Dictionnaire de théologie catholique/NESTORIENNE (Eglise) XII. Théologie de l'Eglise nestorienne

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 11.1 : NAASSÉNIENS - ORDALIESp. 151-164).

XI. La théologie de l'Église nestorienne.

L'Église dont les chapitres précédents ont décrit l’activité extérieure n’a pas été moins remarquable dans son activité théologique. On voudrait montrer ici, très brièvement, ce que fut celle-ci, tout particulièrement aux belles époques. Comme de juste, c’est la christologie de l'Église nestorienne qui retiendra l’attention ; les autres questions théologiques seront seulement indiquées quand les solutions, données par les docteurs orientaux, s'écartent de celles de l'Église romaine. Ces points sont d’ailleurs peu nombreux. Quelques observations préliminaires s’imposent auparavant sur les sources de nos renseignements et sur les caractères généraux de la théologie nestorienne.

I. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. —

1° Sources de nos renseignements. —

Elles sont constituées par deux ordres de documents : d’une part, les textes officiels de l'Église nestorienne, d’autre part, les commentaires qu’en donnent les théologiens.

1. Textes officiels : symboles et livres liturgiques. — Comme toutes les Églises, celle-ci a été amenée, en diverses circonstances, à exposer sa foi soit pour couper court à certaines innovations qui en menaçaient la pureté, soit pour préciser sa position par rapport à d’autres groupements.

A ce point de vue, le Synodicon orientale, ou Recueil des synodes nestoriens, publié par J.-B. Chabot en 1902, dans la collection Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, t. xxxvii, constitue un recueil infiniment précieux. Compilé vers la fin du viiie siècle, sous le pontificat de Henaniso' II voir col. 278, il contient en une rédaction plus ou moins détaillée les actes d’une douzaine de conciles, voir col. 287, où l'épiscopat nestorien, groupé autour du catholicos prend, pour la défense de la foi, des mœurs et de la discipline, les mesures qui lui paraissent indispensables. — Nous ne possédons aucun document de cette valeur pour les périodes qui suivent. Quelques lettres, émanant de divers catholicos se sont conservées, dont les plus importantes sont celles de Timothée I er. Enfin, depuis le moment où des relations se sont nouées avec Rome, c’està-dire depuis le xme siècle, les autorités de l'Église nestorienne ont été amenées à expliciter leur enseignement pour le comparer à celui de l'Église catholique ; elles ont été amenées aussi à souscrire des professions de foi imposées par Rome. Tous ces textes jettent un jour plus ou moins vif sur les doctrines propres des nestoriens. On en trouvera un certain nombre dans S. Giamil, Genuince relationes inter Sedem Apostolicam et Assyriorum orientalium seu Chaldxorum Ecclesiam, Rome, 1902.

Les livres liturgiques d’une Église expriment aussi, à leur manière, les croyances officielles ; le recensement des textes liturgiques nestoriens sera fait plus loin. Au tome n de son ouvrage déjà cité, The neslorians and their rituals, Londres, 1852, G. P. Badger a fait, avec beaucoup de soin, le dépouillement de ces livres, des prières et surtout des homélies qu’ils contiennent, en vue d’en tirer un exposé complet des doctrines nestoriennes. H faut regretter que cet ecclésiastique anglican ait cru devoir choisir comme cadre de son exposé les Trente-neuf articles de son Église, auxquels il compare successivement les données extraites par lui des livres liturgiques. Cela donne aux chapitres qui traitent des points doctrinaux contestés à l'époque de la Reforme ÏJ0

un air de plaidoyer en faveur des dogmes de l'Église établie. Ainsi des chapitres sur l’usage de l'Écriture sainte et son interprétation, sur le libre arbitre, la justification, les œuvres, l'Église, les conciles, le purgatoire, les sacrements et particulièrement l’eucharistie, le sacrifice de la messe, le mariage des prêtres, etc. Cela nuit un peu à la sérénité d’un exposé qui devrait être plus objectif. Cette remarque faite, il n’est que juste de signaler les services que ce livre peut rendre au théologien, surtout dans les chapitres relatifs aux doctrines sur lesquelles il y a accord entre théologie anglicane et théologie catholique.

2. Théologiens.

Sur la place considérable qu’occupe la théologie dans la littérature nestorienne, voir ce qui a été dit plus haut. Il s’en faut d’ailleurs que l’ensemble des œuvres théologiques nestoriennes se soit conservé. Bien des livres dont le catalogue d'Ébedjésus nous donne le titre ont disparu sans laisser de traces. Puis des ouvrages importants, actuellement connus en manuscrit, ne sont pas encore publiés ; plusieurs de ceux qui sont publiés ne sont pas encore traduits. Tout ceci explique que l’on ne puisse donner à l’heure présente qu’une esquisse sommaire, forcément incomplète et qui peut être inexacte en plusieurs points, de la théologie nestorienne.

Sous le bénéfice de ces remarques, voici les théologiens auxquels nous avons demandé nos renseignements : Narsaï le Lépreux, voir ci-dessus, col. 26 sq. — Babaï le Grand, fin du vie siècle, auteur d’un Traité sur l’union (des natures en Jésus-Christ), publié et traduit en latin par A. Vaschalde, dans le Corp. script, christ, or., Script, sur., ser. II, t. i.xi. Sur ce Remarquable théologien, voir les articles deV. Grumel, Un théologien neslorien, Babaï le Grand, dans Échos d’Orient, 1923, t. xxii, p. 153-181, 257-280 ; 1924, t. xxiii, p. 9-33, 162-177, 257-274, 395-399. — Le catholicos Iso’yahb III, milieu du viie siècle, dont le recueil de lettres est extrêmement précieux, publiées et traduites par Rubens Duval, ibid., t. lxiv. — Contemporain de ce catholicos, l'évêque Sahdonâ (appelé aussi Martyrios)représente, dans l'Église perse, la tendance chalcédonienne, qui lui valut d’ailleurs de multiples désagréments. Quelques textes provenant de lui sont publiés et traduits en allemand dans îi.Goussen, Marlyrius-Sahdona’sLebenundWerk, Leipzig, 1897. — Du catholicos Timothée I er, viiie -ixe siècle, il s’est conservé un recueil de lettres, dont plusieurs ont la dimension d’un véritable traité ; texte et traduction latine d’une partie par O. Braun, dans le Corpus déjà cité, sér. 1 1, t. lxvii. — Son contemporain Théodore bar Koni a laissé un livre de Scolies, où il y aurait à glaner. Édit. Addai Scher, ibid., t. lxv et lxvi. — Dans la seconde moitié du xe siècle, Georges d’Arbèles fait plutôt figure de canoniste et de liturgiste. Il y a à prendre néammoins dans l’Exposition des offices ecclésiastiques qui lui est attribuée, sans beaucoup de certitude : texte et trad. lat. par R. H. Connolly, ibid., t. xci, xcn. — De peu postérieur, Élie bar Sinâyâ, métropolite de Nisibeà partir de 1008, a laissé un Livre de la preuve de la vérité de la foi, en arabe, qui expose à un melkite le bien-fondé de la théologie et de la terminologie nestoriennes, ouvrage systématique et intéressant ; trad. allemande dans L. Horst, Des Metropolitan Elias vonNisibis Buch vom Beweis der Wahrheit des Glaubens, Colmar, 1886. — Moins théologique, le Livre de l’abeille de Salomon de Bassorah, xiue siècle, donne un aperçu des croyances populaires et de leur expression ; texte syriaque et trad. anglaise par E. A. Yallis Budge, dans Anecdota Oxoniensa, semitic séries, t. i b, Oxford, 1886. — A la fin du xiii c siècle, toute la science ecclésiastique de l'Église nestorienne se retrouve chez Ébedjésus, le métropolite de Nisibe. Le Livre de la perle sur la vérité de la foi est un bon abrégé de l’en DICT. DE THÉOL. CATH.

semble de la théologie ; texte syriaque et trad. latine dans A. Mai, Scriptorum veterum nova colledio, t. x b, p. 317-311. 312-366. — Sur le livre de la Tour de Mari Ibn Sulayman, voir les indications données ci-dessus, col. 280 ; sur le livre de même nom d’Amr ibn Mattaï, voir col. 284.

2° Caractères généraux de la théologie nestorienne, — ("e qui frappe d’abord quand l’on parcourt d’affilée les divers documents, officiels ou privés, que nous venons d'énumérer, c’est la persistance, pendant des siècles, des mêmes formules stéréotypées, des mêmes arguments, des mêmes pensées. On a l’impression d’une doctrine fixée dans le cours du ve siècle et qui n’a plus guère subi de développements sensibles. Dans le domaine de la littérature latine, un théologien tant soit peu exercé n’a pas de peine à distinguer de prime abord un texte du ve siècle d’une production du xii c siècle, celle-ci d’une œuvre théologique du xvie. Ici, au contraire, la discrimination est à peu près impossible entre des textes d'âge fort différent.

Ce caractère essentiellement conservateur lient d’une part à la forte organisation qu’ont eue les écoles théologiques aux plus beaux temps de la théologie nestorienne (voir col. 268 sq.), et d’autre part, au soin qu’a pris, à ces moments, l’autorité ecclésiastique d’imposer l’adhésion de tous à un seul docteur, qui est vraiment le « docteur propre » de l'Église nestorienne. Que l’on imagine la théologie catholique se développant exclusivement sous le contrôle des thomistes, sans le contrepoids des écoles rivales, et l’on aura quelque idée de ce que put être la théologie nestorienne.

Or le « docteur » de l'Église nestorienne. c’est Théodore de Mopsueste ; si l’on ajoute parfois à son ne m ceux de Diodore de Tarse et de Nestorius, c’est pour autant que le premier fut l’inspirateur de sa pensée, le second l’interprète fidèle de son enseignement. Cette adoption de Théodore remonte aux temps de l'École d'Édesse, (ci-dessus, col. 267) ; et, quand Y École des Perses est transférée à Nisibe, elle transporte en territoire sassanide la vénération, poussée jusqu'à l’idolâtrie, à l’endroit de 1' « Interprète ». Rares furent les tentatives de secouer le joug. Une seule a sérieusement compté, celle de Hênânâ d’Adiabène, directeur de l'école de Nisibe, de 572 à 610. Voir ci-dessus, col. 268. Pour s'être écarté de Théodore, Hënânâ s’est vu imputer les pires erreurs, et, pendant plus d’un siècle, il sera représenté par les nestoriens orthodoxes comme fauteur des doctrines origénistes (telles qu’on les entendait au vie siècle), comme fataliste, presque comme manichéen. Les livres composés par lui contre « l’Interprète' » furent anéantis sans laisser de traces. Cette petite insurrection donna, d’ailleurs, aux autorités officielles l’occasion de canoniser définitivement la doctrine et les écrits de Théodore. Le synode d’Abâ I er en 544 avait déjà déclaré que « le sentiment des évêques d’Orient, au sujet de la foi de Nicce. était celui qui avait été proposé par le saint ami de Dieu, le bienheureux Mar Théodore, évêque et interprète des Livres saints ». Synod. orient., p. 550, trad., p. 561. Le synode d’Iso’yahb I er en 585 va beaucoup plus loin : « Nous définissons qu’il n’est permis à aucun homme, à quelque ordre ecclésiastique qu’il appartienne, de diffamer ce docteur de l'Église, en secret ou en public, ni de rejeter ses saints écrits, ni d’accepter cet autre commentaire (celui de Hënânâ) qui est étranger à la vérité… Quiconque osera agir, en secret ou en public, contrairement à ce que nous avons dit et écrit ci-dessus sera excommunié, jusqu'à ce qu’il vienne à résipiscence et devienne le disciple sincère des maîtres contre qui il a déblatéré. » Synod. orient., p. 138. trad.. p. 400, Et, en tête de son exposé de la foi. le synode de Sabriso' I er, en 596, déclare : « Nous recevons (cette foi)

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exactement dans le même sens que nos saints Pères, exposé par l’illustre entre les orthodoxes, le bienheureux Théodore d’Antioche, évêque de la ville de Mopsueste, l’interprète des divines Écritures. » Synod. orient., p. 197, trad., p. 457-458 ; cf. synode de Grégoire I er, en 605, ibid., p. 210-211, trad., p. 475-476. Les trois docteurs « œcuméniques », Diodore, Théodore et Nestorius, « illustre entre les martyrs », apparaissent liés, en un funiculus triplex dans les discussions du martyr Georges contre les « théopaschites. » Même recueil p. 628-629.

Même autorité prépondérante de Théodore dans la question du canon des Livres saints, de l’autorité différente qu’il faut attribuer aux diverses catégories d’écrits sacrés, de l’interprétation qu’il convient d’en donner. Sur ces divers points on ne comprend, complètement l’attitude de l’Église nestorienne, au moins durant les premiers siècles, qu’en se reportant aux idées de l’Interprète. Pour nous en tenir à la seule question du canon, rappelons que Théodore, outre l’exclusive qu’il avait portée contre la plupart des deutérocanoniques de l’Ancien Testament (il reconnaissait pourtant Baruch et l’Ecclésiastique) avait rangé en une catégorie particulière, sinon exclu du canon, les Chroniques, Esdras, Job et le Cantique. Quant au Nouveau Testament, il rejetait les épîtres de Jacques et de Jude, la Ha Pétri, la Ha et la II la Johannis, enfin l’Apocalypse. Cf. L. Pirot, L’œuvre exégétique de Théodore de Mopsueste, Rome, 1913, c. iv, p. 121-156. Il faut reconnaître d’ailleurs avec ce critique que, ce faisant, Théodore se conformait aux habitudes de l’Église syrienne des iiie et ive siècles qui ont grandement influé sur lui. Rien d’étonnant donc que l’Église nestorienne se soit cramponnée longtemps aux décisions de Théodore. Le synode de 585, dont il vient d’être question, maintient l’appréciation assez défavorable portée par l’Interprète sur le livre de Job, p. 138, trad., p. 399. Et Timothée I er, au début de ixe siècle, mettait encore une différence entre les Chroniques et Esaras d’une part et d’autre part le reste de l’Ancien Testament. Voir Pirot, ibid, p. 125-126. Au xine siècle cependant, le canon scripturaire s’est bien rapproché de celui de l’Église universelle. La catalogue d’Ébedjésus s’ouvre par une description des livres de la Bible ; or le catalogue de l’Ancien Testament, outre qu’il contient tous les protocanoniques sur lesquels Théodore avait élevé des doutes (Parai., Esdr. I et II, Job, Cant.) signale aussi tous les deutérocanoniques, avec cette particularité toutefois que le « Livre des Machabées » se trouve relégué au milieu des compositions nettement apocryphes, qui terminent la liste. Quant au catalogue du Nouveau Testament, il se montre beaucoup plus aberrant, puisque, en fait de deutérocanoniques, il ne connaît que les trois épîtres catholiques de Jacques, de Pierre et de Jean, laissant dès lors de côté Jude, la Ha Pétri, les deux petites épîtres de Jean et l’Apocalypse. Texte dans Assémani, Bibl. orient., t. ni a, p. 5-12 ; voir aussi les remarques de celui-ci. t. m b, p. ccxxxvii. Sur cette question assez compliquée du canon des Syriens voir : Th. Zahn, Das’eue Testament Theodors von Mopsuestia und der ursprùngliche Kanon der Syrer, dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1900, t. xi, p. 788-806 ; W. Bauer, Der Apostolos der Syrer in der Zeil von der Mitle des 4. Jahrhunderts bis zur Spaltung der syrischen Kirche, Giessen, 1903 ; L. Dennefeld, Der A. Thche Kanon der antiochenischen Schule, Fribourg-en-B., 1909 = Bibl. Studien. t. xiv, fasc. 4.

Il ne faudrait pas croire cependant que l’Église nestorienne n’ait pas connu d’autres docteurs que Théodore. A un moment donné, devant les attaques des jacobites et même des chalcédoniens (il semble bien, que Sahdônâ ait été rallié au ehalcédonisme strict)

elle a éprouvé le besoin de montrer que sa doctrine, celle de l’Interprète, était en conformité avec celle des Pères antérieurs aux controverses christologiques. Des dossiers de textes patristiques se sont ainsi constitués, où l’on voit figurer les Pères cappadociens, Athanase, Jean Chrysostome, Amphiloque d’Iconium. et même des latins, comme Ambroise ou Damase, sans .compter des extraits de l’Expositio rectæ fidei de Pseudo-Justin. Voir, par exemple, la conférence contradictoire de 612, dans le Synod. orient., p. 575 sq., trad., p. 592 sq. Comparer des extraits analogues dans une lettre dogmatique fort importante de Georges I er, ibid., p. 242 sq., trad., p. 510 sq. Mais ces textes ne doivent pas faire illusion sur l’étendue des connaissances patristiques des nestoriens. Selon toute vraisemblance, ils utilisaient surtout des florilèges, peut-être des provenance occidentale, et non les ouvrages au complet des auteurs cités par eux. On remarquera enfin que saint Éphrem, le grand docteur des Syriens, est assez rarement mentionné dans les œuvres proprement théologiques. Voir pourtant Synod. orient., p. 196, trad., p. 455.

Pour ce qui est des anciens textes conciliaires, les théologiens nestoriens s’en tiennent aux deux symboles de Nicée et de Constantinople. Il va sans dire qu’ils rejettent le concile d’Éphèse dont ils semblent assez bien connaître l’histoire. Voir Badger, op. cit., t. ii, p. 127. Pour Chalcédoine, leur attitude est ambiguë. Sans doute ce concile a accepté le tome de Léon qui a mis en déroute tous les monophysites, perierunt per eum qui sedem Pétri lenebat Leonem mirabilem, écrit Babaï, trad., p. 61 ; le concile a canonisé la doctrine dyophysite, mais il a reconnu aussi l’autorité doctrinale de saint Cyrille, il a anathématisé Nestorius et enseigné l’unique hypostase du Verbe incarné. Le Ve concile œcuménique de 553 a excité de la part des nestoriens les plus vives répulsions. Ce « concile de Justinien » a été systématiquement réfuté par Babaï le Grand. Je n’ai pas vu que l’on ait beaucoup parlé, dans les milieux nestoriens, du VIe concile, de 680. A ce moment les communications étaient plus que difficiles entre la Mésopotamie et Constantinople ; la querelle monothélite n’est certes pas passée inaperçue, mais sa définitive conclusion par l’assemblée de 680 n’a pas été remarquée. Quant à la querelle des images, la dernière crise un peu sérieuse de la théologie « occidentale », elle ne sembla pas avoir effleuré l’Église des catholicos.

En définitive, la théologie nestorienne se piésente sous la forme d’un commentaire, indéfiniment repris, de la doctrine de Théodore, à peine interrompu par quelques rispostes à certaines tentatives d’indépendance (Hënânâ, Sahdonâ). Nous sommes aux antipodes de la fermentation de la Syrie jacobite et de l’Egypte copte, du pullulement de sectes qui se remarque en ces dernières contrées. Quand les représentants tardifs de la théologie nestorienne, un Élie de Nisibe, un Ébedjésus vantent la fidélité de leur Église aux traditions dogmatiques d’un passé qu’ils feraient volontiers remonter jusqu’au temps des apôtres, ce n’est, dans leur bouche, ni une exagération, ni une manière de parler. C’est à ce conservatisme, qui a ses avantages et ses inconvénients, qu’il faut attribuer le caractère archaïque qui se remarque en nombre de points de cette théologie.

II. LA CHRH3TOLOQIE DE L’ÉGLISE S BSTORIENNE. —

1°. Enseignement trinitaire. — Toute christôlogie a pour point de départ un enseignement trinitaire. Celui des nestoriens est parfaitement correct. La profession des trois hypostases (ils ne disent jamais les trois personnes) dans l’unité de la substance divine leur apparaît comme le dogme fondamental du christianisme, et ils sont heureux de constater leur accord sur

ce point avec les melkites et les jacobites. C’est la raison pour laquelle Timothée I er reconnaît très explicitement la valeur du baptême, conféré par les autres confessions religieuses qui acceptent le symbole de Nicée-Constantinople.£plsf., i, trad., p. 9sq. On remarquera les considérants très iréniques de son opinion : « les divisions entre cyrilliens, chalcédoniens, nestoriens, dit-il, laissent intactes les bases mêmes de la foi, c’est à savoir la confession de la divinité parfaite et de la parfaite humanité du Christ. Pour les trois Églises rivales, les fondements de la maison sont bons, c’est la toiture seulement qui est ruinée chez les chalcédoniens et les jacobites, tandis qu’elle est en bon état chez nous » ; cf. Epist., xxvi. On remarquera chez les théologiens nestoriens, comme d’ailleurs chez Théodore, l’attention particulière qu’ils apportent à la doctrine de la périchorèse, à laquelle les Grecs ne penseront qu’un peu plus tard. Voir par exemple la deuxième lettre dogmatique d’Abâ I er, Synod. orient., p. 542, trad., p. 553 : « Cette Trinité existe de toute éternité, elle a créé toutes les choses visibles et invisibles : elle est sans commencement, sans changement, sans séparation, en trois hypostases, qui sont le Père, le Fils et l’Esprit-Saint. Aussi, Notre-Seigneur a-t-il dit qu’en lui on connaissait la Trinité éternelle. En effet, il a dit de lui-même : « Détruisez ce temple, » c’est-à-dire l’humanité qu’il avait revêtue. Il a dit encore : « Mon Père, qui habite en moi, fait lui-même ces œuvres, » et il proclame aussi que le Saint-Esprit était en lui, en disant : « L’Esprit du Seigneur repose sur moi, et pour cela il m’a oint. » — Si la théologie nestorienne spécule rarement sur les « relations » divines, elle n’a pes laissé d'ébaucher une théorie de ces relations qi i prend pour point de départ l'âme humaine et ses diverses facultés. Voir l’essentiel dans Ébedjésus, trad., p. 345. Mais cette théorie ne l’a pas empêchée de s’en tenir, pour le Saint-Esprit, à l’unique procession. L’expression même « procédant du Père par le Fils » qui est l'équivalent grec de la procession ab utroque, ne m’a pas paru se rencontrer chez eux. Voir Badger, op. cit.. t. h. p. 79.

Les deux natures.

Pour ce qui est de la christologie proprement dite, la théologie nestorienne est

strictement dyophysite. « Nous gardons, dit le Synode de Joseph, en 554, la confession orthodoxe des deux natures, dans le Christ, c’est-à-dire de sa divinité et de son humanité ; nous gardons les propriétés des natures et nous répudions en elles toute espèce de confusion, de trouble, de mutation et de changement. » Synod. orient., p. 98, trad., p. 355. Inutile de multiplier les citations soit de documents officiels, soit de théologiens énonçant que le Christ est Dieu parfait. Verbe de Dieu consubstantiel au Père, et homme parfait consubstantiel à nous autres hommes, ayant chair et sang de la race d’Adam et de la souche d’Abraham, ayant une âme raisonnable, semblable à la nôtre, étant en somme semblable à nous en toutes choses, hormis le péché. Il va sans dire que la théologie nestorienne réprouve avec la même énergie que nous tout ce qui pourrait rappeler l’adoptianisme soit de Théodote(je n’ai pas vu que celui-ci lui fût connu), soit de Paul de Samosate, qui est expressément anathamatisé. Cf. Syncd. orient., p. 194, trad., p. 453, et aussi p. 198, trad., p. 458 (synode de Sabriso', 596) : « Anathème à qui considère comme un homme simple (^tXoç avôpwTtoç) le temple véritable de Dieu le Verbe. » Pour l'élément humain en Jésus, il est désigné indifféremment soit par le terme abstrait « l’humanité », soit par le terme concret : « l’homme. » Babaï use tout spécialement de l’expression : « l’homme de Notre-Seigneur JésusChrist : » mais l’on ne doit pas oublier que ce mot, qui nous étonne quelque peu, a été d’un usage courant dans la théologie latine avant le ve siècle ; à l’occasion,

le même Babaï emploie tout aussi bien le terme abstrait d’humanité. Quant à l’existence en cet « homme des facultés et des opérations humaines, la question, en bonne logique, ne devrait pas se poser. Mais, puisque les nestoriens, tout comme Nestorius, ont été accusés de « monothélisme », nous reviendrons, un peu plus loin, sur la question de la double opération et de la double volonté. Voir col. 299.

Le mode d’union.

Comme le dit très justement

Timothée I er dans la lettre déjà citée, les discussioi s entre les confessions chrétiennes ne portent pas tant « sur les substances et les natures », que « sur la qualité et l’espèce de l’union ». Episl., i, trad., p. 5. L'Église nestorienne entend bien confesser l’union parfaite, étroite, des deux natures. « Dans une seule unité vraie et ineffable, dit encore le synode de Joseph, nous confessons un seul Fils véritable d’un seul Dieu, Père de vérité. Quiconque pense ou dit qu’il y a deux Christs, ou deux Fils, et, pour quelque raison ou en quelque manière, introduit une quaternité (c’est-à-dire, introduit dans la Trinité une quatrième personne, celle d’un Fils adoptif), nous l’avons anathématisé et l’anathématisons, et nous le considérons cemme un membre rejeté de tout le corps de la chrétienté. » Synod. orient., p. 98, trad., p. 355. Et plus explicitement encore le symbole d’Iso’yahb I er, en 585 :

Accepte la vérité de la foi et demeure dans le bercail de l'Église rachetée par le sang du pasteur suprême du troupeau, de Jésus-Christ le Fils de Dieu, Dieu au-dessus de tout (cf. Rom., ix, 5), engendré éternellement dans sa divinité par le Père, sans mère, et engendré, le même mais non de même, dans sen humanité, d’une mère, sans père, dans les derniers temps… Le Christ, Fils de Dieu, le mime a souffert dans la chair, mais, dans la nature de sa divinité, le Christ Fils de Dieu était au-dessus des passions : impassible et passible, Jésus-Christ, créateur des mondes et subissant des souffrances ; celui qui, à cause de nous, s’est fait pauvre alors qu’il était riche. Dieu le Verbe a supporté l’humiliation des souffrances dans le temple de son corps, économiquement, par l’union suprême et indissoluble, bien qu’il n’ait pas souffert dans la nature de sa divinité, cemme l’a dit lui-même notre vivificateur : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le rétablirai. » lbid., p. 195, trad., p. 454-455.

On multiplierait indéfiniment ces citations. Les docteurs nestoriens ont repoussé avec la même énergie que le pape Damase l’hérésie « des deux Fils ». Voir Babaï, trad., p. 74. La formule officielle citée montre qu’ils admettent, tout comme l’orthodoxie chalcédonienne, l’idée de la double génération du Verbe, génération éternelle et génération temporelle, sur laquelle il y avait eu quelque hésitation parmi les maîtres antiochiens. Voir aussi Babaï, trad., p. 67. Mais ils se retrouvent parfaitement d’accord avec ceux-ci pour rejeter la formule de l’union hypostatique. Cela tient évidemment à l’idée qu’ils se font tant de l’hypostase que de l’union hypostatique ; et cette idée n’est pas du tout celle que, depuis Léonce de Byzance, la théologie orthodoxe a mise sous ces mots. Pour les nestoriens, et Babaï sur ce point est particulièrement clair, le type le plus net d’union hypostatique, c’est l’union de l'âme et du corps. Babaï a tout un traité contre ceux qui disent : « De même que l'âme et le corps sont une seule hypostase, de même Dieu le Verbe et l’homme (assumé) sont une seule hypostase. » Trad., p. 235-248. Paroù l’on voit clairement que, pour lui et pour tous ses compatriotes, le mot hypostase doit se traduire par nature concrète. Parler, dès lors, de l’union du Verbe et de l’humanité en une seule hypostase, c’est aboutir à la fusion des natures en une seule nature composite, c’est arriverau monophysisme abhorré. Voir du même auteur, p. 54 : « L’union (de l'âme et du corps) est hypostatique, naturelle, passible, finie, nécessaire ; ici au contraire l’union est personnelle et volontaire. » Ce qui ne l’empêchera pas

de prendre à l’occasion l’exemple de l’union de l'âme et du corps comme exemple de l’union des deux natures dans le Christ, mais toujours avec cette restriction importante : « Attention ! ces deux unions ne sont pas du même genre. »

Si on ne la nomme point « hypostatique », comment dès lors qualifier cette union « unique et adorable » ? En théologien digne de ce nom, Babaï reconnaît qu’elle est inefïabl" ;, indéfinissable. C’est la décrire de manière très imparfaite que de l’appeler une « inhabitation unitive », bien que nos auteurs tiennent beaucoup à cette image, chère depuis les origines à l'école antiochienne : les expressions « le temple et celui qui l’habite » et autres similaires reviennent souvent dans les profession de foi aussi bien que dans les traités proprement théologiques. Voir aussi Badger, op. cit., t. ii, p. 34-35. On a dit ailleurs, ci-dessus, col. 145, comment elles n’ont, en soi, rien d’hétérodoxe. Tout aussi correcte (et tout aussi insuffisante d’ailleurs) est le terme « d’assomption unitive », qui traduit l'àvàXY)<iiç des Grecs. Quant à « l’adhésion indissoluble », réplique de la auvcctpeia grecque, elle n’a en soi, non plus, rien de rédhibitoire, ni de spécifiquement nestorien.

Mais l’expression caractéristique de la théologie nestorienne, c’est à coup sûr le terme d’union personnelle, qui a évidemment ici un sens assez différent de celui de Chalcédoine. Les mots « personne de filiation », « personne d’union », « personne d'économie » reviennent à tout instant, sinon dans les professions de foi qui nous paraissent avoir évité d’ordinaire ce terme technique, du moins dans les théologiens en veine d’explications. On la trouvemêmedans lestextes liturgiques. Badger, op. cit., t. ii, p. 34-35. Tout bien considéré, il ne nous semble pas que le mot ait un sens différent de celui que nous avons trouvé dans les œuvres de Nestorius, ci-dessus, col. 151. Encore faudrait-il remarquer que les théologiens évitent d’ordinaire de parler du prosôpon de l’humanité, comme Nestorius a pu le faire. "Voir pourtant Babaï, trad., p. 136. Que l’on note du moins cette définition que donne Babaï de l’union personnelle : Deus Verbum humanitatem nostram ad personam (parsopâ) suam unilive sumpsit, el fecil illum hominem ex nobis secum unum Filium Dominum qui est Jésus Christus heri et hoilie. Texte, p. 50, 1. 7-8 ; trad., p. 41. Où l’on remarquera, d’ailleurs, que ce n’est pas le mot hypostase (qënomâ) qui est employé, mais bien le mot « personne » au sens nestorien, ce qui interdit de rendre cette définition entièrement superposable à la définition chalcédonienne. Tout au moins reste-t-il clair que l’union de la nature humaine au Verbe aboutit à une « personne unique de filiation », qui est proprement la personne du Verbe incarné. Voir aussi Babaï, trad., p. 39. Sur les conséquences de cette unité de personne et spécialement sur la communication des idiomes, nous nous expliquerons un peu plus loin.

Quant à l’expression d’union volontaire dont la théologie « occidentale » s’est si fort scandalisée, et qui a donné lieu à de si singulières méprises, elle est courante chez les théologiens, sinon dans les professions officielles. Ici encore, Babaï en a donné une explication qui ne laisse place à aucune équivoque. La volonté dont il est ici question, ce n’est pas d’abord et en premier lieu la volonté humaine de Jésus qui aurait mérité, par sa soumission aux influences d’en haut, de s’unir de plus en plus à la personne du Verbe. Bien que cette volonté humaine doive entrer en ligne de compte, c’est avant tout à la volonté divine qu’il faut penser quand l’on parle d’union volontaire. Cette union est ainsi nommée, parce qu’un acte de condescendance parfaitement libre a conduit le Verbe divin à élever jusqu'à lui la nature humaine, disons « l’homme » qu’il

a « assumé ». Mais cette union, pour se réaliser indissolublement, n’a pas besoin d’attendre que la volonté de « l’homme » soit déjà en état d’agir librement et de se porter consciemment vers le Verbe de Dieu. La preuve péremptoire la voici : En anthropologie, Babaï professe que l’animation du fœtus ne se fait qu’au quarantième jour après la conception. Il ne voit pas de raison de soustraire l’humanité du Christ à cette loi générale de développement. Or il affirme avec toute la clarté possible que l’union du Verbe avec l’humanité, sous la forme où elle existait alors, a eu lieu dès le premier instant de la conception, dès Je moment où Marie a prononcé le Fiat mihi secundum verbum tuum, l'âme n’ayant d’ailleurs été créée qu'à l'époque normale où le sont d’ordinaire les âmes humaines : Ecce igitur exinde cognilum est cum omni evidentia et absque dubio quod, una cum annuntiatione angeli, fuit unio et inhabitatio. quamvis homo domini nostri in sua subslanlialitale animala nondum complelus esset quia, sicut et dixi secundum traditionem omnium Palrum orthodoxorum, præler concubilum, altamen quoad cèleras omnes naturie proprietales ordinem sicut céleri omnes pueri servavit, nam formandus et animandus « in omnibus assimilatus est nobis prader peccatum ». Trad., p. 86. Et la question de l’union durant le triduum passionis, qui pose un problème analogue à celui de l’union du Verbe avec le fœtus encore inanimé, est résolue par notre théologien, et par beaucoup d’autres, exactement de la même manière : le Verbe est resté uni au corps inanimé aussi bien qu'à l'âme. Voir du même auteur les c. xviii et xix, trad., p. 140-160, et déjà p. 93, qui roulent expressément sur la mort du Christ et la résurrection. Nous sommes aux antipodes de ce que l’on a mis sous le nom d’union volontaire, et tout proche des concepts de la théologie la plus orthodoxe. Voir des expressions tout aussi nettes dans Timothée I er, Epist., xxxiv, trad., p. 106-140, tout spécialement p. 107-108.

Conséquences.

1. Les formules à employer. —

Posé ce mode d’union, des conséquences s’en déduisent et tout d’abord relativement à la terminologie à employer. Pendant deux siècles la théologie nestorienne s’en tient, le plus ordinairement, à la formule : deux natures, une personne, qui lui donne un faux air de chalcédonisme. Ainsi le synode d'Ézéchiel, 576 : « Le Christ incarné doit être reconnu et confessé en deux natures : Dieu et l’homme, Fils unique. » Synod. orient., p. 113, trad., p. 372. Et, plusexplicitement, le synode de Iso’yahb I er, 585 : « Telle est la foi incorruptible, on y proclame parfaitement la personne (parsopâ) du Christ et ses natures divine et humaine, contre ceux qui contestent sa divinité et nient son humanité, et contre ceux qui confessent son humanité et nient sa divinité et contre ceux qui nient sa divinité en confessant qu’il est un homme ordinaire ou qui l’assimilent à l’un des justes. » Ibid., p. 136, trad., p. 397.

Mais, vers la fin du vie siècle, la tendance se manifeste qui prétend compléter la formule de la manière suivante : Deux natures, deux hypostases, une personne. Déjà Babaï a une longue dissertation « sur la différence entre l’hypostase et la personne, et comment la personne est prise tandis que l’hypostase n’est pas prise », c. xvii, trad., p. 129. La conclusion en est très claire : « La personne de l’humanité a été prise unitivement par Dieu, mais son hypostasen’a pas été prise » (p. 136). En d’autres termes, et d’après les explications données au cours du chapitre, les caractères individuels qui distinguent cette nature concrète qui est l’humanité du Christ, s’annexent à la personne même du Verbe, et, si l’on peut dire, s’incorporent avec celle-ci, mais cette nature concrète elle-même (hypostase) ne se fusionne pas avec l’hypostase du Verbe. Cf. ci-dessus dans la théologie de Nestorius, col. 152. Pourtant

Babal n’appuie pas sur la nécessité d’expliciter cette doctrine dans la formule des deux hypostases.

C’est en réaction contre les tentatives de Sahdonâ (Martyrios) que la théologie nestorienne va insister sur cette terminologie. Sahdonâ avait mis en circulation des idées nettement chalcédoniennes : « La nature de notre humanité, disait-il, le Dieu Verbe, d’une manière toute surnaturelle et dès le début de la formation de celle-ci l’a unie à lui pour toute l'éternité en une seule hypostase (qènomà) et une seule personne (parsopâ). » Cf. H. Goussen, Marlyrius, p. 18. C’est contre cette tentative, partiellement inspirée du souvenir de Hënânâ, que va s'élever le nestorianisme de stricte observance. Les polémiques du martyr Georges (cf. Synod. orient., p. 628) amènent la fixation p ?r la réunion épiscopale de 612 de l’orthodoxie nestorienne qui s'établit définitivement sur les lignes tracées par Babaï. Voici le passage capital de cette déclaration : t Quand nous disons le Christ « Dieu parfait », nous ne désignons pas la Trinité, mais une des hypostases de la Trinité, Dieu le Verbe. Quand nous appelons le Christ « l’homme parfait », nous ne désignons pas tous les hommes, mais cette seule hypostase qui a été spécialement prise pour être unie au Verbe en vue de notre salut. » Ibid., p. 566, trad., p. 583. Et, dans leurs ripostes aux sévériens, les évêques de dire : « Le Christ, Fils de Dieu, est-il Dieu en nature et en hypostase, et homme en nature et en hypostase ? Si oui, voici sans hésitation, deux natures et deux hypostases. Si non : lequel des deux est sans nature et sans hypostase ? » Ibid., p. 569, trad., p. 587. Où l’on voit clairement ce qui est compris ici sous le nom d’hypostase, c’est à savoir la nature concrète, douée de ses propriétés individuelles, sans que l’attention d’ailleurs se porte sur cette propriété métaphysique qui est la « subsistence. » Quand l’on dit du Christ qu’il a pris la nature humaine, ce n’est pas la nature humaine en général qu’il a assumée : « il n’a pas pris tous les hommes », il a pris une nature concrète, individuelle, une hypostase.

Chose intéressante à signaler, cette argumentation du synode de 612 revient presque textuellement dans une profession de foi, envoyée au pape Grégoire XIII par le catholicos Élie VII, à la fin du xvie siècle. Voir Giamil, op. cit., p. 496 sq. : le texte est p. 502 en haut : Deum perfectum dum Christum vocamus, etc.

La profession de foi aux deux natures, aux deux hypostases, à l’unique personne devient ainsi tout à fait caractéristique de l’orthodoxienestorienne. Quand le synode tenu à Diarbékir en 1616 (voir ci-dessus, col. 236), voudra exposerau pape PaulVla croyance de l'Église nestorienne, il croira entrer pleinement dans les vues de Rome en écrivant : Assentimur sententiæ Ecclesise Romæ ut faleamur unam personam Verbi in Christo ; tanquam arbor quæ inseritur in arbore extranea a natura.sua, et manifestum est, quod subsistentia illius prœdictœarboris déterminât ambas naturas. Ibid., p.l44. Dans sa concision l’image manquedeclarté. Il faut comprendre sans doute que la nature humaine est le greffon inséré sur le « sujet » qui est le Verbe, greffon qui vit en somme de l’influx même de ce « sujet ». PaulV répondit que cette comparaison lui paraissait suspecte : Ex eomparatione hac facile in/erri possel reperiri in Christo duas subsislenlias cum duabus naturis ; cum ulraque arbor, et quæ inseritur et altéra in qua Ma insita est, habeanl quedammedo propriam subsistentiam, et toc paclo in pessimum damnatissimumque dogma Nestorii et Thecdori recideretur, qui perverse subdoleque unitalem personæ cum duabus subsistenliis in Christo Domino nostro ponebanl. Ibid., p. 161.

2. La communication des idiomes.

Quoi qu’il en soit, il reste que l'Église nestorienne, écartant le problème met aphysique de la subsist ence. s’est cramponnée

à la formule des deux hypostases et de l’unique personne. De même s’est-elle obstinée dans la primitive aversion de Théodore et de Nestorius à l’endroit du mot Théotokos. Jamais elle n’a pu se décider à reconnaître bonnement, simplement Marie comme Mère de Dieu, et toujours elle a cru devoir entourer le mot de restrictions, fort légitimes, à coup sûr, mais qui ne laissent pas de paraître puériles. La chose ne peut tenir qu'à un mystérieux atavisme, car ses meilleurs théologiens ont élaboré toute une théorie de la « communication des idiomes » qui paraît absolument correcte, et ses professions de foi utilisent des formules qui pratiquement font état de cette théorie.

Le synode de 585, par exemple, écrit : « Les hérétiques osent attribuer, à la nature et à la substance de la divinité et de l’essence du Verbe, les propriétés et les passions de la nature humaine du Christ, qui, parfois, à cause de l’union parfaite entre l’humanité du Christ et sa divinité, sont attribuées à Dieu économiquement. mais non naturellement. » Synod. orient., p. 136, trad., p. 398. Et un peu plus loin reprenant l’exemple même donné par le tome de Léon, le synode ne craint pas de dire : « Notre Seigneur lui-même fait connaître l’existence de l’unité personnelle dans une union sans confusion, quand il dit : « Personne n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel : le Fils de l’homme qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme qui est dans les cieux. » Ibid., p. 195, trad., p. 455. Ou encore et d’une manière plus explicite : « Ceux qui disent simplement que Dieu fut engendré par Marie, ou que Dieu a grandi, ou que Dieu a mangé, ou que Dieu a bu, ou que Dieu a dormi, ou que Dieu a eu faim et soif, [ou que Dieu a souffert, ou que Dieu a été crucifié et qu’il est mort, sont éloignés de l’orthodoxie, de la vérité de la foi et de la confession qui convient à Dieu I ils sont réellement privés de l’intelligence même de la raison ; ils osent ce que les démons eux-mêmes n’osent pas dire. Mais toutes ces choses que l'économie de Dieu le Verbe a accomplies dans son humanisation peuvent être attribuées au Christ et au Fils. » Synode de Georges I er, en 680, Synod. orient., p. 241, trad, p. 508-509. — On sait les luttes auxquelles a donné lieu en « Occident », vers la fin du vie siècle, la question de la formule : Unus de Trinitate passus. Or, nous avons relevé, dans une formule synodale nestorienne déjà citée, un texte qui devrait se traduire en somme : Unus de Trinitate baplizatus : « La Trinité fut dévoilée comme dans un tableau, au baptême de Notre-Seigneur : par le Fils qu’on devait reconnaître en celui qui était baptisé, par le Père qui lui rendait témoignage, et par le Saint-Esprit qui reposa sur lui comme une colombe. » Synode d’Abâ I er, 544, ibid., p. 542, trad., p. 552. Voir une expression identique dans Salomon de Bassorah, Livre de l’abeille, trad., p. 41.

Quant à Babaï, il a légitimé, du point de vue théorique, ces manières de parler avec une précision que lui envieraient bien des théologiens « occidentaux ».

Hic natura ? mutuam personam sumunt, in una unione, in una adhsesione, in uno nomine communi, quod sibi mutuo communicant in ipsa unione : « Filius hominisqui est in cselo » (Joa., iii, 13) ; nomen quidem « Filius hominis » ad naturam ejus humanam pertinet, ob unionem tamen pertinet etiam ad Deum Verbum assumptive. Simili modo et nomen « Jésus » et nomen « Christus ». Ita etiam nomen « Filius » et nomen « Dominus gloriæ », etsi ad divinitatem Christi proprie pertinent, ob unionem tamen personalem pertinent ad humanitatem ejus assumptive : » Si enim illam cognovissent, Dominum gloria* non crucifixissent » (I Cor., il, 8) ; et « Si Filio suo non pepercit, sed pro nobis omnibus tradidit illum » (Rom., viii, 32). At crucifixus et mortuus est in humanitate sua, non in divinitate sua, et est Dominus gloria" et Filius Dei propter unionem et adhasionem quae ipsi fuerunt cum Filio aHerno, et Domino gloriæ qui est Deus Verbum. Quod proprie ad Verbum pertinet, pertinet ad

hominem Verbi assumptive, propter unionem. Trad., p. 5354 ; cf. p. 125-126 ; et aussi tout le c. xx, p. 161-184, sur les liifTévents noms du Christ, Fils de Dieu.

Des expressions non moins nettes se retrouveraient dans les lettres de Timothée I", Episl., xxxvi, trad., p. 171 ; dans Georges d’Arbèles (ou dans l’auteur, quel qu’il soit, deVExpositiondesof[icesdivins), (rad., t. xcii, p. 62, et ailleurs. Il n’en reste pas moins qu'à partir du viie siècle, le nestorianisme, sans doute pour s’opposer plus nettement au monophysisme et au chaleédonisme, affecte une hostilité de plus en plus vive à l’endroit du Théotokos, aussi bien qu'à l’endroit du Deus passus. Élie de Nisibe au début de xie siècle est particulièrement représentai if. A l’en croire, le Théotokos serait proprement une formule jacobite, et il polémique contre l’expression avec une fougue qui rappelle les premières incartades de Nestorius. Voir trad. Horst, p. 46-56. S’il est loin d’unir dans la même réprobation jacobites et melkites, s’il concède que ces derniers ont des point s communs avec l’orthodoxie nestorienne, il ne laisse pas de leur faire remarquer que sur deux points capitaux ils s’en séparent : d’abord en ce qu’ils reconnaissent simplement.Marie comme Mère de Dieu, « ce qui est la racine de tout le mal et de toute l’impiété cyrillienne », ensuit e, parce qu’ilsn’admettent dans le Christ qu’une seule hypostase. Cf. p. 56 sq. Et Élie d’instituer en de longues pages une interminable polémique contre le Théotokos. Cette polémique d’ailleurs n’a jamais porté préjudice au respect dont l'Église nestorienne témoigne à l’endroit de la sainte Vierge. Voir dans Badger, op. cit., t. ii, p. 51-57, un fort beau texte liturgique sur les grandeurs de Marie. Il semble donc clair que l’on a perdu, à un moment donné, dans l'Église nestorienne, le sens de la doctrine de la communication des idiomes que les théologiens classiques avaient si correctement exprimée, et qui n’avait pas échappée à Nestorius lui-même. Ci-dessus col. 153.

On remarquera que les professions de foi envoyées à Rome par les nestoriens, désireuxde s’unir aux Latins, témoignent toujours d’une certaine gêne au sujet du Théotokos. Voici une expression correcte, mais dont on sent bien qu’elle est quelque peu alambiquée : Maria peperit Christum, intelligitur quod ipsa peperit Deum Filium, unam trium personarum unitam homini uni, de quo dicitur in evangelio quod ipse est filius David…, et in hoc quod dicimus Maria peperit Christum intelligitur quod ipsa peperit Deum : tali tamen conditione quod ipse est Deus Filius unitus humanitati. Profession d’Iso’yahb de Nisibe adressée à Innocent IV en 1247. Giamil, loc. cit., p. 4. Et Élie VIII dans la profession adressée à Paul V : El vocamus Mariam Genitricem Dei qui est ex Deo, sine con/usione naturarum et sine mutatione proprietalum perfectarum naturarum. Ibid., p. 143. L’addition qui est ex Deo semble nécessaire au catholicos pour écarter l’idée que Marie serait la mère « de la Trinité ». Aussi bien Élie de Nisibe avait-il longuement disserté à ce sujet !

3. La dualité des opérations.

Une des conséquences

de l’union personnelle, et surtout dans le sens où l’entendent les nestoriens, ce doit être la dualité des opérations, ou, comme disent les Grecs, des énergies. Tout dyophysite conscient de ce qu’il enseigne est obligatoirement dyénergiste, dithélite. Or, on l’a fait remarquer plus haut, col. 145, il n’est pas jusqu'à Nestorius lui-même que l’on n’ait accusé de monothélisme, et il est curieux que les diverses professions de foi imposées aux nestoriens revenant à l’unité insistent toutes, avec beaucoup d'énergie, sur la condamnation du monothélisme, comme si cette erreur faisait obligatoirement partie de leur doctrine. Des textes de saveur monothélite provenant, dit-on, de Nestorius ou de ses adeptes, ont été versés au concile du

Latran de 649. En fait, on trouve chez les écrivains nestoriens, et qui ne sont pas les premiers venus, des affirmations qui, à première lecture, surprennent. C’est le cas par exemple d’un petit traité du catholicos Timothée I", Episl., xxxvi, trad., p. 164-183 ; voir en particulier p. 176-177. Voulant montrer que le triomphe final du Christ en son humanité ne lui vient pas précisément de la manière dont il s’est comporté au point de vue moral, mais du fait même de l’union, le catholicos écrit : « C’est de l’union que lui viennent la domination, la filiation, l’empire sur toutes choses ; dès le début, la chair (c’est-à-dire l’humanité) possède en effet la domination, la filiation, l’empire : neque dicimus duas voluntates, neque duas proprietates aut operationes. Unio enim inefjabilis unam l’oluntatem et virtutem et unam operalionem et unam proprietatem perficil. Præter nomina enim hypostalica et naturalia nullibi in Christo duplicitas apparct. » Je ne crois pas qu’on ait jamais exprimé plus clairement le monénergisme, et toute l’argumentation qui suit semble encore renforcer cette impression, et tout spécialement la discussion des textes devenus classiques en la matière : « Je ne suis pas descendu du ciel pour faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé », et « Père, que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la vôtre. » Sans compter que l’on voit encore intervenir, p. 180, une considération sur la « science » du Christ que Timothée semble à première vue identifier avec la science divine. Tout cela est vrai. Mais une étude approfondie de ce passage montrerait, pensons-nous, que l’unité de volonté dont il s’agit est essentiellement une unité morale : il n’y a pas eu de lutte réelle entre la volonté humaine du Christ et la divine volonté ; et, par ailleurs, la science humaine du Christ est en définitive une irradiation de la suprême intelligence. C’est ce que semble bien indiquer la conclusion de ce texte vraiment difficile : Ergo una est i’olunlas et una operatio Verbi et carnis ejus, sicut unus est motus et una modulatio musici et instrumenti ejus. Ibid., p. 181. Cette dernière comparaison doit, en effet, procurer quelque apaisement. Il faut donc, pensons-nous, ne pas se hâter de crier au monothélisme, parce qu’on lit sur les tombes des catholicos enterrés à Mossoul la profession de foi suivante : Credidi in Filium Dei, Dominum noslrum Jesum Christum per unionem Deum perjectum et hominem per/eclum : duas naturas, duasque hypostases in uno prosopo et una dominatione et una voluntate. Dans Assémani, Bibl. orient., t. mb,

p. CMXLVIII.

D’ailleurs la théologie nestorienne (et Timothée lui-même) fournirait sans difficulté des textes qui montreraient, dans l’unique personne du Christ, les deux activités divine et humaine. Les plus intéressants sont bien ceux qui affirment un progrès dans cette humanité assumée parle Verbe. On sait le redoutable problème que posent, quand il s’agit de défendre Théodore de Mopsueste, les nombreux passages où l’Interprète parle du progrès moral ou intellectuel qui se serait manifesté en l'âme de Jésus, du rôle considérable que joua le baptême dans l’oriental ion de sa vie, de la confirmation enfin, qu’apporta à son humanité le fait de la résurrection. Ce n’est pas ici le lieu d'étudier ces textes, fournis pour la plupart par le Ve concile. On a fait remarquer ci-dessus, col. 150, que Nestorius avait évité les développements sur ce sujet scabreux. Babaï, lui, s’est attaqué au problème avec résolution, et tout le traité IV de son beau livre, De diuinitate et de humanitate et de persona unionis, est consacré, à résoudre ces difficiles problèmes. Trad., p. 106-128.

Il ne saurait être question de relever ici, même sommairement, les analyses extrêmement subtiles de ce vigoureux penseur, Notons au moins le souci qu’il

apporte à tenir compte de tous les textes scripturaires qui peuvent dirimer la question : Quod « descendit Spirilus et mansit super eum », testatur Seriptura (Matth., m, 16), et quod « proficiebat et confortabatur a Spiritu » (Luc, ii, 40), etiam affirmât ; et ex illo : « crescebat statura sua » (Luc., ii, 40), etiam itlud « proficiebat in sapientia sua et gratia » (Luc, ii, 52) verum invenitur et non falsum. Quod si hœc falsi sunt, mentitiv sunt Scripturæ, quia Scripturæ id dicunt. Est-ce à dire pourtant que « l’union » aurait été, au cours de la vie humaine du Christ, se resserrant, se perfectionnant, pour ne devenir indissoluble qu’après la résurrection ? Babaï repousse avec indignation ces concepts blasphématoires. Nous avons dit ci-dessus la précision avec laquelle il aflirme que l’union a eu lieu dès le premier instant de la conception. Mais cette union n’exclut pas l’existence dans l’humanité du Sauveur des « passions », au sens philosophique du mot. Les scolastiques latins ont essayé de faire une discrimination entre les « passions » qu’il est convenable de laisser dans le Sauveur, et celles qu’il y aurait injure à lui attribuer. Cette distinction Babaï ne la fait pas explicitement, quoique les énumérations faites par-lui soient, à coup sûr, révélatrices de sa pensée. Mais il affirme que ces « passions » ne subsistent plus dans le Christ glorieux et ressuscité, et que le baptême (c’est le point curieux de sa théorie) attribue au Christ les arrhes de cette « impassibilité » et de cette « immutabilité ».

Quamvis unio facta sit ab utero et per Spiritum Sanctum formatum sit principium vitæ nostræ id est, homo Domini nostri qui est Adam novus, tam ?n non in initio formationis suse perfectus est in sapientia et immorlalitate propterunionera sibi factam cum Deo Verbo, qui eum ad personam suam assumpsit ut esset habitaculum divinitatis. Ita enim non dicimus quod homo Domini noslri ab initio formationis su » omnino perfeclus est et fuit non indigens sicut posl resurrectionem. Quomodo enim ? Ecce esurivit, et sitivit, et fatigatus est, et dormivit, et turbatus est, et timuit, et confortatus est, et fuit in dolore animi et corporis, et dixit se tristem esse, et passus est, et mortuusest, et sepultus est, et resurrexit, et pertulit omnia, et tandem perfectus est, ut supra ostensum est. Trad., p. 119.

Et après un développement où notre théologien montre la part de manifestation extérieure, destinée à notre instruction, qu’il faut reconnaître dans la scène du baptême, Babaï d’ajouter :

Verumtamen hæ actiones œconomine apud hominem Domini nostri in baptismo facta ? sunt, ut agnosceretur quod ipse baptismum accepit, tanquam in primitiis gratiam Spirilus in arrliam immortalitatis et immutabilitatis. Ibid., p. 210.

Et Timothée, dont nous avons cité plus haut des textes si étrangement monénergistes, est aussi affirmatif que Babaï quand il s’agit des « passions » du Christ, avec une nuance pourtant, qui n’est pas sans intérêt.

Omnes passiones naturales et irreprehensibiles, prseter peccatum, tulit… Sicut enim mortem vohinlarie tulit cum omnino non mori posset (renvoi à Joa., x, 18), ita etiam omnes passiones naturales et irreprehensibiles volunlarie pro nobis tulit salvator noster, ut passiones nostras in sua passione et mortem nostram in sua morte solveret et destrueret.

En définitive, la christologie nestorienne nous apparaît, à plus ample examen, beaucoup moins aberrante de la christologie chalcédonienne qu’elle n’en a la réputation. Fondée sur des définitions de la nature, de l’hypostase, de la personne, passablement différente de celles qui ont finalement prévalu dans la théologie « occidentale », elle propose du « mode de l’union » un concept qui, sans doute, n’est pas immédiatement superposable à celui de Chalcédoine ; mais peut -être des traductions opportunes pourraient-elles ramener ce concept à celui de l’orthodoxie catholique. Les divers

problèmes que soulèvent les conséquences de l’union sont résolus en théologie nestorienne, comme en théologie chalcédonienne, sensiblement de la même manière, sauf sur des points de détail. Jusqu'à quel point cette théologie a-t-elle éliminé, pour se constituer en l'état où on la trouve à sa plus belle période, certaines audaces ou certaines maladresses d’expressions des docteurs antiochiens, c’est ce qu’il est bien difficile de dire, dans l'état si imparfait de nos connaissances sur l'œuvre d’un Diodore, d’un Théodore ou même d’un Nestorius.

/II. AUTRES QUESTIONS THÉOLOGIQUES. — 1° Rédemption, péché originel, grâce. — Que l’incarnation ait eu pour fin (principale ou exclusive) la rédemption de l’humanité, c’est ce que les professions de foi affirment, sans d’ailleurs y insister autrement. « En lui (dans le Fils unique, Dieu et homme), dit le synode d'Ézéchiel, 576, fut renouvelée la vieillesse de notre nature ; dans l’enveloppe de son humanité, il a payé la dette de notre race par l’acceptation de la passion et de la mort de la croix. « Synod. orient., p. 113, trad., p. 372. Et le synode de Georges I er, 680 : « Comment notre dette pourrait-elle être acquittée, si le Christ n'était pas consubstantiel à nous dans son humanité ? lui qui, par la promptitude de sa volonté, par la distinction de ses œuvres, par l’opération de Dieu qui était en lui, était pur de tout péché… Par sa sainteté, nous avons été libérés de notre dette, par sa justice nous avons été justifiés du péché ! » lbid., p. 237, trad., p. 503. C’est, comme on le voit, très clairement exprimée, l’idée de la satisfactio vicaria, et presque dans les termes scripturaires.

Mais par quoi est constituée cette dette collective de l’humanité? Les expressions synodales ne le précisent pas. Il peut s’agir simplement des fautes accumulées par les diverses volontés personnelles des hommes, bien que les phrases très générales des professions de foi n’excluent pas un état morbide et coupable, commun à tous les fils d’Adam, même à ceux « qui n’ont pas péché (personnellement) à la manière dont Adam a péché lui-même. » Mais ici encore sur la théologie nestorienne a pesé la tradition antiochienne. Celle-ci n’est pas favorable, même en ses représentants les plus orthodoxes, à la doctrine du péché originel, telle du moins que l’ont précisée dans l’Occident latin les querelles du début du ve siècle. Théodore de Mopsueste semble bien l’avoir délibérément combattue ; il a été suivi, à peu d’exception près, par les théologiens de l'Église nestorienne. Si Hënânâ d’Adiabène a soulevé tant de réprobation parmi eux, c’est tout autant à cause de sa doctrine sur le péché originel qu'à cause de ses « étrangetés » christologiques. Et il nous paraît bien que l’accusation de « fatalisme » que l’on a lancée contre lui, vise, en définitive, une doctrine de la concupiscence mal comprise par ses contradicteurs.

En tout cas, les déclarations officielles entendirent mettre bon ordre à ces « aberrations ». Le synode de Sabriso' I er, 596, vise probablement les partisans de Hënânâ, quand il s’exprime ainsi : « Certains hommes, revêtus de l’habit religieux, doutent dans leur esprit au sujet de la foi vraie et orthodoxe, s'élèvent contre les docteurs véritables de l'Église, répandent des doctrines hérétiques et pervertissent l’esprit des simples. Parfois ils disent que le péché est placé dans la nature ; quelques-uns disent que la nature d’Adam avait été créée immortelle dès l’origine, etc. » Synod. orient., p. 196. trad., p. 456. Contre eux, le synode déclare solennellement : « Nous repoussons et éloignons de toute participation avec nous quiconque admet et dit que le péché est placé dans la nature, et que l’homme pèche involontairement, et quiconque dit que la nature d’Adam a été créée immortelle dès l’origine. » lbid., p. 198-919, trad., p. 459. Et, pour citer encore Babaï,

il dit, parlant du baptême : Ecce pueri ab infanlia sua baptizantur, non quidem in remissionem peccatorum — quomodo enim ? ecce non peccaverunt — sed in adoptionem filiorum, ut accipiant primitias spiritus ad mysterium resurrectionis et redemptionem corporum suorum. Op. cit., trad., p. 116.

Le synode de Georges I er, en 680, exprime de manière positive la doctrine qui est désormais la seule reconnue. Après avoir parlé de la création de l’homme et de l’admiration que la beauté de cette nouvelle créature suscita parmi les « natures spirituelles », c’est-à-dire parmi les anges, il continue :

Mais il y en eut parmi ceux-ci qui furent au contraire excités par la jalousie et la méchanceté, et se laissèrent entraîner dans l’abîm de l’orgueil et au mépris de l’homme. Quand notre Dieu bon vit cela, il les priva de leur honneur et les déposséda de leur puissance, c’est-à-dire le Calomniateur, qui avait été préposé a la puissance de l’air, et ceux de sa troupe qui restent depuis lors chassés de sa présence et privés de leur honneur. Au lieu du service de Dieu, du nom et de l’honneur angélique, i ! s ont hérité de la rébellion et du nom satanique de diables et de démons. Ils se sont efforcés et s’efforcent de séduire les hommes pour les faire tomber dans l’abîm î de leur méchanceté et de leur désobéissance a Dieu, comme ils ont fait à l'égard des premiers hommes, Adam et Eve, les ancêtres du genre humain, qui, par l’astuce de leur milice, se sont rendus coupables d’avoir transgressé le précepte de Dieu. Synod. orient., p. 230231, trad., p. 195.

Ainsi l’humanité pèche à l’exemple d’Adam et d’Eve beaucoup plutôt qu’elle n’est pécheresse en vertu de la l’aute des premiers parents. Et, pour l’aider à vaincre les tentations diaboliques, les théologiens nestoriens semblent compter davantage sur les secours extérieurs : lois, bons exemples, attrait des récompenses, etc., que sur des grâces intérieures. C’est bien le sens du canon 3 du synode d’Iso’yahb I er, en 585, intitulé : Des avantages qui résultèrent de l'établissement des lois et des canons, dans toutes les générations, sous l’Ancien et le Nouveau Testament. On notera que ce développement fait suite à l’apologie de Théodore de Mopsueste que nous avons précédemment citée, col. 290. Tout le passage est d’un « pélagianisme » qu’il est impossible de méconnaître.

Après avoir façonné l’homm 1 et l’avoir marqué à l’image de sa divinité, et avoir fixé en lui une intelligence judicieuse sachant s’avancer utilement ou s'éloigner avec circonspection, il l’assagit par l’imposition de lois qui secourent la raison et conservent la familiarité (avec Dieu). Ces lois contiennent les promisses des biens pour l’encourager et la menace des châtiments pour l’effrayer ; les unes ont été incrustées, les autres convninrlces, les autres écrites. Synod., orient., p. 12'. », trad., p. 400.

Suit un très long développement sur les diverses « législations » qui se sont succédé, jusques et y compris les lois données par les Apôtres et les Pères « en leurs générations ». car ceux-ci ont placé autour de nous, « comme un mur et un avant-mur, la garde des lois et des canons divins, sages et justes. » Ibid., p. 130, trad., p. 401.

Que l’on compare encore cette tirade du synode de Georges I er, en 680, qui fait suite au passage reproduit ci-dessus.

De génération en génération, Dieu a donné au monde des lois utiles, grâce auxquelles nous pouvons faire paraître convenablement la preuve de notre volonté, notre qualité et notre diligence ; de sorte que, par la soumission à notre créateur et bienfaiteur, nous montrions notre volonté dans nos propres desseins, et qu’il devienne évident que nous sommes les maîtres de notre arbitre, par le choix de ce qui nous plaît… Or, notre Dieu bon ajouta à ses lois de bonnes récompenses pour ceux qui lui obéissent, et il réprimi d’une m inière terrifiante, selon l’exigence de la justice, ceux qui lui désobéissent.

Par suite de la versatilité et de la liberté qu’il nous a données, comme aux natures intellectuelles et angéliques, de

nombreuses erreurs se sont propagées parmi nous, ainsi qu’une quantité de fautes et de péchés innombrables, des impiétés et des souillures fréquentes, l'éloignement de Dieu, la soumission aux démons, le culte des idoles et une foule d’iniquités et de perversités de toute espèce. Synod. orient., p. 231, trad., p. 495-496.

Et après avoir insisté sur les promesses qui vinrent éclairer les sombres époques de l’humanité, le même document salue de la manière suivante l’apparition dn Rédempteur :

La race humaine avait grand besoin de lui pour nous libérer de la dette du péché, nous racheter de la servitude et de l’esclavage des démons… et, ce qui vaut mieux que tout cela, pour donner, dans sa bonté, à notre race humaine et aux phalanges angéliques, la vie incorruptible, l’intelligence et la stabilité éternelle, avec la perfection de la connaissance de sa divinité. Ibid., p. 234, trad., p. 499.

Ce « pélagianisme » à peine atténué par la confession de l’humaine misère, cf. Badger, op. cit., t. ii, p. 94-95, restera toujours une des caractéristiques essentielles de la théologie nestorienne. En voir l’expression populaire dans le Livre de l’abeille de Salomon de Bassorab, trad., p. 20-24 ; et l’expression théologique abrégée dans le Livre de la perle d'Ébedjésus, trad., p. 347. On comprend dès lors que les professions de foi, imposées aux nestoriens revenant à l’unité catholique, fassent mention très explicite du dogme du péché originel. La profession de Sulâqâ en 1551, exprime que le Verbe s’est incarné « pour nous purifier du péché d’Adam et de nos autres souillures. » Giamil, op. cit., p. 20 ; cf. p. 35, 156.

2° L’homme, son origine, ses fins dernières. — L’anthropologie nestorienne, à laquelle se rapporteraient déjà les développements ci-dessus, a gardé sur divers points, un archaïsme qui ne manque pas d’intérêt.

La question de l’origine de l'âme humaine a reçu, de bonne heure, une solution qui s’accorde pleinement avec les tendances signalées plus haut. La doctrine de la préexistence des âmes a toujours été considérée comme une hérésie origéniste, et si Hënânâ l’a professée (ce qui n’est pas certain), c’a été un grief de plus contre lui. Le génératianisme a dû la vogue, dont il a joui quelque temps dans l’Occident latin, au fait qu’il semblait fournir une explication facile de la transmission du péché originel. Ce problème ne se posait pas chez les nestoriens, et dès lors on ne relève pas chez eux d’allusion à cette hypothèse. Le créatianisme, au contraire, semble avoir toujours été en légitime possession. Les développements de Babaï sur le moment où l'âme humaine est infusée au corps, quarante jours après la conception (ci-dessus, col. 296) tablent sur le fait de la création immédiate de chaque âme par Dieu, comme sur un fait absolument certain et reconnu par tous. Voir aussi Timothée I er, Episl., ii, c. vii, trad., p. 36 sq., qui réfute les objections que l’on pourrait faire du point de vue moral à cette doctrine. Sur ce point donc, et mise à part la question de la date de l’animation, les nestoriens se rencontrent avec l’orthodoxie catholique. Voir un texte intéressant de Joseph Hazzâyâ, cité par A. Scher dans l’article déjà mentionné de la Rivista degli studi orientait, t. iii, 1910, p. 57.

Il n’en est pas de même, tant s’en faut, de leur doctrine des fins dernières. Sur l'état des âmes séparées, ils en sont restés à la très vieille doctrine eschatologique qui, avec bien des hésitations et des reprises, renvoyait récompenses et châtiments après la résurrection générale et le jugement. Ils lui ont donné, en [ail, une précision qu’elle n’avait pas sous la forme de la théorie du « sommeil des âmes ». Bien qu’elle ne leur soit point particulière — presque tous les Orientaux l’ont acceptée — cette théorie prend, chez un de leurs meilleurs théologiens, le catholicos Timothée I er,

des arèles extrêmement vives. Sa lettre II, citée cidessus, est un petit traité de l'âme ou sont soulevés les divers problèmes qui se posent à son sujet. Les c. iv, v, vi. répondent aux questions suivantes : Quelles connaissances demeurent dans les âmes séparées ? Savent-elles quelque chose du bien ou du mal qu’elles ont fait durant qu’elles habitaient le corps ? Peuvent-elles éprouver quelque soulagement du mémento que l’on fait d’elles à l’autel du Seigneur ? Trad., p. 32-36.

Et voici, en résumé, les réponses qu'à ces questions un peu indiscrètes fait notre théologien : Dans l'âme séparée il subsiste « actuellement » la vitalité et le mouvement ; la liberté et la raison n’y demeurent plus que virtuellement, mais non actuellement. Les choses se passent un peu comme durant la vie intrautérine ou bien encore durant le sommeil, où nous sommes vraiment sur terre sans y être. Car la mort frappe toute notre nature, âme et corps ; dans le corps, elle amène la dissolution, dans l'âme, le silence des actes et des facultés. Dès lors l'âme ne sait plus ce qu’elle a fait dans le corps : « Si elle savait tout ce qu’elle a fait dans le corps, elle saurait aussi la rétribution qui est due à ces actions-là : le sachant, s’il s’agit d’une âme juste, elle habiterait déjà dans la félicité du royaume des cieux, s’il s’agit d’une âme impie, la connaissance des tourments qui l’attendent la mettrait déjà dans les tourments. » Mais alors il y aurait injustice, car le corps, associé jadis à l'âme pour la justice ou pour l’iniquité, ne peut rien sentir ; des deux compagnons, ou des deux complices le sort serait totalement différent ( !). Sans compter que, si l’on met dans l'âme séparée connaissance et liberté, elle sera capable de mérite ou de démérite, et pourra se procurer un sort différent de celui que s’est acquis son compagnon d’ici-bas. « Pour éviter toutes ces absurdités, que nul donc ne dise ou ne croie que l'âme séparée du corps a une connaissance actuelle, soit de ce qu’elle a fait durant son union au corps, soit de ce qui lui arrivera au jour du jugement, soit de ce que devient présentement son corps. »

Que signifie dès lors la pratique traditionnelle de l'Église (voir Badger, op. cit., t. ii, p. 130-131) d’offrir pour le « soulagement » des morts le sacrifice eucharistique ? L’efficacité de cette pratique, Timothée I er ne songe pas à la contester, et il rappelle, à ce sujet, l’exemple si connu de Judas Machabée, faisant offrir une oblation solennelle pour ses soldats tombés dans la bataille. Combien plus ne doit pas profiter aux âmes chrétiennes le « sacrifice du Fils de Dieu ». « Mais, continue-t-il, le fruit de ce sacrifice ne vient point actuellement à la connaissance de l'âme ; il ne lui sera connu qu’après la résurrection générale. Alors seulement, quand la mesure de ses fautes lui sera pleinement dévoilée, elle connaîtra aussi la mesure de la miséricorde divine qui lui est accordée à cause du sacrifice du Fils de Dieu. Bien que les péchés n’en soient point totalement expiés — puisque, dans l’hypothèse, l'âme n’a pas eu recours aux larmes et à la pénitence à l'époque où elle avait la jouissance de sa libre volonté — du moins une grande miséricorde lui en vient-elle, en sorte que sur elle aussi se manifeste la multiforme miséricorde de Dieu…. Ainsi il est souverainement utile que soit sans cesse immolé pour nous l’Agneau de Dieu. » Trad., p. 36. Par ces citations, on voit qu’il n’est pas facile de concilier la doctrine nestorienne avec le dogme catholique du purgatoire.

On verra dans le Livre de l’abeille de Salomon de Bassorah un exposé très populaire du sort des âmes séparées. L’auteur y atténue sensiblement ce qu’avait d’un peu rigide la conception de Timothée : « Sans doute, dit-il, les âmes ne reçoivent ni châtiment ni récompense avant la résurrection ; mais elles connais sent ce qu’elles ont fait de bien ou de mal. » Et il énumère les diverses opinions qui ont été émises sur les séjours possibles de ces âmes et leur état. La théorie du « sommeil des âmes » n’est comptée par lui que comme une hypothèse, et il ne s’y rallie pas entièrement. D’autant qu’il se rend fort bien compte qu’elle porterait un coup fatal à la pratique traditionnelle de l’invocation des saints. Op. cit., c. i.vi, trad., p. 131-133.

Sur la résurrection générale et ses suites, l’enseignement de l'Église nestorienne est à peu près l’enseignement commun. Babaï polémique, non sans injustice, contre les tendances origénisles de certains docteurs (des partisans de Hënânâ, sans doute) qui refusent d’attribuer aux ressuscites un corps analogue à celui que nous avons sur cette terre. Trad., p. 151 sq. Ces protestations reviennent de temps à autre chez divers théologiens. Mais il est une autre infiltration origéniste contre laquelle il ne semble pas que l’on se soit toujours mis en garde : une tendance à repréfenter comme métaphoriques les peines de l’enfer, et à en enseigner la mitigation graduelle. Cette tendance se manifeste clairement dans Joseph Hazzâyâ, voir l’art, cité d’A. Scher, p. 58, dans Salomon de Bassorah, c. ux et lx, trad., p. 137-142. Pour être moins populaires les expressions d'Ébedjésus n’en sont que plus révélatrices : « Les bons, écrit-il, monteront au royaume céleste, avec leur Seigneur, ils entreront dans les demeures de la région supérieure ; illuminés par les contemplations, les révélations de la lumière divine, ils jouiront d’une vie bienheureuse, d’une souveraine et ineffable joie. C’est la vraie béatitude. Quant aux méchants, ils demeureront sur la terre, plongés en d'épaisses ténèbres, brûlés par le feu de la douleur et de la pénitence, au souvenir de leurs œuvres passées, songeant à la façon dont ils ont échangé, étrange marché, l'éternel bonheur pour une joie imaginaire et momentanée. Yoilà le véritable enfer dont le feu ne s'éteint pas dont le ver ne meurt pas. » Livre de la perle, tract. V, c. vii, trad., p. 365. — Sur ces divers points de l’eschatologie, les confessions de foi proposées aux nestoriens venant à l’unité ont précisé l’enseignement catholique.

Les moyens de salut.

1. L'Église. — Il va de soi

que la théologie nestorienne considère l’institution ecclésiastique comme le moyen divinement établi pour conduire les hommes à leur fin dernière, tant par son enseignement, que par sa législation et ses sacrements. Tout cela est implicitement supposé, quelquefois clairement exprimé, dans les décisici s synodales que nous avons signalées.

Quant à la constitution même de l'Église, il ne semble pas que les théologiens aient beaucoup spéculé sur elle, et les démonstrations que l’on a voulu donner de leur croyauce à la primauté de Pierre et de ses successeurs, les pontifes romains, ne sont pas également solides dans toute leurs parties. C’est le cas de la dissertation de Mgr Khayyatt, Syri orientales scu Chalderi nestoriani et romanorum pontificum primalvs Borne, 1870, et aussi de la préface de Giamil, Bêlationes, p. xx sq. ; cf. aussi dom Emmanuel, O. S. B.. Doctrine de l'Église chaldéenne sur la primauté de saint Pierre, dans lievue de l’Orient chrétien, 1896, 1. 1, p. 137148. En face des textes plus ou moins poétiques que l’on trouvera rassemblés dans ces recueils, et qui, bien entendu, ne sont pas sans valeur, il faut mettre, pour les ramener à leur juste valeur, les textes officiels de l'Église nestorienne. Voici comme s’exprime, en 585, le synode d’Iso’yahb I er dans son canon 29, intitulé : « Des ordres et des degrés du ministère ecclésiastique », où il s’agit de régler la situation du catholicos dans l'Église orientale. Après avoir rappelé comment Notre-Seigneur a pour ainsi dire ordonné patriarches les Douze, « pour tenir d’une manière générale le

rang supérieur », après avoir assimilé les évêques et métropolitains aux soixante-dix (sic) disciples, il rapelle comment après la mort de ces premiers » et de ces « seconds », l’Esprit constitua des sièges et des trônes en divers lieux :

Il établit quatre patriarches dans la région t occidentale », pour diriger par eux toutes les principautés de cette région et tous les ordres qui en dépendent. Il choisit aussi un cinquième patriarche pour la région orientale (c’est-à-dire le catholicos de l'Église perse), et, de même que les quatre principautés des pays où le soleil se couche règlent et gouvernent les assemblées des prêtres et des fidèles qui s’y trouvent, de même la principauté des pays où le soleil se lève a reçu mission de diriger la contrée, première de toutes, où les peuples embrassèrent la vérité. Cette principauté, resplendissant par la vraie foi, tient le sceptre noble et apostolique de la mère des principautés, à l’instar de Pierre, le chef des Douze, et de Paul, l’architecte des Églises. Synod. orient., p. 160, trad., p. 419-120, reproduit plus ou moins textuellement dans la Colleclio cemonum d'Ébedjésus, tract. IX, c. ii, dans A. Mai, Scripl. vet. nova colleclio, t. x a, trad., p. 157.

Ou nous nous trompons fort, ou les derniers mots cités veulent dire que la même situation qui est reconnue par les « Occidentaux » à la ville de Pierre et Paul doit être reconnue à la ville de l’Orient où siège le catholicos. Or, c’est la même idée qui avait été exprimée dès le synode de Dadiso' en 424 : on y fait nettement défense d’en appeler aux « patriarches occidentaux » : « Nous définissons, dit le synode, que les Orientaux ne pourront se plaindre devant les patriarches occidentaux de leur patriarche. Que toute cause qui ne pourra être résolue en présence de celui-ci soit réservée au tribunal du Christ …Le patriarche doit être le juge de tous ceux qui sont au-dessous de lui et son propre jugement est réservé au Christ qui l’a choisi, élevé et placé à la tête de son Église. » Synod. orient., p. 51, trad., p. 296 ; cf. Ébedjésus, loc. cit., tract. IX, c. v, trad., p. 163 et 164. N’avons-nous pas ici l'équivalent de la célèbre formule romaine : Prima sedes a nemine judieatur ? Sans doute la définition du synode de 424 vise avant tout les interventions possibles du patriarche d’Antioche dans les affaires de l'Église perse, mais sa généralité n’en est pas moins à remarquer.

Et c’est pourquoi, nous semble-t-il, il convient d'être prudent dans l’interprétationd’un texted'Ébedjésus qui a été assez souvent allégué en faveur de la reconnaissance par les nestoriens de la primauté romaine. Au traité IX, ci, de sa collection canonique, loc. cit., trad., p. 154, il énumère les divers patriarcats. Il commence par citer les villes où ils sont établis, d’après l’ordre d’ancienneté de celles-ci : Babylone, Alexandrie, Antioche, Rome, Constantinople. Mais, continue-t-il, ce n’est pas seulement à cause de leur antiquité profane que ces villesonl mérité leurdignité et leurs prérogatives. C’est à cause de l’apôtre qui y a enseigné et du roi qui y a régné que cette dignité a été conférée à Rome, à cause des deux colonnes qui y sont placées, Pierre, le prince des apôtres et Paul, le docteur des nations. Rome est donc le premier siège et le chef des patriarches. Le second est Alexandrie, le troisième est Éphèse (siège transféré à Byzance, comme il est marqué un peu plus loin), le quatrième est Antioche. Ces sièges, en effet, ont eu respectivement comme fondateurs : Pierre, Marc, Luc et Jean. Le cinquième siège est Babylone, à cause des trois. apôtres de cette région : Thomas, Barthélémy et Addaï. On voit que ce texte ne se ramène pas à une reconnaissance pure et simple de la primauté de juridiction de l’Eglise romaine. — Plus explicite semblerait, de prime abord, un texte rapporté par le même Ébedjésus, tract. IX, c. v, trad., p. 165, sous cette rubrique : oecumenicorum : « De même que le patriarche a l’autorité

légitime sur ceux qui lui sont soumis, de même que le patriarche de Rome ait pouvoir sur tous les patriarches comme le bienheureux Pierre avait pouvoir sur toute la communauté, puisque celui qui est à Rome tient sur toute l'Église la place de Pierre. » Mais il n’est pas facile de voir où le métropolite de Xisibe a pris ce texte, ni la signification exacte qu’il peut avoir dans l’ensemble de son système. Il convient donc de rester sur une certaine réserve. Il n’en est pas moins vrai que la présence dans un recueil canonique quasiofficiel de textes de ce genre, a pu être d’une grande influence sur les nestoriens qui, aux diverses époques, ont désiré revenir à l’unité romaine.

2. Les sacrements.

Comme toutes les Églises, l'Église nestorienne a commencé par vivre des sacrements avant de spéculer sur leur nombre, leur nature, leurs éléments constitutifs, leur mode d’efficacité. Chose intéressante à signaler, c’est à peu près au même moment où l'Église latine constitue définitivement sa théologie sacramentaire, que l’on entend Ébedjésus résumer en quelques chapitres les enseignements de l'Église nestorienne sur la matière. Le quatrième traité du Livre de la perle est consacré aux » sacrements de l'Église », et le chapitre i constitue un traité en raccourci « des sacrements en général. »

Il y a sept sacrements, dit-il. Mais sa liste ne se superpose pas à la nôtre ; la voici : Le sacerdoce, le baptême, le chrême, l’oblation du corps et du sang du Christ, la rémission des péchés, le fermentum, le signe de la croix. Comme on le voit, il manque à la liste le mariage et l 'extrême-onction ; pour trouver son compte, notre auteur dédouble l’eucharistie en sacrifice et en fermentum et ajoute le « signe de la croix ». Il sait d’ailleurs que d’autres considèrent comme sacrement le mariage, auquel il consacre lui-même le dernier chapitre de son traité. Somme toute, seule Fextrêmeonction n’est pas représentée. — Quant aux éléments constitutifs des sacrements, ils sont ainsi énumérés : Pour qu’il y ait sacrement efficace, c’est-à-dire produisant la sainteté, il faut un prêtre ayant vraiment reçu le sacerdoce, les paroles déterminées par le Seigneur pour chaque sacrement, enfin la foi sans hésitation de ceux qui le reçoivent, et qui doivent être persuadés que les choses signifiées par les sacrements sont accomplies par une vertu céleste. Comme on le voit, ce n’est pas tout à fait notre doctrine de Vopus operalum, mais il suffirait de quelques précisions pour faire cadrer les deux théologies.

Sur le baptême, Ébedjésus donne un enseignement relatif à la « matière » et à la « forme » qui est le nôtre, la forme, bien entendu, étant exprimée sous forme indicative : « Un tel est baptisé », comme en tous les rites orientaux. Les liturgistes romains du xvii<- siècle, moins au courant de l’antiquité, ont pu se troubler de telle ou telle des formules employées, voir Assémani, Bibl. orient., t. ni b, p. ccxlvii-cclv ; leurs scrupules nous surprennent un peu aujourd’hui. La question de la circoncision qui a joué aussi un certain rôle lors des négociations relatives à l’union (voir diverses professions de foi dans Giamil, loc. cit., p. 20, 381), doit être jugée d’après les mêmes principes qui ont été signalés ici pour la circoncision des coptes, t. x, col. 2294. Cette coutume d’ailleurs, assez courante au xvie siècle, semble être d’importation arabe. Assémani, ibid., p. cclviii. On trouvera également dans Assémani les discussions relatives à divers points de détail : baptême par le prêtre seul, nécessité absolue de prendre de l’eau bénite solennellement et mélangée d’huile sainte, etc. Tous traits archaïques, auxquels il ne serait pas difficile de trouver des correspondants en d’autres Églises. Voir col. 315.

Sous le nom de « chrisma » c’est bien de la confirmation que traite Ébedjésus ; on est donc un peu 309

NESTORIENNE (L'ÉGLISE), THÉOLOGIE SACRAMENTAIRE 310

étonné de voir Sulâqà.dans sa profession de foi, s’exprimer ainsi : » Les anciens ont-ils usé de la confirmation, je l’ignore ; je suis un simple moine ; qui aurait pu m’apprendre cela ? o (liamil, loc. cit., p. 478. Mais, comme dans toutes les Églises orientales, la confirmation est tellement unie au baptême que l’on comprend assez les hésitations de certains à l’en distinguer. Il n’est pas impassible d’ailleurs que la signification de certains rites, et même leur usage, ait disparu aux époques de décadence. Voir Assémani, loc. cit., p.

CC.LXXVII-CX.LXXXV.

La foi de l'Église nestoriennc relativement à l’eucharistie est, dans ses lignes essentielles, la foi de l'Église universelle. Pour l’exposer, Ébedjésus commence par rapporter la doctrine du sacrifice eucharistique ; rien n’est plus juste, ni plus traditionnel. Aux sacrifices anciens s’est substitué le sacrifice de la croix « où le Fils unique de Dieu s’est offert à son Père en victime vivante et raisonnable, réconciliant ainsi le monde avec la majesté souveraine, procurant le salut aux anges et aux hommes. Mais comme il n'était pas possible que l’immolation de la croix fût renouvelée pour le salut de tous en tout temps et en tout lieu, le Fils, dans sa miséricorde, sa clémence et sa sagesse, a trouvé un moyen admirable. » Suit un bref récit de la dernière cène. Puis l’auteur continue : « Par ce cornai uidement du Seigneur le pain est changé en son corps sacré et le vin en son sang précieux, et ils sont (le pain et le vin ainsi changés) pour la rémission des péchés, pour la purification, l’illumination, la propitiation, pour l’espoir de la résurrection et de l’héritage céleste, pour une vie nouvelle dans ceux qui les reçoivent en toute foi et sans hésitation. » L’affirmation de la présence réelle est absolument explicite : « Chaque fois que nous nous approchons de ces mystères, c’est le Christ que nous rencontrons, lui que nous portons dans nos m uns, que nous baisons ; par leur réception nous nous unissons à lui. Son corps sacré se mêle à notre corps, son sang précieux se mélange à notre sang. Par la foi, en effet, nous savons que ce n’est qu’un seul corps, celui qui est au ciel et celui qui est dans l'Église. » Loc. cit., p. 358.

Ce sont là, il est facile de le voir, affirmations toutes pratiques. Ébedjésus ne spécule nullement sur la minière dont le sacrement réalise la présence mystique du Christ sur l’autel. D’autres théologiens avant lui avaient essayé de le faire, et il est assez curieux de retrouver dans, leurs théories, des tendances analogues à celles que l’on remarque, dans l’Occident latin, lors des controverses eucharistiques du ixe et du xi c siècles. Babaï, ici encore, est un de ceux qui a essayé de serrer le problème de plus près, mais il faut bien reconnaître que ses essais ne sont pas toujours heureux. Passe encore pour la comparaison qu’il fait entre les résultats de l’union des deux « hypostases » du Christ en un seul « prosopon de filiation » avec le résultat du changement eucharistique : Vna est (in inciirnatione) persona filialionis, non duæ, sicut una est persona corporis Christi et panis sanctifteati. Trad. p. 124. (Pour le dire en passant, cette comparaison légitime tout à fait ce que nous avons dit antérieurement, col. 152, de la définition du prosopon.) Mais il y a, p. 181, tout un développement sur le pain eucharistique, qui ne laisse pas d’inquiéter quelque peu. Il s’agit d’expliquer, comment, entre autre noms, celui de « pain » convient au Christ. C’est d’abord, répond l’auteur, parce que le Christ vivifie, c’est aussi parce que in pane tradidit mysteria sancta quæ sunt typus corporis et sanguinis ejus et memoriale mortis ejus. Et, après avoir rappelé les textes de l’institution, Babaï de continuer :

Et Dominus noster dixit : « Kgo sum panis qui de cælo dtscendi » (Joa., vi, 51) — non autem de fcœlo descendit

panis qui est in typum et virtutem — ; et sieut dixit : « Panis, quein ego dabo, corpus meum est quod pro vita mundi frangetur » (.loa., vi, 52). 1-xce comportant est uni ttoribus veritatis corpus Dominl nostri, quod ipso panein denominat, non de CfBlo descendisse, sed sainpfuin esse de beata .Maria… sicut dixit Scriptura. Ktenim, (il faut traduire, je pense, semblublement) secundum naturam, panis qui super altare ponitur et frangitur ex tritico est ; per orationem autem et supplicationem sacerdotis et illapsum Spiritus Sancti accipit virtutem, et lit corpus Dominl nostri secundum virtutem et propitiationem et remissioneni peccatorum, et est unuin corpus cum corpore I)omini, quodino ; clo est per unionem, non per naturam ; sed panis, in natura sua servatus, est corpus per unionem, et corpus, in natura sua manens, est panis per unionem. Trad. p. 181.

Il ne serait pas difficile de trouver dans ces développements une doctrine de l’impanation. A la « nature » du pain s’unit la « nature » du corps du Christ..Mais, pour cela, il faudrait traduire nature par substance » et cette traduction ne serait pas adéquate. Accusons plutôt l’incapacité où est notre théologien d’approfondir les concepts de substance et d’accidents, aussi bien que ceux de nature et de subsistence. De même qu’il est incapable de concevoir une nature concrète dépourvue de sa subsistence propre, de même il ne peut imaginer des accidents séparés de leur substance. Il reste que sa comparaison entre le mystère eucharistique et le mystère de l’incarnation est fâcheuse. Voir, ibid, p. 229-233, un développement plus inquiétant encore sur la relation entre le corpus tijpicum, c’est-à-dire l’eucharistie, et le corpus dominicain quod est in ceelo. On y retrouverait quelque chose de l’argumentation de Ratramne contre Paschase Radbert. Georges d’Arbèles (ou l’auteur de V Interprétatif) officiorum) présente des théories étroitement apparentées à celles de Babaï. Qu’on en juge par cette position de question : Quidam theophori viri dixerunt hœc mysteria esse proprio sensu corpus et sanguinem Christi, non corporis et sanguinis ejus mysleriurn. C’est tout à fait la question soulevée par Ratramne, et il serait du plus vif intérêt de voir comment notre théologien cherche la réponse, non dans la distinction de la substance et des accidents, mais dans celle des caractères naturels (hypostatiques) et des caractères personnels. Quoi qu’il en soit, il est impossible de faire même des plus aventureux de ces docteurs des précurseurs des « sacrament aires » du xvie siècle. Pour mystérieux que soit le rapport entre le corps eucharistique et le corps réel du Christ, par l’eucharistie nous entrons vraiment en communion avec le Sauveur.

Sur le rôle respectif que jouent dans la consécration les paroles de l’institution et l’appel adressé au Saint-Esprit (épiclèse), la théologie nestorienne ne semble rien présenter de particulier. La position semble bien être celle de tous les Orientaux. Ébedjésus écrit : Formam impertitur (Christus) vivo verbo suo et per illapsum Spiritus Sancti, p. 359. Mais, chose à signaler, l’une des anaphores encore en usage chez les nestoriens, si elle contient une allusion à la dernière cène, n’exprime pas les paroles mêmes de l’institution. Voir l’art. Orientale (Messe). Renaudot et d’autres liturgistes ont pensé qu’il s’agissait ici plutôt d’un accident qui aurait fait tomber ces paroles, que d’une suppression intentionnelle et tendancieuse. Mais peut-être s’agit-il aussi d’un état primitif du texte. Il y a là un problème assez complexe et qui ne nous paraît pas résolu.

Que la consécration du pain se fasse in jermenlo et non in azymo, ceci n’est pas non plus une particularité des nestoriens. Mais, à partir d’une certaine date, on les voit attribuer une grande importance à la confection de ce fermentum ; il est préparé par le prêtre lui-même avec diverses cérémonies ; on y met de l’huile et une parcelle de malkâ, ci-dessous, col. 310. Voir Martène, Deant. Eccl. rit., éd. de 1788, 1. 1, p. 118 ; Assémani, loc.

cit., p. ccic. Toute une légende s’est développée autour de ce jermenium qui continuerait sans interruption le pain employé par le Christ à la Cène. Voir Ébedjésus, loc. cit., p. 359. et surtout Salomon de Bassorah, c. xLvir, trad., p. 102-103. Tout cela ressortit davantage au folklore qu'à la théologie.

Telle qu’elle est présentée par Ébedjésus, la doctrine de la pénitence est classique. Après avoir rappelé les textes les plus consolants de l’Evangile sur l’accueil réservé au pécheur repentant, notre théologien ajoute : « Que les fidèles donc, chaque fois qu’ils sont secoués par les vices de l’humaine fragilité, se rendent à l’endroit du remède, qu’ils exposent leurs infirmités aux médecins spirituels, afin que par l’expiation et les canons pénitentiels ils retrouvent la santé de l'âme, et puissent ensuite s’approcher en toute pureté de la cène du Seigneur. » Loc. cit., p. 360 ; cf. Synod. orient., p. 174-175, trad., p. 433-435. Il réserve expressément aux prêtres le droit d’appliquer ces remèdes. Jusqu'à quel point la pratique correspondait-elle, du temps d'Ébedjésus, aux indications fournies par celui-ci ? il est impossible de le dire. Mais il est certain qu’au xvie siècle, au moins dans les contrées sous la dépendance de Sulâqâ, la confession auriculaire n'était point pratiquée. C’est ce qui ressort de la profession de foi émise à Rome par ce dernier en 1553 : Erat quidem olim apud nos consueludo ut revelaremm peccala nostra inter nos, sed surrexil violentas tyrannus et abolii’il eam ; orta est cxdes ac conlentio et cessaie fecit illarn. Sed nunc, o Pater noster, habemus spem in te quod scribes per lilteras et excommunicabis eos qui id non observabunt.

L’usage de la confession auriculaire semble toutefois s'être conservé sporadiquement. Il existait au début du xviiie siècle à Mossoul et dans les villages nestoriens de la plaine voisine ; nous en avons pour garant la copie faite en 1702 à Tell Usquf, par un nestorien, d’un manuel pénitentiel, où il faut reconnaître un ouvrage légèrement accommodé du jacobite Denys bar Salibi († 1171). J. M. Vosté, La confession chez les nestoriens (note sur le ms. Vat. syr. 505), dans Angelicuw, t. vii, 1930, p. 17-26. Ce témoignage est confirmé par la déclaration du patriarche chaldéen catholique Joseph II, écrivant en 1703 dans son livre intitulé Le miroir pur : « Voici que la confession n’est plus pratiquée parmi les nestoriens, si ce n’est dans la ville de Mossoul et à Tell Kef… » Ibid., p. 25.

L’extrême-onction n’est pas citée, nous l’avons dit, par Ébedjésus parmi les sept sacrements, et l’on ne voit même rien qui y corresponde dans sa liste, car le signum viviflcæ crucis qu’il signale comme le septième sacrement, n’est certainement pas un rite réservé aux malades : Signum crucis vivificæ perpétua est christianorum custodia et omnium sacramentorum perfectio et perficiens. Loc. cit., p. 356. Assémani, loc. cit., p. cclxxvi, a bien prétendu trouver dans Georges d’Arbèles un indice que l’onction des malades avait existé autrefois ; mais la réserve d’huile sainte, cornu gratiæ sanctie, gardée dans l'église, dont parle celui-ci, n’est mentionnée qu'à propos du baptême, voirt. xcii, trad., I>. ! » 2-99. II est d’ailleurs remarquable que dans cette longue explication des offices ecclésiastiques où sont amplement décrites les diverses cérémonies, y compris les funérailles, il ne se rencontre aucune mention de l’onction des malades. Cela ne veut pas dire qu’on ne trouverait nulle part chez les nestoriens d’application sur les malades d’huile (quelquefois mélangée de diverses substances : poussière d’un autel, reliques de saints). Mais nous sommes assez loin du sacrement d’extrême-onction. Voir la note de Chabot dans le Synod. orient., p. 364, n. 1.

L’ordre (sacerdolium) est considéré par Ébedjésus comme un sacrement, qu’il met en tête comme celui

dont les autres dépendent ; il n’entre d’ailleurs dans aucun détail sur les divers degrés, et se contente de dire que, suivant une tradition apostolique, il est donné par l’imposition des mains. Loc. cit., p. 356. Assémani, loc. cit., p. cccxxxi, fait la remarque très juste que, pour la substance des ordres sacrés, les nestoriens sont d’accord avec l'Église catholique et qu’on ne saurait mettre en doute la validité de ces ordres, sans s’exposer à rejeter toutes les ordinations des Grecs. Les théologiens latins du xviie siècle avaient été moins fermes dans ce sens ; on sait combien a dû être énergique en son temps l’intervention de Morin pour empêcher un jugement défavorable à la validité. Quant aux abus qui ont pu se produire dans la collation des ordres, leur relevé rentre plutôt dans l'étude de l’histoire de la discipline que dans celle de la théologie. Pour ce qui est des divers degrés de la hiérarchie, on trouve dans la Colleclio canonum d'Ébedjésus un essai de classification, tract. VI, c. i, p. 105 sq. ; trois grandes divisions : 1e diaconat, le presbytérat, l'épiscopat, divisé chacun en trois ; le diaconat comportant les trois degrés de lecteur, de sous-diacre et de diacre ; le presbytérat, ceux de prêtre, de périodeute (ou visiteur), d’archidiacre ; l'épiscopat enfin, ceux d'évêque, de métropolite et de catholicos. Le texte d'Ébedjésus fait expressément remarquer que le périodeute remplace le chorévêque qui a été supprimé ; on le trouve encore dans certaines listes, comme aussi l’archiprêtre. On trouvera dans Assémani, loc. cit., p. dccxciiidccclvi, la description des rites par lesquels se confèrent ces divers ordres ou degrés, y compris celui des diaconesses.

Le mariage, dit Ébedjésus, Livre de la perle, p. 356, est compté comme le septième sacrement par ceux des chrétiens qui n’ont pas le fermentum. Il traite du mariage en tant qu’institution au chap. vin du traité des sacrements, mais ne parle, et encore très sommairement, que de son caractère indissoluble. Comme chez tous les Orientaux, Grecs compris, cette indissolubilité est relative, puisque le mariage peut être dissous pour diverses raisons : « la fornication (c’est-à-dire l’adultère) d’un des conjoints, la raison de conscience qui se divise en trois : le changement de religion, la tentativement d’empoisonnement, la tentative de meurtre ; enfin pour certaines raisons corporelles. » Comparer avec ce qui est dit à l’art. Mariage dans l'Église gréco-russe, t. ix, col. 2323 sq. Comme toute les Églises, les nestoriens ont des rites ecclésiastiques pour la célébration du mariage. Le synode de Georges I er, en 676, déclare que l’observation de ces rites est obligatoire. Synod. orient., p. 223, trad., p. 487488. Voir une description sommaire dans la Collectio canonum d'Ébedjésus, tract. II, c. n sq., p. 43 sq., et remarquer ce qui est dit au c. iii, du mariage de ceux qui se trouvent dans une région où il n’y a pas de prêtre. Les synodes nestoriens se sont également préoccupés de déterminer les empêchements de mariage, en particulier ceux qui proviennent de la parenté et de l’affinité, précaution indispensable dans la région persane où le magisme autorisait les mariages entre consanguins et même entre frères et sœurs. Pour ne pas se laisser ramener tout à fait à nos catégories occidentales, les empêchements de mariage établis par le droit nestorien sont réglés sensiblement par les mêmes principes. Voir un tableau des empêchements dans Ébedjésus, Collecl. can., tract. II, c. i, p. 40 sq. Ici encore des abus ont pu se produire ; en particulier, les catholicos ont pu se montrer beaucoup trop larges dans l’octroi de certaines dispenses. II n’en reste pas moins que sur ce chapitre, comme sur tant d’autres, l'Église nestorienne se trouve d’accord, dans les grandes lignes, avec l’ensemble des Églises chrétiennes.

C’est la conclusion, scinble-t-il, qui doit se dégager d’une étude mêmesommairede la t néologie nestorienne. Pour s'être développée en vase clos, pour avoir été moins mêlée, que d’autres à la vie commune de la catholicité, cette Église n’en a pas moins gardé, dans l’ensemble, les grandes vérités qui forment l’armature du christianisme. Aux belles époques de sa floraison, elle a présenté un ensemble de docteurs, dont elle peut être fière et qui, à un âge où d’autres régions chrétienne étaient dans la barbarie, ont fait œuvre solide. Les malheurs qui ont ensuite accablé cette chrétienté, l’ignorance qui en a été la suite, les abus qui dans la prat ique se sont multipliés, ne doivent pas faire oublier qu’elle fut, à un moment donné, dans une grande partie de l’Asie, le porte-drapeau du christianisme authentique.

Les sources ont été indiquées au fur et à mesure. Pour les références, le lecteur est prié de se reporter à la col. 289, où il trouvera le nom des divers théologiens nestoriens cités avec les éditions d’après lesquelles ils sont cités.

Parmi tes travaux, il faut toujours tenir le plus grand compte de.1. S. Assémani, Bibliotheca orientalis, t. iii, pars 2, en particulier : c. vi, Nesiorianorum schistnata ; c. vii, Seslorianorum veterum et recenliorum errores ; De palriarcha Nestorianorum ; nous avons dit col. 288, l’utilité du travail de G. P. Badger. The neslorians and their riluals, 2 vol., Londres, 1852.

É. Amann.