Dictionnaire de théologie catholique/MÉTAPSYCHIQUE
MÉTAPSYCHIQUE, mot proposé en 1905 par le Dr Ch. Richet pour désigner l’étude de certains faits actuellement inexplicables et qui paraissent dus à des forces intelligentes inconnues, comme pressentiments, télépathies, mouvements d’objets sans contact, apparitions, etc.
A la grande différence du mot métaphysique qui a un sens absolu, parce que son objet est essentiellement distinct de celui de la physique, de telle sorte qu’aucun progrès de cette dernière science ne lui permettra d’envahir le domaine de la métaphysique, le mot de métapsychique ne peut avoir qu’un sens relatif, puisque les faits étudiés par elle, dès qu’ils sont expliqués rationnellement, cessent de lui appartenir et rentrent dans des chapitres nouveaux de la psychologie.
On distingue une métapsychique subjective et une métapsychique objective. La première étudie des phénomènes exclusivement intellectuels, et ceux-ci semblent dénoter une faculté mystérieuse de connaissance, une lucidité particulière que notre psychologie actuelle est incapable d’expliquer ; on a proposé de l’appeler cryptesthésie.
La métapsychique objective traite de phénomènes matériels que la mécanique ordinaire n’explique pas : mouvements d’objets sans contact, maisons hantées, fantômes, matérialisations photographiâmes, sonorités, lumières…
La métapsychique prétend être une science d’observation exerçant une critique sévère sur les faits apportés, car il faut éliminer les éléments d’erreurs, particulièrement nombreux en semblable matière, illusions, fraudes conscientes ou inconscientes. Elle est aussi une science expérimentale qui s’efforce de provoquer les faits et même de procéder à certaines mesures. On admet généralement qu’un fait est expliqué scientifiquement, quand on peut le provoquer à volonté, et qu’on a pu déterminer les relations quantitatives qui le rattachent à ses antécédents nécessaires.
Si le mot est récent, les faits étudiés sont connus depuis le début de l’humanité civilisée, c’est pourquoi l’on peut distinguer quatre périodes dans l’élaboration de cette science difficile.
1° Une période mythique que nous pourrons faire durer jusqu’au xviiie siècle, c’est l’occultisme. Cf. C. de Vesme, Storia dello spiritismo, 3 vol., Turin, 1896-1898 ; Albert Caillat, Manuel bibliographique des sciences psychiques et occultes, 3 vol., Paris, 1913.
2° Une période magnétique qui commence avec Mesmer (1733-1815). Mesmer recourt au magnétisme animal pour guérir certaines maladies ; ses procédés sont continués et perfectionnés par Puységur, d’Eslon, Deleuze.
3° Une période spirite qui débute en 1847 par les sœurs Fox à Hyderville ; la religion nouvelle se répand comme une traînée de poudre en Amérique, puis en Europe, provoquant les beaux travaux de Chevreuil, De la baguette divinatoire, du pendule explorateur et des tables tournantes, Paris, 1854 ; de Faraday, The table turning delusion, dans Lancet, 1853. Le Dr H. Rivail publie le Livre des esprits, Paris, 1857, et le Livre des médiums, Paris, 1861, sous le pseudonyme d’Allain Kerdec ; il tente d’expliquer les faits indéniables par la grossière hypothèse d’esprits qui cherchent à se réincarner. Ces théories seront développées en Angleterre par A. Russell Wallex.
4° Une période scientifique. Une Société dialectique de 36 membres se réunit à Londres en 1869 pour contrôler scientifiquement les faits apportés. Elle décida le grand physicien W. Crookes à en faire lui-même l’étude avec deux médiums : Douglas Rome et Florence Cook. Il publia des mémoires remarquables de 1869 à 1872. Chez nous, le Dr Richet procédait à des recherches semblables dès 1875. La Society for psychical Research fut fondée à Londres en 1882 par E. Gurney et Fr. Myers ; à Paris parurent les Annales des sciences psychiques (1890-1920), dirigées par C. de Vesme, puis la Revue métapsychique, dirigée par le Dr Geley.
Les principaux médiums utilisés de 1885 à 1920 sont : Slade, Eglinton, Stainton Moses, Marthe Béraud, Stanislawa Tomezyk, miss Goligher, Mad. Lesnard. Mad. Piper, de Boston, a été étudiée par William James, R. Hodgson, Hyslop, Fr. Myers, Sir Oliver Lodje, Sir Barrett.
I. Métapsychique subjective. — Un grand nombre de faits indubitables, présentant l’apparence de la cryptesthésie, ne relèvent plus de la métapsychique, car ils doivent être rattachés à la psychologie normale de l’insconscient.
On admet généralement aujourd’hui que l’esprit peut travailler sans que la conscience assiste à ce travail, et même que l’inconscient est capable de tout ce que peut faire le conscient. On admet d’autre part que nul souvenir du passé ne s’efface et que, si la conscience oublie beaucoup, la mémoire conserve tout dans les profondeurs de l’inconscient. Même, si l’on trouvait ces affirmations trop absolues, il est incontestable que l’esprit est capable d’accomplir d’une façon inconsciente des œuvres analogues à celles qu’il accomplit avec conscience, et que la mémoire conserve dans ses profondeurs des souvenirs que nous croyons à jamais oubliés — et cela suffit pour expliquer bien des phénomènes qui paraissaient autrefois humainement inexplicables.
C’est ainsi que les mouvements des tables tournantes s’expliquent par des impulsions inconscientes des mains qui les touchent, cf. Grasset, L’occultisme hier et aujourd’hui, Montpellier, 1928, et Le psychisme inférieur. Elles pourront même révéler des choses qui semblent inconnues des assistants, mais si ces choses existent réellement dans leur inconscient, provenant de lectures oubliées ou de visions distraites. On peut considérer ces phénomènes comme relevant de la psychologie normale, et dès lors ils ne seront plus objet de la métapsychique.
De même les altérations ou dédoublement de conscience étant des phénomènes parfaitement étudiés par la psychologie pathologique, on pourra s’expliquer que le médium, en état de transe, prenne l’allure d’un personnage défunt, en adopte le langage, en rapporte les sentiments présumés : si étranges que soient ces manifestations, elle ne permettent pas de supposer l’intervention d’esprits désincarnés, comme l’imaginent gratuitement les spirites, ni même l’action d’un nouveau sens différent de ceux étudiés par la psychologie.
Au contraire la cryptesthésie peut être étudiée chez les êtres normaux, les hypnotisés, les médiums, et chez certains individus dénommés sensitifs, parce qu’ils semblent doués d’une lucidité spéciale.
La cryptesthésie pragmatique (appelée psychométrie par Buchanan) s’exerce au contact d’un objet ayant quelque rapport avec la chose à voir (mèche de cheveux d’une personne éloignée ou morte) ou par la vision dans un cristal ou par l’audition dans une coquille ; ce sont des faits renouvelés des anciens : hydromancie, divination par l’eau d’une fontaine, lécanomancie, vases pleins d’huile, catoptromancie, miroirs, cristallomancie, boules de verre, onychomancie, ongle de la main couvert d’un peu d’huile.
Ces faits, s’ils sont véritables, semblent dénoter un sens supplémentaire dont les indications généralement peu précises sont ordinairement inaperçues.
Il y a aussi les faits de xénoglossie, compréhension, lecture, écriture, prononciation d’une langue qu’on n’a pas apprise, cas tout différent du prétendu langage martien d’Hélène Smith étudié par Flournoy, œuvre de pure imagination.
La baguette divinatoire tourne d’elle-même auprès des nappes d’eau souterraines ; bien plus, elle permet de découvrir les métaux cachés. On assure qu’une personne sur vingt possède le don de sourcier, beaucoup peuvent le développer. On a supposé une force inconnue, dénommée force rhabdique, agissant soit directement sur la baguette, ainsi que croit le ressentir le sourcier, soit plus probablement sur le système nerveux de l’expérimentateur et provoquant des contractions musculaires inconscientes. Dans ce cas on fait tourner la baguette alors qu’on croit lui résister.
Plus étranges encore sont les faits de monitions ; ils sont trop nombreux pour être attribuables au hasard ; il faut donc chercher la cause des visions à distance, ou même d’audition de certaines paroles fréquemment pendant le sommeil, parfois à l’état de veille ; le plus souvent le phénomène se rapporte à un individu qui meurt à une grande distance.
On connaît même quelques cas de monitions collectives, celles-ci pouvant être simultanées ou non ; ils porteraient à faire admettre une force cachée dans les choses ou dans les âmes, qui va trouver le percipient et émouvoir certaines régions de son inconscient.
La prémonition est plus étonnante encore ; elle semble néanmoins démontrée. Certains individus peuvent annoncer des faits à venir et donner pour ces faits qui n’existent pas encore et qui sont imprévisibles, des détails tellement précis que nulle sagacité, nulle coïncidence fortuite ne pourrait expliquer cette prédiction. Il va sans dire que le phénomène futur existe déjà dans sa cause, mais pour l’y apercevoir ne faut-il pas un sens spécial ? et c’est ce qu’examine la métapsychique.
II. Métapsychique objective. — Elle étudiera les télékinésies, déplacements d’objet sans contact (voir les expériences de W. Crookes avec le médium Home, dans les Recherches sur les phénomènes du spiritualisme, trad. fr., Libr. des Sciences psychologiques, Paris, 1872) ; les bruits et coups frappés (raps) dans une table sans contact avec le médium ; l’écriture directe (un crayon enfermé dans une ardoise fermée écrit une réponse à la question posée), les ectoplasmies (matérialisations de formes existantes d’objets, de figures, de personnages), les lévitations, les bilocations, les maisons hantées.
Les phénomènes matériels objectifs sont rares, ils supposent l’intervention de quelque médium ; ils doivent être contrôlés d’une façon extrêmement sévère. Mais trop de faits sont rapportés par des expérimentateurs sérieux et convaincus pour qu’on puisse les traiter par prétention. Les nombreux cas de fraude indubitable ne permettent pas d’attribuer indistinctement à la fraude tous les faits signalés.
Dès lors il convient de chercher si les faits ne doivent pas s’expliquer par un sens caché et par des forces émergeant des corps, capables d’agir à distance et de se matérialiser pour prendre forme.
Qu’on s’imagine un homme jouissant du sens de l’odorat parmi ses semblables qui en seraient privés, et qui ne soupçonneraient pas l’existence de ce sens, ne leur paraîtrait-il pas sorcier par les indications qu’il leur fournirait sur des objets invisibles et hors de la portée des mains ? Ainsi un sens caché, dont certains médiums sont doués et qui est susceptible de développement par l’exercice, permet peut-être d’atteindre des objets qui nous paraissent inaccessibles, parce qu’ils sont éloignés de nous par la distance ou la durée. Les pigeons ne se laissent-ils pas guider par un sens tout aussi mystérieux ?
En tout cas, le théologien doit étudier les faits apportés pour en contrôler la réalité et en discuter l’interprétation. Il peut le faire avec une liberté d’esprit totale, car aucune explication ne s’impose à lui a priori, aucune n’est récusée par lui si elle, paraît vraisemblable.
D’autre part, les condamnations de l’Église portées contre les diverses pratiques de divination ne préjuge nullement des résultats de la métapsychique. L’Église a sagement condamné des pratiques dans lesquelles on recourait aux démons, soit explicitement, soit implicitement ; du jour où il sera prouvé que certaines de ces pratiques ne supposent aucune intervention des mauvais esprits, elles deviendront licites.
Montrer que certaines pratiques ont été longtemps à tort réputées diaboliques, ce n’est nullement nier le diable ou les diableries, c’est seulement les reléguer dans leur domaine véritable.
De même certains faits ont paru miraculeux qui peuvent s’expliquer naturellement ; cela ne force pas à nier les vrais miracles, mais à les contrôler sévèrement.