Dictionnaire de théologie catholique/UTRECHT (ÉGLISE D') VII. Les religieux réfugiés en Hollande et le prêt à intérêt

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 439-440).

VII. Les religieux réfugiés en Hollande et la question du prêt à intéret.

Les réfugiés'.

Au début du xviir 3 siècle, de nombreux religieux quittèrent la France, pour se soustraire à l’obligation de signer le Formulaire d’Alexandre VII et plus tard la bulle Unigenitus. La plupart se réfugièrent en Hollande, où les archevêques d’Utrecht, en particulier Neercassel et Barchman, leur offrirent l’hospitalité.

La signature du Formulaire rencontra de nombreuses oppositions chez les chartreux. Le chapitre général de l’ordre, en 1723, reçut la constitution Unigenitus et ordonna à tous les religieux de s’y soumettre purement et simplement. Cette décision ne fut pas acceptée de tous : quarante-cinq religieux de la province de France refusèrent de signer. Les supérieurs généraux et dom Mongesson. prieur de la Grande-Chartreuse, prirent des mesures énergiques : les religieux influents furent éloignés ; on surveilla les suspects. Vingt-cinq refusèrent obstinément de se soumettre ; ils furent déclarés suspens de leur ordre, privés de la communion laïque et menacés d’excommunication ; quatorze qui avaient renouvelé leur appel après la Déclaration royale du 4 août 1720. étaient excommuniés et traités comme tels ; enfin dix qui avaient réappelé et rétracté la signature qu’ils avaient donnée, furent déclarés excommuniés, enfermés dans leurs cellules et condamnés à un jeûne rigoureux, cinq jours par semaine.

En 1725, les récalcitrants s’enfuirent en Hollande, conduits par Boullemois. Barchman les établit dans deux maisons voisines, où ils essayèrent de reprendre la vie conventuelle. Les religieux fugitifs écrivirent à dom Mongesson, le 19 février 1726, pour lui dire qu’ils n’avaient pu accepter la bulle. Ils avaient renouvelé leurs engagements entre les mains de l’archevêque d’Utrecht ; ils n'étaient ni déserteurs, ni apostats. Le 15 septembre 1725, les fugitifs avaient déjà publié une Protestation : Ils sont sortis de leur cloître, parce qu’on les y a forcés ; ils sont décidés à vivre en chartreux et ils réclament la charité et la protection de N. S. P. le pape, du roi très chrétien, des parlements et en particulier du parlement de Paris. En même temps, parut une longue Apologie des chartreux, signée de trente et un religieux profès. Fuir, disaient-ils, était le seul parti possible et légitime pour échapper à l’obligation de signer la bulle, qu’ils ne pouvaient accepter qu’extérieurement et de bouche. Un autre écrit parut, intitulé Défense des chartreux fugitifs, où l’on traite particulièrement de la fuite dans les persécutions, à l’occasion de deux écrits, dont l’un a pour titre Lettre à Mgr l'évêque de*** touchant la protestation des chartreux, et l’autre Réfutation de l’Apologie des chartreux, 15 mars 1726. Aux idées déjà énoncées, on ajoutait que les chartreux avaient le droit de fuir les persécutions, car le vœu de stabilité ne leur imposait point de demeurer ; ils restaient religieux, puisqu’ils avaient fui dans le cas d’une juste défense ; en Hollande, ils avaient essayé de vivre en communauté et de suivre leurs règlements. Un arrêt du Parlement du 15 avril 1726 condamna la Protestation, l’Apologie et la Défense de l’Apologie, « écrits téméraires, qui fournissent de nouveaux prétextes à l’inquiétude, à la défiance, aux déclamations et qui autorisent la désobéissance aux bulles des papes reçues dans le royaume ».

Le 20 avril 1726, le P. Antoine, prieur des chartreux écrivit aux religieux réfugiés en Hollande pour tenter de les ramener par la persuasion et la douceur. Le chapitre général et le R. P. supérieur étaient prêts à les rétablir dans leur premier état et ils ne leur appliqueraient pas les peines que les statuts prononcent contre ceux qui sont dans leur cas, pourvu qu’ils revinssent à l’unité et qu’ils se soumissent à l'Église.

En sens inverse, un écrit anonyme intitulé : La retraite des chartreux en Hollande justifiée par Thomas Sanchez, jésuite espagnol, in-4o de 14 p., plaidait en faveur des chartreux ; d’après Sanchez, un religieux fugitif n’est point apostat, s’il conserve ses règles et désire rentrer dans son couvent ; or, c’est le cas des chartreux, qui ne sont sortis que pour s'être opposés à une constitution qui « condamne les doctrines les 2 409

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plus certaines de l'Église et qui est l'œuvre du pape seul, les évêques n’ayant été que de simples exécuteurs ».

Un nouveau décret d’excommunication ne laissa pas d'être porté par le chapitre général de 1727 contre les chartreux réfugiés en Hollande ; le décret déclare ces religieux apostats et, comme tels, soumis aux peines canoniques et aux pénitences imposées aux apostats, s’ils ne reviennent pas à l’ordre, dans l’espace de six mois. Un des religieux fugitifs, dom Antoine Heudelet, revint de Hollande et rentra dans son ordre ; le général lui écrivit, le 5 mars 1729, pour le féliciter ; il ne lui imposait aucune pénitence, mais il lui recommandait la ponctualité dans ses devoirs « pour que ses frères, témoins de sa ferveur, perdissent le souvenir des exemples qu’il avait donnés ».

Les chartreux eurent des imitateurs : quinze religieux de l’abbaye d’Orval, au diocèse de Trêves, dans le duché de Luxembourg, s’enfuirent de leur couvent ; à leur tête étaient le prieur et le maître des novices, Jean-Jacques Holïremont ; ils envoyèrent, le 29 septembre 1725, une Protestation à laquelle répondit l’abbé d’Orval. Il est faux, dit-il, qu’on les persécute ; ce sont eux qui attaquent l'Église, le saint Père et le supérieur d’Orval. Toute l'Église les condamne à cause de leur indocilité et de leur révolte. Il les exhorte à revenir et il promet d'écrire à Son Altesse Électorale, qui leur accordera le pardon.

L'évêque de Montpellier, dans sa lettre pastorale du 1 er décembre 1725, félicite par contre ces « illustres fugitifs que la crainte de plus grands maux avait forcé de chercher un asile dans une terre étrangère » ; de son côté, François Paris, le fameux thaumaturge des appelants, avait pour eux un respect infini. Les jansénistes français célèbrent le courage de ces religieux et achètent pour eux des maisons à Schoonaw et à Rhynwick.

L’arrivée des religieux en Hollande apporta un appui à la petite Église d’Utrecht, mais elle amena aussi des divisions et des troubles dont on trouve l'écho en de nombreux écrits, en particulier dans le Mémoire sur l'état présent des réfugiés français en Hollande au sujet de la religion, 1728, et dans les sept Mémoires sur les projets des jansénistes, dont le premier parut en 1728 et le dernier le 10 juin 1729. Une double question contribua à aggraver les discussions intestines : la question des convulsions et surtout la question du prêt à intérêt.

Un certain nombre de réfugiés était partisan du figurisme et des convulsions. Les convulsionnaires, (basses du cimetière Saint-Médard. s'étaient retirés dans les maisons privées pour s’y cacher ; ils se répandirent Jusqu’en Hollande et ils y trouvèrent quelques partisans, mais surtout de nombreux adversaires.

2° Le prêt ii intérêt. Mais c’est surtout la question du prêt a intérêt qui provoqua des discussions ardentes, car elle touchait à îles intérêts privés et à des usages locaux. Les jansénistes français envoyaient d’abondantes aumônes pour faire vivre les exilés, mais ils semblaient parfois vouloir imposer leurs opinions et on disait que l'.archman les écoutait avec bienveillance.

L'Église avait autrefois condamné le prêt à intérêt et le Y' concile du l.atran en 1515 avait déclaré : il y a usure, quand on cherche à acquérir un gain pour

l’usage d’une chose qui n’est pas. de soi. fruet itère, sans travail, dépense ou risque de la part du prêteur. Mais peu a peu l’usage contraire l'était introduit, "ii divers prétextes : relard apporté par le débiteur

rembourser la créance, risque couru, manque ; i

gagner, usage lucratif de l’argent prêté, etc. Voir cidessus l’art. I SURE. Au xvie siècle. Lalvin distin[II. ni entre le prêt consenti a un pauvre, C'était un

nui. 1. 1 i moi. « ai iiol.

acte de charité, dont le prêteur ne pouvait tirer profit, et le prêt consenti à un riche, qui doit payer un intérêt, en compensation de l’aide qui lui a permis de s’enrichir. En Hollande, les commerçants, dans leurs affaires, avaient établi des usages particuliers au sujet de la rente rachetable des deux côtés. Les prêtres hollandais, les membres du chapitre d’Utrecht et lé doyen van Erckel, étaient tous partisans du prêt à intérêt, tandis que les appelants français, réfugiés en Hollande, et surtout leurs docteurs : Desessarts qu’on appelait Poncet, le chanoine Nicolas Le Gros, Varlet, évêque de Babylone, combattaient le prêt à intérêt qu’ils flétrissaient du nom d’usure ; ils dédaignaient l’opposition des négociants hollandais et publiaient des écrits contre l’usure.

Il y avait déjà eu des discussions. Lin théologien flamand, Opstræt, voir t. xi, col. 1076, dans une lettre du 21 septembre 1710, avait défendu la légitimité du prêt. Mais c’est surtout, à partir de 1728, que les polémiques s’envenimèrent. Thierry de Yiaixiies, dans une lettre du 6 mars 1728, s'était déclaré en faveur du prêt à intérêt. Alors parurent de nombreux écrits : Le court traité des contrats rachetables des deux côtés, in- 12, 1729 ; Discussions par Valkenbergh, chanoine d’Utrecht, 1730 ; De usuris licitis et illicitis, par Broedersen, 1730 ; Observations pacifiques sur la lettre d’un Sorboniste ; Jugement d’un théologien jurisconsulte lirabançais ; Défense des contrats de rente, par Méganck, 1730 ; Suite de cette défense, 1731 ; Dogma Ecclesiie circa usuram expositum et vindicatum, in-4o, Lille, par Le Gros et Petitpied, 1730 (contre le prêt à intérêt) ; Dix-sept lettres louchant la nature de l’usure par rapport aux intérêts des renies rachetables des deux côtés, par Nicolas Le Gros ; Neuf nouvelles lettres publiées en 1741, pour répondre aux objections faites par un négociant hollandais ; Remarques sur une lettre de l'évêque de Montpellier, qui se termine par une liste d'écrits. À cette date commence à paraître le Traité du prêt de commerce, qui semble être l'œuvre d’Aubert, curé de Chanes, docteur de Sorbonne, et fut réédité par J. Boidot et par Et. Mignot en 1759 et 1767, -1 vol. in-12, Amsterdam. Il y eut, en Hollande, comme en France, des « poncettistes » et des « boidottistes > les premiers opposés et les seconds favorables au prêt à intérêt 1, et, par une rencontre curieuse, il se trouva que les adversaires du prêt à intérêt étaient favorables aux convulsionnaires, tandis que les partisans du prêt à intérêt étaient anticonvulsionnaires.

Barchman ménageait beaucoup Poncet et ses amis qui faisaient vivre plusieurs établissements et plusieurs œuvres, tandis que les Hollandais auraient voulu l’expulser, en même temps que le chanoine Le Gros aurait quitté le séminaire d’Amersfoort. En fin de compte ces deux étrangers durent abandonner le pays à la mort de Barchman, le 13 mai 1733.