant toute créature, car c’est en lui que toutes choses ont été créées… ; tout a été créé par lui et pour lui. Il est, lui, avant toutes choses et toutes choses subsistent en lui. » Cf. I Cor., viii, 6. Mais c’est surtout dans l’épître aux Hébreux que ces formules sont le plus nettement accusées : « Dieu nous a parlé par le Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par lequel il a aussi créé le monde, ce (Fils) qui est le rayonnement de sa gloire et l’empreinte de sa substance et qui soutient toutes choses par sa puissante parole. » i, 2-3. Ces métaphores et ces conceptions ont été introduites par saint Paul dans le Nouveau Testament probablement sous une influence alexandrine. Est-ce l’influence d’Apollo, cf. Act., xviii, 24, ou faut-il admettre une influence 2 04 9

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plus générale de la théologie alexandrine sur la doctrine chrétienne ? Quoi qu’il en soit, l’hypothèse d’une influence alexandrine est d’autant plus vraisemblable que ces passages de saint Paul présentent déjà d’évidentes réminiscences de style et de pensée avec les livres sapientiaux. Cf. Prov., viii, 22-23 ; Sap., vii, 21-26 ; viii, 1-6 ; ix, 9-11 ; x, 1-19 ; Eccli., i, 1 sq. ; xxiv, 3-10. On relèvera particulièrement le parallélisme de Sap., vii, 25-26 et de Heb., i, 3. Cf. Franzelin, De Deo Irino, th. vu.

Tout en admettant une certaine influence de la pensée alexandrine sur la terminologie de saint Jean et sur l’emploi qu’il fait du mot Logos, on n’affirme pas pour autant que ce terme ait chez saint Jean la même acception que chez Philon. Harnack exagérait jadis en affirmant que « le Logos du prologue est le logos du judaïsme alexandrin, le logos de Philon ». Ueber das Verhâltniss des Prologs des vierten Evangeliums zum ganzen Werk, dans Zeitschr. fur Theol. und Kirche, t. ii, 1892, p. 213. L’opposition foncière qu’on a relevée plus haut subsiste entière.

b) Le « Monogène ». — Philon appelle le Verbe, le fils de Dieu. Pour saint Jean, le Verbe est également Fils de Dieu. Similitude d’expression, qui n’entraîne aucune similitude de conception.

Chez Philon, le Logos est représenté comme le « fils premier-né » de Dieu. De agricu.ltu.ra, 51 (édit. Mangey, t. i, p. 308) ; De conjusione linguarum, 63, 146 (ibid., p. 414, 427) ; De somniis, i, 315 (ibid., p. 653) ; — comme ayant Dieu pour père et la Sagesse pour mère, De fuga, 109 (ibid., p. 562). Le mot grec exprimant l’idée de premier-né est ici 71pcoT6yovoç, ce qui montre, dans la pensée de Philon, le sens exclusivement cosmologique donné à la filiation du Logos. Le Logos est le premier-né et le monde visible, dont le Logos est le modèle et le soutien, est le fds puiné. De juga, 109 (p. 562) ; De ebrietate, 30 (p. 361362) ; Quod Deus sil immulabilîs, 31 (p. 277) ; De specialibus legibus, i, 41, 96 (t. ii, p. 218, 227). Cf. Drummond, op. cit., t. ii, p. 185.

Dans l’évangile de saint Jean, l’épithète « premierné » ne se rencontre pas ; mais saint Paul parle du « premier-né » en un autre sens et avec une autre expression grecque que Philon, TTpcoTÔToxoç ; cf. Heb., i, 6 ; Col., i, 15. Le Christ est le « premier-né de la création », non pas le premier terme dans la série des créatures (au sens où il est dit plus loin « le premier-né d’entre les morts », cf. Apoc, i, 5 et, dans Rom., vm, 29, le « premier-né parmi beaucoup de frères » ) ; mais premier-né de la création précisément parce qu’il n’est pas une créature, parce qu’en lui toutes choses ont été crées ».

Le titre de i premier-né > est d’ailleurs un titre messianique, appliqué tout d’abord au peuple de Dieu et au roi qui le représentait : cf. Ex., iv, 22 ; Jer., xxxi, 9 ; l’s., lxxxix (lxxxviii), 28. Le « fils premier-né n est aussi le » (ils. bien aimé. ou encore le fils unique ». Voir les Psaumes de Salomon, xviii, 1 : IV Esdr., VI, 58. Aussi, dans l’épître aux Colossiens, saint Paul avait appelé le Fils lils de l’amour de Dieu. Col., i. 13 ; cf. Eph., i, 6° Fils de l’amour » (<Â’jç ~7 t c àyàïnjç) est l’équivalent de lils bien-aimé. iycmrfvàç, rya.vn)ibioe t cf. Matin., iii, 17 : xvii. 5 ; Marc. i. 1 1 ; ix. (i ; Luc. iv. 22 ; ix, 35 ; Il Pet., i. 17. Et, 1 ils bien aimé i étant l’équi valent

de « Fila unique, saint Paul, Rom., viii, 31, cltanl Gen., xxii. l6, substitue roû ISlou uloû au texte des LXX, -’, > iyaTnjTOÛ uloû.

I.’i-, ’7.-Y-o ; des synoptiques est l’équivalent « lu

(iovoyeWjç de suint Jean. Chez ce dernier. uovo^ est exclusivement employé pour désigner le I-’ils (unique) de Dieu. I, 14, 18 ; iii, 16, 18 ; I Joa.. IV, 9. Le sens de - fils unique > en général se trouve dans les

autres passages du Nouveau Testament, Luc, vii, 12 ; viii, 42 ; ix, 38 ; Heb., xi, 17, et en plusieurs textes de l’Ancien Testament, Jud., xi, 34 ; Tob., iii, 10, 15 ; viii, 17, quoiqu’ailleurs, dans les psaumes spécialement, il ait aussi le sens d’unique, seul de son espèce. Voir Lebreton, op. cit., t. i, p. 398-400, 508-510 et p. 324 note 2. Sur le Christ « premierné », voir A. Durand, Recherches de science religieuse, t. i (191°). P- 56-66 ; F. Prat, Théologie de saint Paul, t. ii, p. 196-197.

Ces rapprochements montrent que, dans la pensée de saint Jean comme en celle de saint Paul, le « Fils unique » n’est pas Fils de Dieu ou premier-né de la création au sens où l’entend Philon. La paternité divine est, chez nos auteurs inspirés, non d’ordre cosmologique, mais d’ordre naturel et le Fils de Dieu est Dieu au-dessus de toute créature, précisément parce qu’il participe à la nature divine elle-même : il est « le Monogène dans le sein du Père ». Joa., i, 18.

c) Le Verbe et la création. — Le rôle attribué au Verbe dans la création est un troisième point où les terminologies philonienne et johannique se rencontrent, nonobstant la divergence des idées.

a) Le Logos instrument. — Le Logos de Philon est l’instrument de Dieu dans la création du monde : « De la grande maison, de la grande cité qu’est le monde, la cause est Dieu qui l’a fait ; la matière, ce sont les quatre éléments dont il a été composé ; l’instrument est le Logos divin, par qui il a été construit ; le but de la construction est la bonté du démiurge. » De cherubim, 125-127 (Mangey, t. i, p. 162) ; Legum allegoriarum, iii, 96 (ibid., p. 106) ; Quod Deus sit immutabilis, 57 (p. 281) ; De sacri/iciis Abelis et Caini, 8 (p. 165), etc.

Mais, après saint Paul, Col., i, 16 ; I Cor., viii, 6 ; Heb., i, 2, saint Jean ne reprend-il pas la même pensée et la même expression : « Par lui tout a été fait et sans lui rien n’a été fait de ce qui existe » Joa., i, 3 ? Cf. i, 10.

La différence est cependant considérable. Chez Philon, le rôle instrumental du Logos est fortement accusé. Souvent même, la construction grammaticale de la phrase l’indique expressément, en abandonnant la préposition Sià avec le génitif, pour prendre le datif instrumental. Legum alleg., iii, 86, 21 (Mangey, t. i, p. 106, 17) ; Quod Deus sit immutabilis, 57 (p. 281) ; Dr sacrif. Abelis…, 8 (]). 165) ; De somniis. i, 241 ; ii, 45 (p. 656, 665). D’autres fois, Philon emploie un mot choisi tout exprès pour marquer l’action instrumentale, Bpyavov, épyxXsîov. Voir textes dans Lebreton, t. i, p. 621, 639.

Dans le Nouveau Testament, rien de semblable. Le rôle attribué au lils ou au Verbe dans la création n’implique aucune subordination, aucune infériorité par rapport au l’ère. Saint Paul emploie parfois la même construction pour exprimer l’action du Père et celle du Fils : ’F ; kÙtoG xal Sl’aùxoû xal eîc aù-ôv Ta rrâvT’y. Rom., xi, 36. "E-pî~ïv yàp aÙTco St’ôv Ta Tcàvxa xal Si’oB Ta -àvTa. Heb., n. 10. Comparer, pour l’action du Fils, I Cor., viii, 6 ; Heb., i, 2. ("est ipie l’action du Père n’est pas exclusive de celle du Fils : elles ne sont (prune même action. Saint Jean accentue encore cette identité d’action, Joa., v, 17. En affirmant dans le prologue l’action Créatrice « lu Verbe, il ne dit jamais que le Verbe a été l’instrument du l’ère ; il évite même les expressions qui. dans d’antres livres du Nouveau Testament, semblent marquer plus expressément la dépendance d’origine des personnes : cl. Art., n. 22 ; x. 36 ;

Rom., n. 16 ; l Cor., viii, *i ; xv. 57 ; Heb., i, 2. Pour saint Jean, toul ce qu’a le Père, le lils le possède, xvi, 15 ; xvii, 10, Le I hrist fait les œuvres du Père 2 G 51

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et le Père est en lui. x, 37, 38. Ainsi, tout en affirmant la même vérité que les autres, saint Jean, dans un langage plus précis, met en relief l’unité du Père et du Fils dans l’action comme dans l’être : « Mon Père et moi, nous sommes un ». x, 30.

p) Le Logos, cause exemplaire. — L’exemplarisme est une doctrine bien philonienne. Pour Philon, les puissances sont des idées conçues par Dieu avant la formation du monde. Le Logos est l’ensemble de ces idées ; il en est le lieu, De somniis, i, 42 (Mangey, t. i, p. 630) ; il est le « monde intelligible ». De opiflcio mundi, 24, 25 (ibid., p. 6). Il est comme le livre « où Dieu a écrit et gravé la constitution de tous les autres êtres ». Leg. alleg., i, 19 (p. 47). De là à concevoir le Logos comme l’image à la fois de Dieu et du monde, il n’y a qu’un pas. Par rapport à Dieu, le Logos est « l’empreinte de son cachet ». De plantatione, 18 (p. 332) ; cf. De somniis, ii, 45 (p. 655) ; il est l’image ou l’ombre de Dieu, De fuga, 101 (p. 561) ; De confusione linguarum, 147 (p. 427). Par rapport au monde créé, le Logos marque de son empreinte (xapax-oip) l’âme humaine qui en est ainsi l’image, le reflet, De opif. mundi, 146 (p. 35) ; cf. De spec. legibus, iv, 123 (t. ii, p. 356) ; Quod deterius potiori insidiari solet, 83 (t. i, p. 207). Le monde lui-même a été marqué de cette empreinte, De somniis, ii, 45 (p. 665) et lui aussi est l’ombre de Dieu, Leg. alleg., iii, 102 (p. 107). Les sept jours de la création reçoivent ainsi une interprétation exemplariste relativement au Logos, De Decalogo, 101 (t. ii, p. 197). Le nombre sept lui-même manifeste le démiurge et le père de l’univers ; en lui, comme en un miroir, l’âme aperçoit Dieu agissant, créant, gouvernant le monde. Ibid., 105 (p. 198). Sur le nombre sept dans Philon, voir B. Allô, L’Apocalypse (3e édit.), Paris, 1933, p. xlii.

Quand l’épître aux Hébreux, s’inspirant de Sap., vu, 26, énonce que le Fils est « le rayonnement de la gloire du Père et l’empreinte de sa substance », Heb., i, 3 ; cf. Col., i, 15, elle présente bien, par rapport à Philon, une coïncidence partielle de terminologie. Deux différences séparent néanmoins les doctrines. Tout d’abord, l’exemplarisme de Philon n’existe que dans un monde d’abstractions et va jusqu’à s’appliquer au nombre sept ; dans l’épître aux Hébreux, le rayonnement et l’empreinte sont une réalité concrète et vivante, Jésus-Christ, qu’il est impossible d’identifier à un être purement idéal. Ensuite, le Logos, image et modèle des autres êtres, n’est, par rapport à Dieu, qu’une représentation imparfaite ; dans l’épître aux Hébreux, le Fils n’est pas une image imparfaite de Dieu ni un sujet secondaire de contemplation religieuse.

Quant au Verbe, saint Jean ne s’arrête pas aux formules de saint Paul. Entre le Verbe et le Père, il y a une ressemblance parfaite qui s’affirme dans l’identité de nature : « Qui me voit, voit mon Père ». Joa., xiv, 19 ; cf. xvii, 2. Mais en même temps, l’évangéliste affirme la dépendance du Fils par rapport au Père ; voir Fils de Dieu, col. 2396-2397, ainsi que la personnalité préexistante du Verbe en Dieu avant l’incarnation. Tout le début du prologue témoigne de cette doctrine.

La conception d’un Verbe, cause exemplaire du monde, n’apparaît guère dans le IVe évangile. C’est en ponctuant le t. 4 comme l’a fait toute l’antiquité, que les théologiens ont pu appuyer sur le texte johannique la doctrine du Verbe exemplaire des créatures. Voir col. 2641. Mais il sont soin de préciser que cet exemplarisme convient en toute vérité à l’essence divine et qu’on le rapporte au Verbe par appropriation pure. Cf. S. Thomas, Cont. Genl., t. IV, c. xiii. Quoi qu’il en soit, même avec cette

interprétation exemplariste, la même opposition demeure entre la doctrine johannique et la conception philonienne. Le Verbe est Dieu ; il est l’image de Dieu par identité de nature en vertu de sa procession selon l’intelligence et, s’il est dit cause exemplaire des créatures, c’est uniquement « en tant que les choses faites par Dieu préexistent de toute éternité dans le Verbe, immatériellement et sans aucune composition ; elles ne sont dans le Verbe que le Verbe lui-même, qui est Vie ». Id., loc. cit.

Conclusion. — Loin de pouvoir se réduire au Logos impersonnel de Philon, le Verbe de saint Jean et de la foi catholique apparaît comme une personne réelle, vivante, concrète, en Jésus-Christ, lequel, au cours de tout l’évangile, se fait le révélateur des mystères de la vie divine. Cf. Joa., i, 10. Combien différente est la connaissance que le Logos de Philon peut apporter d’un Dieu, dont il n’est qu’une ombre, qu’une image, une empreinte I

Les rapprochements possibles entre la doctrine révélée et la conception philonienne aboutissent à la constatation de coïncidences plus verbales que réelles. Certaines idées — tel l’exemplarisme ou l’allégorisme — étaient diffuses dans le judaïsme hellénistique. Elles ont agi sur la théologie de saint Paul, mais leur action a été moindre sur celle de saint Jean, chez qui la doctrine du Verbe, renouvelée par la connaissance expérimentale qu’il en avait eue (cf. I Joa., i, 1), s’inspire plutôt de la doctrine de la Sagesse sur la Parole et relève à la fois de la tradition biblique et d’une nouvelle révélation.

Il ne faudrait donc pas considérer le prologue et sa terminologie comme une réfutation directe et voulue de quelque hérésie naissante, gnosticisme, docétisme, ébionisme, hérésies très réelles, qui trouvent d’ailleurs dans l’évangile de Jean tout entier leur réfutation implicite. Ce n’est pas non plus un moyen d’exalter Jésus-Christ au-dessus du Précurseur, comme l’a voulu prétendre Baldensperger, Der Prolog des vierten Evangeliums, Fribourg-en-B., 1898. Enfin, l’emploi du mot Logos n’est pas la christianisation _ d’un terme de philosophie plus ou moins païenne, destinée à attirer à la foi naissante les Gentils cultivés. Voir ici Philon le Juif, t.xii, col. 1452-1453, et Lagrange, Évangile selon saint Jean, p. clxxvii. Avec le P. Vosté, nous admettons volontiers que c’est sous l’influence d’une inspiration divine spéciale et en se remémorant les révélations entendues des lèvres mêmes de Jésus sur sa personne, que Jean, se rappelant l’usage biblique du mot Logos, eut l’idée d’y recourir pour désigner le Verbe incarné.

Depuis la publication de l’art. Fils de Dieu, la bibliographie concernant les rapports du quatrième évangile et du Logos alexandrin s’est quelque peu enrichie.

1° Le premier volume de l’Histoire du dogme de la Trinité du P. Lebreton a eu, en 1927, une nouvelle édition très amplifiée. Le Logos y fait l’objet de plusieurs études. Se rapportent aux exposés précédents : Les origines, p. 56 sq. ; La conception stoïcienne, p. 61, sq. ; La conception alexandrine et platonicienne, p. 74-84 ; La Sagesse (dans l’A. T.), p. 122 sq. ; La Parole, p. 131-133 ; La Sagesse (du judaïsme palestinien), p. 160 ; La Parole ou Memra, p. 162 ; La Shekina, p. 165-168. Dans le judaïsme alexandrin et tout particulièrement chez Philon, Les puissances, p. 198 ; Le Logos, p. 209-251. Le reste du volume est consacré à la révélation du dogme de la Trinité dans le Nouveau Testament, le c. vi L’Évangile de saint Jean, p. 474-540 est à consulter tout spécialement. Voir également les notes G et J ; La doctrine du Logos chez Philon et la doctrine du Fils dans l’épître aux Hébreux, p. 616-627 ; La doctrine du Logos chez Philon et chez saint Jean. Une table des textes de Philon.

2° Outre l’Évangile selon saint Jean, du P. Lagrange, Paris, 1928, p. clxxih sq. et 28-34, du même auteur dans 2653 VERBE. ENSEIGNEMENT DES PÈRES 2654

Revue biblique, 1923 : Le Logos d’Heraclite, p. 96-107 ; T 7 ers le Logos de saint Jean : Le Logos des stoïciens ; le Logos de la philosophie dualiste, p. 161-184 ; Le Logos de Philon, p. 321-371 ; J. Grill, Untersuchungen ùber die Entstehung des vierten Evangeliums, Tubingue, 1923 ; Vosté, O. P., De prologo Johanneo et Logo, Rome, 1928, réédité dans Studia Johannea, Rom, , 1930 ; A. Durand, S. J., Évangile selon saint Jean (collect. Verbum salutis), Paris, 1927, notes sur le Logos, 1 et 2, p. 536-541 ; L. Cristiani, Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur, Lyon, 1932, t. i, p. 1-14.

3o  Sur les rapports des livres sapientiaux et du IVe évangile : P. Heinrich, Ein/luss der griechischen Philosophie auf die Lehre der Weishcit (dans son commentaire, Excursus zur VII, 22 b-VIII, 1, p. 149-158), Munster, 1912 ; du même Griechische Philosophie und A. T., ibid., 1918 (l’auteur réduit à peu de chose l’influence grecque), complété par Personifikationen und Hypostasen im A. T. und im alten Orient, ibid., 1921, et par Das Wort im A. T. und im alten Orient. Zugleich ein Beitrag zum Verstàndnis des Prologs des Johannesevangeliums ibid., 1922 ; J. Gottsberger, Die gôttliche Weisheit als Persônlichkeit im A. T., Munster, 1919 ; Fr. Focke, Die Entstehung der Weisheit Salomons, Goettingue, 1913 ; A. Vaccari, Il concelto délia Sapienza nell’A. T., dans Gregorianum (1920), p. 218-251 ; Rendel-Harris, The origin of the Prologue to St John’s Gospel, Cambridge, 1917 ; The origin oj the Doctrine of the Trinity, Cambridge, 1919 ; R. Bultmann, Der religionsgeschichlliche Hintergrund des Prologs zum Joli. — Evangelium, dans EYXAPICTHPION, H. Gunkel dargebracht, Gœttingue, 1923 (voir les réserves de.J. Lebreton sur ces trois derniers ouvrages, t. i, p. 494) ; Fr. Zorell, De reverentia erga nomen divinurn in S. Scriptura guibusdam cautelis significata, dans Verbum Domini, 1925, p. 146-150 ; 212-216 ; M.-.J. Lagrange, Le judaïsme avant Jésus-Christ, Paris, 1931, surtout p. 542-581.

4o  Sur la pensée spécifiquement juive touchant la Memra, la Shekinah, etc. : Bousset-Gressmann, Die Religion des Judeniums, 2e édit., ’Tubingue, 1926 ; El. Landau, Die dem Raume entnommenen Synonyma jùr Gott in der neuhebràischen Literatur, Zurich, 1888 ; M. Ginsburger, Die Anthropomorphismen in den Tharyumim, Brunschwig, 1891 ; L. Blau, art. Shekinah dans The Jewish Encyclopedia ; G. -F. Moore, Intermediaries in Jewish Theology, dans Harvard theol. Review, t. xv, 1922, p. 41-86 ; F.-C. Burkitt, Memra, Shekinah, Metatron, dans Journal oj theol. Studies, t. xxiv, 1923, p. 158 sq. ; Strack-Billerbeck, Exkurs ùber den Memra Jahves (dans son commentaire sur l’A. T., t. ii, p. 302-333).

5o  Articles du Dictionnaire : Ecclésiastique, t. iv, col. 2046 ; Jean (Évangile de), t. viii, col. 566-567 ; Philon le juif, t.xii, col. 1447-1456 ; Proverbes, t. xiii, col. 925 ; Sagesse, t. xiv, col. 733-734 ; 736-737. Dans l’art. Fils de Dieu, se reporter aux col. 2367-2373 (Sagesse et Parole divines) ; 2373-2376 (Puissances et substituts du nom divin) ; 2377-2386 (Logos stoïcien et Logos philonien) ; 2405-2106 (Logos joliannique), et bibliographies correspondantes. — Dans l’art. Trinité, t. xv, col. 1550 (Les Intermédiaires) ; col. 1555 sq. (La parole ; la Sagesse ; les Intermédiaires dans les écrits juifs non inspirés) col. 1564 (Philon d’Alexandrie) col. 1595 sq. (L’enseignement de saint Jean).