Dictionnaire de théologie catholique/UBIQUISME II. Controverses
II. La controverse. —
Chez les luthériens, depuis Schwabach, l’ubiquisme était devenu un dogme. Mais la véritable controverse ubiquitaire n'éclata que plus tard.
1° Le synode de Stuttgart (1559) et l’intervention de Brenz. —
En 1557, le duc luthérien Christophe de Wurtemberg décide de réduire tous les « sectaires », les « partisans d’erreurs détestables », de les exiler et de confisquer leurs biens. Mélanchthon lui-même lui devint suspect, « car, écrit-il, à Wittenberg, à Leipzig, s'élèvent toutes sortes de disputes sur l’ubiquité ; il est à craindre qu’il ne s’y glisse un calvinisme subtil et Philippe [Mélanchthon] n’en est peut-être pas exempt. » Cf. Kagler, H. Christoph, Herzog zn Wittenberg, Stuttgart, 1868-1872, t. ii, p. 153-168. On enseignait, en effet, que « le Sauveur, selon son humanité, était assis à la droite de Dieu son Père céleste, d’une manière locale, et qu’il occupait un espace ». Presse !, Anecdotn Brtntiana, Tubinguc, 1868, p. 462-464. C'était là, on le sait, l’argument principal des sacramentaires contre la présence réelle.
Un synode se réunit (1559) à Stuttgart, sous l’inspiration du duc Christophe. Brenz y rédigea sa profession de foi, laquelle fut contresignée par l’assemblée : la doctrine ubiquitaire relative à l’eucharistie y était consignée comme un article intéressant la foi. Ce fut le signal d’une polémique où, contre Brenz, prirent position Bullinger et Pierre Martyr. Brenz publia alors, en faveur de l’ubiquisme, plusieurs écrits, aujourd’hui insérés au t. viii de ses œuvres, Tubingue, 1561 : De personali unione duarum naturarum, p. 834 sq. ; Sententia de libello Bullingeri, etc., p. 868 sq. ; De majestale D. N. Jesu Christi hominis, p. 891 sq. ; Recognitio proph. et apost. doctrinæ, p. 976 sq.
Dans le De majestate, il résume en une phrase tout le fondement de son système : Cum enim in Ecclesia fit sermo de incarnatione Christi, non solum dicitur duas naturas in Christo esse personaliter unitas, verum etiam dicitur humanitatem esse assumptam in Deum et Christum hominem conscendisse ac elevatum, exaltatum et evectum esse in majestatem Dei adeoque factum esse Deum. Il y a donc un double fondement à l’ubiquité du corps du Christ dans l’eucharistie : l’union hypostatique et l’assomption de l’humanité par la divinité, c’est-à-dire plus expressément, sa déification. Pour Brenz, l’union personnelle est qua Deus et homo in una persona Christi ita conjuncti sunt, ut nullo loci spatio a se invicem separari queant. De personali unione, p. 841 sq. ; cf. De majestate, p. 900 sq. Cette union personnelle est réalisée par la toute-puissance divine sans préjudice de la distinction et de l’indépendance des deux natures : il n’y a donc ni absorption de l’humanité par la divinité, ni dédoublement de la personne. Ibid., p. 834-837 ; cf. ibid., p. 902-904. C’est en vertu de cette union que tous les auteurs proclament la communication des idiomes entre la nature divine et la nature humaine, communication d’où résulte un échange réel des propriétés spécifiques des deux natures, y compris l’omniprésence divine.
Mais alors, la nature humaine ne risque-t-elle pas de perdre son être ? — Non, répond Brenz, en distinguant qualités substantielles et qualités accidentelles : res non totlitur cum accidens tollitur. Or, être en un lieu n’est, dans la nature humaine, qu’un simple accident. Cette qualité peut être absente de la nature humaine et y être remplacée par une propriété divine sans que, pour autant, la nature humaine du Christ soit altérée. Ibid., p. 837 ; cf. p. 934. Et le propre de la nature humaine dans le Christ, c’est précisément, à la différence des autres hommes, d’avoir la capacité de recevoir ainsi toutes les propriétés divines :
La différence entre le Christ et Pierre doit être conçue non pas simplement du fait de l’inhabltation du Fila de Dieu, mais de la communication de ses propriétés. Le Fils de Dieu, en effet, remplit de son essence Pierre comme il remplit le Christ-homme, et cependant il ne communique pas à Pierre toutes ses propriétés, mais seulement quelques-unes. Il vivifie Pierre ; il lui conserve la vie ; il donne à Pierre le pouvoir de chasser les démons ou même de ressusciter les morts. Mais il ne le rend pas pour autant tout-puissant, omniscient, infiniment sage et juste et présent partout ; tandis qu’il orne le Fils de l’homme, non de quelques-unes de ses propriétés, mais de toutes s : ms exception. De majestate.
La faiblesse de la position de Brenz est de considérer l’esse in loco comme une qualité séparable de la nature humaine. Pour faire admettre cette thèse, il bataille à coup d’arguments métaphysiques et fiimlr ment il est obligé de recourir à la toute-puissance divine, à laquelle, déclare-t-il, ses adversaires refusent de croire ; cf. p. 833, 837, 899, 902, 905. 920 sq.. En bref, la communication des idiomes explique l’ubiquité et l’ubiquité explique la présence réelle. Toute
fois ce n’est pas le dernier aspect de la thèse de Brenz : l’incarnation n’a pas été pour la nature humaine une simple élévation à l’existence divine ; elle est une réelle divinisation de l’humanité par la personne du Fils de Dieu. Pendant la vie mortelle du Christ, cette divinisation n’apparaissait pas, car le Christ « a voulu prendre alors les faiblesses de l’humanité et laisser à son corps la localisation circonscriptive propre à sa condition d’homme ». C’est en cela que consiste l’humiliation, Yexinanilio du Christ Homme-Dieu, ut et videretur et palparetur adcoque loco circumscriberetur. P. 925. Mais maintenant, siégeant à la droite de Dieu, ce n’est plus localement qu’il faut envisager la situation de son corps : l’humanité du Christ participe de l’omniprésence divine et acquiert ainsi, dans l’eucharistie, l’esse définitive des esprits et, dans l’univers entier, l’esse repletive Dei. P. 849-850.
Grâce à Brenz, la doctrine de l’ubiquité avait été élevée, à Stuttgart et dans les Églises luthériennes, à la hauteur d’un dogme et mise au rang des articles du symbole protestant. Cf. Dollinger, Die Reformation, ihre innere Entwicklung und ihre Wirkungen im Umfangen des lutherischen Bekenntnisses, Ratisbonne, 1846-1848, t. ii, p. 363-364 ; H. Heppe, Geschichte des deutschen Protestantismus in den Jahren 1555-1581, Marbourg, 1852-1859, t. i, p. 312-314. C’est à partir de ce moment que la controverse ubiquitaire rejaillit sur la personne même du Christ. Mélanchthon se sépare des ubiquistes et de la confession de Wittenberg « aussi opposée à la pure doctrine que la doctrine des papistes ».
2° Réactions en Palatinal ; intervention d’Andréa : le formulaire de Torgau. — C’est alors que Frédéric III le Pieux, électeur du Palatinat, découvrit que la Confession d’Augsbourg était papiste sur l’eucharistie ; il s’aperçut aussi que les écrits de Luther renfermaient des erreurs. La doctrine de l’ubiquisme, défendue à Wittenberg, lui répugnait singulièrement. A son sens, elle annihilait complètement l’humanité du Christ ou du moins elle en faisait « une chose subtile et vague, puisqu’il fallait la reconnaître dans les pierres, le bois, le feuillage, les gazons, les pommes, les poires et tout ce qui vit ; même dans les pourceaux infects et même, comme un docteur l’avait affirmé au vieux landgrave, dans le grand tonneau de Stuttgart ». A. Kluckhorn, Briefe. Friedrich der Fromme, Kurfurst von der Pfalz (1559-1j7(>), Nordlingen, 1879, t. i, p. 587. En conséquence, Frédéric fit une réaction brutale contre la messe et tout ce que les luthériens avaient conservé du culte catholique. Cf. J. Janssens, Hist. de l’Allemagne protestante, tr. fr., t. iv, p. 204-205.
La discussion reprit au colloque de Maulbronn (1564), où calvinistes et zwingliens, d’une part, luthériens, d’autre part, s’affrontèrent. Des prédicants wurtembergeois ayant affirmé que Luther, sur la fin de sa vie, avait rétracté ses erreurs ubiquistes, les luthériens prétendirent le contraire. Heppe, op. cit., t. ii, p. 101 sq. Les luthériens naturellement étaient soutenus par Christophe ; leurs adversaires, par Frédéric. Tout en maintenant fondamentalement la doctrine ubiquiste, on adoucit les formules de Brenz, dont la fragilité était rendue plus évidente encore par les considérations métaphysiques qu’y avait ajoutées Andréa, prévôt et chancelier de Tubingue. L’apologie de la convention de Maulbronn (1565) concède déjà une xévcooiç xpvjerewç à la place de la xpû^iç xp*i<*swÇ de Brenz. Sur la signification de ces deux expressions, voir kénose, t. viii, col. 2339. Mais l’on maintenait l’opposition entre l’état de la nature humaine considérée dans le Christ encore sur cette terre et celui de sa nature glorifiée dans le ciel.
Adversaire acharné de Rome et des papistes, Andréa déplorait cependant l’absence de vertu chez les
réformés. Tout en se proclamant ennemi des disputes et partisan de la concorde, il voulut restaurer le luthéranisme dans le Palatinat, avec le seul catéchisme de Luther comme symbole de foi. Par les soins de l’électeur Auguste de Saxe, un nouveau colloque eut lieu à Torgau (1576), où intervinrent douze théologiens de l’électorat et cinq étrangers dont Andréa. Les Églises saxonnes avaient déjà changé d’avis au sujet de l’ubiquisme. Elles l’avaient enseigné sous Luther ; mais, après la mort du réformateur, sous l’influence de Mélanchthon, elles commencèrent à attaquer l’ubiquisme défendu par Illyricus (Liber de ascensione Domini) et Brenz. Dans une lettre à Frédéric, comte Palatin (1559), Philippe de Hesse avait blâmé ceux qui ont rêvé cette ubiquité pour le corps du Christ : hsec sunt portentosa omnia, ignota eruditse vetustati. Bien plus, en 1571, le synode de Dresde, auquel prirent part tous les surintendants du duché de Saxe, les docteurs de Leipzig et de Wittenberg, décida que l’ubiquité du corps du Christ était « une horrible profanation de tous les articles du symbole et le renouvellement de toutes les hérésies ». C’est dans ces conditions qu’Andréa intervint en faveur de l’ubiquisme. Nommé inquisiteur de l’électorat de Saxe, il prononça devant le sénat universitaire de Wittenberg un discours où il déclarait que Jésus-Christ, présent partout selon son humanité sainte comme selon sa divinité, l’avait choisi comme instrument et lui avait confié la mission de répandre la bonne doctrine. Il accabla d’injures Mélanchthon et voulut même renvoyer Chemnitz, jugé trop hésitant. Sur Chemnitz et sa doctrine ubiquiste, voir plus loin. Cf. Pressel, Die fùnf Lehre des D’Andréa in Chursachsen, dans Jahrbiïcher für deutsche Théologie, t. xxv, p. 239 sq. Pour Andréa, quiconque repousse l’ubiquité du corps du Christ est un hérétique endurci contre lequel l’autorité a le devoir de sévir. Une violente dispute s’éleva entre Andréa et Luc Major, surintendant de Halle. Andréa soutenait que la nature humaine du Christ est toute-puissante et partout présente, présente « dans les pierres, les herbes, les bâtons, les cordes ». Major ripostait en colère qu’on devait chercher le Sauveur non dans les corps inanimés, mais dans ses paroles et dans les sacrements. Andréa dira plus tard que cette présence du Christ en toutes les créatures est un article de foi. Mais, ajoutera-t-il, « nous enseignons qu’il [le Christ] n’y est que d’une manière toute spirituelle et non pas comme si, dans toutes les créatures, il était présent en chair et en os, avec ses mains et ses jambes, comme la paille dans le sac ou le pain dans la corbeille. Une telle doctrine nous ferait horreur ; nous l’attribuer est une calomnie ». Dans Das Bericht von der Ubiquitàt an eine hohe fiirstliche Person gestellt, Tubingue, 1589.
Andréa eut finalement le dessus à Wittenberg : le « livre de Torgau » fut accepté dans le Wurtemberg, à Bade, Brunswick, Mecklembourg, Lubeck, Hambourg et Lunebourg, enfin à Magdebourg. Mélanchthon fut déclaré « hérétique et séducteur du peuple ». En Saxe, ceux-là même qui, au synode de Dresde en 1571, avaient protesté contre l’ubiquisme, acceptèrent pleinement cette doctrine : Rêvera omnia implet et ubique, non tantum ut Deus, verum eliam ut homo prœsens, dominatur a mari usque ad mare. Cf. Bellarmin, De Christo, t. III, c. i, n. 17. Par contre, la Poméranie rejeta l’accord de Torgau. Les deux ducs d’Holstein refusèrent de la signer ; les théologiens d’Anhalt protestèrent et, sous l’influence du landgrave Philippe, la Hesse lui fit une très vive opposition. Philippe s’opposa même à ce que l’université de Marbourg enseignât l’ubiquisme : « Je ne puis comprendre, disait-il, quelle sorte d’hommage nous rendons au Christ en admettant… que Jésus-Christ
habite personnellement dans le diable, que l’enfer est en Dieu et que le ciel n’existe peut-être pas… ; conséquences naturelles d’une première absurdité. » H. Heppe, Geschichte der hessischen Generalsynoden von 1568-1582, Cassel, 1847, t. i, p. 75-78.
Remanié à Berg (1577), le formulaire de Torgau continue à être combattu à outrance par le landgrave Guillaume IV de Hesse : « Par la doctrine de l’ubiquité et les horribles interprétations qu’on lui donne, dit celui-ci, l’homme du peuple, simple et crédule, n’est exposé à rien de moins qu’à tomber dans l’athéisme. Cf. H. Heppe, Geschichte des deutschen Protestantismus, t. iii, p. 271-290. Le prince fait publier une liste d’opinions contradictoires de Luther sur la Cène. Id., Geschichte der… Generalsynoden, t. i, doc, p. 81. A son tour, Joachim Ernest d’Anhalt attaque Andréa ; et Paul de Eitzen, surintendant général, déclare l’ubiquisme une « erreur grossière ». Cf. Pressel, Churfùrst Ludwig von der Pfalz und die Concordienformel, dans Zeitschrift für hisl. Théologie, neue Folge, t. xxxix, Gotha, 1868, p. 504-509.
3° L’ubiquisme mitigé.
1. Chemnitz. — Chemnitz
se pose en conciliateur des thèses opposées. Sans doute, il n’est pas parvenu à construire une véritable synthèse ; son enseignement sur la présence du Christ demeure un agrégat d’éléments disparates empruntés tant à Mélanchthon qu’à Luther et à Brenz. C’est dans le De duabus naturis in Christo, Wittenberg-Leipzig, 1578, qu’il développe (dès 1571) sa thèse. Il admet pleinement la formule aristotélicienne : propria non egrediuntur sua subjecta (p. 280) et en cela il demeure disciple de Mélanchthon. L’esse in loco appartient donc essentiellement à l’humanité du Christ. Mais, ce principe une fois posé, Chemnitz revient par un détour vers la thèse luthérienne. On conçoit très bien, dit-il en substance, que la nature humaine (en général) reçoive, à titre de dons infus et gratuits, une sorte de participation de la divinité, dans la mesure finie où elle en est capable. L’exemple proposé est celui de l’habitation de la divinité dans les âmes saintes (p. 263 sq.). À plus forte raison, en vertu de l’union personnelle, l’humanité du Christ, enhypostasiée dans le Verbe, peut recevoir en elle quelque chose des propriétés divines (lesquelles, en réalité, s’identifient avec l’essence divine) ; mais
— et c’est ici que Chemnitz se différencie de Brenz, tout en s’en rapprochant — elle les recevra, non à titre de possession essentielle, mais simplement comme un « don, d’ordre potentiel et dynamique » (p. 229 sq., 279, 328, etc.). C’est le Logos, dans l’unité duquel elle vit, qui lui communique son vouloir et son activité ; ainsi devient-elle l’organe même de ce vouloir et de cette activité, et il est impossible de séparer, même par la pensée, le Verbe de son union avec l’humanité : quæ unio adeo arcta, individua et insolubilis est, ut divina natura toC A6you ncc velit nec possit nec debeat extra hanc cum carne unionem, sed in arctissima itla unione cogitari, quirri aut deprchendi. La divinité ne s’identifie pas avec l’humanité ; elle se manifeste par elle. Pour exprimer cette union intime, Chemnitz revient avec prédilection sur la comparaison du fer incandescent plongé dans le feu (p. 305 et ailleurs). Il concède que, dans l’état de l’abaissement terrestre, le Christ, à son gré, a pu passer de la xévoxiii ; r ?, ç XP^oetoç à la xpû’^iç ttjç yprjæwc. tandis épie dans l’état de l’exaltation, la nature humaine jouit pleinement de la communication de la divinité. Mais là où Brenz avait dit : nature humaine divinisée, C.hemnitz rectifie : transdéifiée « .Cette conception permet à Chemnitz de maintenir la distinction dos deux natures ; mais, en même temps, Il croit pouvoir en déduire que le Christ, localement circonscrit dans sa nature humaine, devient, prnptcr utriusqur (nnturtr)
inter se prtesentissimam unionem et unitissimam præsentiam, potentionnellement omniprésent.
2. La formule de concorde de 1580. — Elle s’inspire visiblement (part. II, a. 7 et 8) des concessions de Brenz. Les termes en sont habilement rédigés pour établir un prudent compromis. Directement elle n’enseigne pas l’ubiquité du corps du Christ, mais seulement sa présence multipliée dans l’eucharistie et même multipliable au gré de la volonté divine (multi ou ubivoliprésence). À la vérité, elle ne manque pas d’attribuer à l’humanité du Christ, soit dans l’état d’abaissement, soit dans son exaltation, la pleine possession de la divine majesté ; mais des attributs divins, elle ne mentionne que la toute-puissance et l’omniscience, jamais l’omniprésence. Cf. J.-Th. Muller, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lutherischen Kirche, 11° éd., Gutersloh, 1912, p. 549, 680, 691, 692, 695. Si elle parle de l’omniprésence de Dieu, ibid., p. 548, 692, 695, jamais il n’est question de l’omniprésence de l’humanité du Christ, mais bien de sa présence « sur terre », « dans l’Église », « chez les croyants », présence réalisée grâce à la toute-puissance. Ibid., p. 672, 680, 691, 692, 695. Une seule fois on lit le texte, si souvent invoqué par les partisans de l’ubiquisme : omnia implet et ubique non tantum ut Deus, sed etiam ut homo præsens dominatur et régnât. Ibid., p. 680. Bellarmin a condensé la doctrine de la Formule de concorde en deux propositions, la première, tirée de l’art. 7, § 5 : « La droite de Dieu est partout et l’humanité du Christ est élevée jusqu’à elle » ; la seconde, tirée de l’art. 8, § 11 : « Dès la conception du Christ, son humanité a été élevée à la droite de Dieu ; aussi, même comme homme, le Christ est présent à toute créature. » Op. cit., c. i, n. 14 ; Symbolische Bûcher, p. 672, 676. On remarquera toutefois que prœsens ubique n’est pas l’équivalent de ubique, esse. D’ailleurs, une interprétation exagérée de l’ubiquisme est nettement rejetée à deux reprises. Symbol. Bûcher, p. 548, 695.
Il n’en reste pas moins vrai que la Formule semble indirectement approuver l’ubiquisme luthérien par les larges citations qu’elle emprunte aux écrits de Luther sur l’eucharistie, dans les phrases mêmes qui enseignent l’ubiquisme et l’esse replelive. On peut le voir également dans la doctrine de l’ « ubivoliprésence », ainsi que dans l’interprétation métaphorique de la droite de Dieu, uniquement considérée comme la majesté divine. Symbol. Bûcher p. 540, 546. Mais, à côté de ces assertions de portée générale, des concessions particulières faites à la terminologie de Chemnitz, de Luther et de Brenz montrent bien l’intention conciliatrice du document. Le problème comme l’indique Chemnitz lui-même dans sa souscription, est loin d’être résolu. Quoi qu’il en soit, « le réalisme de la communication des idiomes est conçu dans le document comme le fondement de l’ensemble de la christologie, en accentuant cependant l’intégrité des deux natures et de leurs propriétés, l’inaccessibilité de la nature divine aux propriétés humaines et la distinction des états. La Formule (de concorde) pourrait ainsi être accueillie comme du brenzianisme » adouci, à la manière d’Andréa ou comme du « mélanchthonisme » un peu forcé de Chemnitz. » Munzinger, art. Ubiquitât, dans Prot., Realenc, t. xx, p. 195.
4° Fin de la controverse.
Bien que la modération
de Chemnitz l’ait emporté dans la Formule de « Mi-Corde de 1580, l’ubiquisme intégral trouva encore pendant un certain temps d’ardents défenseurs, notamment les deux théologiens souabes, Léonard Hulter et Aeg. Hunnlus. Le premier reprend purement et simplement l’enseignement rigide de Brenz. Ii second est plus nuancé et semble s’inspirer de Chemnitz : il réclame pour l’humanité du Christ terrestre une présence intime, passive — præsentia intima — dans le Logos, présence qui la met en contact avec toutes choses. Mais cette présence intime s’extériorise et devient en quelque sorte active — prmsentia extima — dans l’état d’élévation de la nature humaine à la gloire. Cf. Steitz, art. cit. Transsubstanliatio und Ubiquilàt, p. 599 sq.
Trois écoles se partagèrent alors l’enseignement ubiquitaire. Les théologiens de Tubingue y apportaient une énergie qui ne reculait pas devant les conséquences extrêmes. Pour eux, l’omniprésence, comme les autres qualités divines, appartenaient à la nature humaine dès sa conception et le Christ n’en faisait usage qu’en secret, xpû+iç rîjç xpV ea> Ç-Ainsi, présent dans le sein de la Vierge localiter, il l’était aussi dans le sein de toutes les vierges, dans tous les hommes, femmes et enfants, mais non localiter, c’est-à-dire indistanter. Cf. A. Tholuck, Geist der Theologen Wittenbergs, Berlin, 1852, p. 14. Les théologiens de Giessen ne demandaient l’omniprésence pour le Christ qu’à partir de la glorification, c’est-à-dire de l’ascension. Jusque là, le Christ s’était dépouillé de ses qualités divines, xévaxjtç t^ç xpT)asoç. L’omniprésence n’est ainsi que la participation active de la nature humaine à l’omniprésence de la nature divine en vue du gouvernement du monde qui lui incombe, omniprœsentia modificata seu operosa. Enfin les théologiens d’Helmstœdt restreignaient l’ubiquité du Christ à une omniprésence respective. Le Christ pouvait, selon sa nature humaine, être présent là où il le voudrait ; il est présent actuellement là où il l’a promis et voulu, c’est-à-dire dans la Cène. Cf. Rocholl, Die Realprâsenz, Gùtersloh, 1875.
Ces dernières indications montrent comment les discussions sur l’ubiquité du corps du Christ étaient fatalement destinées à s’orienter vers le problème de la kénose et finalement à s’y résorber. Voir Kénose, t. viii, col. 2339.
Au début du xviie siècle, Georges Altenrath attaqua violemment l’ubiquisme dans son Catechismus ubiquisticus oder der ubiquistische Glaube von der Person CIwisti und vom M, Nachtmahl (s. d.). Il cite les étranges assertions des théologiens ubiquistes, Jean Parsimonius, Luc Osiander, Simon Paulus de Rostock, Jean Brenz (fils du vieux Brenz) et surtout Jacques Andréa. Il ridiculise la « grossièreté » et 1’ « abomination » de leur doctrine qui « mêle le corps de Jésus-Christ à toute créature » et le met « non seulement dans le pain et le vin de la Cène, mais aussi dans les morceaux de bois, les pierres, dans l’air, le feu, l’eau ; dans les pommes, les poires, le fromage, la bière » (Parsimonius) ; qui fait du Christ « un nouveau Protée » (Simon Paulus) ; qui place le Christ « dans toutes sortes de cuvettes de bière, gobelets, cordes de pendus, etc. » Andréa. Op. cit., p. 9-17. On a vu plus haut comment Andréa se défendait. Après la première moitié du xviie siècle, l’ubiquisme avait disparu de la scène théologique.
On ajoutera à la bibliographie déjà donnée à Hypostatique (union), t. vii, col. 547 : A. Ehrard, Dos Dogma vom hl. Abendmahl und seine Geschichte, 2 vol., Francfort-surle-Mein, 1845 ; Kahnis, Die Lehre vom Abendmahl, Leipzig, 1851 ; H. Heppe, Geschichte des deutschen Protestantismus im XVI. Jahrhundert, 3 vol., Gotha, 1857 ; Dieckhofî, Die evang. Abendsmahlslehre in der Reformationszeit, Gœttingue, 1854 ; H. Schmid, Der Kampf der luth. Kirche um Lulhers Lehre vom Abendmahl, Leipzig, 1868 ; Werner, Geschichte der apologetischen und polemischen Literatur der christlichen Théologie, Schafîouse, 1861-1867, t. iv, p. 621 sq., et surtout Walch, Historisch und theologisch Einleitung in die Religionsstreitigkeiten der evangelisch-lutherischen Kirche, Iéna, 1733-1739, part. IV, p. 63 sq., qui contient la liste des ouvrages publiés depuis 1585 sur la dispute des théolo giens du Wurtemberg avec ceux d’Helmstœdt… touchant l’ubiquité du Christ.
Adversaires protestants de l’ubiquisme. — Zwingle et Calvin, dans les ouvrages cités au cours de l’article ; Théodore de Bèze, De corporis Christi omnipræsentia, Genève, 1578 ; Bullinger, De duabus naturis Christi, Zurich, 1564 ; Pierre Martyr, Dialogus de loco corporis Christi. Loci communes, Heidelberg, 1603 ; Georges Altenrath, Catechismus ubiquisticus.
Controversistes catholiques. — Grég. de Valencia, Contra fundamenta duarum sectarum, ubiquetarise et sacramentariee, Ingolstadt, 1582, et Comment, in Sum. theol. S. Thomee, III », t. I, q. ii, part. III ; Busæus (Buys), Disputatio de persona Christi adversus ubiquetarios, Mayence, 1585 ; Bellarmin, Controv., de Christo, 1. III ; Becan, Manuale controversiarum hujus temporis, t. II, c. i, dans Opéra omnia, Mayence, 1649, t. n ; Th. Raynaud, Christus Deus homo, t. II, sect. iv, c. ii, dans Opéra omnia, Lyon, 1665, t. i, p. 147 sq. ; Suarez, De incarnatione (comment, sur la Somme théol.), disp. XXXII, sect. iv.