Dictionnaire de théologie catholique/LAUNOY (Jean de)

J. Carreyere
Letouzey et Ané (Tome 9.1 : LAUBRUSSEL - LYREp. 8-10).

1. LAUNOY (Jean de), (1603-1678), naquit à Valdecie, au diocèse de Coutances, le 21 décembre 1603, et non point à Valognes, comme le disent Ellies du Pin et Moréri ; il commença ses études à Coutances et il vint à Paris faire ses cours de philosophie et de théologie ; en 1636, il était docteur de Navarre et il fut ordonné prêtre la même année ; dès cette époque, il inaugura la série innombrable de ses écrits. Il voyagea en Italie, visita les bibliothèques, fréquenta et interrogea les savants et se fit remarquer par son érudition ; de retour en France, il poursuivit ses recherches ; en 1643, le chancelier Séguier le choisit pour un des quatre censeurs royaux dont la fonction était de supprimer les livres qui tendraient à propager la doctrine de Jansénius et d’Arnauld ; en 1648, il fut exclu du collège de Navarre, pour avoir, dit-on, déclaré que la récitation du bréviaire n’était pas obligatoire, mais seulement de dévotion. Il séjourna presque constamment à Paris, où il publia un grand nombre d’écrits sur des matières de critique, d’histoire et de discipline ecclésiastique ; il eut des relations avec les savants du temps qu’il recevait chez lui tous les lundis. Ces conférences, où l’on discutait de tout, lurent supprimées par ordre du roi en 1676. Il mourut dans l’hôtel du cardinal d’Estrées le 10 mars 1678.

Les Œuvres complètes de Launoy ont été éditées a Genève par l’abbé Granet, en 5 tomes et 10 volumes in-fol., 1731-1733, sous ce titre : Jouannis Laanoii opera omnia, ad selectum ordinem revocata, ineditis opusculis aliquot, notis nonnullis dogmaticis, historicis criticis, auctoris vita, variis monumentis tum ad Launoium, tum ad scripta ipsius pertinentibus, præfationibus cuique volumini affixis, indicibus locupletissimis aucta et illustrata. Accedit Tractatus de varia Launoii librorum fortuna. D’ailleurs, Launoy lui-même avait dressé le catalogue de ses écrits dans son Regii Navarræ gymnasii Parisiensis historia, t. ii, p. 852 sq.

Les œuvres de Launoy sont particulièrement intéressantes au point de vue historique et critique ; cependant la théologie positive et la théologie dogmatique et morale y occupent une place notable. Nous nous contenterons d’indiquer les principaux travaux de Launoy à ce sujet, en suivant de préférence l’ordre chronologique, car presque tous ces écrits furent composés à l’occasion de polémiques et inspirés par des circonstances du moment.

Le premier opuscule de Launoy étudie une question de philosophie et de théologie : Syllabus rationum quibus causa Durandi, de modo conjunctionis concursuum Dei et creaturæ defenditur et inofficiosa quorumdam recentiorum censura refellitur, in-8o, Paris, 1636. D’accord avec Durand de Saint-Pourçain, Launoy soutient que Dieu ne concourt pas immédiatement aux actions mauvaises des créatures libres. A la fin de son traité, Launoy pose un cas de conscience, qui évidemment faisait allusion à des controverses contemporaines.

« Le jugement rendu à Rome contre le

sentiment de Galilée qui n’a point encore été envoyé et notifié à l’Université de Paris, oblige-t-il les professeurs de cette Faculté, plus que le jugement porté par le concile de Paris et le pape Grégoire IX contre certains livres d’Aristote ? »

Dès 1641, Launoy inaugura les critiques qui lui ont valu la réputation de « dénicheur de saints et de destructeur des privilèges monastiques ». Il intervint dans la question soulevée par le P. Sirmond dans ses Concilia antiqua Galliæ (1639) : Denys l’Aréopagite n’est pas l’apôtre de Paris ; en faveur de cette thèse, Launoy publia quatre dissertations. Launoy attaqua également la tradition provençale de la venue et du séjour dans le midi de la France de Lazare, Maximin, Marthe et Madeleine ; il contesta et discuta vivement l’authenticité des bulles de Jean XXII et d’Alexandre V sur les privilèges du scapulaire après la vision de saint Simon Stock ; il combattit certaines traditions des chartreux relatives à la vie de saint Bruno ; il fit une critique très sévère des privilèges monastiques des religieux de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Médard de Soissons, des prémontrés ; enfin il composa trois dissertations pour montrer que la Gaule n’avait été évangélisée que dans la seconde moitié du iie siècle. Cette œuvre critique de Launoy a été diversement jugée. Les Remarques sur le dictionnaire de Bayle disent que Launoy « écrivait beaucoup et ne pensait pas assez…, ses ouvrages sont difficiles à lire, remplis d’érudition et de citations très longues. » Dans les Mélanges d’histoire et de littérature, recueillis par Vigneul Marville, 2 vol. in-12, Rouen, 1700, on dit que « Launoy soutenait les plus mauvaises causes avec opiniâtreté. » Par contre, le Journal des savants du 13 juin 1701, p. 265, dit : » Son caractère particulier était d’aimer la vérité sur toutes choses, de la chercher sans prévention, de la découvrir librement, quand il l’avait trouvée : vixit amans veri, falsi osor, certus et judex. »

Au point de vue théologique proprement dit, Launoy a étudié en particulier l’autorité et l’infaillibilité du pape, l’Immaculée Conception et l’Assomption de la sainte Vierge et surtout les sacrements.

Launoy n’a composé aucun traité sur l’infaillibilité pontificale ; mais dans sa volumineuse correspondance, il en parle souvent et il proteste énergiquement contre cette infaillibilité ; il soutient la supériorité du concile, attaque avec violence les adversaires de sa thèse, spécialement Cajétan, et surtout Bellarmin. Ces lettres se trouvent presque toutes au t. v des Opera omnia et ont été éditées sous le titre : Epistolæ omnes, octo partibus comprehensæ, 8 vol. in-8o, Paris, 1664-1073, rééditées en 1689, en un volume in-fol. à Cambridge, cum præfatione apologetica pro reformatione Ecclesiæ anglicanæ. La Bibliothèque universelle et historique de l’année 1690, p. 237-287, donne une analyse détaillée des 82 lettres qui combattent l’autorité des papes au nom de l’histoire, discutent les thèses de Bellarmin et les passages de l’Écriture sur lesquels on prétend appuyer l’infaillibilité du pape.

Dans ses Præscriptiones de conceptu B. Virginis, in-12, Paris, 1676 et 1677, Launoy expose diverses opinions touchant l’Immaculée Conception, qui n’est point un dogme de foi et qui paraît même contraire aux paroles de l’Écriture et aux sentiments de plusieurs théologiens. En 1709, parut un vol. in-4o ayant pour titre : Réfutation d’un libelle imprimé en 1676 qui a pour titre : Prescription touchant la conception de Notre Dame. L’auteur n’entreprend point de prouver la vérité de la Conception immaculée qui, dit-il, est un mystère, mais il veut montrer que Launoy s’est très certainement trompé, et, pour le prouver, il réédite le traité de Launoy avec la réfutation. Journal des savants, du 10 juin 1709, p. 353-357.

En 1668, le chapitre de Notre-Dame décida d’insérer de nouveau au martyrologe de Paris le texte du martyrologe d’Usuard qui s’y trouvait jusqu’au xvie siècle, au sujet de la Dormition de la sainte Vierge. Usuard dit que le corps de la sainte Vierge ne se trouve pas sur la terre, mais l’Église, dans sa sagesse, a déclaré qu’elle ignore où se trouve son corps. Launoy justifia la décision du chapitre dans sa Controversia super conscribendo Parisiensi Martyrologio exorta, ubi de Dormitione et Assumptione Virginis agitur, in-8o, Laon, 1670, et 1671. Launoy fait remarquer que le mot Assomption peut se rapporter à l’âme aussi bien qu’au corps. La thèse du critique fut attaquée par Jacques Gaudin, docteur de Sorbonne, dans Assumptio Mariæ virginis vindicata, in-12, 1672, et par Nicolas Ladvocat Billiad dans Vindiciæ Parthenicæ, in-12, 1670 ; tandis que Claude Joly, chantre de Notre-Dame, répondait au premier : Traditio antiqua Ecclesiarum Franciæ de verbis Vsuardi ad festum Assumptionis B. M. B. vindicata adversus Jacobum Gaudinum, in-12, Sens, 1672 ; Launoy réfutait le second : Diversi generis erratorum quæ in Parthenicis Nicolai Advocati Billiadi Vindiciis exstant specimen, in-8o, Paris, 1671.

Enfin Launoy a étudié les sacrements au point de vue historique. Il ne parle que très incidemment du baptême dans son ouvrage intitulé : De vera notione plenarii apud Augustinum concilii in causa rebaptizantium dissertatio, in-8o, Paris, 1644, 2e édit., 1662, 3e édit., 1666, et dans les diverses Dissertationes qu’il composa pour défendre ses positions attaquées par le dominicain Nicolaï et Jean David, abbé commendataire des Bons-Hommes-lez-Angers.

Launoy s’est occupé du sacrement de pénitence dans son travail : De mente concilii Tridentini circa satisfactionem in sacramento pænitentiæ dissertatio, in-8o, Paris, 1644. L’auteur prouve, contre les thèses jansénistes, que, d’après le concile de Trente et la pratique de l’Église, l’absolution dans le sacrement de pénitence peut précéder la satisfaction, laquelle n’est pas obligatoire avant l’absolution. L’ouvrage semble avoir fort embarrassé les jansénistes et G. Hermant. dans ses Mémoires, édit. Gazier, t. i, p. 300, dit simplement : « Cet écrit ne parut pas assez important pour y répondre et on le négligea comme plusieurs autres. » Launoy compléta d’ailleurs sa thèse antijanséniste dans le De mente concilii Tridentini circa contritionem et attritionem in sacramento pænitentiæ liber, quo scilicet duplici theologorum de contritione et attritione opinioni præjudicium nullum fecisse sed utrumque scholæ liberam reliquisse demonstratur, in-8°, Paris, 1653. Ce traité, adressé à Vialard, évêque de Châlons-sur-Marne, fut provoqué par une dispute survenue dans ce diocèse ; la conclusion est que le concile n’a rien décidé sur cette question qui reste libre ; cependant, après avoir donné huit raisons de cette thèse, Launoy semble dire que l’opinion qui exige la contrition est la plus ancienne et la plus universelle. Dans une autre dissertation, Launoy prêche ouvertement la fréquentation des sacrements : De frequenti confessionis et eucharisticæ communionis usu atque utilitate liber, in-8°, Paris, 1653.

Launoy s’occupa de la juridiction épiscopale pour l’administration du sacrement de l’ordre dans le De recta Nicæni canonis 6, et prout a Rufino explicatur, intelligentia, dissertatio, in-8°, Paris, 1640 et 1662 ; il s’agit du droit que Mélèce, évêque de Lycopolis, prétendait avoir de faire des ordinations dans toute l’Égypte, tandis que ce droit appartenait certainement au patriarche d’Alexandrie, qui, sur ce point, pouvait être comparé à l’évêque de Rome. Cette thèse fut attaquée par Henri de Valois et défendue par Launoy dans un nouveau travail : De recta Nicæni canonis 6 intelligentia dissertationis propugnatio, in-8°, Paris, 1671.

C’est surtout la question du mariage que Launoy a étudiée. Pour lui, le mariage est un contrat civil ; donc l’autorité séculière a le droit d’établir des empêchements dirimants, même depuis que l’Église a élevé ce contrat à la dignité de sacrement, et l’Église n’a aucun pouvoir sur ce point : Regia in matrimonium potestas vel tractatus de jure sæcularium principum christianorum in sanciendis impedimentis matrimonium dirimentibus, in-4°, Paris, 1674. Launoy soutint cette opinion au sujet du mariage de Gaston d’Orléans. Cette thèse singulière fut attaquée par Dominique Galésius, évêque de Ruvo (royaume de Naples), dans un écrit intitulé : Ecclesiastica in matrimonium potestas Dominici Galesii contra Joannis Launoii doctrinam, in-4°, Rome, 1676, mais Launoy maintint ses thèses dans un nouvel écrit : Contentorum in libro sic inscripto : Dominici Galesii… ecclesiastica in matrimonium potestas, erratorum index locupletissimus, in-4°, Paris, 1677. Un livre anonyme qu’on a attribué à Leuillier, docteur de Sorbonne, contesta aussi la doctrine de Launoy dans des Observationes, in-8°, Louvain, 1678. Il faut ajouter d’ailleurs que l’ouvrage de Launoy fut condamné à Rome le 10 décembre 1688. Le volume des Œuvres complètes de Launoy contient encore quelques autres écrits posthumes dans lesquels sont reprises les mêmes opinions. T. iv b.

Enfin Launoy a parlé de l’extrême-onction dont il a indiqué les rites dans l’Église grecque et l’Église latine, en même temps que les usages qui ont accompagné l’administration de ce sacrement aux diverses époques : De sacramento unetionis infirmorum liber, ubi græci et latini ritus primæ, mediæ et postremæ ætatis referuntur et explicantur ; deinde notatur quamdiu unctionem subsecutum est viaticum ; tum refertur status morientium in cinere et cilicio, in-8°, Paris, 1673.

Launoy fut-il janséniste ? La chose est fort douteuse, bien que son nom soit inscrit dans le Nécrologe des plus célèbres défenseurs et confesseurs de la vérité, t. i, p. 171-172, et dans le Supplément au nécrologe de l’abbaye de Notre-Dame de Port-Royal des Champs, p. 454-455. Launoy ne semble pas avoir embrassé les théories jansénistes, au moins dans leur ensemble. Sans doute, il critiqua la conduite de la Sorbonne à l’égard d’Arnauld, en 1656, dans les Notationes in censuram Antonii Arnaldi propositionum quorum una facti, altera juris appellatur, et dans une Lettre contre la censure des deux propositions de M. Arnauld, mais il se place uniquement au point de vue de l’illégalité et de l’injustice commises par la Sorbonne. On lui a attribué la Véritable tradition de l’Église sur la prédestination et la grâce, écrite sous le pseudonyme de Louis Marais, in-12, Liège, 1702. Richard Simon, dans sa XXXIe lettre choisie, donne à Launoy la paternité de cet écrit, mais un docteur en théologie, par une lettre adressée au Journal des savants du 14 novembre 1701, p. 441-444, conteste l’affirmation de Simon, car, dit-il, cette dissertation « expose des idées absolument contraires à celles de Launoy, lequel avait déclaré au P. Sirmond mourant qu’il ne pouvait, sur ce point, accepter son opinion. » Plusieurs fois, Launoy avait déclaré qu’on n’était pas obligé de suivre la doctrine de saint Augustin sur la grâce et qu’on pouvait suivre les Pères grecs. Le P. Daniel publia une Défense de saint Augustin contre un livre paru depuis peu sous le nom de M. Launoy, où l’on fait passer ce Père pour un novateur sur la prédestination et la grâce, in-12, Paris, 1704. Le P. Daniel, en défendant saint Augustin, rappelle qu’on ne doit pas toujours prendre d’une manière absolue les expressions des Pères, mais qu’il faut leur tenir compte des hérésies qu’ils combattent. Mémoires de Trévoux, de janvier 1704, p. 3-17, et Journal des savants du 11 février 1704, p. 76-83. Le P. Serri, dominicain, réfuta le même libelle attribué à Launoy, Journal des savants du 11 mai 1705, p. 249-254. De son côté, G. Hermant, dans ses Mémoires, édit. Gazier, t. iii, p. 453-454, à propos des Remarques sur le Formulaire du serment de foi qui se trouve dans le procès-verbal du clergé, écrit :

« Il n’y a personne de ceux qui le connaissent qui ne

sût qu’il faisait profession d’être tout à fait éloigné de suivre la doctrine de saint Augustin sur la matière de la grâce, parce qu’il était attaché à celle des Pères grecs, de sorte qu’il n’y avait rien de plus ridicule que de vouloir le faire passer pour janséniste… »

Michaud, Biographie universelle, t. xxiii, p. 353-357 ; Hœfer, Nouvelle biographie générale, t. xxix, col. 911-915 ; Moréri, Le grand dictionnaire historique, t. vi b, p. 197-198 ; Quérard, La France littéraire, t. iv, p. 617 ; Chaudon et Delandine, Dictionnaire historique, t. ix, p. 555-557 ; Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. iii, p. 62-68 ; Chauffepié, Nouveau dictionnaire historique et critique, t. iii, p. 43-44 ; Jean Leclerc, Bibliothèque universelle et historique de l’année 1690, t. xvi, p. 237-287 ; Nicéron, Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, t. xxxii, p. 84-139 ; Ellies du Pin, Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques du XVIIe siècle, IIIe partie, des auteurs qui ont fleuri depuis 1650 jusqu’en 1675, p. 98-184 ; Journal des savants, années 1664, 1665, 1667, 1668, 1698, 1701, 1704, 1705, 1706, 1726, 1731 ; A. Arnauld, Elogium J. Launoii Constantiensis, Parisiensis theologi, in-12, Londres, 1685 ; Reiser, J. Launoius… vindicatus, in-4°, Amsterdam, 1685 ; Féret, La Faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres ; époque moderne, t. iv, 1907, p. 1-35.

On trouve le catalogue manuscrit des ouvrages écrits par Launoy à la Bibliothèque Mazarine, 10 988 A ; Nicéron, op. cit., donne les titres de 86 ouvrages composés par Launoy, dont Guy Patin, dans sa lettre cli, Lettres choisies, 3 vol. in-12, Cologne, 1691, raconte qu’on « disait autrefois de lui qu’il ôtait tous les jours un saint du paradis et qu’il fallait que Dieu se gardât qu’enfin il ne l’ôtat lui-même. »

J. Carreyere.