Dictionnaire de théologie catholique/TYPE

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 203-208).

TYPE. — Terme technique par lequel on désigne un personnage, un événement, une institution de l’Ancien Testament qui annonce un personnage, un événement, une institution du Nouveau : Adam est le type du Christ ; la traversée de la Mer Rouge par les Hébreux est le type du baptême ; le rite sacrificiel du bouc expiatoire est le type de la passion rédemptrice de Jésus.

I. Le mot et la chose dans le Nouveau Testament.

Le mot et ses synonymes.

Le mot « type » est la simple transcription du mot grec τύπος, qui n’est jamais traduit dans la Vulgate par typus. Nous indiquerons au passage les diverses traductions qu’en donne le latin.

Selon son étymologie τύπτω = frapper, τύπος est d’abord la trace matérielle laissée par un coup : « Si je ne vois dans ses mains, dit Thomas, le τύπος des clous (Vulg. : fixuram clavorum), je ne croirai pas. » Joa., xx, 25. C’est aussi une image façonnée, forgée, telles les idoles anciennes. Dans son discours aux Juifs, Etienne reproche aux vieux Hébreux les τύποι (figuras) qu’ils se sont faits à bien des reprises, pour les adorer. Act., vii, 43. De là l’idée d’un modèle matériel à reproduire. Se référant au texte de l’Exode, Ex., xxv, 40, le même Etienne parle du tabernacle que Moïse fit construire selon le τύπος (secundum formam) que Dieu lui avait montré sur le Sinaï. Act., vii, 44. Par extension le mot désignera un emblème, une figure qui donne à l’avance l’idée d’une chose future : Adam est expressément qualifié par saint Paul de τύπος τοῦ μέλλοντος (qui est forma futuri). Rom., v, 14. Nous sommes arrivés ainsi au sens technique que le mot « type » a pris dans le vocabulaire de l’herméneutique. Mais ce sens technique est lui-même quelque peu diversifié : « Les aventures des Hébreux dans le désert, explique saint Paul, doivent être pour nous des τύποι (in figura fada sunt nostri) et nous apprendre à réprimer nos concupiscences. » I Cor., x, 4-6. Et un peu plus loin : « Tout cela leur arriva τυπικῶς (avec une variante intéressante : ταῦτα δὲ πάντα τύποι συνέβαινον) (Hæc autem omnia in figura contingebant illis) ». Ibid., x, 11. Et l’apôtre d’ajouter : « Tout cela a d’ailleurs été consigné par écrit pour notre instruction à nous. » Comme on le voit, le mot a pris le sens d’enseignement moral, de leçon ; et c’est le même qui se retrouve dans Phil., iii, 17 : « Soyez mes imitateurs et ayez les yeux sur ceux qui marchent suivant le τύπος (formam) que vous avez en nous. » Et des Thessaloniciens Paul peut dire qu’ils sont une vivante leçon pour tous les fidèles d’Achale et de Macédoine : ὥστε γένεσθαι ὑμᾶς τύπον (ut facti sitis forma). I Thess., i, 7. Retenons en définitive ce sens de figure qui fait comprendre autre chose et aussi de leçon et d’exemple.

D’autres expressions néotestamentaires sont également employées pour désigner les leçons d’ordre intellectuel ou pratique que donnent les événements du passé. Parlant des règles lévitiques relatives aux observances alimentaires ou autres, Paul déclare que les fidèles n’ont plus à s’en préoccuper. Elles n’étaient que l’ombre de ce qui devait se réaliser, ἅ ἐστιν σκιὰ τῶν μελλόντων (umbra futurorum). Col., ii, 17. Il en est d’elles comme des cérémonies saintes, qu’observent encore, au temps où est écrite l’épître aux Hébreux, les prêtres de l’ancienne Loi. Ce culte n’est qu’une image (ὑπόδειγμα, exemplar) et une ombre (σκιά, umbra) du culte céleste. Heb., viii, 5. Aussi bien la Loi tout entière n’est qu’une ombre (σκιά, umbra) des biens futurs, elle n’en fournit pas une image adéquate (οὐκ αὐτὴν τὴν εἰκόνα, non ipsam imaginem). Heb., x, 1. Le tabernacle mosaïque n’était, somme toute, qu’une parabole (παραβολή, parabola), en vue du temps présent. Heb., ix, 9.

Signalons enfin l’expression, destinée elle aussi à devenir technique, et qui désigne la réalité qui correspond, dans la nouvelle économie de salut, à la réalité ancienne qui l’annonçait. Parlant de l’arche de Noé qui avait été pour ses huit occupants le moyen de sauvetage, Pierre compare à celui-ci son « antitype », le baptême, ὃ καὶ ὑμᾶς ἀντίτυπον νῦν σώζει βάπτισμα. I Petr., iii, 21. En d’autres termes, l’arche de Noé a comme « réplique », dans l’économie nouvelle, le baptême, seul moyen de salut spirituel, tout comme l’arche avait été l’unique chance de sauvetage matériel pour les contemporains de Noé. (La Vulgate est loin de rendre le sens précis du grec : Quod et vos nunc similis formae salvos facit baptisma.) On notera, d’ailleurs, que dans Heb., ix, 24, le même mot ἀντίτυπος a exactement la même signification que τύπος : « Le Christ n’est pas entré dans le sanctuaire fait de main d’homme ἀντίτυπα τῶν ἀληθίνων (exemplaria verorum). » Ce qui est qualifié ici d’ἀντίτυπα, c’est la réalité de l’Ancien Testament, à laquelle correspondent dans l’économie nouvelle des réalités plus substantielles.

La chose.

Affirmer l’existence dans l’Ancien Testament de faits, de réalités qui annoncent d’autres réalités, d’autres faits qui se sont produits dans l’économie nouvelle de salut, ce n’est pas faire autre chose que de professer l’unité de la révélation à travers les âges. Comme le dit l’admirable prologue de l’épître aux Hébreux : « Après avoir à bien des reprises et en diverses manières parlé à nos pères par les prophètes, Dieu, dans ces derniers temps nous a parlé par le Fils, qu’il a établi héritier de toutes choses et par lequel il a aussi créé le monde. » Heb., t, i, 2. Le même Dieu qui s’est révélé dans et par son fils, Jésus-Christ, et par celui-ci a enseigné aux hommes l’économie définitive de salut, ce même Dieu a préparé de longtemps cette révélation. Cette préparation s’est faite par des prophéties, plus ou moins explicites annonçant, en termes parfois très clairs, d’autres fois plus voilés, la manifestation de Dieu. Les nombreuses prophéties messianiques qui jalonnent tout l’Ancien Testament étaient le moyen le plus obvie de préparer le milieu où se révélerait un jour le Fils de Dieu. Elles attiraient l’attention de ceux qui les entendaient, de ceux qui, plus tard, les lisaient, sur la grande espérance que Dieu faisait briller dans un avenir plus ou moins proche. Mais elles n’étaient pas destinées seulement à encourager les espoirs ; l’événement réalisé, elles devenaient un signe. À constater l’accomplissement de ce qui avait été prédit, les âmes de bonne volonté trouvaient la certitude de la divine mission de celui qui avait été annoncé et dont la vie réalisait les diverses circonstances consignées dans les prophéties.

Mais il était un autre moyen pour la Providence de préparer la venue du grand Révélateur. C’était d’insérer dans l’histoire des traits plus ou moins nets, des ébauches plus ou moins appuyées, de ces grandes réalités qui, un jour, seraient proposées aux hommes. Tel personnage paraîtrait dont les traits individuels reproduiraient par avance certains aspects de la physiononomie du grand envoyé divin ; certaines institutions de salut seraient établies, telles que, à les considérer de près, elles seraient comme une esquisse de ce qui, plus tard, au jour des vraies réalisations, deviendrait le moyen normal de sanctification et de salut. À la vérité les témoins de ces faits, les usagers de ces institutions n’auraient guère l’idée d’en faire des sortes de prophéties ; ils apercevraient difficilement le caractère relatif de telles réalités et seraient tentés de n’y voir que ce qu’elles avaient d’absolu. Ce n’est pas à l’usage des bénéficiaires de l’économie ancienne que ces esquisses, que ces ébauches sont marquées ; c’est au bénéfice, comme dit Paul, « de nous autres, qui sommes venus à la fin des temps », I Cor., x, 11, qu’elles ont été crayonnées. Ayant sous les yeux la réalité, nous voyons comment celle-ci a été préparée, si l’on peut dire, par approximations successives et comment dans l’histoire de la révélation tout s’enchaîne. Pour le croyant — et cette constatation est bien faite pour confirmer sa foi — l’Ancien Testament, l’ancienne économie de salut contient en germe tout ce que fera apparaître au grand jour la révélation définitive : Novum Testamentum in Vetere latet, Vetus Testamentum in Novo patet.

Ainsi en raisonnait déjà Notre-Seigneur lui-même : « Vous scrutez les Écritures, disait-il aux Juifs, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; or, ce sont elles qui rendent témoignage de moi. » Joa., v, 39. Il ne s’agit pas seulement des prophéties explicites, mais bien de toute cette préparation que forme l’ambiance générale des Livres saints. Ailleurs, faisant allusion à l’épisode du serpent d’airain, Num., xxi, 9, Jésus disait à Nicodème : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de l’homme soit élevé, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » Joa., iii, 14, 15. Ou encore, aux scribes et aux pharisiens qui lui demandent « un signe » : « Cette race méchante et adultère, répond-il, demande un signe ; il ne lui en sera pas donné d’autre que celui du prophète Jonas : de même que celui-ci fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, de même le Fils de l’homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » Matth., xii, 39, 40. Poursuivant, d’ailleurs, son discours, il déclare « qu’il y a ici (c’est-à-dire dans son cas personnel) plus que Jonas, « qu’il y a ici plus que Salomon ». Jésus voit donc en ces diverses personnes et dans leurs gestes ou leurs paroles comme des anticipations de son personnage à lui-même ; affirmant d’ailleurs, dans la pleine conscience de sa dignité et de son rôle, sa supériorité sur elles. De même, voit-il dans l’action de Moïse dressant comme gage de guérison le serpent d’airain l’anticipation d’une autre réalité. À se tourner vers lui, pendu au gibet, les âmes éprouveront le même effet salutaire qu’éprouvaient dans leur corps les contemporains de Moïse quand ils se tournaient vers l’emblème érigé dans le désert.

Nourrie d’une méditation continue des Écritures, la pensée de Jésus apercevait dans celles-ci nombre de circonstances, de faits, de détails qui illustraient à l’avance son histoire à lui-même. À un degré moindre, il en était de même pour les disciples du Sauveur, surtout quand une fréquentation prolongée avec le Maître et la vue de ses actions eurent amené chez eux une foi parfaite à sa divine mission. À plusieurs reprises saint Jean fait remarquer que tel fait de la vie de Jésus qui, au premier moment, n’avait point frappé les apôtres, leur revint ultérieurement en mémoire et qu’ils le rapprochèrent de telle prédiction, de tel fait signalé par les Écritures. Cf. Joa., iii, 17. Dans la circonstance qu’au soir de la passion les soldats ne font pas subir au Christ le crurifragium qu’ils venaient d’infliger aux deux larrons, Jean voit l’accomplissement d’une prescription légale relative à l’agneau pascal, à qui l’on ne devait point rompre les os. Joa., xix, 36 ; cf. Ex., xii, 46 ; Num., ix, 12. Pour sommaire qu’elle soit, l’indication de l’évangéliste est précieuse. Dans l’agneau pascal, qui, d’après son comput, était immolé à l’heure même où le Christ expirait sur la croix, il voit une anticipation du sacrifice du Calvaire. Le précurseur, d’ailleurs, n’avait-il pas salué à l’avance dans Jésus de Nazareth « l’agneau de Dieu, celui qui porte sur lui le péché du monde » ? Joa., i, 29. Bien d’autres traits de la vie du Christ auraient pu être rapprochés de circonstances narrées par l’Ancien Testament. Comme Isaac était monté vers le lieu du sacrifice portant lui-même le bois de l’holocauste, Gen., xxii, 6, de même Jésus était parti pour le Calvaire, se chargeant de la croix, βαστάζων ἑαυτῷ τὸν σταυρόν. Encore qu’il ne soit pas fait explicitement par l’évangéliste, le rapprochement, à coup sûr, était dans sa pensée. Il ne serait pas malaisé de multiplier ces exemples.

Entraîné à l’étude systématique de l’Écriture, n’ignorant rien des ressources que fournissait aux scribes la comparaison des textes, Paul était, de tous les apôtres, celui qui était le mieux préparé à faire ces rapprochements entre les institutions, les personnages, les faits de l’ancienne économie et les réalités de la nouvelle. Arrêtons-nous seulement à deux de ces « leçons » qu’il tire de la considération de l’Histoire sainte. Comparant à grands traits le rôle joué respectivement dans l’humanité par le premier père et par le Sauveur, il n’hésite pas à voir dans Adam le « type de celui qui devait venir ». Rom., v, 14. Et l’expression « type », qui avait sans doute déjà dans l’usage rabbinique son sens technique, ne signifie pas que le premier Adam est, sous tous les rapports, une figure du deuxième. Il l’est en ce sens qu’il est pour l’humanité entière l’auteur de la vie physique comme le Christ sera pour tous les hommes le point de départ de la vie surnaturelle. Mais à côté de ce rapport par ressemblance il y a un rapport par opposition. À la désobéissance du premier Adam s’oppose la parfaite obéissance du second : la prévarication primitive fait régner la mort sur ceux-là mêmes qui n’ont pas péché personnellement ; la soumission parfaite du Sauveur fait, au contraire, abonder la grâce dans toute l’humanité. Rom., v, 12-19. En trois insistances successives, Paul se plaît à accentuer cette opposition. Cet exemple est très propre à montrer ce que l’apôtre entend par un type.

Et semblablement, la comparaison qu’il institue entre la double histoire des fils d’Abraham, Ismaël et Isaac, et l’histoire des « deux testaments ». Gal., iv, 21-31. On voit s’impliquer dans un même passage plusieurs images diverses. Les deux testaments ne sont pas seulement représentés par Ismaël, le fils selon la chair, et Isaac, le fils de la promesse ; ils le sont encore par le Sinaï d’une part (expressément relié au mont Sion sur lequel est bâti la Jérusalem terrestre) et les hauteurs de la céleste Sion, Jérusalem idéale à qui se rapportent les grandes promesses du Livre des consolations. Pour être tout à fait dans le goût rabbinique, ces transpositions ne laissent pas de nous surprendre quelque peu.

L’étude de l’Épître aux Hébreux montre une manière bien plus large et, en un certain sens, plus cohérente d’utiliser, à des fins d’apologétique, l’argumentation à partir des types. Il s’agit de convaincre des convertis du judaïsme qu’ils n’ont point à regretter les somptueuses cérémonies de leur ancien culte. Le sacerdoce aaronique qui est chargé de leur exécution est de beaucoup inférieur au sacerdoce dont a été revêtu le Christ. Celui-ci est prêtre « selon l’ordre de Melchisédech », comme l’annonçait à l’avance le psaume cx. Tablant sur cette donnée, l’auteur s’efforce donc de montrer dans ce personnage mystérieux, qui parait un instant dans l’histoire d’Abraham, un prêtre investi d’une dignité supérieure à celle du sacerdoce institué par Moïse. On notera d’ailleurs qu’il n’est point fait usage, dans la démonstration, de la nature des offrandes — le pain et le vin — présentées à Dieu par le roi de Salem. La seule chose qui soit mise en lumière, c’est la supériorité de Melchisédec sur Abraham et dès lors sur Lévi, son descendant, et sur tout le sacerdoce lévitique. Prêtre selon l’ordre de Melchisédec, comme dit l’oracle davidique, le Christ est donc honoré d’un sacerdoce supérieur à celui des fils de Lévi. Heb., iv, 14-vii, 19. Mais ce thème se transforme peu à peu en un autre assez différent. Ayant proclamé Jésus grand-prêtre, l’auteur est amené à méditer sur l’acte essentiel du sacerdoce, le sacrifice, sur la médiation que le sacrifice réalise entre Dieu et l’humanité. Pour mettre en bonne lumière ces deux points de vue, il étudie ces deux actes dans le rituel que ses lecteurs connaissaient, le rituel lévitique. Le cérémonial de l’Ancienne Loi, il le présente donc comme le prototype de l’acte sacrificiel offert par le Christ, c’est à savoir l’immolation de Jésus sur la croix, suivie par son entrée au sanctuaire céleste, où le prêtre éternel se constitue pour jamais médiateur entre Dieu et les hommes. Heb., viii, 1-x, 18. Menée avec beaucoup d’art et d’esprit de suite, la démonstration était bien de nature à faire impression sur des lecteurs fort au courant du rituel lévitique. Peut-être nous frappe-t-elle moins nous-mêmes. Mais il reste que la considération du cérémonial aaronique a inspiré à l’auteur quelques magnifiques développements sur le sacerdoce en général et sur le sacerdoce du Christ en particulier. Nulle part dans le Nouveau Testament l’exploitation du thème fourni par la méditation d’un « type » ne s’est faite plus heureusement et de manière plus systématique. Une institution fort complexe de l’Ancienne Loi devient ainsi le point de départ de considérations fort élevées sur un des faits les plus importants de l’histoire du salut.

D’ordre plus terre-à-terre sont les applications que fait à notre vie morale la Ire aux Corinthiens des aventures du peuple israélite au désert. I Cor., x, 1-12. Les malheurs subis par les incrédules et les rebelles sont pour nous une bonne « leçon » : « Ces choses ont été des figures de ce qui nous concerne, afin que nous n’ayons pas de concupiscences coupables comme ils en ont eu ». Ibid., 7. C’est beaucoup dire que de voir dans les châtiments réservés aux Hébreux des « types » au sens propre du mot.

En définitive, soucieux de ne pas couper la communication entre l’ancienne et la nouvelle économie de salut, le Nouveau Testament voit dans un certain nombre de faits et d’institutions du passé des moyens préordonnés par Dieu pour mettre en bonne lumière des faits et des institutions de la nouvelle histoire du salut.

II. Systématisation des données scripturaires et traditionnelles.

Élargissement par la Tradition de l’interprétation typologique.

La persuasion de la mutuelle dépendance des deux parties de l’Écriture était trop ancrée chez les premiers prédicateurs et les premiers écrivains chrétiens, pour qu’ils aient hésité à faire leurs et même à développer les vues du Nouveau Testament sur les « types » qui se découvraient dans l’Ancien. Aussi bien les besoins mêmes de la prédication et de l’enseignement leur en faisaient-ils une nécessité. Avant que se constituât le canon même du Nouveau Testament, dans les primitives communautés chrétiennes formées à partir des juiveries où a d’abord été annoncée la bonne nouvelle, ce sont les livres sacrés d’Israël qui servent à inculquer le nouvel enseignement. Bien que l’on soit mal renseigné sur l’ordre et la tenue générale de ces premières « synaxes », il est infiniment vraisemblable que, pour ce qui est tout au moins de leur première partie, elles se déroulaient sur un plan analogue à celui des réunions synagogales. En ces dernières la lecture et l’explication des Livres saints jouaient le plus grand rôle. Semblablement dans les assemblées chrétiennes et pendant quelque temps, l’Écriture de l’Ancien Testament demeurera le thème sur lequel se développera la prédication évangélique. C’est à partir de la péricope d’Isaïe sur les souffrances du « serviteur de Jahvé » que le diacre Philippe annonçait à l’eunuque éthiopien la mission rédemptrice de Jésus. Act., viii, 26-40. Ce thème et d’autres analogues ont dû être fréquemment exploités. Notre liturgie actuelle du samedi saint, qui a de profondes attaches dans la tradition, nous présente un raccourci des instructions préparatoires au baptême. Au moment même où ils vont être régénérés dans la fontaine baptismale, que lit-on aux candidats ? toute une série de passages de l’Ancien Testament, choisis de manière à récapituler l’enseignement reçu au cours des semaines de la préparation immédiate. Successivement défilent sous les yeux des « compétents » le tableau de la création, Gen., i, 1-31, ii, 1-2, mettant en évidence la grandeur créatrice de Dieu ; celui du déluge, Gen., v-viii, dont ils seront eux-mêmes sauvés par le baptême, cf. I Petr., tout de même aussi que les Hébreux traversèrent sans dommage la mer Rouge, Ex., xiv, 24-31 ; xv, 1. Le sacrifice d’Abraham. Gen., xxii, 1-19, si expressif du sacrifice de Jésus, lequel n’a pas plus été épargné par son père, qu’Isaac ne le fut par Abraham ; les grandes prophéties d’Isaïe et de Baruch annonçant la délivrance de la captivité et les splendeurs du nouvel Israël, Is., liv, 17 ; lv, 1-11 ; Bar., iii, 9-38 ; le sacrifice de l’agneau pascal, Ex., xii, 1-11, où saint Jean avait déjà vu une annonce de la passion du Sauveur ; l’histoire de Jonas, iii, 1-10, à laquelle Jésus lui-même avait fait allusion ; la grande allégorie des ossements desséchés qui reprennent vie à la voix d’Ézéchiel, Ez., xxxvii, 1-14 ; l’héroïque résistance à l’idolâtrie des jeunes Israélites de Babylone, Dan., iii, 1-24, bien propre à susciter des candidats au martyre.

Il suffit d’avoir présents à la pensée ces magnifiques textes scripturaires, pour imaginer la façon dont a pu se dérouler, à partir de l’Ancien Testament, la prédication chrétienne. Quand, peu à peu s’ajoutèrent aux livres de l’Ancienne Loi, les écrits racontant l’économie nouvelle, qui furent bientôt mis sur le même pied que les autres, on ne laissa pas de recourir aux anciennes méthodes d’exposition. L’Ancien Testament continua de jouer un rôle des plus considérables dans la formation religieuse, intellectuelle et morale des croyants. Et cela impliquait le recours à une exégèse qui ne se contentât point d’une simple exposition littérale, mais qui cherchât à dégager du texte les exemples, les leçons, les « types », propres à affermir la foi des auditeurs et à former leur conscience morale.

Les tentatives faites par la Gnose et surtout par le marcionisme pour dissocier complètement les deux économies de salut, loin d’ébranler les habitudes prises ne firent que rendre plus intime le sens de la solidarité entre les deux Testaments. Toutes les réfutations du gnosticisme et du marcionisme, de Justin à Tertullien en passant par Irénée, supposent que l’histoire sainte ne raconte pas seulement les faits et gestes d’Israël, mais qu’en une certaine manière elle esquisse par avance les traits majeurs de la nouvelle économie. La polémique avec les Juifs devait contribuer à des résultats analogues. Que l’on relise le Dialogue de Justin avec Tryphon, on verra que le philosophe-martyr, désireux d’établir la transcendance du christianisme, fait état non seulement des prophéties explicites, annonçant la substitution à la religion Israélite d’un culte plus universel, mais encore des indications que fournissent, dans le même sens, les faits et les institutions de l’Ancienne Loi. Cf. Dial., xli, sur l’offrande de fleur de farine prescrite en certains cas et qui est expressément donnée comme « la figure » de l’eucharistie.

Tout cela n’allait pas sans amener des exagérations. L’allégorisme va s’installer en maître dans le domaine de l’exégèse du Vieux Testament. En son principe l’allégorisme n’est pas autre chose que la recherche, dans les textes anciens, de ces types, de ces figures, de ces leçons, de ces exemples que le Christ et les apôtres en avaient tirés. Les Écritures, inspirées par Dieu, ont certainement une signification plus haute que celle qui ressort de la lettre même, elles proclament autre chose : ἄλλο ἀγορεύουσιν. Sans écarter l’histoire même que racontent les textes, sans décrier (au moins d’ordinaire) les institutions et les rites consignés dans la législation, on attachera beaucoup plus d’importance à leur signification figurée et, dès lors, à leur interprétation figurative. La grande affaire est de découvrir sous l’écorce de la lettre, laquelle importe peu, la vraie réalité que cette lettre esquissait et qui devait prendre consistance dans l’économie nouvelle. Mais, au lieu de se laisser guider par les exemples qu’avaient donnés le Christ, les évangélistes, les apôtres, on n’hésita pas, en bien des milieux, à se laisser emporter par les fantaisies de l’imagination. L’idée prédominante, en certains cercles, fut que tous les détails, même les plus minimes, du texte sacré, avaient quelque portée figurative, qu’il fallait trouver à tous les événements de l’histoire sainte une correspondance dans l’économie nouvelle, que les prescriptions les plus terre à terre en apparence de la législation mosaïque n’avaient de sens qu’en fonction des institutions, toutes morales, de la Loi nouvelle. Il s’agissait vraiment de « dire autre chose » que ce que fournissait le texte inspiré.

Nulle part cet état d’esprit ne pouvait mieux se développer qu’à Alexandrie où, depuis le temps de Philon (contemporain de Notre-Seigneur), l’allégorisme régnait en maître. À commenter allégoriquement les saintes Lois et non seulement la Loi proprement dite, mais l’ensemble de la Bible, Philon avait consacré toute son activité littéraire. C’était pour lui et pour toute l’école qu’il incarnait une nécessité de l’apologétique. Pour défendre la Bible contre les attaques des milieux païens, assez disposés à prendre avec ironie ou sarcasme les récits et les institutions de l’histoire juive, pour gagner au monothéisme Israélite des âmes que pouvaient rebuter tels détails singuliers ou même scabreux de ces récits, il s’agissait de montrer que l’ensemble du texte sacré recelait tout autre chose que ce que paraissait fournir une lecture superficielle. Sous l’histoire, sous la législation transparaissait une philosophie profonde, un système religieux qui dépassait de beaucoup les plus belles trouvailles des penseurs grecs. À plusieurs philologues de l’époque hellénistique, l’allégorisme avait déjà permis de donner des fables homériques une interprétation rationnelle. Le même procédé fut appliqué aux saintes Écritures par les Juifs alexandrins. La méthode d’interprétation allégorique était fondée. On voit en quoi elle se rapproche et en quoi elle diffère de la méthode d’interprétation typologique. Celle-ci est spécifiquement chrétienne, puisqu’elle pose en principe que l’Ancien Testament ne s’explique complètement qu’en fonction du Nouveau, tandis que des préoccupations toutes différentes ont donné naissance à l’apologétique juive d’Alexandrie. Juifs et chrétiens ont cependant ceci de commun : pour eux, l’essentiel est moins de comprendre la lettre elle-même de l’Écriture que ce que nous dérobe le texte. Pour les uns et les autres le Livre sacré devient un texte hermétique dont il s’agit, avant tout, de saisir la signification profonde.

L’école chrétienne d’Alexandrie ne pouvait qu’accueillir avec faveur des idées où la Tradition chrétienne se reconnaissait. Le plus illustre de ses représentants, Origène, sera aussi le champion le plus vigoureux de l’allégorisme. C’est tout spécialement dans les « homélies » qu’il prononce comme prêtre à Césarée de Palestine, qu’il faut chercher l’application complète du système. En quoi, d’ailleurs, il montre bien sa dépendance par rapport à la tradition ecclésiastique. Au vrai qu’importe, pour la formation religieuse des fidèles, la « vérité historique » des narrations de la Genèse, de Josué, des Juges, des Rois, ou le minutieux exposé de la législation contenue dans l’Exode, le Lévitique et les Nombres ? Ce qui compte, c’est de tirer de tout cela des leçons d’ordre dogmatique et moral ; à quoi excelle notre exégète. Le sens « charnel » n’importe guère, le sens « spirituel » est tout. Sans doute le premier est-il la base du second. Mais, à bien des reprises, le grand exégète laisse tomber définitivement le sens littéral ; à vouloir le maintenir, pense-t-il, on se heurterait à bien des choses qu’il est impossible d’admettre, σχἀνδαλα χαἱ προσχόμματα ἀδύνατα. Il ne faut donc retenir que le sens spirituel. Ce sens peut bien être dit typologique — encore qu’Origène, nous semble-t-il, n’emploie pas ce mot technique — puisqu’il cherche avant tout, sous la lettre, les leçons, les exemples, les vérités qui peuvent servir à l’édification du chrétien. Mais cette typologie n’est qu’un cas particulier de l’allégorie, cette dernière consistant essentiellement à mettre sous la lettre autre chose que celle-ci ne présente pas au premier aspect : ἄλλο ἀγορεύειν. Le tort d’Origène et de tous ceux — ils sont légion — qui l’ont aveuglément suivi a été, délaissant résolument le sens littéral et historique, d’avoir retenu de manière presque exclusive le sens allégorique ; il a été également de vouloir trouver à tous les détails les plus minimes en apparence du texte une signification typologique, à la recherche de laquelle l’imagination s’est donnée libre carrière. L’allégorisme outrancier de l’École d’Alexandrie n’a été que la regrettable exagération du typologisme initial de la tradition chrétienne.

Directe ou indirecte, l’influence d’Origène et de son école fut énorme. Toute l’Église d’Occident l’a subie plus ou moins consciemment ; par saint Hilaire, par saint Ambroise, par saint Jérôme, elle s’est imposée à Augustin et par ce dernier à la tradition occidentale tout entière. Au seuil du Moyen Âge, le pape saint Grégoire le Grand en est profondément touché et son adhésion, qui est totale, prolongera pendant des siècles le retentissement de la méthode alexandrine d’interprétation scripturaire. Il faut attendre la Renaissance du xvie siècle et l’humanisme pour percevoir les premières critiques qui lui soient adressées.

En Orient au contraire l’allégorisme alexandrin rencontra, d’assez bonne heure, une vive opposition. Elle part d’Antioche, sans qu’il soit possible de dire si elle provient de l’école exégétique qui se formait, dans cette ville, autour du martyr Lucien, aux dernières années du iiie siècle. Cent ans plus tard, en tout cas, cette réaction a trouvé ses maîtres en Diodore de Tarse et en Théodore de Mopsueste, qui seront les chefs de file reconnus de l’école exégétique d’Antioche. L’un et l’autre, en des ouvrages théoriques avaient critiqué les modes d’interprétation scripturaire en usage à Alexandrie et proposé leurs vues sur la véritable manière. Ces livres ont disparu, et des commentaires mêmes de Diodore il ne reste que des fragments peu utilisables. En dépit de mutilations considérables, l’œuvre exégétique de Théodore nous reste accessible et nous donne de ses doctrines sur le sens et l’interprétation de l’Écriture une idée suffisante. Voir l’article Théodore de Mopsueste, ci-dessus, col. 248-254. L’Exégète s’est efforcé, somme toute, de faire le départ entre l’interprétation allégorique, qu’il écarte résolument, et l’interprétation typologique, qui est légitime. Si la grande affaire, pour l’exégète, est de saisir au mieux le sens littéral de l’Écriture, l’obligation n’en reste pas moins pour lui de relever dans l’Ancien Testament tout ce qui prépare, annonce, présage l’économie nouvelle de salut. L’existence dans l’histoire sainte de « types » au sens le plus net du mot est pour Théodore une vérité incontestable et un principe essentiel d’herméneutique. Mais, dans la découverte et l’exploitation de ces types, on ne saurait procéder avec trop de prudence. Ce n’est pas à l’imagination qu’il faut s’en remettre, mais à une considération attentive de la réalité signalée par l’Ancien Testament et de la contre-partie qu’on trouve à celle-ci dans le Nouveau. Ce n’est pas sur des rapprochements fortuits ou fugitifs entre des « mots » du texte ancien et des expressions du nouveau qu’il faut tabler, mais sur une étude d’ensemble du personnage, de l’événement, de l’institution signalés par l’Histoire sainte et de ce que l’on croit leur correspondre dans notre narration du salut. Avant tout il faut se laisser guider par les indications des auteurs néotestamentaires. Ce n’est pas sans raison que le Christ se compare à Jonas, que Jean-Baptiste salue dans Notre-Seigneur l’agneau qui porte le péché du monde, que Paul voit dans le Sauveur une réplique du premier Adam. Ces indications fournissent des points de départ à une étude plus poussée. Ajoutons que Théodore ne s’est pas senti fort gêné par ces restrictions. Pour retrouver dans des personnages, dans des situations, des institutions de l’Ancien Testament des types de l’avenir il s’est fondé surtout sur sa connaissance approfondie de l’histoire biblique. Un certain nombre de faits très importants de cette histoire ont spécialement attiré son attention : sortie d’Egypte, captivité de Babylone, restauration en Terre sainte, insurrection machabéenne, qu’il a retenus pour en faire des centres de perspective d’où la lumière se répand sur toute l’économie de salut. Ce n’est pas le lieu d’établir ici le bien fondé de ses dires. Retenons seulement que, loin d’éliminer le sens typologique, il lui a donné dans son exégèse une importance considérable. Le mot de « type » dans le sens restreint et technique où il l’emploie était déjà en usage avant lui. Saint Jérôme l’a rapporté de son séjour en Orient et l’a introduit tel quel en latin. Cf. In Os., ii, 1, 2, P. L., t. xxv, col.916, où il est parlé de ceux qui typi fuerunt Domini Salvatoris. Mais c’est incontestablement Théodore qui a vulgarisé l’emploi du terme, fait la théorie du sens typologique, a bien discerné l’emploi de ce mode d’interprétation de l’allégorisme pur et simple, montré enfin par la pratique l’usage qu’il convenait d’en faire.

Systématisation des données de l’Écriture et de la Tradition.

Nous allons la présenter sous forme de quelques brèves conclusions, qui reprendront partiellement ce qui a été dit plus haut.

1. Allégorisme et typologie.

L’allégorisme a mauvaise presse aujourd’hui, non seulement parmi les exégètes libéraux, mais chez des critiques ecclésiastiques mêmes. Il ne faudrait pas que la typologie ou recherche du sens typique fût entraînée dans la même défaveur. L’essentiel est donc de bien distinguer entre deux. Or, la typologie est une forme de l’allégorisme, mais l’allégorisme est quelque chose de beaucoup plus vaste que la typologie. Il consiste essentiellement à chercher sous la lettre scripturaire autre chose que ce que signifie celle-ci, soit que l’on conserve le sens littéral, soit que, comme il est arrivé parfois, l’on en fasse bon marché. La typologie pose comme premier principe la conservation du sens littéral ; ce sens littéral est la donnée essentielle et son intelligence aussi exacte que possible est la loi suprême de l’exégèse. Ce sens littéral, qu’il s’agisse de la narration d’un fait, de la description d’un rite, du portrait d’un personnage peut, en certains cas, mais non pas toujours indiquer une réalité différente de celle qui ressort du texte même ; une association d’idées se crée entre le sens primitif et un sens dérivé. Le fait, le personnage, l’institution est évocateur d’une autre réalité, dont l’apparition a été plus ou moins postérieure à la réalité première. Mais — et ceci il importe de le remarquer — cette association d’idées est voulue par l’auteur principal de la Bible, c’est-à-dire par Dieu inspirateur de l’hagiographe. On n’admettra comme véritables

« types » que les réalités de l’Ancien Testament, dont il

est clair, par preuves péremptoires, qu’elles sont une préfiguration des réalités du Nouveau. Ces preuves ressortent soit des indications mêmes fournies par l’Écriture elle-même, soit d’une étude attentive des cas particuliers. Même établi ce rapport de préfiguration, il conviendra d’être sobre dans les rapprochements que l’on établit entre « type » et « antitype ». Il ne s’agit pas de s’arrêter à tous les menus détails mais bien plutôt de se laisser guider par la considération de l’ensemble. Que les sacrifices de l’Ancienne Loi, par exemple, aient valeur d’annonce prophétique et de figure par rapport au grand sacrifice de l’économie nouvelle, tout croyant l’acceptera ; ce n’est pas une raison pour éplucher tous les détails du rituel lévitique et pour leur découvrir une contre-partie dans les circonstances les plus diverses de la passion du Sauveur. En définitive, la typologie est un allégorisme très modéré, très prudent, attentif à ne rien avancer qui ne se puisse prouver. Faute de quoi elle tomberait dans les excès de ce que l’on a appelé le figurisme. Voir ce mot, t. v, col. 2999.

2. Réalité du sens typique.

La condamnation sans appel de l’allégorisme a amené, de la part des critiques indépendants, le rejet quasi absolu de la typologie. Il faut en appeler de ce jugement sommaire. L’existence dans l’Ancien Testament de « types » ou « figures anticipées » des réalités de l’économie nouvelle est précisément ce qui fait l’originalité de la sainte Écriture par rapport aux livres ordinaires. Cette originalité tient au fait que la Bible a Dieu pour auteur principal. Maître des événements, d’une part, et les disposant de telle sorte qu’ils réalisent ses desseins, la Providence peut fort bien avoir arrangé les choses pour qu’elles soient à l’avance une première ébauche, une première esquisse de réalités plus hautes, qui ne devaient se produire qu’ultérieurement. Maître, d’autre part, de l’activité littéraire de l’hagiographe, Dieu peut inspirer à celui-ci telle rédaction qui fasse jusqu’à un certain point transparaître dans les récits du passé les grandes choses que Dieu réserve pour plus tard. En bref, l’existence d’un sens typique repose sur l’unité d’auteur de la Bible et sur l’unité de sujet. Admettre la typologie, c’est avoir, comme nous l’avons dit, le sens de la liaison entre les deux Testaments. On comprend dès lors cette phrase d’un théologien-exégète, résumant l’idée traditionnelle : Sine fidei detrimento typos, sensumque typicum non posse negari. R. Cornely, Introductio generalis in libros sacros, Paris, 1894, p. 558.

3. De quelques divisions introduites dans le sens typique.

Les théoriciens du sens typique ont introduit dans celui-ci les divisions que la théologie scolastique avait établies dans ce qu’elle appelait le « sens spirituel », lequel se confond plus ou moins avec le « sens allégorique ». Il y aurait ainsi des « types prophétiques », des « types anagogiques », des « types tropologiques », les premiers préfigurant et annonçant les réalités de l’économie nouvelle : l’acte de Melchisédech annonce le sacerdoce du Christ ; les seconds faisant penser aux réalités célestes : la Jérusalem dont l’Apocalypse xxi, 1 sq., décrit la descente sur la terre est l’image des splendeurs et des béatitudes du ciel ; les troisièmes nous invitant à une moralité plus haute : les aventures des Israélites dans le désert nous sont une leçon de modération et de soumission à Dieu. C’est peut-être beaucoup raffiner. Tout d’abord on est bien tenté de bloquer « sens anagogique » et « sens tropologique ». Dans l’un comme dans l’autre, il s’agit de trouver dans l’Écriture une règle de vie. Nous avons dit abondamment que les Pères ne s’étaient jamais privés, à la suite de saint Paul, de trouver dans les saints Livres de multiples leçons, que celles-ci y aient été mises explicitement par Dieu ou que l’ingéniosité des prédicateurs les en aient tirées. Le mot

« type » du grec doit se traduire alors par « exemples »,
« leçons », et c’est bien exactement ainsi que parle

l’apôtre. Même dans ce cas, y a-t-il vraiment cette correspondance entre des événements du passé et des réalités de l’économie nouvelle qui justifierait l’usage du terme technique de type ? On en pourrait douter. Disons simplement, que, suivant le mot de Paul à Timothée : « Toute Écriture est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour former à la justice. » II Tim., iii, 16. Pour nous, il faudrait restreindre la signification du mot « type » à ces sortes de prophéties en action que constituent les personnages, les actions, les institutions rapportés par l’Ancien Testament et qui annoncent, de manière voilée, les divines réalités qu’a manifestées l’économie nouvelle.

Se reporter aux introductions générales à l’Écriture sainte. Voir en particulier R. Cornely, dans le Cursus Scripturæ sacræ des Jésuites allemands, vol. i, Introductio generalis, t. I, Introductio generalis in utriusque Testamenti libros sacros, Paris, 1894, p. 552-566.

Voir encore, ici même, l’art. Testament (Ancien et Nouveau), §. Interprétation de l’Ancien Testament, ci-dessus, col. 188 sq., et les art. Alexandrie (École chrétienne d’), t. i, col. 814-815 ; Origène, t. xi, col. 1507-1508 ; Philon, t. xii, col. 1444 ; Antioche (École théologique d’), t. i, col. 1436 sq., et surtout Théodore de Mopsueste, t. xv, spécialement col. 248-255.

É. Amann.