Dictionnaire de théologie catholique/VÉRITÉ, VÉRACITÉ I. Philosophique

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 573-574).

VÉRITÉ, VÉRACITÉ. — Le problème de la vérité peut être envisagé à un triple point de vue :
I. Philosophique.
II. Théologique.
III. Moral. Sous ce dernier aspect, la vérité devient vertu de véracité.

I. Point de vue philosophique.

Bien que relevant de l’ordre rationnel, ce point de vue a une importance condidérable, non seulement en lui-même, mais en raison du rapport étroit qui rapproche ici la philosophie des affirmations religieuses. On peut considérer : la vérité ontologique ou transcendantale et la vérité logique ou formelle.

Vérité ontologique ou transcendantale.

L’étude de cette vérité est une partie de la philosophie générale. —

1. Cette vérité implique une conformité à un type idéal, « toute chose étant dite vraie par rapport à une intelligence qui la conçoit ». S. Thomas, Sum. theol., I », q. xvi, a. 1. « L’objet est vrai, qui est conforme à une pensée. » B. Romeyer, La doctrine de saint Thomas sur la vérité, dans les Arch. de phil., t. iii, cah. ii, p. 1. « L’attribut vrai, véritable, n’est pas appliqué à une chose considérée à l’état absolu ; il est réservé aux choses référées à un type idéal, que nous supposons connu d’ailleurs, et jugées de même nature que lui. La vérité ontologique est donc un rapport d’identité de nature entre une chose présente et un type idéal présupposé. » Card. Mercier, Ontologie, n. 95.

Saint Thomas, loc. cit., note que « la chose, objet de l’intelligence, peut se rapporter à l’intelligence soit essentiellement, soit à titre accidentel. Elle se rapporte essentiellement à l’intelligence dont dépend son être ; elle se rapporte accidentellement à l’intelligence qui trouve en elle du connaissable ». C’est le rapport essentiel de l’être à l’idéal qui en est la cause, qui manifeste la vérité ontologique.

2. Le type idéal par rapport auquel une chose est dite ontologiquement vraie a été placé par la philosophie platonicienne dans les idées éternelles, existant en elles-mêmes, séparées de Dieu. Sur la théorie platonicienne des idées, voir Janet et Séailles, Hist. de la phil., Paris, 1942, p. 946 et ici Platonisme des Pères, t.xii, col. 2263-2265. — Les ontologistes placent ce type idéal dans l’être divin, objet d’intuition directe de la part de notre intelligence. Voir Ontologisme, t. xi, col. 1000 sq. — Pour la philosophie chrétienne, le type idéal est Dieu lui-même : « Les choses sont dites vraies quand elles répondent à nos conceptions ; elles sont dites vraies surtout quand elles répondent aux conceptions créatrices. Et comme nos conceptions n’ont de vérité authentique et par conséquent de vérité communicable aux choses que par leur propre conformité aux normes suprêmes, c’est finalement par comparaison à Dieu que, même dans ce cas, les choses sont dites vraies. » A.-D. Sertillanges, O. P., Dieu (Som. théol., édit. de la Revue des Jeunes), t. ii, p. 363-364. D’où « Celui qui est justifie ce qui est. » Ibid., p. 363.

Le type idéal, en Dieu, n’est autre, selon notre manière de concevoir, que l’essence divine connue par son intelligence, en tant qu’imitable de telle ou telle manière par les créatures et en tant que le Verbe divin l’exprime éternellement. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xiv, a. 6. Voir Science de Dieu, t. xiv, col. 1 602 sq. ; Verbe, t. xv, col. 2666. sq. C’est ainsi que la vérité ontologique des êtres leur est essentielle par rapport à la science qu’en a le Créateur ; elle se confond, en réalité, avec leur être même : « Le vrai, c’est ce qui est ; le faux, ce qui n’est pas. » Bossuet, Conn. de Dieu et de soi-même, c. i, n. 16. D’où l’adage : ens et verum convertuntur. S. Thomas, Sum. theol., ii, q. xvi, a. 3 ; De veritale, q. i-ii. Ainsi l’avait déjà conçue saint Augustin. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2328 et 2334 ; cf. Ch. Boyer, L’idée de vérité dans la philosophie de saint Augustin, Paris, 1920, c. ii, La vérité subsistante (p. 47-109) ; c. iii, La vérité créatrice (p. 110155). C’est à ce point de vue ontologique que « les choses créées ne sont pas connues de Dieu parce qu’elles existent, mais elles existent parce que Dieu les connaît ». S. Augustin, De Trinitate, t. XV, n. 22, P. L., t. xlii, col. 1076 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. xiv, a. 8. Voir ici Science de Dieu, col. 1606. Mais par rapport à une intelligence créée ; les choses ne sont vraies que dans la mesure où elles sont susceptibles d’y provoquer une connaissance vraie. S. Thomas, ibid., q. xvi, a. 2. Cf. Sertillanges, La philosophie de saint Thomas d’Aquin, Paris, 1940, t. i, p. 34-36.

Vérité logique ou formelle.

La vérité provoquée dans la connaissance que notre esprit a des choses est définie par l’École : adsequatio rei et intellectus, conformité entre la réalité connue et l’idée qu’on s’en fait. Sur les origines de cette formule, voir Yves Simon, Introd. à l’ontologie du connaître, Paris, 1934, p. 200, note 1.

1. Il ne faut pas chercher la vérité dans les données des sens. Non certes que nos sens nous trompent, mais ils ne peuvent saisir eux-mêmes la conformité des représentations sensibles et des réalités. Il y aurait danger de confusion à proclamer sans explications que « nos sens atteignent immédiatement les objets extérieurs et non pas nos propres affections. La pensée de saint Thomas est bien plus nuancée. Voir son commentaire du De anima d’Aristote, t. III, lect. 2 ; analysé dans l’Ami du clergé, 1931, p. 246249. Cf. Ch. Boyer, Réflexions sur la connaissance sensible selon saint Thomas, dans les Arch. de phil., t. iii, p. 97-116. Très explicitement, d’ailleurs, saint Thomas enseigne que » le sens connaît qu’il sent ; mais il ne connaît pas la nature de son acte, ni sa proportion aux choses, iii, par conséquent, sa vérité. » De veritale, q. i, a. 9 ; cf. Sum. theol., I », q. xvi, a. 2.

2. La psychologie thomiste laisse donc intacte toute cette partie de la philosophie générale que les modernes appellent la critique de la connaissance. C’est dans le jugement de l’intelligence, en affirmant la convenance du sujet et du prédicat, que se trouve la vérité formelle, et pas ailleurs. S. Thomas, 26 :

    1. VÉRITÉ##


VÉRITÉ. POINT DE VUE THÉOLOGIQUE

2(178

Sum. theol., I a, q. xvi, a. 2 ; De veritate, q. i, a. 9 ; Jean de S. Thomas, in hune loc. Cf. Yves Simon, op. cit., p. 200 sq. ; Sertillanges, op. cit., t. ii, p. 161 sq. Ce jugement, l’intelligence peut le formuler avec des garanties de certitude. Il existe, en effet, des critères de la vérité, et le principal de ces critères est l’évidence. Voir ce mot, t. v, col. 1725. L’évidence s’impose d’elle-même lorsqu’il s’agit des principes premiers directeurs de la connaissance. Le scepticisme absolu de Pyrrhon et même le doute méthodique de Descartes sont inadmissibles au regard de la saine raison : « Le doute, dit le card. Mercier, est possible en présence de toute proposition dont l’évidence n’apparaît pas immédiatement à l’esprit ; mais l’évidence immédiate, soit d’ordre idéal, soit d’ordre réel, rend le doute physiquement impossible et nécessaire l’assentiment de l’esprit. » Critériologie, n. 44. Une critique éclairée et sage de la connaissance permet d’arriver à des conclusions certaines, tout au moins pour les vérités les plus importantes. Au xive siècle, Nicolas d’Autrecourt fut condamné par Clément VI pour avoir nié la possibilité de toute évidence et de toute certitude. Denz.-Bannw., n. 553-570.

3. Il s’en faut toutefois que le réel, en ce qu’il a d’intelligible saisissable par l’esprit, puisse être toujours complètement atteint. Souvent, il y aura, même dans le domaine proprement scientifique, des vérités encore imparfaitement connues ou incomplètement saisies. L’esprit critique sait qu’il en est ainsi ; aussi est-il esprit de prudence et parfois, en cas de non évidence, esprit de doute. Mais on doit se garder de confondre cette prudence et ce doute raisonnable avec le scepticisme : « Le sceptique, a dit CI. Bernard, est celui qui ne croit pas à la science et qui croit à lui-même ; il croit assez en lui pour oser nier la science et affirmer qu’elle n’est pas soumise à des lois fixes et déterminées. Le douteur est le vrai savant ; il ne doute que de lui-même et de ses interprétations ; mais il croit à la science ; il admet, même dans les sciences expérimentales, un principe scientifique absolu : ce principe est le déterminisme des phénomènes. » Introd. à la médecine expérimentale, t. I, c. ii, § 6. Il serait donc contraire à la nature de l’esprit humain et aux exigences de la science de n’accorder à la connaissance qu’une valeur purement relative ou conventionnelle ou pragmatique et destinée à varier selon les époques et les circonstances. Le « conventionalisme » d’un H. Poincaré admet lui-même une correspondance avec les données de l’expérience.

4. Il est des domaines où nous n’atteignons la vérité que d’une manière analogique. C’est surtout dans le domaine des connaissances religieuses qu’il en est ainsi. De Dieu, en effet, de ses attributs, des influences divines, naturelles et surnaturelles, exercées sur notre vie spirituelle, nous ne pouvons avoir qu’une connaissance indirecte, dont les éléments sont empruntés aux choses sensibles, les seules que nous puissions atteindre directement. — Dans une proportion moindre, mais véritablement encore, il faut en dire autant de la connaissance de notre âme, de sa nature, de ses facultés, de sa destinée. La connaissance de Dieu et du monde spirituel ne sera donc jamais qu’analogique : donc, connaissance toujours plus ou moins imparfaite, dans laquelle la vérité est saisie d’une manière déficiente et incomplètement ; mais non pas connaissance fausse, puisque, par elle, nous nous foi nions une conception analogiquement vraie des choses divines et suprascnsibles. Voir Anai.ooii ;, t. i, col. 1142. L’Eglise a déclaré certaine une telle connaissance, portant sur quelques vériti religieuses d’ordre naturel, et spécifiées contre lis (idéistes. Voir Maison, t. xiii, col. 1645-1647,

S’il s’agit de mystères, la connaissance que nous pouvons en avoir grâce à la révélation et à la proposition de l’Église, sera, a fortiori, nécessairement analogique, quoique vraie. Voir Mystère, t. x, col. 2594 sq. C’est en ce sens qu’avec le P. Gardeil on peut parler de la « relativité métaphysique du dogme ». Le donné révélé et la théologie, 2e édit., Paris, 1932, p. 115 sq. On ne confondra pas l’analogie qu’on trouve dans la connaissance vraie des mystères de la foi ou des vérités religieuses naturelles avec le symbolisme que les modernistes affirment des formules dogmatiques et que l’encyclique Pascendi a condamné. Voir Modernisme, t. x, col. 2032. Ainsi, conclut le P. Gardeil, « la méthode d’analogie intercale entre le symbolisme et l’anthropomorphisme une connaissance vraie, disons rigoureuse, car elle l’est dans son genre, du Réel divin. » Op. cit., p. 134135. Cf. R. Bernard, O. P., La foi, t. i (Somme théol., édit. de la Revue des Jeunes), Paris, 1940, appendice n et surtout Th. Pénido, Le rôle de l’analogie en théologie dogmatique, Paris, 1931.