Dictionnaire de théologie catholique/VERBE I. Les textes de saint Jean

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 555-558).

VERBE. — Le sens grammatical du mot « verbe », λόγος, est varié, même dans l’Écriture sainte. Cf. Hagen, Lexicon biblicum, t. ii, p. 974-977 ; Ε΄ Zorell, Novi Testamenti lexicon grecum, p. 332334, dans le Cursus Scripturae sacrae de Cornély. On étudiera ici ce terme uniquement en tant qu’il est appliqué à la deuxiéme personne de la sainte Trinité.

Mais il est impossible de rédiger cet article sans tomber dans d’inévitables répétitions, le sujet ayant été déjà abordé, soit directement, soit indirectement, dans un certain nombre d’études antérieures. Les articles Fils de Dieu et Trinité ont longuement exposé la théologie du Verbe et de multiples monographies d’écrivains ecclésiastiques en ont marqué les traits saillants au cours des âges.

Dans le Nouveau Testament, le mot « Verbe » ne se lit que chez saint Jean. L’employant sans explication, saint Jean en suppose le sens chrétien connu et compris de ceux à qui il s’adresse. L’historien du dogme doit cependant chercher à déterminer sous quelles influences saint Jean a pu l’employver. On s’efforcera donc ici de donner une synthèse de la pensée johannique sur le Verbe de Dieu avec quelques indications sommaires sur la théologie du Verbe dans la tradition, pour permettre au lecteur de se référer facilement aux autres articles du dictionnaire.
I. Les textes de saint Jean.
II. Origine du Logos johannique.
III. L’enseignement de la tradition.

I. Les textes de Saint Jean.

On trouve le mot « Verbe » λόγος, appliqué au Fils de Dieu, quatre fois dans le prologue du IVe évangile, i, 1, 14 ; deux fois dans la première épître, i, 1 ; v, 7, du moins telle que nous la lisons actuellement (verset des trois témoins), et une fois dans l’Apocalypse, xix, 13.

1o Prologue du IVe évangile.

Le prologue se divise en deux sections :
un préambule sur les relations du Verbe avec Dieu, avec le monde, avec les hommes, ꝟ. 1-6;
l’exposé sommaire de la manifestation du Verbe incarné en ce monde, ꝟ. 6-18.

1. — Le préambule.

a) Le Verbe et Dieu.

Le ꝟ. 1 montre les relations du Verbe avec Dieu sous un triple aspect.

L’antériorité du Verbe par rapport à la création est marquée par les premiers mots, ἐν ἀρχῇ, allusion à Gen., I. 1. Plusieurs Pères, notamment saint Irénée, rapportent le « principe » au Verbe : le mot peut avoir cette signification ; cf. Col., i, 18 ; Apoc., iii, 14 ; mais il est plus exact et plus conforme à la pensée de saint Jean de comprendre simplement que le Verbe existait (ἣν) quand déjà commença le monde. Cf. I Joa., i, 1; ii, 14. Ainsi l’évangile pose l’existence du Verbe d’une façon absolue, avant que rien ait commencé, précisément parce que le Verbe est sans commencement.

Le Verbe est près de Dieu (πρὸς τὸν θεόν), non d’une proximité locale, ni en raison d’une subordination, mais par suite d’une inhérence essentielle qui laisse cependant subsister une distinction. Il convenait d’énoncer tout d’abord la distinction des personnes, pour ne pas laisser croire que θεός était un nom qui convenait à Dieu comme tel. Cf. Lagrange, Évangile selon saint Jean, p. 2.

Enfin le Verbe est Dieu. L’imparfait ἣν est répété trois fois, comme pour montrer que le Verbe est dans une situation immuable. Et, pour inculquer cette vérité, saint Jean affirme en terminant que « le Verbe était Dieu ». Il avait dit auparavant : « Le Verbe était près de Dieu, πρὸς τὸν θεόν »; ici θεός est sans article. Ainsi est prévenue une équivoque : ὁ θεός a valeur de nom personnel, tandis que θεός sans article a valeur d’un nom de nature et signifie que le Verbe a la nature divine. Cf. J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, 4e édit., t. 1, p. 499. Pour appuyer cette affirmation de la divinité du Verbe, saint Jean insiste une dernière fois sur son éternité : « Il était au commencement avec Dieu », ꝟ. 2.

b) Le Verbe et le monde.

L’évangéliste décrit ensuite l’action du Verbe dans le monde : « Tout s’est fait par lui et sans lui rien ne s’est fait de ce qui s’est fait », ꝟ. 3, selon la ponctuation de notre Vulgate. La préposition διὰ indique un intermédiaire. Mais ici l’intermédiaire ne saurait étre concu à la façon d’un instrument : toute la tradition juive savait que le monde avait été créé par la Parole de Dieu. Cf. Gen., i, 3 ; Ps., xxxi (xxxi), 6, 9 ; cxlviii, 5 ; Eccli., xxii, 15 ; xlviii, 26. De même est dévolu à la Sagesse le rôle d’assistante, de conseillère dans la création. Prov., viii, 30 ; Sap., vii, 12. Le Verbe, parole intérieure, concept de l’intelligence, est donc bien celui par qui Dieu a tout créé : « Si quelqu’un entreprend une œuvre, il est nécessaire qu’il la conçoive d’abord dans sa sagesse. Ainsi Dieu ne peut rien faire sinon par la conception que forme son intelligence. Or, c’est là la sagesse divine, éternellement conçue, c’est-à-dire le Verbe de Dieu. » Saint Thomas, in h. l. C’est la même idée qu’exprime saint Paul, I Cor., viii, 6 ; Col. i, 16 ; Heb., i, 2. De là à donner au Verbe, par attribution, le rôle de cause exemplaire, il n’y a qu’un pas. Ce pas est franchi facilement si l’on accepte une des manières de ponctuer les ꝟ. 3 et 4. Ces versets ont été, en effet, coupés de diverses façons : le P. Lebreton relate quatre leçons ; op. cit., note I, p. 532-536. Deux surtout sont à retenir. La leçon la plus ancienne coupe ainsi la phrase : « Rien ne s’est fait sans lui. Ce qui s’est fait était vie en lui » (Tatien, S. Théophile, S. Irénée, Tertullien, S. Athanase, S. Cyrille d’Alexandrie, S. Augustin, S. Thomas d’Aquin). Au témoignage de Maldonat, cette leçon était encore à son époque, bien que personnellement il ne l’admît pas, la formule usuelle ; aujourd’hui elle a encore les préférences de Westcott-Hort, Loisy, van Hoonacker, Calmes, Vogels, von Soden, de Grandmaison. L’autre leçon est conforme à la ponctuation de notre Vulgate : « Sans lui rien n’a été fait de ce qui a été fait. En lui était la vie ». Cette lecture apparaît pour la première fois chez Alexandre d’Alexandrie, puis chez Didyme, Épiphane, Jean Chrysostome, Jérôme. Les partisans de cette leçon, au dire de saint Ambroise, sont Alexandrini et Ægyptii, et plus généralement plerique (traduire : plusieurs) docti et fidèles, In ps. xxxvi, n. 35, P. L., t. xiv, col. 984 B ; De fide, l. III, n. 43, t. xvi, col. 622 C. De nos jours encore, d’excellents critiques la considèrent comme la seule recevable : Tischendorf, Nestlé, Knabenbauer, J.-H. Holtzmann, Grill, Zahn, Harnack, Lagrange, Lebreton, Vosté, Durand, etc. Pour soutenir l’interprétation de saint Augustin, estime le P. Lebreton, il faut « prêter à l’évangéliste une conception exemplariste, dont on ne trouve chez lui aucune trace certaine ; il faut ici entendre le Verbe non plus comme la Parole de Dieu, mais comme le modèle idéal que Dieu a conçu ; il faut enfin interpréter la « vie » dans un sens qu’on ne retrouvera plus dans tout le reste de l’évangile. » Op. cit., p. 533. L’autre leçon serait donc plus conforme au contexte. Le ꝟ. 4 s’enchaîne alors aux précédents d’une façon plus logique. On comprend mieux que dans le Verbe est la source de vie et de lumière qui, par l’incarnation, doit se répandre sur les hommes : « Dieu nous a donné la vie éternelle et cette vie est dans son Fils. » I Joa., v, 11. Mais, par ailleurs, le ꝟ. 3 présente alors un pléonasme, assez difficile à légitimer.

c) Le Verbe et les hommes.

Vie et lumière expriment donc la puissance d’expansion du Verbe sur les hommes : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. » ꝟ. 4. Tout l’évangile sera le développement de cette pensée : le Christ est apparu a saint Jean comme une source de vie spirituelle. Doctrine essentielle au christianisme, qu’on trouve déjà esquissée dans les Synoptiques ; cf. Matth., x, 30 ; xxiv, 46 ; Marc, ix, 35 ; x, 30 ; Luc, xxi, 19. Saint Pierre avait confessé le Christ comme « le Fils du Dieu vivant », Matth., xvi, 16 ; il le nomme aussi « l’auteur de la vie », Act., iii, 15. Saint Paul surtout montre dans le Christ la source unique de vie pour les hommes. Rom., v, 21 ; vi, 4-5, 10, 11 ; I Cor., xv, 45 (le dernier Adam, esprit vivifiant) : Gal., ii, 20 ; Eph., ii, 4-10 ; Col., iii, 3-4. Cette idée est à la base de la doctrine paulinienne du corps mystique. Or, cette même conception de la vie communiquée à l’âme fidèle par le Christ est au centre le l’évangile Johannique. Cf. J.-B. ». Frey, Le concept de vie dans l’évangile de saint Jean, dans Biblica, t. i, 1920, p. 37-38 ; 218-239.

C’est dans l’éternité de sa préexistence que le prologue proclame le Verbe principe de vie : « En lui était la vie ». ꝟ. 4. Plus tard, Jésus redira : « Je suis la résurrection et la vie », Joa., xi, 25 ; et encore « le suis la voie, la vérité et la vie », xiv, 6. L’allégorie de la vigne, xv, 1-17, rejoint l’enseignement paulinien du corps mystique. À la Cène, Jésus demande à son Père de garder ses disciples et tous ceux qui croiront en lui dans la même unité de vie, « pour qu’ils soient tous un en nous… et que je sois, moi aussi, en eux ». xvii, 21, 26. Mais dans la promesse de l’eucharistie s’affirme d’une manière encore plus profonde l’action vivifiante de Jésus, et pour la vie présente, et pour l’au-delà. Cf. vi, 33, 39, 41, 50-51, 54 : « Je suis le pain vivant… Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement… »

La lumière est intimement unie à la vie : « La vie était la lumière des hommes ». ꝟ. 4. L’action du principe de vie s’affirme d’abord par la lumière. Et Jésus dira plus tard : « Celui qui me suit aura la lumière de vie », viii, 12 ; et encore : « Je suis la lumière du monde », ibid. ; cf. xii, 46. L’union de la vie et de la lumière est déjà dans la tradition juive : la colonne de lumière qui guide Israël ; les éclairs du mont Sinaï ; Dieu, lui-même, lumière d’Israël, Is., x, 17 ; lx, 19-20 ; Michée, vii, 8 ; Ps., iv, 7 ; xxvii (xxvi), 1, etc. Reprenant la prophétie d’Isaïe, xlix, 6, Siméon salue en Jésus « la lumière pour la révélation des nations ». Luc, ii, 32. Et les manifestations de la gloire de Jésus se font dans la lumière. Matth., xvii, 2 ; Apoc, i, 16 ; xxi, 23 ; Act., ix, 3.

Dans le prologue, la lumière du Verbe n’est pas autre chose que la manifestation de la vérité révélée par le Christ. Cette connexion entre la lumière et la vérité est affirmée à maintes reprises par saint Jean : iii, 21 ; I Joa., i, 8, cf. i, 7 ; ii, 4, cf. ii, 10 ; Jésus est lumière parce qu’il est vérité. L’action de la lumière sur les âmes est rendue plus saisissante par l’opposition qu’établit Jean entre la lumière et les ténèbres » : « Et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise (ou ne l’ont point arrêtée), ꝟ. 5. La lumière est la vie et la vérité ; les ténèbres, c’est la mort, c’est l’aveuglement de l’esprit et l’esclavage du démon prince des ténèbres. La prédication de saint Paul connaît cette opposition, Eph., v, 8, 14 ; I Cor., iv, 5 ; I Thess., v, 5. Chez saint Jean, la même opposition s’affirme avec d’autant plus d’éclat que l’enseignement part de Jésus lui-même. Jésus est venu dans le monde comme une lumière. Joa., xii, 46. Ceux qui croient à la lumière deviennent enfants de lumière, xii, 36 ; cf. xii, 46 ; xi, 10 ; viii, 12 ; I Joa., ii, 10. Saint Jean résume ainsi tout l’enseignement de Jésus : « Le message qu’il nous a fait entendre et que nous vous annonçons à notre tour, c’est que Dieu est lumière et qu’il n’y a point en lui de ténèbres. Si nous disons que nous sommes en communion avec lui et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons et nous ne pratiquons pas la vérité Mais si nous marchons dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres et le sang de Jésus… nous purifie de tout péché. I Joa., i, 5-7. Les hommes qui s’attachent aux œuvres mauvaises préfèrent les ténèbres a la lumière et ne comprennent pas la lumière venue en ce monde. Joa., iii, 19-21. N’est-ce pas l’affirmation du prologue : « Les ténèbres ne l’ont point comprise » ? ꝟ. 5.

2. La manifestation du Verbe.

Cette manifestation est décrite sous trois aspects : le témoignage du Précurseur ; le mystère même de l’incarnation et les effets de ce mystère sur nous.

a) Témoignage de Jean-Baptiste.

La personnalité de Jean-Baptiste résume les manifestations encore voilées de l’Ancien Testament, prophéties et théophanies, préparant les esprits à la venue du Verbe, Cf. Matth., iii, 1-3 ; Marc., i, 2-4 ; Luc., iii, 3-6 ; Joa., viii, 50 ; xii. 41. Jean-Baptiste annonce le Messie, mais il doit s’effacer devant lui. Joa., iii. 27. Aussi, dès

le prologue, est-il précisé que, s’il est envoyé pour rendre témoignage à la lumière, il n’est pas lui-même la lumière. C’est le Verbe qui est la lumière véritable venant en ce monde pour éclairer tout homme : êpx6[i.evov se rapportant à <pwç et non à àvOpcoTrov ; cf. iii, 19 ; xii, 46. Même avant l’incarnation, cette lumière était déjà dans le monde, au moins par la présence habituelle de Dieu dans ses créatures, mais le monde, fait par le Verbe-créateur, n’a pas connu son auteur. Cf. Sap. xiii, 1 sq. ; Act., xiv, 15-17 ; xvii, 30 ; Rom., i, 16-22. Bien plus, le Verbe est venu chez lui, dans le peuple qu’il s’était choisi, le peuple juif dépositaire des promesses rédemptrices et bénéficiaire de toutes les manifestations rappelant ces promesses, et « les siens ne l’ont pas accueilli », f. Il ; cf. Matth., xxiii, 37. On pourrait dire aussi : « le Verbe est venu chez lui, dans le monde, et les siens, tous les hommes, ne l’ont pas accueilli » (S. Thomas).

Cette venue du Verbe trouvera sa manifestation suprême dans l’incarnation. Mais à tous ceux qui l’ont reçu — par la foi, car « c’est le recevoir que croire en lui » (S. Thomas) — il accorde le pouvoir de devenir enfants de Dieu. Le Verbe est lumière et apporte aux hommes la vérité par la foi. Ceux qui croiront en lui renaîtront de Dieu, d’une régénération spirituelle entièrement due à Dieu, par opposition à la génération humaine, due à la volonté charnelle de l’homme. Cf. Joa., iii, 3-8. On pressent ici l’universalité de la rédemption.

On notera ici la version de Tertullien (celle aussi de Justin), rapportant le ꝟ. 13 au Christ : non ex sanguine, neque ex carne et viri voluntate, sed ex Deo natus est. De carne Christi, 24, P. L., t. ii, col. 791 A (le texte incorrectement transcrit), afin de réfuter les prétentions des valentiniens. Des auteurs contemporains, Loisy, Guignebert, Jésus, Paris, 1933, p. 129, s’efforcent de tirer de la leçon de Tertullien un argument contre la conception virginale. Voir la discussion dans Lagrange, op. cit., p. 17-19.

b) L’incarnation. — La venue du Verbe en ce monde s’est effectuée d’une manière encore plus concrète : « Et le Verbe s’est fait chair », ꝟ. 14. Le mot « chair » doit être pris ici dans le sens plus complet d’ « homme ». Voir Hypostatique (Union), t. vii, col. 446-447. Et, pour appuyer le témoignage rendu au mystère de l’incarnation, l’évangéliste précise les raisons de crédibilité de ce témoignage : « Il a habité parmi nous. » Cf. I Joa., i, 1. À cette première affirmation, il faut joindre ce qui suit : « Et nous avons contemplé sa gloire. » Réminiscences de l’ancienne présence de Dieu parmi son peuple, la demeure accompagnée de la gloire, la Chekina. Voir Fils de Dieu, t. v, col. 2375 ; Gloire, t. vi, col. 1388 ; Trinité, t. xv, col. 1559 ; cf. Ex., xxv, 8 ; Lev., xxvi, 11 ; II Reg., vii, 6, etc. Mais ces réminiscences ne découvrent qu’une partie de la pensée de l’évangéliste qui ajoute aussitôt : « gloire qu’un tel Fils unique tient d’un tel Père » ; gloire qu’aucune image humaine ne peut représenter, mais qu’il avait été donné à Pierre et à Jean de connaître à la transfiguration ; cf. II Petr., i, 16-18 ; Joa., i, 14. Gloire divine, qui atteste la divinité du Verbe, et dont le rejaillissement dans la personne de Jésus-Christ se traduit par une « plénitude de grâce et de vérité ».

Ce grand mystère de l’incarnation du Verbe préexistant dans sa divinité reçoit une dernière confirmation de Jean-Baptiste lui-même. L’évangéliste rapporte ce nouveau témoignage qu’il avait sans doute entendu autrefois dans le désert. Le Précurseur atteste que le Verbe incarné, venu après lui, a passé avant lui, Joa., i, 30, et cela en toute justice, car il était avant lui, en raison de sa préexistence éternelle.

Voir Joa., iii, 26 sq. (les t. 31-36 rapportant, non une parole de Jean-Baptiste, mais une réflexion personnelle et combien profonde de l’évangéliste lui-même).

c) Les bienfaits de l’incarnation. — Dans le Verbe incarné, il y a plénitude de grâce et de vérité : vie, grâce, vérité sont en lui solidaires, sinon identiques, la vérité marquant ici ce sens profond de la réalité divine vers laquelle l’homme régénéré doit tendre pour parvenir à sa fin. De cette plénitude nous avons tous reçu : tous, c’est-à-dire tous ceux sans exception, soit dans le Nouveau Testament, soit même dans l’Ancien, qui appartiennent au Christ par la foi (vérité) et par la grâce. « Grâce après grâce », non pas sans doute la Loi remplacée par l’Évangile, mais, d’une manière plus générale, l’enchaînement des grâces reçues de celui qui en a la plénitude, dans une gradation sagement ordonnée. Cf. Boyer, Xàptv àv-ri /âpi-roç, dans Biblica, 1925, p. 454-460. La Loi, en effet, a été donnée par Moïse ; mais la grâce et la vérité, dont le Verbe possède, en tant que Dieu, la plénitude, se sont répandues par le Christ. Par un dernier trait bien conforme à toute la teneur du prologue, saint Jean rattache cette effusion de grâce et de vérité à sa source première, la divinité, nonobstant l’invisibilité essentielle de celle-ci ; et cela, grâce à un Dieu, le Fils unique qui, étant dans le sein du Père, nous a cependant parlé, ꝟ. 18 ; cf. Matth., xi, 25-27.

Sur les difficultés de l’exégèse de ce verset, voir Zahn, Das Evangelium des Johannes ausgelegt, Leipzig, 1912, Excursus, iii, p. 712 sq. ; le résumé dans Lagrange, op. cit., p. 26-28. Des trois leçons : [i.ovoy£vr ( ç sans Geoç ni uîôç ; ii, ovoy£v/)ç uîôç ou (xovoyevïjç Geôç, la dernière semble de beaucoup préférable.

Première épître.

Deux textes sont relatifs

au Verbe. — 1. Le préambule de l’épîlre, i, 1-3.

Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché du Verbe de vie — car la Vie nous a été manifestée, et nous l’avons vue, et nous lui rendons témoignage, et nous vous annonçons la Vie éternelle, qui était près du Père et nous a été manifestée — ce que nous avons entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous et que notre communion soit avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.

Les deux premiers versets semblent n’être qu’un résumé du prologue du IVe évangile. On y retrouve les deux aspects de la doctrine christologique exposée plus haut ; mais ils sont présentés en sens inverse. Dans le ꝟ. 1, c’est le Verbe incarné, dans sa réalité visible et tangible, écho de Y Et Verbum caro factum est. Le ꝟ. 2 s’attache au côté divin et éternel de ce Verbe qui, près du Père, était Vie et dont Jean a eu

la révélation, écho du début du prologue
in principio

erat Verbum… et Deus erat Verbum. On retrouve également la Vie conçue comme une prérogative substantielle du Verbe. Le Verbe de vie s’est manifesté et c’est grâce à sa manifestation que saint Jean peut annoncer la Vie éternelle qui n’est autre que ce Verbe lui-même. Et le Verbe nous mettra en communion avec le Père par l’acceptation de la lumière, c’est-à-dire de la vérité qu’il est venu apporter aux hommes. Cf. dans la même épître, i, 7, 8 ; ii, 8-11, 24-25 ; v, 6.

2. Le comma Johanneum, v, 7-8.

Il y en a trois qui rendent témoignage (dans le ciel, le Père, le Verbe et l’Esprit ; et ces trois sont un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre) : l’Esprit, l’eau et le sang, et ces trois sont un.

Le t. 7, où sont énumérés les trois personnes divines, constitue un beau témoignage de la foi en la Trinité. Mais il ne semble pas qu’on puisse le considérer 2645 VERBE. ORIGINES DE TERME. 2646

comme appartenant à la rédaction primitive de l’épître. Le passage douteux a été mis entre parenthèses. Voir dans Lebreton, 'op. cit., p. 645-652, un bon résumé des conclusions critiques, avec une bibliographie très suffisante.

Au sujet de ce verset des « trois témoins », deux décisions romaines ont été portées. La première, du Saint-Office (13-15 janvier 1897) était ainsi libellée : Utrum tuto negari aut saltem in dubium revocari possit esse authenticum textum S. Joannis in epistola prima, c. v, ꝟ. 7 ? — R. Negative. — La seconde également du Saint-Office (2 juin 1927) restreint et précise la portée de la première décision ; elle consacre la distinction déjà faite par d’excellents théologiens entre authenticité de doctrine et authenticité d’origine (genuinitas). Texte dans l'Enchiridion biblicon, n. 121. Voir l’exposé de la question dans l’Ami du clergé, 1928, p. 237-238.

L’Apocalypse.

C’est au milieu d’une description apocalyptique du triomphe du Christ que l’auteur jette, comme en passant, le nom du Verbe, xix, 11-16.

Je vis le ciel ouvert, et il parut un cheval blanc. Celui qui le montait s’appelle Fidèle et Véritable ; il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme ardente ; il avait sur la tête plusieurs diadèmes et portait un nom écrit que nul ne connaît que lui-même ; il était revêtu d’un vêtement teint de sang ; son nom est le Verbe de Dieu. Les armées du ciel le suivaient sur des chevaux blancs, vêtues de fin liii, blanc et pur. De sa bouche sortait un glaive affilé pour en frapper les nations ; c’est lui qui les gouvernera avec un sceptre de fer, et c’est lui qui foulera la cuve de vin de l’ardente colère du Dieu tout-puissant. Sur son vêtement et sur sa cuisse, il portait écrit ce nom : Roi des rois et Seigneur des seigneurs ».

On le constatera plus loin : dans ce passage, rien ne rappelle ni de près ni de loin les spéculations de Philon sur le Logos. C’est plutôt le souvenir de la

« Parole toute puissante de Dieu », telle que la décrit

le livre de la Sagesse, qui a inspiré ici saint Jean :

« Votre parole toute-puissante s’élança du haut du

ciel de son trône royal, comme un guerrier impitoyable, au milieu d’une terre vouée à l’extermination, portant comme un glaive aigu votre irrévocable décret » Sap., xviii, 15-16.