Dictionnaire de théologie catholique/VATICAN (CONCILE DU) III. Après

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 524-528).

III. Après le concile. Les conséquences.

Le concile du Vatican a eu certainement pour conséquence un renforcement incontestable de l’autorité pontificale. Toutefois le dogme proclamé par lui a amené dans certains pays d’assez vives résistances.

I. RENFORCEMENT DE L’AUTORITE PONTIFICALE.

Élimination définitive du gallicanisme.

Par la promulgation du dogme de l’infaillibilité pontificale, Pie IX avait accompli une œuvre doctrinale de premier ordre. Devant les graves questions que les temps modernes avaient prisées, les maux profonds du siècle, les erreurs du naturalisme, de l’indifférentlsme et du latitudinarisme, cette œuvre répondait plus que jamais aux besoins de l’Église de concentrer sa doctrine, de fortifier l’autorité de son chef. Dès maintenant, la définition de l’infaillibilité donnait aux souverains pontifes les moyens de maintenir l’unité et la pureté de la foi contre toutes les oppositions que l’on pouvait soulever contré l’orthodoxie catholique. Elle coupait toutes les racines de l’erreur touchant l’enseignement de l’Église sur la foi et les mœurs avec une autorité tranchante comme un glaive. Elle supprimait notamment cet « appel au concile », qui, mot d’ordre de tous les mécontents contre Rome, avait parfois entretenu dans l’Église l’obéissance sous condition et la révolte à terme.

C’était l’élimination définitive du gallicanisme. Contre l’autorité pontificale en matière doctrinale ne peuvent plus être invoqués désormais les fameux quatre articles proclamés par l’assemblée du clergé de France en 1682. Étaient ainsi périmés les deux articles 2 et 4 dont voici la substance. « La plénitude du pouvoir apostolique est limitée par les décrets du concile de Constance sur la supériorité des conciles généraux. Le souverain pontife a la part principale dans la décision des choses de la foi, mais son jugement ne devient irréformable que par le consentement de l’Église. » La constitution Pastor œternus a effacé les limites opposées à la plénitude du pouvoir apostolique du pape. Elle a fait disparaître également l’intervention du consentement de l’Église pour que deviennent indéformables les décisions pontificales dans l’ordre de la foi et des mœurs. Voir l’article Gallicanisme. Voir encore F. Walter, Fontes juris ecclesiastici, 1862, p. 12 ; Coll. Lac, t. i, col. 831 ; Fleury, Institution au droit ecclésiastique, c. xxv ; A. Chéruel, Dictionnaire historique des Institutions de la France, t. II, art. Libertés de l’Église gallicane. Un fait significatif est à noter qui atteste le discrédit dans lequel venait de tomber la législation ancienne réglant les rapports entre Rome et la France. Contrairement à l’usage réglant la publicité des documents pontificaux en France, les décrets du concile du Vatican y furent notifiés sans que le gouvernement ait eu à en examiner la forme, sa conformité avec les lois, décrets et franchises de l’État. Il est vrai qu’à ce moment même les gouvernements successifs de la France avaient d’autres préoccupations. La promulgation du dogme de l’infaillibilité ne fut en réalité que l’acte de décès d’un gallicanisme moribond. Mais il n’y avait pas de gallicanisme qu’en France et en plusieurs États la promulgation des actes du Vatican n’ira pas sans difficulté.

La soumission de l’épiscopat. —

Quels qu’aient été les incidents regrettables qui, dans l’ardeur du combat, marquèrent certaines séances du Concile, l’autorité pontificale s’y trouva encore affermie par l’attitude des évêques minoritaires qui, n’ayant pas voulu voter la définition de l’infaillibilité ni la combattre de leur non placet, devaient, le vote une fois acquis, la considérer avant tout non comme une défaite personnelle mais comme « la victoire de la foi et de Dieu seul dans sa volonté sainte ». (Paroles de Mgr Dupanloup à son clergé). Une humble adhésion fut donc en général la réponse qu’ils apportèrent aux décrets du chef de l’Église. On trouvera dans le dernier volume de M.-P., t. un, col. 935-1062, les documents relatifs à ces adhésions.

1. En France.

C’est ainsi que dans la France épiscopale ces décrets obtiendront une soumission unanime. Mgr Dupanloup. qui avait été l’âme de l’opposition dans les délibérations conciliaires, publiera peu de jours après son retour à Orléans une lettre pastorale portant sa plus formelle adhésion iu décrets du concile du Vatican, adhésion qu’il renou

vellera directement au saint père, dès que la paix lui aura rendu la liberté de ses communications. Dans sa lettre à Pie IX, écrite de Bordeaux le 10 février 1871, il crut pouvoir déclarer ce qui suit : « Je n’ai écrit et parlé que contre l’opportunité de la définition. Quant à la doctrine, je l’ai toujours professée, non seulement dans mon cœur, mais dans mes écrits publics. »

L’exemple de l’évêque d’Orléans eut tout de suite des imitateurs. Un archevêque que la guerre n’empêchait point de communiquer avec son troupeau et qui appartenait lui-même à la minorité, Mgr Lyonnet (Albi), fut l’un des premiers à publier une lettre pastorale sur le concile. Il citait à son clergé le grand exemple donné par Mgr Dupanloup en plaçant sous ses yeux « les belles paroles que l’évêque d’Orléans adressa à son retour de la Ville éternelle aux prêtres et aux frdèles de son diocèse ». Instruction pastorale de Mgr Lyonnet, archevêque d’Albi, sur le concile (28 octobre 1870). Mgr Darboy, archevêque de Paris, avait donné à ses diocésains le même exemple de soumission simple et empressée dès le 25 septembre 1870. Il déclarait lui-même qu’il n’avait jamais été opposé au dogme de l’infaillibilité comme théologien. Il dut remettre au début de février 1871 d’écrire à Pie IX sa soumission. Mgr Maret avait envoyé son adhésion explicite au dogme dès le 15 octobre ; l’année suivante, il fit une déclaration publique plus détaillée. Voir ici son article. En définitive des vingt-cinq évêques français de la minorité, ayant voté non placet à la 85e séance, six seulement, ceux de Metz, Soissons, Châlons, Orléans, Paris et La Rochelle, remirent à 1871 l’expression de leur soumission, et les cinq premiers avaient été empêchés par les faits de guerre. Tous les autres avaient, dès le premier mois, exprimé leur adhésion.

Rome secondait d’ailleurs le mouvement de soumission en prenant certaines mesures pour qu’il ne traînât point. Tant que les évêques opposants n’eurent point fait parvenir leur adhésion, on leur refusa les induits ordinaires, par exemple, celui pour les dispenses du maigre le samedi ; les dispenses d’empêchements de mariage ne leur étaient pas envoyées. Les papiers inédits de Mgr Dupanloup contiennent des plaintes de plusieurs évêques à ce sujet. Cf. Lecanuet, L’Église de France, 1870-1878, p. 54. L’adhésion de Mgr Maret, doyen de la Sorbonne, entraîna celle de ses collègues de la faculté et en particulier celle de l’abbé Jules Loyson, frère du fameux P. Hyacinthe. Après avoir combattu de toutes ses forces l’hypothèse même de la définition de l’infaillibilité dans le journal La Concorde qu’il avait fondé avec le comte de Kératry et l’abbé Bazin, secrétaire du doyen de la Faculté de théologie, J. Loyson crut devoir faire acte de soumission publique. Il se crut même obligé, lorsqu’il vit le P. Hyacinthe continuer son opposition, de désavouer solennellement son frère dont il déplorait l’égarement « non seulement comme un malheur public, mais encore comme un deuil de famille (Leçon d’ouverture de Cours publiée dans la Revue politique et littéraire, 10 janvier 1872). Enfin le P. Gratry qui avait appuyé avec tant de véhémence Mgr Dupanloup dans sa polémique avec l’archevêque de Malines se fit également un devoir d’adhérer à la définition. Dans une lettre à un de ses confrères de l’Académie où il exprimait avec une admirable netteté les motifs de son adhésion, il concluait : « Tout cela ne veut point dire que je n’aie pas commis d’erreurs dans ma polémique. J’en ai commis sans doute sur ce sujet et sur d’autres, mais, dès que je connais une erreur, je l’efface, et ne m’en sens pas humilié. » Ad. Penaud, Le P. Gratry, ses derniers jours, son testament spirituel, dans le Correspondant, t. l, p. 726.

2. En Allemagne.

Sans rencontrer une unanimité aussi rapide qu’en France, la soumission aux décrets conciliaires n’en fut pas moins très exemplaire en Allemagne. On sait avec quelle ardeur les évêques allemands, comme d’ailleurs les évêques autrichiens, firent valoir au concile leurs arguments contre la définition. Tel fut le cas de leurs orateurs : le prince Schwarzenberg, le cardinal Rauscher et NX. SS. Ketteler, Furslenberg, Hefele, Melcher, Strossmayer. Or, tous les évêques de l’Allemagne non autrichienne devaient adhérer publiquement au nouveau dogme. Ils le firent dans un langage plein d’élévation, en déterminant, comme les évêques suisses, avec une extrême clarté le sens vrai de la constitution Poster xternus. Dès le 24 juillet, l’archevêque de Cologne, du haut de la chaire de sa cathédrale, expliquait à ses fidèles la portée du nouveau dogme défini, et le 1 er août la constitution Pastor œternus était promulguée dans la feuille officielle de l’archevêché. Peu après, sur son invitation, les évêques allemands se rassemblaient à Fulda pour délibérer sur les moyens de lutter contre l’opposition au concile qui commençait et devait aboutir au schisme des vieux-catholiques. De cette délibération sortit une lettre pastorale commune signée de dix-sept évêques ou vicaires capitulaires. Les quelques évêques moins prompts à se soumettre, en particulier Mgr Hefele, qui tarda jusqu’en mars 1871, rejoignirent finalement leurs collègues allemands.

En Autriche-Hongrie, il en alla à peu près de même, bien que les retards eussent été un peu plus nombreux et un peu plus longs. Le nonce apostolique à Vienne s’agita beaucoup pour faire passer immédiatement par les exigences de Rome des évêques comme Mgr Schwarzenberg (Prague), Mgr Haynald (Kolocza), Mgr Strossmayer (Diakovo). Le seul évêque suisse qui eut fait partie de la minorité, Mgr Gresth (Saint-Gall ) ne laissa pas de donner en fin de compte une adhésion suffisante. À l’été de 1871, il rédigea même la lettre pastorale des évêques suisses expliquant à leurs fidèles la portée des actes conciliaires. En définitive, dans tous les pays où éclata le schisme vieuxcatholique, il ne se trouva, pour l’encourager, aucun des évêques qui avaient fait partie de la minorité. Quant aux prélats italiens, anglais, américains du Nord, ils étaient trop isolés pour que leur soumission ne se produisît pas immédiatement. Il n’y eut guère que Mgr Errington (archev. i. p. d’Iconium) qu’il fallut solliciter énergiquement pour obtenir une adhésion explicite.

L’adhésion des fidèles.

L’adhésion des fidèles

aux décrets du Vatican suivit-elle partout la soumission des évêques de la minorité ? Ceux-ci publièrent tous le nouveau dogme. En général, il fut accepté avec enthousiasme par l’opinion catholique ; ce fut le cas en France dans la plupart des diocèses. Toutefois, même en France, un certain nombre de catholiques libéraux et plusieurs prêtres de même mentalité repoussèrent la doctrine proposée par le concile ou feignirent de ne l’accepter que pour se soustraire aux peines canoniques d’une opposition publique. C’est qu’ils s’irritèrent d’avoir à opter entre des croyances qu’ils avaient toujours cherché à unir et que, bien à tort, pour avoir donné à l’infaillibilité pontificale une extension qu’elle n’avait pas, ils jugeaient désormais inconciliables. La seule dissidence notoire d’ordre individuel, celle de l’ex-père Hyacinthe mise à part, vint de l’abbé Michaud, vicaire démissionnaire de la Madeleine. Oublieux du renom que lui avait acquis dans le monde intellectuel sa belle étude sur Guillaume de Champeaux, il publia, sous le titre de Guignol et la révolution dans l’Église romaine, un pamphlet scandaleux contre le nouveau dogme. Ce pamphlet, 2581 VATICAN (CONC. DU). ATTITUDE DES GOUVERNEMENTS 2582

accompagné d’imputations calomnieuses contre divers prélats tels que Mgr Guibert, alors archevêque de Paris, Mgr Dupanloup, Mgr Darboy, semblait ne mériter que le châtiment du silence. L’abbé Bernard, aumônier de l’École normale supérieure, crut cependant devoir apporter une réponse à l’écrit de l’abbé Michaud pour réfuter les fausses idées que les ennemis de la religion s’obstinaient à propager au sujet de l’infaillibilité du pape et que l’auteur qui avait revêtu le manteau de Guignol reproduisait à son tour. La réfutation publiée sous forme de lettre chez Douniol, éditeur, révélait une doctrine sûre d’où l’éloquence n’était pas absente. On peut donc l’affirmer, la promulgation de l’infaillibilité ne produisit en France aucun des désordres redoutés par ses adversaires.

II. L’A OITATWN CONSÉCUTI VE A V CONCILE. — 1° Les

origines du schisme des « vieux-catholiques ». — La décision conciliaire troubla plus vivement la vie religieuse en Allemagne et surtout en Suisse. Ce fut le schisme des vieux-catholiques dont nous ne rappelons ici que les traits essentiels (voir l’art. Vieux-catholiques). Ce schisme se réduisit à une faible minorité de professeurs de théologie et de bourgeois, mais n’atteignit que superficiellement la masse des fidèles. Les chefs allemands du mouvement anti-infaillibiliste : Dœllinger, Friedrich, Schulte à Munich, Wolmann et Michelis à Braunsberg, Beusch, Langen, Knoodt à Bonn, à Brestau Baltzer et Beinkens, se bornèrent d’abord à une simple protestation jusqu’au jour où, nommément excommuniés pour refus formel de souscrire au décret du concile, leur expulsion de l’Église les décida à tenir un congrès à Munich au mois de septembre 1871 pour déterminer la conduite qu’eux et leurs partisans auraient à suivre. Une adresse revêtue, dit-on, de 12000 signatures apportées par les dissidents avait été envoyée en même temps à Sa Majesté Impériale pour la supplier de « se mettre à la tête du mouvement contre l’impudence et l’ignorance romaine ». Dœllinger avait dressé le programme de la réunion de Munich. Il s’agissait d’affranchir et de réformer l’Église, de reconstituer l’unité religieuse en excommuniant le pape et tous les évêques catholiques romains qui seraient remplacés par les membres des autres confessions chrétiennes séparées de Borne. Il était dit qu’une décision du pape et des évêques (ceux-ci fussent-ils unanimes) n’est obligatoire pour aucun membre de l’Église, si ce dernier ne la juge pas d’accord avec l’Écriture et la Tradition. C’était introduire dans l’Église le libre examen, caractère fondamental du protestantisme. Ce programme dont nous indiquons simplement l’esprit réformiste fut adopté au congrès de Munich où siéga l’ex-Père Hyacinthe et (lui réunit cinq cents dissidents. On y décida l’établissement d’une Église séparée qui, liant son sort à celui du chauvinisme allemand dans son antipathie raciale contre les races latines, ne fut plus > qu’une simple carte dans le jeu de M. de Bismark », suivant la lumineuse prévision de M. de Pressensé.

C’est en Suisse que l’opposition de l’élément laïque au concile fut le plus intense et le plus étendu. Là aussi, les adversaires de l’infaillibilité se constituèrent en une organisation ecclésiastique Indépendante de Mome et qui prit le nom d’Église chrétienne-catholique. Celle-ci ne fut en réalité que la représentation de toutes les sectes dissidentes si nombreuses en Suisse.

2° Représailles gouvernementales. Les gouvernements avaient eu la sagesse de ne point Intervenir dans les délibérations du concile, Ils estimaient que le moment était passé pour les laïques de s’introduire dans des matières de foi. Quelques-uns devaient cependant marquer leur désapprobation à l’endroit des doctrines formulées par Pie IX en se mettant

contre l’Église sur un pied d’inimitié ou de neutralité armée. Ce ne fut le cas ni en Belgique, ni en Espagne, ni en Portugal. L’Italie elle-même ne manifesta aucune hostilité à l’endroit des décisions conciliaires. En France, la chute du régime ne modifia en rien la ligne de conduite qu’É. Ollivier avait tracée ; aucune objection ne fut faite à la publication des décrets conciliaires. Le gouvernement autrichien, au contraire, tout en rejetant l’idée d’appliquer aux documents du concile le placet royal, profita de la promulgation de l’infaillibilité pour se débarrasser du concordat de 1855, qu’il avait déjà violé par la constitution de 1867. Il déclara que la doctrine proclamée par le concile établissait les rapports de l’Église et de l’État sur une base toute nouvelle en élargissant la compétence du pape et en concentrant tous les pouvoirs en sa personne ; un des deux contractants ayant changé sa situation, le contrat devenait nul ! Dès le 30 juillet 1870, la légation de Borne informait le gouvernement pontifical de l’abolition du concordat. La Hongrie essaya de faire revivre l’ancien droit qui soumettait au placet royal la publication des documents émanés de Borne ; signification en fut faite aux évêques, et les contrevenants furent blâmés.

Les divers États de l’Allemagne prirent de même une attitude hostile. Ce fut la Bavière qui, la première, entra dans la lutte, en essayant de faire revivre le placet royal. Les évêques bavarois protestèrent et un seul d’entre eux, l’archevêque de Bamberg, demanda ce placet qui, d’ailleurs, lui fut refusé. L’agitation vieille-catholique offrit au gouvernement une occasion de manifester son hostilité : il se déclara prêt à défendre par des actes les droits de l’État et de la conscience, en accordant aux vieux-catholiques les droits qui appartenaient à l’Église. La Saxe, le grandduché de Bade, le Wurtemberg adoptèrent une attitude analogue à celle de la Bavière. En Prusse, la publication des décrets conciliaires ne rencontra au début aucune opposition. Mais l’hostilité du gouvernement se dessina quand plusieurs évêques furent obligés par l’attitude des protestataires à retirer la mission canonique à des professeurs de facultés de théologie, à Brestau, à Bonn, à Braunsberg. Vue adresse collective au roi des évêques prussiens, réunis à Fulda en septembre 1871, reçut du souverain une réponse tout à fait défavorable. C’était le début du Kulturkampf, ou lutte pour la civilisation, dont le premier acte fut la suppression, au ministère des cultes, de la section catholique, expressément motivée par le fait de la promulgation du dogme de l’infaillibilité pontificale.

En Suisse, plusieurs cantons prirent une attitude particulièrement hostile, ceux surtout de Bâle et de Genève. Mgr Mermillod, devenu évêque de cette ville qui avait été détachée de l’ancien diocèse de Lausanne, vit des églises de son ressort arrachées aux orthodoxes et données aux vieux-cal holiques, l’ex-Père Hyacinthe élu curé de la paroisse vieille-catholique de Genève. A Bâle, Mgr I. achat eut son séminaire fermé ; une proclamation gouvernementale protestant contre le concile fut imposée à la lecture publique à l’occasion du Jeûne fédéral, des prêtres. des curés, des professeurs de religion furent tracassés ; finalement Mgr Lâchât fut exilé (avril 1873) ; il avait été précédé dans l’exil, deux mois auparavant, par son collègue de Genève. A Peine, sans aller aussi loin, le gouvernement favorisa de tout son pouvoir le schisme ; en novembre 1874 S’ouvrait dans la ville une faculté de théologie i cbrétienne-catbolique oir Histoire <lr lu persécution religieuse à Genève.

Estai d’un schisme pur l’État, 1882. Ainsi dans nombre de pays de langue allemande, le dogme de l’infailli

bilité était devenu le signal de la guerre à l’Église ; les gouvernements saisirent cette occasion de régler une bonne fois leurs comptes avec le catholicisme. Ce Kulturkumpf qui intéresse au plus haut point l’historien a moins d’importance au point de vue de la théologie ; on a dit à l’art. Léon XIII, comment ce grand pape ramena peu à peu la paix religieuse dans les pays où elle avait été troublée.

/II. CONCLUSION. — Au fur et à mesure, d’ailleurs, que tous ces événements s’éloignaient dans le passé, l’ensemble des catholiques se rendait compte que les décisions prises au Vatican n’avaient point accompli, dans le gouvernement de l’Église, la révolution dont avaient parlé les adversaires de la définition. Au vrai, d’ailleurs, en circonscrivant d’une manière plus précise la prérogative de l’infaillibilité doctrinale, à peu près unanimement reconnue dans la pratique avant 1870, le concile avait écarté les idées exagérées ou même fausses que certains théologiens avaient mises en circulation. Répondant en 1865 au questionnaire que Rome avait adressé à divers évêques sur les matières à proposer au futur concile, Manning avait exprimé le souhait que fût définie la doctrine suivante : Vivas vocis oraculum a summo pontifice prolatum circa (idem, mores vel facla ut audiunt dogmatica, seu circa veritates fldei morumque quæstionibus circumstantes infallibile esse. M.-P., t. xlix, col. 171. En dépit des efforts de l’archevêque de Westminster et de ses amis, la définition conciliaire était restée très en deçà de ces desiderata. Cf. ci-dessus, col. 2574 les déclarations si importantes de Mgr Gasser, rapporteur de la commission de la foi.

S’il est un point où se soit produit, par le fait du concile, dans la position du souverain pontife par rapport à l’Église un certain changement, c’est bien plutôt dans le domaine de la primauté pontificale. La concentration de la lutte autour de l’infaillibilité a masqué l’importance du fameux chapitre m de la constitution Paslor œternus. En déclarant la juridiction du pape sur chacune des Églises « ordinaire, immédiate, épiscopale », le concile du Vatican n’innovait certes pas. Depuis le temps de Grégoire VII, les papes avaient revendiqué, parfois avec une énergie extraordinaire, ce pouvoir quasi-absolu et quasidiscrétionnaire sur l’épiscopat. Les grands débats des xve et xvie siècles avaient amené le recul de ces idées. Pour s’être quelque peu renforcées au début du xixe siècle, elles n’avaient pas repris toute la force qu’elles avaient eue aux temps de la « monarchie pontificale ». On y revenait maintenant. Les années qui suivirent le concile allaient amener un renforcement de l’action directe du pape dans les diocèses et, tranchons le mot, de la centralisation pontificale. Le problème de la conciliation des droits divins de l’épiscopat avec les droits divins du pape n’a malheureusement pu venir en discussion, cf. l’art. Primauté, t. xiii, col. 247 sq. Une théologie bien équilibrée de l’Église réclame néanmoins que cette question soit posée, tout comme la vie pratique demande qu’en soient réglées les applications. Sera-ce l’œuvre d’un IIe concile du Vatican ? C’est le secret de l’avenir.

Moins apparents, ce qui ne veut pas dire moins importants, ont été les résultats obtenus par le concile dans le domaine proprement spéculatif. La constitution Dei Filius a mis en pleine lumière les vérités essentielles sur lesquelles s’établit la théologie fondamentale ; de ce point de vue, les directions imposées par le concile ont donné à nos actuels traités De religione revelata et De fide une allure tout à fait assurée. Ces traités ne peuvent plus être les mêmes avant et après 1870.

La vaste enquête sur les besoins pratiques de l’Église dont le concile fournit l’occasion n’a pas été

non plus sans résultat. Bon nombre des idées consignées dans les rapports adressés à Rome par les évêques consultés avant le concile, dans les travaux des commissions de la discipline, des missions et des aiîaires orientales, des réguliers, sont venues peu à peu au jour et se sont introduites dans le nouveau droit canonique. Pour n’avoir pas eu autant de retentissement, les conceptions maîtresses de la commission pour les aiîaires politico-ecclésiastiques n’ont pas laissé de pénétrer dans la doctrine officielle. On en retrouverait des traces non négligeables en plusieurs des grandes encycliques de Léon XIII.

Il n’est pas jusqu’aux procès-verbaux de la commission des postulata (congregalio specialis ad recipiendas et expendendas episcoporum propositions deputata) qui ne révéleraient quelques points de vue nouveaux. Texte dans M.-P., t. lui, col. 331-716. Parmi ces postulata émanés des Pères, il faut au moins citer ceux qui demandaient la définition dogmatique de l’assomption corporelle de la sainte Vierge, ibid., col. 481-519, ou ceux qui pressaient la proclamation de saint Joseph comme patron de l’Église universelle. Ibid., col. 575-581. Sans parler de ceux qui entendaient soumettre au concile des projets relatifs au droit des gens, au désarmement, au militarisme, etc.

Tout cela donne quelque idée de l’intense mouvement des esprits que développa le concile. À comparer l’ampleur du programme qui lui avait été tracé, des espérances que son annonce avait fait naître avec les réalisations définitives, on pourrait de prime abord être tenté de parler de son échec partiel. En réalité, il fut l’un des très grands événements de l’histoire de l’Église dans les temps modernes et même de toute l’histoire ecclésiastique. À côté du concile de Trente, il garde une importance dont on commence seulement à comprendre l’étendue et la portée.

I. Sources.

1° Les documents officiels sont maintenant publiés au complet dans V Amplissima conciliorum collectio, commencée par Mansi et terminée par l’abbé Martin et Mgr Petit, aux 5 derniers volumes : t. xlix-liii, 1923-1927. En voici l’économie générale : 1. T. xlix. Acta præsynodalia, où l’on trouvera en particulier les actes des différentes commissions préparatoires. — 2. T. l. Acta synodalia : procès-verbaux de la Ve session et des 29 premières séances (8 décembre-22 février). — T. li. Acta synod. (suite), de la 30° à la 50e séance (14 mars13 mai), discussion des projets disciplinaires et de la constitution Dei Filius. — T. lu. Acta synod. (suite), de la 50e séance (2° partie) à la 86e séance (13 mai-16 juillet) et 4e session publique. — - T. lui. Acta synod. (suite et fin), les 3 dernières séances et les projets qui y furent présentés. Viennent ensuite les p.-v. des députations de la foi et des postulats ; puis les divers projets (schemata) qui auraient dû être proposés ou qui, ayant été proposés, ont dit être amendés ; enfin les soumissions à la définition. Les projets (schemata) successifs des constitutions dogmatiques ne sont pas toujours faciles à retrouver, dispersés qu’ils sont à leur place chronologique.

2° La Collectio Lacensis avait donné dans son t. vii, les Acta et décréta concilii Valicani, Fribourg-en-B., 1892 ; les documents officiels occupent à peine un tiers du volume et sont dispersés dans un ordre assez capricieux ; la partie la plus précieuse est l’appendice (col. 505-1752) où sont reproduits nombre de documents historiques relatifs en grande partie à l’agitation extra-conciliaire, qui se retrouvent difficilement ailleurs.

3° Beaucoup de documents de ce genre dans Cecconi, Storia dei concilio Vaticano scritta sui documenti originali, 4 vol., 1873 (trad. française par J. Bonhomme et D. Devillard, 4 vol., 1887) ; ne va que jusqu’à la 2e session solennelle (6 janvier), important pour l’histoire des préliminaires du concile.

II. Travaux.

Histoires d’ensemble.

Il n’y a pas

encore de vraie histoire du concile. Des travaux sommaires parurent peu après le concile :.1. Fessier, Das vatikanische Konzilium, dessen àussere Bedeutung und innerer Verlauf,

Vienne, 1871 (trad. française, Paris, 1877) ; Manning, A true story o/ the Vatican Council, 1877 (trad. française, italienne, allemande) ; Lord Acton, Zur Geschichte des vatikanischen Konzils, Munich, 1871 (esprit vieux-catholique ) ; E. Friedberg, Sammlung der Aktenslûeke zum 1. valik. Konzil, mil einem Grundrisse der Geschichte desselben, Tubingue, 1891 (vieux-catholique).

Les deux grandes histoires parues plus tard manquent l’une et l’autre d’impartialité. Le point de vue anti-infaillibiliste est représenté par J. Friedrich, Geschichte des vatikanischen Konzils, 3 vol., complété par Documenta ad illustrandum concilium Vaticanum. Le point de vue adverse par Th. Granderath et C. Kirch, Gesch. des vatikanischen Konzils, 3 vol., 1903-1906 ; trad. française : Histoire du concile du Vatican depuis sa première annonce jusqu’à sa prorogation, 6 vol., y compris Appendice et documents, Bruxelles, 1908-1919 ; l’ouvrage est passionné, parfois jusqu’à l’injustice, à l’endroit de tous les opposants, surtout des Français.

Points de vue spéciaux.

E. OUivier, L’Église et

l’État au concile du Vatican, 2 vol. ; E. de Pressensé, Le concile du Vatican, ses préliminaires et sa constitution, dans Revue des Deux-Mondes, 1 er mars 1870 ; Géraud-Toulon, Le mouvement religieux en Allemagne depuis le concile de 1869 : les vieux catholiques, ibid., 1° décembre 1871.

Biographies de personnages mêlés aux débats.

Se

reporter aux articles : Darboy, Dupanloup, Maret, Pie, et voir en outre : Mgr Besson, Le cardinal Mathieu, archevêque de Besançon, 2 vol. Paris ; Paguelle de Follenay, Vie du cardinal Guiberl, 2 vol., Paris ; Pougeois, Le cardinal Donnet, archevêque de Bordeaux, 3 vol. 1884 ; H. Boissonot, Le cardinal Meignan, 1899 ; à ces vies épiscopales on peut joindre, Lecanuet, Montalembert, t. m ; le P. Chauvin, Le Père Gratrꝟ. 3e éd., 1903 ; L. Veuillot, Lettres, et Eug. Veuillot, Vie de L. Veuillot ; voir aussi la bibliographie de l’art. Libéralisme catholique.

Au point de vue théologique.

Th. Granderath,

Constitutiones dogmaticæ concilii Valicani ex ipsis ejus actis explicatie atque illuslratæ, Fribourg, 1892 ; A. Vacant, Éludes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, 2 vol., 1895 (ne traite que de la constitution Dei Filius).

J. Brugerette et É. Amann.