Dictionnaire de théologie catholique/JUSTIFICATION

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 316-409).

JUSTIFICATION. — Sous le nom de justification la théologie désigne l’acte par lequel Dieu lait passer une âme de l’état de péché à l’état de grâce. Le même mot s’applique encore à l’état même où l’acte divin constitue l’âme, jusque-là pécheresse et devenue par la justification amie de Dieu. Mais ce second aspect n’est pas celui que l’on étudiera principalement ici ; c’est au mot Grâce sanctifiante qu’il a été surtout envisagé. Toute l’attention doit se concentrer à présent sur le processus par lequel l’âme, d’abord ennemie de Dieu, en devient l’amie. Qu’implique de la part de Dieu cet acte ? Que suppose-t-il dans celui qui en est l’objet ? On sait, en bref, que la doctrine de la justification est le point essentiel de divergence entre catholiques et protestants ; et il est impossible de l’exposer sans entrer dans le vif de la querelle entre les deux confessions. Pourtant l’exposé que l’on trouvera ici évitera volontairement toute allure de polémique. Il se contentera d’exposer la manière dont s’est précisée au cours des âges la doctrine de la justification. Il suivra donc cette doctrine :


I. Dans la Sainte Écriture. —
II. A l’époque patristique (col. 2077). —
III. Chez les scolastiques du Moyen Age (col. 2106). —
IV. A l’époque de la Réforme (col. 2131). —
V. En Hn il étudiera cette doctrine telle qu’elle s’est développée à la suite du concile de Trente (col. 2193).
C’est dans cette dernière partie que l’on trouvera l’exposé de la doctrine actuelle des théologiens catholiques.

I. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION DANS LA SAINTE ÉCRITURE.

Il faut en venir à saint Paul pour rencontrer enfin une doctrine explicite et systématisée de la justification. C’est cette doctrine que l’Église a prise pour base toutes les fois qu’elle a voulu définir sa loi, et spécialement au concile de Trente. C’est en elle, pareillement, que la théologie catholique a toujours cherché la matière principale de ses analyses et les principes directeurs de sa synthèse sur cet important sujet. C’est elle, en conséquence, qui fera l’objet direct de cette étude. Il sied néanmoins de tenter, au préalable, un relevé sommaire des données :
1° de l’Ancien Testament ;
2° de la théologie juive au I er siècle de notre ère (col. 201 G) ;
3° des Évangiles relativement à la justification (col. 2047) ; pour accorder
4° à saint Paul toute l’attention qui convient (col. 2049) ;
5° on terminera enfin par un court exposé de la doctrine de saint Jacques (col. 2075).

I. L’Ancien Testament. - —

Les termes : juste, justice, justifier se rencontrent partout dans l’Ancien Testament. Ils appartiennent au fonds commun du langage biblique, dont ils constituent l’un des éléments caractéristiques.

Juste se dit de Dieu. Il n’est pas d’attribut que l’Ancien Testament célèbre en lui avec plus d’insistance. La formule type est celle-ci, Tob., iii, 2 : « Tu es juste, Seigneur, et tous tes jugements sont justes. » On dit, Deut., xxxii, 4 : « C’est un Dieu fidèle et sans iniquité, il est juste et droit ; » auPsaume cxvi (cxiv), 5 : « Jahvé est miséricordieux et juste, notre Dieu est compatissant. » Ce terme de juste appliqué à Dieu ne semble donc pas avoir, dans l’Ancien Testament, le sens rigide qu’il prendra dans le judaïsme postérieur. — Juste se dit aussi de l’homme et au regard même de Dieu, de l’homme lui même, de ses paroles et de ses actes. Le mot s’entend parfois au sens restreint qu’il a dans l’usage courant. Mais le plus souvent c’est un terme de signification très ample, qualifiant la vie entière. Nous le trouvons associé à des mots comme : parfait, innocent, bon, excellent, saint, simple, miséricordieux, sage, sans rep che, fidèle, doux, termes dont, pour le sens, il ne d, iïère pas essentiellement. Il a pour contraires : impie, pécheur, et autres termes de connotation religieuse. Juste nous apparaît donc comme un terme de signification étendue et d’ordre religieux. Les mêmes observations valent pour le mot justice. Quant au radical verbal : justifier, le texte hébreu et plus encore les Septante L’emploient sous « les formes et avec des significations diverses que nous étudierons plus utilement a propos de la langue de saint Paul. Disons seuli ment qu’il est fort éloigné de comporter, toujours et de soi, un ser.s fon nsique ou même purement déclaratif.

La justification, c’est, pour saint Paul, le passage-, suivant une procédure appropriée, d’un état antérieur de non justice à l’étal de justice. L’idée qu’il s’en fait est nettement solidaire de sa doctrine du péché originel. L’état initial de non-juslice, d’où l’on passe a

l’état de Justice, est toujours et nécessairement pour

lui un étal positif de péché. Comment les choses

nous apparaissent-elles dans l’Ancien Testament ?

1° Etat initial de non-justice. -- Cet état demeure très Imprécis.

Les textes où l’on pourrait soupçonner la présence de la notion de péché originel sont peu nombreux et

bien connus. — 1. Job., xiv, 4. L’hébreu porte simplement : « Qui peut tirer le pur de l’impur ? Personne. » (C’est Job qui parle et il s’agit de l’homme). Les Septante insistent : « Qui sera pur venant de l’impureté ? Mais personne, n’eût-il vécu sur terre qu’un seul jour. » La Vulgate enfin est plus explicite : Quis potest lacère mundum de immundo conceplum semine ? Xonne lu qui solus es ? Bien difficile à discerner dans la brève interrogation de l’hébreu, très indistincte encore dans les Septante, l’idée de péché originel n’apparaît un peu clairement que sous la plume de saint Jérôme. — 2. Ps., li (l), 7 : Ecce enim in iniquitatibus conceptus sum et in peccatis concepit me mater mea. Deux phrases parallèles et de sens équivalent, mais que l’on peut interpréter, soit : Je suis né de pécheurs, soit : Je suis né pécheur. — 3. Sagesse, ii, 23 (Vulgate) : Quoniam Deus creavit hominem incxterminabilem et ad ima(jinem simililudinis sux fecit illum. Invidia autem diuboli mors inlroivit in mundum. IM1TANTVR autem illum qui sunt ex parte illius. Pris en lui-même, ce texte s’interpréterait aussi bien de Gen., iv, que de Gen., m. Les Septante nous offrent une leçon un peu différente et qui évoque l’histoire rapportée Gen., in : « Car Dieu a créé l’homme pour l’immortalité (ère’àcpOocpoîa ) et il l’a fait à l’image de sa propre nature. C’est par l’envie du diable que la mort est venue dans le monde. Ils en font l’expérience (7rsip(xÇoucH aùxôv) ceux qui lui appartiennent. » Il n’est pas impossible qu’il faille entendre l’immortalité de la vie bienheureuse et la mort de la mort spirituelle en même temps que de la mort corporelle. Mais la restriction finale écarte l’idée d’un héritage transmis à la postérité d’Adam tout entière. — 4. Eccli., xxv, 24 (Vulgate, 33) : « De la femme vient le commencement du péché ; c’est à cause d’elle (de son péché) que nous mourons tous. » Pour la mort, point de doute ; mais il n’en va pas de même pour le péché.’Apj(T) est communément interprété au sens chronologique plutôt que causal. — 5. En revanche, Sagesse, x, 1 : « C’est (la Sagesse) qui le tira (Adam) de son (îSiou) péché » ne saurait être entendu comme excluant positivement l’idée d’une transmission héréditaire de la faute d’Adam. "ISioç vaut le possessif : son, sans plus.

Sur quoi le P. Lagrange conclut : « Le péché originel n’est pas enseigné clairement dans l’Ancien Testament, » Épitre aux Romains. 1916, p. 144. De même le P. Frey, L’étal originel et la chute de l’homme d’après les conceptions juiues au temps de J.-C, dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 1911, p. 516 sq. Le P. F. Prat conjecture que les Juifs ont dû conclure de l’universelle participation au châtiment d’Adam l’universelle participation à sa faute. Il n’en reste pas moins que cette conclusion n’est clairement énoncée nulle part. Saint Paul nous éclairera davantage, sans toutefois nous étonner.

Sans doute, le sens du péché apparaît très vif dans l’Ancien Testament. Cependant l’absence d’une doctrine claire et explicite du péché originel laisse la notion de l’état initial de non-justice dans une grande indétermination, dont la doctrine de la justification ne peut manquer de se ressentir.

2° L’état (/c justice. - - L’Ancien Testament abonde en paroles laudatives sur le juste et la justice. Mais de les recueillir ne nous mènerait pas loin. Il s’en faut qu’elles soient de mil nie ù nous donner une idée positive et précise de l’état de justice. Disons seulement que cet état nous apparail comme réel cl actuel, non point comme une fiction Juridique et qui n’aurait d’existence qu’après la sentence finale prononcée par Dieu au jour du jugement. Cette senti née ne fera que constater la réalité. Ps., i.xii (i.xi), 13 : i Car tu rends ù chacun selon ses œuvres. »

Il importe davantage de remarquer que l'état de justice, tel que l’envisage l’Ancien Testament, se trouve encadré dans une économie religieuse très positive et supposée d’ordre surnaturel, à laquelle il est intimement relié. Inaugurée au Paradis terrestre, cette économie a pris sa forme propre lors de la vocation d’Abraham et trouvé son organisation complète dans la législation mosaïque. L’Israélite y est introduit par la circoncision. Il y devient héritier des promesses faites à Abraham, dont la foi doit passer en lui. Membre du peuple élu, il vit désormais sous la Loi mosaïque et bénéficie avec tous ses frères d’un gouvernement spécial de Dieu. Il s’achemine ainsi vers la réalisation de la grande promesse messianique, objet de son espérance. L'état de justice se définit en fonction de tout cela et se trouve conditionné par tout cela. En gros, c’est l'état de l’Israélite circoncis, qui croit en Dieu, qui observe la Loi, qui vit dans l’attente du Messie et qui, ce faisant, s’assure des titres certains à la bienveillance de Dieu et se range, de plein droit, parmi ceux qui auront part au salut.

Comment s’acquiert la justice.

L’Ancien Testament ne distingue pas, comme le fera plus tard saint

Paul, la première acquisition de la justice du développement subséquent de la vie dans la justice. Il considère l'état de justice et la justification en gros et en bloc. Cela fait une notable différence. A proprement parler, l’Ancien Testament ne nous fournit pas une doctrine précise de la justification au sens de saint Paul. Nous retrouvons ici la même indétermination que l’absence d’une notion explicite du péché originel a laissé subsister dans la conception de l'état initial de non-justice. D’ailleurs, tout cela se tient. Sous le bénéfice de cette remarque, relevons les facteurs divers auxquels l’Ancien Testament rapporte l’acquisition et la possession de la justice.

Nous rencontrons d’abord toute une suite d’affirmations du type de celle-ci que saint Paul lui-même a rapportée d’après Lev., xviii, 5 : « Vous observerez mes lois et mes ordonnances ; l’homme qui les mettra en pratique vivra par elles. » Ce qu'Ézéchiel, xviii, 5 sq. commente en ces termes : « Si un homme est juste et pratique le droit et la justice ; s’il ne mange pas sur les hauts lieux et n'élève pas les yeux vers les idoles infâmes de la maison d’Israël ; s’il ne déshonore pas la femme de son prochain et ne s’approche pas d’une femme pendant sa souillure ; s’il n’opprime personne, s’il rend au débiteur son gage, s’il ne commet pas de rapines, s’il donne son pain à celui qui a faim et couvre, d’un vêtement celui qui est nu ; s’il ne prête pas à usure et ne prend pas d’intérêt ; s’il détourne sa main de l’iniquité et juge selon la vérité entre un homme et un autre ; s’il suit mes préceptes et observe mes lois, celui-là est juste ; il vivra, dit le Seigneur Jahvé. »

Un deuxième type de déclarations a été pareillement relevé par saint Paul d’après Habacuc, ii, 4 : Justus autem in fide sua vivet. La Genèse, xv, 6 nous offre de ce principe une application célèbre : Credidit Abram Deo et reputatum est illi ad justiliam, que saint Paul encore a largement exploitée. De façon générale nous voyons la foi jouer un rôle décisif dans la vie des Pères. La louange qui leur est décernée de ce chef, Hebr., xi, ne fait que traduire de façon explicite la pensée de l’Ancien Testament.

Enfin un troisième facteur apparaît en maintes pages de l’Ancieh Testament, par ex., Ps., cxliii (cxlii), 2 : « N’entrez pas en jugement avec votre serviteur, car aucun homme vivant n’est juste (Vulg. non justificabitur) devant vous. » Cf. Is., lix, 5 sq., lxiv, 5, etc. L’appel à la miséricorde de Dieu est fréquent, Ps., xxv (xxiv), 11 ; xxxii (xxxi), 1 sq., etc. En résumé, la doctrine de la justification n’a assurément pas dans l’Ancien Testament la précision qu’elle a prise chez saint Paul. Mais, si de l’un à l’autre il y a détermination croissante et approfondissement, l’on n’est pas fondé à parler d’antagonisme positif ni même de véritable hétérogénéité. La différence qu’on remarque entre eux semble tenir principalement au développement de la notion du péché originel dans saint Paul et à la distinction nette de la justification au sens de passage de l'état de péché à l'état de justice d’avec la vie subséquente dans la justice. L’on n’a cependant aucune peine à entrer dans la pensée de saint Paul qui assure que le régime institué par l’Ancien Testament était beaucoup moins favorable que le régime chrétien..


II. La théologie juive a l'époque néo-testamentaire. —

Le R. P. Frey, article cité, a étudié avec quelque détail la notion de péché originel dans la littérature juive du premier siècle de notre ère. Hénoch, Jubilés, Testaments des douze Patriarches, Assomption de Moïse, Hénoch slave, Philon, Josèphe, Johanan ben Zakkaï, Apocalypse de Moïse, IV Esdras, Baruch syriaque. Il conclut en ces termes : « Les écrits juifs du temps de Notre-Seigneur ne nous fournissent donc aucune attestation de la croyance au péché originel. S’ils conviennent le plus souvent que le premier péché a eu une répercussion fâcheuse sur le monde physique, qu’il en est résulté la mort et même, au témoignage surtout des apocalypses postérieures (IV Esdras, Baruch syriaque, Apocalypse de Moïse), une diminution des énergies morales, ils ne donnent point à entendre que l’homme soit constitué pécheur par le seul fait de sa filiation adamique, en d’autres termes que la mort spirituelle se propage d’Adam à toute sa postérité. L'élément essentiel du péché d’origine ne s’y rencontre donc pas. On peut ainsi s’expliquer, dans une certaine mesure, pourquoi les rabbins n’ont jamais entrevu dans le Messie, le Rédempteur spirituel, le nouvel Adam, qui dût, par ses souffrances et sa mort expiatoires, réparer les blessures morales que la désobéissance du premier Adam avait faites à l’humanité. » Loc. cit., p. 544 sq. ; cf. Lagrange, Éptlre aux Romains, p. 113, 118.

Pour ce qui regarde la justice et la justification, la théologie juive au I er siècle de notre ère, se résume dans ces quelques données caractéristiques.

Le rôle de la circoncision.

Il est clairement

exprimé dans le Livre des Jubilés, xv, 25 sq. : « Cette loi (de la circoncision) vaut pour toutes les générations à jamais. Il n’y a pas de circoncision du temps ni de possibilité de laisser passer un jour au delà des huit jours. Car c’est une ordonnance éternelle, prescrite et gravée sur les tables célestes. Et quiconque est né et dont la chair du prépuce n’a pas été circoncise le huitième jour n’appartient pas aux enfants -de l’Alliance que le Seigneur fit avec Abraham mais il appartient aux enfants de perdition ; il n’y a plus sur lui aucune marque qu’il appartient au Seigneur mais (il est destiné) à être détruit et anéanti de la terre, car il a violé l’Alliance du Seigneur notre Dieu… » Les rabbins pousseront cette doctrine jusqu'à enseigner que nul circoncis ne peut être précipité dans 1 a Géhenne tant que les traces de la circoncision n’ont pas été abolies en lui.

Le rôle de la foi.

Voici quelques textes qui

le mettent en relief : Ps. de Salomon, xvii, 45 : « Paissant le troupeau du Seigneur dans la foi et la justice, » (Il s’agit du Messie). — IV Esdras, vi, 28 : Florebil autem fides et vincetur corruplela ; vii, 34 : Judicium autem solum remanebil, veritas stabil et fides convalescet ; ix, 7 sq. : El eril, omnis qui salvus factus fuerit et qui poterit effugere per opéra sua et per fidem in qua credidit, is relinquetur de prædiclis periculis et videbit ; salulare meum in terra mea… xiii, 23 : Ipse

custodibit qui in periculo inciderint, lii sunt qui habenl opéra et fidem ad Fortissimum. — Baruch syriaque uv, 5 : « Tu illumines les choses obscures et tu révèles les choses cachées pour ceux qui sont sans tache, qui se sont soumis dans la foi à Toi et à ta Loi ; » 16 : e Car, en vérité, celui qui croit en reçoit la récompense ; » 21 : < Tu glorifieras ceux qui croient selon leur foi. »

Le rôle de la Loi.

Cependant dans le judaïsme

contemporain de.I.-C. se développe, avec une rigueur sans cesse croissante, une doctrine de la justification par la Loi et par ses œuvres. On peut en trouver le point de départ dans Eccli., xv, 11-10 : « Il a fait luimême l’homme dès l’origine et il l’a remis à son propre conseil. Si tu veux tu garderas les commandements. » — Eccli., xxi, 11 : « Celui qui observe la Loi maîtrise son penchant mauvais. » Nous voyons poindre la doctrine, jusqu'à un certain point nouvelle, de la justice propre, de la justice acquise par l’homme luimême et par la voie des œuvres. Le IVe livre d’Esdras précise le caractère de. ce penchant et célèbre la grandeur de la Loi destinée à le vaincre, iii, 17-22 : El factum est cum educeres semen ejus ex JEgqplo, adduxisti super montem Sina. El inclinasti cœlos et staiuisti terram et commovisli orbem et tremere fecisti abyssos et conturbasli sœculum et transiit gloria tua portas quatuor, ignjs et lerrœmotus et spirilus et gelu ut dares semini Jacob legem… El non abslulisti ab eis cor malignum ut faceret in eis lex tua fructum. Cor enim malignum bajulans primus Adam Irangressus et victus est, sed et omnes qui de eo nali sunt. El facta est permanens infirmilas et lex cum corde populi, cum malignilale radicis… Nous voyons ici la pensée juive frôler, mais sans l’atteindre, la notion de péché originel. Le cor malignum est antérieur à la chute ; la permanens infirmilas n’apparaît pas comme péché. Mais on voit dans quelles conditions se présente le problème de la justification et le rôle unique assigné à la Loi. Cf. IV Esdras, v, 27 ; vii, 21, 79 ; îx, 31-37. Cette doctrine, accueillie par les maîtres palestiniens, ira s’imprégnant de plus en plus d’un esprit strictement juridique et contractuel. Dieu tient au jour le jour la comptabilité des œuvres de chacun. Lors du jugement final, il n’y aura plus qu'à faire la balance, et à proclamer le résultat. Ps. de Salomon, ix, 7 sq. : « Nos actes sont au libre choix et au pouvoir de notre âme, comme de faire la justice ou l’injustice par les œuvres de nos mains. Quant (à Dieu) il observe en sa justice les fils des hommes. Celui qui fait la justice se thésaurise la vie près du Seigneur. Celui qui fait l’injustice est lui-même cause de perdition pour son âme. »

La doctrine, un peu indéterminée, de l’Ancien Testament sur la justification était incontestablement plus large et plus souple. Nous la voyons, dans le judaïsme postérieur et surtout palestinien, systématisée et faussée. C’est bien, cette fois, la notion de justice propre, fruit des œuvres propres, sans autre participation de Dieu que le don de la Loi, que saint Paul combattra et dont il assurera qu’elle n’a jamais été valable. Cf. W. Bousset, Die Religion des Judentuna im neuleslamentlichrn Zeilalter, Berlin, 2e édit., 1906, ]>. 445. Le caractère forensique et eschalologique de la justification s’affirme de façon exclusive. Ce n’est rien de plus qu’une sentence de Dieu

constatant et déclarant ce qui est. Elle s’effectue au dernier joui-, lors du jugement final.


III. Les Évangiles. Pas plus que L’Ancien Testament, ils ne nous dirent une doctrine explicite île la justification. La notion spéciale de justice et de justification n’y joue même qu’un rôle de second plan et minime. Les Synoptiques s’attachent plutôt à ridée <'e salut et le quatrième Évangile à celle de vie.

Cependant l'épithète de juste continue d'être appli quée aux bénéficiaires du salut : Matth., x, 41 ; xiii, 43, 49 ; xxv, 37, 46 ; Luc, xiv, 14 ; xv, 7. Le terme : justification se rencontre sept fois seulement, une foi au sens forensique qugement dernier), Matth., xii, 37 ; une fois au sens de rendu juste, Luc, xviii, 14 ; les autres fois en des sens divers et moins techniques. Le mot justice n’est employé que dix fois.

Comme déclarations particulières, l’on ne voit guère à signaler que les suivantes. Matth., v, 19 : « Celui donc qui aura enfreint un de ces moindres commandements et aura enseigné aux hommes à faire ainsi, celui-là sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; celui, au contraire qui aura pratiqué et enseigné, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux. » Les pharisiens auront goûté cette parole, tout en la jugeant un peu faible peut-être. Il n’en va pas de même pour ce qui suit, v, 20 : « Je vous dis que si votre justice ne l’emporte sur celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » Suivent un approfondissement et une extension d’un certain nombre de prescriptions anciennes. Mais voici qui porte plus loin et rend décidément un son nouveau : Non enim veni vocare justos sed peccatores. Matth., ix, 13 ; Marc, ii, 17. Nous ne sommes pas au bout. La parabole du pharisien et du publicain, Luc, xviii, 9-14, nous suggère touchant la justification des idées entièrement conformes à celles que saint Paul développera plus tard. Justificatus au t. 14 signifie : devenu juste ou même rendu juste. La seconde partie de la prière du Seigneur : Et dimilte nobis débita nôstra sicut et nos dimiltimus debitoribus nostris, Matth., vi, 12 ; Luc, xi, 4, est dans le même esprit.

Mais la grande nouveauté des Évangiles, c’est la doctrine même de la Rédemption, l’idée du Messie conçu comme Rédempteur. Matth., i, 22 : Et vocabis nomen ejus Jesum ; ipse enim salvum faciel populum suum a peccalis eorum ; Matth., xx, 28 : Sicut Filius hominis non venit minislrari sed ministrare, et dare animant suam redemptionem pro mullis, XÛTpov àvrl rcoXAûv ; cf. Marc, x, 45. Les récits de l’institution de l’eucharistie' mettent cette idée dans un relief saisissant. Matth., xxvi, 27, a, sur la coupe : Hic est enim sanguis meus novi testamenti, (SiaOrjxiQç), qui (tô) pro mullis efjundetur in remissionem peccalorum ; cf. Marc, xiv, 24 et Luc, xxii, 20. Sur le pain, saint Luc, xxii, 19, porte : Hoc est corpus meum quod pro vobis datur, tô ÛTtèp ûu, wv 8186u.svov ; cf. I Cor., xi, 24. Cette idée du Messie-Rédempteur, quoique latente dans les poèmes du Serviteur de Jahvé, Is., xi.u, 1 sq. ; xlix, 1-6 ; L, 4-9 ; lii, 13-Lin, 12, était pratiquement étrangère aux Juifs.

D’autre part, c’est par la foi que l’homme devient bénéficiaire de la Rédemption opérée par le Christ et se dispose au salut. Marc, xvi, 16, est aussi explicite qu’on le peut souhaiter : Qui crediderit et baptizatus fuerit, salmis erit ; qui vero non crediderit condemnabitur. L'Évangile selon saint Jean abonde en déclarations sur la foi en Jésus et sur son pouvoir, Joa., i, 12 sq. : Quotquot autem receperunt cum, dédit eis potestatem filins Dei fleri, liis qui credunt in nomine ejus. Texte auquel on trouverait de multiples parallèles.

C’est ( « Ile doctrine évangélique de la Rédemption et de l’universel état de péché qu’elle suppose, puis de

la foi (et du baptême) comme moyen fondamental et

initial de s’en assurer le bénéfice dans l’union a Jésus Chris ! que saini Paul a développée en théologie inspirée de la justification. Des mots comme celui de Gal., ii, 21 :.le ne liens pas pour nulle la grâce de Dieu ; car si la justice (venait 1) par la Loi c’est donc que le Christ serait mort pour rien. » nous le montrent raisonnant à partir de la mort de Jésus-Christ. Dès le temps de sa première mission, d’après Act., xiii, 38,

il prêchait aux Juifs d’Antiochela Pisidienne : « Sachezle, mes frères, c’est par lui que le pardon des péchés vous est annoncé et de toutes les souillures dont vous n’avez pu être justifiés par la loi de Moïse ; quiconque croit en lui, est justifié : êv toôtw ttôcç ô tcictteûcov 6V xaiouroa. Toujours d’après les Actes des Apôtres, saint Paul n’aurait fait que reprendre l’un des thèmes de la première prédication apostolique, énoncé, par ex., dans le discours de saint Pierre, Act., x, 43 : « Tous les prophètes rendent de lui ce témoignage que tout homme qui croit en lui, reçoit par son nom la rémission de ses péchés. » Le premier cependant, il en a tiré, semble-t-il, cette conclusion explicite que la Loi est sans aucune valeur pour ce qui regarde la justification.


IV. Saint Paul. —

Nous avons dans ses Épîtres l’exposé parallèle et antithétique de deux économies de justification et de deux ordres de justice. Il sied de les étudier séparément.

I. la justice de La Loi.

Ce qu’elle est.

La

nature de cette justice est clairement énoncée Phil., ni, 9 : « et inveniar in Mo non habens meam jusliliam quæ ex lege est, sed illam quæ ex fide est Christi Jesu, quce ex Deo est jusliliu in fuie. CJ’ai voulu tout perdre)… afin d'être trouvé en lui, non avec ma propre justice — c’est celle qui vient de la Loi — mais celle qui naît de la foi dans le Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. » L’opposition principale est entre : justiliam quæ EX LEGE EST, et : illam quæ EX FIDE EST, c’est-àdire entre la justice de la loi et la justice de la foi. Une opposition secondaire se découvre entre : MEAM justiliam, qui est la justice de la Loi et : illam… quæ EX deo EST, à savoir la justice de la foi.

Cette dernière opposition se retrouve Rom., x, 3 : c Ignorantes justiliam Dei et suam quærenles staluere justiliæ Dei non sunt subjecti. (Les Juifs) méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir leur propre justice, ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » Justitiæ Dei non sunt subjecti semble devoir s’entendre de l’attribut divin, ce qui inviterait à comprendre dans le même sens le justiliam Dei du début. Cf. E. Tobac. Le problème de la justification dans saint Paul, Lcruvain, 1908, p. 127. Cependant, fait remarquer le P. Lagrange, « l’opposition entre la justice propre, qui était certainement, dans la pensée des Juifs, une qualité inhérente à leur personne, d’une part, et d’autre part, la justice de Dieu, indique que cette dernière est aussi du même ordre, inhérente à l’homme mais conférée par Dieu. Avant, d'être conférée, elle était offerte, et c’est dans cet état que les Juifs ne s’y sont pas soumis… * Épître aux Romains, Paris, 1916, p. 253. Justice de Dieu signifie donc justice qui vient de Dieu et nous avons la catégorique antithèse : justice qui vient de Dieu et justice propre. La poursuite de la seconde, fondée sur la méconnaissance de la première, a été cause que les Juifs ne se sont pas soumis à celle-ci, qui leur était offerte, et donc ne l’ont point reçue.

Résultats qu’elle produit.

1. La conséquence de

cette conduite des Juifs est énoncée Rom., ix, 30-32 : Quid ergo dicemus ? Quod génies, quæ non sectabantur justiliam, apprehenderunt jusliliam (manifestement conçue comme une qualité inhérente), justiliam autem quæ ex fide est. Israël vero, sectando (sectans) legem justitise, in legem [justiliœ] non pervenit. Le second justitise, insuffisamment attesté, semble devoir être considéré comm ; une glose, qui d’ailleurs n’est pas inexacte. De ce texte difficile on a proposé trois principales explications : a) Origène : El hic locus… in uno eodemque versicuto, diverse nominat legem. Cerium est enim quod Israël seclabatur legem justiliæ secundum litteram (c’est-à-dire la Loi mosaïque), sed in legem non pervenit. Quam legem ? Sine dubio, spirilus. Origène traduit par Rufin, Comment, in

Epist. ad Romanos, vii, 19, P. G., t. xiv, col. 1155. Ce changement de sens pour legem est difficile à admettre. Voici la preuve qu’en donne Origène : Ncque enim hoc diceret Apostolus quia legem quam seclabatur et quam tenebat et quam habebat, in hanc non pervenerit. Ibid. C’est très contestable, car parvenir, c’est ici, accomplir. — b) Saint Jean Chrysostome : Tu enim, Judœe. inquil ( Paulus), ncque jusliliam ex lege (mosaica) reperisli ; illam enim (legem) transgressus es et obnoxius factus es malediclioni ; hi (Génies), qui per legem (mosaicam) non venerunt sed per aliam viam, majorem hac (i. e. juslilid leyis) invenere justiliam, quæ ex fide est. Comment, in Ep. ad Romanos, xvi, 10, P. G., t. lx, p. 563. C’est l’exégèse adoptée par le P. Lagrange avec cette correction : « L’idée d’une justice légale n’est pas exprimée aussi nettement que le veut Chrysostome, qui entend vôji.oç Sixoaoaovrçç par hypallage « la justice de la loi », mais la Loi intervient pour indiquer qu’Israël ne cherche pas purement la justice, mais un certain ordre de justice, sa loi à lui. » Op. cit., p. 259. Le mot loi s’entendrait donc les deux fois de la Loi mosaïque, qui effectivement prescrivait la justice. — c) Saint Thomas : Dicitur lex juslitiæ lex spirilus vitæ per quam homines justificantur, ad quam Judœorum populus non pervenit, quam lumen seclabatur observandoumbram hujus spiritualis legis quæ consislit in observationibus cœremonialibus (In Ep. ad Rom., c. ix, lect. 5, in fine). Donc, les deux fois, le mot lex veut dire lex spirilus vitæ. Le P. Cornely développe cette exégèse dans Epist. ad Rom., Paris, 1896, p. 537. Il est difficile de se prononcer entre ces deux dernières explications. La seconde semble mettre trop au premier plan la Loi mosaïque et l’on a peine à comprendre que saint Paul attribue au fait qu’ils ont suivi la voie des œuvres, ꝟ. 32, cet échec des Juifs qui aurait consisté à n’avoir point pratiqué la Loi. La troisième exégèse aboutit à éliminer le rôle de la Loi mosaïque et l’opposition entre Gentils et Juifs s'évanouit. Retenons simplement que saint Paul fait allusion à une justice poursuivie par la voie des œuvres et que cette justice, qui est la grande ambition des Juifs, il la met, au moins implicitement, en rapport avec la Loi mosaïque.

2. Telle est bien l’idée que nous trouvons exprimée, quoique dans un esprit différent, Rom., x, 5 : Moyses autem scripsit, quoniam juslitium quæ ex lege est, qui fecerit homo, vivel in ea. La justice de la Loi est donc bien une justice d'œuvres que, dans cet endroit encore, ꝟ. 6 sq., saint Paul oppose, de ce chef, à la justice de la foi. Même idée encore et même opposition Gal., ni, 12 : Lex autem non est ex fide sed : Qui fecerit ea, vivet in Mis. De même, quoique indirectement, Gal., ii, 16 : Et nos (Judœi) in Christo Jesu credimus (credidimus) ut juslificcmur ex fide Christi et non ex operibus legis. — Rom., ii, 13 : Non enim audilores legis jusli sunt apud Deum sed faclores legis justificabuntur (c’est-à-dire seront déclarés justes au jugement dernier, sens forensique eschatologique ; contre saint Augustin : seront rendus justes). L’identification de la justice de la Loi avec la justice des œuvres n’y est pas moins manifeste. — Rom., ii, 23-27, développe la même idée sous un autre aspect : « Toi (Juif), qui te fais gloire de la Loi, tu déshonores Dieu par la transgression de la Loi… Certes la circoncision est utile, si tu observes la Loi ; mais si tu transgresses la Loi, de circoncis tu es redevenu incirconcis. Si donc l’incirconcis garde les préceptes de la Loi, Ta 81.xaic>[x.aTa toû vôfiou, juslilias legis, ne faudra-t-il pas le regarder comme circoncis. De sorte que l’incirconcis demeuré tel que l’a fait la nature, qui aura accompli la Loi, te jugera, toi, qui avec la lettre et la circoncision, Six ypàjifiocTo ; xal ^epi-ro^ç, per litteram et circumeisionem, auras transgressé la Loi. »

Nous avons donc, opposée à la justice de Dieu qui est la justice de la foi, une justice propre, qui est la justice de la Loi, laquelle est elle-même une justice des œuvres. Cette justice des œuvres donne sujet à qui la possède de se glorifier. Rom., iv, 2 : Si enim Abraham ex operibus justificatus est (ce qui, d’ailleurs, n’est pas le cas), habet gloriam, et Eph., ii, 8-9 : Gratia enim salvati estis per fidem, et hoc non ex vobis. Dei enim donum esi, non ex operibus, ne quis glorietur. Se glorifier, on serait fondé à le faire, si l’on avait été sauvé et justifié en suite de ses œuvres. Surtout les œuvres donnent le droit strict d'être reconnu juste et traité comme tel, Rom., iv, 4 : « A celui qui a des œuvres, le salaire n’est pas compté par faveur, mais selon ce qui est dû. » Par ces caractères, la justice des œuvres et de la Loi achève de se différencier de la justice de la foi, avec laquelle elle est en complète opposition.

3° Possibilité de l’atteindre. — Existe-t-elle, dans le fait, cette justice de la Loi et des œuvres ? Des affirmations explicites et réitérées de saint Paul semblent bien dire que non. Rom., iii, 20 : Quia ex operibus legis non jusli/icabitur omnis caro coram Mo. Nul ne sera justifié devant lui en suite d’oeuvres de la Loi. — Rom., ix, 31-32 : « Israël, poursuivant une loi de justice, n’est point parvenu à la Loi. Pourquoi ? parce qu’il n’a pas cherché à parvenir par la foi, mais par les œuvres. » — Rom., x, 3 : « Méconnaissant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » — Gal., ii, 16 : « Sachant que l’homme n’est pas justifié par les œuvres de la Loi… nous aussi nous crûmes au Christ Jésus, pour être justifiés par la foi au Christ… car par les œuvres de la Loi aucune chair ne sera justifiée. » — Gal., iii, 10 : « Car tous ceux qui procèdent par les œuvres de la Loi sont sous la malédiction ; car il est écrit : Maudit soit quiconque ne persévère pas dans la pratique de ce qui est écrit dans le Livre de la Loi. » Et le contexte indique que cette malédiction a passé de la sphère du droit dans celle des faits, car saint Paul continue : < Il est clair que nul par la Loi n’acquiert la justice devant Dieu, puisque Celui qui est juste par la foi vivra. Or la Loi ne procède pas par la foi, mais : Celui qui pratiquera ces choses en vivra. »

La thèse est radicale. D’où vient que nul ne sera justifié devant Dieu à raison des œuvres de la Loi ? C’est, bien entendu, à saint Paul lui-même que s’adresse notre question. Voici sa réponse ou les éléments, progressivement plus décisifs, de sa décision. Rom., m, 20 : Per legem enim cognitio peccali. La Loi fait mieux connaître le péché. Qu’est ce à dire ? Rom., iv, 15 : I.ex enim iram (Dei) operatur. Ubi enim non est lex, nec prsevaricatio, c’est-à-dire de transgression d’une loi positive, ce qui est l'évidence même. Mais cette transgression est elle donc fatale ? Rom., vii, 3 : Cum enim essemus in carne, passiones peccatorum, quæ per legem erant, operabantur in membris nostris ut fruetiflearent morti. Lorsque nous étions dans la chair, les liassions (causes) des [léchés (rà 7roc07)[iaTa Ttùv à[Jiap"n.âiv), excitées par la Loi, agissaient dans nos membres pour donner des fruits à la mort. Celle parole commence de nous introduire au cœur du problème. Cum essemus in carne définit la situation des chrétiens avant leur baptême. Passiones peccatorum s’entend de (lassions qui conduisent an différents péchés. Quæ per legem erant attribue à la Loi au moins une part de responsabilité dans l’existence OU dans l’activité « le ce s passions. Ut marque la conséquence de Cette activité des passions plutôt que le but. l’niiti [liaient morti, fructification dont nous avons

un copieux détail par ex. Rom., i, t.s sq. 4° l.c rote de lu Loi, - Sommairement énoncée

dans ce verset, Rom., vii, 5, la pensée de saint Paul sur le rôle effectif de la Loi va s’expliciter et s’approfondir Rom., vii, 7-25. Page célèbre, où l’on s’accorde à distinguer deux parties : 7-12 et 13-25.

Que dirons-nous donc ? La Loi est-elle péché ? Loin de làl Mais je n’ai pas connu le péché sinon par la Loi. Car en vérité je n’aurais pas connu la convoitise, si la Loi n’avait dit : Tu ne convoiteras pas. » Mais le péché ayant pris occasion du commandement a produit en moi toute convoitise ; car, sans loi, le péché est mort. Tandis que moi je vivais naguère sans loi ; mais quand le commandement est venu, le péché a repris vie, et moi je suis mort, et le commandement qui était pour la vie, s’est trouvé être pour la mort. Car le péché, prenant occasion du commandement, m’a séduit, et, par lui, m’a tué. Ainsi donc la loi est sainte et le commandement saint, juste et bon. »

Quelle est cette histoire et de qui est-elle l’histoire '? Grande incertitude. En face de la loi, saint Paul place son « moi ». « Mais tout le mondf reconnaît qu’il représente plus que sa personnalité évoluant dans son histoire particulière… Ce qu’il va dire émane de sa conviction la plus intime, de ses expériences comme de ses réflexions, mais enfin c’est de l’homme qu’il s’agit. De quel homme et dans quelle situation ? C’est ici que commence le désaccord. » Lagrange, Épîlre aux Romains, p. 166. Trois principales interprétations, ici encore, s’offrent à nous : a) Origène : Sine lege autem peccalum mortuum esse in nobis, hoc est antequam, per œtatem, ralionabilis intra nos vigeat sensus.. Sine hac lege (rationis) et Paulum et omnes homines cerlum est aliquando vixisse, hoc est in œtate puerili. Omnes enim similiter, per illud tempus, nondum capaces hujus naturalis legis existant… Comm. in Ep. ad Rom., vi, 8, traduction de Ru fin, P. G., t. xiv, col. 1082. Cette histoire serait donc celle de l’enfant avant et après l'éveil de la raison. Saint Jérôme l’entend de même, mais avec application particulière au jeune Israélite, pour qui cette révélation de la convoitise et le réveil du péché ne sont pas l'œuvre de la raison seule mais de la Loi mosaïque. Epist. ad Algasiam, cxxi, 8, P. L., t. xxii, col. 1025. — b) Saint Jean Chrysostome : « Ceux qui étaient avant la loi savaient bien qu’ils avaient péché ; ils le surent plus exactement après que la loi (mosaïque) eut été donnée et dès lors furent exposés à commettre de plus grands crimes. Car ce n’est point la même chose d’avoir pour accusateur la nature, ou bien au contraire en même temps que la nature le roi qui dicte clairement toutes ses lois. « Je vivais jadis sans loi. Mais quand donc ? Avant Moïse. In Ep. ad Rom., xii, 5, P. G., t. i.x.col. 501. Ainsi pour ces auteurs la question est celle des deux états de l’humanité avant et après la loi mosaïque. De même saint Thomas. Ep. ad Ram, , c. vii, lect. 2. — c) Théodore de Mopsueste : « J’ignorerais la convoitise, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras pas, c’est-à-dire, j’aurais ignoré qu’il ne fallait en aucune manière être l’esclave de ses convoitises, si la loi ne l’avait pas dit d’une manière précise. En disant en moi (l’apôtre) vise tous les hommes, et c’est en somme l’histoire d’Adam qu’il met en œuvre pour décrire l’histoire de l’humanité… « Je vivais d’abord sans loi. » Il s’agit d’Adam aussitôt après la création, avant que Dieu lui prescrivît de s’abstenir de l’arbre. » In Ep. ad Rom., vii, S sq., /' G., t. i, vi. col. 81 1. Ce que le P. Lagrange approuve en ces tenues : « De même que la Loi de Moïse est devenue, dans l’argumentation ( de saint Paul), toute loi positive divine, de même l’homme n’est ni le gentil ou l’israé lite avant Moïse, ni le jeune Israélite qu’avait été

Paul. Il faut faire, pour l’homme comme pour la loi, abstraction de l’histoire. La loi interdit les désirs. Pour juger de l’effet de cette interdiction, il faut sup

poser un homme qui n’a pas encore été mis en présence de la loi divine. Il serait, par hypothèse, dans un état d’innocence qui est la vie par rapport à Dieu. C’est sur ce thème que la question peut être résolue sans aucune donnée la tranchant d’avance, et la solution sera d’autant plus solide que l’homme ne sera pas un enfant. D’un enfant il aura l’innocence, mais il aura la responsabilité consciente de l’homme fait. Or cette situation a existé en réalité. Ce fut celle d’Adam. Tout naturellement les faits se déroulent comme au Paradis, et on s’aperçoit au texte que Paul en a conscience, sans ôter tout à fait à la scène ce qu’elle a de transcendant par rapport à l’histoire. De cette façon, la question est tranchée à fond, il ne restera qu’à faire l’application à la loi mosaïque. » Épître aux Romains, p. 168. Exégèse séduisante, à laquelle on ne peut guère objecter que le peccalum revixil du y. 9. Le P. Cornely s’attache à l’interprétation d’Origène, précisée par saint Jérôme. Ep. ad Rom., p. 359 sq.

Nous avons, en toute hypothèse, dans la seconde partie de notre texte, ꝟ. 13-25, une description de la vie sous la Loi mosaïque. : « Ce qui est bon est-il donc devenu pour moi la mort ? Loin de là. Mais le péché afin de paraître péché m’a donné la mort au moyen d’une chose bonne, afin que le péché soit (tenu) pour coupable à l’excès par le fait du commandement. Car nous savons que la loi est spirituelle (c’est-à-dire de l’ordre de l’esprit) ; mais moi je suis charnel (aâpxivoç, fait de chair, non pas axpxixôç, dominé par la chair) vendu au service du péché. Car ce que je fais, je ne le sais pas ; car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais (La Vulgate glose : non enim quod volo bonum hoc ago : sed quod odi malum illud faa’o). Si donc je fais ce que je ne veux pas, je reconnais que la loi est bonne. Mais alors ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que ce n’est pas le bien qui habite en moi, c’est-à-dire dans ma chair. En effet le vouloir est à ma portée, mais non la pratique du bien. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Moi qui voudrais faire le bien, je constate cette loi que c’est le mal qui est à ma portée ; car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres… Ainsi donc je suis le même qui sers par la raison la loi de Dieu, mais par la chair la loi du péché. »

Le « moi », désormais, n’est plus considéré dans cet état d’innocence, au moins relative, que supposaient lesꝟ. 7-9. Le péché, réveillé, a triomphé. Le conflit se développe dorénavant dans des conditions plus défavorables. Le péché n’est plus un agent extérieur à l’homme, comme dans le cas d’Adam innocent, ou un principe intérieur mais engourdi, comme dans le cas de l’enfant. Il est devenu, à côté de la loi de la convoitise, une « loi » des membres. De ce « moi » nouveau, l’apôtre dit qu’il est « tombé au pouvoir du péché ». Presque tous les commentateurs anciens et la quasi-unanimité des contemporains, catholiques et non catholiques, entendent ce nouveau « moi » de l’israélite sous la Loi mosaïque.

Par réaction contre le pélagianisme, saint Augustin, reprenant une idée de saint Méthode et de saint Hilaire, en vint, vers la fin de sa vie, à entendre ce « moi » du chrétien : Verba Apostoli, quibus caro contra spirilum (en fait Paul évite de dire spiritum) confligere ostenditur, eo modo exposui lanquam homo describatur nondum sub gralia constilutus. Longe enim postea, etiam spirilualis hominis, et hoc probabilius, esse posse illa verba cognovi. Retract., ii, 1, P. L., t. xxxii, col. 629

L’autorité de saint Augustin a entraîné saint Grégoire le Grand, Pierre Lombard et saint Thomas. Au xvie siècle, Cajétan, Salmeron, Estius, etc., ont suivi. Cette exégèse ne pouvait que plaire aux réformateurs. Luther, Mélanchthon, les calvinistes l’ont adoptée. Tout ce qu’il semble possible d’accorder à saint Augustin, c’est que ce conflit entre la loi divine et l’homme, que saint Paul contemple et décrit dans l’âme de l’Israélite vivant sous la loi de Moïse, demeure possible, mutatis mutandis, même chez le chrétien, tant la loi est impuissante par elle-même à assurer la pratique du bien.

Seule, comme il a été établi plus haut, l’observation effective de la Loi peut conduire l’Israélite à la justice des œuvres et de la Loi. La Loi est, d’ailleurs, faite en elle-même pour assurer la pratique du bien. Mais le péché, par le moyen de la convoitise, péché et convoitise qui ont leur siège dans « les membres », dans « la chair » même de l’homme, tournent la Loi à un effet tout opposé. A quoi il se trouve que la Loi, du moins pour ce qui est de l’homme fait de chair, donne occasion, en irritant la convoitise par la défense même et en réveillant le péché. Si bien qu’elle succombe sous leur commun assaut ; n’étant par elle-même qu’une norme extérieure et nullement une force active. Situation sans issue, du moins sans autre issue que celle-ci : « La loi de l’esprit de vie en le Christ Jésus (que Paul, Eph., ii, 15, oppose à la loi des ordonnances toutes en prescriptions : tôv v6[jlov tûv êv-roXôSv èv S6yji.aaiv) cette loi de l’esprit l’a délivré (Vulgate me liberavit) de la loi du péché et de la mort. Car ce qui était impossible à la Loi, parce que (in quo) elle était sans force, à cause de la chair… « Rom., viii, 2sq.

Saint Paul, se référant implicitement à cette belle analyse, en vient à écrire I Cor, xv, 56 : Stimulus autem morlis peccatum est, virtus vero (la force) peccali lex. Ainsi se trouve justifié et expliqué le mot plusieurs fois répété : Non jusliflcabitur homo ex operibus legis. La raison donnée par saint Paul est que la Loi, à la prendre toute seule, est condamnée à n’être point observée par l’homme, et à provoquer même les transgressions.

Que signifie, dans ces conditions, le témoignage que saint Paul se rend à lui-même, Phil., iii, 6 : Secundum justitiam, quæ in lege est, coni>ersalus sine querela, irréprochable quant à la justice de la Loi…, à savoir au temps de sa jeunesse pharisienne ? Saint Thomas commente ainsi : Hsec justitia consista in exterioribus… Nom quantum ad justitiam exteriorem, Apostolus innocenter vixit… Non autem ail : sine peccato, quia querela est peccatum scandali proximorum (c’est-à-dire un péché particulier) in his quæ sunt exteriora. In Ep. ad Phil., c. iii, lect. 2. Ce doit être cela. Saint Paul, en tout cas, marque peu d’estime pour cette justice de la Loi qu’il possédait : « Ces titres qui étaient pour moi des avantages (à savoir cette justice et ses autres avantages juifs), je les ai considérés comme un préjudice à cause du Christ. Oui certes, et même je tiens encore tout cela comme un préjudice, eu égard à l’extraordinaire valeur de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui, j’ai voulu tout perdre regardant tout comme de l’ordure, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non avec ma propre justice — celle qui vient de la Loi — mais avec celle qui naît de la foi dans le Christ. >

5° Altitude de saint Paul par rapport aux œuvres. — Il y a lieu, toutefois, d’observer que la pensée de saint Paul, lorsqu’elle passe de l’ordre en quelque mesure abstrait, où se meut Rom., vii, 7-25, à l’ordre réel, où d’autres facteurs, en dehors de ces quatre : la loi, la raison, la convoitise, le péché, peuvent intervenir et, par exemple, la grâce de Dieu, se révèle plus 205"

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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nuancée. Il est, en effet, difficile d’admettre que Rom., 11, 13, par exemple, n’ait aucune signification dans la réalité : « Ce ne sont pas en effet ceux qui entendent lire une loi (àxpoxTod vôu.ou, sans article) qui sont justes auprès de Dieu, mais ceux-là qui la mettent en pratique, seront justifiés. » D’autant que, d’après Rom, ii, 14, il peut se rencontrer des gentils qui accomplissent les prescriptions de la Loi mosaïque : Cum (Ôxav : c’est plus qu’une simple possibilité) enim Gentes (ë6vy) qui dit moins que là. e6vy) mais plus que èôvixoi, des gentils individuellement : Lagrange), qui Legeni non habent, naturalilcr (dictante rationé) ea quæ legis sunt faciunt… De même Rom., h, 26, où la pensée de saint Paul ne fait pas non plus l’impression de se mouvoir parmi d’impossibles imaginations : « Si l’incirconcis garde les préceptes de la Loi, ne faudra-t-il pas le regarder comme circoncis. » Encore Rom., ii, 7 : « Dieu rendra à chacun selon ses œuvres : la vie éternelle à ceux qui se livrant avec persévérance aux bonnes œuvres, cherchent la gloire, l’honneur et l’immortalité… gloire, honneur et paix à tout homme qui fait le bien, au juif d’abord et au gentil. » Or l’apôtre n’en est pas encore à envisager l’ordre chrétien.

Ces paroles et d’autres semblables suffisent à montrer que saint Paul n’a pas, à l’endroit des œuvr.-.s, cette indifférence, cette hostilité même que certains exégètes protestants contemporains s’obstinent encore à lui prêter (Jûlicher, par exemple). « Paul, écrit le P. Lagrange, ne songe pas à annuler toute idée de lois morales, mais il insinue que selon cette économie il fallait donc se faire sa justice…, ce qui ne devait pas être aisé. Rien plus, il a montré plus haut que la Loi ne donnait pour cela aucun secours, Rom., vu. de sorte que, si l’on isole cette justice de la grâce, ce qui va de soi quand on la distingue de la justice de la foi, c’est un leurre, c’est une prétendue justice propre a laquelle on ne peut arriver. Comment hésiter quand le choix s’impose entre une justice d’œuvres et une justice saisie par la foi ? » Épître aux Romains, p. 254.

Le jugement de fond demeure donc : Xon justificabitur homo ex operibus legis. Même les propos apparemment contraires que nous avons rapportés ne permettent pas d’en restreindre la portée pratique, car ils supposent tacitement l’intervention de facteurs autres que la Loi. Mais, dans ces conditions, il était inévitable que saint Paul en vint à définir le rôle de la Loi dans le plan divin du salut. Sa pensée sur ce point nous est livrée par les Épîtres aux Romains et aux Galates. Rom., v, 20 : Lex autem subintravil ut abundaret delictum. Le sentiment commun est que ce ut doit s’interpréter causaliter. L’entendre, avec saint Jean Chrysostome comme exprimant une simple conséquence, c’est.sûrement affaiblir la pensée de saint Paul. Mais, fait observer saint Thomas, cette causalité vis-à-vis du péché peut s’interpréter de deux manières bien différentes. 1. l’otest responderi ut dieatur quod ly UT (eneatur causaliter, ila taitien quod loquatur Aposlolus de abundantia delieti secundiun quod est in nostra cognitione, ut sit sensus : Lex subintravil ut abundaret delictum, id est ut tibundantius delictum cognosceretur, Ep, ail Rom., c. v, lect. 6, C’est l’opinion de saint Cyrille d’Alexandrie ; elle a

lis préférences du P. Lagrange. 2. Potest exponi ila quod h/ i’t teneatur causaliter (au sens normal du moi, c’est-à-dire par rapport au péché lui même et non plus à la connaissance du péché) ila lumen quod abundantia delieti non intelligatur ftnts legis subin tranlis, sed id quod ex abundantia delieti sequitur, scilicet humiliatio hominis… Intentio ergo Dei legem dantis non terminatur ml abundan’tiam peccaiorum. sed ad humtlilalem hominis propter quam permistt

abundare delicta. S. Thomas, ibid. C’est l’exégèse de saint Augustin, à laquelle le P. Cornely apporte son suffrage. Formulées d’un point de vue différent, ces deux explications aboutissent au fond à la même conclusion. Pour que l’homme connaisse qu’il est pécheur, Dieu a « subintroduit » la Loi laquelle, en la manière qui a été précisée, Rom., vii, 13-25 (plutôt que 7-12, car le premier triomphe du péché est présupposé et il s’agit de la Loi de Moïse), multiplie les transgressions.

Saint Paul rattache ailleurs plus explicitement cette action et ce rôle de la Loi aux définitives intentions de Dieu. Rom., x. 4 -.Finis enim legis Christus, ad juslitiam omni credenli, est commenté en ces termes par saint Thomas : Intentio cujuslibet legislatoris est facere homincs justos ; unde mullo magis Lex Vêtus, hominibus dirinitus data, ordinabatur ad faciendum Iwmines justos. Hanc lamen justiliam lex per seipsam Jacerc. non poterat (toutes ces formules sont d’une parfaite justesse). Sed ordinabat homines in Christum, quem promittebat et præfigurabat. Ep. ad Rom., c. x, lect. 1. La plupart des exégètes récents, par contre, entendent téXoç dans le sens de terme, simplement, ce qui réduit Rom., x, 4, du moins dans sa première partie, à signifier le caractère provisoire de la Loi et son abolition lors de la venue du Christ.

Gal., ni, 10 : Quid igitur lex ? Propter transgressions (en vue des transgressions) posita est donec venirel semen (à savoir le Christ) cui promiscrat. La Loi fut ajoutée (TrposexéOy ;), par Dieu cela va sans dire. La causalité divine, est plus accusée ici que Rom., v, 20 où Dieu n’est pas nommé. Nous avons dans ce texte comme une combinaison de Rom., v, 20 et x, 4 avec téXoç = terme. Cette doctrine sur le rôle de la Loi, saint Paul l’attribue expressément à l’Ancien Testament lui-même, Gal., iii, 22 : *< Mais l’Écriture a tout enfermé sous le péché, afin que la promesse fut réalisée par la foi en Jésus-Christ en faveur des croyants. » Même idée Rom., iii, 21, qui est à lire comme conclusion du réquisitoire dressé contre les Juifs, Rom., ii, 1-ui, 20.

Le mot de Gal., iii, 23-25 : « Avant que vînt la foi, nous étions placés sous la garde de la Loi, enfermés dans l’attente de la foi qui devait être révélée. De sorte que la Loi a été notre pédagogue jusqu’au Christ afin que nous fussions justifiés par la foi ; la foi étant venue nous ne sommes plus sous l’autorité d’un pédagogue » Ce mot, disons-nous, semble bien ajouter quelque chose aux textes déjà cités, l’idée que la Loi et la vie sous la Loi acheminaient d’une certaine manière les Israélites au Christ. Cette idée, d’ailleurs, n’est-elle pas sous-jacente à Rom., v, 20 : Ex quo sub lege custodiebamur, fait remarquer saint Thomas, lex juitnostcr pœdagogus, id est diriqens et conservons in Christo, id est in via Christi. Ep. ad Galalas, c. iii, lect. 8. Cependant le plus grand nombre des Pères interprètent ce rôle de pédagogue attribué à la Loi dans un sens très strict, qui le réduit à celui de geôlier, ꝟ. 23. Le P. Cornely approuve qui, d’ailleurs, attribue à la loi-geôlier un objectif final favorable. Le P. Lagrange aussi, mais en accentuant la nuance favorable : >< La comparaison du pédagogue, qui explique ce qui précède, est cependant de nature à atténuer ce rôle ingrat de geôlier. C’esl décidément l’intérêt des Israélites qui prévaut. » Êp. aux Uni, p. 90. Emprisonné dans la Loi qui si’révèle impuissante à lui assurer la justice, Israël se trouve amené à chercher une issue et une autre voie de salut. Cf. Gal., il, 16 : Scientes autem quod non justiflcatur homo ex operibus legis, etc. Cou ne voit pas, toutefois, que saint Paul ail donné beaucoup de relief à cet aspect du rôle di la I di, que les fails. d’ailleurs, ne confirmaient guère.

En tout ceci, poursuit l’apôtre, se révèle la parfaite cohérence du plan divin, tel que l'Écriture elle-même l’expose. Cette économie de salut, dont Israël se considère comme le bénéficiaire, ne nous est-elle pas donnée comme inaugurée dans la justification d’Abraham ? La promesse que Dieu lui l’ait n’en est-elle pas la définition et l’officiel établissement ? Or les paroles par lesquelles l'Écriture nous rapporte ce grand événement sont expresses : Rom. iv, 1-14 : « En effet si Abraham a été justifié d’après des œuvres, il a sujet de se glorifier, mais non auprès de Dieu (la construction est embrouillée mais la pensée est claire : Abraham n’a pas été justifié par des œuvres). Que dit en effet l'Écriture ? « Abraham a cru en Dieu et cela lui fut compté comme justice… » Nous disons en effet : « la foi d’Abraham lui fut comptée comme justice. » Comment donc a-t-elle été comptée ? Était-il alors circoncis ou incirconcis ? Il n'était pas circoncis, mais incirconcis. Et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi, justice qu’il avait avant d'être circoncis, de façon qu’il devînt le père de tous ceux qui croient, sans être circoncis, de sorte que leur justice leur soit comptée, et le père des circoncis, qui n’ont pas que la circoncision, mais de plus marchent sur les traces de la foi, qu’avait, encore incirconcis, notre père Abraham. Car ce n’est pas moyennant la Loi, mais moyennant la justice de la foi que fut faite à Abraham et à sa postérité la promesse d'être héritier du monde. En effet, si ceux qui se réclament de la Loi étaient les héritiers, la foi serait sans objet, et la promesse sans effet. » Sur cette idée l’Apôtre avait déjà insisté, Gai. iii, 15 sq. : « Frères, je raisonne comme on le fait parmi les hommes. S’il s’agit d’un homme, encore est-il que personne ne tient pour nulle une disposition en bonne forme, personne n’y ajoute des dispositions nouvelles. Or les promesses ont été dites à Abraham et à son lignage ; il n’est pas dit : « Et aux lignages » comme s’il s’agissait de plusieurs mais comme pour un seul : « Et à ton lignage », qui est le Christ. Eh bien, je le dis : Une disposition déjà prise en bonne forme par Dieu, la Loi survenue quatre cent trente ans après ne l’infirme pas, de façon à rendre nulle la promesse. Car si l’on héritait en vertu de la Loi, ce ne serait pas en vertu de la promesse. » Et poussant à fond son raisonnement, Paul en vient à écrire, ꝟ. 21 : « La Loi serait donc contraire aux promesses de Dieu ? Non certes I Car si une loi eût été donnée capable de procurer la vie, alors vraiment la justice eût procédé de la Loi. » Et c’est alors vraiment qu’elle serait contraire à la promesse, tandis que, par l’impuissance de la Loi à justifier, s’affirme la cohérence du plan divin, tel qu’il a été défini, à l’origine, dans le cas. d’Abraham. La justification par la foi au Christ est, au contraire, en parfait accord avec ce plan divin. Pour l'établir, saint Paul utilise l’incidente rapportée plus haut : Non dicit : ET 8EMINIBUS, quasi in multis, sed quasi in uno : ET SEMIN1 tuo qui est Christus. L’incertitude règne sur le point de savoir qui est ce Christ, descendance d’Abraham. Le Christ individuel, historique, répondent saint Jean Chrysostome, Théodoret, Tertullien, saint Jérôme, l’Ambrosiaster, saint Thomas. Promiserat Abrahse Deus fore ut per semen ipsius benedicentur génies ; semen autem ejus secundum carnem est Christus. S. Jean Chrysost., Comm. in Ep. ad Gal., iii, 4, P. G., t. lxi, col. 654. Au sentiment de saint Irénée, de saint Augustin, c’est le Christ mystique : Semen Abrahæ est Ecclesia, per Dominum adoplionem quæ est ad Deum accipiens. Irénée, Cont. hæres., V, xxxii, P. G., t. vii, col. 1211. C’est cette seconde exégèse qu’adopte le P. Cornely. Le P. Lagrange préfère la première : « Nous croyons donc que Paul a ici en vue le Christ individuel, mais conçu comme principe d’unité du

peuple chrétien. » Ep. aux Gal., p. 76. C’est seulement dans la suite que la pensée évolue vers le Christ mystique : « Mais l'Écriture a tout enfermé sous le péché afin que la promesse fut réalisée par la foi en.lésusChrist en faveur des croyants… Vous tous qui êtes unis au Christ par le baptême, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni juif, ni gentil ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus d’homme ni de femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. Or si vous faites partie du Christ, donc vous êtes le lignage d’Abraham, héritiers selon la promesse. » ni, 22 ; 27-29. La justification par la foi au Christ est donc en parfait accord avec la plan divin de salut établi au bénéfice d’Abraham et de sa postérité. Par contre, insiste plus loin saint Paul : « Vous avez été séparés du Christ, vous qui cherchez votre justification dans la Loi. » v, 4.

Saint Paul avait donc le droit de dire, Rom., nr, 21 : Nunc autem sine lege justitia Dei manifestala est, testificata a Lege et prophetis. A présent, c’est sans loi que se manifeste la justice de Dieu à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes.

II. la JUSTICE de la FOI.

Ayant ainsi éclairé notre marche, nous pouvons aborder l'étude de la justice de la foi.

Existence d’une justice conférée par Dieu.

1. Les

divers textes. — a) Rom., i, 17 : Justitia enim Dei ineo (i. e. in evangelio) revelatur ex fide in fidem, sicut scriptum est : Justus autem ex fide vivit (vivet). Dans l'Évangile se révèle la justice de Dieu, allant de la foi à la foi, comme il est écrit : Or le juste par la foi vivra.

Justitia Dei, SixaioauVY) Geoû, peut être un génitif d’attribution et signifier la justice attribut de Dieu. C’est l’exégèse d’Origène : Justitia enim Dei in evangelio revelatur per id quod a salute nullus excipitur, sive Judœus, sive Grœcus, sive barbarus veniat. Comm. in Ep. ad Rom., i, 15 ; P. G., t. xiv, col. 861. Il s’agit de la justice distributive de Dieu, qui ne fait pas acception des personnes. L’Ambrosiaster l’entend plutôt de la fidélité de Dieu à ses promesses. In Ep. ad Rom., i, 17, P. L., t. xvii, col. 56. En faveur de cette exégèse on peut alléguer avec le P. Lagrange les raisons suivantes : a. C’est le sens des mots dans l’Ancien Testament spécialement, quand il y a révélation : àTtEKaXu^sv ty)V Sixa107ÙVY]v aÙTOÛ, Ps. xcvm (xcvn), 2 ; b. la colère de Dieu qui se révèle ( ꝟ. 18) est mise en parallèle avec la justice de Dieu ; or cette colère est bien la colère de Dieu même ; c. la justice de Dieu, Rom., ni, 5, est bien l’attribut divin. Ép. aux Rom., p. 19. — Justice de Dieu, cependant, peut être un génitif d’auteur ou d’origine et signifier la justice qui vient de Dieu, la justice conférée à l’homme par Dieu. C’est l’interprétation de saint Jean Chrysostome : Et justitiam, non luam, sed Dei, ejus largilalem et facililalem subindicans. Neque enim ex sudore et labore illam perficis, sed ex superno dono accipis, hoc unum ex te ipso ufjerens quod credas. Deinde, quia vix credibilis sermo videtur esse quod mœchus, mollis, sepulcrorum effossor, prsesligiator confeslim, non modo a supplicio eripiatur, sed eliam justus fiai et justus suprema (i. e. Dei) justitia, a Veteri Testamento sermonem confirmât… In Ep. ad Rom., ii, 6 ; P. G., t. lx, col. 409. De même saint Augustin : Hœc est justitia Dei quæ, in Testamento Veteri velata, in Novo revelatur ; quæ ideo justitia Dei dicitur quod, imperliendo eam, justos facit : sicut Domini est salus (Ps. iii, 9), qua salvos facit. De spiritu et littera, xi, 18, P. L., t. xliv, col. 211. — Une troisième exégèse, qui essaie de, combiner les deux précédentes, a été proposée par Sanday-Headlam, qui arguent de Rom., ni, 26 : ut sit ipse justus et juslificans eum qui est ex fide Jesu Christi. « La seconde partie de cette formule n’est nullement en opposition avec la première ; elle en dérive au contraire par une suite naturelle et inévitable. Dieu

attribue la justice au croyant parce qu’il est juste lui-même. » Commentary on the Epist. to the Romans, Edimbourg, 1900, p. 25. Justice de Dieu signifierait donc à la fois, la justice-attribut et la justice conférée. Exégèse compliquée, dont le principal mérite est d’insister sur la qualité, et non pas seulement sur l’origine divine de la justice de Dieu dans l’homme ; justus suprema justifia (Chrys.). — Une quatrième interprétation, Tolet, Estius, etc., explique justice de Dieu dans le sens (faible) de justice devant Dieu. — Quant à l’exégèse justice de Dieu = sa justice vindicative s’exerçant sur les pécheurs, que Luther assure avoir été l’interprétation commune, saint Augustin faisant seul exception, c’est une pure imagination. Le P. H. Denifle l’a copieusement démontré pour les écrivains occidentaux, Die abendlândischen Schri/tausleger bis Luther ùber JUSflTlA BEI, Rom., /, 17, und JVSTIFI-C &.TIO, Mayence, 1905.

L’interprétation proposée par Origène est peu suivie. M. Tobac l’a reprise et renouvelée en lui donnant un tour eschatologique, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 115 sq. Celle de saint Jean Chrysostome, justice de Dieu = justice conférée ou imputée s’impose de plus en plus, aussi bien parmi les exégètes protestants que parmi les catholiques. Parmi ces derniers, les PP. Cornely, Lagrange, Prat, lui ont donné leur suffrage. Les arguments allégués en faveur de l’exégèse d’Origène sont peu concluants, remarque le P. Lagrange : « On répondra donc aux arguments d’abord proposés que Paul ne s’est pas tenu au sens normal du mot d’après l’Ancien Testament au moment où il inaugurait une théologie fondée sur le fait nouveau de l’Évangile ; le passage cité (Rom. ni, 5) a gardé le sens ancien, d’ailleurs parfaitement justifié en soi ; c’est une question de contexte. Le rapprochement avec le i. 18 est plus apparent que réel ; l’idée de justice doit être expliquée d’après le concept de Paul, non d’après une antithèse incomplète. » Ep. aux Rom., p. 20. Le P. Cornely va sans doute trop loin lorsqu’il prête aux Pères du Concile de Trente, définissant la « cause formelle » de la justification : juslitia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos facit (Sess. vi, c. vu), l’intention d’interpréter d’autorité, Rom., i, 17.

In eo revelatur de fide in fidem. — Les anciens exégètes ont cherché à préciser quelles étaient ces deux fides. Leurs explications sont assez divergentes. Tertullien écrit : Sine dubio et evangelium et salutem jusio Deo députât, ut ita dixerim, juxla hæretici (Marcionis) distinctionem, ex fide Legis in fidem Evangelii. Adv. Marcionem, t. V, c. xiii, P. L., t. ii, col. 503. De même Origène, saint Jean Chrysostome, Théodoret, etc. — L’Ambrosiaster : ex fide (i. e. fidelilalc) Dei promittentis in fidem hominis credentis juslitia Dei revelatur. In Ep. ad Rom., i, 17, P. L., t. xvii, col. 56. — Saint Augustin : ex fide scilicet annuntiantium in fidem obedientium. De spirilu et lillera, xi, 18, P. L., t. xliv, col. 211, ou : ex fide verborum quibus nunc credimus quod non videmus, in fidem rerum qua in seternum quod nunc credimus oblinebimus. Quæst. evang., ii, 39, P.L., t. xxxiv, col. 1353. Saint Thomas : ex fuie unius arliculi in fidem alterius, quia ad jusiiftcaiionem requiritur omnium articulorum fides. In Ep. ad Rom., c. i, lect. fi. C’est vouloir préciser à l’excès cette formule de saint Paul, hébraïsme courant pour exprimer le progrès de la foi dans le croyant. Par contre la remarque des PP. Cornely et Lagrange, rattachant ex fide à justitia Dei, plutôt qu’à revelatur, mérite d’être retenue e1 confirme l’explication de justice de Dieu dans le sens <le justice conférée.

Ainsi s’amorce la liaison des concepts de justice et

de toi, que vient confirmer une citation d’Habacac,

i, 4, d’après les Septante : Justus autem ex fide riril

(vivet, vr ( a£Tai). Les PP. Cornely et Prat tiennent à lier ex fide à vivit. Le P. Lagrange, pour ce qui concerne saint Paul, préfère lire Justus… ex fide, sans d’ailleurs y attacher beaucoup d’importance. De toutes manières, en effet, il est évident que la justice est rattachée à la foi. Dans saint Paul, sinon dans Habacuc, vivet s’entend de la vie éternelle, promise au juste en dépendance de la foi.

b) La formule : justice de Dieu reparaît, Rom., iii, 5 : Si autem iniquilas noslra jusliliam Dei commendat…, mais avec le sens usuel de justice-attribut et plus précisément de justice vindicative.

c) Rom., iii, 21-22, au contraire, reprend et commente l’idée énoncée Rom., i, 17 : « .Maintenant la justice de Dieu, à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes, a été manifestée sans loi, et précisément cette justice de Dieu qui, par la foi en Jésus-Christ (va) à tous ceux qui croient, car il n’y a pas de distinction. » Nul doute que nous n’ayons à faire à la justice communiquée.

d) Rom., iii, 24-26 est difficile : Justiftcati gratis per graliam ipsius, per redemplionem quæ est in Christo Jesu. Quem proposuit Deus propiliationem per fidem in sanguine ipsius, ad ostensionem justiliee suée, — propter remissionem (i. e. tolerantiam) præcedentium delictorum in suslentalione (in tempore sustentationis) Dei — ad ostensionem (dico) justitiæ ejus in hoc tempore, ut sit (i.e. appareat) ipse justus et juslificans (i. e.juslificando) eum qui est ex fide Christi Jesu. « Justifiés gratuitement par sa grâce moyennant la rédemption qui est en le Christ Jésus, que Dieu a disposé comme un moyen de propitiation par la foi en son sang, afin de montrer sa justice, ayant supporté les péchés passés sans les punir dans ( le temps de) la patience de Dieu, afin de montrer sa justice, dans le temps présent, pour qu’il soit (établi qu’il est) lui-même juste et qu’il rend juste celui qui a eu foi en Jésus-Christ. » Ce texte nous intéresse ici à raison de la formule : juslitia Dei, qui s’y rencontre à deux reprises. Devons-nous considérer ad ostensionem, sic ëvSsûiv, justitiæ suse et ad ostensionem, Tipoç ttjv ëvSeiÇiv, justitiæ ejus comme deux propositions parallèles mais distinctes (Cornely), la première se rapportant au temps qui a précédé Jésus-Christ, la seconde à celui qui le suit, ou bien comme une même formule énoncée puis reprise (Lagrange) et se référant à l’époque chrétienne ? La seconde interprétation semble devoir être préférée. « On ne voit pas que le temps de la tolérance soit celui d’une manifestation de la justice. » Lagrange, Ép. aux Rom., p. 77. Pour qui l’accepte, le sens à donner à justitia Dei apparaît commandé par les f.2122, où cette formule s’entend de la justice conférée. Ainsi saint Thomas : Ad ostensionem justitiæ suæ, id est ad hoc quod suam justiliam Deus oslenderet, et hoc propter remissionem præcedentium delictorum ; in hoc enim quod præcedentia delicta Deus remisit (toleravit), quæ lex remittere non poterat, nec homines propria virtute ab eis se præcavere poteranl, oslendil quod necessaria est hominibus juslitia qua juslificentur a Deo. hx Ep. ad Rom., c. iii, lect. 3. Saint Thomas, à plus forte raison, interprète dans le même sens de justice conférée Le second justitia Dei : Ut in hoc tempore graiieesuam jusiitiam perfecte ostendcrcl. plénum remissionem peccatorum Iribucndo… Ibid. Pour ce qui regarde du moins l’interprétation de justitia Dei, Le P. Lagrange se range à ce sentiment et Le met en valeur. Le P. Cornely, développant l’explication sommairement énoncée par saint Jean Chrysostome, défend L’idée de justice attribut de Dieu, mais au sens très général de perfection morale et de sainteté. De même le P. Prat :

évidemment sa justice intrinsèque », La théologie de saint Paul, t. ii. 7 édit., Paris, 1923, p. 295. « Évidemment » est trop dire.

e) Rom., x, 3 : « Ignorantes enim jusliliam Dei et suam quærentes statuere justitise Dei non sunt subjecti. Méconnaissant la justice de Dieu, et cherchant à établir la leur propre, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. » L’antithèse justiliam Dei et suam qustitiam) invite à entendre cette justice de Dieu de la justice conférée par Dieu à l’homme. Plus clair encore en ce sens apparaît II Cor., v, 21 : « Celui qui n’avait point connu le péché, il l’a fait péché pour nous afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » Le verset suivant vi, 1 : « Or donc, étant ses coopérateurs, nous vous exhortons à (ïaire en sJrte de) n’avoir pas reçu en vain la grâce de Dieu, » à savoir lorsqu’ils sont devenus justice de Dieu dans le Christ, traduit justice de Dieu par grâce de Dieu, qui désigne ici, non pas la bienveillance de Dieu (Cajétan), mais un don divin fait à l’homme. Enfin Phil., ni, 9, est parfaitement clair et confirme généralement nos précédentes explications : « J’ai voulu tout perdre… afin d’être trouvé en lui non avec ma propre justice, celle qui vient de la Loi, mais avec celle qui naît de la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu par la foi. » Justitia Dei est repris sous la forme justitia ex Deo qui ne laisse place à aucun doute.

2. Idées qui se dégagent des textes.

Nous pouvons donc considérer comme acquise l’existence dans l’homme, d’après saint Paul, d’une justice conférée par Dieu. Dans l’homme : disons mieux, dans le croyant. La plupart des textes que nous avons étudiés nous montrent, en effet, cette justice de Dieu dans l’homme liée à la foi. Le fait n’est pas contestable. Ajoutons seulement que, pour saint Paul, cette liaison de la justice à la foi se vérifie aussi bien pour le temps qui a précédé le Christ que pour celui qui le suit. L’Apôtre voit dans la justification d’Abraham le modèle et le symbole de toute justification. Or celle-ci s’est accomplie en liaison avec la foi. Et il prend la peine de préciser qu’il en a été de même pour tous les justes reconnus qui ont précédé le Christ. Cf. Hebr., xi.

Lien qui unit la justification et la foi.

Avant

d’entreprendre l’analyse du lien qui unit la justice à la foi, il est indispensable d’esquisser celle de la foi elle-même au sens de saint Paul.

1. La foi d’après saint Paul.

a) Les textes. — Le texte capital est Rom., x, 13-17 : « Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Comment donc invoqueraient-ils celui en qui ils n’ont pas cru ? et comment croiraient-ils en celui qu’ils n’ont pas entendu ? et comment entendraient-ils si personne ne prêche ? et comment prêcherait-on si l’on n’avait été envoyé… Mais tous n’ont pas obéi à l’évangile, ÛTCYjxoojav, Vulg., obediunt. Car Isaïe dit : Seigneur qui a cru à notre prédication (tf[ àxof), Vulg. auditui)1 La foi dépend donc de la prédication et la prédication de la parole du Christ. » Ce qui nous donne cette suite : la parole ou l’enseignement du Christ, c’est-à-dire, l’Évangile, la mission de prêcher donnée aux Apôtres, leur prédication, xirjpûaaovToç, àxof), l’audition, àxoûawaiv, et enfin deux actes qui semblent intimement liés et pratiquement équivalents, l’obéissance et la foi, Û7raxor ; v, 7TiaTiç. - — Les textes de Gal., iii, 2, 5 : Ex operibus legis Spiritum accepistis an ex auditu fldei ? Est-ce à cause des œuvres de la Loi que vous avez reçu l’Esprit, ou pour avoir prêté l’oreille à la foi ? suggère pour auditu, àxoï) le sens d’audition (Lagrange) plutôt que celui de prédication (Cornely).ce qui donne : l’audition conduisant à la foi, l’accueil fait à l’Évangile. L’interprétation : prédication de la foi comme nécessaire, proposée par quelques exégètes protestants, est complètement étrangère au contexte. — - 1 Thess., ii, 13 est obscur à force de concision et de plénitude : Quoniam cum accepissetis (71apaXaê6vTeç = recevoir

d’un intermédiaire transmettant ce qu’il a lui-même reçu)ano&(’s verbum auditus De^Xoyov àxovjç rcxp’tjjjlwv too 6eoû ; construction étrange : lier yov à toù 0soô, formule reprise plus loin et détacher àxoîjç nxp’Y)|xà)v, àxoîjç pouvant signifier audition (Lagrange), ce qui est peut-être plus littéral, ou prédication (Cornely), accepistis illud (èô~s ; acr8s = àxor) au sens d’audition et déjà ÛTtaxoïj) ut verbum Dei. » Et l’on peut traduire : « Nous rendons grâces… de ce que, lorsque vous avez reçu par notre intermédiaire la parole de Dieu que vous entendiez de notre bouche, vous l’avez accueillie… comme parole de Dieu. » — Rom., i, 5 et xvi, 26 : ad obediendum fidei, eiç » 7raxo7)V tÛcttswç est bien près de signifier : l’obéissance qui est la foi même. Le P. Cornely comprend : l’obéissance à la foi comme dans Act., vi, 7 : Û7rr)xouov ttj metzi. — H^br., xi, 1 : Est autem, fides sperandarum rerum substantialimôatocoiç = « la réalisation » au sens anglais, ce qui fait « réaliser », ce qui fait apparaître les biens espérés comme « substantiels » ) argumentum (sXsyx ? — ce qui convainc de la vérité) non apparentium. Les deux membres de phrase sont rigoureusement parallèles et, pour le fond de la pensée, de signification identique. Substantia vaut argumentum ; sperandarum rerum vaut non apparentium ; cf. Rom., viii, 24 : Nam quod videt quis, quid sperat ? Sur la première équivalence, cf. M. A. Matins, The Pauline ïliaxiQ-Hnosvyioiç, , Washington, 1920, et sur la seconde saint Thomas, Ep. ad.. Hsebr., c. xi, lect. 1. — Rom. x, 9 : in corde luo credideris, et II Cor., x, 5 : in captiuitatem redigentes omnem intelleclum (ttôcv vot)ixoc) inobsequium(JiTZxy.ai])) Christi, formules suggérant que le cœur et l’esprit (la pensée) s">nt pareillement intéressés dans la foi. — II Th., iii, 2 : Non enim omnium est fides est parallèle à Rom., x, 16 : Sed non omnes obediunt (’J7r/)xojcrav) evangelio, avec, peut-être, cette nuance particulière, que la foi est un don de Dieu (la foi n’est pas le lot de tous).

b) Idée qui ressort des textes : Complexité du concept de foi. — La foi, dans saint Paul, nous apparaît donc, premièrement, comme une soumission, un assentiment de l’esprit à des énoncés tenus pour vrais sur le témoignage du Christ (et de Dieu), qui les a enseignés à ses Apôtres. Ceux-ci, sur son ordre, nous les ont transmis par la voie de la prédication et, les ayant entendus de leur bouche, nous les avons accueillis et leur avons donné créance comme à la parole de Dieu. Rom., x, 5, insinue que notre cœur n’est pas demeuré étranger à cet assentiment de notre esprit ; II Thess., ni, 1, 2 ; Eph., ii, 8, et d’autres textes de même inspiration, donnent à penser que Dieu lui-même joue en tout cela un rôle actif. Les vérités que nous croyons, renfermant l’annonce et la promesse de biens, un mouvement de désir, d’espérance à leur endroit se dessine, qui accompagne la foi dès son origine même. Enfin il se pourrait que, le mot Ô7raxor), choisi comme équivalent de 7Ûctt !, ç, insinue que ces vérités-biens sont aussi, pour une part, des vérités-règles de conduite, auxquelles le croyant se soumet, obéit.

L’examen des prépositions avec lesquelles saint Paul construit les mots croire et foi accroît encore cette impression de la complexité psychologique de la foi paulinienne. « Quand l’objet de la foi est indiqué, écrit le P. Prat, à part certaines locutions exceptionnelles, comme « foi en l’évangile, foi en la vérité », c’est toujours Dieu ou le Christ. Et alors l’objet matériel coïncidant avec l’objet formel, la notion de la foi est assez complexe. Si croire à Dieu, 6sco, peut n’être que prêter foi à son témoignage, croire en Dieu ajoute à ce concept des nuances délicates dont les particules grecques rendent bien le sens. Croire en Dieu n’est pas seulement croire à son existence, mais se reposer sur lui, éra, 6ew, comme sur un appui inébran

lable, se réfugier en lui, ètù 6e6v, comme en un asile assuré, tendre vers lui, eîç Geôv, comme à sa fin. suprême. » La théologie de saint Faut, t. ii, p. 286. Mêmes constructions avec le mot Christ : Nous avons dans (èv), le Christ, Gal., iii, 20 ; I Tim., iii, 13 ; au (eîç) Christ, Rom., x, 14 ; Gal., ii, 16 ; Phil., i, 29 ; Col., ii, 5 ; en prenant appui sur (eut) le Christ, Rom., x, 11 ; avoir foi au (tw) Christ, II Tim., i, 12 ; envers (rcpôç) le Christ, Phil., 5. La formule : foi de Jésus-Christ, Rom., m, 22, 26 ; Gal., ii, 16, 20 ; iii, 22 ; Phil., iii, 9, dit tout cela à la fois. L’exégèse de Haussleiter interprétant foi de Jésus-Christ dans le sens de foi qu’avait Jésus-Christ lui-même, au lieu de foi dont Jésus-Christ est l’objet, qui est l’explication commune, mérite à peine d’être mentionnée et n’a trouvé aucun accueil. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 543. — Le mot d’Eph., m, 17 : Christum habitare per (Sià) fidem in cordibus vestris, implique une étroite liaison de la foi avec le Christ son objet. — De même Hebr., xii, 2 : Aspicientes in auctorem fidei et consummatorem, Jesum, où nous voyons reparaître d’autre part, avec consummatorem, le concept de foi-espérance. Parmi les endroits qui assignent à la foi un objet spécial, ceux-ci méritent d’être signalés : Rom., iii, 25 : Quem proposuit Deus propitialionem per fidem in sanguine ipsius. In sanguine détermine à la fois propitialionem et per fidem ; Rom., x, 9, cf. iv, 24 : et in corde tuo credideris quod Deus suscilavit illum (Christum) a morluis ; Col., ii, 12 : Resurrexislis (in baptismo) per (Sià) fidem operationis (génitif d’objet) Dei qui suscitai>it illum (Christum) a morluis ; IThess., iv, 13 : Si enim credimus quod Jésus mortuus est et resurrexit.

Le concept paulinien de foi renferme donc, se référant à un objet lui-même complexe, tout un ensemble d’éléments psychologiques divers, désir, confiance, obéissance, reliés, comme à leur centre, à cette créance que notre esprit accorde à Dieu et au Christ, laquelle définit premièrement la foi mais n’en épuise point la richesse. Nous sommes loin de la notion luthérienne de la foi pure confiance, qui d’ailleurs embarrasse de plus en plus, par son étroitesse anti-psychologique et son opposition aux textes, les exégètes protestants. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 539.

2. Justice et foi.

Mais il est temps de revenir à notre dessein principal qui est d’analyser le lien qui, pour saint Paul, rattache la justice à la foi. Voyons les textes. Ils nous ofïrent, pour ce qui regarde la justice et la foi, des constructions diverses, analogues à celles que nous avons rencontrées pour les mots foi et croire.

a) Analyse des principales expressions. — La justice est rattachée à la foi par l’intermédiaire de la préposition èx : Rom., ix, 30 : Justitia autem quæ ex fide est ; x, 6 : Quæ autem ex fide est justitia ; Rom., i, 17 : Justitia enim Dei in eo (evangelio) revelatur ex fide ; v, 1 : Juslificati ergo ex fide ; Gal., ii, 16 : Ut justificemur ex fide Christi ; Gal., iii, 24 : Ut ex fide justificemur. Manifestement distincte de la foi, la justice en procède, la justification trouve en elle son point de départ et d’appui. dette dernière idée s’affirme plus nettement encore, Rom., iii, 24 : Et justificans eum qui est ex fide Jesu Christi, et surtout iii, 30 : Qui jusliftcat circumeisionem (les circoncis) ex fide ; Gal., ni, S : Ex fide jusliftcat dentés Deus. Il devient évident que si la justice, distincte de la foi, en procède, ce n’est pas directement et comme une dérivation naturelle, mais par l’intermédiaire d’un acte divin dont elle est l’effet et le terme.

Ailleurs le rapport de la justice et de la justification a la foi est exprimé par le moyen de la préposition instrumentale Stâ, qui ne prend tout son sens qu’en fonction de l’acte divin justificateur : Hoin., iii, 22 : Justitia autem Dei (quee est) per fidem Jesu Christi ; Rom., iii, 30 : qui jusliftcat… præpulium (les gentils)

per fidem ; Phil., iii, 9 : Serf illam quslitiam) quæ ex fide (per fidem) Jesu Christi. L’homme est justifié, Dieu justifie l’homme par le moyen de la foi, en utilisant la foi comme cause instrumentale. Les constructions avec i-izi, Philip., iii, 10 : Quæ ex Deo est justitia in fide (ènl ttj 71îaTei), et avec xoctoc, Hebr., xi, 7 : Et justitiæ quæ per (secundum) fidem est, introduisent l’idée de la foi base de la justice, de la foi norme et mesure de la justice. De toutes ces formules la plus énergique est sans doute la construction avec le datif, Rom., iii, 28 : Arbitramur enim hominem juslificari per fidem (marsi, fide) ; Rom., v, 1 : Per quem (Christum) habemus accessum per fidem (tîj 7Ûstei) in gratiam islam, celle qui est exposée au chapitre précédent, la justice secundum gratiam.

Cette construction : juslificari fide fait ressouvenir de Rom., iv, 3sq., que c’est ici le lieu d’éclaircir’Etût-TE’jæv 8s’Aopocàfx tù ©Eco, xoù èXoyîgÔïj aù-w eîç Sixaioaûv/]V, Credidit AbrahamDeo et reputatum est ei ad justitiam. C’est une citation de Gen., xv, 6 d’après les Septante. L’hébreu porte : « Il (Dieu) lui compta cela comme justice. » Les Septante ont mis le verbe hébreu au passif èXoyîo-Qt). Ce verbe que la Vulgate traduit tantôt repulatur et tantôt imputatur se rendrait plus justement par deputari (Ancienne Latine, Tertullien, saint Cyprien, saint Irénée latin, etc.), avec le sens de : mettre ou porter au compte de quelqu’un. Ad (sîç) juslitiam, c’est-à-dire comme justice, comme valant justice. Le P. Lagrange a montré que XoyïÇopixi possède, de lui-même et dans l’usage courant, cf. I Reg., 1, 13 ; Job, xii, 23 ; Ps. cv, (evi), 31 ; Is., xxix, 17 ; xxxii, 15 ; xl, 17 ; Os., viii, 12, et dans saint Paul lui-même, Rom., ii, 16 ; ix, 8, cf. Act., xix, 17, un sens fort, celui d’une équivalence réelle entre deux choses. Nulle part la mise en compte d’une valeur ne suppose un défaut de proportion entre ce qui est fourni et l’estimation qui en est faite, sauf, bien entendu, le cas, sans intérêt ici, où il y aurait erreur. Le même exégète écrit à propos de Rom., v, 3 : « C’est presque l’expression de satisfaction que Jahvé accorde à ceux qui observent la loi (Deut., vi, 25 ; xxiv, 13) ; il n’est pas directement question de la justification première d’Abraham, mais du mérite de son acte de foi, mérite tel qu’il équivaut à une œuvre parfaite. Le cas d’Abraham apparaît analogue à celui de Phinéès. Ps., cv (evi), 31, où il s’agit d’un acte de zèle et à celui de Siméon et de Lévi, Jubilés, xxx, 7, 19, qui tirèrent vengeance des gens de Sichem. Lagrange, Ép. aux Rom., p. 84 sq.,

Ce n’est que dans les versets suivants, d’après le P. Lagrange (contre Cornely), que la pensée de. l’Apôtre prend un autre tour ou plutôt se précise et se nuance : Ei autem qui operatur, merces non imputatur (depulatur) secundum gratiam sed secundum débitum. Ei vero qui non operatur, credenli autem in eum qui jusliftcat impium, repulatur (depulatur) fides ejus ait justitiam. Or à celui qui a des œuvres, le salaire n’est pas compté par faveur mais selon ce qui est dû, tandis que celui qui n’a pas d’oeuvres, mais qui croit en celui qui rend juste l’impie, sa foi lui est comptée comme justice. Secundum propositum gratinDei de la Vulgate clémentine est une glose, d’ailleurs exacte. Cille équivalence entre loi et justice, dont leꝟ. 3 nous offre un cas typique, saint Paul précise maintenant qu’elle n’appartient pas à l’ordre du debttum, du droit strict, niais à celui de la gratin, c’est-à-dire de la bienveillance. L’équivalence n’en subsiste pas moins dans cet ordre particulier. Devant la bienveillance divine, quoique non par devant sa justice, foi vaut justice. I.e P. Prat, envisageant les choses d’un point de vue différent, s’attache, non sans quelque excès, à la seule considération de la disproportion qui existe entre la foi et la justice. La théologie de saint Paul, t. ii, p. 206.

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    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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b) La doctrine qui s’en dégage et l’interprétation luthérienne. — Pour conclure. — a. La foi n’est pas la justice. — La formule de Luther citée par le P. Prat : Ea (vera fiducia cordis) est formalis justifia propler quam homo justificatur, c’est-à-dire est déclaré juste par imputation légale de la justice du Christ, outre qu’elle est libellée dans une langue philosophique peu intelligible, n’est pas paulinienne. Si la justice n’est pas la foi, elle en procède d’une certaine manière, en ce sens que la foi est un titre réel, secundum graliam et non secundum debitum, à l’obtenir de Dieu. Bien plus, dans cette collation de la justice par Dieu, elle joue, conjointement avec le baptême, le rôle d’instrument. Qu’est-ce à dire ? La théologie luthérienne a accueilli cette notion de la foi instrument de la justification, mais en l’accommodant à sa façon de concevoir la justification et la foi elle-même. Simple condition sine qua non et qui ne joue aucun rôle positif dans la justification, ou moyen d’appréhender la justice du Christ, elle garde toujours ce caractère essentiel de n’avoir par elle-même aucune valeur morale, d’appartenir à un ordre distinct et hétérogène par rapport à la justice. Ce n’est sûrement pas ainsi que saint Paul l’entend. La foi, pour lui, représente une activité de l’homme et, de sa part, une préparation positive à la justice. Comme l’a dit fort justement le Concile de Trente, elle est humanse salutis initium, fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess. vi, De juslificatione, c. vrn. Si la justice, au sens de saint Paul, représente, dans sa notion la plus générale, un état normal de relation avec Dieu, il est aisé de comprendre que la foi, par où nous accordons créance à la parole de Dieu et par où nous commençons de prendre à son égard les dispositions effectives qui conviennent, représente une amorce et un inilium de la justice. C’est ainsi qu’elle est de notre part une vraie collaboration à la justification et qu’elle peut être utilisée par Dieu comme instrument de pleine justification. Très généralement, les exégètes protestants contemporains reconnaissent, au moins tacitement, que Luther et les théologiens luthériens orthodoxes ont trahi la pensée de saint Paul. Aussi les voyons-nous réintroduire une notion sensiblement différente de la foi, de son rôle dans la justification, et, en fin de compte, de la justification elle-même.La foi recouvre une valeur religieuse et morale ; la justification n’est plus aussi radicalement isolée de la sanctification ; la foi redevient l’un des principes de la vie du croyant justifié. Voir plus loin. Ces multiples relations de la justice avec la foi, toutes fondées sur la nature même de la foi, dont la valeur morale et religieuse la rend propre à amorcer dans l’homme une vraie justice et la qualifie, secundum graliam, pour devenir aux mains de Dieu, l’instrument approprié de notre complète justification, saint Paul les exprime par cette formule synthétique : la justice de la foi, dont il aime à se servir, Rom., iv, 11, 13, etc., quand il veut opposer la justice conférée par Dieu à la justice de la Loi et des œuvres. Cf. Lagrange, Ép. aux Rom., p. 137 sq. ; Prat, La théologie de saint Paul, t. il, p. 540 sq.

b. La justification par la foi seule. — Commentant Rom., iii, 28 : Arbitramur enim jusliftcari hominem per fidem (nlazsi) sine operibus legis, Luther s’est cru autorisé à traduire per fulem par per fidem solam. C’est la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule. Préoccupé de l’anéantir à sa source même, le P. Cornely se jette dans une exégèse discutable et bien superflue de ce texte de l’Épître aux Romains : In hac sententia autem…, uti ex vocabulorum ordine… clare jam eluect, prwcipuum pondus inesse verbis SixaioûaGxi et /c-piç ëpycov vôfxo’j… quippe quæ primum et ultimum locum occupent, aliud autem nomen (memç, per fidem) nonnisi velut secundarium quoddam complemen DICT. DE THÉOL. CATHOL.

tum inseri ad viam indicandam, qua homo sine operibus Legis justificetur, Op. cit., p. 200. Saint Thomas explique plus objectivement : Non autem solum sine operibus cseremonialibus, quæ graliam non conferebant sed solum significabant, sed eliam sine operibus moralium prœceptorum, secundum illud : Non ex operibus justiliæ quæ fecimus nos, Tit., iii, 5, ita tamen quod intelligat (vel intelligas) : sine operibus prsecedentibus justiliam, non autem sine operibus subsequenlibus, quia ut dicitur, Jac, ii, 16 : Fides sine operibus, scilicet subsequenlibus (la parenthèse est de saint Thomas), morlua est et justificare (ce qui s’entend ici de la « justification seconde » )> non potest. Ep. ad Rom., c. iii, lect. 4.

Inacceptable, la formule per fidem solam ne l’est proprement qu’au sens luthérien, c’est-à-dire dans une doctrine qui, après avoir faussé le concept paulinien de foi, représente la justification, non pas comme l’acte inaugural de la vie du croyant dans le Christ — ce qu’elle est pour saint Paul — mais comme une sentence divine formulée en dehors de la vie réelle et qui ne s’inquiète pas des œuvres qui pourront suivre, sentence irrévocable à la seule condition que la foi subsiste. Cette doctrine est si manifestement étrangère et contraire à la pensée de saint Paul que les exégètes protestants contemporains se voient contraints de l’abandonner, à des degrés divers et par des voies différentes, l’un après l’autre. Le texte Eph., ii, 10 est particulièrement catégorique : « Nous sommes son ouvrage (de Dieu) ayant été créés en Jésus-Christ pour faire de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions, xTiaOsVTSÇ èv Xpia-rcp’Iyjctoû sttI spyoïç àyaôoù ;. » Sur quoi le P. Cornely fait remarquer très justement que êxcl désigne ici la fin, le but » Ep. ad Ephesios, Philipp., et Col., Paris, 1912, p.77. Cf. aussi, II Cor., ix, 8 ; Col., i, 10 ; Tit., iii, 8, etc.

Le long passage Rom., vi-vm, si intimement lié à la péricope iii, 21-v consacrée à la justification, décrit amplement la vie nouvelle, vie de justice et de sainteté, que doit désormais mener le croyant justifié. Bien plus le jugement final portera sur les œuvres du chrétien postérieures à sa justification première, II Cor., v, 10 : « Tous il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ (il s’agit des chrétiens justifiés par la foi et le baptême) afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps, selon ses œuvres, soit bien soit mal. »

La foi, qui persiste, bien entendu, dans le justifié, devient comme le milieu intérieur où se développe sa vie dans le Christ. Gal., ii, 20 : « Si maintenant (depuis le baptême) je vis dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi. » La foi est dite agir par la charité, Gal., v, 10 : Sed fuies quæ per charilalem operatur. La pensée de saint Paul rejoint ici celle de saint Jacques, Jac, ii, 16 : Sic et fides, si non habeat opéra, morlua est in semelipsa.

3. Gratuité de la justice.

C’est en fonction de cette dépendance de la justice par rapport à la foi, dans sa première origine, que saint Paul signale la gratuité de la justification. Il faut noter comme particulièrement catégoriques en ce sens, Rom., iii, 24 : Juslificati gratis per gratiam (i.e. benevolenliam) ipsius (Dei) : Eph., ii, 8 : Gratia enim estis saluali per fidem, et hoc non ex vobis. Dei enim donum est — non ex operibus, avec cet objectif cher à saint Paul : ne quis glorictur. L’on ne peut douter que la reprise : Dei enim donum est n’ajoute quelque chose à l’affirmation première : Gratia enim estis salvali per fidem. S’il s’agissait seulement de marquer la différence qui existe entre la justifia ex fuie et la juslitia ex operibus, dans l’esprit de Rom., IV, 5, le mot gratia suffisait. Si saint Paul revient et insiste, c’est apparemment qu’il veut rapporter la foi elle-même à cette gratia. Saint Thomas entend directement la clause : Dei enim

VIII.

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donum est, de la foi elle-même et il rappelle le mot de Phil., i, 29 : Yobis autem donutum est pro Christo, non solum ut in eum credatis, sed eliam pro eo patiamini. Ep. ad Eph., c. ii, lect. 3. J. E. Belser préfère dire simplement : « Que la foi elle-même ne soit pas purement notre œuvre personnelle, c’est ce que suppose l’ensemble de la construction, » Der Epheserbrief des Ap. Paulus, Fribourg-en-B., 1908, p. 57 ; cf. Prat, Lu théologie de saint Paul, t. ii, p. 289, qui tient cette nuance comme n’ayant qu’un intérêt secondaire, le canon 5 du concile d’Orange sur l’initiurn fidei et son interprétation d’Eph., ii, 8 étant, de l’une et de l’autre manière, justifiés.- — Intéressant aussi est Tit., iii, 5 : « Dieu nous a sauvés non à cause des œuvres de justice que nous avions faites, non ex operibus justitiee, -z&v èv Sixaioaùv-fl = faites en état de justice, mais selon sa miséricorde. .. afin que justifiés par sa grâce, nous devenions héritiers de la vie éternelle. » Ces œuvres « dans la justice » nous ne les avons pas faites, t. 3, ni ne pouvions les faire, n’étant pas en état de justice.

/II. la JUSTIFICATION. — Il nous reste à étudier l’acte même de justification dans saint Paul.

1° Sens possibles du mot justifier. — Pour l’exprimer saint Paul se sert, à l’actif et au passif, du verbe Sixaioûv. H. J. Holtzmann, traduisant le sentiment commun des exégètes protestants, a écrit : « Le verbe Sixouoùv désigne dans l’Ancien Testament, un acte judiciaire favorable à celui qu’il concerne, c’est-à-dire l’acte par lequel le juge déclare quelqu’un innocent. » Lehrbuch der Neuleslament. Théologie, t. ii, 2e édit., Tubingue, 1911, p. 141. C’est ce qu’on appelle le sensus forensis, c’est-à-dire le sens déclaratif judiciaire, qu’il ne faut pas confondre avec le sens déclaratif simple, c’est-à-dire non judiciaire. Beaucoup d’exégètes catholiques ont accepté cette opinion touchant le sens de Sixaioûv dans la Bible grecque. Le P. Prat continue de la tenir pour généralement exacte : « Nous admettons sans balancer, écrit-il, que la justification de l’homme éveille d’ordinaire dans l’Ancien Testament et même dans le Nouveau l’idée d’un jugement divin, qu’on peut du moins l’y découvrir sans faire violence aux textes (l’atténuation est sensible), que dans un petit nombre la justification est purement déclarative. Il en est ainsi, par exemple, toutes les fois qu’il s’agit du jugement final qui ne produit pas la justice en l’homme mais la présuppose… » L’on éprouve quelque peine à entendre ce qui suit, qui semble contredire la formule initiale : « Mais ce n’est pas le. sens ordinaire : ce qui le prouve, c’est l’impossibilité de remplacer, dans la plupart des cas, le verbe « justifier » par ses équivalents prétendus « déclarer juste » ou « traiter comme juste ». La théologie de saint Paul, t. ii, p. 297 sq.

Cependant le commentaire du P. Lagrange sur l’Épître aux Romains, publié en 1916’, a marqué sur ce point une vive et heureuse réaction. Au sentiment du savant exégéte, l’interprétation du Sixaioùv biblique comme signifiant une déclaration de justice prononcée parle juge représenterait une généralisation injustifiée C’est ce qu’il entreprend de faire voir en reprenant après P. Feine, Théologie des Neuen Testaments, Leipzig, p. 409 sq., mais pour aboutir à îles conclusions bien différentes des siennes, l’examen des quarante-cinq endroits des Sepl ante où paraît le verbe Sixaioûv.

Il est nécessaire de reproduire les grandes lignes de cette suggestive enquête.

Aixaioûv traduit pis à la voix hiphil : Ex., xxiii, 7 ; Dcut., xxv, 1 ; IlKcg., xv, 1 ; II I Kcg., vui, 31 ; Il Parai., vi, 23 ; Ps., i.x.xxii (î.xxxi), 3 ; Is., v, 23, L, H ; i.m, 1 1. Dans tous ces cas, le sens de : déclarer Juste en justice (sensus forensis) ne lait aucun doute, sauf pour Is., l, 8, où nous avons plutôt celui de : défendre en Justice, ce qui représente une nuance sensiblement différente.

Aixaioûv traduit la voix hitphaël du même verbe, Eccle., vu, 5 et, au passif, Gen., xliv, 16, avec le sens de : se justifier soi-même devant un juge. C’est toujours le sens judiciaire mais non point déclaratif. La voix piël de p-rs est rendue par Stxxioijv : à l’actif. Jer., iii, 11 ;

Ezech., xvi, 51, 52, avec le sens de : se montrer juste par comparaison à un autre qui se conduit plus mal ; au passif, Job, xxxii, 32, avec le sens de : se voir donner raison. Le sens proprement judiciaire n’apparaît plus.

Le qal de pis est rendu par Sixxio^aOai : Gen., xxxvi, 26 ; Ps., xix (xviii), 10 ; l(li), 4 ; cxliii (cxlii), 2 ; Is., xuii, 9, 26 ; xlv, 25, 26 ; XLn, 21. Dans tous ces cas, le sens déclaratif et, à plus forte raison, le sens forensique proprement dit, est étranger à l’hébreu. L’on est d’autant moins autorisé à le présumer pour le grec que le contexte ne s’en accommode point. On n’a pas assez pris garde à ces faits.

Lorsque Stxaioôv traduit nsr, nous avons pour

le qal, Michée, vi, 11, le sens de : être pur et pour le piël, Ps., lxxiii (lxxii), 15, celui de : rendre pur (cas unique dans l’Ancien Testament).

Le P. Lagrange examine à part les onze cas de l’Ecclésiastique que M. P. Feine a portés en bloc à l’actif du sensus forensis ou, à tout le moins, du sens déclaratif : vii, 5 ; ix, 12 (17) ; x, 29 (32) ; xiii, 22 ; xxxiv (xxxi) 5 ; xlii, 2, pour lesquels nous avons l’original hébreu ; i, 28 ; xviii, 1, 22 ; xxvi, 28 ; xxxiii, 14, pour lesquels nous ne l’avons pas. Le sens déclaratif n’est établi sûrement que pour x, 29 (32) et xlii, 2.

Les versions grecques, autres que celle des Septante font l’impression de traduire plus volontiers encore le qal de pis par le passif 81xouo’jo-0ai dans

le sens de : être juste. L’Apocalypse de Baruch, xxt, 9, 11, 12 ; xxiv, 1, 2 ; li, 3 ; iii, 7 ; IV Esdras, xii, 7 ; les Psaumes de Salomon ( qu’on allègue souvent en faveur de sensus forensis) ii, 16 ; iii, 5 ; iv, 9 ; viii, 7, 27, 31 ; ix, 3, suggèrent, s’ils ne l’imposent pas, le sens d’être ou de devenir juste. « On voit, conclut le P. Lagrange, combien il est peu exact de dire avec Sanday-Headlam que dans l’Ancien Testament le mot a toujours ou presque toujours un sens forensique ou judiciaire. » Ép. aux Rom., p. 128. L’on n’est donc pas fondé à aborder l’exégèse de saint Paul avec l’idée préconçue, et non vérifiée par les faits, que Sixxioôv était, dans la langue biblique, un mot technique signifiant la sentence favorable rendue par le juge au bénéfice d’un inculpé. Même le sens déclaratif large, c’est-à-dire non strictement judiciaire, n’a pas à être obligatoirement présumé, à défaut du sensus forensis proprement dit.

Il est un cas cependant où le sens forensique s’impose et c’est lorsque le verbe Stxoaoûv est employé dans un contexte eschatologique et pour signifier le jugement dernier. Or d’après M. A. Titius, Der Paulinismus unter dem Gesichispunkt der Seligkeil, Tubingue, 1900, p. 157 sq., la justification représente toujours dans saint Paul un acte messianique et donc d’ordre en soi eschatologique, M. K. Tobac, qui a très bien mis en valeur cette ingénieuse théorie, s’applique à justifier en ces termes l’équation : acte messianique = acte eschatologique, qui est à la base du système : « (’/est qu’avec le Christ le règne messianique est présent, le royaume a commencé, la communauté est là, existante, intimement unie à son chef, consciente des réalités qu’elle possède et des espérances qu’elle attend, se préparant à la parousie. Pour elle plus de jugement, ou plutôt le jugement a eu lieu déjà : elle est justifiée. Du côté de Dieu, tout est fait ; il dépend d’elle de conserver celle Justification et de la voir ratifiée au jugement final de Dieu. On dirait qu’à certains moments le présent et le futur se confondent pour saint Paul 'JIM iO

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et ne lui apparaissent pas comme à nous clairement distincts. La justification présente, c’est en même temps la justification future : il n’en conçoit qu’une, c’est la justification messianique. Il n’oublie pas cependant que notre vie est encore cachée, attendant son apocalypse, Col., iii, 4, que nous ne sommes sauvés qu’en espérance, Rom., viii, 23, et c’est pour cela qu’il pourra en d’autres circonstances, présenter cette même justification comme future, comme s’accomplissant au grand jour du jugement. » Le problème de la justification dans saint Paul, p. 218. Ce qui suit achève de dégager la véritable idée génératrice du système, qui en fait aussi la faiblesse principale : « Dans saint Paul, la justification consiste toujours, selon nous, dans le décret d’admission au royaume messianique. Plus tard lorsque la perspective du règne eschatologique s’éloigna et que le règne présent ou préparatoire absorba toute l’attention, la disjonction entre la justification présente et future, entre la justice et le salut s’opéra aussi définitivement. » Ibid., p. 216 note. M. A. Titius admet qu’il existe déjà dans saint Paul des traces de cette différenciation. Cette interprétation, fait remarquer à bon droit M. Tobac, n’est aucunement liée à la doctrine luthérienne de la justice imputée. Cela est si vrai que, chez M. Titius, elle devient l’instrument d’une énergique réaction contre cette doctrine impossible.

Pour séduisante qu’elle puisse paraître à certains égards, l’interprétation forensique-eschatologique de la justification dans saint Paul a soulevé de justes et notables critiques. L’une de ses faiblesses, que le P. Prat a plus particulièrement signalée, c’est de supposer à la formule : justice de Dieu, le sens constant, dans saint Paul, de justice-attribut, de justice divine salvifique. La théologie de saint Paul, t. ii, p. 549. Le même auteur p. 548, témoigne son étonnement en présence du caractère eschatologique attribué à la justification paulinienne. De façon plus générale, l’eschatologisme qui est à la base de cette interprétation de saint Paul appelle des réserves et demanderait, pour le moins, une soigneuse révision et mise au point. Le P. Lagrange conteste l’affirmation suivante de M. Tobac : « Cette justi fication (prononcée par le Messie) dans la théologie juive apparaît donc bien comme forensique et eschatologique ; c’est le décret d’acquittement, d’admission à la vie dans le royaume messianique au jour du jugement. » p. 14. — « Assurément, écrit le P. Lagrange le messianisme, d’après quelques juifs, devait s’ouvrir par un certain jugement… Mais était-ce l’opinion des pharisiens et de la majorité des Juifs ? Dès le temps des Psaumes de Salomon (environ 40 ans avant Jésus-Christ), on distinguait le messianisme temporel et les fins dernières. Les apocalypses d’Esdras et de Baruch supposent cette distinction fondamentale. Le jugement de Dieu, après les temps messianiques, était dès lors vraiment le jugement final. C’est alors que serait rendue pour chacun la sentence du justification et de condamnation. Et c’est cette conception qui avait déjà prévalu (sur la vue ancienne qui mettait sur le même plan l’avènement du Messie et la consommation finale), qui allait prévaloir de plus en plus. Personne ne songeait à nier le jugement final, comprenant la déclaration de justice, la répartition du sort des justes et des méchants. On ne pouvait le transporter tout entier à l’entrée de la période messianique. A-t-on eu l’idée de le dédoubler pour ainsi dire, de placer à l’arrivée du Messie une ombre, une répétition du jugement général, une sentence d’admission aux biens messianiques ? C’est ce dont je ne vois pas trace dans les textes. » Ép. aux Rom., p. 134. Telle n’est sûrement pas, en particulier, l’idée que les Évangiles synoptiques prêtent aux représentants du judaïsme officiel.

Le sens du mol dans saint Paul.

Nous avons

donc le droit d’étudier en eux-mêmes les textes de saint Paul où paraissent le verbe Sixoaoûv et le substantif verbal SixaÊwaiç, et d’user, pour en déterminer le sens, de la liberté que nous laisse l’emploi large et divers qu’en a fait la Bible grecque.

1. Sens du mot « être justifié ». — Commençons par les textes où Sixaioûv est au passif : Rom., ii, 13 : Non enim audilores legis justi sunt apud Deum, sed factures legis juslifïcabuntur. C’est à tort que saint Augustin traduit : seront rendus justes. Le sens forensiqueeschatologique est regardé par tout le monde comme certain. — Rom., iii, 20, cf. Gal., ii, 16 : Quia ex operibus legis non justi ficabitur omnis caro coram Mo (Deo). C’est une citation du Ps., cxlii (cxliii), 2. Le P. Cornely se prononce pour le sens forensique-eschatologique clans Rom. comme dans le Ps. D’après le P. Lagrange, saint Paul éliminerait la perspective eschatologique du Ps. Le sens déclaratif simple se trouve lui-même exclu par la clause coram Mo. Par qui serait faite cette déclaration de justice devant Dieu ? Sens probable : nul ne sera en état d’établir sa justice.

— Rom., iii, 24 : Justificati gratis per gratiam ipsius xfi aÙToù /api-ut., per(Sià) redemptionem, etc. « Rendus justes par la grâce sanctifiante » (Cornely) suppose à per gratiam une signification qu’il est difficile d’établir avec certitude chez saint Paul. Le P. Lagrange propose : « Devenus justes par la bonté de Dieu », plutôt que « tenus pour justes », à cause de per redemptionem, qui évoque l’idée d’instrument et donc d’efficience. — Rom., iii, 28 : Arbitramur enim justi ficari homincm per fidem (tocttsi). « Est rendu juste ou devient juste » (Cornely) ; de même Lagrange à cause de per fidem (fide). — Rom., iv, 2 : Si enim Abraham ex operibus justi ficalus est : « Aobtenu la justice « (Cornely) ; « est devenu juste, ou, tout au plus a été reconnu juste, puisqu’il est fait allusion à une activité d’Abraham » (Lagrange). — Rom., v, 1, 2 : Justificati ergo ex fide, pacem habeamus ad Deum per dominum Jesum Christum, per quem et habemus accessum per fidem in gratiam istam. « Ayant reçu la justice » (Cornely) ; « reconnus justes en suite de la foi » ou, et mieux, « devenus justes » (Lagrange). Le sens de « devenus justes » ou même de « rendus justes » semble préférable à cause de l’idée de réconciliation suggérée par pacem. — Rom., v, 9 : Justificati in sanguine ipsius (Christi). « Ayant acquis la justice » (Cornely, Lagrange), sous forme de purification, dans le sang du Christ. — Rom., vi, 7 : Qui enim morluus est, justificatif est a peccato. Formule juridique signifiant que l’accusé échappe par la mort à toute action judiciaire. — I Cor., iv, 4 : Nihil enim mihi conscius sum ; sed non in hoc justificatus sum. « Je ne me tiens pas pour juste » (Lagrange) ; le P. Cornely s’attache, sans raison, à maintenir le sens déclaratif large : sese lamen dijudicare et fidelem declarare non audet. — I Cor., vi, 11 : Sed abluli estis, sed sanctificali estis, sed justificati estis in nomine Domini. C’est l’un des textes dont se réclament tout particulièrement les partisans de la théorie forensique-eschatologique. « Ils ont été purifiés…, délivrés de ces péchés que Paul vient d’énumérer et dont quelques-uns d’entre eux étaient chargés ; ils ont été sanctifiés…, arrachés à la tyrannie du péché, à la domination de ce monde mauvais et transplantés dans le voisinage de Dieu et ainsi ils ont été justifiés… (c’est-à-dire) reconnus par Dieu en qualités de justes et d’inscrits au royaume messianique, d’où ils étaient exclus à cause du péché. » E. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, p. 252. L’intérêt de ce texte, c’est que tout en établissant, croit-on, le sens forensique de justifier, il maintient la réalité de la justice en faisant de la justification comme la reconnaissance et la consécration juridique d’une purification et sanctification préalables. Mais nous avons ici  :

une allusion manifeste au baptême, et c’est la causalité baptismale que décrivent pareillement ces trois termes : purifier, sanctifier, justifier, et cette seule remarque sullit à rendre invraisemblable le sensus /orensis pour justifier. « Quoi de plus clair, écrit le P. Lagrange, pour prouver que la justification n’est pas une déclaration extérieure distincte de la sanctification qui est intérieure. » Ép. aux Rom., p. 131. C’est qu’en effet ces trois termes par où saint Paul décrit l’action du baptême dans le croyant semblent bien avoir foncièrement le même sens. Tel est également le sentiment des PP. Cornely et Prat. Un passage, parallèle pour le sens principal, Eph., v, 20 : Christus dilexit Ecclesiam, et seipsum tradidit pro eu, ut illam sanctificaret, mundans luvacro aquæ in verbo vitæ, où sanctificaret est déterminé par mundans, montre que l’ordre : purifier, sanctifier, justifier, n’a pas pour saint Paul d’intérêt particulier et n’exprime ni une gradation ni une succession qui ne se peut changer. Le sens de justificuti estis est donc dans cet endroit, I Cor., vi, 11 : « constitués justes » (Cornely) ou « devenus justes » (Lagrange). — Gal., 11, 1C, 17 : Scienles autem quod non justificatur homo ex operibus legis, nisi per (Stà) fidem Jesu Christi ; et nos in Christo credimus (credidimus) ut juslificemur ex fide Christi et non ex operibus legis, etc. La formule per fidem, énonçant l’idée de la causalité instrumentale de la foi dans la justification, suggère pour justifucmur le sens, non pas d’être déclarés justes, mais de devenir justes (Cornely, Lagrange). — Gal., m, 11 : Quoniam autem in lege nemo justificatur apud Deum. Le sens d’être déclaré juste est exclu parla finale apud Deum. Déclaré juste par qui ? « Établir sa justice devant Dieu « (Lagrange), plutôt que « être rendu juste devant Dieu » (Cornely). — Gal., ni, 24 : Ut ex fide juslificemur. « Devenir justes » (Lagrange). — Gal., v, 4, 8 : Evacuati estis a Christo, qui in lege juslificamini (cherchez la justice)… Nos enim spiritu ex fide spem justifiée exspectamus. Spein justitiæ n’est pas l’espérance qui a pour objet la justice (Tobac) mais les biens que la justice espère (Cornely, Lagrange). La conclusion de M. Tobac tombe donc : « La justice et sa reconnaissance par la sentence de justification sont certainement présentées ici, ainsi que dans toute l’Épître aux Galates, comme eschatologiqru.es, comme objet d’espérance. » Op. cil., p. 236, note. — Tit., iii, 7 : Ut justificati gralia ipsius. D’après le contexte, cela se passe au baptême. Le sens de : devenus justes ou même de : rendus justes est donc certain.

2. Sens du mot « justifier ». — Le verbe Sixotioûv à l’actif se rencontre Rom., iii, 26 : Ut sit ipse jus tus cl ju.stip.cans qustifttando) eum qui est ex fric Jesu ( hnsli La mention de la foi (ex fide) et le contexte, ꝟ. 25, 28, suggèrent le sens de rendre juste plutôt que déclarer juste, qui est trop faible (Cornely, Lagrange). — Rom., 111, 30 : Qui juslificat (Sixauonei = juslificabit) circumeisionem ex fide et privpulium per fidem. Le sens eschatologique et donc forenslque, suggéré par le futur, est exclu par la mention de la foi comme instrument <Ie justification. « Futurum…normam déclarai generalem, quæ nunc adhibetur semperque adhibebitur. » Cornely, l’.p. ad Rom., p. 202. Loin., iv, 5 sq. :

Ei vero <P" """ operatur, credenti autem in eum qui justifleai impium, reputatur fuies ejus ml justiliam… Sicul et David dicit beatitudinem hominis cui Dcus accepta fat justiliam sine operibus : Beati quorum vernissa sunt iniquitates, quorum tecta suni peccata. Déclarer juste l’impie sans que rien soit changé dans son étal réel est un défi au bon sens. Juslificat impium a d’ailleurs pour parallèle Beati quorum remissæ sunt iniquitates, rappelant lui-même, pour autant <iu moins qu’il s’agit de saint Paul, les textes relatifs à la purifl cation des péeliés. Les expressions reputatur (députa lur) fiiles ad justiliam et accepto jcrl justiliam (XoyiÇe-roa)

sont elles-mêmes fortes et d’esprit réaliste. L’idée d’une action dont la justice réelle est le terme est présente partout dans ce passage. — Rom., viii, 30 : Hos et justifleavit ; quos autem justificaint hos et glorificauit. Le sens de « rendre juste 1 est recommandé par le glorifl.cavit qui suit et qui est causatif (Lagrange). — Rom., vm, 33 : Dcus qui juslificat, quis est qui condemnabil. Déclarer juste par sentence judiciaire (Cornely). Le P. Lagrange trouve ce sens trop fort. A ce compte, l’hypothèse même d’une condamnation serait inconcevable. Il préfère la traduction : soutenir la cause ou mieux donner la justice. — Gal., iii, 8 : ex fide justificat Génies Deus. Cf. Rom., v, 17 ; ix, 30. Le sens est certainement : confère la justice.

3. Sens du mot « justification ». — Quant au substantif verbal Sixxitoatç nous le rencontrons deux fois. Rom., iv, 25 et v, 18. Il signifie, la première fois vraisemblablement, la seconde fois sûrement, la collation de la justice. — Rom., iv, 25 : et resurrexit propler juslificationem noslram. Il est significatif cjue la justification soit liée à la résurrection du Christ au lieu de l’être à sa mort. « La résurrection suggère l’idée de vie, » (Lagrange) et donc celle de justice réelle. — Rom., v, 18 : Sic per unius justiliam (SixaiwpiaTOÇ opposé à TCapot7T7a)ji.aToç = acte juste ou de justice) in ornnes homines in juslificationem vitæ, c’est-à-dire la justification qui donne la vie. La pensée est d’ailleurs confirmée au ꝟ. 19 : Sicut enim per inobedientiam unius hominis peccalores constituti sunt mulli, ila per unius obedilionem justi constiluentur, seront faits justes.

Le langage de saint Paul apparaît donc en parfaite harmonie et continuité avec celui de la Bible grecque. Le sens de « devenir juste » pour St, xaio’jaOai est seulement plus fréquent chez lui et celui de « recevoir ou de conférer la justice, » qui sont corrélatifs, y prend un relief, nouveau sans doute, mais que ne condamnait point l’usage ancien et que la doctrine paulinienne appelait et éclairait.

Le concept de justification.

Les trois lignes

distinctes suivant lesquelles s’est développée notre recherche en regard de ces trois concepts : justic ! de la loi, justice de la foi, justification, aboutissent donc à la notion d’une justice réelle conférée par Dieu au croyant. Le. fait ne peut vraiment être contesté.

1. Justification et rédemption.

- Mais comment se peut-il faire que Dieu confère ainsi la justice, sans œuvres, sur le seul titre de la foi et, ce qui est encore plus déconcertant, à des impies ? Car pour saint Paul, il s’agit bien d’impies, de pécheurs. Il était réservé à l’Apôtre de formuler explicitement, le premier, cette doctrine du péché originel, dont ni l’Ancien Testament ni la théologie juive au premier siècle de 1ère chrétienne, bien qu’elles en contiennent l’amorce ou, si l’on veut, l’écorec, a savoir la déchéance de l’humanité entière en suite du péché d’Adam, ne nous livrent la notion précise et certaine. On la peut lire Rom., v, 12 sq. Ce péché du premier homme, qui fait tous les hommes pécheurs, dont tous les hommes sont coupables, les a livrés, surtout lorsque la loi est intervenue, à l’empire du péché, dont ils ont fait personnellement les œuvres, .Juifs et Gentils. Rom., iii, 9 : « Nous venons de prouver que Juifs et Gentils sont s tus le péché, » Rom., iii, 23 : « Tous ont péché et sont dépourvus de la gloire de Dieu. » La vraie formule de la justification est donc bien pour saint Paul, Rom., IV, 5 : credenti in eum qui justifiait impium, qui rend juste l’impie.

Cette justification de l’impie a été rendue possible par « la rédemption qui est dans le Christ Jésus. » Rom., iii, 21 : Justificati gratis per graliam ipsius, per redemptionem qurn est in Cliristo Jesu, quem proposuit Drus propitiationem per fidem in sanguine ipsius, ad ostensioncm justitiæ su : c propler rrmissioncm (toleran

tiam) præcedenlium delictorum in suslenlalione Dei — ad oslensionem (dico) justitiie ejus in hoc tempore ut sit ipse juslus et justiftcans eum qui est ex fide Jesu Christi. « Tous ont péché et sont dépourvus de la gloire de Dieu, lequel les justifie (désormais) gratuitement par sa grâce, moyennant la rédemption qui est en le Christ Jésus, que Dieu a disposé comme un instrument de propitiation par la foi en son sang ; afin de montrer sa justice, ayant supporté les péchés passés sans les punir dans le temps de la patience de Dieu ; pour montrer (dis-je) sa justice dans le temps présent, afin qu’il soit établi qu’il est lui-même juste et qu’il justifie (rend juste) celui qui a eu foi en Jésus. » — De même Rom., v, G-10 : « Le Christ, lorsque nous étions encore impuissants, au temps voulu, est mort pour des impies… Dieu prouve (ainsi) son amour pour nous en ce que, nous étant encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. A plus forte raison donc, justifiés que nous sommes maintenant dans son sang, serons-nous sauvés par lui de la colère. En effet, si, étant ennemis, nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, à plus forte raison, réconciliés, nous serons sauvés dans sa vie.

Gal., i, 3 : « A vous grâce et paix de la part de Dieu notre Père, et du Seigneur Jésus-Christ, qui s’est donné lui-même pour nos péchés, afin de nous arracher au mauvais siècle présent. » — Eph., i, 7 : « En lui (Jésus) nous avons la rédemption acquise par son sang, la rémission des péchés, selon les richesses ele sa grâce. » - — Enfin Rom., iv, 23 : « S’il a été écrit que cela lui fut compté à justice (la foi d’Abraham) ce n’est pas seulement à son propos, mais aussi à cause de nous, auxquels cela doit être compté, à nous qui croyons en celui qui a ressuscité des morts Jésus, notre Seigneur, lequel a été livré à cause de nos iniquités et ressuscité à cause de notre justification. » Saint Paul connaît donc deux moyens ou instruments de justification, moyens associés et dont le second dépend du premier, la mort rédemptrice et la résurrection du Christ, moyen externe, et la foi, moyen interne.

Qu’est-ce donc que cette justice conférée à des impies, cette justice dont la collation par Dieu est devenue possible grâce à la rédemption accomplie par le Christ, cette justice sans œuvres et pour laquelle la foi est, du côté du pécheur, la seule condition et préparation requise, la foi paulinienne s’entend, dont nous avons dit la complexité psychologique ? Ce n’est pas pour saint Paul une qualité de l’ordre purement moral, mais de l’ordre moral et mystique tout ensemble. Nous avons déjà vu qu’il faisait de la foi, commencement dans l’homme de la justice, quoique non pas la justice encore, un don de Dieu, une « grâce », c’est-à-dire une réalité de l’ordre mystique ou divin. Mais il n’est pas moins évident que la foi est une qualité de l’ordre moral, puisqu’en elle et par elle, le pécheur commence de recouvrer vis-à-vis de Dieu et du bien moral dont il est la réalisation suprême et la norme première, des rapports normaux, de justes et droites dispositions ou intentions. Nous apercevons pareillement dans la justice paulinienne, à la fois un don de Dieu, une réalité de l’ordre mystique et une valeur de l’ordre moral.

2. Justification et baptême.

« La justification, écrit le P. Lagrangc, se produit à un moment déterminé, normalement au baptême qui est aussi un acte très concret… La justification est donc, d’après Paul, le don de la justice fait par Dieu à celui qui a cru, demandé et reçu le baptême. » Ép. aux Rom., p. 140. Ce n’est pas la foi toute seule mais la foi avec le baptême, et plus spécialement le baptême, qui est, entre les mains de Dieu, l’instrument de notre justification. La foi la commence, mais c’est le baptême qui la consomme. Nous avons signalé cette liaison de la justification avec le baptême, où nous sommes purifiés.

sanctifiés et, pour tout dire, justifiés. I Cor., vi, 11 ; Tit., iii, 7. Au moment décisif, la doctrine de saint Paul sur la justification rejoint donc sa théologie du baptême et se confond avec elle. L’idée très positive qu’il se fait de la justice se confond, pour ce qui regarde du moins la réalité qu’elle entend traduire, avec sa conception des effets du baptême dans le croyant.

Ce n’est point ici notre tâche d’analyser les effets du baptême. Rappelons seulement que le baptême, sacrement de notre incorporation à Jésus-Christ, nous associe à sa mort et à sa vie. Rom., vi, 3 sq. : « Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ Jésus, nous avons été baptisés dans sa mort. Nous avons donc été ensevelis avec lui parle baptême (pour nous unir), à sa mort, afin que, comme le Christ a été ressuscité des morts par la gloire de son Père, nous marchions, nous aussi, dans une vie nouvelle. » Plus clairement encore Col., ii, 12-13 : « Ensevelis avec lui dans le baptême, vous avez été dans le même baptême ressuscites avec lui par votre foi à l’action de Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts. Vous qui étiez morts par vos péchés… il vous a rendus à la vie avec lui, après vous avoir pardonné toutes vos offenses. » Associés à la mort du Christ, qui a été une mort pour (l’expiation de) nos péchés, I Cor., xv, 3 et une mort « au péché », Rom., vi, 10, nous recevons, dans le baptême, la rémission de nos péchés (purification) et nous mourons au péché pour ce qui regarde sa domination ultérieure. Rom., vi, 2, 6, etc. Associés à la vie du Christ ressuscité qui est une « vie en Dieu », « une vie pour Dieu », Rom., vi, 8, 10, nous devenons « saints », au baptême, par notre participation même à la vie du Christ. Gal., ii, 20, dit bien les deux choses : Christo confixus sum cruci (cveaTpaùpo ; |j(.ai). Vivo autem jam non ego, vivit vero in me Christus. Purifié du péché et sanctifié, le baptisé est justifié ; c’est un autre mot pour dire la même chose. C’est dans ce contexte baptismal qu’il faut lire I Cor., i, 30 : « C’est par lui (Dieu) que vous êtes en Jésus-Christ, lequel de par Dieu, a été fait pour nous sagesse et justice et sanctification et rédemption. » et II Cor., v, 21 : « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu. »

Une précision cependant s’impose, qui achèvera de dégager la notion propre de justice et de justification. J’en emprunte la formule au P. Lagrange : Cet « argument (à savoir la justification mise au passé et la sanctification présentée comme étant en voie de réalisation, Rom., vi) prouve bien que la justification est un acte initial. Il est vrai que si la sainteté ou l’Esprit est donné et progresse, on en peut dire autant de la justice. Mais nous ne songeons pas à nier que l’idée de justice implique un rapport extérieur plus directement que celle de sainteté. Il est de la nature d’un rapport extérieur qu’il soit établi extérieurement, constaté une fois pour toutes. On ne grandit en justice qu’autant que la justice est identifiée à la sainteté, à la vie intérieure, à l’Esprit donné, à la grâce reçue. Mais la justice entant qu’elle marque la restitution des rapports souhaitables entre Dieu et l’homme se rétablit et ne change plus, à moins que ces rapports ne soient rompus de nouveau. Voilà pourquoi la justification est, plus que la sanctification, liée à l’acte extérieur du baptême. » Ép. aux Rom., p. 140 sq. C’est juste et cela fait entre les trois effets attribués au baptême, sinon une différence réelle, du moins une distinction conceptuelle. Cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, p. 302.

Réalité de l’ordre mystique et en premier lieu, puisqu’elle est, pour saint Paul, un effet du baptême, un don positif de Dieu, une « grâce », la justice conférée n’en est pas moins une valeur de l’ordre moral. En elle achèvent de se rétablir les relations normales de 207.".

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT JACQUES

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l’homme avec Dieu, dont la foi avait commencé la restauration, (’et achèvement est L’œuvre du Saint-Esprit reçu au baptême et de la charité qu’il répand en nos cœurs, Rom., v, 5 : Carilas Dei diffusa est in cordibus nos ! ri s per Spiritum Sanction qui dalus est nobis. Or la valeur morale, particulière et générale, de la charité est sans cesse mise en lumière par saint Paul, I Cor., xiv ; Rom., xiii, 10 : Plénitudeergo legis est dileclio. La foi avec la charité constituent dorénavant un principe d’œuvres bonnes. Gal., v, 6 : Sed /ides qua’per charitatem operaiur.

Telle est, dans ses éléments essentiels, cette doctrine paulinienne de la justice et de la justification, source principale de l’enseignement de l’Église, et que la théologie catholique s’est appliquée à approfondir et à synthétiser.


V. Saint Jacques. —

Il ne nous reste plus à étudier que L’Épitre de saint Jacques, ii, 14-26 : Quid proderit, fratres mei, si fidem quis dicat se habere, opéra auteni non liabeat ? Numquid poleril fides (sine operibus) salvare eum ? « Que sert-il, mes frères, à un homme de dire qu’il a la foi, s’il n’a pas les œuvres ? Est-ce que cette foi pourra le sauver ? » Et après avoir allégué le cas analogue d’une charité qui.se bornant à des paroles non suivies d’effet, ne soulage en rien le malheureux, l’auteur conclut : « Ainsi la foi sans les œuvres est morte. » N’agissant point, l’on doit penser qu’elle est morte. Ni les destinataires de la lettre, ni le contexte immédiat, ni la comparaison avec la charité ne laissent place au moindre doute. Saint Jacques a en vue des chrétiens, déjà justifiés au sens de saint Paul, c’est-à-dire passés de l’état du péché à l’état de grâce. Il ne s’agit pas de la « justification première », à laquelle i, 18 a fait une brève allusion : « Par un acte de sa volonté (PouXr^etç), il nous a engendrés par une parole de vérité (l’idée de foi est toute proche), pour que nous soyons comme les prémices de ses créatures. » Il s’agit de la « justification seconde », c’est-à-dire de la vie du chrétien dans la loi et la justice, et où la foi, d’abord justifiante, devient, au dire de saint Paul, la foi « qui opère par la charité ». Gal., v, 6. Pour saint Paul, comme pour saint Jacques, cette foi-là, si elle n’a point d’œuvres, ne saurait « sauver ».

Les ꝟ. 18-19 représentent une sorte de parenthèse sans intérêt spécial. Saint Jacques y introduit un chrétien interpellant celui qui, au 1. 14, prétendait avoir la foi et qui n’avait pas d’œuvres. Ton affirmation est invérifiable, objecte au premier le second chrétien. Et puis ta foi sans œuvres ressemble singulièrement à celle des démons, chez qui elle n’a d’autre effet que la crainte. Il est évident que saint Jacques n’a pas l’intention de définir, en rigueur, la foi chrétienne prise dans sa réalité, fût-ce à part « les œuvres. Il est évident surtout que la foi des démons n’a rien de commun avec la foi justifiante de saint Paul. Nous n’avons d’ailleurs, en réalité, aucune raison décisive de croire que saint Jacques, fût-ce pour combattre certaines fausses interprétations qu’on en aurait données, ait en vue la doctrine exposée dans les Êpitres aux Galates et aux Romains. Les connaissait-il seulement ? Saint Augusl iii, qui le suppose, De diversis quæstionibus LXXXIII liber unm, q. lxxvi, P. L., t. xl, col. 87 sq. nisemble pas avoir d’autres motifs que l’apparente similitude des sujets traités.

La suite de notre texte est, à première vue, plus réellement embarrassante « : Mais veux-tu te convaincre, ô homme vain, que la foi sans les œuvres est sans vertu ! Abraham notre père, n’est-ce point par les œuvres qu’il a clé justifié, lorsqu’il Offrit Isa. le son bis sur l’autel ? Tu vois que la foi coopérait à ses œuvres et que par les œuvres (èx. -rôiv ëpywv) sa foi fut rendue parfaite, et la parole de l’Ecriture fut accomplie, qui dit : Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à

justice et il fut appelé ami de Dieu. Vous voyez que l’homme, est justifié par les œuvres (è^ ëpycov) et non pas seulement par la foi. » Saint Jacques veut-il dire que la justification d’Abraham, dont parle Gen., xv, 6 dans un contexte tout différent, ne devint une réalité qu’après le sacrifice d’fsaac rapporté Gen., xxii ? C’est tout à fait invraisemblable. Il a en vue, sans aucun doute, un progrès nouveau et décisif dans la justice à raison de cette œuvre de la foi que représente pour lui le sacrifice. Œcuménius, développant une pensée de saint Jean Chrysostome et d’accord pour le fond de"la doctrine avec saint Augustin, l’explique fort bien : « Parmi les Pères, certains ont ainsi compris la chose. Le même Abraham, à des moments divers, a donné l’exemple de l’une et l’autre foi ; de celle d’abord qui doit exister avant le baptême, qui ne requiert point les œuvres, mais seulement la croyance au Christ et l’adhésion qui justifie les croyants, d’autre part de la foi qui suit le baptême et qui est unie aux œuvres. Ainsi l’Esprit qui a parlé dans les deux apôtres n’apparaît pas di lièrent. » Comment, in epist. cath. Jacobi, P. G., t. exix, col. 479 sq. C’est la justification seconde après la première justification.

L’on expliquera de même le ꝟ. 25 : « De même Rahab, la courtisane ne fut-elle pas justifiée par les œuvres, quand elle reçut les espions (de Josué) et les fit partir par un autre chemin ? » L’auteur de l’Épitre aux Hébreux, quand il écrit : « C’est par la foi que Rahab la courtisane ne périt pas avec les incrédules, pour avoir donné aux espions une sûre hospitalité. » Hebr., xi, 31, a en vue le moment psychologique qui précède celui où elle accomplit l’œuvre de foi ou de miséricorde à laquelle se réfère saint Jacques. A ce second moment nous sommes déjà sur le terrain de la justification seconde. Cf. Relser, Die Epistel des hciligen Jacobus, 1909, p. 130 sq. Leꝟ. 26 : « De même que le corps sans âme est mort, ainsi la foi sans les œuvres est morte, » fait précisément allusion à cette foi de Rahab que présuppose sa conduite à l’égard des espions. En résumé saint Paul traite de l’acquisition de la justice ou justification première, saint Jacques du progrès dans la justice ou justification seconde. La doctrine de saint Jacques est identique à la doctrine paulinienne de la fuies quæ per caritatem operaiur. La seule différence consiste en ce que saint Paul a fait du mot justifier un terme technique désignant, proprement et habituellement, la première acquisition de la justice.

Mentionnons, en terminant, Apoc, xxii, 11. Ce texte assez improprement rendu par la Vulgate : Qui juslus est justificetur adliuc, signifie, dans l’original : « Que le juste pratique encore la justice : ô Bixxioc, SixociotiWjV TcoiT^aaTO) 8n. Il énonce clairement les deux moments successifs, celui de la Justification première et celui de la justification seconde. La formule faire la justice rappelle 1 fini., vi, 11 ; II Tim., ii, 22 âîwxs 8s SixaioaùvTjV.

I. Études d’ensemble. — 1° Catholiques : H. Lesêtre, Juste, Justice, Justification, dans Dict. de la Bible, de Vigouroux, t. iii, l’ju ; i. — 2° Non catholiques. — A. EUtschl, Die christticlie Lettre von der Recht/crtigung, n. Diebiblische Sto/f, Bonn, 4 « édlt. 1900 ; W. E. Addis, Right, Rlghteousness, dans Encyclopœdia biblica, do Cheyne-Black, t. v, 1903 ; Ihmcls Reclit/crtigung, dans Realencgcloputtie fur protestanttsche Théologie uiul Ktrche, t. xvi, 1905 ; A. Bisset, Justice et II. S. Franks, Justification, dans Dictionarg o/ Christ and the Gospels de I lastlngs, 1. 1, 1906.

II. Ancien Testament.

Catholiques.

M. l lit sa

nauer, Theologta biblica, t. i, Velus Testamentum, 1908 ;

.1. TouznnJ, I. « lieliginn d’Israël. Paris. 1915. —2" Non

catholiques : H. Stade et A. Bertholet, Btbltsche Théologie des Allen Testaments, Tublngue, 1. 1, 1905, t. a, 191 1 ; Ed. KOnig Geschichte der attlestamentlichen Religion. GUtersloh, 1912 ; <. Dalmon, Die rtchterltche Gereehttgketi in A. T., 1897 ; .1. Skinner, Rtghteousnesê in OUI Testament, dans DIcMon, o/ the Bible « le HastlngB, t. IV, 1905 ; A. H. Gordon, Rigliteous

ness in the Old Testament, dans Encycl. of Religion and Ethics de Hastings, t. x, 1918, et la littérature sur S. Paul.

III. Judaïsme. — 1° Catholiques.

J. Felten, Neutestamentliche

Zeitgeschichte, Ratisbonne, 1910 ; M.-J. Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs, Paris, 1909 ; L. Hackspill, Étude sur le milieu religieux et intellectuel contemporain du N. T., dans Revue biblique, 1900-1902 ; J.-B. Frey, L’état originel et la chute de l’homme d’après les conceptions juives au temps de J.-C, dans Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 1911. — 2° Non catholiques. — E. Schùrer, Geschichte des jiidischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, Leipzig, 4e édit., 1901-1011 ; F. Weber, Jùdische Théologie auf Grund des Talmud und verwandter Schriften, Leipzig, 2e édit., 1897 ; L. Couard, Die religiôsen und sittlichen Anschauungen der alttestamentlichen Apocryphen und Pseudepigraphen, Giitersloh, 1907 ; W. Bousset, Die Religion des Judentums im neutestamentlichen Zeitalter, Berlin, 2° édit., 1906 ; J. Abelson, Righteousness, Jewish, dans Encycl. of Religion and Ethics de Hastings, t. x, 1918.

IV. Évangiles.

Catholiques.

Les grands commentaires

récents des Synoptiques, Knabenbauer, Lagrange, etc. ; P. Batiffol, L’enseignement de Jésus, Paris, 1905 ; C. Van Crombrugghe, De soteriologiæ christianse primis fontibus, Louvain, 1905 ; J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Paris, 1914. — 2° Non catholiques. — H. J. Holtzmann, Lehrbuch der neutestamentlichen Théologie, Tubingue, 2e édit., 1911 ; P. Feine, Théologie des Neuen Testaments, Leipzig, 3e édit., 1919 ; A. Seeberg, Der Tod Jesu in seiner Redeulung fur die Erlôsung, Leipzig, 1915 ; H. Schlatter, Der Glaube im Neuen Testament, Stuttgart, 3e édit., 1905 ; G.-B. Stevens, Righteousness in N. T., dans Dict. of the Rible de Hastings, t. iv, 1905 ; C. G. Monteflore, The Religious Teaching of Jésus, Londres, 1910 ; V. C.Allen, Righteousness in Chrisi’s Teaching, dans Encycl. of Rel. and Ethics de Hastings, t. x, 1918.

V. Saint Paul.

Catholiques.

Les commentaires

anciens d’Origène, S. Jean Chrysostome, Théodoret, Euthymius, Œcumenius, Théophylacte ; Ambrosiastre, S. Augustin, S. Thomas d’Aquin ; les commentaires récents, ceux surtout des PP. Cornely et Lagrange sur Romains et Gala tes ; F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1. 1, 7e édit., 1923 ; t. ii, 5e édit., 1923 ; K. Benz, Die Ethik des Apostels Paulus Fribourg-en-B., 1912 ; E. Tobac, Le problème de la justification chez saint Paul, Louvain, 1908 ; A. de Boysson, La Loi et la Foi : étude sur saint Paul et les judaïsants, Paris, 1912 ; J. Duperray, Le Christ dans la vie chrétienne d’après saint Paul, 2e édit., Gand, 1922. — 2° Non catholiques. — Outre les théologies du N. T. mentionnées plus haut, les commentaires récents sur l’épître aux Romains de Sanday-Headlams, 1900, Th. Zahn, 1910, E. Kiihl, 1913 ; A. Jùncker, Die Ethik des Apostels Paulus, Halle ; 1. 1, 1904 ; t.H, 1920 ; A. Titius, Die neulestamentliche Lehre von der Seligkeit, Leipzig, t.i, JesuLehrevom Reiche Gottes, 1895 ; t.n, Der Paulinismus unter dem Gesichtspunkt der Seligkeit, 1900 ; Th. Hâring, Ar/a’Cic-JV7] Weoû bei Paulus, Tubingue, 1896 ; Ed. Riggenbach. Di’e Rechtfertigungslehre des Apostels Paulus, Stuttgart, 1897 ; H. Cremer, Die paulinische Rechtfertigungslehre im Zusammenhange ihrer geschichtlichen Vorausselzungen, Giïtersloh, 1900 ; E. Kiihl, Rechtferligung auf Grund Glaubewi und Gericht nach den Werken bei Paulus, Kœnigsberg, 1904 ; K. Millier. Beobæhtungen zur paulinischeti Rechtfertigungslehre, Leipzig, 1905 ; E. Cremer, Rechtfertigung und Wiedergeburt, Gutersloh, 1907 ; J. -F., Simpson, Justification, dans Encycl. of Relig. and Ethics de Hastings, t. vii, 1914 : J.Denney.iîig/ifeoiisncss in St. Paul’s Teaching, ibid., t. x, 1918.

VI. Saint Jacques.

Catholiques.

J.-E. Belser,

Die Epislel des heiligen Jacobus, Fribourg-en-B., 1909 ; B. Bartmann, S. Paulus und S. Jacobw ; uber die Rechtfertigung, Fribourg-en-B., 1897. — 2° Xon catholiques. — E. Kiihl, Die Stellung des Jacobusbriefes zum Alttestamentlichen Gesetz und zur naulinischen Reehtfertigunqslehre, Kœnigsberg, 1905.

R. Lemonnyer.


II. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION CHEZ les PÈRES.

Quelle que soit l’abondance et la variété des matériaux fournis par l’Écriture au sujet de la justification, non seulement cette doctrine ne reçut pas, dans l’ancienne Églis ?, une élaboration systématique, mais on peut dire qu’elle n’y fut même pas directement étudiée.

Les Pères avaient une idée trop haute de l’inspiration dts Livres saints pour risquer de ressentir les susceptibilités historiques de cette critique moderne où l’on s’efforce de transformer en divergences les nuances qui peuvent exister entre l’Ancien et le Nouveau Testament, entre l’enseignement de saint Jacques et celui de saint Paul. D’autre part, aucune controverse dogmatique n’attirait spécialement leur attention sur ce point. Il faut arriver au début du ve siècle pour que les erreurs pélagiennes amènent saint Augustin à envisager ex professo le rapport des œuvres humaines avec le don divin de la grâce, en particulier avec Vinitium fidei. A l’exception de ce détail, la justification, dans son ensemble, ne s’est jamais posée comme un problème devant la pensée des Pères, bien que nécessairement la prédication et l’exégèse leur fournissent l’occasion d’en toucher très souvent l’un ou l’autre aspect.

Cependant, aussitôt que la Réforme eut mis cet article au premier plan des réflexions religieuses et des discussions théologiques, comment n’eût-on pas éprouvé le besoin de consulter à cet égard le témoignage et, pour ainsi dire, le contrôle du passé ? Malgré leur dédain pour la tradition, il ne déplaisait pas aux protestants de se chercher des précurseurs. Quamvis adversarii, observait déjà Bellarmin, testimonia sanctorum Palrum non magni pendant cum ipsorum erroribus manifeste répugnant, tamen cupide Ma eadem colligunl, si quando in specie sallem nobis contraria esse judicant. Controv. de justif., i, 25, Opéra omnia, Paris, 1873, t. vi, p. 204. De son côté, le concile de Trente exprime formellement son intention de définir en cette matière veram sanamque doctrinam ipsius justifleationis, quam Christus Jésus… docuil, Apostoli tradiderunt et catholica Ecclesia, Spiritu Sancto suggerente, perpeluo retinuit. Sess. vi, prolog. Ce qui n’empêchait pas, vingt ans plus tard, le luthérien H. Hamelmann d’invoquer « le consentement unanime des Pères » au profit de la justification par la seule foi. Unanimis… consensus de vera justiftcatione hominis, Ursel, 1562, p. 33-44 et 59-72.

Le temps a fait son œuvre depuis le xvie siècle. Il ne manque pas de protestants aujourd’hui qui, plus dociles à l’impartiale histoire qu’aux suggestions de la controverse, reconnaissent, de bonne ou de mauvaise grâce, que l’antiquité ecclésiastique leur est défavorable. « La doctrine catholique commença de bonne heure, » gémissait A. Matter, art. Justification, dans Lichtenberger, Encyclopédie des sciences religieuses, t. vii, p. 566. « Si nous franchissons la limite des Écritures canoniques, avoue de son côté le D r Ihmels, en vain chercherons-nous une pleine intelligence de la doctrine paulinienne de la justification. » Art. Rechtfertigung, dans Realencyclopadie, t. xvi, p. 492. Et plus nettement le D r R. S. Franks : « La doctrine de saint Paul demeura pratiquement lettre morte… jusqu’au jour où la Réforme la fit revivre, » art. Justification, dans Hastings, Dict. of Christ and the Gospels, t. i, p. 920. Il s’agit, bien entendu, du paulinisme au sens exclusif et tendancieux sur lequel s’établirent les réformateurs. Mais proclamer que cette interprétation est de fraîche date n’est-ce pas indirectement rendre justice à la « perpétuité de la foi » catholique sur ce point ?

Si ces aveux ne nous dispensent pas de vérifier pour notre compte le témoignage de la tradition patristique, ils nous montrent du moins combien l’enquête est facile et sûr le résultat. Après quelques remarques de méthode, nous étudierons la doctrine de la justification à ces deux moments principaux : avant la controverse pélagienne (col. 2081) et depuis (col. 2096).

I. Remarques préliminaires. —

Peu de sujets ont été plus obscurcis par les passions de la polémique. Nam adversarii, cum neque quid remissio peccalorum, 2079 JUSTIFICATION CHEZ LES PÈRES : REMARQUES PRÉLIMINAIRES

2080

neque quid fides, neque quid gratia, neque quid justitia sit intelligant, misère contaminant hune locum. Cette constatation agressive de Mélanchthon, Apologia Confess. Aug., iv, 1, est tout au moins la preuve des lourdes équivoques qui ont longtemps pesé sur le débat et qui sont encore loin d’avoir entièrement disparu. On ne les trouve pas moins dans l’intelligence historique des textes que dans la solution doctrinale du problème. D’où la nécessité de claires explications pour k-s prévenir ou les dissiper. Ce qui revient à définir les traits essentiels de la méthode qui doit présidt r à ce cas.

Principes d’ordre logique.

Il n’est pas inutile

de rappeler d’abord en cette matière les règles qui tiennent aux lois générales de la pensée.

1. La question de fond.

Dès lors que notoirement la doctrine de la justification n’est pas encore systématisée chez les Pères, il n’y a pas lieu d'être surpris s’il lui manque parfois ces suprêmes précisions que feront surgir plus tard les progrès de l’analyse ou les exigences de la controverse. C’est ainsi que le pélagianisme eut certainement pour effet de faire mieux marquer les droits de la grâce divine dans la genèse de la foi, tandis que les soucis tout pratiques de la morale et de l’apostolat avaient fait jusqu’alors envisager de préférence ce qui, dans cet acte, relève de notre bonne volonté. Sans oublier que, des éléments divers qui entrent dans ce problème, la synthèse doit forcément être inégalement parfaite suivant les auteurs.

Il est élémentaire pour l’historien, sans perdre de vue l'état actuel du problème, de faire entrer en ligne de compte, quand il lit les anciens, la différence des temps et des milieux.

2. La question de forme. — A ces contingences du fond s’ajoutent celles de l’exposition qui les viennent aggraver.

La justification n'étant pas encore l’objet d’une étude ex professo, c’est au cours d’autres développements, spécialement de leurs commentaires bibliques, que les Pères y touchent par occasion. Dans ces conditions, il faut s’attendre à rencontrer des formules excessives ou incomplètes, et qui demandent, en tout cas, à être équilibrées par celles que d’autres circonstances leur suggèrent ailleurs. Par exemple, lorsqu’un même auteur attribue successivement la justification à la foi et aux œuvres, n’est-il pas tout indiqué, pour qui veut juger sans parti pris, d’entendre qu’il réclame également les deux ?

A ce propos, quand ils ne sont pas entièrement fermés aux données de l’histoire, les théologiens protestants parlent volontiers de flottement dans la doctrine des Pères. En quoi ils traduisent plutôt cette impuissance souvent constatée, et qu’on peut dire congénitale à tous les sectaires, de prendre un autre critérium que celui de leur propre dogmatisme. Le devoir de l’historien est, au contraire, de réaliser l’harmonie intime d’une pensée dont l’unité fondamentale se laisse entrevoir jusqu'à travers le morcellement de ses disjecta membra.

Principes d’ordre ecclésiastique.

Rien n’est plus

contraire aux faits que d’attribuer à tous les témoignages le même poids.

1. Application aux auteurs.

On fausserait du tout au tout la position des Pères en les regardant comme des penseurs isolés. Il importe, au contraire, de ne point perdre de vue qu’ils sont les membres d’une Église, les témoins d’une tradition, et que toute leur Importance pour nous tient à la mesure dans laquelle ils nous en apparaissent les représentants. Avec la physionomie intégrale de leur pensée, l’histoire doit en restituer la portée relative dans le milieu dont elle procède et où elle revient. Tout autre est évi demmeiit l’autorité d’un évêque qui enseigne son

peuple et celle d’un spéculatif qui disserte dans son cabinet.

2. Application aux ouvrages.

De là découlent

quelques règles d’exégèse fécondes en conséquences. Plus significatives que les textes rares où s’atnrment des vues personnelles sont les déclarations banales, qui ont chance de mieux correspondre à la foi de tous. Ce principe est particulièrement opportun quand il s’agit de matières qui intéressent la pratique de la vie. Il s’ensuit, à la différence d’autres problèmes où la spéculation tient plus de place, que, parmi les ouvrages des Pères, les plus précieux ici ne sont pas les plus savants, mais, si l’on peut dire, les plus représentatifs, c’est-à-dire ceux qui atteignirent un plus large public. Voilà pourquoi l’observation a été justement faite que si, dans leurs commentaires de l'Écriture, tels ou tels exégètes, à la suite de saint Paul, arrivent parfois à parler d’une justification par la foi sans les œuvres, ce n’est pas une preuve que l'Église, ni sans doute ces auteurs eux-mêmes, aient parlé aux fidèles un semblable langage sans y apporter les correctifs ou les compléments nécessaires. En rétablissant ces compensations, l’historien se remet tout simplement sur le chemin de la vérité.

Par application du même principe, on peut et doit recourir au témoignage collectif des institutions et des rites. Des faits aussi importants que la préparation baptismale ou la discipline pénitentielle montrent mieux que toutes les paroles la manière dont l'Église concevait la justification, soit des infidèles, soit des pécheurs.

Principes d’ordre théologique.

Enfin, puisqu’il

s’agit d’un problème doctrinal, il importe d’en avoir simultanément présentes à l’esprit toutes les données. 1. Complexité de la justification. — S’il est vrai que, dans la pensée de l'Église, la justification requiert diverses conditions et se compose d'éléments complexes, accumuler des témoignages qui soulignent l’un d’entre eux est peine perdue ou manœuvre tendancieuse, tant qu’on n'établit pas qu’ils vont jusqu'à supprimer l’autre. Il n’y a donc, par exemple, rien à conclure des passages patristiquas où il est dit que nous sommes justifiés par la foi, puisque catholiques et protestants sont d’accord sur la nécessité de cette disposition. Le problème ne commence qu’avec les textes qui parleraient de justification par la foi seule. Mais cette expression en apparence restrictive est elle-même loin d'être univoque. Elle a certainement une portée exclusive ; mais il s’agit de savoir si elle exclut proprement les œuvres de l’homme ou si elle n’oppose pas à l’infidélité des païens la profession de la foi chrétienne, suivant l’adage commun à tous les croyants : « Hors du Christ et de l'Église point de salut. »

De même rien n’est tranché si l’on dit que notre justice est celle du Christ, quand il s’agit de savoir si cette justice devient nôtre ou si elle nous reste étrangère.

2. Diverses acceptions de la foi.

Il y a lieu de préciser également la notion même de foi. Dans le protestantisme, elle traduit un état psychologique et devient synonyme de confiance. Pour l'Église, au contraire, elle est d’ordre dogmatique et signifie l’adhésion au contenu de la révélation divine. Dans les deux cas on peut dire que nous sommes justifiés par la foi ou même par la foi seule ; mais c’est évidemment dans un tout autre sens. Il ne sullit pas de s’arrêter au son matériel des formules quand planent de tels doutes sur l’identité formelle de leur signification.

3. Aspect objectif et subjectif de la justification. — I.e rôle du Christ rédempteur n’est pas moins fertile en malentendus. C’est un article élémentaire de la foi que toute grâce vient de lui, que, par conséquent, les

mérites de sa passion sont la seule source de notre justice. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que cette oeuvre divine doive s’entendre comme si elle rendait inutile les nôtres. Après avoir affirmé que nous sommes sauvés par le Christ, et seulement par lui, il faut encore savoir de quelle manière et dans quelles conditions nous est communiquée cette grâce de salut. En termes d'école, l’aspect objectif de la Rédemption ne doit pas en faire perdre de vue l’aspect subjectif et il y aurait un paralogisme évident à entendre de celuici ce qui est vrai de celui-là.

4. Moments de la justification.

On doit aussi faire

entrer en ligne de compte la diversité du concept même de justification, qui désigne, soit l’entrée en grâce, soit l’utilisation de ce premier don divin. Bien que ces deux moments de la vie surnaturelle aient quelque chose de commun, ils offrent aussi d’incontestables différences. Dans le premier s’affirme davantage l’initiative de Dieu, tandis que le second appelle plus clairement et plus largement la coopération de l’homme. On conçoit qu’il puisse y avoir des nuances dans le langage des Pères suivant qu’ils envisagent l’un ou l’autre. Mais le problème n’est-il pas de dégager le principe général latent sous ces divers cas particuliers ?

Sur tous ces points le théologien moderne est doublement servi par les habitudes et les formules d'école, qui lui fournissent, avec la notion précise des questions qui se posent, les réponses exactes qu’elles comportent. Parce qu’elles sont imposées par la nature même des choses, ces questions surgissaient aussi devant l’esprit des Pères, mais le plus souvent d’une manière fragmentaire et successive, et surtout ils n’avaient encore à leur service, pour y répondre, qu’un langage imparfait. L’esprit de finesse qui doit caractériser l’histoire consiste précisément à retrouver leur pensée réelle sous des expressions toujours dispersées et facilement inadéquates. A cette condition, il n’est pas difficile de relever chez eux, comme les protestants en conviennent de plus en plus, les traits constitutifs de la doctrine que l'Église devait plus tard consacrer en définitions solennelles de foi.

Le caractère même du sujet nous oblige à présenter cette tradition patristique plutôt sous forme de synthèse doctrinale, sans autre distinction chronologique que la controverse pélagienne, seul point de repère certainement vérifiable sur le mouvement continu des siècles primitifs.


II. Avant la controverse pélagienne. —

Fixés par les développements postérieurs de cette doctrine et par les enseignements du concile de Trente, nous sommes en droit d’interroger les Pères des quatre premiers siècles sur les conditions, la nature et les effets de la justification.

I. CONDITIONS DE LA JUSTIFICATION.

Tout

se ramène ici au rapport de la foi et des œuvres dans l’affaire de notre salut.

1° Nécessité de la foi et des œuvres. — Sans distinctions ni analyses, mais aussi sans la moindre hésitation, les Pères anciens s’accordent à réclamer l’union des deux.

G. Thomasius s’efforce encore de lire chez eux le dogme luthérien de la justification par la foi, Christi Person und Werk, 3e édit., Erlangen, 1888, t. ii, p. 418430. Mais on a vu plus haut les aveux par lesquels les protestants reconnaissent avec dépit que l'Église fut de bonne heure entachée de catholicisme. Persuadé cependant que le « paulinisme » n’a pas pu rester sans écho, A. Harnack a consacré jadis un long mémoire à rechercher les traces du sola fide chez les Pères antérieurs à saint Augustin, Zeilschri/t fur Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-179. Sa conclusion est qu'à l’exception de quelques textes de portée purement

exégétique on ne trouve cette doctrine que dans des cercles restreints où l’on s’en faisait une arme au profit du relâchement moral. De sorte qu’avec la pensée incontestable de la grande Église, on touche du doigt, dans cette histoire, la préoccupation qui la guida de maintenir le sérieux de la vie chrétienne et l’importance de. l’effort spirituel.

1. Foi de la primitive Église.

a) Chez les Pères apostoliques, un texte de saint Clément de Rome a été souvent cité par les protestants comme favorable à leur thèse. « Tous (les saints de l’Ancien Testament) obtinrent gloire et grandeur, non par eux-mêmes ou par les actions justes qu’ils accomplirent, mais par la volonté de Dieu. Nous aussi, qui sommes appelés par cette même volonté dans le Christ Jésus, nous ne sommes pas justifiés par nous-mêmes, ni par notre sagesse, notre prudence, notre piété ou autres œuvres faites d’un cœur saint, mais par la foi, au moyen de laquelle le Tout-Puissant a justifié tous les siens depuis le commencement. » / Cor., xxxii, 3-4, dans Funk, Patres Apostolici, Tubingue, 1901, t. i, p. 138-140. Mais il faut se rappeler qu’au préalable l’auteur avait marqué très nettement que la foi des patriarches s’accompagnait d’obéissance et de charité, ix, 3-4 ; x, 1-2, 7 ; xi, 1 ; xii, 1 ; ibid., p. 110-114 ; qu'à leur exemple il invitait les fidèles à se justifier en œuvres et non en paroles, Ipyoïç Sixaioûfievot, xal fir) Xoyoiç. xxx, 30, p. 136. C’est la preuve que, dans le passage cité, Clément ne veut pas exclure nos bonnes œuvres, mais la tentation d’en tirer vanité comme si elles étaient dues à nos seuls mérites. Aussi continue-t-il immédiatement : « Que ferons-nous donc, frères ? Cesserons-nous de faire le bien et abandonnerons-nous la charité ? Puisse le Seigneur ne jamais permettre pareille chose parmi nous ! Hâtons-nous, au contraire, avec ardeur et application d’accomplir toute œuvre bonne. » xxxiii, 1, p. 142. Et plus loin : « Heureux sommes-nous, bien-aimés, si nous accomplissons les préceptes du Seigneur dans l’accord de la charité, afin que par la charité nos péchés nous soient remis. » l, 5, p. 164. On voit qu’il n’est pas question pour lui de salut par la seule foi.

< « Servons Dieu avec un cœur pur, dit pareillement l’auteur inconnu de la seconde aux Corinthiens, et nous serons justes. Si nous faisons la justice devant Dieu, nous entrerons dans son royaume. » // Cor., xi, 1 et 7, ibid., p. 196. « Clément, conclut très justement A. Harnack, loc. cit., p. 101, veut rappeler à la communauté une vérité qui lui est familière, savoir que sans l’accomplissement de la justice il n’y a pas de justification. »

Un autre écrit pseudo-clémentin, mais qui remonte à la plus haute antiquité, fait entendre la même note : Nomen autem (fldelis) solum sine operibus non inlro' ducel in regnum cœlorum ; si guis autem fueril fldelis in veritate, is salvari poterit. Ps. Clem., De virgin., i, 3, Funk, t. ii, p. 2.

De même le pseudo-Barnabe, s’il dit qu’Abraham fut justifié comme [i.6voç TuaTeûaxç, Epist., xiii, 7, dans Funk, 1. 1, p. 80, sait que notre justification n’est acquise qu’au dernier jour, xv, 7, p. 84, et que chacun y recevra suivant ses œuvres, iv, 12, p. 48. Saint Ignace ne veut pas séparer la foi de la charité, celle-là étant le principe, celle-ci le terme de la vie. Eph., xiv, 1, Funk, p. 224 ; cf. Smi/rn., vi, 1, p. 280. Lorsque saint Polycarpe écrit aux Philippiens, d’après saint Paul, Eph., ii, 8-9 : « Vous avez été sauvés par la grâce, non d’après vos œuvres, mais par la volonté de Dieu en Jésus-Christ, » Philipp., i, 3, Funk, p. 296, il pense à o la grâce » de la rédemption. Mais l’application ne nous en est pas faite sans notre part d’activité personnelle : la preuve, c’est que le saint évêque de Smyrne invite

tout aussitôt ses lecteurs « à se ceindre les reins pour servir Dieu dans la crainte et la vérité. » Ibid., ii, 1, p. 298.

On sait assez que tout le but du Pasteur d’Hermas est d’inviter les chrétiens déjà relâchés de son temps à mettre leur vie en harmonie avec leur foi et à réparer leurs fautes par la pénitence. Les branches plus ou moins desséchées du saule, Sim., viii, Funk.p. 554 sq., les pierres plus ou moins raboteuses qui doivent entrer dans la construction de la tour, Sim., ix, p. 576 sq., figurent les dispositions diverses des chrétiens et commandent leur sort en conséquence

b) Parce qu’ils s’adressaient à « ceux du dehors », les Apologistes devaient insister davantage encore sur le < : ôté moral du christianisme. Saint Justin se souvient suffisamment de saint Paul pour opposer à Tryphon qu’Abraham obtint la justice par la foi et non par la circoncision, Dial., 92, P. G., t. vi, col. 696 ; mais il enseigne également qu’il n’y a pas d’autre voie de salut que « de reconnaître le Christ, de recevoir le baptême… et de vivre désormais sans péché, » ibid., 44, col. 572, que le Christ couronne ceux qui font pénitence et observent ses commandements. Ibid., 95 et 134, col. 701 et 789. Et quand on voit que David est donné comme modèle dz cette pénitence, ibid., 141, col. 797-800, il est clair qu’elle doit se traduire en actes effectifs.

Telle est, au demeurant, l'évidence de ces textes que Thomasius lui-même, op. cit., p. 422, est obligé de reconnaître que, chez les anciens Pères, contrairement au postulat du luthéranisme, l’amour et les œuvres qui en découlent restent toujours coordonnés à la foi.

2' Débuts de la théologie catholique. — A travers les rares documents qui nous en restent, on a l’impression que la gnose menaçait de troubler cet équilibre au profit d’un mysticisme inquiétant. D’après saint Irénée, les valentiniens abandonnaient les psychiques à l’humble pédagogie de la foi et des œuvres : ce qui est un hommage indirect rendu à la tradition catholique. Quant à eux, ils s’estimaient sauvés [iq Stà KpâEswç àXXà Stà tÔ « pûasi 7rv£Uji.aTixoùç eïvoa, et ce caractère « pneumatique » était à tel point inhérent à leur nature qu’ils ne pouvaient le perdre, quelles que fussent leurs actions. Cont. hær., I, vi, 2, P. G., t. vii, col. 505-508. Semblable était la conviction des disciples de Simon le Magicien, ibid., I, xxiii, 3, col. 672 : ipsius gralia salvari homines, sed non secundum opéras juslas. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, 7e édit., t. i, p. 201-202, et, pour Marcion, A. Harnack, Marcion, Leipzig, 1921, p. 17.'i-175.

a) Cette dangereuse tendance explique la position de saint Irénée. Sans doute l'évêque de Lyon ne méconnaît pas le rôle de la foi : Abraham en reste pour lui le type parfait et « ceux-là qui croient en Dieu comme il y crut commencent à être sauvés… ; car, ajoute-t-il, c’est la foi au Dieu très-haut qui justifie l’homme. » Cont. hær., IV, v, 5, col. 986 ; cf. IV, xxi, 1, col. 10431041. Quand il se rapporte au fait de la rédemption, il affirme que les pécheurs justificantur non a semelipsis sed a Domini advenlu ; mais, tout à côté, il dit de la prédication du Christ aux enfers qu’elle convertit omnes gui sperabant in eum… et dispositionibus ejus servierunt. IV, xxvii, 2, col. 1058. La même loi vaut aussi pour son ministère terrestre : Quolquol limebant Deum et sollicili erant clrca legem ejus, qui accucurrerunt Christo et saluati sunt omnes. IV, ii, 7, col. 979. A plus forte raison celui qui croit est-il tenu à l’observation de la loi divine pour être sauvé : Dominas naturalia legis per qu.se. homo justiftcatur, qua : etiam ante legtsdationem cuslodicbant qui fide justifirabantur et placebant Deo, non dissolvit sed extendit. IV, xiii, 1, col. 1006-1007 ; cf. IV, viii, 3, col. 994-990. Voir d’autres références a l’art, [renée, t. vi, col. 2493-2494, et la note érudite « le Peuardent dans P. G., t. vi, col. 1599-1601. Théolo gien tendancieux mais exégète fidèle. A. Harnack, loc. cit., p. 107, a raison d'écrire, après Werner, Der Paulinismus des Ireneeus, Leipzig, 1889, p. 205 : « Sous des paroles pauliniennes se cachent des pensées qui n’ont rien de paulinien. » Ce qui veut dire que l'évêque de Lyon canalise tout naturellement saint Paul dans le grand courant catholique.

Un disciple de Marcion, Apelles, convenait de son côté que, pour être sauvé, il suffit d’espérer dans le Christ crucifié, mais à condition de rester fidèle aux bonnes œuvres. Rhodon. dans Eusèbe, H. E., V, xiii, P. G., t. xx, col. 461. Preuve que le marcionisme luimême conservait ou retrouvait sur ce point l'équilibre doctrinal qui distingue la grande Église.

b) La pensée des fondateurs de la théologie latine est si peu douteuse qu’on leur impute communément d’avoir introduit dans le christianisme occidental les catégories juridiques de satisfaction et de mérite, qui demeureront caractéristique ;, de sa piété. Voir A. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., 1910, t. iii, p. 14-15, et H. Schultz, Der sittliche Begrifj des Verdienstes, dans Studien und Kritiken, 1894, p. 24-34, dont les vues dominent toutes les histoires protestantes du dogme. Cf. Tixeront, 1. 1, p. 409-410.

Tertullien a des expressions vigoureuses sur le rôle prépondérant de la foi : A fide etiam ipsa vila nostra censetur. De monog., 11, P. L., t. i, col. 995. Cf.Adc. Marc, t. V, c. iii, t. ii, col. 506 : Ut jam ex fidei libertate justificetur homo, non ex legis servitule, quia justus ex fide vivit. Mais il entend que la foi soit féconde en œuvres. Il ne craint même pas de faire une place aux vertus humaines dans la genèse de celle-ci et suggère sans hésiter cette hypothèse aux adversaires qui s'étonnent de voir de braves gens devenir chrétiens : Nonne… ideo christianus quia prudens et bonus ? Apolog., 3, t. i, col. 329. Voir Revue des sciences religieuses, 1922, t. ii, p. 46-47. Une fois converti au Christ, le fidèle doit évidemment conquérir sa récompense en s’appliquant à la pratique du bien : promereri nolle delinquere est, De exhort. cast., 3, t. ii, col. 966, et le pécheur se soumettre à une rude pénitence pour satisfaire à Dieu qu’il a offensé. Voir De pœnitent., 1. 1, col. 1335-1360. On sait que Tertullien est passé au montanisme pour protester contre ce qui lui paraissait le relâchement des catholiques. Au rigorisme près, on trouve dans saint Cyprien la même attitude à l'égard des conditions morales du salut. Voir Cyprien, t. iii, col. 2466.

En analysant les écrits polémiques de Tertullien et les réponses qu’il oppose aux arguments de ses adversaires, A. Harnack croit découvrir chez ceux-ci les traces d’une conception « évangélique ». Pour autoriser le pardon des fautes de la chair, ils en appelaient à la bonté de Dieu, à la valeur de la mort rédemptrice du Christ : double motif d’assurance propre aux croyants, à la différence des juifs et des infidèles. D’où il suivrait que, sinon Calliste lui-même, du moins ses partisans, auraient professé, pour les besoins de leur thèse indulgente, une sorte de justification par la foi. Zcilschri/l fur Théologie und Kirche, 1891, p. 113-122. Mais n’esl-il pas bien téméraire de vouloir reconstituer la doctrine du pape et de ses défenseurs à travers les déformations que lui inflige l’intransigeance du sectaire qui la combat ? Surtout quand il faut reconnaître, p. 123-126, qu' i elle disparaît aussitôt et que saint Cyprien ne la connaissait déjà plus. » Au demeurant, A. I larnack est bien obligé de convenir, loc. cit.. p. 123. qu’il ne s’agissait, pour les catholiques, que

d’adoucissements à introduire dans la discipline péni lentielle. Ce que Callisle en laisse subsister, ce que l'évêque de Cartilage, d' accord avec, Rome, allait bientôt appliquer à la réconciliation des lapsi est assez dur pour ne pas mériter le reproche « le laxisme « t montre que l’Eglise, si elle ne voulait pas fermer toute

espérance au pécheur repentant, mesurait toujours à ses œuvres de pénitence la valeur de son repentir.

c) Pour être enclins au mysticisme, les initiateurs de la théologie grecque n’ont pas une autre conception de la justification chrétienne. « Nous sommes bien sauvés par grâce, d’après Clément d’Alexandrie, mais non pourtant sans bonnes œuvres ; car, nés pour le bien, nous devons.de quelque manière y consacrer nos soins. » Strom. V, i, P. G., t. ix, col. 16. Et plus loin, après avoir exposé que les degrés de la gloire céleste nous seront répartis en proportion de nos vertus, l’auteur poursuit : « Lors donc que nous entendons cette parole : « Ta foi t’a sauvé, » ne pensons pas qu’elle veuille dire absolument que l’on est sauvé par une foi quelconque, si elle ne s’accompagne d’œuvres en conséquence. » Ibid., VI, xiv, col. 329.

Origène est amené par son étude de l’Épître aux Romains à s’expliquer abondamment sur la justification. Évidemment il demande comme première condition la foi au rédempteur, ut per ejus fidem juslificarentur qui per opéra propria justificari non poteranl, In Rom., iii, 8, P. G., t. xiv, col. 946, et précise formellement que les meilleures œuvres sans la foi sont de valeur nulle : Si guis habeat intégra omnia quæ lex edocet naturalis et in nullo eum peccati conscientia reprehendat, non lamen habeat etiam fidei gratiam, non posse eum justificari. Ibid., iv, 5, col. 977 ; cf. iii, 9, col. 953. Ce qui enlève à tout homme la tentation de se glorifier contre Dieu.

Il arrive même à Origène de suivre l’Apôtre jusqu’à parler de justification par la foi seule : dicit sufficere solius fidei justiftedionem, ita ut credens guis tantummodo justificetur, etiamsi nihil ab eo operis fuerit expletum. Comme exemple il cite le bon larron et la pécheressede l’Évangile, puis celui de Paul lui-même. Et prenant à part les diverses œuvres dont l’homme peut se préval > r, il montre qu’elles sont impossibles ou sans valeur dans l’économie chrétienne du surnaturel. Sola igttur, conclut-il, justa gloriatio est in fide CTucis Christi, quæ excludit omnem illam gloriationem guse descendit ex operibus legis. Ibid., ni, 9, col. 952954. D’autant que ces œuvres, parce qu’extérieures, peuvent toujours offrir quelque défaut caché, tandis qu’il s’agit d’être juste au regard non des nommes mais de Dieu. Ibid., iv, 1, col. 960-961.

Naturellement les protestants se prévalent de ces passages, Thomasius, op. cit., p. 423-424 ; mais à tort. Il est facile, en effet, de remarquer tout d’abord qu’Origène n’hésite pas à dire des vertus morales ce qu’il a dit de la foi : Sicut de fide dictum est guia repulala est ei ad justitiam, ita et de aliis virtutibus dici potest. Car il se souvient d’ « un autre endroit de l’Écriture » où il est dit qu’Abraham fut justifié par les œuvres de la foi. Ibid., iv, 1, col. 961 et 963. Ainsi la justification par la foi n’est qu’un cas particulier, celui d’une volonté généreuse qui n’a pas encore eu le temps de se traduire en actes ; mais normalement la foi comporte les œuvres. Indicium verse fidei est ubi non delinguitur, sicut contra ubi delinguitur infidelitalis indicium est. C’est pourquoi Origène fait observer que la foi d’Abraham fut, en réalité, la synthèse de toute une vie et que la nôtre, à son exemple, doit être une foi intégrale et parfaite : non ei gui ex parte, sed gui ex integro et gui perfecte crédit fidem posse ad justitiam repulari. Ibid., col. 961-964. En effet, entre la foi et les œuvres, il y a le même lien organique qu’entre la racine et les branches de l’arbre. Initium namque justificari a Deo fides est guse crédit in justificanicm. Et hsec fides… tamguam radix imbre suscepto hæret in animée solo, ut, eum per legem Dei excoli cœperit, surgant in ea rami gui fruclus operum ferant. Ibid., col. 465. Cf. iv, 6, col. 981 : Prima salutis initia et ipsa fundamenta fides est ; profectus vero et augmenta sedificii spes

est ; perfectio autem et culmen totius operis charitas. En conséquence, on aurait beau croire : on ne saurait être justifié si, à l’exemple du Christ, on ne ressuscite de la mort à la vie. Negue enim possibile est ut habenti in se aliquid injustitiæ possit justilia repulari, etiamsi credat in eum gui suscitavil Dominum Jesum a mortuis. Injuslitia namgue eum justitia nihil potest habere commune… Justificat ergo eos Christus tantummodo gui novam vilam excmplo resurrectionis ipsius susceperunt. Ibid., iv, 7, col. 985-986. Et s’il en est ainsi pour obtenir la justification, à plus forte raison cela est-il nécessaire pour y persévérer : Post justificationem si injuste guis agat, sine dubio justificationis gratiam sprevit. Ibid., ni, 9, col. 953. Aussi Origène a-t-il dit plus haut, après l’Apôtre, que chacun recevra suivant ses œuvres. Ibid., ii, 4, col. 875-879. De toutes façons, la foi sans les œuvres est une foi morte, comme l’a dit saint Jacques. In Joan., xix, 6, ibid., col. 569. Le pécheur surtout est tenu à des œuvres de pénitence et de charité, qui peuvent seules lui procurer le pardon de ses fautes. In Levit., ii, 4, P. G., t. xii, col. 417-418 ; cf. xii, 3, col. 538-539.

A ces vérités communes de la foi, Origène mêle une de ces vues personnelles où se complaisait son génie. Cherchant à expliquer pourquoi saint Paul a dit, Rom., ii, 30, que Dieu justifie les juifs e.r fide et les gentils per fidem, il établit sur cette différence de langage l’hypothèse suivante : Qui ex fide justificantur, initio ex fide sumpto, per adimpletionem bonorum operum consummantur, et qui per fidem justificantur, a bonis operibus exorsi, per fidem summam perfectionis accipiunt. Où apparaissent deux économies de la justification : l’une qui conduit les juifs de la foi aux œuvres, l’autre qui couronne par la foi les œuvres des païens. Ce qui importe, c’est que ces deux conditions sont complémentaires et, par conséquent, ne doivent pas être séparées : Ita utrumque sibi adhserens alterum ex altero consummatur. In Rom., ni, 10, col. 957.

Un de ses disciples, Hiéracas, devait plus tard attacher tellement d’importance aux œuvres qu’il excluait du ciel les enfants morts aussitôt après leur baptême, parce qu’ils n’avaient pas pu en accomplir. Renseignement fourni par saint Épiphane, Hser., lxvii, 2 ; P. G., t. xlii, col. 176. Parce qu’il s’est gardé de cet excès, Origène est un témoin de la manière dont l’Église harmonisait dans l’unité de sa vie les données de saint Jacques et de saint Paul, cependant que son effort de spéculation frayait la voie aux théologiens qui devaient s’appliquer à montrer la connexion intime de ces deux conditions également indispensables du salut. Le catholicisme des premiers siècles n’a reçu nulle part de meilleure et de plus complète expression.

3. Exégètes et docteurs du n’e siècle. — En vain chercherait-on chez eux un essai de synthèse comparable à celui d’Origène ; mais multiples sont dans leurs écrits les échos de la doctrine traditionnelle.

a) Textes invoqués par les protestants. — Cependant les polémistes protestants ont pu y trouver une moisson assez abondante de textes où la justification est attribuée à la foi seule et qu’il faut d’abord discuter.

A y regarder de près, quelques-uns sont purement exégétiques, tel que celui de saint Hilaire résumant la guérison du paralytique dans l’Évangile : Fides enim sola justificat. In Matlh., viii, 6, P. L., t. ix, col. 961. Ce qui rappelle simplement que, pour déclarer ses péchés remis, Jésus n’a considéré que sa foi et celle de ses porteurs. A plus forte raison l’Épître aux Romains était-elle faite pour inspirer à ses commentateurs un semblable langage. Pour YAmbrosiaster, non seulement on n’est justifié que par la foi : non justificari hominem apud Deum nisi per fidem,

In Rom., iii, 27, P. L., t. xvii (édition de 1866), col. 84 ; mais, à l’exemple d’Abraham, on l’est par la foi seule, ibid., iv, 5, col. 87 : …. cum videant Abraham non per opéra legis scd sola fide justification. Non ergo opus est lex quando impius per solam fidem justificatur apud Deum. Marius Victorinus, spécialement exploité par Harnack, loc. cit., p. 158-160, et Dogmengeschichte, t. iii, p. 35, après Gore, dans Dict. of Christian biographg, t. iv, p. 1137, écrit de même sur Gal., ii, 15 : Scimus non justificari hominem ex operibus legis, sed justificari per fidem… Ipsa enim fides sola juslificationem dut et sanctificationem. P. L., t. viii, col. 1164. Cf. In Phil, iii, 9, col. 1219 et In Eph., ii, 7-11, col. 1255-1256. Où l’on voit que ces exégètes, à la suite de saint Paul, opposent la foi chrétienne aux œuvres de la Loi, celles-ci étant absolument insuffisantes et inutiles sans celles-là. Ce qui est une manière d’affirmer que le salut nous vient, non de nos propres mérites, mais uniquement de notre rédemption par le Christ. Il s’ensuit que croire au mystère de cette économie rédemptrice est la première et la plus indispensable condition pour être sauvé, sans qu’il faille nécessairement conclure que cette disposition est la seule requise de notre part.

Cette même doctrine se retrouve ailleurs, en dehors de toute exégèse, comme une vérité dogmatique. Ainsi saint Basile disait à ses fidèles pour les exhorter à l’humilité : « Il n’y a pour vous de glorification parfaite et complète que dans le Seigneur, lorsque, au lieu de se prévaloir de sa propre justice, on se reconnaît dénué de la justice véritable et justifié par la seule foi au Christ. » Hom., xx, 3, P. G., t. xxxi, col. 529. Saint Jean Chrysostome ajoute, contre les tenants attardés du judéo-christianisme, que cette foi au Christ exclut formellement tout autre moyen de salut : « Les observances judaïques sont doublement des fables, et parce que simulées, et parce que superflues… Si, en effet, tu crois à la foi, pourquoi introduire autre chose, comme si la foi ne suffisait pas à justifier ? » In TH., hom. iii, 2, P. G., t. lxii, col. 679. Cf. In Matth., hom. xxvi, 4, P. G., t. i.vn, col. 338. Chez les latins, saint Ambroise souligne pareillement. l’insuffisance de la loi et de ses œuvres pour faire éclater le bienfait de la rédemption : Venit Dominus Jésus… in cuius morte juslificali sumus. De Jacob et vita beala, I, v, 17, P. L., t. xiv (édit. de 1866), col. 636. D’où il s'élève à ces effusions : Non habco igitur unde gloriari in operibus meis possim, non habeo unde me jactem, et ideo gloriabor in Christo. Non gloriabor quia juslus sum, sed gloriabor quia redemptus sum. Ibid., vi, 21, col. 637. Cf. Epist., lxxiii, 10-11, t. xvi, col. 1307-1308 : Nemo glorietur in operibus, quia nemo factis suis justificatur : sed qui juslus est donalum habet, quia per lavacrum juslificalus est. Fides ergo est qux libéral per sanguinem Clirisli.

A la suite de Mélanchthon, Apolog., iv, 103-105, les protestants s’emparent volontiers de ces déclarations et A. Harnack lui-même y trouve un accent « évangélico-paulinien » très marqué. Loc. cit., p. 156. En réalité, ces textes ne sont pas ad rem. Ils opposent la foi aux œuvres légales du judaïsme ou, d’une manière plus générale, au fruit de nos activités naturelles. C’est dire qu’ils affirment la nécessité de la rédemption et de la grâce, mais sans préciser pour autant la manière dont la rédemption nous est appliquée, Un aspect de l'économie du salut est indiqué là, qui appartient à la plus authentique essence du chris tianisme, mais qui n’en exprime pas la totalité. La preuve en est que les mêmes auteurs, lorsqu’ils en viennent à envisager sous son aspect pratique l’appropriation de cette grâce rédemptrice, font appel avec la même énergie à la coopération de l’homme par les bonnes œuvres.

b) Doctrine spéciale des œuvres. — Elle s’affirme pareillement dans les diverses parties de l'Église. Il est entendu que la tradition de Tertullien domine la théologie latine. Ainsi saint Hilaire veut que la récompense éternelle nous soit accordée ex merito. In Ps. ii, 16, P. L., t. ix, col. 270. En conséquence, il s'élève contre ceux qui voudraient se contenter de la simple foi, In Ps. cxviii, ProL, 4, col. 502, et exige l’effort de notre bonne conduite : Operandum et promerendum est et per solliciludinem operum anleriorum œternilalis est requies præparanda. In Ps. *C/, 10, col. 500. Cf. In Ps. L.iꝟ. 6, col. 416 : Ornandum ergo hoc Dei templum…, ut sequitatis ac fidei operibus mirabile sil. Autres références à l’art. Hilaip.e, t. vi. col. 2450. Saint Ambroise rapproche la foi et les œuvres pour en montrer l'étroite corrélation : Ante omnia fides nos commendare Deo débet. Cum fidem habuerimus, claboremus ut opéra nostra perfecta sint. De Caïn et Abel, II, ii, 8, t. xiv, col. 362. Cf. In Luc, vii, 104, t. xv, col. 1814 : Et fide et operibus (fidelis vir) approbetur ; In Luc, viii, 47, col. 1869 : Pro actibus hominis remunerationis est qualitas, et Epist., ii, 16, t. xvi. col. 921. L’Ambrosiaster ne connaît pas non plus d’autre norme au jugement divin que la valeur de nos actes : Unusquisque operibus suis aut justificabitur eut condemnabitur. In Rom., xiii, 2, P. L., t. xvii, col. 171. Cf. ibid., ii, 5, col. 68. Aussi ne veut-il pas séparer la connaissance de Dieu de la fidélité à ses commandements : Prima ergo hsec justitia est agnoscere creatorem, deinde custodire quæ prxccpit. Ibid., ix, 30, col. 147.)

Les meilleurs témoins du christianisme oriental ne tiennent d’ailleurs pas un autre langage. Dans l'Église syrienne, Aphraate enseigne évidemment que tout l'édifice spirituel a comme fondement la foi au Christ : mais par-dessus doivent se placer le jeûne, la prière, la charité, l’aumône. « La foi, conclut-il, réclame tous ces ornements établis sur la base de la pierre ferme qui est le Christ. » Demonst., i, 4, Palrol. syriaca, t. i, p. 11-14. « Fais donc, ô homme, les œuvres qui réjouissent Dieu et tu n’auras pas besoin de dire (à Dieu) : Pardonne-moi. » Ibid., iv, 14, p. 170. Thomasius, op. cit., p. 427-430, s’est longuement réclamé de saint Éphrem, alors peu connu. Mais, dans les textes mîmes qu’il invoque, on voit que le docteur d'Édesse, s’il prêchait une foi ardente au Christ Rédempteur, entendait que cette foi doit se traduire par la pénitence. Voir en particulier Opéra, édition Assémani, t. i, p. 29 sq., 254 sq. ; t. iii, p. 514 ; t. vi, p. 367 sq. Ce qui comprend pour lui, avec le repentir du cœur, les œuvres qui en sont la manifestation, 1. 1, p. 249-254. i |W>

Identique est la doctrine des Pères grecs. Témoin Eusèbe de Césarée, qui reproche aux ébionites leur attachement aux pratiques juives, « comme, ajoutet-il, s’ils ne seraient pas sauvés par la seule foi au Christ et une vie conduite en conséquence. » II. E., U 1, xxvii, P. G., t. XX, col. 273. Saint Basile réclame lui aussi, pourvoir Dieu, l’union d’une foi saine et d’une vie droite. Epist., viii, 12, P. G., t. xxxii, col. 265. « Celui-là, en effet, qui par ses bonnes œuvres rend ici-bas honneur et gloire au Seigneur s’amasse à luimême un trésor d’honneur et de gloire selon la juste rémunération du juge. » Hom. in Ps. XXVlll, 1, P. G., t. xxix, col. 281. Voir Eug. Scholl, Die I.chrc des hl. Basilius pan der Gnade, Fribourg, 1881, p. 212-222, ( t.1. Bi vieil, Saint Basile, dans la collection des Moralistes chrétiens, Paris, 1925, p. 92-95. Saint Grégoire de Na/ianze associe sans effort les données de saint Jacques el. de saint Paul : « De même que sans la foi l’action n’est pas agréable à Dieu…, ainsi la loi est morte sans les œuvres….Montrez donc votre foi par vos œuvres comme le fruit de votre sol. » Oral., XXVI, 5, P. G., t. xxxv, col. 1233. Cf. Oral., xiv, 37, col. 908 et xxxvi, 10, col. 277.

Ainsi également saint Grégoire de Nysse : « Ni la foi sans les œuvres de la justice ne suffît à nous sauver, ni à son tour la justice de la vie n’est par elle-même une assurance de salut si on l’isole de la foi. » In Ecclesiast., hom. viii, P. G., t. xuv, col. 748. Et à plus forte raison le grand moraliste saint Jean Chrysostome, qui appelle la foi stérile une ombre sans force, ayjnii son [xévov XM/lç Suvdefxea) ; maziç, xoiplc, epywv, In II Tim., hom. vm, 2, P. G., t. lxii, col. 643. et met à plusieurs reprises ses auditeurs en garde contre l’illusion d’être sauvés par la seule foi si la conduite n’y correspond. « Si quelqu’un a une foi droite sur le Père, le Fils et le Saint-Esprit sans avoir une vie droite, sa foi ne lui sera d’aucun profit pour le salut. » In Joan., hom. xxxi, 1, t. lix, col. 176. Doctrine appuyée sur la parole du Maître : Non omnis qui dicit : Domine, Domine, Matth., vii. 21, dont il donne ailleurs le commentaire in extenso. In Matth., hom. xxiv, 1, t. Lvn, col. 321322. Cf. hom. v, 4, ibid., col. 59-61 ; hom., xxvi, 6, col. 340-341, et hom. lxix, 2, t. i.vm, col. 650. Voir de mêmî saint Cyrille de Jérusalem, Catech., iv, 2, t. xxxiii, col. 456.

c) Doctrine qénérale de la vie chrétienne. — En dehors des textes scripturaires et des exhortations morales occasionnelles, deux sujets, l’un et l’autre familiers à la prédication aussi bien qu’à l’ascèse chrétiennes, amenaient régulièrement les Pères à développer ls thème de la nécessité des œuvres.

C’était, d’une part, l’exposition de la liturgie baptismale, si souvent faite aux fidèles, et qui leur apprenait ou leur rappelait avec énergie les obligations contractées lors de leur enrôlement au service du Christ. Voir, par exemple, saint Pacien, Serm. de bapt., 7, P. L., t. xiii, col. 1004 : Ulud homini proprium… vita perpétua, sed si jam non peccamus amplius ; saint Arabroise, De myst, vii, 41 ; P. L., t. xvi, (édit. de 1866), col. 419 : Fides tua pleno fulgeat sacramento. Opéra quoque tua luceant et imaginem Dei præjerant ; anonyme, De Sacram., I, ii, 4-8, - ibid., col. 437-438, et III, il, 8-10, col. 453 ; saint Cyrille de Jérusalem., Catech., xx, 3, P. G., t. xxxiii, col. 1077, et xxi, 7, col. 1093 ; saint Basile, Hom., xiii, 7, t. xxxi, col. 440 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 45, t. xxxvi, col. 424. « Élève-le bien sur ce fondement de tes croyances ; car la foi sans les œuvres est morte, comme les œuvres sans la foi ; » saint Grégoire de Nysse, Orat. cal. mag., 35 et 40, P. G., t. xlv, col. 88 et 101-104.

Il y faudrait ajouter les exhortations à la pénitence adressées à ceux qui sont retombés dans le péché après le baptême, v. g. saint Cyprien, De lapsis, 7-33, P. L., t. iv, col. 494-506 ; saint Pacien, Par. ad pœnit., t. xiii, col. 1031-1090 ; saint Ambroise, De pœnit., ii, 6-10, t. xvi, col. 528-542 : saint Basile, Hom., i, 4 et 11-12, P. G., t. xxxi, col. 168 et 181-184, qui toutes ont pour but d’inviter les pécheurs à racheter leurs fautes par un surcroît de bonnes œuvres et de sacrifices. Enfin la prédication des fins dernières et, en particulier, du jugement divin était tout naturellement l’occasion de rappeler ce principe de justice et d’espérance que Dieu y rendra à chacun selon ses œuvres. Références à l’art. Jugement, ci-dessus, col. 1765 sq.

Et l’on voit suffisamment que la nécessité pour l’homme d’être l’ouvrier effectif de son propre salut en faisant fructifier la grâce de la rédemption, loin d’apparaître comme une sorte d’épiphénomène accidentel, s’incorpore chez les Pères des quatre premiers siècles aux principes les plus essentiels du dogme chrétien.

2 U Ncdure de la foi justifiante. — Il n’y a pas lieu d’insister beaucoup sur la manière dont est conçue, dans la même période, la foi requise pour la justification.

Que ce mot, alors aussi bien qu’aujourd’hui, expri mât une somme de réalités diverses et complexes, la chose n’est pas douteuse ; mais nulle part il n’est restreint à ce sentiment mystique de confiance, base de la Réforme, par lequel le pécheur abriterait sa misère derrière les mérites du Rédempteur. D’une manière générale, les anciens Pères, tout comme les théologiens modernes, entendaient par foi l’assentiment aux vérités contenues dans la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 78-82. C’est à cette lumière qu’il faut lire leurs exposés relatifs au problème de la justification. Il suffît de rappeler que le baptême, rite initiateur de la justification, était préparé par le catéchuménat et que l’élément capital de cette institution était cette explication méthodique du symbole dont la littérature de l’époque nous a conservé de si précieux spécimens. Voir Catéchuménat, t. ii, col. 19791983.

Sous le bénéfice de cette première observation, on peut distinguer, dans l’application de la notion de foi aux conditions du salut, deux aspects complémentaires, qui expliquent la teneur en apparence divergente des textes relevés ci-dessus.

1. Aspect dogmatique de la joi.

Tantôt la foi est prise dans un sens dogmatique et objectif, pour désigner l’économie chrétienne de la rédemption, seule source de la grâce. Dans ce cas, à la suite de saint Paul, elle est mise en rapport, et en contraste, soit avec le judaïsme, soit avec le paganisme. Outre la fidélité aux Écritures dont se nourrissait leur pensée, on conçoit que la considération du milieu mélangé dans lequel écrivaient et vivaient les Pères les ait amenés plus d’une fois à dégager formellement cette base profonde du surnaturel. Voir W. Liese, Der heilsnolwendige Glaube, Fribourg-en-B., 1902, p. 67-140.

A ce point de vue il est élémentaire de dire que la foi au Christ — ou la foi tout court : ce qui est synonyme

— est nécessaire pour être sauvé. Et il est non moins normal d’ajouter, soit, au sens positif, que nous sommes sauvés par la foi, soit, au sens exclusif, que nous ne sommes sauvés que par elle. Ce qui est une façon de répéter, avec les croyants du premier jour, Act., iv, 12, qu’il n’y a pour l’humanité de salut que dans et par le Christ. Dans ce sens, il est évident que la foi s’oppose aux œuvres, soit qu’il s’agisse de l’assiduité aux pratiques de la Loi, soit, d’une manière plus générale, de la valeur inhérente aux produits de notre seule activité morale. Il n’y a pas autre chose, dans la plupart des déclarations citées plus haut, col. 2083 sq., de saint Justin, de saint Irénée et d’Origène, de saint Ambroise et de YAmbrosiaster, de saint Basile et de saint Jean Chrysostome, que ce rappel du mystère de la rédemption. Encore faut-il prendre garde que, dans les plus accusées, l’expression sola fide ou ses équivalents reste assez indéterminée pour autoriser la double traduction « par la seule foi », c’est-à-dire uniquement par la foi, ou « par la foi seule », c’est-à-dire abstraction faite de toute autre vertu.

C’est dire que le problème précis de la justification ne se posait pas encore aux yeux de ces Pères et qu’en tout cas on fausse leur pensée en appliquant à cet acte de notre vie spirituelle ce qu’ils ont dit de ses conditions objectives selon le plan divin.

2. Aspect pratique de la foi.

D’autres fois cependant,

à n’en pas douter, la foi est envisagée par eux dans l’ordre psychologique et subjectif, comme prise de possession personnelle de la grâce obtenue à tous par la rédempteur. Appropriation qui se fait selon ks lois de la nature humaine, c’est-à-dire tout d’abord et essentiellement par un acte de l’intelligence qui prend contact avec la révélation divine et en accepte loyalement le contenu.

a) Son caraclè~e intellectuel. — Cet aspect intellectuel de la foi justifiante ressort du caractère des symboles,

qui énoncent tous dos croyances et les expriment en termes de plus en plus précis, ainsi que du commentaire détaillé qu’en donnaient les catéchèses baptismales. « Précieuse, comme s’exprime saint Cyrille de Jérusalem dès le début de son œuvre, est la connaissance des dogmes. Il est besoin pour cela d’une âme attentive ; car plusieurs font des victimes par la philosophie et ses vains prestiges. » De ces faux docteurs il signale aussitôt trois catégories : les gentils avec leur beau langage, les juifs avec leur attachement servile à la lettre d’une Loi dont ils méconnaissent l’esprit, les hérétiques habiles à dissimuler sous le nom du Christ leurs doctrines impies. « C’est pourquoi, concluait-il, il y a un enseignement et une explication de la foi, » tcÎcttscûç StSocaxaXta xal eîç aù-rijv h^txh ae KEt pour rendre cette tâche plus facile à ses auditeurs, il consacre cette conférence introductoire à un résumé succinct du Credo catholique, dont les suivantes reprendront ensuite point par point le détail. Catech., iv, 2-3, P. G., t. xxxiir, col. 455-457.

On a dans ces lignes de l'évêque de Jérusalem comme une miniature de toute l’action pastorale de l’ancienne Église, également soucieuse depuis saint Clément et saint Ignace, saint Justin et saint Irénée, Origène et Tertullien, d’assurer à ses fidèles le bienfait de la vérité et de la garantir contre les altérations ou les oppositions diverses de l’erreur. Croire signifiait donc admettre et garder les doctrines constitutives du christianisme traditionnel. Voir par exemple S. Justin, Dial., 44, P. G., t. vi, col. 509-572 ; S. Irénée, Demonslr., Prolog., 1-2, dans Patrol. Orient., t. xii, p. 756-757, et autres références à l’art. Irénée, t. vii, col. 2492-2493 ; Origène, De princ, Prsef., P. G., t. xi, col. 115-121 ; S. Basile, De fide, P. G., t. xxxi, col. 676684 ; Pseudo-Basile, De baptismo, , 1-2, ibid., col. 15131517 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat, xl, 45, t. xxvi, col. 424.

Parce qu’elle a pour objet une révélation, cette foi a pour note distinctive l’acceptation du témoignage divin. En quoi elle s’oppose aux conceptions et recherches de la raison : au lieu de spéculer sans fin et sans règle, le propre du chrétien est de croire. Celse n’avait pas tort quand il recueillait comme caractéristiques des propos de ce genre : « Ne recherche pas, ne critique pas, mais contente-toi de croire. Ta foi te sauvera. » Origène, Cont. Cels, i, 9, P. G., t. xi, col. (572. Voir de même Tertullien, De presser hier., 9-14, P. L., t. ii, col. 22-28, dont on retrouve encore de lointains échos jusque dans saint Jean Chrysostome, In I Tim., hom., i, 2-3, P. G., t. lxii, col. 506-507. Être sauvé par la foi, et la foi seule, ne signifie pas autre chose, dans ce contexte, que la profession fidèle des dogmes chrétiens et la soumission qu’elle implique à l’autorité de Dieu.

b) Sa valeur monde. — Ainsi comprise, la foi suppose un acte de volonté, fait de confiance à l’origine et stabilisé par la persévérance, c’est-à-dire une vertu de l’ordre moral et qui, de ce chef, a sa valeur méritoire.

On peut voir cet aspect s’avérer déj ; 'i formellement dans saint Irénée. Werner, op. cit.. p. 206-207. Ainsi par exemple, Cont. hær., IV, xxxix, 2, P. G., t. vii, col, 1110 : Si Iriulideris ei quod limm est, id est (idem cl subjectionem, recipies ejus artem et eris perjectum opus Dei. De la sorte la foi devient, par elle-même, une œuvre agréable à Dieu et peut entrer à un nouveau titre parmi les conditions préalables de la justification. Elle sera toujours nécessaire, parce que la grâce divine ne peut être accordée qu’a l'âme qui la sollicite avec une humble déférence ; mais il peut aussi arriver des cas ou elle s’affirme avec une telle plénitude qu’on puisse la dire suffisante.

Car, à vrai dire, elle n’est plus seule alors et le philosophe peut légitimement voir en elle les vertus dont elle est la synthèse ou dont tout au moins elle contient virtuellement la promesse. On a vu plus haut, col. 2085, qu’Origène entendait dans ce sens la justification par la foi seule qu’il lisait dans saint Paul. C’est tout de même en moraliste que saint Jean Chrysostome envisage la foi d’Abraham, plus méritoire, à son sens, que toutes les œuvres parce qu’elle suppose un plus grand abandon à Dieu, In Rom., hom. viii, 1, P. G., t. lx, col. 455, et saint Maxime de Turin la foi du bon larron en croix qu’il oppose à l’infidélité des apôtres au même moment. Hom., lii, P. L., t. Lvn. col. 349. Ici la foi est si peu exclusive des œuvres qu’elle leur est équiparée.

Mais l’expérience oblige à constater que cette fides viva, pour normale et nécessaire qu’elle soit, risque aisément de faire défaut. Comme les pharisiens, et avec la même superficielle sincérité, beaucoup de chrétiens imparfaits n’ont-ils pas tendance à réduire leur foi à une profession tout extérieure et verbale des symboles ecclésiastiques ? Attentifs à ce danger, qui fut de tous les temps, on a vu que les Pères ont éprouvé le besoin de rappeler aux croyants cette vérité primordiale que la foi doit inspirer la conduite, sous peine d'être dénuée de toute valeur pour le salut.

La distinction entre les divers aspects sous lesquels la foi se présente à l’esprit des premiers Pères fournit la clé des divergences constatées dans leur langage et supprime la tentation de transformer en flottement de leur pensée les hésitations d’une terminologie encore imprécise. Tentation particulièrement paradoxale, quand elle aboutit à mettre à peu près chacun des Pères en contradiction avec lui-même. En réalité, la foi correspond chez eux à l'élément surnaturel qu’implique la justification ; mais, loin de s’opposer jamais à l'œuvre morale de l’homme qui doit en retirer le profit, elle en est le principe et le germe. C’est pourquoi ils peuvent revendiquer l’une et l’autre comme une égale nécessité.

3° Nature des œuvres justifiantes. — Chaque fois qu’il est question de bonnes œuvres antérieures et préparatoires à la justification, les protestants affectent de croire à un empiétement sur les droits de Dieu. Aussi l'Église a-t-elle eu grand soin de préciser qu’il s’agit d'œuvr ?s faites avec le concours de la grâce. La position des Pères anciens n’est pas douteuse sur ce point.

1. Nécessité générale de la grâ e. — Déjà le fait de réclamer expressément et avant tout la foi au Rédempteur indique suffisamment que l'économie entière de la justification est suspendue à une première grâce. Mais, en plus de cette action lointaine, on voit s’affirmer son rôle immédiat à l’origine des actes qui relèvent de l’homme.

Il suffira de quelques témoignages. Saint Justin, admet que la grâce de Dieu est nécessaire pour donner l’intelligence des prophéties à l'âme de bonne foi qui cherche la vérité. Dial., 76, 90, 118-119, et tout autant pour en réaliser les exigences. * Nous prions ensemble avec ferveur et pour nous-mêmes et pour le nouveau baptisé…, afin d’obtenir, après la connaissance de la vérité, la grâce d’en bien pratiquer aussi les œuvres. » Apol., i, 65. Cf. Dial., 30. Voir.1. Rivière, Suint Justin cl les apologistes du second siècle, Paris, 1907, p. 1 19153 et 301-302. Non enim ex nobis, précise saint Irénée, neque ex nostra natura vita est, sed secundum gratiam J)ci datur. Cont. luvr., II, xxxiv, 3, P. G., t. vii, col. 836. Voir Werner, op. cit., p. 208-210, et art. [renée, t. vii, col. 2487-2188. Origène, s’il demande la foi comme première œuvre de l’homme, ne manque pas d’ajouter, pour répondre à une objection possible, qu’elle est elle-même un don de Dieu : Inter cetera doua ^

etiam donum fidei asserit (Apostolus) per Spiritum Sanction tribui. In Rom., iv, 5, P. G., t. xiv, col. 974. Voir pour des références postérieures l’art. Grâce, t. vi, col. 1574, et Tixeront, Hist. des dogmes, t. ii, p. 144-148 pour les Pères grecs, p. 280-281 pour les latins. La controverse pélagienne pourra provoquer plus d’insistance et de clarté ; mais elle ne mettra pas en jeu d’autres principes que ceux dont vécurent paisiblement les siècles primitifs.

2. Cas particulier de la première grâce.

- Faut-il étendre cette nécessité de la grâce à la toute première direction de l’âme vers Dieu ? C’est la question délicate de l’initium fidei.

Les meilleurs historiens catholiques du dogme admettent qu’elle était encore mal éclaircie avant le ve siècle et donc imparfaitement résolue. « Saint Hilaire, saint Optât et même saint Jérôme ont émis des propositions que nous qualifierions actuellement de semi-pélagiennes. » Tixeront, op. cit., p. 282. Il en est de même pour saint Grégoire de Nazianze et saint Jean Chrysostome, dont se prévalaient les adversaires de saint Augustin. Ibid., p. 146-147. Cf. Schwane, Hist. des dogmes, traduction Degert, t. iii, p. 85-86, 91-94, 102-101, 113-116, 127-129, qui s’applique à réduire la portée de ces textes, tout en y reconnaissant « des formules très inexactes », p. 127.

Ce problème d’histoire sera traité à l’article Semipélagianisme. Voir déjà Grégoire de Nazianze, t. vi, col. 1843 ; Hilaire, ibid., col. 2450-2451, et, pour saint Basile, Scholl, op. cit., p. 74-97. Il suffît de noter ici que ces imperfections indéniables sont compensées par les déclarations de principe formelles et illimitées que l’on trouve chez les mêmes Pères sur la nécessité générale de la grâce et qu’on ne saurait, en bonne méthode, juger l’Église sur une époque où sa doctrine n’avait pas encore atteint son plein développement. L’essentiel est que soit bien posé le dogme de la grâce comme principe nécessaire de salut — et il n’y eut jamais de doute sur ce point — en attendant que les progrès de l’analyse en fassent mieux ressortir toute l’ampleur.

II. NATURE ET EFFETS DE LA JUSTIFICATION.

Du

moment que le problème do la justification n’était pas encore traité d’une manière distincte, il ne faut pas demander aux Pères des premiers siècles des éclaircissements précis sur l’essence de cet acte divin et ses effets en nous. Cependant les lignes générales de leur sotériologie, dans lesquelles s’encadrent quelques touches concrètes sur la grâce impartie au chrétien, font apparaître avec toute la clarté désirable la direction de leur pensée. Quelques rapides indications suffiront à montrer, non seulement qu’ils n’ont rien su de cette imputation tout extérieure que devait imaginer la Réforme, mais que toute leur théologie postule le concept d’une véritable régénération de l’âme dans et par le Christ.

1° Principe de la justification : Sens et portée de l’économie rédemptrice. — Sans entrer dans des détails qui appartiennent à l’art. Rédemption, on se contente de rappeler ici comme un fait notoire que la théologie patristique aimait envisager ce mystère sous l’aspect d’une restauration spirituelle. L’harmonie providentielle de notre nature ayant été rompue par le péché, le Fils de Dieu est venu la refaire en se l’unissant. Économie de salut qui comporte un aspect négatif, savoir la destruction de la mort qui était devenue la sanction de notre déchéance, et un aspect positif, c’est-à-dire le don de la vie et de l’incorruptibilité qui rétablit en nous l’image divine dans sa primitive splendeur.

Cette conception, dont on trouverait le germe dès saint Paul et saint Jean, est à la base des premières synthèses construites par l.s Pères grecs, depuis saint

Irénée, Cont. hær., III, xvin-xix et V, i-ii, jusqu’à saint Athanase, De Incarn. Verbi, 3-10, et saint Grégoire de Nysse, Orat. catech. magn., 5-16. Moins exclusive, elle n’est pourtant pas négligée par les théologiens postérieurs. Voir, par exemple, saint Basile, Epist., viii, 5, et cclxi, 2 ; saint Grégoire de Nazianze, Orat., xx, 19 ; xl, 45, et xlv, 8-9 ; saint Épiphane, Ancorat., 93 ; saint Jean Chrysostome, In Joan., hom. xi, 1-2. Elle n’est même pas entièrement absente des Pères occidentaux. On la trouve, par exemple, chez saint Hippolyte, De Christo et antichr., 26 ; Contr. hær. Noeli, 17 ; Philosophoumena, x, 33-34 ; saint Hilaire, In Ps. sir, 3-4 et De Trin., ii, 25. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1905, p. 117-126 et 142-159 ; J. Chaîne, Le Christ Rédempteur dans saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 64-84 ; J. Kôrber, S. Irenseus de gratia sanctifteante, Wurzbourg, 1865, p. 7-88 ; J.-B. Aufhauscr, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910, p 105-120 ; H. Strâter, Die Erlbsungslehre des hl. Athanasius, Fribourg-en-B., 1894, p. 140-162 ; et ici même, Irénée. t. vii, col. 24692472 ; Athanase, 1. 1, col. 2169-2174. ï,

Il est aisé d’apercevoir la portée de cette doctrine par rapport au problème, de la justification. Elle a tout entière comme axe le renouvellement effectif de notre nature et il est bien évident que le but providentiel de l’incarnation ne serait pas atteint si le péché continuait, après comme avant, à régner sur notre nature ou si notre sanctification se ramenait à l’imputation juridique d’une grâce qui nous demeurât étrangère. Cette théorie de la divinisation — et il n’en fut pas de plus classique — suffirait à faire voir combien sont profondes les attaches du dogme défini au concile de Trente avec la pensée des Pères les plus anciens.

2° Application : La régénération baptismale. — Acquise à l’humanité par l’avènement du Rédempteur, la grâce divine se transmet à chacun des hommes par le baptême. Il est inutile d’insister sur l’importance de ce sacrement dans la synthèse théorique du dogme chrétien et dans la vie pratique de l’Église.

Or, déjà par elle-même, la liturgie baptismale contenait tout un enseignement. L’ablution corporelle signifiait à tous les yeux la purification de l’âme ; l’onction visible du saint chrême, le don invisible de l’Esprit : double rite de régénération que l’Église traduisait à l’extérieur par l’habit blanc qu’elle imposait au nouveau baptisé. Est-il besoin de dire que ce symbolisme est largement exploité dans les innombrables traités ou homélies que les Pères ont consacrés au baptême ? Partout s’affirme la croyance ardente à la rémission du péché et à la transformation du vieil homme en un homme nouveau par son incorporation au Christ. Voir pour la preuve les art. Baptême, t. ii, col. 200-204, et Chrême, ibid., col. 2411. On peut y ajouter Clément d’Alexandrie, Strom., ii, 13, P. G., t. viii, col. 993-997 ; Origène, In Joan., vi, 17, P. G., t. xiv, col. 257, et 26-30, col. 276-285 ; cf. In Rom., v, 8, ibid., col. 1037-1043 ; S. Basile. In Ps. xxviii, 7, P. G., t. xxx, col. 81, et Hom., xiii, 3, P. G., t. xxxi, col. 429 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xl, 8, t. xxxvi, col. 368, et 32, col. 404-405 ; S. Grégoire de Nysse, Orat. cat. magn., 35, t. xlv, col. 85-92, et De bapt., t. xlvi, col. 416-417 ; S. Jean Chrysostome, Ad illum., i, 3, t. xlix, col. 226-227 ; S. Pacien, De bapt., 5-6, P. L.. t. xiii, col. 1092-1093 ; S. Ambroise, De mysL, vii, 34-35, P. L., t. xvi (édit. de 1866), col. 417 ; anonyme De sacram., II, vi, 16-19, ibid., col. 447-448. Cf. III, ii, 12, col. 454 : Qui venit ad baplismum hoc ipso imple.t con/essionem omnium peccalorum guod baplizari petit ut juslificetur, hoc est ut a culpa ad gratiam transeat. Et l’onprécise.aubesoin, quelagrâce baptismale ne comporte pas seulement l’effacement des péchés, mais une véritable régénération. Voir saint Jean Chrysostome, 2095

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLAGIANISME

jii’m ;

In Joan., hom. xiv, 2, P. G., t. ux, col. 94, et In Rom., | hom., x, 4, t. lx, col. 478.

S’il n’est pas de source plus abondante pour avoir la pensée de l’Eglise en matière de justification, est-il besoin d’ajouter qu’il n’en est pas non plus de plus sûre, parce qu’aucune n’tst mieux faite pour refléter la commune foi ?

Agents de la justification.

 Cette foi s’exprime

aussi par ce que les Pères nous disent ou nous laissent entendre sur la manière dont l’homme est justifié. Sans développer encore ce que, l’école appellera plus tard les « causes » de la justification, ils en ont posé çà et là les principes fondamentaux.

Les théologiens modernes ont discuté pour savoir si la grâce, dans la théologie patristique, est rapportée simplement à une opération de Dieu ad extra ou si elle doit être formellement identifiée avec la présence du Saint-Esprit, et l’on a cru remarquer une nuance entre les Pères latins qui se tiendraient à la première conception et les Pères grecs qui professeraient la seconde. Voir Adoption, 1. 1, col. 426 et 434-135. On peut estimer que ces subtiles précisions sont encore étrangères au génie d’une époque où le souci de la technique s’efface devant l’affirmation des réalités. Ce qui expliquerait que les diverses écoles aient cru trouver chez les Pères des témoignages favorables à leur thèse. Il n’est pas nécessaire, en tout cas, de trancher cette controverse pour recueillir de cette doctrine mystique les données substantielles qui seules intéressent le présent sujet.

Il est certain, en effet, que, d’une manière générale, la grâce est regardée comme une participation de l’âme à la vie même de Dieu. C’est ce que réclame la théorie de la divinisation rappelée plus haut et c’est pourquoi saint Ignace d’Antioche appelle déjà le chrétien 6eoçopoç. En ce sens la justification aboutit à une présence spéciale de Dieu en nous. Voir pour les références l’art. Grâce, t. vi, col. 1614. Quand on veut préciser la caractéristique de cette grâce, les souvenirs de l’Ecriture ouvrent des voies différentes devant le mysticisme des Pères. Tantôt, avec saint Paul on aime y voir la justice même du Christ transmise à sa postérité spirituelle, par exemple saint Pacien, De bapt., 5-6, P. L., t. xiii, col. 1092-1093 : tantôt et plus souvent encore, à la suite de saint. Jean, on y montre l’œuvre du Saint-Esprit. Cette doctrine, qui s’énonce comme un fait chez les Pères des trois premiers siècles, voir Esprit Saint, t. v, col. 693-691, 703 et 708, devait plus tard, quand surgirent les controverses, servir de plateforme pour établir la nature divine de la troisième personne de la Trinité. Comment ne serait-il pas Dieu celui qui nous fait enfants de Dieu ? Tel est l’argument capital que les Pères du iv° siècle opposent aux ariens. Ibid., col. 720, 724, 726, 733-734, 737 et 712 pour les Pères grecs : col. 748-749 pour saint Ambroise, leur principal disciple en Occident. Voir Scholl, op. cit., p. 125-212, et Aufhauser, op. cit., p. 178-200.

Quelle que soit la forme prise par cette doctrine, elle signifie toujours une effusion dans l’âme de la vie divine. N’est-ce pas dire qu’elle implique nécessairement que la grâce soit un don effectif de sainteté ? Plus tard quelques spéculatifs ont entrepris d isoler la justifie ition, au moins comme premier moment théorique, de la sanctification qui en serait seulement une conséquence. La tradition patristique n’a pas connu ers raffinements. Seul l’Ambrosiaster distingue deux périodes dans l’économie surnaturelle : avant la passion, le baptême n’aurait procuré que la rémission des péchés ; la Justification aurait été accordée seulement après la résurrection, grâce à la profession de foi trinitaire et à la communication du Saint-Esprit que le Clirist avait réservées jusque-là. In Hom., iv, 25, P. /-., t. xvii, (édit. de 1866), col, 92. Cette exégèse compliquée, imaginée pour éclaircir un passage difficile de

saint Paul, outre qu’elle n’a rien de commun avec la théologie de la Réforme, ne saurait prévaloir contre l’impression de réalisme salutaire que laisse avec un parfait ensemble la théologie de cette époque, pour laquelle justification fut toujours synonyme de grâce et la grâce comprise comme une régénération de notre âme par le retour à son principe surnaturel.


III. Depuis la controverse pélagienne. —

Il fallait insister sur cette période primitive pour y saisir, jusque dans l’éparpillement de ses énoncés, l’expression de la foi catholique en matière de justification et les premières amorces de la théologie qui se dessine en vue de l’expliquer. Ce qui nous permettra de glisser plus rapidement sur les siècles qui suivent, en nous contentant de relever ce que la controverse pélagienne devait ajouter de neuf sur un fond désormais acquis.

I. conditions de la JUSTIFICATION.

A la différence

de la période qui précède, le ve siècle naissant s’est trouvé ici en présence d’un problème. Car des tendances extrêmes, où l’on peut soupçonner l’aboutissement d’une longue incubation, commencèrent à se faire jour, qui menaçaient en sens inverse l’équilibre de la tradition catholique, dont saint Augustin allait se faire l’infatigable et glorieux défenseur.

1° Le milieu : erreurs inverses. — Étant donné que la justification intéresse essentiellement deux facteurs, l’homme et Dieu, la nature et la grâce, le danger est toujours possible de méconnaître l’un ou l’autre. Cette éventualité s’affirme, vers la fin du ive siècle et le début du ve, comme une double réalité.

1. Rationalisme pclagien.

D’une part, en vertu de son rationalisme anthropologique, le pélagianisme était amené à faire dépendre le salut des seuls efforts du libre arbitre.

Si Pelage consentait à parler de grâce, dans un sens d’ailleurs équivoque, c’était pour la faire dépendre tout entière de nos mérites : Apertissime dicit gratiam secundum mérita nostra dari, rapporte saint Augustin, De gratia Christi, I, xxii, 23, cf. xxxi, 34, P. L., t. xliv, col. 371, 376 ; Contra duas epist. pelag.. II. vm, 17, ibid., col. 583, et Contra JuL, IV, iii, 15, ibid., col. 744. Ce principe s’applique même à la première grâce, puisque Pelage disait des infidèles : llli ideo judicandi atquc damnandi sunt quia, cum habeant liberum arbilrium per quod ad fulem venire passent et Dci gratiam promereri, maie utuntur libertate concessa. Hi vero remuncrandi sunt qui, benc libero ulentes arbitrio, merentur Domini gratiam. S. Augustin, De gratia Christi, I, xxxi, 34, coi. 376-377.

Célestius allait jusqu’à dire que la rémission des péchés était due aux mérites du pénitent : Quoniam pœnitentibus venin non datur secundum gratiam et misericordiam Dei, sed secundum mérita et laboremeorum qui per psmitentiam digni juerint misericordia. S. Augustin, De geslis Pelagii, xviii, 42, ibid., col. 345. Mais il était en cela désavoué par Pelage et par le gros des pélagiens. Ibid., 13. Cf. De gratia et lil>. arbitrio, vi, 15, ibid., col. 890. Pour plus de détails voir Pelage et déjà Augustin, 1. 1, col. 2380-2382.

I >és lors on peut se demander quelle est la valeur des nonibn-ux passages où il est question de notre justification « par la seule foi » dans ce commentaire pseiicln hiéronymien de saint Paul où l’on s’accorde à voir une œuvre de Pelage. Ces textes ont été soigneusement collines par F. Loofs, art, Pelagius, dans Realencyclop &die, t. xv, p. 753-754, pour aboutir à cette conclusion : « Il n’y a pas eu avant Luther de défenseur aussi énergique du sola fuie. » Cf. Dogmengeschichie, P édit., Hall-, 19(Ki, p. 387 et 119-120. Voir en particulier Ps. llicronyni., In Rom., IV, 5, P. L., t. xxx, col. 688 : Convertentem impium per solam fldem justificat Deus… Proposuit gratis per solam /idem peecata 209^

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLÀGIANISME

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rvmiltere. Il est vrai que, plus loin, l’auteur précise son point de vue en disant que la foi ne suffit pas sans les œuvres, In I Tim., ii, 15, col. 021 : Sola fldes ad salutem ei qui post baptismum superoixerit non suffi-iat nisi sanctitatem mentis et corporis habeat. Cf. In Gal., m, 10, col. 848 : Fides ad hoc proftcit ut in primitiis credulilatis accedentes ad Deum justificet si deinceps in fustificatione permaneant. Ceternm sine opcribus fldei, non legis, moiiua est /ides.

Seules ces dernières déclarations correspondent au système pélagien. Il faut donc croire que les autres, où s’affirme le rôle de la grâce rédemptrice, n’ont qu’une porté.- cxégétique, à moins qu’elles ne puissent passer pour le rappel des formules catholiques dont l’auteur évacuait par ailleurs le contenu. L’hypothèse n’est du reste pas exclue de remaniements postérieurs qui auraient permis de conserver à cette œuvre d’origine hérétique son crédit dans l’Eglise. De toutes façons, il n’y a pas lieu d’amender de ce chef l’impression vivante que les premiers témoins ont eue du pélagianisniu, originel.

2. Laxisme moral.

A l’opposé de ce moralisme, où tout le salut dépend de l’homme, on rencontre, sous des formes diverses, certain laxisme qui proclamait systématiquement l’indifférence ou l’inutilité des œuvres.

Les controversistes catholiques ont reproché cette erreur à l’évêque arien de Cyzique, Eunomios. « De la fréquentation des plaisirs l’âme ne retirerait aucun dommage ; la seule foi hérétique suffit à l’homme pour sa perfection. » S. Grégoire de Nysse, Conl. Eunom., i, P. G., t. xlv, col. 281. Renseignement recueilli presque en termes identiques par saint Augustin, De hær., 54, P. L., t. XLn, col. 40 : Nihil cuique obessel quorumlibet perpetratio ac perseueranlia peccatorum, si hujus quæ ab Mo docebatur fidei particeps esset.

En Occident, on devine la même tendance dans l’opposition faite par Jovinien aux pratiques de l’ascétisme. Non content d’enseigner que la virginité n’a pas plus de valeur que le mariagr, il arrivait à dire, au rapport de saint Jérôme, que l’abstinence n’importe pas plus qu’une honnête jouissance des dons de Dieu, que ceux qui ont reçu le baptême plena fuie ne peuvent plus être séduits par le démon et que tous ceux qui en gardent la grâce recevront au ciel la même récompense. S. Jérôme, Adv. Jovin., i, 3. P. L., t. xxiii, col. 224 ; cf. ii, 35, col. 347-348. « Ce que Jovinien prêchait au fond — et ce qui lui a valu toujours depuis les sympathies protestantes — c’est le salut par la foi seule et l’inutilité des bonnes œuvres pour le salut, c’est le salut universel de tous les chrétiens. » Taxeront, Histoire des dogmes, t. ii, p. 24(5. Voir Jovinien, ci-de ; sis, col. 1577. De ces « sympathies protestantes » témoigne en particulier le long et favorable exposé que lui consacre A. Harnack, Zeitschrijt, loc. cit., p. 13815 1. Il reste qu’on doit à Jovinien un premier essai d’appuyer.e relâchement de la vie chrétienne sur une doctrine tendancieuse de la justification.

Plus importante et plus significative à tous égards que cette tentative isolée est l’erreur combattue par saint Augustin dans son traité De fide et operibus. Cf. Relract., ii, 38, P. L., t. xxxii, col. 646. Voir Harnack, ibid., p. 163-172.

L’évêque d’Hippone la résume lui-même en ces termes : Opinio… in qua promitlitur scelestissime turpissimeque viuentibus, etiamsi eo modo vivere persévèrent et lantummodo credant in Christum ejusque sacramenta percipiant, eos ad salutem vitamque œternam esse l’cnluros. De fuie et op., xxvii, 49, P. L., t. XL, col. 229 D’une manière plus nerveuse, souvente fois au cours de son exposé, il condense la conception de ces chrétiens en des formules comme celles-ci : Fidem sine opcribus valere ad salutem… Ad eam obtinendam suf/icere fidem..

DTCT. DE THÉO !.. CATIIOL.

Ad vitam veniriper solam fidem. xiv, 21-xv, 25, col.211214. Et l’on voit, par la discussion qu’en fait Augustin, que les tenants de cette idée invoquaient, non seulement les textes classiques de saint Paul, tels que Rom., iii, 8 ; iv, 5, et. v, 20, mais les paroles de l’Évangile où est soulignée l’importance de la foi, comme Matth., xv, 26-28, et Joan., xvii, 3, l’invitation pressante que le père de famille adresse aux bons et aux mauvais pour les 1 noces de son fils, Matth., xxii, 2-10, la souveraineliberté que vaut aux croyants d’après l’apôtre le mystère de la rédemption, Gal., iv, 31, ou la sécurité que leur procure l’intercession du Rédempteur. I Joa., n, 1-2. On ne fait pas tort à ces laxistes du ve siècle en les donnant comme d’obscurs ancêtres du système de la justification par la seule foi.

Doctrine de saint Augustin.

Ces errreurs inverses

dont il a nettement senti la menace expliquent la position moyenne prise par saint Augustin.

1. Nécessité de la grâe.

Son premier et principal effort fut de maintenir contre les pélagiens l’action de Dieu à la base de notre justification.

En effet, la nécessité de la grâce, qui jusque-là ne s’affirmait guère qu’en passant, est mise par lui au premier plan de la foi catholique. Voir Augustin, 1. 1, col. 2384-2387. Et ceci doit s’entendre d’un don divin absolument gratuit, que ne précède aucun mérite de notre part. Quomodo est gratia si non gratis datur ? Quomodo est gratia si ex debito redditur ? De gratia Christi, I, xxiii, P. L., t. xliv, col. 372. Cf. ibid., xxxi, 34 : Nisi gratuila non est gratia, col. 377. Tel est, sous mille formes variées, le leil-motiv de sa controverse contre les pélagiens. On sait que ce principe est étendu par l’évêque d’Hippone jusqu’au tout premier commencement de la foi. De div. quæst. ad Simplic., I, q. ii, P. L., t. xl, col. 1Il sq. En quoi il corrigeait consciemment l’erreur contenue sur ce point dans divers écrits antérieurs à son épiscopat.De præd.sanct., ni, 7, P. L., t. xliv, col. 964. Voir Tixeront. Hist. des dogmes, t. ii, p. 489-490.

2 Paît de l’homme. — Cependant l’action de Dieu ne va pas, chez Augustin, sans le concours de l’homme.

Il suffit, pour en avoir l’assurance, de rappeler l’adage célèbre : Qui fecil te sine te non te justi/icat sine te… Fecit ncscienlem, justificat volentem. Serm., clix, c. xi, n. 13, t. xxxviii, col. 923. Voir Augustin, t. i, col. 2387-2392. La première forme de cette coopération humaine, c’est la foi : Initium bonee vitse, cui vita eliam œlerna debetur, recta fides est. Est autem fides credere quod nondum vides. Serm., xliii, c. i, ibid., col. 254. Où l’on voit sans conteste que la foi signifie essentiellement une adhésion de l’intelligence aux dogmes chrétiens. Voir Augustin, 1. 1, col. 2337-2338. Parce qu’elle est un acte de soumission à l’autorité, divine, cette foi a déjà par elle-même une valeur morale — saint Augustin ne craint pas de dire : un « mérite » — mais à condition de ne pas oublier qu’elle est tout d’abord un don de Dieu : Fidei meritum etiam ipsumesse donumDei. Relract., I, xxiii, 3, P. L.. t. xxxii, col.G22. Cf. Epist., cxciv, c. iii, n. 9, t. xxxiii, col. 877.

Une fois implantée dans l’âme parla grâce, cette foi y doit fructifier en bonnes œuvres. Souvent affirmée en passant, voir Augustin, 1. 1, col. 2435, cette nécessité des œuvres fait l’objet spécial de l’opuscule De fuie et operibus. L’évêque d’Hippone l’établit en exégète et* se charge d’énumérer en faveur de sa thèse innumerabilia per omnes Scripturas sine ambiguitale dicta ou encore evidenlissima leslimonia Scriplurarum. xv, 26, t. xl, col. 214. Non seulement il se réclame des épîtres apostoliques, qu’il estime destinées à réagir contre certaines fausses interprétations de saint Paul ; non seulement il remonte aux passages de l’Évangile où le Maître réclame l’observation des commandements et promet de juger chacun suivant ses œuvres :

VIII. — 67 20HM

JUSTIFICATION. LA DOCTRINE DEPUIS LE PÉLAGIANISME

2100

mais il s’applique à restituer la pensée intégrale de l’Apôtre lui-même, en complétant, Rom., iv, 2-5, par

I Coi.. m : i. l et surtout Gal., v, 6 : Ipse Paulin non quamlibel /idem qua in Deum creditur, sedeam salubrem planequt evangelicam definioit eu jus opéra ex dilectione procedunl, xiv, 21, col. 21 1. El s’il "st dit que la vie éternelle consiste à connaître Dieu, Joa., xvii, .’5, c’est pareque la connaissance « le Dieu permet seule de le servir : Hoc itaque prodest in Deum recta fi.de credere, Deum colère, Deum nasse, ut et bene uuiendi ab ilh sil no bis auxilium et, si peccaverimus, ab ilio indulgenliam mereamur, xxji. 11, col. 223.

3. Conséquence : La justification. — De ces principes découle l’idée de la justification. Saint Augustin, d’une pari, accepte volontiers qu’on parle de justification par la toi, soit que la toi signifie, d’un point de vue dogmatique, le bienfait de Ja rédemption qui est le principe indispensable de notre salut, Cont.duas episl. Pelag., 1, xxi. 39, t. xltv, col. 569 ; De præd. sanct., vu. 12, ibid., col. 969, et Epist., clxxxvi, C. m. n. N-’l. t. xxxiii, col. 818-819, voir Liese, "Pcit., p. l 10-162, soit que, d’un point de vue moral, elle s’entende de la loi vivante qui fructifie dans la charité. De gralia et lib. arb., vu. IX, t. xi.iv, col. 892. Mais la loi sans les œuvres ne saurait être qu’une loi morte, sans aucune valeur pour le salut. Quousque faUuntur, s’écrie-t-il en une énergique antithèse, ’/ni île fide mortua sibi oitam perpétuant pollicentur ? De. /ide et op., xiv, 23, col. 212. Cf. Contra duas episl. pelag., III, v, 11. t. xi.iv. col. 598 ; De Trin., XV, xviii, 32, t. xui.col. 1083.

Devant la netteté de ces principes e.t la fermeté de leur application, les protestante sont bien obligés d’abandonner saint Augustin et de reconnaître que sur ce point il a payé son tribut au < catholicisme vulgaire i. Voir Ilarnack, Dogmengeschichle, t. ta, p. 86Xi). A défaut de sa doctrine, tout au moins veulent-ils parfois se prévaloir de sa piété, qui annoncerait celle de Lut lier. Ilarnack, ibid., p. <S(i et NI 2, après Thomasius, op. ci !., p. 13$1-$232. Subtil méthode ou l’on quitte le terrain solide des (ails pour le sable mouvant des appréciations subjectives, et qui, de ce chef, favorise tous les procès de tendances. Car, si saint Augustin a senti mieux que personne la misère de l’homme et chanté en accents émus la grâce de la rédemption, ce mysticisme s’accorde toujours pour lui avec la néces site et la valeur de noire effort personnel..lui quoi il reste le parfait témoin, non seulement de l’Église de son temps, mais du catholicisra i bien compris.

3° Tradition catholique postérieure à saint Augustin.

— Il s’en faut d’ailleurs que l’évêque d’Hippone soit un isolé. Quoi qu’il en soit de ses théories particulières qui n’entrent pas ici en caus, sur les points fondamentaux il ne fut pas autre chose que t’interprète de la loi traditionnelle. Le rôle des bonnes œuvres dans l’économie du salut est un de ceux-là. Si la controverse I pélagienne et ses suites l’ont désormais insister davantage sur la nécessité de la grâce qui en est le principe. c’est sans aucun détriment pour la part qui revient à notre coopération.

1. En Occident. - Déjà saint Jérôme, en dénonçant le laxi.sin de Jovinien, avait eu l’occasion d’in sist >r sur le mérite des œuvres et de rappeler les paraboles é va u gel iq uc s ou le Mail iv fait appel a nol re effort

moral : Nostri laboris est pro diversitate viriulum dioema nobis prxparare..dn..tanin., a, 32, P. /… t. xui, col. 3 11.Il va jusqu’à dire que la grâce divine se mesure à notre capacité : Tantam gratis* ejus injnndilnr quantum valemus haurire. Ibid., ii, 23, col. 331. Cf. In Gal., II, m. il 12, i. xxvi. col. 384, Aussi n’admet il

qu’une loi Ici -onde en navres : Qui rreilidei tut necesse ttt curant li ibeanl bimurnni opcruin per’/" lucrcditns QcJ-etfpm rit.e pr ; vp iratur a Irma lu l’p.atl’/'i’.ji.S,

ibid., col. 629. Comme saint Augustin, il synthétise les conditions du salut dans la loi qui opère par la

charité : Mani/csliim est operationem fidei per clmritatem plenitudinem mandatorum omnium continere. Quomodo autem iuxta aposlolum Jæobum /ides absque operibus mortua est, sic absque fide, quamvis bona opéra sint, mortua computantur. In GoL, t. II, v. (i. col. 426. Où l’on oit que la loi signifie pour lui une participation, mais effective et agissante, à l’économie de. la rédemption. Liese, "/>. cit., p. 163-166.

Les disciples immédiats de saint Augustin s’appliquent à maintenir et à défendre ses principes sur la nécessité de la grâce, même pour le moindre commencement di bien, contre les erreurs scniipélagieniii s. Voir Semïpélagianisme et Orange (Concile d’). Mais celle grâce, loin d’exclure noire bonne volonté, en appelle le concours.

Celui-ci se réalise d’abord par la foi. Hoc eniin est, « lisait s ; iint Léon, quod justifient impios, hoc est quod ex peccatoribus facit sanctos, si in uno eodemque Domino noslro Jesu Christo et vëra deiias et vera credatur humanitns. Serm., xxxiv. 1, P. L., t. i iv. col 245. Voir de même saint Kulgence. De fide, Prolog., 1. P. L., t. i.xv, col. 1 1~ l : Fiées est bonorûm omnium fundamentum, …humaine salutis initium. Sine hac nema ad filialum Dei numerum potest pertinere… Sine fide omnis labor hominis vacuus est. En quoi l’un et l’autre entendent visiblement la fidèle adhésion à la vérité catholique intégrale. Cf. Liese, op. cit., p. 169-174. Augustinien rigide, ce dernier insiste volontiers sur l’inutilité « les œuvres sans la loi. Epist.. xvii. 25-26, 48-51, ibid., col. 181-484. Voir Fulgence, t. vi, col. 970-972.

lue fois le dogme de la grâce ainsi mis in tuto, ils s’accordent ions à réclamer la pratique des mixw. Saint Léon les résume dans la charité, qui a pour effet de Vivifier Imites les vertus, y compris la foi : Ihic villas onmes /</< it utiles esse vi vîntes, qus ipsam qui nue /idem ex qua jusliis vinit et qux sine operibus mortua nominatur sui admixtione vioificat, quia sicui in fide est operum ratio Ha in operibus fidei lorlitudo. Serm.. x, 2, P. /… t. n. col. 166. Cf. Serm., xxxii. I. col. 240 ; xxxv, 3, col. 252 et Epht., « ixix. 2. col. 1213. la paresse spirituelle n’est pas moins stigmatisée par saint Lulgence. et non seulement dans ses prédications aux fidèles, Serm., i. t-9, P. L., L i.xv. col.’22-721. mais dans ses exposés théologiques, connue De remiss. peccat., ii, 14-15, col. 565-567.

Celte préoccupation « le l’ordre moral s’accuse de plus en plus chez, les compilateurs ou pasteurs dîmes « pii devaient monnayer au profit du.Moyen Age l’héritage doctrinal « le saint Augustin. « Plus « pie jamais, aux néophytes barbares qui entrent « lans l’Église, les moralistes et les prédicateurs ineuliiuent « pie la foi sans les œuvres est inutile et morte. » Tixcront, llisl. îles dogmes, I. m. p. 3 17. Ainsi saint Césaire d’Arles, voir t. n. col. 2132-2163, et plus encore saint Grégoire le Grand : Unum enim sine altéra nil prodesse valet, quia nec piles sine operibus nec opéra adjuvant sine /ide. lit Ezech., 1. L nom. îx. (i. P. /… L i.xxvi, col. 872. Cf. Moral, XXXIII, vi, 12, ibid.. col. 07>s : In Evang., hom. xxxix. 9, ibid., col. 1300 : Quid prodest ipiotl Uetlemptori noslro per /idem junijimur si ab eo moribus disjungamur ? et hom. xxvi. 9, col. 1202 : Nos siqituti sumus. se<t si /idem nostr, m operibus sequiinnr. lut etenim vert crédit qui exerce ! operaiulo quod crédit. Citons enfin pour terminer ces belles antithèses (le saint Lidore de Scville : l’er /idem possit’ilitas boni operis inehnutur ; ex opère ipsa /ides per/icitur. Opu-i

enim /ide prævenitur, lûtes ex operibus eonsummaùw.

Opéra unit in ante /ultra iictpiuipiuin protlesse… Item /ides sine operibus netiuaqaam prodest. quia non potes ! per /idem Dca plucerc qui Dcuni coutemnit in opère. Ob hoc etiam /ides sine operibus riwiluu e$t, juvla.lacobuin ; <>(

opus extra fulem vacuum est, juxta Paulum… Quid ergo ? Utrique se destruunt ? Absit. Sed utrique nos instruunl. Di/fcr., ii, 35, F. L., t. lxxxiii, col. 91-92. Cf. De nat. rerum, xxvi, 4 : Fide et operibus homo justificatur. Ibid., col. 998.

On trouverait difficilement un résumé plus complet et plus heureux de la doctrine de l’Église sur le Tapport de la foi et des œuvres, en même temps qu’une meilleure harmonisation des textes scripturaires qui en énoncent le rôle respectif.

2. En Orient.

Indépendante de l’augustinisme, la théologie orientale n’eut qu’à puiser dans sa propre tradition pour y trouver les mêmes principes.

Sans avoir été touchés par la controverse pélagienne, ni peut-être en avoir adéquatement saisi l’importance, les Pères grecs du v° siècle s’accordent à mettre la grâce à la base de notre vie surnaturelle. Voir fixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 212-214. Du côté de l’homme, son premier devoir est la foi, que saint Cyrille d’Alexandrie appelle « la racine de toute vertu et le fondement de la piété, » In Joa., IV, vii, 24, P. G., t. lxxiii, col. 676, parce que seule elle nous donne le moyen de participer à la grâce du Christ. Liese, op. cit., p. 166-169. Mais il y doit ajouter les œuvres, sous peine d’être une branche inutile et bonne à jeter au feu. Si la foi nous donne la connaissance de Dieu, la charité nous inspire, d’obéir à ses commandements. « Ainsi donc nous avons beau lui être unis par la foi, si nous la faisons consister en une profession pure et simple (du symbole) et ne serrons pas ce lien par les bonnes actions de la charité, nous serons bien des sarments sans doute, mais morts et stériles… Que par conséquent à la rectitude de notre foi s’ajoute la splendeur de nos œuvres et que nos actes correspondent, à nos paroles au sujet de Dieu. Alors nous serons avec le Christ, i Ibid., X, xv, 2, t. lxxiv, col. 348-353. Voir d’autres références à l’art. Cyrille d’Alexandrie, t. iii, col. 2521, et Ed. Weigl, Die Heilslehre des ht. Ci/rill von Xlexandrien, Mayence, 1905, p. 128-1 10.

Le célèbre ascète saint Nil proclame, d’une part, que « seule la foi au Christ Sauveur est notre justice. » Epist., i, 8, P. G., t. lxxix, col. 85. Mais il reproduit par ailleurs cette maxime, empruntée à saint Cyrille de Jérusalem, Cntech., iv, 2 : < La piéié véritable se ompose de ces deux éléments : dogmes pieux et bonnes actions. Il ne faut pas séparer l’un de l’autre. » Epist., ii, 165, col. 280.

Un autre moine du ve siècle, l’ermite Marc, a laissé un petit écrit « au sujet de ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres, » P. G., t. i.xv, col. 929-966, qui a retenu, au moins par son Litre et soi : objet, l’attention des protestants. Thomasius. op. cit., p. 427. Plusieurs des maximes qui le composent affirment, en effet, la gratuité du salut, la nécessité de la rédemption et de la grâce et condamnent, en conséquence, les œuvres faites dans un esprit pharisaïque de suffisance ou de marchandage. Cependant l’auteur veut aussi que la foi se traduise par l’obéissance aux préceptes du Christ ; il écarte du royaume aussi bien ceux qui s’estiment orthodoxes sans pratiquer les commandements et ceux qui, en les pratiquant, attendent la récompense céleste comme un salaire qui leur serait dû, » n. 5 et 17, col. 932 ; il tient que « la grâce opère dans la mesure où nous pratiquons les commandements, » n. 56, col. 937 ; cf. n. 85, col. 944 et n. 210, col. 964. On y lit même que < la justification vient des œuvres, des paroles et des pensées <, tout autant que i de la foi, de la grâce et du repentir procèdent des trésors de salut. » n. 1(11, col. 945. C’est dire que le mysticisme de l’auteur se meut dans les voies bien connues du catholicisme normal.

Il en est de même de théologiens comme Théodoret. Si, quand il pense à la rédemption, il déclare que,

dans l’œuvre du salut, « nous n’avons apporté que la foi » — et encore « la grâce en fut-elle l’auxiliaire, » In Eph. il, 8, P. G., 1. i.xxxii, col. 521, et In Rom., m, 25, col. 84 — il remarque ailleurs que « la foi a besoin des œuvres, » In I Tim., ii, 2, col. 797, et qu’elle ne suffit pas à ceux qui en sont dépourvus. In TH., ni, 8, col. 869. Voir encore S. Isidore de Péluse, Epist., iv, 20, 65, 213 et 226, P. G., t. lxxviii, col. 1069, 1121, 1305 et 1321 ; Ps.-Chrysostome, De fide et ley. nat., 1, P. G., t. xlviii, col. 1081-1083.

Cette tradition de l’Église grecque est bien résumée dans saint Jean Damascèm. qui écrit à propos du baptême : < La foi sans les œuvres est morte, et tout de même les œuvres sans la foi. Car la vraie foi se prouve par les actes. » De fide orthod., iv, 9, P. G., t. xciv, col. 1121. Cf. In Rom., iv. 2-3, t. xcv, col. 468 ; In Philip., iv, 8-9, col. 880. Voir Liese. op. cit., p. 174175, et Jean Damascène. ci-dessus, col. 711-742. Il existe même sous son nom, à l’appui de cette thèse, un de ces petits dossiers de sentences patristiques auxquels devait se complaire le Moyen Age byzantin. Sacra Parallela., iitt.il, tit. xxv, t. xevi, col. 533-536. Plus tard Théophylacte commente avec la même énergie le rôle de la foi proclamé par saint Paul, In Gal., m, 5-12, P. G., t. cxxiv, col. 985-988, et le rôle des œuvres revendiqué par saint Jacques, In Jac, ii, 14-25, t. cxxv, col. 1156-1161, en montrant comment les deux apôtres ne se contredisent pas parce que l’un parle de la foi considérée comme simple assentiment et l’autre de la foi envisagée comme principe de conduite.

En un mot, toute l’ancienne Église est d’accord, sans exception ni progrès appréciable, pour affirmer que la justification, si elle est un don de la grâce divine, requiert aussi le concours de notre bonne volonté et que celle-ci doit se manifester par les œuvres aussi bien que par la foi.

3. Textes liturgiques.

D’où le caractère très complexe de la piété catholique, où ces diverses sources de doctrine se réunissent comme en leur confluent. Elle n’est nulle part mieux caractérisée que dans la liturgie, où l’Église exprime, pour les inculquer à tous, les sentiments qui l’animent et qui, dès lors, prend le caractère d’un vaste témoignage collectif.

Or on y peut voir en maints endroits comment le chrétien est, non seulement exhorté au repentir de ses fautes, mais invité à les réparer par les bonnes œuvres, qui seules peuvent lui obtenir le salut. Qu’il suffise de citer cette collecte typique du Sacramentaire grégorien pour le premier dimanche de carême : Deus.., prsesta jamiliæ iuæ ut quod a te obtinere abstinendo nititur hoc bonis operibus exsequatur. P. I… t. lxxviij, col. 57. Ou encore cette autre du dimanche dans l’octave de Xoël, ibid., col 37 : Omnipotens sempiterne Deus, dirige actus noslros in beneplacito luo ut in nomine dilecti Filii lui mercamur bonis operibus abundare. Mais, en même temps, on y affirme à maintes reprises que nous ne pouvons rien sans la grâce et que toute notre confiance repose, en définitive, sur la miséricorde de Dieu et les mérites du Christ. Témoin cette oraison du V* dimanche après l’Epiphanie, ibid., col. 18 : Familiam tuam… continua pietaie custodi, ut quæ in sola spe gratin’cselestis innitilur… Ou bien celleci : Deus, qui conspicis qui ex nulla nostra actione confidirnus. … dimanche de la Sexagésime, ibid., col. 53, cl. cette autre du second dimanche de carême, ibid. : Deus, qui conspicis omni nos virtute destitui…, et enfin cette dernière formule encore plus explicite : … ut qui proprise justifias fiduetom non habemus…, postcommunion pour le commun d’un confesseur, ibid., col. 168

Les textes de celle dernière catégorie ont été réunis soigneusement contre Luther par Deniflc. Luther et le. luthéranisme, trad. J. Paquier, t. ii, p. 327-363. Il y

aurait intérêt à grouper également ceux de la première, non moins abondants ni moins explicites. Ce rapprochement suffirait à montrer comment l’Église n’a

jamais séparé ce que 1 >ieu voul t unir.

II. SATURE ET f.FFETS DE LA JUSTIFICATION. — Pasplusqu’à l’époque précédente, la justification n’est encore l’objet d’analyses approfondies que rien ne provoquait ; mais la théologie du surnaturel continue à s’affirmer et à se développer suivant la ligne que déjà nous lui connaissons.

1° l’.n Occident, la controverse pélagienne allait amener un supplément d’insistance, sinon de précision, sur les elïets de la grâce sanctifiante.

1. Erreurs pélagiennes.

Parce qu’il niait la réalité de la grâce et attribuait aux seules forces de la nature la possession du surnaturel chrétien, le système pélagien ne comportait pas de place pour une régénération intérieure de l’âme. Tout au plus les pélagiens consentaient-ils à appeler grâce la rémission des péchés. A vestro doymale non recedis, disait saint Augustin à Julien d’Kclane, i/uo putatis gratiam Dei… sic in sola peccalorum remissione versari ut non adjuvet ad vitanda peccata et desideria vineenda carnalia, diffundendo charitatem in cordibus noslris per Spiritum Sanclum. Cont. .lui.. VI, xxiii, 72, P. L., t. xuv, col. 866-867. Conclusion extrême, où se révèle suivant l’observation de Schwane, Hist. des dogmes, trad. Degert, t. iii, p. 148, une parenté inattendue entre « le système rationaliste du pélagianisme et le surnaturalisme extrême de Culher.

Mais en même temps cette rémission des péchés devait être complète, puisque, d’après les pélagiens, la nature humaine n’avait rien perdu de son intégrité. Aussi reprochaient-ils aux catholiques d’avoir une conception insuffisante du baptême. Du moment que ce sacrement laissait subsister la concupiscence, le péché ne serait pas vraiment effacé, mais seulement rasé, et donc toujours prêt à renaître. Dicunt, opposait Julien à ses adversaires catholiques, baptisma non dure omnrm indulgentiam peccatorum, nec au/erre crimina, sed radere, ut omnium peccatorum radiers in mala carne teneantur quasi rusorum in capite capillorum. Rapporté par S. Augustin. Contra duus epist. Pelag., I, xiii, 26, ibid., col. 562. Cf. III. m. 1. col. 589.

Cette erreur et cette calomnie des pélagiens allaient commander la conduite de saint Augustin et celle de toute la théologie catholique après lui.

2. Doctrine catholique : Effets de la justification. — a) Tout d’abord, pour enlever aux pélagiens leur arme calomnieuse, l’évêque d’Hippone affirme que le baptême nous assure la rémission effective de nos péchés. Dicimus ergo baptisma dure omnium indulgent iam peccatorum et au/erre élimina, non radere. I.a concupiscence qui survit en nous n’a pas, à parler proprement, le caractère de péché. Etiamsi vocatur peccatum, non utique quia peccatum est. sed quia peccalo facta est sic vocatur. Op. cit., 26-27, col. 562-563. Cf. III, iii, 5, col. 590 : Baptismus igitur abluit quidem peccata omnia, prorsus omnia. factorum, dictorum, cogilatorum, sive originalia, sine addita, sire quæ ignoranter sii<e que scienter admissa sunt ; sed non aufert inftrmitatem. Voir Augustin, t. i, col. 2395-2396. De même il refuse d’admettre que nos péchés soient « couverts », comme s’ils continuaient à exister encore. In Ps. I w. ii, ’.), 1’. L., t. XXXVI, COl, 261. Celle in/irmitas elle-même est appelée à disparaître progressivement ; mais la rémission de la faute est immédiate : In quo (Christo) l)-u régénérât Imminent generatum sanatque viliatum a re du statim, ab inflrmitate paulatim. Cont. Julian. 1 1, i, 8, t. xi iv, col. 679.

Il ce n’élail pas seulement là pour Augustin une

ogétique de circonstance. Car, en dehors de toute

controverse, son mysticisme doctrinal se plaît à assi miler le baptême au mystère du Christ Rédempteur, dont il est l’adéquate reproduction : Nihilaliud esse in

Christo baplismum nisi mortis Christi similitudinem

ut quemadmodum in illo vera mors facta est sic in nobis vera remissio peccalorum, et quemadmodum in illo vera resurreclio ita in nobis vera justificatio. Enchir., 52, P. /… t. xl, col. 256. CI. ibid., 64, col. 262 : hominis renovalio in qua solvitur omnis reatus.

b) Mais ces derniers textes montrent déjà que cet aspect négatif de notre justification ne va pas sans un aspect positif qui en est inséparable. Augustin insiste ailleurs expressément, à rencontre des pélagiens, sur cette sanctification réelle de notre âme : Non per solam peccatorum dimissionem juslificatio ista confertur nisi auctoribus robis. Justifical quippe impium Deus non solum dimitlendo qux mala facil, sed etiam donando charitalem. Opus imperf. contr. Julian., ii, 165. P. I., t. xlv, col. 1212. Quid est enim aliad justificali quum justi facti, ab eo scilicel qui juslifical impium ut ex impio fiât juslus ? De spir. et lill., xxvi, 45, t. xliv, col. 228. Cf. In Psalm. Vil, 5, t. xxxvi, col. 100. La théologie du baptême l’amène à traiter souvent de la régénération spirituelle qui en est l’effet et dont bénéficient même les enfants, sauf à bien marquer qu’elle ne sera complète que dans la vie future par la résurrrection du corps. Voir en particulier. Confess., 1, xiii, 5, l. xxxii, col. 004 ; Serm., ccxxiv, 1. t. xxxviii, col. 1093-1094 ; In Ps. cxrm, iii, 2, t. xxxvii, col. 1507 ; De nuptiis et conc, i. 33-34, t. xliv. col. 434-435 ; Opus imp. cont..lui., ii, ’.17-112, t. xlv, col. 1179-1188.

Les protestants eux-mêmes ont dû rendre hommage sur ce point à la doctrine augustinienne : < Car. l’ail observer Calvin, combien qu’il despouille très bien l’homme de toute louange de justice et l’attribue toute à Dieu, neantmoins il réfère la grâce à la sanctification dont nous sommes regtnerez en nouveauté de vie. > Insl. chrel.. III, xi, 15. dans Opcra omnia. édition Baum, Cunitz et Reuss, t îv. col. 2 18. Luther également n’en était qu’à demi satisfait ; Quamquam imperfeete hoc adhuc sit dielum ac de impututionc non clare omnia explicet, placuil lamen juslitiam Dei doeeri. Préface générale de 1515, dans Opéra lai. var. arg., édition d’Erlangen, t. i.p. 23. Et de même Mélanclilhon, Lettre à Brenz, mai 1531, Corpus Reform., t. ii, n. 935, col. 502. Plus maussade. A. Harnack lui impute une conception toute matérielle — c’est-à-dire pour nous réelle — de la grâce. Dogmengeschichte, 1’édition., t. m. p. 83. Cf. p. 88. Ces aveux nous dispensent d’insister ; et l’on ne saurait en exagérer l’importance, quand on se rappelle l’influence capitale que l’évêque d’Hippone devait exercer sur les siècles suivants.

Avec les gîtes, saint Augustin envisageait volonliers la grâce sous les espèces d’une adoption divine. Cont. Faust. Munich., iii, 3, t. xui, col. 215-216 ; De serm Dom, in monte, I. xxiii, 78, t. xxxiv. col. 1268 ; Serin., cxxvi, 9. I. xxxviii, col. 720 ; mieux encore, comme une divinisation de notre âme, Serm., cix, 5, ibid., col. 675 : cccxiii, 5, t. xxxix. col. 1504 : In l’s. XLIX, 2. t. xxxvi, col. 565. Cette idée tonne le thème

fondamental de la théologie de l’Incarnation que saint Léon oppose à la fois aux nestoriens et aux monophysiies. Voir.). Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d’étude historique, p. 266-269. Aussi a-t-elle pour fruit noire complète régénération. Redit in innocenliam iniquitas et in novitatem vetustas… De tmpits fusti, de aoaris bénigni, de incontinentibus castt, de ierrenis incipiunt esse cselestes. Sam., xxvii.2. I. uv, col. 217218. Cf. Serm., xxi, 3, el xxiv, .i. col. ! 92-193et205-206. C’esl ainsi que les diveisescontrovcrscs dogmatiques

de l’époque aboutissaient à donner un nouveau relief

a cette t l’ausl’ormal ion spirituelle OÙ la foi Catholique

a toujours vu le fruit suprême de la Rédemption. . Doctrine catholique : Essence de la justification. — Sans aborder encore précisément ce problème d’école, saint Augustin ici encore a posé tous les principes qui devaient aiguiller la spéculation postérieure.

D’une part, sa philosophie platonicienne ne lui permet pas de comprendre que, même dans l’ordre naturel, les êtres puissent être bons si ce n’est dans la mesure où ils participent au souverain Bien. A plus forte raison dans l’ordre surnaturel, que nous sommes incapables d’atteindre par nous-mêmes, notre sainteté ne peut être qu’un écoulement en nous de la sainteté substantielle de Dieu. L’exégèse vient confirmer cette métaphysique et l’évêque d’Hipponc aime ramener, après saint Paul, toute l’économie rédemptrice à une manifestation de la « justice » divine. Non qua Deus juslus est, précise-t-il, sed qua induit hominem cum justifleat impium. De spir. et lift., ix, 15, t. xliv, col. 209. Cf. ibid., xi, 18, col. 211 : Ideo justitia Dei dicitur quod imperliendo eam justos jacit. La justice ainsi comprise a pour synonyme ou tout au moins pour équivalent la charité. Charitas quippe Dei dicta est difjundi in cordibus noslris, non qua nos ipse diligit sed qua nos jacit dilectores suos, sicut justitia Dei qua justi ejus munerc c/ficimur. Ibid., xxxii, 56, col. 237.

Sous ces diverses expressions s’accuse une même conception de la grâce, qu’il faut considérer comme une réalité dont la source est en Dieu, mais dont nous sommes appelés à devenir participants. Parfois ce don divin semble identifié avec le Saint-Esprit : Eum (Spiritum Sanclum) donum Dei esse, ut Deum credamus non seipso in/erius donum dure. De fuie et sijmbolo, ix, 19, t. xl, col. 191. Cf. Ps.-Augustin, Serm., clxxxii, 2, t. xxxix, col. 2088. De toutes façons, ce qui importe, c’est que, pour être une justice d’emprunt, notre justice n’en est pas moins réelle : Nos sua(Deus)non nostra justitia justos jacit, ut ea sit vera nostra justitia quæ nobis ab illo est. De gratia Christi et de pecc. orig., I, xlvii, 52, t. xuv, col. 384.

On voit si nous sommes loin de l’imputation protestante. Le P. Dcnifle a rudement relevé les falsifications de textes au prix desquelles Luther a pu se réclamer de saint Augustin. Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. iii, p. 6-36. Et il est bon de noter que, chez l’évêque d’Hippone, cette doctrine de la grâce s’appuie sur les textes mêmes de saint Paul. De cette théologie et de cette exégèse, le Moyen Age ne manquera pas de recueillir le. bienfait.

2° En Orient s’affirme le même réalisme surnaturel.

1. Erreur des euchites.

On y trouve la trace persistante,

à partir du ve siècle, d’obscurs hérétiques, désignés sous les divers noms de messaliens, d’enthousiastes ou d’euchites, qui, entre autres erreurs, réduisaient au profit de la prière l’eflicacité sanctifiante du baptême. Au rapport de Théodoret, « ils disent que le baptême ne sert de rien à ceux qui s’en approchent ; car, à la manière d’un rasoir, il enlève bien les péchés précédents, mais il n’en extirpe pas la racine. » Hæret. fab., iv, 11, P. G., t. lxxxiii, col. 429. Cf. Hist. Eccl., iv. 10, t. lxxxii, col. 1144-1145, et Nicéphore Calliste, Eccl. hist., xi, 14, P. G., t. cxlvi, col. 615. Le même historien rapporte comment ils furent démasqués par l’évêque Flavien d’Antioche. Ce qui ne les empêcha pas de se survivre assez tard en certains milieux populaires. Voir Euchites, t. v, col. 1454-1465.

Il ne semble pas que cette minimisation de la grâce baptismale ait eu de grandes répercussions théologiques. Pareille théorie heurtait trop directement la tradition pour constituer un danger et appeler des ripostes, ("est sans doute pourquoi les héréséologues successifs se contentent de la signaler, en l’englobant dans la réprobation générale dont ils couvrent les impiétés de la secte. Voir Timolhéc, De recepl. hæret, |

P. G., t. lxxxvi, col. 48, et saint Jean Damascène, De hser., 80, P. G., t. xciv, col. 729.

Peut-être cependant était-elle à l’origine de la consultation qu’adressait à saint Grégoire le Grand la princesse Théoclista, et qui provoqua une réponse très nette de celui-ci : Si qui vero sunt qui dicunt peccata in baptismale super fteietenus dimitli. quid est hac prædicatione infidelius in qua ipsum fulci sacramentum destinant solvere ? Dx quo principalitcr ad cœleslis munditias mi/slerium anima ligatur, ni absoluia radicitus a peccatîs omnibus soli illi(Deo) inhuereat. Et le pape de rappeler à ce propos les figures du baptême dans l’Ancien Testament, qui en signifient la souveraine, efficacité, surtout les promesses du Christ et la scène symbolique du lavement des pieds, pour conclure : Nihil ergo ci (qui lotus est) de peccati sui coniagio remanet quem lotum jatetur mundum ipse qui redemit. Episl., xi, 45, P. L., t. lxxvii, col. 1162. Théodoret avait affirmé de même que nos péchés nous sont remis de telle façon qu’il n’en reste plus de traces. In Ps..YXA7, 2, P. G., t. lxxx.coI. 1088.

2. Doct’ine catholique — Loin de cette chétive controverse, la grande théologie orientale continuait à développer en paix le thème classique de la divinisation. Si l’on a pu dire que cette doctrine « semble plutôt perdre du terrain, » Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 217, c’est comme explication de la rédemption et dans ce sens que s’y ajoutent de plus en plus des vues plus concrètes sur le sacrifice du Christ ; mais elle garde toute sa valeur comme vue théorique de l’état surnaturel.

A cet égard, le maître est saint Cyrille d’Alexandrie, qui utilise cette doctrine, soit pour expliquer l’incarnation, soit pour établir la divinité du Saint-Esprit. Abondantes références au t. iii, col. 2516-2517 et du même auteur dans Revue d’hist. eccl., 1909, p. 30-40. Quand on veut préciser la pensée de Cyrille, il est peut-être difficile de savoir si la grâce est, en définitive, pour lui un don créé ou si elle ne serait pas plutôt la présence mystique du Saint-Esprit dans l’âme. Toujours est-il qu’après Pi tau les modernes partisans de cette dernière thèse se sont surtout réclamés de son nom. Voir Adoption, t. i, col. 426, et Grâce, t. vi, col. 1614. Plus éclectique. Ed. Weigl, op. cit., p. 174-203, reconnaît en lui la double notion connexe d’une grâce créée et d’une grâce incréée, qui sont l’une par rapport à l’autre dans le rapport de la cause à l’effet. Cf. p. 239-244. Dans le même sens, m aïs avec un plus grand souci des nuances, voir J. Mahé, Revue d’hist. eccl., 190, p. 469 sq. Quoi qu’il en soit de ces ultimes précisions, il est clair, en toute hypothèse, qu’Userait difficile de trouver un plus ferme témoin du réalisme surnaturel que le grand alexandrin.

Il fut suivi dans cette voie par toute la théologie postérieure. Voir en particulier le Ps.-Denys, De eccl. hier., i, 3, P. G., t. iii, col. 376 ; S. Maxime, Opusc. theol., t. xci, col. 33 et Epist., xlhi, col. 640 ; Léonce de Byzance, Cont. Nest. et Eutych., ii, t. lxxxvi a, col. 1324, 1348-1352, et surtout S. Jean Damascène, en qui se résume toute la tradition orientale. De fide orth., iv, 4, cf. iii, 5, iii, 18, iv, 9, t. xciv, col. 1108, 1 05, 1072, 1117-1121, et Hom., ix, 2, t. xevi, col. 725.

C’est ainsi que l’Orient est pleinement d’accord avec l’Occident pour concevoir la grâce de la justification comme un don divin que l’homme prépare sans le mériter, mais qui sanctifie réellement notre âme et que celle-ci doit faire fructifier de manière à accroître en elle la vie qu’elle tient de Dieu.


III. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION AU MOYEN AGE.

De ces matériaux épais que lui fournissait la tradition patristique, le Moyen Age allait progressivement réaliser la synthèse. Non que la justi2107 JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE

J108

lication y fût traitée comme un problème spécial : aucune controverse ne mettait encore en évidence ce point ; mais cette question ne pouvait que bénéficier peu à peu. comme les autres, de l’effort qui s’accomplissait dans l’Ecole pour classer les données traditionnelles et en préciser le sens.

I. Développement historique. Sans avoir

proprement une histoire, la théologie de la grâce, dont la justification n’est qu’une partie, apparaît en dépendance des courants généraux qui ont agi sur la pensée médiévale.

Période positive.

Il fallut longtemps, après la

ruine de l’empire romain, pour que s’éveillât le goùl de la recherche théologique. La longue période qui s’étend du viie au xie siècle est, à cet égard, si l’on excepte la trop brève éclaircie de la renaissance carolingienne, une des plus effacées. Tout l’enseignement s’y bornait à la lecture et au commentaire des Livres saints. Encore ce commentaire consistait-il surtout â rapprocher les unes des autres les « sentences des Pères, dont les compilateurs successifs se transmettaient la série sans guère l’enrichir.

Cette méthode impersonnelle avait au moins l’avantage de maintenir le contact avec le passé. Et ce contact, sans soulever encore le problème de la justification, en rappelait en tout cas les principaux éléments. La lecture de la Bible faisait forcément rencontrer les textes, au relief si accusé, de saint Paul et de saint Jacques, et la nécessité s’imposait aux moins exigeants d’en expliquer la lettre ou d’en harmoniser la teneur. Pour cela on s’adressait aux Pères : saint Augustin et Y Ambrosiaster étaient les sources préférées, complétées au besoin par le commentaire de Pelage qu’on lisait sous le nom de saint Jérôme. Ainsi, jusqu’en ces époques si pauvres de pensée personnelle, se constituait autour du texte sacré un petit dossier de citations positives, où se révèlent les tendances des glossateurs et, par là-même, la doctrine générale de l’Église dont ils étaient l’écho.

En réponse à une bravade de Luther, le P. Denitle a réuni dans un volume compact, Luther und Luthertum, t. ir, 2e part. : Die abendldndischen Schriftausleger bis Luther, les extraits des commentaires imprimés ou inédits sur l’Épître aux Romains propres à éclairer le sens que l’exégèse médiévale donnait à la fustitia Dei, Rom., i, 17, et, en général, â la justification d’après saint Paul. l’ne bonne partie de ces textes sont relatifs à la période préscolastique, savoir n. 4-19, du pseudo-Primasius au pseudo-Gilbert de la Porrée, p. 9-49. On y peut voir que les paroles de saint Paul provoquaient déjà quelques explications sur la nature ou les conditions de la grâce justifiante. Et il faudrait en rapprocher ce qu’on disait ailleurs, à propos par exemple de Jac, ii, 14-26, sur les œuvres qui la précèdent OU l’accompagnent, Ainsi se conservaient au moins les matériaux traditionnels et parfois même

s’ébauchait un commencement d’analyse pour en tirer parti.

Il > ; i là du reste une indication à retenir pour les périodes suivantes. Les œuvres exégétiques du Moyen Age sont toujours une source précieuse a consulter, surtout en une matière comme celle-ci qui n’a pas retenu spécialement l’attention de l’École. ( >n j t rouve, suivant les cas, la préparation, La répercussion ou le Complément des expositions plus didactiques contenues dans les traités spéculatifs.

2° Débat » <tr la scolastlque. - 1. L</ dialectique. — Cependant, à partir du r siècle la théologie proprement dite commençait à se constituer, qui ne manqua pas de s’appliquer au problème surnaturel. Inaugurée par saint Anselme, développée par Abé lard et son école, l’investigation rationnelle de la foi

s’est portée sut d’autres points du dogme, sans toucher

directement la doctrine de la justification. Cependantces débuts de la méthode scolastique devaient indirectement lui profiler.

Ainsi le Cur Deus homo de saint Anselme, en accen tuant l’aspect objectif de la rédemption, ne devait-il pas faire penser â son appropriation subjective qui en est Le couronnement ? De fait, ce traité se termine, il, 20-21, P. /… t. ci.viii, col. 428-430, par quelques considérations rapides sur la manière dont les mérites infinis du Sauveur nous obtiennent le salut. En niant la satisfaction du Christ et ramenant toute son œuvre salutaire à l’efficacité psychologique de son amour pour nous, Abélard mettait au centn de sa sotériologie le point précis de la justification individuelle, dont son erreur même invitai ! à mieux préciser les rapports avec l’œuvre rédemptrice. Il n’est pas indifférent de remarquer que cette t licoldu salut est justement par lui développée dans son commentaire de l’Épître aux Romains et que déjà, dans sa langue, les deux termes de n rédemption » et de « justification » sont employés comme synonymeou équivalents. In Rom., ii, 3, P. L. t. clxxviii, col. 833 et 83C.

2. La mystique.

Tandis que la dialectique commençait ainsi son travail méthodique de précision et d’analyse, la mystique s’attachait a vivre es réalités du christianisme.

On a voulu souvent et systématiquement opposer entre i lies ces deux tendances : elles se complètent, en réalité, l’une l’autre. D’autant que le même auteur h s associe plus d’une fois toutes deux. A. Ritschl, Die ehristliche Lehre von der liechtfertigung lùid Ver nung, 2e édit., Bonn, 1882, t. i. p. 4C-47, a déjà fait observer que les Méditations de saint Anselme montrent sous un jour d’expérience et de vie la doctrine abstraite du Cur Drus homo. Il en est de même des lettres d’Abélard par rapport â sa théologie.

Encore plus importants sont les auteurs dont le mysticisme, au lieu de s’affirmer par occasion, constitue, si l’on peut dire, la note dominante. Le plus célèbre et le plus in Huent de tous est saint Bernard. Où pourrait-on, semble-t-il, trouver un témoin plus qualifié de la foi et de la piété médiévales ? Cependant on n’oubliera pas que Luther s’est réclamé de lui et que volontiers les historiens protestants du dogme lui accordent, de ce chef, une place â part comme représentant du i subjectivisme pieux. » Voir R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. m. 2 1’édit.. Leipzig, 1913, p. 127-131.’après Ritschl, op. cit., p. 109-117. Prétention d’où résulte tout au inoins le devoir de consacrer un examen spécial au courant religieux dont la littérature mystique est l’expression.’.'<. l.cs premières synthèses. Car c’est en dehors de lui. d’une manière générale, que l’école entreprenait son œuvre de synthèse.

Le xii siècle a vu naître les premiers essais de Sommes théologigucs ; mais la question de la justification n’y a pas encore de place. Kn vain chercherait-on un traité de la grâce chez Hugues de Saint-Victor, voir t. vii, col. 280. Il n’existe pas davantage dans les

divers ouvrages issus de l’école d’Abélard. tels que la

Summa sententiarum, l’Epitome theologite christianse ou

les Sentences de Roland 1 iandinelli. El rien ne montre mieux que cette lacune de la théologie l’absence

commune de toute préoccupation relative â cet ordre

de problèmes.

Seul Pierre Lombard fait légèrement exception, quand, a propos du premier homme, il réunit quelques i sentences de saint Augustin sur les rapports du

libre arbitre el <ie la grâce des bonnes œuvres, par conséquent, et de la foi dans l’économie du salut. // Sent., dist. l’-l. P. /… t. i soi, col. 701720. Ailleurs, parmi les effets de l’œuvre rédemptrice, J

il fait entrer la justification, /// Sent., dist. XIX, 1, col. 795. Chemin faisant, dans une glose qui devait susciter plus tard beaucoup de commentaires, il semble donner le Saint-Esprit comme principe formel de la grâce sanctifiante, // Sent., dist. XXVI 1, 6, col. 715. Cf. /, dist. XVII, 2 et 18, col. 564 et 569. Par où il a donné une puissante impulsion à l’approfondissement de cette doctrine. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, p. 448, traduction Degert, t. v, p. 178-179.

Mais, dans l’ensemble, ces premiers débuts de la scolastique n’offrent encore, pour la théologie de la justification, que des indications et des éléments dispersés.

Apogée de la scolastique.

Ici encore la situation

reste pour une bonne part la même, et pour les mêmes raisons. Non seulement la justification n’est généralement pas traitée, dans les Sommes, sous forme de problème spécial ; mais les données relatives à la doctrine de la grâce restent le plus souvent éparpillées en divers endroits. Cependant le développement général de la méthode et l’effort de systématisation qui en est le résultat arrivent, ici également, à faire sentir leurs effets.

1. Causes.

D’une part, un des principaux progrès

de la scolastique sur l’ancien augustinisme est la distinction plus nette des deux ordres, naturel et surnaturel. Voir Augustinisme, t. i, col. 2531.

Il devait en résulter un besoin général et croissant de mieux délimiter les rapports entre le premier et le second, d’analyser, par conséquent, la portée de notre libre arbitre et de ses œuvres quant à l’acquisition de la grâce en général et particulièrement de la première grâce. C’est ainsi que le P. Stufler a pu réunir, à travers les écrits de saint Thomas, tous les éléments d’une étude sur sa doctrine de la préparation éloignée à la justification. Zeitschrift fur kalh. Théologie, 1923, p. 1-24 et 161-184. Et l’on en trouverait autant chez les autres scolastiques. D’une manière générale il est reconnu que c’est alors que s’élaborèrent les notions, si importantes pour notre problème, du mérite de condigno et de congruo. Voir Mérite. On commence même à rencontrer en ces matières, autour des certitudes communes de la foi, ces divergences d’école qui ne cesseront plus dans la théologie de la grâce, en connexion avec l’idée qu’on se fait de la chute et de ses conséquences sur les forces de notre nature. Voir Péché originel.

En même temps l’étude de la rédemption devait amener celle de la justification qui en est. le fruit et l’on ne pouvait parler de grâce, dans un siècle d’analyse gagné aux catégories d’Aristote, sans en chercher la nature intime, les relations avec le péché qu’elle fait disparaître, la position ontologique par rapport aux facultés de l’âme et l’influence dynamique sur l’ensemble de notre activité. C’est ainsi que se constitue une technique de l’état surnaturel, dont devait profiter l’étude de l’acte justificateur qui en est le premier moment.

2. Résull it littéraires.

Les matériaux groupés par le maître des Sentences et les commentaires qu’il y ajoute forment ici la première base, sur laquelle le travail méthodique de l’École élèvera peu à peu l’édifice.

Il est déjà très avancé chez Alexandre de Halès, dont l’importance historique, bien mise en évidence par K. Heim, Dus Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1907, p. 35-63, tient à ce qu’il a réalisé, la première et sans doute la plus complète application de l’aristotélisme à cette matière. Cf. Seeberg, Dogmengeschichte, p. 326. Mais ici encore la place d’honneur revient à saint Thomas d’Aquin, à qui les pages consacrées par lui à l’état surnaturel ont mérité, même aux yeux des protestants, d’être

appelé le « docteur de la grâce par excellence ». Harnack, Dogmengeschichte, t. m. 4e édit., p. 621. Ces pages constituent pour nous la meilleure synthèse de la théologie du temps.

3. Résultats théologiques.

Il en résulte pour le problème de la justification un double progrès : progrès formel, par le groupement d’un certain nombre de questions connexes auxquelles chaque docteur devra désormais s’efforcer de rér ondre ; progrès réel parla précision des idées elles-mêmes.

C’est ainsi que le commentaire des Sentences amène saint Bonaventure à disserter de gratinquidditate et de gratia in comparatione ad alium habitum. In II Sent., dist. XXVI et XXVII, édition de Quaracchi, t. ii, p. 630-661, et que saint Thomas consacre à la justifîcatio impii une étude assez poussée parmi les « effets de la grâce ». Sum. theol., Ia-IIæ q. cxiii. De cette technique on retrouve les traces jusque chez les exégètes, témoin le thème classique des « causes de la justification » qui reparaît chez un si grand nombre à partir du xme siècle. Voir Jean de la Rochelle, dans Denifle, op. cit., p. 129 ; Pierre de Tarentaise, p. 149 ; Agostino Trionfo, p. 168 ; Alexandre d’Alexandrie, p. 184 ; Nicolas de Lyre, p. 191, etc.

Trop de facteurs présidaient à ce travail pour que le résultat pût en être uniforme. Aussi bien, en cette matière comme en toutes les autres, voit-on se dessiner, sur le fond commun du christianisme traditionnel, des courants provoqués par les tendances philosophiques et théologiques propres à chaque école. Leur variété et parfois leur hardiesse ont donné le change à certains historiens, qui ont voulu transformer en contradictions ou hésitations sur la foi ce qui n’était que divergence dans les conceptions spéculatives. Mais, à ce point de vue, grand est leur intérêt, puisqu’on en retrouve partout l’influence à pa.tir du xme siècle et jusque dans la rédaction des décrets du concile de Trente.

Pour faire leur juste part à ces divers éléments sans en fausser l’importance respective, il y a donc lieu d’étudier séparément la tradition dogmatique telle qu’elle s’affirme à travers le Moyen Age et les principaux systèmes qui s’efforcèrent en même temps d’en réaliser l’élaboration.


II. Tradition dogmatique. —

Il n’est pas de période qui soit plus sévèrement jugée que le Moyen Age chez les polémistes protestants. Ce serait, dans la doctrine aussi bien que dans la pratique, le règne complet de la Loi et des œuvres au détriment du vrai christianisme. Thomasius, op. cit., p. 432. Et l’auteur d’ajouter, ibid., p. 439-440, que cette décadence était le fait d’une disposition providentielle pour préparer les âmes, par l’expérience de ce nouveau pharisaïsme, à la prédication du pur Évangile que Luther devait leur offrir. C’est dire combien est indéniable, pour qui regarde les faits sans parti pris, la continuité de la tradition catholique à cette époque.

Les protestants ont essayé de s’en consoler en cherchant quelques lueurs jusque dans cette nuit obscure. Et ils ont cru les trouver dans quelques textes où s’affirmerait l’idée de la justification par la seule foi ou de la justice imputée qui en est la conséquence. Ces sortes de dossiers tiennent une place considérable chez les controversistes du xvr’siècle. Voir en particulier H. Hamelmann, Unanimis… consensus de vera justificatione hominis, p. 45-53 et 72-80 ; Gerhard, Confessio catholica, t. II, pars III, art. xxii, c. 3, 4 et 6, Francfort, 1679, p. 1465-1474, 1485-1494, 15161518. Chemnitz écrivait avec une absolue confiance, Loci theologici, pars II ?, De justificatione, C. 4, Francfort, 1653, p. 285 : Particula « sola fide » in articula justipcationis non a nosiris primum excogilata est, sed in iota antiquitale summo consensu in hoc

articulo semper fuit usurpata. Et il se croyait en droit d’ajouler : Veteres in eamdem plane sententiam usurpasse particulam « sola » sicut in nostris Ecclesiis usurpatur.

Mais aujourd’hui les historiens protestants les imins prévenus renoncent à ces sortes d’anticipations. « On s’efforcerait en vain de trouver chez aucun théologien du Moyen Age le concept protestant de la justification, c’est-à-dire la distinction intentionnelle entre justificatio et regeneratio… Si parfois ils semblent parler le langage de la Réforme, c’est dans un tout autre sens, et la tentative de réunir ces expressions au profit de la doctrine réformée, telle qu’elle s’affirme dans Gerhard, est fortement suspecte d’illusion par suite d’observation inexacte. On dit aussi, au Moyen Age, que la foi seule appartient à la justification, que celle-ci est accordée gratuitement, qu’elle n’est pas conditionnée par nos mérites… : mais ce langage recouvre de tout autres conceptions théolo< : iques que les formules similaires des réformateurs. » A. Ritschl, op. cit., t. i, p. 105-107. De tels aveux autorisent à considérer la question comme jugée et permettent, en tout cas, de s’en tenir à une enquête rapide pour constater la permanence de la tradition catholique à travers les sources diverses où la pensée médiévale se montre à nous sous la variété de ses aspects.

Chez les exégètes.

Luther a prétendu qu’il lui

fallut de longues méditations pour trouver le sens de cette « justice de Dieu » qui, d’après saint Paul, Rom., i, 17, est le grand bienfait de la révélation évangélique. Usu et consuetudine omnium doetorum, assure-t-il, doctus eram philosophice intelligere de justifia, ut vocant, formali seu activa, qua Deus est justus et peccatores injustosque punit. A rencontre de cette unanimité, il aurait fini par découvrir le sens tout contraire de ce texte capital : Ibi justitiam Dei cœpi intelligere eam qua justus dono Dei vivit…, scilicet passivam qua nos Deus misericors jusli/ical per fidem. Et cette découverte l’aurait acheminé vers la véritable doctrine de la justification. Préface générale à l’ensemble de ses œuvres écrite par Luther en 1545, Opéra latina var. argum., édit. d’Erlangen, 1. 1, p. 22-23. Cf. Exegelica opéra latina, même édit., t. vii, p. 74.

Or le P. Déni fie, après avoir brièvement relevé cette allégation, Luther und Lutherlum, 1. 1, p. 387-388 et 413-414, trad. Paquier, t. ii, p. 316-318 et 366-367, n’a pas craint de mettre formellement en cause la bonne foi de Luther sur ce point. Pour en faire la preuve.il a publié en volume tout le dossier exégétique relatif à ce texte ou aux textes apparentés, d’après une soixantaine environ de commentateurs qui se succi dent à travers tout le Moyen Age. Ses conclusions ont été aigrement discutées par G. Kawerau, Studien und Kritiken, 1904, t. lxxvii, p. 614-619, et, plus tard par K. IIoll dans la Festgahe consacrée au 70e anniversaire du professeur A. Harnack, Tubingue, 1921, p. 73-92. Quoi qu’il en puisse être de quelques détails, et abstraction faite de ses tendances polémiques, la publication documentaire du P. Déni lie garde toute sa valeur pour montrer que l’unanimité existe en effet, dans l’exégèse médiévale de saint Paul, mais dans le sens exactement opposé à celui que prétendait l’initiateur de la Réforme. Voir l’hommage que lui rend A. Harnack, Dogmengeschichte, t. m. p. 033.

1. Sature de lu justification. Son loquitur hic

(apostolus) de juslitia acquisiia que ex operibus gèneratur, sed loquitur de juslitia infusa que a solo Dca est causaliter effective, que est gratia gratum faciens sive cari tas infusa. Ipsa enim secvndum qmnes a solo Dca creatur… et creando anime injunditur. (’.'est ainsi que s’exprime sur la justice, à propos de II Cor, iii, 9, le viennois Nicolas de Dinkelsbûhl († 1433). Denitle,

p. 246-217. Non moins formel est son contemporain Denys le Chartreux, à propos de Rom., x, 3, Enarr. in Rom., a. 14 : COMMUNITER enim dicunt doctores non esse intelligendum hoc de increata justifia qua ipse in se justus est, sed de justifia quam efficit in nobis per /idem formatam. Opéra omnia, t. xiii, Montreuil, 1901, p. 82. et Déni fie. p. 258.

Un langage aussi ferme atteste que ces témoins du xv siècle sont l’écho d’une longue tradition, dont il est facile, en effet, de vérifier l’existence. Hase est justifia Dei quie, in testamento vetere velata, in novo revelatur, quæ ideo justifia Dei dicitur quod impertiendo eam justos facit, écrit, au IXe siècle, Claude de Turin, précisément sur Rom., i, 17, Denifie, p. 13. Formule qui reparaît chez Rémi d’Auxerre, au xe siècle, ibid., p. 19, et est reproduite par Pierre Lombard, ibid., p. 58. Chez Lanfranc, au xie, la justice signifie également qualiter Deus justos faciat credentes ; Denifie, p. 28. Justifia dicitur quia quos continet justos efficit, dit pareillement Guillaume de Saint-Thierry, au xii e. P. L., t. ci. xxx, col. 557, et Denifie, p. 53. Non qua justus est Deus, précise son contemporain Hervé de Rourg-Dieu, sed qua induit hominem cum jusiificai impium. Denifie, p. 55, et P. L., t. clxxxi, col. 638. Pierre Lombard appuie la même interprétation sur l’autorité de saint Augustin : Non qua Deus justus est, sed qua’homini est ex Deo, id est quam Deus dat homini, Denifie, p. 63, et P. L., t. cxci, col. 1473. Saint Thomas, tout en rappelant d’après l’Ambrosiaster que la justice de Dieu peut désigner ici la fidélité à ses promesses, ne manque pas d’ajouter qu’elle s’entend aussi de justifia Dei qua Deus homines justifical. Denifie, p. 137.

Ces témoignages n’ont pas seulement un intérêt exégétique. En montrant comment le Moyen Age a compris saint Paul, ils attestent aussi que ces divers auteurs se rattachent unanimement à la conception augustinienne, qui fait de la justification une propriété inhérente à l’âme et comme une extension en nous de la sainteté même de Dieu.

2. Conditions de la justification. — Bien qu’elle soit d’origine essentiellement divine, cette grâce requiert le concours de notre volonté. Non quod sine voluntate nostra fiai, sed voluntas nostra ostenditur infirma per legem ut sanet gratia voluntafem, avait dit saint Augustin, De spir. et litt., ix, 15, P. L., t. xi.iv, col. 209. Cette expression est reproduite littéralement par Guillaume de Saint-Thierry, Denifie, p. 54, et P. L., t. clxxx, col. 578, par Pierre Lombard, P. L., t. cxci, col. 1361, et encore, au xve siècle, par Augustin Favaroni, Denifie, p. 229-230. Ailleurs elle est synthétisée en une formule encore plus énergique : Non quod sine Doluntate nostra, sed quod non ex ea, que l’on trouve chez Gilbert (de Saint-Amand ?) au xie siècle. Denifie. p. 33.’Quand ils envisagent la part qui revient à l’initiative divine, nos auteurs font ressortir avec saint Paul, le bienfait de la rédemption et il leur arrive de dire alors que nous ne sommes sauvés que par la foi. Dans ces perspectives dogmatiques, l’expression sola fuie est courante. Voir par exemple l’abbé Smaragde, Coll. in Ep. et Evang., 1’. L., t. en, col. 1 15 et 526 ; Diadema monach., 51, col. 649 : Sedulius Scotus, Coll. in Rom.. iv, P. L., t. ciii, col. 17 : Raban Maur, Enarr, in l-.p. ad Rom., n. P. L., t. < :.i, col. 1313, et Denifie, p. 16 ; Lanfranc, dans Déni lie, p. 29 : saint Bruno, Exp. in Rom., iii, P. L. t. ci.iii, col. 1 1 : et encore, au u f siècle, les Glosulæ Glosularum. Denitle, p. 85. Cette formule, prise la plupart du temps chez les Pères et toujours inspirée de leur langage, n’a pas d’autre portée que chez eux.

D’autant que nos auteurs ont grand soin d’expliquer avec saint Paul qu’ils entendent parler de la

foi seule par opposition aux œuvres de la Loi. Ainsi saint Bruno : Fides sola justificat sine opère Legis, col. 41-42, et Denifle, p. 35-36 ; saint Thomas, In Rom., x, 13, ibid., p. 143 ; Gilbert de Saint-Amand, p. 31 et 32. Quand ils se réfèrent aux conditions subjectives de la justification, la foi est pour eux celle qui opère par la charité Ps. -Gilbert, dans Denifle, p. 41. La foi seule n’est admise que pour le cas des enfants Raoul de Laon, ibid., p. 37. Quant aux autres, ils doivent y ajouter les œuvres ; Glosulæ, p. 85 : Pueris sola fides suffîcil ; si autem uixerint, ornare debent fidem operibus, quia fuies sine operibus mortua est. Cf. Claude de Turin, ibid., p. 13 ; Hayinon, p. 20 ; Thietland, p. 27. Jusiitia. id est exsecutio bonorum operum per quam justitiam habetur salus seterna, précise saint Bruno, ibid., p. 34. et P. L., t. cliii, col. 23. On trouvera toutes ces explications réunies et harmonisées chez Hervé de BourgDieu, Expos, in Epist. ad Rom., i, 16-17, P. L., t. clxxxi, col. 608.

Est-il besoin d’ajouter, puisqu’elles sont subordonnées à la foi, qu’il s’agit d'œuvres surnaturelles ? Tout en reconnaissant que ces vieux exégètes de l'époque carolingienne se rattachent aux principes de saint Augustin en matière de grâce, F. Loofs a parlé à leur sujet de « crypto-semipélagianisme ». Leitfaden der Dogmengeschichte, p. 460-462. Ce reproche tombe devant des déclarations aussi précises et aussi équilibrées que celles de Walafrid Strabon, dont la glose fut le bréviaire de tout le Moyen Age : Justifieari hominem sine operibus legis. Non quin credens post per dilectionem debeat operari… ; sed sola flde sine operibus præcedentibus homo fit justus… et non meritis priorum operum ad justitiam fidei venitur… Bona opéra etiam unie fidem inania sunt. Doctrine que quelques mss. résument en cette formule : Sine operibus præcedentibus, non sequentibus, sine quibus inanis est fides, ut ait Jacobus. Denifle, p. 18, et P. L., t. cxiv, col. 481. Cf. In Jac, ii, 19-21, ibid., col. 674-675. Même précision, à la fin du xiie siècle, chez l’auteur anonyme des Quæstiones super epistolas Pauli, q. 246 : Justitiam per gratiam esse, quia non solum gratia venitur ad fidem, sed etiam post fidem gratia necessaria est, ut fides bonis operibus adimpleatur quorum adimpletio jusiitia dicitur. Denifle ; p. 71. Et l’on explique, au besoin, par l’analyse psychologique comment la foi peut devenir la source de la justice ou de la charité. Voir Ps. -Gilbert, ibid., p. 43 ; Qusesl. lxxxviii et i.xxxix, p. 74 ; Robert de Melun, p.80 ; Pierre deCorbeiI, p.92-93 ; glose anonyme sur P. Lombard, p. 96-37

Jusque dans l’inévitable dispersion de l’exégèse, les éléments constitutifs de la doctrine traditionnelle en matière de justification ne manquent pas de se retrouver.

Chez les scolastiques.

Il n’entrait point dans

l’esprit et les méthodes de l'École d'étudier la justification, ainsi que devait le faire la Réforme, comme le phénomène psychologique par lequel l'âme coupable a le sentiment de retrouver l’amitié de Dieu. C’est sous son aspect dogmatique, c’est-à-dire comme opération de Dieu en nous, que les théologiens l’ont toujours envisagée. A ce titre elle a sa place bien déterminée dans leur synthèse de l’ordre surnaturel.

1. Agents de la justification.

En toute rigueur, la justification étant, dans son acception la plus générale, motus ad justitiam, ce terme pourrait convenir.abstraclion faite de tout péché, au don initial de la grâce, per modum simplicis generationis qui est ex privatione ad jorinam. Mais la langue chrétienne l’applique d’ordinaire au rétablissement de l’amitié divine, secundum ralionem motus qui est de contrario in contrarium et secundum hoc juslificatio importât transmutationem quamdam de statu injustifiée ad slatum justitiæ prædiclæ. Cette analyse de saint Thomas, Sum. theol., I » IL*,

q. cxiii, a. 1, répond à la pensée de toute l'École.

De ce chef, la justification est corrélative à la rédemption. Le premier agent de l’une comme de l’autre est nécessairement Dieu. Car la justification a pour terme la grâce, et la grâce est une réalité intrinsèquement divine. Ibid.. q. cxii, a. 1. De même elle suppose la rémission du péché que Dieu seul peut accomplir. Ibid., q. cix. a. 7. Voir Grâce, t. vi, col. 16331634. C’est pourquoi la justification est une œuvre divine dont l’importance ne saurait se comparer qu'à la création. Ibid., q. cxiii, a. 9.

Néanmoins Dieu a voulu qu’elle nous fût acquise par les mérites du Rédempteur. Saint Anselme avait mis en évidence la nécessité d’une satisfaction poulie péché et la valeur surabondante à cet égard de la mort du Fils de Dieu. Un moment compromise par Abélard, cette base objective de notre salut avait été énergiquement défendue par saint Bernard, et Pierre Lombard avait fixé l’essentiel de la foi traditionnelle en maintenant que le Christ nous a mérité la grâce de notre réconciliation. /// Sent., dist. XVIII, P. L., t. cxcii, col. 792-795. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d'é udes historiques, p. 346-351. Il ne restait plus à l'École qu'à recueillir paisiblement les résultats de la controverse. Ainsi le docteur angélique note-t-il, parmi les effets de la passion, non seulement que par elle nous fûmes liberati a potestate diaboli, mais liberati a peccato, a peena peccati et, d’un mot, Deo reconciliati. IIP, q. xlix, a. 1-4.

C’est pourquoi, lorsque les docteurs commencent à élaborer le schéma des causes de la justification, l'œuvre rédemptrice du Christ reçoit le rang de cause efficiente : per rcdenjptionem tanquam per causam unioersalem et eflicientem. Pierre de Tarentaise, dans Denifle, p. 149. D’une manière plus exacte et plus complète, Jean de la Rochelle précise qu’il s’agit là de la cause -secondaire, la première et la principale étant Dieu lui-même. Ostendil causam efficientem justificationis, que triplex est : principalis sive prima, scil. Deus, que notatur cum dicitur « quem proposuit Deus » ; med.a Christus, que notatur cum dicitur « propitiatorem » e/conj. ncla, cum dicitur « per fidem in sanguine ipsius », id est per fidem passionis ejus. Dans Denifle, p. 129.

2. Nature de la justification.

Tout le monde convient que, pour la scolastique, la justification signifie un changement réel introduit dans l'âme du pécheur. A. Ritschl, op. cit., p. 106. Il n’est pas, en effet, de vérité plus intimement liée à la tradition médiévale. Mais une doctrine aussi centrale, et qui est, à vrai dire, le confluent de toute l’anthropologie surnaturelle, mettait en jeu des éléments tellement nombreux et divers qu’on peut s’attendre à ce qu’elle ne soit pas saisie du premier coup dans toute sa perfection. De fait, un développement s’y manifeste, dont la scolastique du xme siècle représente l’apogée.

a) Première scolastique. — La théologie des xie et xiie siècles reste dominée, dans son ensemble, par un augustinisme des plus rigides.

Un des points qui intéressent la, question présente, c’est que le péché originel y est encoie plus ou moins étroitement' confondu avec la concupiscence. Voir Péché originel, et J.-N. Espenberger, Die Elemente der Erbsiinde nach Augustin und der Frùhscholastik, Mayence, 1905, p. 85-154. D’où non seulement une sorte de tare congénitale qui emporte la dépréciation de la nature humaine et de ses œuvres natives, mais des conséquences sur l’idée même de la justification. Celle-ci ne consiste pas dans la rémission entière de la faute originelle, puisque la concupiscence subsiste toujours en nous, mais dans le fait que ce désordre ne nous soit plus imputé comme coupable.

Hugues de Saint-Victor, qui admet cette conception du péché originel, voir t. vii, col. 276-277, et que la

concupiscence reste un mal que te mariage a seulement pour Imt d’atténuer et d’excuser. De suer.. Il, xr, 7. P. L., I. ci. xxvi, col. 194, n’en étudie pas expressément le rapport avec la grâce de la régénération. Des théologiens de son école le complètent sur ce point, en expliquant que la concupiscence demeure, non tamen ail reatum quia in his qui renati suul non imputatur. Sam. sent., III. ii, ibid., col. 107. Cl. Quiest. in Epist. Pauli, q. 159, P. /… t. clxxv, col. 171-472 : Xon plenarie adhuc ablalus [velus homo), porro secundum reatum originalem ci lato non imputât us ; Robert Pullus, Sent., ii, 27. V. ].., t. clxxxvi, col. 755 : Reatus erg.) originis, licei non habeat undc diluiilnr, luibet unde exeusetur. Voir encore ibid., vi, 1, col., sii : ’, , s(i l : Post baptismam… habet utique (homn peccatum concupiscentiæ et motuum, sed non imputafur. VA l’on voit combien est encore déficient ce concept d’une justification censée compatible avec un reste aussi effectif de péché.

Dans ces conditions, ce n’est plus seulement avant la grâce de la régénération, mais encore après, que l’œuvre humaine est foncièrement imparfaite et inadéquate aux vouloirs divins sur nous. Le contact de saint Paul était bien fait pour développer le pessimisme qui découle des princ pes augustiniens.

Ainsi, par exemple, Hervé de Bourg-Dieu, pour qui cependant universus reatus særamento baptismalis est solutns, appuie-t-il, après l’apôtre, sur le poids de la concupiscence qui ne cesse de peser sur nous, alors même que nous lui refusons notre consentement : Fil ex atiqua porte bonum quia concupiscentiæ malee non consent itur, et ex atiqua porte remanet malum quia eoncupiseitur… Quod donge in nobis eompleatur (ut non concupisceremus) semper nos debemus agnoscere peccatores et in bono imperjecto. Com.in Epist. ad Rom., vn, P. L., t. ci.xxxi. col. 692-693. Aussi insiste-t-il ailleurs ut quidquid habet homo non sibi sed Deo adscribat. ibid., iii, col. 639.

Le pessimisme est beaucoup plus accentué chez l’auteur anonyme de ces Qusestiones in Epistolas Pauli que tout le Moyen Age lut sous le nom de Hugues de Saint-Victor.

Il admet que « Dieu nous défend ce que nous ne pouvons pas éviter » (savoir la concupiscence) « et nous ordonne ce que nous ne pouvons pas accomplir » (savoir l’aimer de tout notre cœur) : en un mol, que, depuis la chute, l’homme reste impolens non concapiseere vel Deam per/eete diligere. Aussi n’y a-t-il pour lui d’autre ressource que de recourir à la miséricorde divine : Quid enjo restât nisi ut homo amplius de se non pro sumeiis ad gratiam Confugiai et dicat : Domine respomie pro me. In Rom., q. 17 : 5, 1’. I… I. clxxv, eo). 471-17.">. Cf. in Gal., q. 47, col. 565. Heureusement nous avons pour suppléer a noire déficit la grâce du Rédempteur : Quod minait agimus ip$e supplet et pro nobis respondet. In Rom., q. 188, col. 17<S. C’est la foi (pu nous l’approprie et Dieu nous l’impute à justice : liens per gratiam suam dot komini /idem, quant item />er eumdem gratiam reputai pro illa perfectione, ac si justifia perfeetionem haberet. Ibid.. q. loi. col 159.

b) Scolasliq’M nu 1 1 / s.iie. Mais l’École n’a pas persévéré dans ces voies où la grâce de la justification tendait : i nous devenir de plus en plus extrinsèque. Elle a progressivement élimine la concupiscence du

concept de péché originel, VOÎr Arcrsnisii. I. i, col., 530-2531, el conçu des lors la grâce comme une

puissance effective de régénération.

De cette Ihéologie plus optimiste sailli Thomas

d’Aqnin est le meilleur représentant. Après l’avoir longtemps ignoré, les protestants oui parfois entrepris de s’en réclamer et luthérien strasbourgeois

du xviie siècle. I (, . Dnrsche, écrivit un volume sous

ce titre tendancieux : Thomas Aquinas eon)essor veritatis evangeliese, Francfort, 1656. La doctrine de la justification y figure naturellement en bonne place, sert. vin. dist. u. p. 495-518, bien que l’auteur, au lieu de citer des preuves directes, ne fasse guère que se référer au témoignage des théologiens nominalisles, p. 512. qui mettaient leurs opinions sous le patronage de saint Thomas.

En réalité, celui-ci conçoit la justification comme une transformation profonde de notre être : transmutatio qua aliquis transmutatui a statu injustitis ad statum justifia per remissionem peeeati. Sum. theol.. D IP, q. cxiii. a 1. l’n peu plus loin, ibid., a. (i, il dislingue dans cet acte quatre éléments logiques : seilieet gratias infusio. motus liberi arbitrii in Deum per /idem, et motus liberi arbitrii in peecatum, et remissio cul pas. Or cette quadruple distinction est un élément traditionnel, qui se rencontre déjà chez Pierre de Poitiers, Sentent., t. III, c. ii, P. 1.., t. c.cxi. col. 1044, et Guillaume d’Auxerre Vo.r R. Seeberg, Dogmengesehiehte. t. iii, p. 422.

La rémission du péché en constitue l’aspect négatif. Car, rendue plus attentive depuis saint Anselme au poids du péché », Cor Deus homo, i, 21, P. L., L ci. viii, col. 393-394, l’École s’habituait à n’en plus considérer seulement la peine, mais aussi la coulpe. Voir Péché. Dès lors, la remissio peeeati, qui autrefois signifiait surtout l’adoucissement de la peine, Richard de Saint-Victor. De pot. ligandi et solvendi, 24. P. L., t. exevi, col. 117(>, s’applique maintenant à l’effacement de la faute, qui doit faire disparait re le désordre constitutif du péché. Et comme celui-ci consiste essentiellement dans une macula inlerior. Alexandre de Halès. Sum. theol., FV », q. i.xx, m. 2. ou encore dans un detrimentum nitoris, S. Thomas. Sum. theol., L II », q. i.xxxvi, a. 1, la rémission du péché doit s’entendre d’un acte divin qui efface la tache contractée et rend à l’âme l’éclat surnaturel que lui procure le rayonnement divin. Voila pourquoi la justification est et doit être, de ce chef, une modification ontologique de notre état spirituel, comme le précise fort bien saint Thomas, ibid., q. cxiii, a. ti : Jastifieatio es quidam motus quo anima movetur a Deo a statu eulpain statum justiliiv. lui quoi le docteur angélique est l’écho fidèle de la théologie du temps. Vote.1. Gottscllick, Zeitsehri/t fur Kirchenæsiiiiiiile. t. xxiir, p. 203-211. et K. Ileim, Dos Wesen der Gnode bei Alexundcr Ilulesius. p. 52-58.

Mai :, la justification comporte aussi le rétablissement de notre dignité surnaturelle. Cet aspect positif est réalisé par l’infusion de la grâce, el la grâce est conçue connue une réalité qui crée ou restaure eu nous la ressemblance de Dieu. Voir Grâce, t. vi, col. 16-12-1615. Qu’il suffise de citer Alexandre de Halès, Sum. theol., lit’, q, i.xi, m. 2, a. 1 : Gratin qua aliquis dieitur esse i/ralus lien neiessurin ponit aliquid bonum in i/rulificato quo est grains Deo : itlud autem quo est gratus Deo est itlud quo est dei/ormis rel ussimilatus Deo. Voir Ileim, op. cit., p. 50-52. Habitas tnfBSUS, enseigne saint Honavenluie en pariant de la grâce par opposition au péché, eoneurrit ad hoe quod fiai morbi curalio et imaginis reformalio. In II Sent., dist. XXVIII, a. 1, ([. 1, édition de Quaracchi, p. 676. Pour saint Thomas également, la grâce de la jusliliealion rentre dans la catégorie de la gratta ijratum læiens. parce que, dit-il, fier hane homo justifieutur et iliijnus elJieitttr voeari Deo i/ralus. Sum. theol.. L 1 1’, q, exi, a. 1, ad l » 1°.

(. Essence de la justification. — Un seul point de

pure spéculation avait suscité quelques controverses

dans l’I'.colc. depuis que P. Lombard avait compris la grâce connue une action directe du Saint Esprit dans l’âme sans intermédiaire créé. Voir ci-dessus 211 ;

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQTJ

2 ils

col. 210’.). Mais la majorité de l’École refusait de suivre te Maître des Sentences dans cette voie.

L’échelle des certitudes à cet égard est bien marquée par saint Bonaventure. II commence par établir quod graliu divina aliquid ponit circa gralificalum sive acceptation. La raison en est que la grâce, qui signifie une disposition bienveillante de la part de Dieu, doit répondre à une réalité et, comme cette réalité, quand il s’agit du pécheur, ne saurait être un changement en Dieu même, il s’ensuit qu’elle doit être un changement dans l’âme du justifié. Cum aliqais de novo incipit approburi vel aeceptari, et nulla cadit mutatio ex parte Dei acceptants vel approbantis, necesse est quad uliqua cadat mutatio ex parte aceeptati et approbati. Sed hoc non est quia aliquid ei aufertur : est ergo mutatio quia aliquod donuin sibi a Deo conjertur. In IV Sent., disl. XXYI, a. unie, q. i, p. 631.

Mais cette réalité est-elle aliquid creatum vel inerealum ? Le docteur séraphique connaît et respecte la diversité des opinions sur ce point : circa banc quæsttonem sapientes opinantur conlrarium sapienlibus. Il faut, d’après lui, tenir pour certain, au nom de la foi et de l’Écriture, que l’on ne peut plaire à Dieu sans le don de la grâce et que celle-ci vient du Saint-Esprit. Quant à la question de savoir s’il faut admettre en outre un don créé, elle relève de la libre discussion. Pour lui, il admet l’existence d’un don créé pour ne pas abaisser le rôle de Dieu : quoniam nec est possibile nec decens Deum esse jormam perfectivam alieujus creaturse. Et il ajoute ce renseignement précieux au point de vue historique, c’est que cette opinion est la plus commune dans son milieu : Doclores enim parisienses communiler hoc sentiunt et senscrunt ab antiquis diebus. Ibid., q. ii, p. 635.

Saint Thomas se rallie à la même conception. A la différence de l’amour humain, qui est provoqué par un objet préexistant, l’amour divin est créateur. Quamlibet Dei dilectionem sequitur aliquod bonum in creatura causatum quandoque, non tarnen dileetioni seternæ coxternum. Et ce « bien » ne peut être qu’une qualité, c’est-à-dire un principe permanent par lequel il est mû vers le bien surnaturel, comme il l’est vers le bien naturel par des formes inhérentes à son être. Crealuris autem naturalibus sic providel ut…etiam largiatur eis formas et virtutes quasdam qu.se sunt principia aetuum… Multo igitur mugis illis quos movet ad consequendum bonum supernaturede aiernum infundit aliquas formas seu qualilates supcrnaturales secundum quàs suaviter et prompte ab ipso moveantur ad bonum œternum consequendum. Où l’on voit que cette conception n’intéresse pas seulement la notion de la Providence divine, mais aussi celle de l’anthropologie surnaturelle. D’autant que cette qualité ne doit pas s’entendre seulement d’une vertu, mais d’une participatio divina naturse. Sum. theol., I » H*, q. ex, a. 1-3.

En vertu du même principe, il s’oppose nettement dans la suite à la conception de F. Lombard. Xullus actus perfecle producitur ab aliqua potentia activa nisi sil ei connaturalis per aliquam formam quæ sil principium actionis. S’il en est ainsi dans l’ordre naturel, l’ordre surnaturel ne saurait lui être inf rieur ; Unde maxime necesse est quod ad actum caritalis in nobis existât aliqua habilualis forma superaddita potentiæ nathrali, inclinons ipsam’ad caritatis actum. IIa-IIæ, q. xxiii, a. 2. Voir de même Qusest. disp., de caritale, a. 1.

De cette controverse et des précisions qui en furent la conséquence il y a lieu tout d’abord de retenir le scrupule avec lequel les docteurs du Moyen Age avaient soin de maintenir la réalité ontologique de la grâce et, par conséquent, de la justification qui en est le point de départ. Elle montre aussi comment l’ÉCole utilisait les cadres aristotéliciens pour exprimer la théologie du surnaturel.

4. Conditions de la justification.

Quoiqu’elle soit un acte proprement divin, la justification n’en demande pas moins une certaine préparation de notre part, dont le même système allait permettre de faire plus rigoureusement la théorie.

a) Nécessité d’un, - préparation humaine. - — Du moment que la grâce est conçue comme une forme, ce que le sens chrétien avait toujours affirmé devient une nécessité scientifique. Car la forme ne saurait être reç-e que dans une matière préalablement bien disposée. Heim, op. cit., p. 69-70. Aussi Alexandre de Halos enseigne-t-il, Sum. theol., II 1, q. xevi, m. 1 : Deus secundum legem communem requirit aliquam pnvparationem et dispositionem ex parle noslra ad hoc quod infundat alicui gruliam. Et ceci est une loi de nature ; car toute infusion de forme réclame, non seulement, à titre éloigné, une possibililas in maleria ail suscipiendam formam, mais encore des dispositiones quæ disponunt materiam ad susceptionem illius formæ. Ibid., I ! l, q. xi, m. 6.

Saint Thomas recueille le même principe, en précisant bien que cette préparation même est l’œuvre de Dieu. Agenr infinitif virtutis non exigit materiam vel dispositionem materiæ quasi prsesuppositam ex alterius causæ actione ; sed tamen oportet quod secundum condilionem rei causandæ in ipsa re causet et materiam et dispositionem debitam ad formam. D’où suit une importante distinction : c’est que la grâce habituelle, étant seule une « forme », demande seule une préparation du côté du sujet, tandis que la grâce actuelle, qui n’est qu’un secours, est due à la seule initiative de Dieu. Sum. theol., I a Ilæ, q. cxii, a. 2.

Cette préparation comporte une action volontaire de notre libre arbitre ; car Dieu meut toujours les êtres suivant leur nature. Et ideo in eo qui habet usum liberi arbitrii non fit molio a Deo ad justiliam absque motu liberi arbitrii, sed ita infundit donum gratiie justificantis quod etiam simul cum hoc movet liberum arbitrium ad donum gratine acceptandum. S. Thomas, ibid., q. cxiii, a. 3. Le premier mouvement du libre arbitre est de se tourner vers Dieu par la foi ; mais, sous peine d’être stérile, la foi doit être informée par la charité. C’est pourquoi elle s’accompagne d’un cortège d’autres vertus : crainte de Dieu, humilité, charité pour le prochain, contrition pour les péchés commis, ibid., a. 4-5. En un mot, toute l’activité morale de l’homme est requise pour attirer en lui le don divin.

b) Videur de lu préparation humaine. — D’où surgit la grosse question de savoir quelle est la valeur de nos actes humains en regard de la justification. L’École a connu l’adage traditionnel : Facicnli quod in se est Deus non denegat gratiam, qu’Alexandre de Halès semble rapporter à Origène, Sum. theol., IIP, q. lxix, m. 1, a. 1, et a pris soin d’interpréter : ce qui l’amenait à préciser la relation de nos œuvres naturelles par rapport à la grâce.

On avait pu reprocher à Abélard d’enseigner quod liberum arbitrium per se sufficit ad aliquod bonum, Denzinger-Bannwart, n. 373, voir Abélarp, t. 1, col. 47, et saint Bernard trouvait en lui comme un relent de pélagianisme. Epist., cxcii, P. L., t. clxxxii, col. 358. Par réaction, Pierre Lombard avait inséré dans ses Sentences nombre de textes de saint Augustin sur l’impuissance du libre arbitre et la nécessité de la grâce prévenante. II Sent., dist. XXVI, P. L., t. exen, col. 709-714. Mais il s’agissait de concilier ce principe avec cet autre non moins certain que la première grâce comporte et appelle même une préparation. L’École a utilisé pour cela la distinction entre le mérite de condigno et de congrue Voir Mérite,

Il est évident que la justification ne saurait être l’objet d’un mérite de condigno, qui suppose la grâce ; mais elle peut être méritée de eongrao. Chez les pro 2119 JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQUE 2120

testants, on a souvent donné cette doctrine comme caractéristique de l’école franciscaine. R. Seeberg, op. cit., p. 415. De fait, Alexandre de Halès est formel là-dessus, Sum. theol., II a, q. xcvi, m. 1 : Noluit dure graliam nisi prseambulo merilo congrui per bonum usum naturee. Ce qu’il précise ailleurs en ces termes, III a, q. i.xix, m. 3, a. 3 : Non præcedit gratiam ut meritum seu meritoiïe… ; prævenit tamen actio illa gratiam ut disponens ad illam… Non præcedit ipsam sicat causa gratiæ sed sicut dispositio habiliians ad recipiendam graliam. Cꝟ. 111% q. lxi, m. 5, a. 3, et IV a, q. xvii, m. 5, a. 2. Voir Heim, op. cit., p. 71-74. Saint Bonaventure admet, lui aussi, le meritum congrui, comme étant aliqua dispositio congruitatis respectu cjus ad quod illa dispositio ordinatur, In II Sent., dist. XXVII, a. 2, q. 2, p. 6C5, et ne craint pas de l’appliquer aussitôt a la première grâce : Et sic peccator per bona opéra in génère facta extra carilatem meretur de congruo primam gratiam. Cf. ibicl., dist. XXIX, a. 2, m. 2, p. 703.

Mais on aurait tort d’imaginer, comme le font Seeberg, ibid., p. 415-416, et A. Harnack, Dogmengeschichte, t. iii, p. 643, une opposition de saint Thomas sur ce point. Le P. Stufler a pris soin de réunir, Zeitscliri/t fur kath. Théologie, 1923, p. 161-184, tous les textes où ce dicteur s’explique surla préparation loinlaine de la justification. Il résulte de cette enquête que saint Thomas admet l’adage Facienti quod in se est dès son Commentaire sur les Sentences, In II Sent. dist. XXVIII, q. i, a. 4, Opéra omnia, t. viii, p. 381, et qu’il le conserve encore dans la Somme théologique, I" II*, q. cxii, a. 3, en marquant bien qu’il s’agit d’un mérite de convenance : Yidetur enim congruum ut homini operanli secundum suam virtutem Deus recompenset secundum e.rcellentiam suse virtutis. Ibid., q. exiv, a. 3.

c) N iture des icwres préparatoires. - - Encore peut-on se demander s’il s’agit d’œuvres préparatoires purement naturelles. Ainsi l’entendent volontiers les historiens protestants, qui reprennent à ce sujet leurs accusations familières. Il ne s’agirait pas seulement d’un « erypto-semipélagianisme », mais d’un véritable « néo-pélagianisme ». Loofs, op. cit., p. 539-547. A. Harnack parle également de « semipélagianisme » à propos de P. Lombard, op. cit., p. 619, et laisse entendre dans la suite que le même reproche pèse à bon droit sur ses successeurs, ibid., p. 621-623 et 644, y compris Scot, bien entendu, mais encore saint Thomas, p. G50-054. D’autres ont rendu meilleure justice à la pensée médiévale et reconnu que tout le processus de la préparation à la grâce s’accomplit lui-même sous l’action d’une première grâce. Seeberg, op. cit., p. 404-405, 415-417, et Heim, p. 117122.

Ainsi Alexandre de Halès s’approprie ce mot de saint Augustin : Ipse ut velimus operatur incipiens qui volentibus cooperatur perficiens, qu’il commente de la sorte : Dicendum juxla auctoritates sanctorum quod liberi arbitrii conatus ad bonum otiosi sunt si a gratia non adjuvantur, nulli si a gratia non excilantur. Et parmi ces auctoritates, il se réclame, outre saint Augustin, de saint Anselme et de saint Bernard, à qui tes derniers mots sont empruntés. Sum. theol., III », q. lxix, m. 1, a. 2. Cf. S. Bernard, De gratia et libero arbitrio, xiii, 42, I’. I… t. clxxxii, col. 1021. Saint Bonaventure cite également le même texte, In II Seul., dist. XXVIH, a. 2, q. 1, p. 682, dont il adopte formellement la doctrine : Sine hac (gratia gratis data) concedendum est libcrum arbitrium nunquam sufficienter disponi nec posse se disponere ad gratiam gratum facienlem. Cf. In IV Sent., dist. XVII, pars i, a. 1, q. 2-3, et a. 2, q. 2-3, t. iv, p. 121-122 et 428-430. Voir également le petit irai lé De gratia et jusiifleatione hominis du franciscain Robert Grossetête, qui se I

résume en cette thèse : Nullum est bonum quod ipse (Deus) non velil esse, et ejus velle est jacerc ; non est igitur bonum quod ipse non facial…, sali’o tamen jure liberi arbitrii quod in homine creauit. Publié par Ed. Brown, Appendix ad fasciculum lerum expelendarum et fugiendarum, Londres, 1690, p. 282.

Dans ses écrits de jeunesse, saint Thomas d’Aquin ramenait volontiers cette grâce excitante, soit aux événements providentiels de la vie, soit au libre arbitre lui-même, qui est en nous un don de Dieu : Islam gratiam (gratis datam) ponere non videtur necessarium, nisi ipsa libertas arbitrii gratia dicatur, quæ procul dubio nobis a Deo est, vcl aliquie occasiones quæ quandoque dantur hominibus a Deo ad conversionem. In II Sent., dist. V, q. ii, a. 1, t. viii, p. 80. Cf. ibid., dist. XXVIII, q. i, a 4, p. 380-381 ; In I Sent. dist. XVII, q. a, a. 3, t. vii, p. 219 ; In IV Sent., dist. XVII, q. i, a. 1, sol. 4 et a. 2, sol. 2, t. x, p. 470172 ; De veritate, q. xxiv, a. 15, t. xv, p. 235.

-Mais, dans la suite, il précise que nos bons mouvements intérieurs procèdent d’un secours divin spécial. Quodl., i, a. 7, t. xv, p. 364, et In Rom., x, lect. iii, t. xx, p. 531. C’est cette doctrine qui est fixée dans la Somme théologique, I » -IIæ, q. cix, a. 6 : Ad hoc quod se præparet homo ad susceptionem (gratia’habitualis), … oportet præsupponi aliquod auxilium gratuitum Dei intrrius animam moventis sire inspirantis bonum propositum. Cf. ibid., a. 2-3 et q. exiv, a. 5. Sur son évolution à cet égard, voir Stufler, loc. cit., p. 161-184, qui ne craint pas de dire, p. 180, après Scheeben, Handbuch der kath. Dogmatik, Pribourg-en-B., 1878, t. il, p. 413, que le docteur angélique a commencé par se mouvoir « dans une ligne qui se rapproche notablement des erreurs semipélagiennes. ».Mais, au terme de sa pensée, la lumière s’est faite dans son esprit sur le caractère entièrement surnaturel des œuvres qui préparent le pécheur à sa justification, et c’est pourquoi F. Loofs lui fait la grâce de ne lui imputer qu’un « erypto-semipélagianisme. op. cit., p. 552. Ce qui est une manière embarrassée de reconnaître que saint Thomas est l’interprète correct et mesuré du catholicisme traditionnel. En quoi d’ailleurs on a pu voir qu’il est substantiellement d’accord avec toute la théologie de son temps. Voir les textes réunis dans Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 109-175, et Augtjsti NISMK, t. I, col. 2.~>.">.~).

Ici encore l’aristotélisme fournissait ses cadres aux docteurs chrétiens. Quand il veut préciser le rapport exact de nos œuvres à la première grâce, Alexandre de Halès parle de disposition, Sum. theol., IIP, q. lxix, m. 3, a. 3 : Prsevenit actio illa gratiam ut disponens ad illam. Ce qui s’entend au sens d’une disposition matérielle, comme de celui qui en se tournant vers le soleil se met en mesure de recevoir sa lumière. Ibid., m. 5, a. 3. Voir Heim, p. 115-116. Or saint Thomas, au moment où il accorde le plus à la nature, ne parle pas un autre langage : Sicut enim natura humana se habet in potentia materiali ad gratiam, ita actus virtutum naturaliùm se habent ut dispositiones materiales ad ipsam. In II Sent., disl. XXVIII, q. i, a. I. Aussi n’y a-t-il en définitive, entre nos dispositions et le don de la grâce, aucun rapport de nécessité, niais seulement un lien extrinsèque fondé sur l’immutabilité de la Providence divine. Sum. theol., Ia-IIæ, q. cxii, a. 3. Ce qui rentre encore dans le système aristotélicien : l’.tiam in rébus naturalibus dispositio materise non ex necessitute consequitur jonnam. nisi per virtutem agentis qui dtspbsitionem causal. Ibid., ad 3wn.

.’! " Chez les mastiques. - Au milieu d’un ensemble doctrinal aussi nettement caractérisé les mystiques feraient-ils exception ?

Renouvelant la tactique de Tertulllen, déjà les anciens protestants en appelaient à l’âme naturel

lement chrétienne » du Moyen.Age, lorsqu’elle ne s’exprime pas en discussions d'école mais s'épanche en sentiments pieux devant les grands problèmes de la vie et de la mort. Voir Chemnitz, Examen concilii Trid., pars I a, De justifie, Francfort, 1596, p. 144 : …Doctrinam nostram de justificatione habere testimonia omnium piorum qui omnibus temporibus fuerunt, idque non in declamatoriis rhetoricationibus, nec in oliosis dispulationibus. sed in seriis exercitationibus ptenitentiæ et ftdei. Cf. Loci theol., pars II 3, De justif., ci, Francfort, 1653, p. 227 : … quando conscientia sensu peccati et iræ Dei pressa quasi ad tribunal Dei rapta est. Des théologiens modernes entretiennent encore à cet égard la même confiance. Thomasius, op. cit., p. 432, et Harnack, op. cit., p. 346-347. Tandis, en effet, que la théorie exigeait pour le.salut les mérites et les œuvres de l’homme, la piété tendait à s’appuyer sur la seule miséricorde de Dieu. Mais un examen objectif des textes invoqués s’oppose au parti qu’en veulent tirer les protestants.

1. Saint Anselme.

Comme preuve de cette tendance, on aime citer la célèbre exhortation où saint Anselme invite le pécheur mourant à s’abriter derrière la mort du Christ. In hac » OLA morte totam ftduciam tuam constitue, in nulla alia re fuluciam habeas. Adm. morienti, P. L., t. ci.vin, col. 686.

Lui-même exprime pour son compte personnel, en termes des plus pathétiques, la terreur que lui causent ses péchés à la pensée du jugement, et il n’a plus d’espoir qu’en Jésus. Quid est enim Jésus nisi Salvator ? Ergo, Jesu, propter temetipsum esto mihi Jésus… Rogo, piissime, ne perdat me a iniquitus quod fecit tua omnipotens bonitas. Médit., ii, ibid., col. 725. Et encore, Médit., iv, col. 740 : Cum respicio ad mala opéra quaoperatus sum, si me judicare vis secundum quod merui. cerlus sum de perditione mea ; cum vero respicio ad mortem tuam quam pro redemptionc peccalorum passus es, non despero de misericordia tua. Mais il faut aussi tenir compte qu’Anselme ajoute aussitôt : Unum tantummodo est quod vis… ut de malis noslris pœniteamus et in quantum possumus emendare curemus. Cf. Merf17., iv, col.730, où il exhorte le pécheur aux œuvres réparatrices par cette assurance : Secundum eamdem justitiam qua persévérantes in meditia punit (Deus), resipiscentes a malis bonaque opéra jacientes œlernu mercede rémunérât.

C’est dire que les sentiments d’entier abandon au Christ dont débordent ces textes, ainsi que les Méditations ix-xi, ibid., col. 749-769, s’entendent sous le bénéfice de notre lo aie collaboration et qu’Anselme est bien toujours le même docteur qui demande pour bénéficier de l'œuvre rédemptrice qu’on se l’applique sicut oportet. Cur Deus homo, ii, 20, ibid., col. 429. 1 arce que cette application est toujours imparfaite, il y a lieu de ne pas compter sur ses propres mérites ; mais elle n’en est que plus nécessaire pour cela. Le mysticisme chez Anselme vient suppléer le déficit de notre œuvre morale, non supprimer celle-ci, et il ne s’en reprocherait pas l’insuffisance s’il ne la tenait pour indispensable. En quoi il associe très heureusement cette part de Dieu et de l’homme que l'Église ne voulut jamais séparer.

2. Saint Bernard.

Il en est de même chez le mystique par excellence du Moyen Age, savoir l’abbé de Clairvaux, dont l’autorité fut si grande en son temps et l’influence si considérable dans la suite.

Aucun docteur médiéval n’a été davantage exploité par les protestants. Luther invoquait déjà son patronage contre Cajétan, Acta augustana, 1518, dans Opéra latina var. argum., Erlangen, 1865, t. ii, p. 381-383. Jusque dans les temps modernes, ce ne sont pas seulement des théologiens, comme Thomasius, op. cit.. p. 135-137, qui le veulent inscrire au Catalogua te

iium verilatis, mais des historiens qui découvrent en lui des pensées parallèles à celles des réformateurs. Loofs, op. cit., p. 524-525, après Ritschl, op. cit., p. 112-115, et Theol. Studien und Kritiken, 1879, p. 317-331.

a) Nature de la justification. — Quelques textes de lui, qui semblent ramener la justification à la simple non-imputation des péchés, ont été discutés à l’art. Bernard (Saint), t. ii, col. 777-778. Il en résulte que saint Bernard ne conçoit pas la justification du pécheur sans la communication intime d’un don divin qui sanctifie et régénère son âme. Aux passages cités on ajoutera le beau parallèle qu’il établit entre l’action du premier et du second Adam, pour montrer que la justice de celui-ci a pu et dû devenir nôtre, plus encore que la faute de celui-là : Justum me dixerim, sed illius justitia… Quæ ergo mihi justifia fada est(l Cor., i, 30) mea non est ? Si mea trad.cta culpa, cur non et mea indulla justitia ? Tract, de err. Abœlardi, vi, 16, P. L., t. clxxxii, col. 1066.

Les endroits où Bernard paraît tenir un langage contraire s’expliquent par ces réminiscences bibliques dont son style est toujours rempli et aussi par la tournure mystique de son esprit, qui le porte à marquer, soit pour rappeler l’homme à l’humilité, soit pour rendre à Dieu ce qui lui est dû, que la grâce, loin d'être un produit de notre nature, lui est en somme étrangère tout en devenant sienne.

b) Conditions de la justification. — Cette même tendance se retrouve en ce qui concerne les conditions du salut.

A n’en pas douter, saint Bernard aime dire, avec saint Paul, que nous sommes justifiés gratuitement par la foi. In festo Annunt., serm. i, 3, t. clxxxiii, col. 384. II ajoute même une fois que c’est par la foi seule. In Cantica, serm. xxii, 8, col. 881. Et il ne semble pas moins catégorique pour exclure nos mérites : Non est quo gratia inlret ubi jam meritum occupavit… Nam, si quid de proprio inest, in quantum est gratiam cedere illi necesse est. Deest gratia' quidquid meritis députas. Ibid., serm. lxvii, 10, col. 1107. Mais l’orateur de continuer tout aussitôt par ces paroles qui donnent la clé de sa pensée et que les protestants oublient trop souvent de reproduire : Nolo meritum quod gratiam excludat. C’est dire que l’abbé de Clairvaux a ici en vue un mérite qui serait l'œuvre naturelle de l’homme. Mais condamner, avec saint Augustin et toute l'Église, le mérite qui exclut la grâce, n’est-ce pas déjà sousentendre qu’avec la grâce le mérite devient possible et nécessaire ?

Saint Bernard s’en explique formellement dans un sermon voisin, où sont équilibrées en ingénieuses antithèses les doubles données de ce problème : Sujficit ad meritum scirc quod non suffeiant mérita. Sed, ut ad meritum satis est de meritis non præsumere, sic carere meritis satis ad judicium est… Mérita proinde habere cures ; habita, data noveris… Perniciosa paupertas penuria meritorum ; præsumptio autem spiritus, fallaces divitise. Félix Ecclesia, cui nec meritum sine prœsumptione, nec præsumptio absque meritis deest. In Cantica, serm., lxviii, 6, col. 1111. Cf. De gratia et lib. arbitrio, xiii, 43. et xiv, 49-51, t. clxxxii, col. 1024 et 1028-1030. L'évidence de ces textes finit par s’imposer aux plus impartiaux des protestants eux-mêmes, qui reconnaissent que, pour saint Bernard, la grâce appelle le mérite, loin de l’empêcher. Deutsch, art. Bernhard, dans Realencyclopàdie, t. ii, p. 635. Il n’est pas jusqu'à Ritschl, op. cit., p. 111, qui ne soit obligé d’admettre que les principes fondamentaux de saint Bernard sont parfaitement catholiques.

Aussi l’abbé de Clairvaux réclame-t-il pour le salut la foi au rédempteur, mais une foi qui se développe en charité. Ni.m nec Spiritus datur nisi credentibu*….

ncr /ides valet si non operetur ex dilectione. Epist., i.vn, 9, ibid., col. 217. C’est-à-dire que la loi comporte tes œuvres, sous peine d’être morte. Tract, de moribus et offlcio tpise., iv, 1 i. ibid., col. 619. Cf. in tempore rrectionis, serin, ii, 1-3, t. CLXxxiii, col, 283-284 : Pidei vitam opéra aUestantw… Fidei vilain… in charitatf conslituitqui fldem perdilet lionem perbibuit operari. Voir encore De diversis, senn. xlv, 5, col. 668-669 ; /// cantica, serm. xxiv, 7-8, col. 897-899 ; senn. xi.vm, 7. col. 1015 ;.serin, i.i. 1-1. col. 1025-1027. Ailleurs le ne me docteur a des avertissements sévères et pathétiques à l’adresse des chrétiens qui abusent de la confiance en Dieu sous prétexte de leur baptême : Vereor ne dore mm (fiduciam) incipiant in occasionem carnis, bkmdientes sibi plus quam oporteat sine operibns de baptismo et credulitate. In Ase. Domini, serm. i, 2, col. 300.

ïl reste d’ailleurs que nos œuvres sont toujours insuffisantes et qu’il y a lieu de nous confier à la miséricorde divine plus qu’à nos propres mérites. Meum proinde meritum miseratio Domini. In canlica, senn. i.xi..">. col. 1073. Cf. In via. Nat. Domini, senn. ii, 4, et senn. v, 5, col. 92, 108 ; In Ps.xc, serm. i, 1 : ix. L-5 ; XV, 54 xvi, 1. col. 187. 216-218, 2-16 et 217..Mais il n’en est pas moins vrai que ceux-ci sont possibles et nécessaires moyennant la grâce divine. On les voit réclamés dans ce sens jusque dans le célèbre passage dont se prévalait Luther, In Annunl.. serm. i, 1-2. col. 383 : Necesse est primo cmnium credere quod remissionem peccalorum haàere non jinssis nisi per indulgentiam Dei : deinde quod nihil prorsus liabac queas operis boni, nisi et bac dederil ipse ; pvstremo quod aeternam vitam nullis potes operibus promereri nisi gratis libi detur et illa… Neque enim talia sunt bominum mérita ut propterea vHa seierna debeatur ex jure… Nam, ut taceam quint mérita omniu dt, na Dei SUnl…, qui// sunt mérita omnia ad lantum gloriam ? Cf. De diversis. senn. xxvi, 1 : Qu.idqv.id in aliis minus bubemus, (restât) de ea (bumilitate) sup/dere, col. 610.

Tout ce qu’on peut dire, c’est que, moraliste e( mystique, saint Bernard éprouve le 1 esoin de souligi < r plus souvent et en termes plus vifs que les purs spéculatifs les limites de l’œuvre humaine, en la ramenant à sa source divine et accentuant son insuffisance notoire. Ce que ces derniers énonçaient en quelques lignes didactiques prend chaleur et vie sur ses lèvres d’orateur. Mais les principes sont de part et d’autre les mêmes : savoir la double obligation indissoluble d’une bonne volonté sincère et d’une non moins sincère humilité. C’est sur eux que tout le christianisme est bâti eL les docteurs du.Moyen Age en ont respecté l’harmonie, tout en portant de préférence leur attention sur l’un ou l’autre de ses aspects.

Il n’est pas jusqu’à l’École elle même où le mysticisme ne trouve marquée sa place légitime. Car non seulement le mérite y est toujours rapporte- à la grâce, mais on en souligne l’inévitable déficit. Tel est le sens évident de la doctrine classique, si souvent mal comprise, aux tenues de laquelle notre justification

demeure toujours incertaine ici-bas. Humus de Saint Yiclor n’admet, a cet égard, qu’une suinta queedam

priesiun) Ho, De suer., I. [I, pars m. 2. P. /… i. < i xxvi,

col. 555, et tout de même saint Bernard, In Septuag*,

serin, i. 12, P. L., t. CJ xxxiii, col. 1 63.’tous le-, grands

scolastiques sont d’accord sur ce point : pour les réfié renees. voir art. GBACE, t. VI, col. 1617-1618. C’est

dire que la doctrine catholique des ouvres n’a lien

d’incompatible, ni en thé >ie ni en pratique, avec cette

défiance de soi et ces.sentiments d’humilité dont les

tiques se QrenI toujours les échos.

. Mystiques postérieurs. Sur (cite littérature

mmenee et mal connue il nous faut au Rioill ! fier

i ( oup d’oeil.

n) Prétentions protestantes. Depuis que Luther s’est réclamé de la Théologie germanique, éditée par ses soins en 1516, il lut longtemps à la mode de chercher parmi le-, mystiques du bas Moyen Age les ancêtres, sinon les inspirateurs, île la Réforme.

Spi ncr recommandait fort aux polémistes < !. son temps l’élude de cette cujas nuthoribus

Megalànder noster Lulherus majore ex parle faclus est. theol., 1. I. c. n. a. l. n. 19, Francfort, L709, p. 270. Tailler lui inspirait une particulière confiance, Theol. Iicdenl.cn. t. i, c. i, sect. 67, Halle. L702, p. 313314. Cꝟ. 1. III. p. 71 I et 828 ; I. IV, p. 67. Le fait, la Théologie germanique jouit de nombreuses éditions et traductions qui attestent son immense popularité. Voir Theologia deulsch, édit. Fr. Pfeiffier, Stuttgart, 1855, p. x-xviii. Et l’on parlait volontiers encore, au milieu du XIX’siècle, de réformateurs avant la Réforme >. Ainsi C. Ullmann, Re/ormatoren vor det Reformation, Hambourg, 1841-1842, où. avec les théo-Iogi < us a tournure mystique tels que Jean de Goch et Wcsscl. sont exploités les mystiques proprement dits, les uns et li —, autres spécialement pour leur opposition au « pélagianisme catholique et leurs appels à la loi qui justifie. Vue générale dans A. Harnack. op. cit., t. 1 1 1. 1 1. I’< 1 -4 "> I.

b) Discussion. Ces prétentions sont aujourd’hui n connues sans fondement.

Non pas que li mysticisme n’ait parfois pris au coins du Moyen Age uni’tournure désordonnée, oit l’union à Dieu tendait à supprimer l’action morale de l’homme, où l’assurance du salut inspirée par la foi au Rédempteur se développait en antinomisme et parfois en véritable immoralité. Dciizinger-Baimwart, n. 472-473 et 171). Voir Béghabds, t. u. col. 531-534 ; Fjbèbes ne 1 11 : 1 : 1 esprit, t. vi. col. 800-809. Parmi les propositions de maître Eckart condamnées par Jean XXII. quelques-unes manifestent à l’égard des œuvres humaines une indifférence plus quc suspecte. Benzinger-Bamrwart, n. 504-506, 514-519. Voir Eckaht, t. vi. col. 2062 2079, et P. Pourrai. La spiritualité chrétienne, I. ri, Le Moyen Age, Paris, 1921, p. 339-378. Mais l’Église ne saurait être tenue pour responsable de déviations qu’elle a condamnées, ni la mystique médiévale de tendances contre lesquelles dans son ( nseinble elle a réagi.

Seules les préventions invétérées de la Réforme contre la piété catholique expliquent qu’on ait voulu tain état des formules d’humilité qui parsèment, par exemple, les colloques de saint François d’Assise ou les sermons de saint Antoine de Padoue, que saint Bonaveiilurc ait paru exceptionnel pour les élans d’amour et de confiance au Christ Sauveur qui s’affirment dans ses écrits mystiques.

Chez Tauler comme chez saint Bernard. A. Ritschl reconnaît, « Pcit., p. 120-121, « l’originalité du catholicisme latin, savoir l’appréciation des bonnes œuvres comme mérites et la neutralisation de ces mêmes œuvres par la considération de la grâce, i et il ajoute avec raison que ce dernier sentiment n’est possible que chez Ceux-là seulement qui se sont acquis des mérites Le premier tort de Spener, à son sens, est de considérer comme une exception cet abandon à la grâce qui est une des directions normales de la pensée catholique. I u second i n découle, celui d’assimiler ce mysticisme

a la justification luthérienne qui en est profondément différente. Car Luther exclut tout mérite, tandis que’I aider, comme les autres ascètes et mystiques du Moyen Age, quand il suggère de renoncer a la valeur de uns mérites, s’adresse a des chrétiens avancés eu sainteté (t par là-même précisément chargés de mérites. » Il Suffit de ces observations pour annuler le dossier repris encore une fois par Alph. Yict. Muller,

J.ullier und l’aulcr. Heine. 1918, p. (i.’i K8.

  • 26

L’existence de prétendus « réformateurs avant la

Réforme » est due à la même illusion d’optique. Fr. Pfeifïcr, op. cit., p. xxiii, déclare expressément, contre l’ilmann, op. cit., t. ii, p. 251-256, que « la Tlicologie germanique n’a rien de protestant. > Et il en faut dire autant desautresmystiqu.es. Aucun d’entre eux, pas même Wesscl, constate mélancoliquement Thomasius, op. cit.. p. -139, n’a saisi la doctrine de la justification dans sa pleine pureté. Pour l’ilmann luimême, op. cit., t. i, p. 90, « la doctrine de la justification par la foi ne se présente pas encore chez Goch comme le point central qui domine tout, ainsi qu’elle le sera chez les Réformateurs. » Et Ritschl, op. cit., p. 132, a beau jeu de lui opposer que les extraits qu’il en donne, t. i. p. 77-79, parlent de la grâce comme de l’amour de Dieu infusé en nos âmes et devenant le principe de nos œuvres saintes, c’est-à-dire qu’ils reflètent la pure doctrine catholique de la sanctification.

Chez Wessel également, « on rencontre la même double direction que chez tous les théologiens pratiques du Moyen Age, savoir que la justification rend les mérites possibles et qu’on doit en faire abstraction pour s’abandonner à la grâce de Dieu. » A. Ritschl, op. cit., p. 129-130. Et l’auteur de faire plus loin, p. 132-133, la même démonstration pour Savonarole, WicJef et Jean Hus, dont les protestants se sont tant de fois réclamés. Quoi qu’il en soit des hardiesses de leur pensée sur d’autres points, leur doctrine de la justification ne sort pas de la ligne catholique. Voir dans le même sens Loofs, op. cit., p. 636 et 658.

r) Pessimisme des mystiques. — Il n’est pas douteux cependant que les mystiques en général étaient portés à déprécier l'œuvre de l’homme au profit de la grâce de Dieu. Quelques-uns ne semblent pas, à cet égard, avoir échappé à toute exagération.

Témoin libertin de Casale. qui parle ainsi de luimême : « Le Seigneur l’a relevé de ses chutes presque malgré lui. Il ne pouvait rien de lui-même, le péché lui commandait en maître. Aussi ne songe-t-il pas à s’attribuer le mérite du peu de bien que Dieu lui a permis de faire : tout l’honneur en revient au divin Maître, qui aime à manifester sa toute-puissance et sa miséricorde inlassable en faisant coopérer à sa gloire même les plus méchants. » Autobiographie spirituelle. analysée dans P. Callacy, Étude sur Ubcrtin de Casale, Louvain. 1911, p. 14. Sur quoi le biographe de remarquer : « libertin suit en tout point la théorie de l’impuissance pratique de l’esprit humain en face de la chair et du péché qui l’habite exposée par saint Paul, Rom., vii, 20 sq. »

On trouverait sans doute bien d’autres passages de ce genre et ce mysticisme, plus ou moins associé aux théories augustiniennes de la concupiscence, atteste l’existence d’un courant pessimiste qui n’a jamais cessé dans l'Église et qui a pu entraîner parfois quelques écoles ou quelques individus à de véritables excès. Mais il serait non moins excessif de transformer en doctrines arrêtées ce qui n'était que de simples tendances, et ces poussées extrêmes ne doivent pas, au demeurant, donner le change sur les perspectives de l’ensemble. Ces tableaux poussés au noir de la misère humaine ont leur contre-partie dans ce que d’autres mystiques moins sombres, et souveut les mêmes, nous « lisent de la noblesse et de la puissance d’une âme régénérée par le Christ.

Au Moyen Age comme auparavant, et chez les mystiques non moins que chez les théologiens, il reste vrai que « l’appel à la grâce et le renoncement au mérite s’associent dans l'Église catholique avec le souci d’une conduite correcte. > Et loin de présenter un caractère exceptionnel, cette association constitue, « dans un certain sens, un des traits perpétuels et caractéristiques du catholicisme romain. » A. Ritschl, op. cit.,

p. 135. Pour la preuve, voir le dossier liturgique réuni dans Denifle, trad. Paquier. t. ii, p. 327-303, avec les commentaires extraits des auteurs du Moyen Age qui en font déjà ressortir la valeur.


III. Systèmes d'école. Ces données tradition nelles communes à tous soulèvent cependant bien des problèmes auxquels l’esprit spéculatif du Moyen Age ne manqua pas de s’appliquer et qui reçurent, comme il arrive à peu près toujours, des réponses diverses en fonction des prémisses rationnelles adoptées par chaque école.

École thomiste.

De toutes la plus connue est

l'école thomiste, qui s’est tellement incorporée avec la théologie moderne que beaucoup n’en soupçonnent pas d’autre. Il sullïra d’en rappeler ici les principaux traits d’après l’enseignement de saint Thomas.

Son caractère dominant est d’accorder à la grâce son maximum de réalisme et de l’encadrer dans les catégories du système aristotélicien. Le plan divin du salut consistant dans la régénération spirituelle de l’humanité, la grâce est et doit être aliquid in anima, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ex, a. 1, c’est-à-dire une réalité qui se caractérise par une participation d’un ordre absolument surnaturel à la divinité. En raison de cette surnafuralité essentielle, la grâce ne saurait être en nous une substance, mais seulement 'forma accidentalis ipsius anima-, forme d’ailleurs permanente, qui dépasse la simple « vertu » et répond à la catégorie de la qualité : Gratin redui -itur ad primam speciem quulitatis, nec tamen est idem quod virlus, sed hubitudn qua-dam quas præsiipponitur virhilibus in/usis. Ibid., a. 2 et 3.

De ce chef, sa place est dans l’essence de l'âme, d’où son influence s’exerce ensuit.' sur nos diverses facultés, ibid., a. 4 : ReUnquitur quod gratia. sicut est prjus virliilc, ila habeat subjectuin prius potentiis animée, ita scilicet quod sit in essenlia anima'… Sicut ab esseptiu anima' e/jluunt ejus potentise qu.se sunt opcrumprineipia, ita eliam ab ipsa gratia cfjhiunt virtutes in potentias animée per quas polenU.se movenlw ad actns.

Les cfîets de la grâce sont conformes à son être. Étant une participation à la nature divine, non seulement, elle exclut le péché, mais elle l’exclul essentiellement comme la lumière les ténèbres. Ibid., q. cxiii, a. 8, ad lura. Réciproquement le péché qui ; 'st son contraire ne peut être remis que par l’infusion de la grâce : Non posset intelligi remissio culpæ si non adesset in/nsio gratise. Ibid., a. 2. Aussi la justification du pécheur est-elle un acte unique dont les divers aspects ne sont distincts qu’au regard de la raison : Gratiainjusio et remissio culpæ dupliciler considérai i possunt : uno modo secundum ipsam substanliam actus, et sic idem sunt… ; alio modo possunt considerari ex parle objectorum, et sic differunt secundum difjen nliam culpse quæ tollitur et gratise quas in/unditur. Ibid., a. <i, ad 2um. Il s’ensuit également que la justification se fait in instanti et que l’abstraction logique en peut seule distinguer les divers moments. Ibid., a. 7 et 8.

C’est aussi parce que la grâce est d’ordre essentiellement surnaturel qu’aucun acte naturel ne peut proprement la préparer. On a marqué plus haut, col. 2120, comment saint Thomas a progressivement modifié sur ce point ses opinions de jeunesse et est arrivé à poser nettement en thèse que toute préparation à la grâce est et doit être elle-même un fruit de la grâce. Ibid., q. c : xii, a. 5. Aucune autre conception ne pouvait être logiquement en harmonie avec son. éné

rai du surnaturel.

2° École nominalislc. Tandis que l'école fhon est à base de réalisme, d’autres a côté appliquaient le iiominalisme à la théorie de la grâce et aux problèmes qui en dérivent. Ici. par conséquent, les liensvon ! progressivement se distendre entre le concept du don

créé et de sa source incréée, entre la rémission du péché et la sanctification de l’âme qui forment le double aspect de la justification.

1. Nature de la justification. a) Déjà saint Bonaventure ne conçoit pas que la grâce se puisse attacher à la substance de l’âme, abstraction faite de ses puissances. Non videtur posse intelligi quomodo yratia sit in anima abstracla potentia. VA il est frappant qu’il se réfère pour cela aux « paroles de saint Augustin », qui met toujours la grâce en rapport avec le libre arbitre. Même position chez Henri de Gand. Schwane, Dogmengeschichle, t. iii, p. 463, trad. Degert, t. v, p. 202. Où l’on aperçoit un petit point particulier du grand conflit de tendances qui sépare, au Moyen Age, l’augustinisme traditionnel de l’aristotélisme nouvellement introduit.

Pour son compte, le docteur séraphique se rallie à une* conception intermédiaire, qui situe la grâce dans la liberté, mais en tant qu’elle prolonge l’essence de l’âme. Gratta est una, sicut et substantia, et est semper in actu continuo ; et primo dicitur respicere subslantiam, non quia sit in illa absque potentia vel prias quam in potentia, sei ! quia habet esse in potentiis ut eonlinuantur ad unum essentiam. In II Sent., dist. XXVI, a. unie, q. 5. t. ii. i). 643. Cf. dist. XXVII, a. 1, q. 2, p. 057, et le scholion des éditeurs, p. 658-659.

Cette manière plus souple de comprendre le réalisme surnaturel explique sans doute que saint Bonaventure ne voie plus entre la grâce et le péché qu’une opposition de l’ait, mais non plus de principe. Ad illud quod objicitur quod Deus possil… delere culpam absque gratia, dicendum quod hoc cstverum ; sed largilas divinæ misericordiir sic decrevit au/erre malum, per quod homo Deo displicet, ut simul daretur bonum per quod homo Deo placeret, née unquam expellit culpam quin sanctificet ipsam animam et in ea habitet per gratiam. Ibid., dist. XXVIII, a. 1, q. 1, ad Gara, p. 677.

b) Le même attachement à l’augustinisme et un esprit critique encore plus prononcé allaient fixer en doctrine chez Scot les vues occasionnelles de saint Bonaventure et créer le système qui sera désormais classique dans l’école franciscaine, en regard du thomisme exposé ci-dessus. Voir Uuns Scot, t. iv, col. 1901-1904.

Ici la grâce est identifiée avec la charité, de telle façon qu’il n’y ait plus entre elles qu’une distinction formelle : Habitas… qui est gratta, et ipsa est carilas, In Il Sent., dist. XXVII, n. 35. En conséquence, la grâce a son siège dans la volonté, où elle se développe en amour surnaturel de Dieu. Cette grâce s’oppose évidemment au péché ; mais il n’y a pas entre eux une opposition intrinsèque ou de nature. Le péché, en effet, n’a pas de réalité physique habituelle dans l’âme : il est seulement queedam relatio rationis, c’est-à-dire une ordinulio ad pœnam, mais qui dépend du vouloir divin. Report. Paris., t. IV, dist. XIV, n. 7. De même la grâce ne sanctifie pas précisément comme entité physique, mais en vertu d’une acceptatio bci. In l Sent., dist. XVII, q. ii, n. 23.

D’oii il suit que, dans le jeu de leurs rapports mutuels, il faut toujours faire intervenir la volonté de Dieu. Absolument parlant, Dieu pourrait donc effacer le péché sans nous donner la grâce et, réciproquement) infuser la grâce sans remettre le péché. Report., I. IV, disl. XVI, q. il et In I Y Sent., dist. I. q. i. De la sorte, au lieu délie un acte simple, la justification se décompose en deux éléments logiquement distincts : la rémission du péché, qui consiste a nous dispenser de la peine qu’il comporte, et l’infusion de la grâce, qui se traduit par le don positif et surnaturel de la charité. Voir Schwane, trad. Degert, t. v. p. 202 206,

c) Telles sont les positions sur lesquelles l’école noininalfste s’esl de plus en plus fermement établie a ira vers les xrv’e1 w siècles. El l’on sali qu’elle compte

les noms les plus brillants du second âge scolastique. Voir ici même, pour la France, les articles Durand de Saint-Pourçain, t. iv, col. 1965 : Ailly (d’), t. i, col. 650-652, et Gersok, t. vi, col. 1318-1323 ; pour l’Italie, Grégoire de Rimini, ibid., col. 1853 ; pour l’Allemagne, Biel, t. ii, col. 816 et 821-S25. En attendant l’art. Occam, on trouvera un exposé très substantiel et très documenté de l’occamisinc dans Denifle, trad. l’aquier, t. iii, p. 196-201.

Il est d’ailleurs acquis à l’histoire que Luthei 1 n’a guère connu du Moyen Age que cette école nominaliste, Denifle, op.cù*., p. 155-156, 193, 201-202, et, depuis longtemps, les défenseurs de l’orthodoxie protestante ont pris l’habitude de se tourner vers ces théologiens quand ils ont voulu se chercher des ancêtres. Voir Dorsche, Thomas Aquinas, … con/essor veritalis evange. lica’, p. 507-522. Seulement il leur faut pour cela déformer la pensée de ces vieux maîtres en donnant comme réel ce que ces auteurs se contentaient d’envisager par manière d’hypothèses spéculatives. Il n’en est pas moins vrai que l’école nominalist-, quelques textes de saint Paul aidant, s’avançait parfois bien loin dans la voie qui menait à une justification tout extrinsèque. Témoin cette exégèse théologique du viennois Pierre Tzech de Pulka († 1425), qui écrivait sur Boni., ii, 13 : Justi ficubuntur, … ici est justi hibebuntur vel justi reputnbuntur apud Deum et homines. Dans Denifle, Die abendlàndischen Schrijlausleger, p. 237.

2. Conditions de la justification.

- Étant à ce point soumis au bon plaisir divin, il semblerait que le processus de la justification dût être d’autant plus énergiquement ramené à l’ordre surnaturel. Cependant c’est l’école nominaliste qui paraît avoir le plus accordé aux forces humaines sur ce point et contre laquelle les historiens protestants dirigent le plus volontiers leurs accusations de néo-pélagianisme. Voir Loofs, op. cit., p. 613-615 ; Seeberg, op. cit., p. 648, et Bitschl. op. cit., p. 138.

Seul, en réalité, Durand de Saint-Pourçain semble établir une corrélation stricte entre le bien moral et la justification, sans aucune intervention d’un secours divin spécial. Voir S. Bonaventure, édition de Quaracchi, scholion des éditeurs, t. ii, p. 081. Scot, qui fut suspect autrefois à beaucoup de théologiens catholiques, par exemple Scheeben, Handbuch dur kath. Dogmatik, t. ii, p. 411, est seulement responsable de quelques impropriétés de langag.’. l.e 1’. Parthénius Minges a longuement démontré que l’influentia communis dont paraît se contenter le docteur subtil est déjà une grâce et exclut seulement l’intervention d’une Providence extraordinaire, Die Gnadenlehre des Dans Scolus, Munster, 1906, p. 10-31 ; que Scot réclame expressément, contre le seini-pélagianisme, la nécessité de la grâce pour le commencement du salut et qu’il en souligne suffisamment, sans être toujours très clair à cet égard, le caractère gratuit. Ibid., p. 56-102. Cette démonstration n’est pas adoptée seulement par des théologiens catholiques, voir Duns Scot, t. IV, col. Pton, mais aussi par les protestants impartiaux, par exemple Seeberg, p. 588.

Il reste que, d’une façon générale, l’école nominaliste appréciait d’une manière assez optimiste les forces de la nature déchue pour admettre la possibilité sans la grâce d’un amour naturel de Dieu par-dessus foutes choses, voir Occam, dans Denifle, » />. cit., p. 122, ainsi que Biel, Ibid., p. 1 17-1 18, et, ce qui en est le principe ou la conséquence, d’une suffisante observation de la loi morale. Actes qui deviennent tout naturellement dispositio ultimata et suffleiens de congruo ad gratta tnfusionem. Biel, cité ibid., p. 149. C’est pourquoi l’adage traditionnel se présente ici « gène ralement parlant », Denifle, ibid., p. 171, avec une

addition caractéristique : Facienti quod in se est Deus injallibiliter dat graiiam.

Mais cette infaillibilité signifie seulement la continuité du plan divin et s’entend, comme chez Scot, d’actes accomplis avec les secours généraux de la Providence, par opposition à la grâce proprement surnaturelle. Témoin ces formules de Biel, qui en cela se réfère expressément à Alexandre de Halès : Qui removel obicem, qui est consensus in peccatum, et eliciendo per liberum arbitrium molum in Deum, bonum facil quod in se est, ultra enim ex se non potest, suppo SITA SEMPER GENERALI INFLUENTIA DEI SIM qud

omnino nihil potest… Hsec facienti Deus graiiam suam tribuit necessario, necessitaie non coactionis sed immutabilitatis. Textes réunis avec d’autres non moins formels dans Altenstaig, Lexicon theologicum, Anvers, 1576, ꝟ. 109-110, art. Facere quod in se est. On voit que la part nécessaire de Dieu dans l’œuvre du salut reste suffisamment sauve et que l’homme ne peut par lui-même rien mériter que de congruo.

Ainsi donc, jusque dans la hardiesse de ses spéculations et sa confiance dans les forces du libre arbitre, l’école nominaliste respectait les données du christianisme traditionnel. On peut discuter ses théories,

— et la théologie catholique ne s’en fit jamais faute — constater historiquement l’influence qu’elles ont pu avoir sur les origines de la Réforme ; mais il serait contre toute justice de la mettre en opposition avec la foi.

3° École augustinienne. — A côté de ces écoles classiques, peut-être faudrait-il faire place à une autre, moins aperçue jusqu’à présent, moins déterminée surtout, sur laquelle de récentes recherches ont attiré l’attention : savoir l’école augustinienne, ainsi dite à cause de l’attachement qu’elle portait aux principes de l’évêque d’Hippone et aussi à cause du crédit qu’elle semble avoir eu dans l’ordre des augustins. Voir J. Paquier, dans Recherches de science religieuse, 1923, p. 293-313, 419-437, et Revue de philosophie, 1923, t. xxiii, p. 197-208.

1. Existence.

C’est un fait connu de tous qu’au concile de Trente le général des augustins, Jérôme Séripando, se fit le défenseur ardent d’une théorie dite de la double justice. Voir plus bas, col. 2183 sq. Elle consiste à dire que la justice intérieure à laquelle l’homme peut aboutir est absolument insuffisante aux yeux de Dieu et que nous ne sommes vraiment justifiés que par l’application extérieure que Dieu nous fait des mérites du Christ. Doctrine qui suppose une appréciation très pessimiste des œuvres et mérites de l’homme, en conformité avec les vues de saint Augustin sur la corruption de notre nature, et tend à développer une conception de la grâce à la fois nominaliste et mystique, mais toujours opposée à cet habitus intérieur qui était admis dans l’École.

Or de nombreux théologiens, augustins et autres, surtout de nationalité italienne, adhérèrent aux théories de Séripando. Des historiens hostiles au catholicisme se sont déjà prévalus de ce fait pour imaginer dans l’Église une ancienne tradition favorable à la Réforme, par exemple Alph. Vict. Millier, Luthers theologische Quellen, Giessen, 1912, p. 176-178, et, plus tard encore, dans Theol. Sludien und Kriliken, 1915, p. 154-172 ; Luther und Tauler, Berne, 1918, p. 9-14 ; Luthers Werdegang bis zum Turmerlebnis, Gotha, 1920, p. 103-114. Mais ces affirmations laissent également sceptiques, parce que trop généralisées, des historiens protestants, tels que W. Kôhler, Zeilschrift fur Kirchengeschichte, 1918, t. xxxvii, p. 21-22, et des catholiques comme M. Grabman, Der Katholik, 1913, p. 157-164 ; H. Grisar, Luther, Fribourg-en-B., 1912, t. iii, p. 1011-1016 et, depuis, dans Zeitschrijt fur k. Théologie, 1920, t. xuv, p. 591-592, ou J. Paquier,

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Revue de philosophie, 1923, p. 197-198. Le critique novateur y est justement suspect de donner, sous la pression de ses préjugés confessionnels, pour jfavorables au luthéranisme des propositions parfaitement catholiques, comme le lui a déjà reproché le protestant O. Scheel, Theol. Literaturzeitung, 1913, t. xxxviii, p. 752.

Des catholiques cependant ont fait observer à leur tour que l’extension de cette théologie augustinienne au xvie siècle, et cela chez des adversaires de la Réforme qui ne sauraient, par conséquent, lui emprunter leurs inspirations, ne s’explique raisonnablement que si elle répondait à un courant antérieur que le grand nom de saint Augustin aurait accrédité et que son ordre aurait eu souci de maintenir. On comprendrait même aisément que ces doctrines aient particulièrement trouvé bon accueil dans cette Italie du xve siècle, où le divorce était si grand entre la foi et les mœurs, où, par conséquent, la disproportion devait être sentie plus qu’ailleurs entre l’œuvre de l’homme et celle de Dieu. J. Paquier, Recherches de se. rel., 1923, p. 295-301.

2. Principaux témoins.

A défaut de preuves positives, on a du moins quelques indices propres à appuyer cette induction.

Comme autorités, Séripando invoquait, non seulement les théologiens de Cologne que nous rencontrerons plus tard, col. 2159 sq, ou les noms vénéiésde saint Bernard et de saint Augustin, mais un de ses maîtres immédiats et qui avait avant lui gouverné l’ordre de Saint-Augustin, le cardinal Gilles de Viterbe (1465 ?1532). Le commentaire qui nous est resté de celui-ci sur le premier livre des Sentences, sans justifier cette opinion, permet de comprendre qu’elle se soit formée. Voir Paquier, loc. cit., p. 431-436. Il révèle une théologie platonicienne, très opposée en conséquence à l’aristotélisme reçu. Toute la grâce s’y ramène à une extension de l’amour de Dieu en nous, qui provoque de notre part une union d’amour envers Dieu. Et ceci suggère une justice intérieure ; mais cette psychologie du surnaturel, où tout se réduit à des actes, ne pouvait-elle facilement donner lieu à des méprises ? Par ailleurs le dédain qu’il devait à Platon pour la matière et le corps était une amorce au pessimisme. On s’explique par là que Séripando ait cru lire dans son maître ses propres doctrines. Mais, « en somme, conclut J. Paquier, p. 435, en faveur de l’enseignement d’une double justice par Gilles de Viterbe, les présomptions restent très peu précises et très peu fondées. »

De cette école Alph. Vict. Muller a cru trouver un plus ancien témoin dans la personne d’un autre théologien, lui aussi général des augustins au début du xve siècle, Augustin Favaroni (1365 ?-1443). Voir son article Agostino Favaronie la teologia di Lutero, dans Bilychnis, n. de juin 1914, p. 373-387. Mais un doute plane a priori sur le bien-fondé de cette découverte, en raison des tendances bien connues de son auteur à l’exagération. En tout cas, si l’on en juge par les extraits de son commentaire inédit sur l’Épître aux Romains largement publiés dans Denifle, Die abendlândischen Schriftausleger, p. 223-235, Favaroni oppose seulement la justice par la foi à la justice légale et la gratuité de la grâce aux mérites purement naturels de l’homme. Il y est d’ailleurs question de la o justice de Dieu » qua justificatur impius et fit juslus, p. 230, ou, plus nettement encore, p. 227, qua nos formaliter interne justificat. Cependant il reste vrai pour lui que nous ne pouvons pas atteindre la « justice parfaite » et que « c’est Dieu qui est notre justice formelle. » J. Paquier, d’après A. V. Muller, Revue de philosophie, 1923, p. 204. Toutes formules empreintes d’un pessimisme mystique et d’un nominalisme doc VIII. — 68

trinal où la tradition représentée par les augustiniens du xvi c siècle risque d’avoir son germe lointain.

Il en est de même pour un autre docteur du même ordre, Grégoire de Rimini († 1358), célèbre pour son augustinisme. Son opposition à l’école nominaliste en matière de grâce lui valut les sympathies de Luther et, encore aujourd’hui, l’attention des historiens protestants. C. Stange, Neue kirchliche Zeilschri/l, 1900, t. xi, p. 574-585 et 1902, t. xiii, p. 721-727. Mais il est reconnu que sa doctrine ne va jamais qu’à réclamer, avec toute la tradition catholique, contre le pélagianisme, les droits de Dieu dans l’affaire de notre salut. Voir Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 150-155. Encore

  • st-il qu’il les pousse un peu loin, jusqu’à dire que, sans

la grâce, aucun de nos actes ne peut être moralement bon. Le péché originel étant d’ailleurs par lui identifié avec la concupiscence et celle-ci conçue comme une qualité morbide inhérente à l’âme, le baptême n’en enlève pas l’essence, mais seulement la responsabilité. J. Paquier, Revue de philosophie, 1923, p. 203. Cet augustinisme n’est pas sans présenter quelques rapports, sinon avec les pensées, du moins avec le langage de Luther.

De ces théologiens A. V. Millier propose de rapprocher ces déclarations des exégètes et des mystiques sur la vanité des œuvres humaines dont on a rapporté plus haut, col. 2124, les spécimens les plus caractéristiques, mais en marquant aussi qu’elles n’ont pas toute la portée doctrinale qu’on se plaît à leur attri-, buer. Ces divers indices ne suffisent donc pas pour établir proprement l’existence et la continuité d’une école augustinienne. La question ne pourrait être résolue que par la publication, souhaitée par J. Paquier, Recherches de science religieuse, 1923, p. 298-299, de tant d’oeuvres théologiques encore inconnues des xive et xve siècles, pour « y trouver la filière des idées qui se manifestèrent au concile de Trente. »

En attendant, ce qui semble bien acquis, c’est la persistance, à côté de l’optimisme théologique dont s’inspire la grande école, d’une tendance pessimiste dont les représentants, parce qu’ils aiment souligner l’impuissance de l’homme, arrivent à donner la grâce de la justification comme de plus en plus extrinsèque à son être moral. Il ne faudrait pas exagérer la signification de ces systèmes jusqu’à méconnaître les données traditionnelles de la foi qui en sont la base commune et qui imposent à tous d’affirmer une participation réelle de l’âme régénérée à la grâce du surnaturel. Mais il est indéniable que ces notions fondamentales furent inégalement comprises et diversement systématisées.

C’est dans ces conditions complexes que se trouvait, à la fin du Moyen Age, la doctrine de la justification et qu’elle aurait sans nul doute continué le cours paisible de son développement, lorsque la Réforme vint tout à coup déchaîner un vent d’orage qui, avec les systèmes théologiques en cours, menaçait d’ébranler le dogme même dont ils essayaient de réaliser l’interprétation.


IV. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION A l’époque de la réforme

A la différence des époques précédentes, qui n’avaient connu que des affirmations dispersées ou de sereines spéculations d’école, le xvi’siècle marque le moment où la justification commence pour la première fois à se poser dans le monde chrétien sous forme de problème aigu. Le fait est dû aux innovations révolutionnaires introduites sur ce point parla Réforme, qui allaient avoir pour conséquence, in même temps que les réactions diverses de la théologie catholique (col. 2151), les définitions du concile de Trente, où la loi traditionnelle de l’Église serait solennellement affirmée et entourée de toutes les précisions dont l’erreur avait fait sentir le besoin (col. 2165).

I. La Réforme. —

Jetée dans le monde religieux par l’âme passionnée de Luther comme le programme de son opposition à l’Église et le principe essentiel de sa nouvelle doctrine, puis élaborée par les premiers docteurs et fixée par les symboles de la Réforme naissante, la justification par la seule foi au Christ fut regardée de bonne heure et n’a plus cessé d’être considérée depuis, chez les protestants, comme Yarticulus stanlis et cadentis Ecclesiæ. Luther lui-même en disait : Articulus juslificationis est magister et princeps, dominus, rector et judex super omnia gênera doctrinarum, gui conservai et gubernat omnem doctrinam ecclesiaslicam. .. Sine hoc arliculo mundus est plane mors et tenebrse. Dans P. Drews, Dispulationen Dr. Martin Luthers, Gœttingue, 1895, disp. du 1 er juin 1537, p. 119. Voir une abondante collection de textes semblables pris à travers toute l’œuvre du réformateur dans Fr. Loofs, Der articulus stanlis et cadentis Ecclesiæ, Gotha, 1917, p. 4-14. On ne fait pas tort à la Réforme en la ramenant tout entière à ce point fondamental que Mélanchthon appelait preecipuus locus doctrinæ christianse. Apol. Conf., iv, 2, dans J. T. Mùller, Die symb. Bûcher, p. 87. Autres déclarations du même ordre dans Loofs, op. cit., p. 14-25.

I. ORIGINE.

Personne ne songe à mettre en doute l’originalité foncière de la Réforme sur ce point capital. Articulus juslificationis quem nos soli hodie docemus, ou encore quem lotus mundus ignorât, disait Luther en 1527-1529, Scholia in lsaiam, xlii, 21 et xlih, 24, Luthers Werke, édit. de Weimar, t. xxv, p. 276 et 282. Dès 1521, Mélanchthon allait jusqu’à parler en termes lyriques d’une nouvelle révélation de l’Évangile : O miseros nos qui jam a quadringenlis fere annis neminem habuimus in Ecclesia scriptorem qui reclam ac propriam pœnilentiæ jormam prodidissel… Nunc tandem Dei misericordia respexit nos revelavitque Evangelium populo suo. Apologie pour Luther contre les Parisiens, dans Luthers Werke, édit. de Weimar, t. viii, p. 311. Dans la genèse de cette « révélation » il n’est pas étonnant de rencontrer comme le confluent de toutes les causes d’où est sortie la Réforme.

1° Cause déterminante : l’expérience religieuse. — Quelle qu’en soit la nature exacte, et que ce soit pour l’en louer ou l’en blâmer, tout le monde reconnaît que l’expérience personnelle du premier des réformateurs est à la source de sa théorie de la justification.

1. Point de départ psychologique.

Luther lui-même aimait à se présenter comme la malheureuse victime du système catholique des œuvres. S’il était entré au cloître, s’il s’y était, à son dire, livré à des austérités de toutes sortes, c’était, assurait-il vers 1539-1540, « parce que je tâchais d’arriver à la certitude que ces œuvres m’obtenaient le pardon de nies péchés. » Enarr. in Gen., xxii, dans Opéra exeg. latina, édit. d’Erlangen, t. v, p. 267. Mais, devant l’impuissance de cette méthode, il se serait jeté dans les bras de la divine miséricorde, qui sauve gratuitement le pécheur par la seule foi. Telle est la conception tendancieuse que les historiens et théologiens protestants entretiennent volontiers pour expliquer la conversion de Luther. Voir quelques témoignages dans Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. a, p. 2392Il et.’i(i. r) -370. En réalité, les documents permettent d’établir que, si la part de l’expérience ne fut pas moins grande dans cet événement, elle fut d’un autre ordre. Voir Denifle, ibid., p. 377-151 et, plus loin, l’art. Luther.

Dans une lettre du 8 avril 1516, Luther encore moine invite un de ses confrères à « prendre en dégoût sa propre justice pour respirer et se confier en la justice du Christ. » C’est que beaucoup de son temps, surtout

parmi les hommes vertueux, lui paraissent tentés de présomption et appliqués à faire le bien par eux

mêmes, « jusqu'à ce qu’ils aient la confiance de se tenir devant Dieu comme s’ils étaient ornés de vertus et de mérites. » Véritable pélagianisme pratique où est oubliée la part nécessaire de la grâce. Or, continue Luther, « cette opinion, ou plutôt cette erreur, je l’ai partagée moi-même, et je travaille encore à la combattre sans en être venu à bout. » Enders, Luthers Briefwechsel, t. i, p. 29. Ce qui l’a détrompé, c’est, expliquait-il dans un sermon antérieur de quelques mois, le fait persistant de la concupiscence, qui est pour lui à la fois invincible et coupable. « Nous constatons que, malgré toute notre sagesse…, il nous est impossible d’extirper de notre être la concupiscence. Elle est pourtant contre le précepte qui dit : « Tu ne « convoiteras point, » et nous éprouvons tous qu’elle est absolument invincible. » Édition de Weimar, t. i, p. 35. C’est le Cerbère que rien n’empêche d’aboyer, le géant Antée que personne ne peut vaincre. Com. in Rom., v, 14, édition Ficker, Leipzig, 1908, t. ii, p. 145.

Luther semble l’avoir surtout ressentie sous la forme subtile de cet orgueil propre aux âmes correctes, qui en arrivent aisément à entretenir pour ellesmêmes une secrète complaisance. « Dans ma folie, je ne pouvais comprendre comment, après m'être repenti et confessé, je devais m’estimer un pécheur semblable aux autres et ne me préférer à personne ; alors, en effet, je pensais que tout avait été effacé, même intérieurement. » Ibid., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 109. Sous le coup de cette expérience, il en vint petit à petit au sentiment contraire, c’est-à-dire que le péché continue à vivre en nous et que notre volonté est irrémédiablement mauvaise. Il ne saurait donc être question de justification intérieure, puisque le péché originel subsiste en nous sous forme de concupiscence. « Toutes les vertus coexistent dans l'âme avec les vices contraires… Le juste est toujours dans le péché du pied gauche, c’est-à-dire par le vieil homme, et dans la grâce du pied droit, c’est-à-dire par l’homme nouveau. » Sermon du 27 décembre 1515, édition de Weimar, t. iv, p. 664. Dire que nous sommes régénérés intérieurement, c’est conduire les âmes au désespoir. Il ne nous reste plus qu'à nous réfugier vers le Christ comme le poussin sous les ailes de la poule. « Parce que charnels, il nous est impossible d’accomplir la loi ; mais le Christ seul est venu l’accomplir… et il nous communique cet accomplissement. » Ibid., 1. 1, p. 35. « Il fait mienne sa justice et sien mon péché, Mais s’il a fait sien mon péché, je ne l’ai donc plus et je suis libre. S’il a fait sienne ma justice, je suis juste désormais de sa justice à lui. » Com. in Rom., ii, 15, Ficker, t. ii, p. 44. Il n’est besoin pour cela que de reconnaître « que nous ne pouvons pas vaincre le péché » et de croire en sa parole. « Par cette foi il nous justifie, c’est-à-dire qu’il nous tient pour justes. » Ibid., iii, 7, Ficker, p. 60.

2. Notion subjective de la justification.

Tous ces textes, antérieurs à la révolte de Luther, indiquent le travail qui s'était fait en son âme et comment la conscience de sa faiblesse morale, succédant à une excessive présomption, l’accule au plus noir pessimisme, d’où il ne parvient à sortir qu’en faisant planer sur son incurable misère une foi aveugle en la miséricorde de Dieu et en l’application extérieure des mérites du Christ Sauveur. « Dans ce « système » tout est subjectif : pour Luther un point de dogme n’est vrai qu’autant qu’il lui apparaît comme tel. En s’inspirant de sa pratique orgueilleuse de la vertu, la seule qu’il connût, et qu’il attribuait à tous, il répète sans cesse que toutes les œuvres faites avant la justification et l’acte même d’amour de Dieu sont à condamner comme des œuvres de la loi. En s’inspirant de son expérience personnelle, et dont seul il portait la

responsabilité, il déclare que partout et toujours la concupiscence est invincible, et il l’identifie avec le péché originel. De son intérieur, quMl attribue gratuitement à tous, jaillit la chimère de la justice extérieure du Christ, qui nous couvre comme d’un manteau. » Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 459-460. Cf. Loofs, Dogmengeschichle, p. 635-638 et 713-714, après Ritschl, op. cit., p. 153-159 et 174-185.

En un mot, la théorie de la justification par la foi s’est formée dans l’esprit de Luther pour remédier à une crise profonde de son âme. C’est une construction théologique inspirée par le sentiment de sa détresse morale et qui ne cesserait plus d'être alimentée par elle. Il en fut de même, bien qu'à un degré moindre ou en tout cas moins connu, pour les autres réformateurs. Voir pour Calvin sa lettre-manifeste à Sadolet, du mois de septembre 1532, dans Opéra, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. v, col. 411-412. D’où la tendance, ici érigée en doctrine, à transformer la justification en un drame psychologique où le problème serait pour chacun d’acquérir l’assurance de sa réconciliation avec Dieu. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 17871792.

Aussi cet argument expérimental tient-il déjà une grande place chez Mélanchthon, soit pour critiquer la doctrine catholique qui serait coupable d'épouvanter les consciences, Apol. conf., iv, 21, dans Mùller, op. cit., p. 90-91, et iii, 83, p. 121-122, soit pour appuyer la conception protestante seule capable de les rassurer. Ibid., 170-200, p. 133-141.

Les protestants de toutes les écoles applaudissent à cette transformation comme à un progrès, qui transplanterait la grâce de l’ordre abstrait dans la vie profonde des âmes. Et cette apparente satisfaction donnée aux besoins religieux de consciences inquiètes a pu contribuer au succès de la Réforme, comme elle a certainement présidé à ses premières origines ; mais cet avantage, si c’en est un, est compensé par le danger trop réel qui par là expose nécessairement la doctrine de la justification à se contaminer d'éléments tout subjectifs.

Causes auxiliaires.

 A ce facteur de l’expérience

personnelle, qui fut de beaucoup le principal, d’autres vinrent prêter leur concours.

Et d’abord le souci d’exégèse historique et littérale mise à la mode par l’humanisme. Combiné avec le mysticisme ardent des premiers réformateurs, il eut pour effet général d’opposer aux systématisations scolastiques la parole de Dieu. Saint Paul en particulier apparut comme le témoin de cet Évangile vécu dont on éprouvait alors le besoin. D’où une attention plus grande accordée à ses déclarations pessimistes sur la nature humaine, à ses formules abruptes sur la justification par la foi.

Non pas que cette doctrine portât nécessairement en elle-même le principe dogmatique de la Réforme. Des humanistes comme Lefèvre d'Étaples ou Érasme savaient prendre la pensée de l’Apôtre dans sa plénitude, au lieu de s’attacher à tel ou tel de ses aspects incidents, et par là lui garder sa signification catholique. Textes dans Denifle, Die abendlâtidischen Schriftausleger, p. 279-307. L’exégèse paulinienne ne pouvait suggérer la justification par la foi seule, sans ou contre les œuvres, que chez des mystiques acquis par ailleurs à cette idée et suffisamment passionnés pour la projeter dans les textes. Mais elle pouvait et devait entretenir cette conception dans des esprits qui l’avaient déjà, en leur fournissant l’illusion de la retrouver dans l'Écriture. Il n’est pas indifférent à l’histoire de noter que la plus notable approximation du système luthérien se trouve dans le commentaire de Luther sur l'Épître aux Romains. Textes choisis dans Denifle, ibid., p. 309-331. Et l’on sait que saint

Paul ne cessa plus d’être pour les protestants l’autorité par excellence.

Il faut en dire autant des influences théologiques auxquelles le père de la Réforme a pu être soumis.

D’une part, il n’a vu de la scolastique que l’école nominaliste : l’école thomiste, autrement équilibrée, lui est re : tée inconnue. Loofs, op. cit., p. 689-690. Ce qui peut expliquer plus facilement sa réaction contre le Moyen Age dont il ne connaissait que la moindre et non la meilleure partie.

Mal préparé de ce chef à la résistance, il fut exposé à l’action des principes augustiniens, si propres à entretenir ses conceptions personnelles sur le mal de la concupiscence et la justice imputée. Le pessimisme spirituel de cette théologie offre une indéniable parenté avec celui de la Réforme. Voir col. 2129. Or Luther a connu les œuvres imprimées de Pierre Lombard et des Victorins. Il a surtout pu recevoir l’influence personnelle des théologiens augustiniens qui furent ses maîtres ou à côté desquels il a vécu. J. Paquier, Recherches de science religieuse, 1923, p. 299-301. Est-il étonnant que son esprit en ait reçu quelque empreinte ? Mais de ces matériaux théologiques, comme de ceux que pouvait lui fournir la tradition mystique du Moyen Age, seules ses convictions personnelles lui permirent de tirer parti en les encadrant dans un système nouveau. Quum doctrina de fide… lamdiu jacueril ignota, quemadmodum faleri omnes necesse est…, proclame la Confession d’Augsbourg, art. xx. Toutes les sources qu’on peut découvrir à Luther n’empêchent pas son originalité. Sa pensée n’est pas plus un produit de l’augustinisme que du paulinisme, bien qu’elle ait pu trouver dans l’un et l’autre de quoi s’alimenter.

A ces causes qui purent partiellement concourir à la genèse de la doctrine luthérienne de la justification, il faut ajouter le besoin d’opposition ecclésiastique qui servit à la maintenir et à la développer. D’une part, cette doctrine avait un aspect négatif, la condamnation des œuvres, qui fournissait une plate-forme polémique des plus larges et des plus avantageuses pour critiquer comme entachée de pélagianisme toute l’organisation catholique de la vie spirituelle : bonnes œuvres communes, ascétisme monastique, indulgences et sacrements. Par son aspect positif, savoir l’appel à la foi qui justifie, elle cadrait avec ce mysticisme et cet individualisme qui sont les marques caractéristiques de la Réforme et permettait de leur donner une sorte de base théologique. A ce double titre, la théorie de la justification était faite pour devenir le centre du nouvel évangile.

L’action convergente de ces diverses causes aide à comprendre que cet article fût déjà donné par Luther comme la summa tolius doctrinæ christianæ, Enarr. in Ps. CXXX, dans Opéra exeg. lai., édition d’Erlangen, t. xx, p. 193, et qu’il soit toujours demeuré tel parmi les siens.

il. Développement HISTORIQUE. — En raison de ce caractère fondamental, la question de la justification est étroitement liée à toutes les manifestations doctrinales qui marquèrent les débuts de la Réforme naissante. Il suflira de noter ici brièvement les principales, en vue de fournir son cadre historique à l’exposition qui doit suivre.

1° Manijesles personnels des premiers réformateurs.

— Une première source est fournie par les écrits des divers Initiateurs de la Réforme. Il est unanimement reconnu que tout l’essentiel de la nouvelle doctrine est déjà constitué dans sonespritau moment où, encore moine et professeur catholique, Luther commente l’Épitre aux Romains (1515-1516). Voir K. Holl, Die Rechi/eriigungslehre tri Luthers Vorlesung ùber den Rômerbrlef, dans Zcilscliri/t fur Théologie und Kirche,

1910, t. xx, p. 245-291 ; Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 407-454 ; Loofs, Dogmengeschichte, p. 700-709 ; Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 80-125.

Après sa rupture avec l’Église, sans être nulle part traitée ex professo, la justification par la foi s’affirme suffisamment dans les sermons ou les œuvres exégétiques du maître pour être aperçue comme une de ses erreurs. Voir spécialement le sermon De duplici justitia, vers 1519, édition de Weimar, t. ii, p. 143-152, et le commentaire sur l’Épître aux Galates, septembre 1519, ibid., p. 436-618. Plusieurs des propositions condamnées par Léon X, le 15 juin 1520, la supposent ou en dérivent : par exemple, les prop. 2-3 sur la persistance du péché originel, les prop. 31-36 sur l’extinction du libre arbitre et le vice radical de toutes nos bonnes œuvres, les prop. 10 et 15 sur le rôle de la confiance par rapport aux sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Denzinger-Bannwart, n. 742-743, 771-776, 750 et 755. En réponse à la bulle pontificale, vers le début de novembre 1520, Luther publia son petit traité De libertate christiana, qu’on a donné, non sans raison, Loofs, p. 736, comme la meilleure synthèse de sa doctrine en matière de justification. Édition de Weimar, t. vii, p. 49-73 ; traduction française, avec introduction et notes, par L. Cristiani, Paris, 1914. On le complétera principalement par son Traité des bonnes œuvres, 1520, édition de Weimar, t. vi, p. 196-276, et son traité De servo arbitrio, composé contre Érasme en 1525, édition de Weimar, t. xviii, p. 551-787.

Cependant Luther n’avait rien d’un docteur. Il était réservé à son jeune disciple Mélanchthon de transformer ses intuitions mystiques ou ses polémiques véhémentes en un corps raisonné de doctrines. Les Loci communes parurent en décembre 1521, petit livre dont Luther devait dire qu’il était non solum immorlalitate sed canone quoque ecclesiastico dignus. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. vii, p. 117. Douze éditions se succédèrent de 1535 à 1541, Corpus Reform., Brunswick, 1854, t. xxi, col. 230-242, en attendant l’édition augmentée de 1543 dont la diffusion devait être plus grande encore. Ibid., col. 561-594. Naturellement la justification y occupe la place centrale et y est traitée avec un soin tout spécial. Voir l re édition, ibid., col. 159-183, et dernière édition, ibid.. col. 739-800.

En même temps, Zwingle établissait la Réforme en Suisse sur la base des mêmes conceptions fondamentales. Mélanchthon lui a reproché de méconnaître la foi justifiante et de trop accorder aux œuvres. Lettres du 5 octobre 1529 et de mars 1530, Epist., iv, 637, et v, 670, dans Corp. Reform., t. i, col. 1099, et t. ii, col. 25. Tous les historiens modernes s’accordent à lui rendre meilleure justice et à reconnaître son accord essentiel avec Luther en matière de justification, encore que sa conception plutôt pratique de la Réforme l’empêche en général d’accorder à cette doctrine le même relief. Ritschl, op. cit., p. 165-174, et Loofs, Dogmengeschichte, p. 79-1-801. De toutes façons ses écrits n’ont pas la même importance documentaire que ceux des protagonistes du luthéranisme allemand primitif.

Symboles officiels de l’Église luthérienne.

Aussitôt

que le protestantisme voulut prendre figure d’Église, il éprouva l’obligation de définir ses doctrines en confessions de foi. La plus importante est la célèbre Confession d’Augsbourg, du 25 juin 1530. Texte dans J. T. Mùller, Si/mb. Bûcher, p. 35-70. Rédigée par Mélanchthon pour être soumise à l’empereur Chai’les-Quint, elle contient sous une forme succincte et modérée les positions officielles de la première Réforme. L’art. 1, De justificatione, Millier, p. 39, y est très bref ; mais il doit être complété par l’art. 2 sur le péché originel, ibid., p. 38-39, plus encore par les

art. 18-20 relatifs au libre arbitre et aux bonnes œuvres. Ibid., p. 43-46.

De la Confessio augustana est inséparable YApologia qu’en écrivit tout aussitôt son auteur. Elle fut présentée à l’empereur le 22 septembre, comme réponse à la Confutatio pontificia dont il avait été saisi le 3 août, et publiée au printemps de 1531, avec de notables remaniements, en même temps que la Confession elle-même dont elle constitue le commentaire autorisé. Texte dans J. T. Muller, p. 71-291. L’article 4 de V Augustana y est longuement justifié au double point de vue polémique et positif, ibid., p. 86-109, sans préjudice des détails complémentaires provoqués par l’art. 2 : De peccalo originali, p. 77-86, et surtout par l’art. 3 : De dilectione et implelione legis, p. 109-152. Il suffit de songer aux nombreuses monographies protestantes consacrées à la doctrine de la justification d’après YApologia, bibliographie à la fin de l’article, pour se rendre compte de l’exceptionnelle importance qui revient ici à ce document.

Telles sont les sources principales auxquelles l’histoire peut demander l’expression authentique des conceptions luthériennes sur la justification. Elles offrent une double valeur puisqu’elles sont les symboles officiels de la Réforme et que c’est d’après elles que le concile de Trente a connu et jugé le système des novateurs.

Documents relatifs à l’Église réjormée.

En

regard de la théologie luthérienne, la théologie réformée n’est qu’un sous-produit dont le principal intérêt réside dans les confirmations qu’il apporte ou les comparaisons qu’il autorise.

Les premières positions officielles des îéfc-Mués sont marquées par les 67 articles de Zwingle (152.i), commentés par deux petits écrits postérieurs : la Ftae > xatio adressée à l’empereur Charles-Quint le 3 juillet 530, donc contemporaine de la Confession d’Augsbourg, et Y Expositio christianæ fldei, écrite par Zwingle peu de temps avant sa mort et publiée par Bullinger en 1536. Texte dans H. A. Niemeyer, Collectio con/essionum in ecclesiis re/ormatis publicatarum, Leipzig, 1840, p. 3-77. La Confession de Bâle (1532 ?), ibid., p. 85-104, et la première Confession helvétique de 1536, ibid., p. 115122, en sont directement inspirées.

Mais c’est à Calvin que la théologie réformée doit surtout son empreinte. Deux monuments caractéristiques de sa pensée remontent à cette époque primitive : Y Institution chrétienne, dont la première édition parut en 1536, et que son auteur n’a plus cessé de reprendre dans la suite, voir Calvin, t. ii, col. 1381, et le Catéchisme de Genève, publié peu de temps après pour donner au peuple l’esprit et les éléments de la nouvelle doctrine. Texte dans Niemeyer, p. 123-168. Sa destination populaire ne lui permet pas d’être autre chose qu’un écho atténué de Y Institution. Il faut donc chercher dans celle-ci la synthèse du système calviniste. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1398-1399.

D’après ces diverses sources, dont les premières sont de beaucoup les plus importantes, nous pouvons reconstituer les traits distinctifs de la justification selon la nouvelle foi.

/II. exposé synthétique. — Comme la justification est le centre du christianisme, surtout dans la conception protestante, on ne saurait bien la comprendre sans rappeler les principes qu’elle suppose à titre de postulats.

Présuppositions théologiques.

Elles sont au

nombre de deux principales, qui marquent les deux pôles opposés du problème. Voir Th. Harnack, Luthers Théologie, Erlangen, 1862, t. i, p. 253-401, et mieux J. Kôstlin, Luthers Théologie, 2e édit., Stuttgart, 1901, t. ii, p. 110-172.

1. Péché originel.

C’est d’une part le péché ori ginel qui grève l’humanité et la rend incapable de réaliser les conditions du salut.

Par où il faut entendre une corruption radicale de notre nature, qui l’empêche de connaître et d’aimer Dieu, et la tourne, au contraire, vers l’appétit des créatures. Le libre arbitre, en particulier, n’existe plus en matière morale. Nulla est voluntatis nostrx libertas.., internos affeclus prorsus nego in potestate nostra esse, écrivait Mélanchthon dès 1521. Loci corn., dans Corp. Réf., t. xxi, col. 88 et 92. De son côté, Luther, de qui procédait cette doctrine, voir son Assertio omn. artic. per bullam damnatorum, art. 36, édition de Weimar, t. vii, p. 142-149, allait prendre la plume pour écrire contre Érasme son De servo arbilrio. où s’affirme le déterminisme théologique le plus complet. Analyse dans Loofs, op. cit., p. 757-760.

Le péché originel conçu avec ces terribles effets es., identifié à la concupiscence. Celle-ci nous apparaît dès lors, non seulement comme une peine ou une faiblesse, mais comme une véritable faute : elle est le péché originel vivant et subsistant en nous. D’où il suit que, même après le baptême, le péché originel n’est pas effacé et que notre nature est par là dans un état fondamental de corruption, qui la rend, non seulement incapable do tout bien, mais foncièrement coupable devant Dieu Seeberg, Dogmengeschichle. t. iv, p. 84-89 et 163-169. Voir Péché originel.

Telles furent, comme on l’a vu col. 2132, les découvertes de Luther et telles sont les positions qui s’affirment discrètement dans l’art. 2 de Y Augustana. Muller, p. 38. Le commentaire de Mélanchthon les rend explicites à souhait, Apologia, art. 2, ibid., p. 77-86, et Calvin ne fait que les reprendre avec la rigueur dialectique qui lui est propre. Voir Calvinisme, t. il, col. 1401-1403.

2. Rédemption.

A cette déchéance de l’humanité s’oppose la rédemption par le Christ, qui est venu réconcilier avec nous le Père justement irrité, se faire victime sur la croix et par là offrir à Dieu satisfaction pour nos péchés. Confess. Aug., art. 3, Millier, p. 39, et Apologia, ibid., p. 86. Et il faut ici rappeler en passant que le système fait consister la satisfaction du Christ dans sa double obéissance, active et passive : par celle-là il accomplissait la loi à notre place, tandis que par celle-ci il payait à la justice divine la dette de nos péchés. Ritschl, op. cit., p. 217-235. Voir Rédemption. Ce point est à noter pour comprendre le concept de justification qui en dépend.

Tous les protestants sont d’accord pour insister sur ce dogme, voir Zwingle, art. 1-21, dans Niemeyer, p. 3-7 et Fidei ratio, p. 19-21, comme pour s’en faire un monopole. C’est qu’il leur permet, en proclamant le rôle du Christ comme unique et nécessaire médiateur, en affirmant la pleine suffisance de son œuvre satisfactoire, d’exclure la part des œuvres humaines et de condamner la foi catholique comme entachée de rationalisme pélagien.

3. Plan divin du salut.

On ne donnerait d’ailleurs pas à ces thèses abstraites toute leur valeur si on n’ajoutait qu’elles commandent le plan divin du salut, qui à son tour sert à les illustrer.

L’apôtre saint Paul a décrit en traits vigoureux, Rom., c. i-m, l’impuissance à faire le bien, soit des gentils avec la seule loi naturelle, soit des juifs avec la seule loi mosaïque, pour faire éclater d’autant mieux l’universelle nécessité de la Rédemption dans le Christ. Cette vue religieuse de l’histoire a été reprise et exagérée en fonction de leur système par les protestants. Voir Mélanchthon, Apol., art. iv, Muller, p. 87-95. Ils y voient en acte dans l’expérience séculaire de l’humanité le drame de la justification qui doit se renouveler en chacun de nous : vanité et corruption de nos œuvres propres ; rôle accusateur de la loi, qui fait

ressortir notre misère par l’impuissance où nous sommes de satisfaire à ses exigences ; en un mot, déchéance incurable et profonde, à la fois signe et cause de la colère divine, jusqu’à ce que luise enfin sur le monde désespéré la lumière de l’Évangile annonçant la bonne nouvelle du salut dans le Christ. Voir Th. Harnack, op. cit., t. i, p. 475-599, et t. ii, p. 59-108 ; Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 224-230.

Sur ces bases dogmatiques l’édifice de la justification spécifiquement protestante allait s’élever.

Notion de la justification.

Elle est résumée en

ses traits essentiels dans l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg, Millier, p. 39 : Item doce.nt quod homines non possinl justificari coram Deo propriis viribus, meritis aut operibus, sed gratis justificentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccata remitli propter Christum qui sua morte pro nostris peccatis satisfecit. Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso. Cf. art. 20, p. 44. Formule où l’on peut distinguer une partie négative et critique, marquant ce que la justification n’est pas, suivie d’une partie positive qui en indique les conditions et la nature.

1. Aspect négatif et critique.

Tout le pessimisme

théologique de la Réforme, toute son exégèse uniquement attachée à la lettre de quelques passages de saint Paul, le dogme même de la rédemption et de la grâce qu’elle voulait maintenir non sans en abuser, tout cela s’accordait pour faire poser en principe et souligner avant tout que l’homme ne saurait se justifier par lui-même. Imaginer le contraire est un attentat sacrilège contre les droits de Dieu et l’œuvre du Rédempteur. L’Écriture et l’expérience s’accordent à dire que la justification n’est pas due à nos mérites. Dans son commentaire de l’Épître aux Romains, Denifle, p. 319, Luther admettait une préparation à la justification et Loofs ici encore a parlé de « crypto-pélagianisme », op. cit., p. 700. Mais la logique du système entraîne bientôt maître et disciples à exclure toute œuvre humaine.

Au nom de ce principe, non seulement on condamne, en effet, les observances monastiques ou l’abus de pratiques purement extérieures, Apolog., iv, 10, mais on s’acharne contre toute œuvre morale. Tout au plus l’homme peut-il accomplir correctement externa opéra civilia ; mais il lui est impossible d’obéir à la loi divine avec l’esprit et la perfection qui conviennent, impossible surtout d’aimer, de craindre et prier Dieu, de se préparer à la grâce en faisant ce qui dépend de lui par le repentir et les bonnes œuvres. S’il en était ainsi, ce serait une juslilia rationis, et alors à quoi bon l’avènement du Christ ? Quid inleresl inler philosophiam et Christi doctrinam ? Si meremur remissionem peccalorum liis nostris actibus elicitis, quid prwstat Clirislus ? Si justificari possumus per raiionem et opéra rationis, quorsum opus est Christo aut regeneralione ? Apolog., iv, 12, p. 88. Cf. ibid., 87, p. 103, où sont nettement exclues, avec les œuvres légales, toutes sortes d’opéra moralia.

Même avec le secours de la grâce, la nature ne peut accomplir un acte d’amour divin dont elle est incapable : sine juslilia fidei nique exislcre dilectio Dei in hominibus, neque quid sil dilectio Dei inielligi potest. Ibid., 18, p. 90. Cꝟ. 28-35, p. 91-93. D’aucune façon, par conséquent, il ne saurait être question de mérites antérieurs et préparatoires à la foi. Le mérite de congruo lui-même n’est qu’une subtilité inventée pour parer au reproche de péiagianisme. Num si J)cus necessario dut gratiam pro mérita congrui, jam non est meritum congrui, sed meriluni condigni. Ibid., 17-19, p. 89 90.

A ces arguments théologiques, l’expérience ajoute son appoint. Car la fiducia operum ne saurait qu’abou tir, ou bien à l’hypocrisie chez les âmes suffisantes qui se confient hardiment en leur propre justice, ou bien au désespoir chez les âmes timorées qui multiplient les bonnes œuvres sans avoir le sentiment d’en avoir jamais fait assez. Ibid., 20-21, p. 90-91.

Toute cette doctrine se résume en un mot, d’apparence affirmative, mais qui n’est, en réalité, qu’une formule d’opposition à la valeur des œuvres humaines : gratuité de la justification. Gratuilum excluait noslra mérita, lit-on un peu plus loin, ibid., 53, p. 96. Cette notion n’est pas seulement imposée par le nom même de grâce et les paroles formelles de saint Paul, Rom., xi, 6 : elle est inhérente à tout l’ensemble de la révélation évangélique, qui s’annonce comme une promesse bénévole de salut pour nous donner ce que la loi ne pouvait accomplir. Ibid., 40-42, p. 94.

2. Aspect positif : Conditions de la justification. — lue fois écartée l’œuvre de l’homme, même sous sa forme la plus bénigne, il ne reste plus comme condition nécessaire et suffisante de la justification que la seule foi

a) Rôle exclusif de la foi. — Cependant la Confession d’Augsbourg use ici d’euphémisme, pour ne pas dire d’équivoque, en se contentant d’écrire sans autres précisions : Docent quod homines… gratis justificentur propter Christum per fidem. Il est vrai qu’un peu plus loin, art. 20, p. 44, on lit : Justificationem tantum fide consequimur. En réalité, toute l’évolution du mysticisme luthérien et toute la logique de sa théologie l’acculaient à la formule exclusive : sola fide, qui du reste était depuis longtemps son programme.

Si Luther, dans son commentaire de l’Épître aux Romains, gardait encore assez de la tradition catholique pour compléter saint Paul à l’aide de saint Jacques, la remarque a déjà été faite qu’il parle surtout des œuvres accomplies par l’homme déjà justifié. Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 439-440. Voir les textes dans Die abendlàndischen Schriflausleger, p. 315-331. Mais, dans son commentaire de l’Épître aux Galates (1519), son point de vue spécial s’accuse nettement par cette distinction : Vides quam non su/ficiat sola fides, et lamen sola justificat. In Gal., v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591. Par où il ne faut pas entendre seulement, au sens dogmatique, que l’on ne saurait être justifié que par la foi : Xeminem justificari posse nisi per fidem, Acta augustana, 1516, édition de Weimar, t. ii, p. 13, mais encore, au sens psychologique et moral, qu’il n’est pas besoin d’autre disposition : Anima per fidem solam… justificatur, sanctificatur, verificatur, pacipeatur… ne cuiquam opus sit lege aut operibus ad justiliam et salutem. De lib. christ., 10, édition de Weimar, t. vii, p. 53 ; trad. Cristiani, p. 35. Cet attachement exclusif à la foi seule est tellement profond chez Luther qu’il glisse — inconsciemment peut-être — cette réserve dans les textes évangéliques, tels que Joa., vi, 29, qui ne la contiennent pas. Ibid., 8, p. 52, et Cristiani, p. 31. D’une manière plus consciente il a modifié dans le même sens la traduction de Rom., iii, 28 et maintenu violemment cette version tendancieuse contre les « criailleries des papistes ». Edition de Weimar, t. xxx b, p. 636-612. Il n’est pas de point plus fondamental dans le système Luthérien. Voir les textes réunis dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, ]>. 430-443.

Aussi bien, si le tenue sola fide ne Qgure pas dans la Confession d’Augsbourg. et cela par une prudence facile à comprendre, il est repris et expressément commenté par Mélanchthon : Cognitio Christi fusttflcatio, cognitio autem sola fides est… Unii’ersx vitiv jnstitia non alia nisi fides, avait-il écrit dans Loc. com., Corpus Réf., t. xiii. C*0l, 178 et 179. De ces formules lapidaires VApologiu fournit un ample développement. Pour les Justifier, l’auteur remonte aux principes

essentiels qui caractérisent l’économie du salut selon la Réforme. S’il est vrai qu’il n’y a pas d’autre médiateur que le Christ, la justification doit en tenir compte et ne peut, dès lors, consister qu’à croire en ses mérites. Quomodo enim erit Christus mediator si in justificatione non utimur eo mediatore ?… Id autem est credere confédéré merilis Christi. De même, ce n’est pas la loi qui nous sauve, mais la promesse qui nous vient du Christ ; al hœc non potest accipi nisi fide. D’où il suit que la foi n’est pas seulement une condition préliminaire, initium justificationis seu præparatio ad justiflcationem. Elle renferme en elle-même et en elle seule la totalité de la justification : Hoc defendimus quod proprie ac vere ipsa fide propter Christum justi reputemur seu acceptiDeo simus. Apol., iv, 69-71, p. 99-100.

C’est pourquoi Mélanchthon accepte hardiment la formule sola fide, ou, suivant ses propres termes, Vexclusiva sola, qu’il lit équivalemment dans Rom., iii, 24, 28 et Eph., ii, 8. Une longue argumentation complémentaire, établie sur le concept de la rémission des péchés, aboutit à la même conclusion. Consequi remissionem peccalorum est justi ficari… Sola fide in Christum, non per dilectionem, non propter dilectionem aut opéra consequimur remissionem peccalorum… Igitur sola fide justi ficamur. Ibid., 75-78, p. 100.

La même doctrine s’exprime également chez les réformés. Témoin cette formule toute primitive de Calvin : Sola Dei misericordia constat nostra juslificatio, quam dum fides apprehendit justi ficare dicitur. Inst. chr., édition de 1536, dans Calvini opéra, t. i, col. 81. Cf. Catech. Gen., dans Niemeyer, p. 138. Dans l’édition de 1539, x, 10, ibid., col. 742-743, Calvin prend à son tour contre les « sophistes » la défense formelle de la particule sola. Aussi en trouve-t-on l’équivalent adouci dans les plus anciennes confessions de foi, telles que la Conf. Basil, prior, art. 9 : Justitiam… non tribuimus operibus…, sed lantum verse fiduciie et fidei in effusum sanguinem Agni Dei, Niemeyer, p. 99, et la première Confession helvétique, art. 12 et 14, ibid., p. 118 : … Sola nos Dei misericordia et Christi merito servari… Non quidquam tamen his officiis, licel piorum, sed ipsi simpliciter (fidei) justi ficationem… tribuimus.

b) Nature de la foi justifiante. — Que faut-il donc entendre par cette foi justifiante ? La pensée des réformateurs est loin d’être aussi claire ou aussi uniforme sur ce point. Elle se caractérise pourtant, d’une manière générale, en ce que, pour eux, foi est synonyme de confiance et signifie avant tout un mouvement du cœur. Voir Foi, t. vi, col. 60-63.

Bien que la doctrine de Luther ne soit pa-s exempte d’obscurité, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 440-444, et t. iii, p. 256, elle est certainement dominée par ce concept mystique de la foi. De bonne heure, sa crise de conscience l’amenait à traduire la foi par le sentiment de la miséricorde divine. Loofs, Dogmengeschichle, p. 697, et Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 104-107, 217-220. La même conception s’exprime formellement chez Mélanchthon : Fides non aliud nisi fiducia misericordiæ divinse. Loc. com., édition de 1521, dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Cf. col. 164, où croire est traduit par fidere graluila Dei misericordia. Assurément cette foi suppose d’abord la connaissance de la divine révélation et l’adhésion de l’esprit à la Rédemption par le Christ qui en est le principal élément. C’est pourquoi la Confession d’Augsbourg semble prendre la foi au sens objectif et dogmatique de l’Église. L’art. 4 est, en tout cas, rédigé de telle façon qu’il est susceptible d’être interprété dans ce sens : Gratis justi ficantur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccala remitti propter Christum. Muller, p. 39. Cf. art. 20, p. 44 : Credenles quod propter Christum recipiemur in gratiam. D’où il suit qu’avec l’histoire du Christ la foi doit en’atteindre l’effet salutaire : …Fidem quæ crédit non lantum historiam sed etiam effectum historiée, videlicet hune arliculum remissionem peccatorum. Ibid., p. 45,

Cependant le fait que ces formules sont rédigées à la première personne indique déjà qu’il ne s’agit pas seulement d’adhérer à une doctrine générale, mais d’en avoir la perception personnelle. Et ceci tient au principe même du système, d’après lequel la justification est un acte psychologique et subjectif. Dixi neminem justi ficari posse nisi per fidem, sic scilicet ut necesse sit eum certa fide credere sese justificari et nullo modo dubitare. C’est ainsi que Luther établissait, en 1518, sa position à l’égard de l’Église, Acta augustana, édition de Weimar, t. ii, p. 13 : il a toujours continué à s’y maintenir. Fiducia cordis per Christum in Dzum est pour lui le dernier mot de la justifia christiana. In Gai, iii, 6, même édition, t. xl, p. 366. Autres textes dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 435-439, et J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 180-183.

Mélanchthon définit pareillement la foi comme étant le sensus misericordise Dei. Loc. com., dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Aussi dans VApologia, à côté des passages où la foi est prise au sens objectif : assentiri promissioni Dei…, velle et accipere oblatam promissionem remissionis peccatorum, iv, 48, Muller, p. 95, ou encore : quoties nos de fide loquimur intelligi volumus objectum, scilicet misericordiam promissam, ibid., 55, p. 96, voit-on apparaître la fiducia misericordiæ Dei, ibid., 58, p. 97. Et celle-ci ne peut que signifier un mouvement subjectif du coeur : Sola fide consequimur remissionem peccatorum, quum erigimus corda fiducia misericordiæ propter Christum promissse. Ibid., 79, p. 101. Cꝟ. 86, p. 103 : Reconciliati… per misericordiam propter Christum, si tamen hanc misericordiam fide appréhendant. Ailleurs on voit clairement que cette foi prend un caractère expérimental : Hoc proprie fidei est illius, de qua nos loquimur, quæ sentit se habere Deum placalum. Ibid., ni, 153, p. 136. Cf. xii, 35-36, p. 172, et 60, p. 177 : Nos præter hanc fidem (in génère) requirimus ut credat sibi quisque remitti peccata, ou encore ibid., 73-74, p. 179-180, où il se réclame de saint Bernard.

Cet aspect subjectif de la foi justifiante prend sous la plume de Calvin une forme didactique et précise : Hic præcipuus fidei cardo vertitur, ne quas Dominus offert misericordiæ promissiones extra nos tantum veras esse arbilremur, in nobis minime ; sed ut potius eas intus complectendo nostras faciamus. Hinc demwn nascitur fiducia… Est autem securitas quæ conscientiam coram Dei judicio sedat et serenat. Inst. chr., v, 9, édition de 1539, dans Opéra, t. i, col. 458. Formule qui donne son vrai caractère à cette autre, un peu antérieure, où Bellarmin, De justifie, i, 4, Opéra, t. vi, p. 153-154, croyait voir un concept d’ordre intellectuel : Nunc jusla fidei definilio nobis constabil si dicamus esse diuinæ erga nos benevolentiæ firmam certamque cognilionem, quæ graluitæ in Christo promissionis veritate fundala per Spirilum Sanctum et reuelatur mentibus nostris et cordibus obsignatur. Ibid., 6, col. 456. Car, si cette révélation repose, à n’en pas douter, sur une base objective, elle ne produit son effet qu’en devenant une persuasion personnelle. Quod adeo verum est ut sœpiuscule pro fiducia nomen fidei usurpetur. .. Id autem fieri nequit quin ejus (Dei) suaoitalem vere senliamus et experiamur in nobis ipsis. Toute autre conception s’arrête à mi-chemin. Ibid., 8, col. 457458.

Et rien n’est, en somme, plus logique. Du moment que l’homme est incapable d’aucune bonne œuvre pour se préparer à la justification, il ne lui reste plus d’autre ressource que de s’abandonner à la divine miséricorde avec la ferme confiance que, malgré sa misère, les mérites du Christ lui sont appliqués : Fide medialorem

Christum opponere debeamus iræ Dei, non opéra nostra Mélanchthon, Apol, v, 84, p. 182.

3. Aspect positif : Nature de la justification. — En elle-même, la justification comporte nécessairement un double élément, savoir la rémission du péché et le don de la grâce. Sur l’un et l’autre la Réforme a mis sa marque spéciale.

a) Rémission du péché. — Il faut se rappeler qu’à la base du système se trouve l’identification du péché originel et de la concupiscence. Celle-ci est donc absolument mauvaise en elle-même et, comme elle ne cesse d’exister en nous, il s’ensuit que nous sommes toujours en état de péché. La grâce de la justification consiste seulement en ce que ce péché ne nous soit pas imputé.

Telle est la conception à laquelle, sous l’influence de la théologie nominaliste et de quelques textes tendancieusement compris de saint Augustin ou de saint Paul, Luther était nettement arrivé dès son commentaire sur l’Épître aux Romains. Sancti intrinsece sunt peccatores semper : ideo extrinsece justificantur semper… Intrinsece dico, id est quomodo in nobis…, extrinsece autem quomodo apud Deum et in repulatione ejus sumus. Igitur… ex sola Dei reputalione justi sumus… Rêvera peccatores, sed repulatione miserentis Dei justi. Et son mysticisme s’édifie de cette étrange contradiction : Mirabilis et dulcissima misericordia Dei, qui nos simul peccatores et non peccatores habet ; simul manet peccalum et non manet. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 104106, et de même plus bas, p. 124 : Nunquam remiltitur omnino, sed manet et indiget non imputalione, ou encore p. 115 : Sciunt (sancti) in se esse peccatum, sed propter Christum legi et non imputari. Conduit à cette conception par les expériences douloureuses de sa conscience, Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 445-454, et t. iii, p. 3641, Luther la garda toute sa vie. Voir Th. Harnack, t. ii, p. 424-426 et J. Kôstlin, t. ii, p. 192-194. La formule suivante résume sa pensée : Dominus g’ratuilo non imputando remittil. Dictata sup. Psalt., Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, t. iii, p. 175. Cf. t. xl, p. 233-235.

Sous une forme moins vibrante mais non moins nette, elle se retrouve chez les autres réformateurs. En termes juridiques très étudiés, Mélanchthon, dès la première édition de ses Loci communes, parlait de condonatio peccati. Corp. Reform., t. xxi, col. 140. Dans son Apologia, la remissio peccatorum joue un très grand rôle, en particulier iv, 75-110, p. 100-107, comme dans la Confession d’Augsbourg elle-même, art. 4 et 12, p. 39-41. La manière dont il l’entend se fait jour quand, à propos du péché originel, il adopte et défend la doctrine de Luther : Peccatum originis manere post baplismum… Hic palam falctur esse, hoc est manere peccatum, lametsi non imputetur, ii, 35-36, p. 83. Cf. ibid., 38-41, p. 84. Néanmoins cette théorie reste, en somme, discrète dans V Apologia, et dans ce fait on peut voir un germe de l’évolution postérieure de son auteur.

Chez Calvin également, la concupiscence est un péché, et qui demeure même chez les saints, mais qui ne leur est pas imputé. Insl. chr., édit. de 1539, ii, 63 et 64, Opéra, 1. 1, col. 348-3 19. Il faut toujours entendre dans ce sens juridique et extérieur d’une remise des péchés, et non d’une rémission véritable, cette remissio peccatorum dont la Réforme se plaisait à faire état.

b) Imputation de la justice ; Le (ail. — La nonimputation du péché a pour corrélatif le don divin de la grâce, qui est elle-même conçue comm ; une simple imputation : le caractère de l’une entrain. 1 celui de l’autre. Pour Luther, c’est, en effet, tantôt Celle Ci qui est la raison logique de celle-là : Tuli enim (credenti ) non imputai peccatum quia reputat ei jusliliam, ! n Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, i.iu, p. 175 ; d’autres fois, au contraire, c’est la seconde qui est équiparée à la première et par elle expliquée : Jusliliam dari per

reputationem sine operibus, quod utique fit per nonimputationem injustitiæ. Ergo idem est dicere : « Cui Deus reputat jusliliam » et « Cui Dominus non imputai peccatum. » In Rom., iv, 7, Ficker, p. 119. De toutes façons son hostilité contre les habitus infus de la scolastique le fait insister sur le caractère purement extrinsèque de la grâce : Extrinsecum nobis est omne bonum noslrum quod est Christus. In Rom., iv, 7, Ficker, p. 114. Aussi être justifié est-il toujours synonyme pour lui d’être tenu pour juste : Justi jical, id est justos reputat. In Rom., ni, 7, Ficker, p. 59-60. Voir encore cette glose caractéristique, en marge de Rom., ii, 13 : Non enim quia juslus est ideo reputatur a Deo, sed quia reputatur a Deo ideo justus est. Ficker, 1. 1, p. 20,

C’est pourquoi il ne veut rien savoir d’une justice qui serait une réalité intérieure à notre âme : Justitiam non esse formaliter in nobis, ut Aristoteles disputai, sed extra nos in sola gratia et reputalione dioina. Et nihil formée seu juslitiæ in nobis esse præler illam imbecillem fidem seu primilias fidei quod cœpimus apprehendere Christum ; intérim lamen vere peccatum in nobis manere. Deuxième commentaire de l’Épître aux Galates (1535), iii, 6, édition de Weimar, t. xl a, p. 370. Cf. ibid., ii, 16, p. 225-228. Autres textes réunis dans Loofs, Dogmengeschichle, p. 702 et 706.

On a pu reprocher à Mélanchthon dans sa première manière quelque hésitation, plus exactement quelque confusion sur ce point. Loofs, Dogmengeschichle, p. 825-827 et 836-837. Il admet, en effet, comme également scripturaires l’interprétation réaliste ou l’interprétation purement déclarative de la justification. Et quia justifïcari significal ex injustis justos effici seu regenerari, significal et justos pronuntiari seu repulari. Ulroque enim modo loquitur Scriplura.. Mais, dans ce texte même, on peut déjà voir que la seconde a ses préférences. Il avait d’ailleurs écrit quelques lignes plus haut : Fide propter Christum justi reputemur seu accepli Deo simus. Apol., iv, 72, Millier, p. 100. Aussi peut-on croire que l’idée d’une justification réelle est une concession faite momentanément à ses adversaires, tandis qu’il se rallie partout pour son compte à la notion de justice imputée.

c) Imputation de la justice : Le mule. — Il est d’ailleurs assez difficile de savoir en quoi consiste exactement cette imputation. Dans les débuts, il semble que Luther ait conçu que ce soit la justice même du Christ qui nous est imputée à cause de notre foi. (Christi) justitia eos (peccatores) tegit et cis imputatur. In Rom., vii, 25, Ficker, t. ii, p. 176 Le Christ serait ainsi « le manteau qui cache notre honte ». Peccatum adest, adest vere… ; sed ignoratur et absconditum est apud Deum, obstante mediatore Christo. Deuxième com. sur Gai..n, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 234.

Aucune conception n’était plus conforme à ses propres expériences et au pessimisme moral qui en fut le fruit. Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440 et t. iii, p. 67-70. Ce qui lui faisait dire que la justification n’est, de notre part, que pure passivité. Ad primim gratiam, sicut et ad gloriam, semper nos habemus passive sicut millier ad conceptum. In Rom., viii, 27, Ficker, t. ii, p. 206. Autres textes dans Denifie, trad. Paquier, t. iii, p. 261-263, et Loofs, p. 709. Doctrine mystique dont on trouve l’écho fidèle dans les Loci de Mélanchthon : Justi ficamur… ciun illi fuie adluvremus, nihil dubitantes quin Christi justitia sit nostra justilin. quin Cliristi satisjaclio sit expialio nos tri. Corp. Reform., t. xxi, col. 159. Cf. Apolog., iii, 56, Millier, p. 118 : Senticndum est quod reconciliati fide propter Christum justi repulemur. Elle est toujours resiée un élément capital dans le concept luthérien de la Justification. Voir Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 1 13-1 17, et J. Kostlin, op. cil., t. ii, p. 197-201.

Cependant on croit saisir une autre nuance quand Luther dit que c’est notre foi qui nous est imputée à justice : Fides sufflcit sine Mis operibus, et ita non est operantis sed Dei acceptantis fldem ipsius ad justitiam. Glose interlinéaire sur Rom., x, 6, et iv, 4, Ficker, 1. 1, p. 93 et 37. Foi qui assurément est un don de Dieu, mais qui est aussi une soumission de notre part, propre à lui rendre hommage. De lib. christ., 11, trad. Cristiani, p. 35-36. Où l’on entrevoit que la foi est un acte moral dont la valeur n’est pas à négliger.

De subtils interprètes expliquent, en effet, que la justification d’après Luther serait un processus vital commencé en nous par l’acte de foi et que Dieu accepte, malgré son insuffisance, parce qu’il en comble le déficit au moyen des mérites du Christ déjà vivant en nous. Seeberg, Doymengeschichle, t. iv, p. 108-116 et 238-245. Bien que foncièrement hostile à la doctrine des œuvres, Luther s’en rapprocherait ici d’une manière assez notable et l’on comprendrait par là que cette considération surgisse surtout dans les moments où il s’agit d’atténuer le paradoxe inquiétant de la justification par la seule foi.

Toujours est-il que c’est tantôt le Christ qui est appelé par lui notre justifia formalis, Lettre à Brenz de 1531, dans Enders, t. ix, p. 20, tantôt la foi elle-même, deuxième commentaire sur l’Épître aux Galates, m, 6, édition de Weimar, t. xl, p. 364. Ces variations de Luther sont déjà relevées par Bellarmin, De juslif., ii, 1, Opéra omnia, t. vi, p. 208. Et la raison dernière de cette divergence est sans doute que, dans cette intelligence plus ardente que précise, la foi est moins un acte à nous qu’un acte de Dieu en nous. Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 280 et 284-286. C’est pourquoi sa valeur subjective se confond avec sa portée objective, qui est de nous revêtir de la justice même du Christ : Fides est hase vestis qua induimus justitiam Christi coram Deo. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangeh, t. vii, p. 431-432. Ou encore : Fide apprehensus et in corde habitons Christus est justifia christiana propter quam Deus nos reputat juslos, deuxième com. de Gal., ii, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 229. Cf. ibid., p. 233 : Fides apprehendit Christum… includitque eum ut annulus gemmam.

Dans la Confession d’Augsbourg et son Apologie, chaque fois qu’on se trouve en présence de formules précises, c’est partout notre foi qui nous est imputée à justice, parce que, tout imparfaite qu’elle soit, elle est tenue par Dieu comme suffisante… Gratis justifteentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi… Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso, art. 4, Mûller, p. 39. Fidèle à cette doctrine, Mélanchthon d’exposer à son tour quod fides sit ipsa justifia qua coram Deo justi reputamur. Apol., iv, 86, p. 103. Et encore, ibid., 89, p. 104, à propos de Rom., iv, 5 : Hic clare dicit fidem ipsam imputari ad justitiam. Fides igitur est Ma res quam Deus pronuntiat esse justitiam et addit gratis imputari. Cf. ibid., 114, p. 108 : Hac fide iusti reputamur propter Christum, et xii, 36, p. 172 : Hœc fides justi ficat coram Deo. Pour la position des réformés, voir Calvinisme, t. ii, col. 1403-1404.

d) Rôle de la foi. — Il ne faut d’ailleurs pas se méprendre sur le rôle de cette foi. Les réformateurs entendent bien exclure tout ce qui en ferait une œuvre méritoire. Elle ne reste plus, du côté de Dieu, que comme une condition à l’octroi de sa grâce, de notre côté, que comme le moyen d’appréhender, pour nous en couvrir, la justice du Christ.

Propter fidem quæ apprehendit Fitium nos reputat justos, disait Luther, Enarr. in Gen., xv, dans Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 301-302. Cf. Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 431-433 et 439-441 ; J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 195-197. D’une manière un peu moins nette, mais dans un sens manifestement ana logue, Mélanchthon expose que toute la valeur de la foi lui vient de ce qu’elle reçoit ou saisit la promesse du pardon divin. Nam fides non ideo justi ficat et salvat quia ipsa sit opus per sese dignum. sed tantum quia accipit misericordiam promissam. Apol., iv, 56, p. 96. Formule qu’on retrouve ibid., 86, p. 103. Cf. xii, 80, p. 181 : Necesse est contritos apprehendere fide promissionem remissionis peccatorum donatse per Christum

Ce qui fait que la foi n’est, au total, qu’une condition préalable pour bénéficier de l’imputation que Dieu nous fait de la justice du Christ. Quia justifia Christi donatur nobis per fidem, ideo fides est justifia in nobis imputative, id est : est id quo efficimur accepti Deo propter imputationem et ordinationem Dei. Ibid., iii, 186, p. 139-140. Cf. Loofs. Dogmengeschichle, p. 835836. Il avouait d’ailleurs que dans V Apologia il n’avait pas pu dire toute sa pensée et se montrait plus explicite dans sa correspondance. Corp. Re/orm., t. ii, col. 501-502.

e) Conséquence : Justification forensique. — D’où il suit que, strictement parlant, la justification demeure extérieure à notre âme. Elle est seulement une procédure divine qui consiste à ne plus tenir compte de nos péchés et à nous appliquer du dehors les mérites du Sauveur. Un historien protestant, Loofs, p. 697, ramène toute la piété de Luther et toute sa conception du christianisme à cette triple égalité : justi ficari = absolvi ; gratia = misericordia Dei non imputantis ; fides = fiducia misericordiae. Cet extrinsécisme fondamental devait conduire les théologiens de la Réforme à équiparer la justification du pécheur par Dieu à celle que les tribunaux prononcent sur l’accusé.

Mélanchthon, qui semblait tout d’abord réserver l’analogie de Vusus forensis pour caractériser la doctrine de saint Jacques où intervient la considération de nos œuvres, Apol., iii, 131, p. 131, finit par l’adopter pour son propre compte, à propos de Rom., v, 1 : Justificare hoc loco forensi consuetudine signifteat reum absolvere et pronuntiare justum sed propter alienam justitiam, videlicet Christi, quæ aliéna justifia communicatur nobis per fidem. Ibid., 181, p. 139. Il n’a plus cessé de l’entendre ainsi dans la suite. Nim Hebrœis justificare est foreuse verbum ; ut si dicam : populus Romanus justificavit Scipionem accusatum a tribunis, id est absoluit seu justum pronuntiavit. Lie. com., édition de 1535, dans Corp. Reform., t. xxi. col. 421, et édition de 1559, ibid., col. 742. Même principe et même exemple historique dans Com. in Rom., introduction intitulée Summa doctrinse… de jwstificatione, t. xv, col. 510.

On trouve également chez Calvin une doctrine et une image de tous points identiques : Juslificxri coram Deo dicitur qui judicio Dei censetur justas… Quemalmjdum si reus innocens ad tribunal œqui judicis adiacatur, ubi secundum innocentiam ejus judicatum tuerit, justificatus apud judicem dicitur, sic apud Deum justi ficatur qui, numéro peccatorum exemptus Deum habet suse justifias testem et assertorem. Et il va de soi que cette justice n’est pas la sienne, mais celle du Christ dont il est revêtu : Justificabitur Me fide qui, operum justilia exclusus, Christi justitiam per fidem apprehendit, qua vestitus in Dei conspectu non ul peccalor sed tanqaam juslus apparet. Inst. christ., x, 2, édilion de 153J, dans Opéra, t. i, col. 737-738.

Un non-lieu divin, tel serait ainsi le dernier mot de l’économie du surnaturel en nous.

3° Propriétés de la justification — Il suffisait aux premiers réformateurs de marquer leurs principes essentiels, sans se livrer encore à cette analyse méthodique des propriétés de la justification qui devait tenir tant de place dans la scolastique protestante des siècles suivants. Cependant il faut relever encore quelques-unes de leurs positions secondaires, ne lût-ce

que pour comprendre l’enseignement que le concile de Trente dut leur opposer. Elles sont relatives à l’état de l’âme justifiée, point sur lequel la Réforme naissante n’est pas parvenue à sortir d’une profonde confusion.

1. FIBSI de la justification.

D’une part, en effet, la justification est ici un état progressif et jamais achevé. Semper homo fchristianusj est… in fïeri, disait Luther dans ses premières notes sur l’Épître aux Romains, xii, 2, Ficker, t. n. p. 266-267. Ce qui est vrai d’un point de vue objectif : Deus est adhuc in aclu juslificationis non completo, mais aussi du point de vue subjectif : Colidie justificamur immerita remissione peccatorvm. Disp., édition Drews, p. 49 et 154. Tous les historiens protestants ont insisté sur cet aspect de la pensée luthérienne, qui peut tout d’abord sembler favorable à l’action conquérante de la grâce en même temps qu’à l’effort moral de l’homme pour y coopérer. Voir Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 111-112.

Mais Luther ne se rapproche du catholicisme qu’en apparence. Car ce fieri de la justification emporte pour lui la conséquence que le point de départ n’en est jamais acquis. Non justificavit nos, id est perfecit et absolvil justos ac justiliam, sed incepil ut perfteiat. In Rom., iii, 21, Ficker, t. ii, p. 94. Incipit enim remissio peccatorum in baptismo et durât nobiscum usque ad mortem. Disp., édit. Drews, p. 46. Le point d’arrivée n’en est pas moins problématique ; car notre justification tst seulement commencée, donc à peine réelle. Omnis qui crédit in Christum juslus est, nondum plene in re, sed in spe. Cceplus est enim juslificari et sanari. Ccm. in Gal., ii, 17, édition de Weimar, t. ii, p. 495.

De telle sorte que nous ne sommes pas précisément des juslificali, mais plus exactement des justifleandi. In Rem., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 111. II s’ensuit que la justification n’est, en somme, qu’une espérance et non point une réalité. Sic ergo in nobis sumus peccatores et lemen, reputante Deo, justi per fidem… Numquid ergo perjecte juslus ? Non, sed simul peccator et justus, peccator rêvera sed juslus ex reputatione… Ac per hoc sanus perjecte est in spe, in re autem peccator, sed inilium habens jusliliw. Ficker, ibid., p. 107-108.

Pour paradoxale qu’elle nous paraisse, aucune conception n’était plus logique dans un système qui identifie le péché originel et la concupiscence, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 446-454, et subordonne à la foi la valeur, non seulement de nos œuvres, mais encore des sacrements. Ibid., t. iii, p. 70-71.

2. Certitude de la justification.

Malgré cet état précaire de notre justification, chacun de nous peut et doit la tenir pour certaine.

Au début sans doute Luther affirmait plutôt le contraire. Le lait a été mis en évidence par Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 443-444, et accepté par des protestants tels que Loofs, p. 707, contredit par R. Seeberg, t. iv, ]). 108. Il faut d’ailleurs en chercher la raison moins dans un reste d’attachement à la tradition catholique que dans le pessimisme moral qui désole en ce moment l’âme du réformateur. Car, s’il est certain que nous sommes sauvés par la foi, cette foi elle-même demeure incertaine. Quamquam enim certi simus nos in Christum credere, non tamen certi sumus nos in omnia quæ ipsius sunt credere. Ac per hoc cliam in ipsum credere incertum est. In Rom., iii, 22, Ficker, t. ii, p. 89. Et, si c’est la pure acceptation divine qui inuis sauve, qui peut être assuré de celle-ci V Ignorant fsancii) quando justi sunt, quia ex Dca reputante justi taiitummodo sunt, eu jus reputationem nemo m, vil. sed solum postulare et sperme débet. Ibid., IV, 7, p. 104.

SOUS la pression croissante « le son mysticisme, l’évolution de Luther tut d’ailleurs rapide. Dès son commentaire UI l’Épître aux Hébreux, commencé en

1517, il admet une « présomption » confiante appuyée sur les promesses du Christ. Loofs, p. 711. En août

1518, les resolutiones des fameuses 95 thèses font déjà intervenir la certitude, th. 7, édition de Weimar, t. i, p. 542, et cette theologia nova est par lui défendue contre Cajétan : Dixi neminem juslificari posse nisi per fidem. sic scilicel ut necesse sil eum certa fi de credere sese juslificari et nullo modo dubilare quod graliam consequatur. Si enim dubilat et incertus est, jam non justificatur sed evomit graliam. Acta aug., édition de Weimar, t. ii, p. 13. Désormais il n’y a plus de doute sur ce point et le sentiment contraire est rejeté par Luther comme une fable scolastique. In Gai, i, 4, édition de Weimar, t. ii, p. 458. Textes dans Seeberg, t. iv, p. 107-108, et 230-232.

La certitude de la grâce emporte d’ailleurs pour lui la certitude du salut. Bien que moins accusée peut-être que chez Calvin, cette conséquence s’affirme à l’occasion chez Luther, comme en conviennent ses plus récents interprètes. Voir Denifle, trad. Paquier, note du traducteur, t. iii, p. 41-42. Ni son mysticisme, ni son opposition à l’Église ne lui permettaient de penser autrement. L’absolue certitude de la grâce divine était la contre-partie nécessaire de la justification par les œuvres qu’on voulait écarter et l’aboutissement normal de la justification par la foi.

Cette même conception fut recueillie de bonne heure par Mélanchthon, Loc. com., édition de 1521, Corp. Relorm., t. xxi, col. 196 et 197 : Necesse est certos nos esse de gralia, de benevolenlia Dei erga nos… Nihil christianismus ni ejusmodi vila quæ de misericordia Dei certa sit. Elle se reflète également dans la Confession d’Augsbourg, art. 20, Millier, p. 45 : Conscienlise non possunt reddi tranquillæ per ulla opéra sed tantum fide, quum certo statuant quod propler Christum habeant pacatum Deum. L’Apologia, iv, 110, p. 107, ne veut pas non plus d’une incerta remissio et la subordonne également à une persuasion certaine de chacun : Non diligimus nisi certo statuant corda quod donala sit nobis remissio peccatorum. Cf. xii, 88-89, p. 183. Cette assurance est étendue formellement par Calvin à la certitude même du salut, qui est devenue une des caractéristiques de l’esprit calviniste, encore que, sur ce point, le réformateur ne fasse, comme on l’a vii, que développer les principes de Luther. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1 106.

Il resterait maintenant à concilier cette certitude nécessaire avec le perpétuel devenir qui pèse sur notre justification. Jusque dans son Apologia, Mélanchthon concède que notre foi se débat toujours dans la lutte : Hase fûtes paulatim crescit et per omnem vitam luctatur cum peccalo. xii, 37, p. 172. Comment dès lors peut-il y avoir place pour cette ferme assurance qui est requise par le système ? Obtenue dans ces conditions paradoxales, la certitude de la grâce risque fort de se réduire à une promesse illusoire ou de se tourner en auto-suggestion. Le protestantisme, comme l’a bien marqué Loofs, Dogmengeschichle, p. 767-768 et 834836, ne pouvait qu’aboutir à cette impasse, du moment qu’il s’imposait la tâche de transposer en système objectif du salut ce qui avait été d’abord et devait nécessairement rester un fait de conscience tout subjectif.

IV. PRBltlÈRSS DIVBRQBKCE3. — Si l’accord fondamental était suffisamment réalisé chez les premiers réformateurs sur les principes essentiels de la justification, de bonne heure aussi on voit s’affirmer parmi eux des tendances divergentes qui ne feront que s’accentuer plus tard. Les principales sont déjà

marquées dans J. A. MdhJer, Symbolik, 8° édit., Mayence, 1872, p. 117-118, 140-112, 158-160 et 203 205.

l u Essence de la justification : Justice inhérente ou

imputée. — Même sur ce point capital l’unité des vues ne serait pas absolument parfaite parmi les premiers réformateurs.

1. Chez les Luthériens.

On a vii, col. 2144, que Luther, au moins dans ses débuts, admettait que le principe formel de notre justification est la justice même du Christ. D’autre part, il parlait volontiers de la foi comme étant rêvera regeneratio qu&dam in novitatem, Disp. de ftde, th. 65, dans Drews, p. 13, et Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. iv, p. 328, de la remissio peccati comme d’une resurrectio.

Sans peut être marquer qu’il s’agit là plutôt d’un effet psychologique et subjectif que d’une réalité objective, dos historiens protestants tels que Loofs, op. cit., p. 697-698, ont souligné ces traits qui dénoteraient une « intelligence religieuse du christianisme ». Et comme cette foi est une production directe de l’esprit de Dieu, Luther en arrivait à dire, par occasions, que la justification a pour résultat, mieux encore, pour caractère constitutif, de faire habiter et vivre en nous le Christ : fide apprehensus et in corde habitons Christus. In Gai, ii, 16, édition de "Weimar, t. xl, p, 229. Dans son entourage, quelques-uns comme Brenz, voulaient entendre la valeur de la foi en ce qu’elle est un principe de renouvellement. Voir la lettre écrite par Mélanchthon pour le ramener à de meilleurs sentiments. Corp. Reform., t. ii, col. 501-502, et la réponse de celui-ci, ibid., col. 510-512. Toutes formules qui révèlent une impression assez nette du mysticisme chrétien, mais qu’il était assez difficile de réduire en théorie et, plus encore, de concilier avec la doctrine reçue de l’imputation.

Aussi chez les spéculatifs, qui cédaient moins aux impulsions capricieuses du sentiment qu’au besoin de systématisation claire, c’est l’idée d’imputation qui fut retenue de préférence et qui répondait d’ailleurs à un autre aspect de la pensée de Luther. C’est surtout Mélanchthon, Loofs, p. 847-850, qui est rendu responsable de cette théorie, où la justification se ramène à un acte extérieur et juridique par lequel Dieu consent à ne plus nous imputer le péché et à nous tenir pour justes, tandis que la régénération est un second élément, inséparable sans doute mais formellement distinct du premier. Ainsi s’est constituée la doctrine classique du protestantisme orthodoxe, où l’on aboutit à une théorie cohérente de la justification, mais qui a le tort de la vider de sa signification religieuse. Ce serait là un des traits caractéristiques de ce « philippisme » qui devait prendre une place croissante dans le luthéranisme postérieur. Loofs, ibid., p. 868.

Il faut bien avouer que les contemporains furent moins sensibles à ces nuances que ne le sont les historiens récents, puisque Luther, comme Loofs, p. 856857, en fait lui-même la remarque, ne cessa jamais de témoigner à Mélanchthon la plus entière confiance. Mais ce fait permet de comprendre la réaction que nous verrons se produire bientôt contre la justification forensique par les soins d’André Osiander, plus bas col. 2195 sq, et que celui-ci avait bien quelque droit d’opposer la pensée authentique de Luther à celle de ses interprètes officiels.

2. Chez les réformés.

D’après le sentiment de ceux qui l’ont analysé avec le plus de soin et de pénétration, le concept de la justification chez les réformés se caractériserait également par une semblable nuance. Mathias Schneckenburger, Yergleichende Darslellung des lutherischen und reformierten Lehrbegrifjs, Stuttgart, 1855, t. ii, p. 45-92.

Tandis que l’élément objectif, c’est-à-dire l’acte divin de non-imputation, est le principal élément pour le luthérien, ici l’on insisterait plutôt sur l’élément subjectif de régénération, dont la justification proprement dite serait ensuite le fruit. La justification luthé rienne se ramènerait à ce jugement synthétique : le pécheur est juste, c’est-à-dire déclaré tel, tandis qu’elle se résoudrait, pour le réformé, en un jugement analytique comme celui-ci : le croyant est juste, c’est-à-dire qu’il est et se sent réellement tel. Ici la foi serait justifiante par elle-même, tandis que là elle est plutôt une condition de la justification. Schneckenburger, ibid., p. 112-115. Et il ne saurait échapper à personne, ibid., p. 30, que cette dernière conception est beaucoup plus éloignée que la première de la doctrine catholique.

Ces subtiles analyses ont d’ailleurs été contestées par A. Ritschl, op. cit., p. 212-213. F. Loofs doit cependant reconnaître, op. cit., p. 884-885, que la doctrine calviniste est plus apparentée à ce qui lui paraît être la pensée primitive de Luther qu’à la scolastique inaugurée par Mélanchthon. D’où il faut au moins retenir qu’un même système d’opposition à la tradition catholique pouvait recouvrir bien des variétés, qui préparaient pour l’avenir des controverses à grand éclat.

2° Conséquences morales de la justification : Rapport de la foi et des œuvres. — S’il n’y avait pas d’article plus essentiel à la Réforme que celui de la justification par la foi seule, il n’y en avait pas non plus de plus déconcertant. Ce mysticisme ne semblait-il pas faire fi de la morale, sinon même la condamner ? Aussi les premiers réformateurs s’efforcèrent-ils d’incorporer à leur système une doctrine des œuvres. Tâche laborieuse entre toutes, et qui n’alla pas sans de longs et pénibles tâtonnements.

1. Diverses tendances du protestantisme primitif. — D’après tous ses principes, Luther devait combattre les œuvres ou tout au moins les dédaigner. La corruption profonde de notre nature et l’absence de vrai libre arbitre les rendent impossibles. Puisque la foi seule justifie, comment ne seraient-elles pas inutiles ? Elles sont même dangereuses, parce qu’elles nous exposent à la tentation de la suffisance et de l’orgueil.

Ces diverses conséquences ont été tour à tour accueillies par le réformateur. Par suite de notre perversion, nos meilleures œuvres, pour lui, sont encore des péchés, même après le baptême : Cum sit fomite corruptus, ideo invenietur iniquitas in justilia ejus, id est quod etiam opéra ipsa bona injusta sint et peccatum. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 123. Voir Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 47-58. C’est pourquoi elles n’ont rien à voir avec la justification, qui se produit sans elles, sine adjuiorio et cooperalione operum… ; non enim hic opéra necessaria sunt ut vivas et salvus sis. Gloses sur Rom., iv, 6, et x, 6, Ficker, 1. 1, p. 38 et 93. A quoi il faut ajouter la théorie bien connue d’après laquelle le Christ a rempli les obligations de la loi pour nous, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440, et ci-dessus, col. 2138 : ce qui entraîne logiquement que nous soyons dispensés de l’accomplir. C’est une des formes, la principale, sous lesquelles s’affirme la « liberté du chrétien ». De lib. christ., 8-10, trad. Cristiani, p. 3235. D’une manière générale, il n’est pas de thème plus familier à Luther que l’opposition entre la Loi et l’Évangile, l’annulation de celle-là par celui-ci, Loofs, p. 721-722, et l’observation a été faite par des historiens protestants que le concept de loi demeure assez indéterminé chez lui pour s’étendre même à la loi morale. Loofs, p. 770-778.

Néanmoins on voit ailleurs que la foi n’est jamais seule, bien que seule elle justifie. Doctrine résumée dans cette antithèse : Fides sola justificat, sed nunquam est sola, dont les éléments, bien que pris en divers endroits de son œuvre, expriment bien la pensée de Luther. Loofs, p. 765. Voir Com. in Gen., xv, Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 305-306. Cf. In GaL, v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591 : Vides

quam non suffuiat sola fides et lamen sola juslificel. La foi, en effet, doit être active ; elle a pour but les oeuvres : Juslitia fidei… ad opéra et propter opéra datur, cum sit res qutedam viva nec possit esse otiosa. Sermon du 1 er janvier 1517, édition de Weimar, t. i, p. 119. On ne peut pas plus les séparer que, dans le feu, la flamme et la lumière. Œuvres, édition d’Erlangen, t. Lxiii, p. 125. C’est dire que non seulement les œuvres accompagnent nécessairement la foi (nécessitas prœsenliœ), mais que normalement elles en découlent (nécessitas consequenlise).

Aussi Luther corrige-t-il la « liberté du chrétien » en ajoutant qu’il doit accomplir par une sorte de spontanéité d’amour cette loi à laquelle il n’est pas tenu. De lib. christ., 19-22, trad. Cristiani, p. 45-49. L’essentiel est que toute la valeur des œuvres soit due à la personne et non l’inverse. Ibid., 23, p. 50-51. Dans cette voie, il arrive à Luther de professer la nécessité des œuvres pour le salut : Propter hupocrilas dicendum est quod bona opéra sint etiam necessaria ad salutem. Disp. de just., dans Disputationen, édit. Drews, p. 47. Il est vrai que, plus loin, il ne veut plus entendre parler de nécessité à cause de l’idée d’obligation et de mérite qu’elle inclut. Ibid., p. 159.

Nulle part on ne saisit mieux le caractère de « cette nature impressionnable et versatile, dont l’éloquence unilatérale souligne avec le même exclusivisme tantôt un aspect et tantôt l’autre des choses. » Loofs, Dogmengeschichle, p. 782. Et l’on voit assez par là combien difficile est la tâche des apologistes, tels que K. Thiemc, Die sitlliche Triebkraft des Glaubens, Leipzig, 1895, p. 265-314, qui s’efforcent d’établir la vertu moralisatrice de la foi dans le système luthérien.

2. Mélanchthon et la Concession d’Augsbourg.

Au milieu de cette confusion, Mélanchthon s’employa à introduire un peu d’ordre et de clarté. Son humanisme le prédisposait d’ailleurs à une moindre sévérité envers la nature humaine.

Dès 1521, alors que toute sa pensée se développe encore dans le sillage de Luther, il ne veut pas séparer la foi des œuvres qui en sont le fruit : Summam habes vniversa’vitæ christianæ, ftdem cum (ruclibus suis. Loc. com., dans Corp. Re/orm., t. xxi, col. 182. Il est seulement bien entendu que c’est la foi qui fait toute la valeur des œuvres : Fides distinguit opéra. Ibid., col. 181. Aussi précise-t-il que seule la loi cérémonielle est abolie : le décalogue demeure donc en vigueur, sauf que l’âme régénérée l’accomplit spontanément et nécessairement sous la pression de l’amour divin qui vit en elle, comme la clarté du jour suit nécessairement le lever du soleil. Ibid., col. 199-200.

La même doctrine se traduit dans la Confession d’Augsbourg. Falso accusantur nostri quod bona opéra prohibeant, art. 20, 1, Millier, p. 44. On voit que le reproche n’est pas d’aujourd’hui. Pour y répondre. Mélanchthon évoque d’abord le fait des nombreux traités consacrés par les réformateurs aux diverses obligations du chrétien, dont il se plaît à opposer la haute Inspiration éthique aux puerilia et non necessaria opéra qui absorbaient jusque-là le zèle des moralistes et des prédicateurs. Mais autre chose est le fait de prêcher la morale, autre chose de la rattacher logiquement aux principes de la Kéforme.

Après avoir longuement exposé que les œuvres ne contribuent en rien à notre justification, qui demeure gratuite, Mélanchthon les réclame cependant parce qu’elles sont commandées par Dieu, Dorent nostri quod necesse sit bono opéra lacère, non ut confldamus per ea gratiam mereri, sed propter voluntatem Det. En effet, la foi donne le Saint-Esprit, grâce auquel l’âme est arrachée au joug (le Satan et revêtue d’affections nouvelles qui la rendent désormais capable de faire le bien.

l)c telle sorte que non.seulement la doctrine protes

tante n’est pas incompatible avec les bonnes œuvres, mais que seule elle expliquerait comment nous pouvons arriver à les produire. Hinc facile apparet hanc doctrinam non esse accusandam quod bona opéra prohibeat, sed multo magis laudandam quod ostendil quomodo bona opéra facere possimus. Ibid., 35, p. 46.

Ces principes assez peu explicites sont repris et développés dans VApologia, où il est exposé comment les œuvres sont fructus et testimonia fidei, m. 63, p. 119, parce que la foi qui régénère le chrétien est active et se traduit, en conséquence, par une nouvelle vie. Quia fides offert Spirilum Sanclum et parit novam vilam in cordibus, necesse est quod pariât spirituales motus in cordibus. Ibid., 4, p. 109. Cette vie nouvelle est d’ailleurs obligatoire, parce que la loi divine s’impose toujours au chrétien et lui devient désormais possible grâce au Christ qui vit en lui : Profitemur igitur quod necesse sit inchoari in nobis et subinde magis magisque fieri legem. El complectimur simul ulrumque, videlicet spirituales motus et exlerna bona opéra. Ibid., 15, p. 111. A cette raison de fond s’ajoutent quelques considérations secondaires, fournies par la psychologie religieuse. Sunt enim facienda opéra propter mandalum Dei, item ad exercendam fidem, item propter confessionem et gratiarum actionem. On peut même reconnaître à ces œuvres un certain mérite : Docemus bona opéra meriloria esse, non remissionis peccatorum, gratise aut justificationis…, sed aliorum præmiorum corporalium et spiritualium in hac vita et posl hanc vitam. Ibid., 68 et 73, p. 120.

L’essentiel est de maintenir que les œuvres suivent la foi, au lieu de la précéder, que par conséquent c’est dans celle-ci qu’il faut placer sa confiance et non dans celles-là. iv, 74 et 77, p. 100. Au nom de cette règle, l’auteur pense pouvoir rendre suffisamment compte des textes si nombreux où saint Paul, par exemple, m, 97-107, p., 123-125, et saint Jacques, iii, 123-132, p. 129-131, réclament l’accomplissement de la loi et la pratique des œuvres pour le salut.

3. Controverse antinomiste.

De ces divergences mal unifiées par la Confession d’Augsbourg, la première controverse antinomiste allait être une publique manifestation.

a) Origine. — La remarque a été faite depuis longtemps que Mélanchthon commença de bonne heure à quitter les voies du luthéranisme officiel. Une des formes de cette indépendance fut l’affirmation du libre arbitre, qui, dès 1528, le rapprocha d’Érasme. Loofs, Dogmengeschichte, p. 787-789. D’où cette doctrine du synergisme, affirmée dans les Loci communes de 1535, qui autorise et réclame, à rencontre du déterminisme orthodoxe, la collaboration de l’homme à l’action divine. Ibid., p. 845-816. Ces nouvelles prémisses métaphysiques ne pouvaient que donner à la doctrine des œuvres un plus grand relief, qui eut pour conséquence de l’exposer à une première et très grave contradiction.

D’une part, dans l’entourage de Mélanchthon et manifestement sous son influence, on voit s’affirmer une école d’extrême droite, que sa tendance rapproche, bon gré, mal gré, du catholicisme. Témoin la thèse, soutenue en juillet 1536 par Caspar Creutziger, d’après laquelle le Christ serait, dans l’affaire du salut, la causa propter quam, tandis qu’à côté d’elle nostra conlrilio et noster conatus sunt causalusti/icationis sine quibus non. On conçoit que les luthériens fidèles en aient manifesté de l’émotion. Voir la correspondance échangée à ce propos entre Conrad Cordatus et Creutziger, Corpus Reform., n. 1460 et 1561, t. iii, col. 1°>'J-Ki 2 et 350-351. Premier germe de la controverse antinomiste que les aimées suivantes allaient voir éclater.

Il n’est plus aujourd’hui contesté par personne que

les débuts de la Réforme allemande furent marqués par un très grand débordement des mœurs. Les témoins contemporains ne manquèrent d’ailleurs pas d’apercevoir les relations de ce fait avec la doctrine de la justification par la foi. Du moment que les œuvres étaient proclamées inutiles, la logique populaire en tirait la conclusion qu’il n'était plus besoin de s’en préoccuper. Voir le dossier de textes réunis dans A. Baudrillart, L'Église catholique, la Renaissance, le Protestantisme, Paris, 1904, p. 306-329, d’après Dôllinger, La Réforme, trad. française, t. i, p. 12-177.

b) Explosion, — Cependant, malgré ces déboires pratiques, les principes restaient saufs. Ils allaient être ébranlés, jusqu'à inquiéter Luther lui-même, par un luthérien de la première heure, Jean Agricola. Voir 1. 1, col. 632-634.

On a mis en doute qu’il lût, en réalité, l’exact interprète du luthéranisme primitif. Loofs, p. 859-860. Toujours est-il qu’il a pu s’en réclamer et que la « pure doctrine » lui paraissait exiger, avec l’inutilité des œuvres, l’abolition totale de la loi pour le chrétien. D’où il concluait qu’il n’y a plus à prêcher la loi, mais seulement l'Évangile, et son enseignement trouva un écho favorable en divers milieux allemands.

Luther, qui commençait à constater les ravages contagieux de ï'inconduite dans son troupeau, ne pouvait rester insensible devant une doctrine qui risquait de la favoriser en lui donnant un fondement spéculatif. C’est pourquoi l’antinomisme d’Agricola deva’t lui paraître un danger.

Un premier conflit mit aux prises Agricola et Mélanchthon, qui se termina, sur l’intervention irénique de Luther, par la conférence de Torgau (26-28 novembre 1527). Dix ans plus tard, Agricola reprenait ia propagande de ses doctrines sur la loi, en visant cette fois Luther en personne. Celui-ci se défendit par deux sermons en date du 1 er juillet et du 30 septembre 1537, puis par des discussions académiques, d’abord modérées, mais qui ne tardèrent pas à devenir violentes, Drews, Disputationen M. Luthers, p. 249-484, où il dénonçait l’erreur criminelle des antinomistes. Une réconciliation momentanée eut lieu le 30 octobre 1537. Mais la controverse reprit de plus belle entre les deux réformateurs en 1538, puis encore en 1539-1540 : ce qui amena Luther à soutenir de nouvelles thèses et à publier son petit traité Contre les antinomistes (janvier 1539), édition de Weimar, t. l, p. 461-477. Agricola finit par se soumettre, mais sans guère renier ses principes, dont nous retrouverons l’influence quelques années plus tard. Les principaux documents de la controverse sont publiés dans C. E. Fôrstemann, Neues Urkundenbuch zur Geschichle der evang. KirchenRe/ormalion, Hambourg, 1842, t. i, p. 291-356. Ils sont utilisés dans G. Kawerau, Johann Agricola, Berlin, 1881, p. 168-222, repris par le même auteur dans Beilrâge zur Rclormationsgeschichle, Gotha, 1896, p. 6080 ; résumés dans Realenajclopâdie, art. Agricola, et Antinomistische Streitigkeilen, t. i, 3e édit., p. 249253 et 585-590.

Cet épisode de la première Réforme fournit en général aux théologiens protestants l’occasion de célébrer la victoire de Luther sur le « faux esprit évangélique ». J. Kôstlin, op. cit., t. 1, p. 400-402. Il est peutêtre plus intéressant et plus révélateur, pour l’histoire, de voir l’initiateur de la Réforme réagir contre ses propres principes, aussitôt que la logique intransigeante de quelques extrémistes les poussa jusqu'à leur plein épanouissement.

4. Doctrine caluiniste.

On ne trouve pas les mêmes déchirements ches : les réformés, parce que la place y fut toujours plus nettement faite aux œuvres humaines dans l'économie du salut. Par où ils accusent

un nouveau trait de différence avec le luthéranisme strict. Après Schneckenburger, op. cit., t. ii, p. 91, il est assez couramment admis, chez les protestants, « que l’une des deux Églises a plus insisté sur la justification et l’autre sur la sanctification. » A. Matter, art. Justification, dans Encycl. des se. relig., t. vii, p. 569.

F idem oporlel esse fontem operis, professait déjà Zwingle, et il estimait paradoxal qu’on ait pu dire omne opus noslrum esse abominationem. Pourvu que nos œuvres soient inspirées par l’esprit de foi et rapportées à Dieu par l’humilité, elles sont, non seulement utiles, mais nécessaires. Si fidèles sint, opère sese nobis probent esse fidèles ; fidem sine operibus (urgemus) morluam esse…, in Christo nihil valere nisi fidem quæ per caritatem operatur. Expos, christ, fidei, dans Niemeyer, p. 57-59. Sur quoi Môhler, op. cit., p. 204, a noté que Zwingle expose ici la doctrine protestante d’une manière inexacte : il serait plus juste de dire qu’il en représente une très intéressante variété.

On la retrouve à peu près identique chez Calvin. Fatemur quidem cum Paulo non aliam fidem iustificare quam illam caritate efficacem. Inst. chr., édit. de 1539, x, 11, Opéra, 1. 1, col. 743. Et plus loin : Non enim aut fidem somniamus bonis operibus vacuam, aut juslificationem quæ sine eis constet. Mais il ajoute aussi par manière de précision : Hoc tantum interest quod, quum fidem et bona opéra necessario inter se cohserere faleamur, in fide tamen, non in operibus justificationem ponimus. Ibid., 57, col. 776 ; cf. col. 743 : Abrilla caritatis efficacia justificandi vim (fides) non sumit. C’est assez dire que nous sommes toujours sur le terrain fondamental de la Réforme ; mais n’est-il pas significatif que la justification par la foi se réduise ici à une simple distinction formelle dans un acte total où les œuvres ont nécessairement leur part ?

Sans exagérer la portée de ces dissentiments, qui laissent subsister le plus complet accord dans une commune opposition à la tradition catholique, on n’en saurait méconnaître la réalité. Ils commencent dès la première heure la longue série de ces « variations » dont si justement les controversistes catholiques se plairont toujours à tirer parti.


II. RÉACTION DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE. —

Ces critiques et ces nouveautés de la Réforme naissante ne restèrent pas sans réponse. Les défenseurs de la cause catholique s'élevèrent en nombre, dont l’effort prépare avec plus ou moins de bonheur et, par conséquent, conditionne dans une large mesure l’oeuvre du concile de Trente. Par suite de ces répercussions ultérieures un certain intérêt s’attache aux solutions, même imparfaites, que le problème central de la justification fit naître, au cours de cette controverse, dans l’esprit des théologiens qui improvisèrMit alors la défense de la foi.

I. DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE.

A côté des

points qui avaient plutôt trait à l’ordre pratique, le thème spéculatif de la justification est entré pour sa part dans les premières controverses. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 277, estimait que l’importance de cet article ne fut pas bien aperçue par les théologiens catholiques jusqu'à la Confession d’Augsbourg. Ce jugement a été rectifié, sur une étude plus complète des sources, par H. Lâmmer, Die vortridentinischkatholische Théologie, Berlin, 1858, p. 176-177. Sans méconnaître les développements et les précisions que cette question devait recevoir dans la suite à l’occasion des colloques où s’affrontèrent les deux confessions, les faits permettent d’affirmer que les positions fondamentales de la théologie catholique furent prises dès le début.

Premières controverses.

 Il y a seulement lieu

d’observer que les premiers adversaires du protestan

tisme ne se trouvaient pas encore en présence d’une doctrine nettement définie. Leur principal guide était la série des 41 propositions condamnées en 1520 par Léon X et la réponse apologétique opposée par Luther à la bulle de celui-ci. Or la justification ne s’y trouve pas directement touchée, encore qu’on l’y aperçoive à l’arrière-plan. En dehors de là, il ne restait, pour orienter leur elïort, que la connaissance personnelle des œuvres si toufïues où s’affirmaient les principes de la Réforme. Ce qui permet de comprendre que la doctrine de la justification ne soit guère chez eux l’objet que d’expositions occasionnelles, au milieu de beaucoup d’autres, mais suffisantes toutefois pour établir que l’essentiel du problème ne leur a point échappé.

Naturellement c’est en Allemagne que la controverse devait surtout se développer. Il y a peu à glaner dans les premiers écrits de Jean Eck, voir t. iv, col. 2056-2057 : mais on trouve déjà un chapitre sur la foi et les œuvres dans VEnchiridion controversiarum qu’il opposait, en 1525, aux Loci communes de Mélanchthon. Plus importante encore est la contribution fournie d’abord par Jacob Hochstraten, voir t. vii, col. 11-17, dans ses Cum divo Augustino colloquia conlra… Lutheri errores, 1522, et dans son petit traité spécial sur les bonnes œuvres publié sous ce titre : Calholicæ aliquol disputationes contra lutheranos, 1526 ; puis par Conrad Wimpina, dans sa volumineuse Anacephalœosis, publiée en 1528, où le livre IX de la deuxième partie traite De fide et operibus d’après la doctrine de saint Augustin.

A ces doctes représentants de l’École il faut ajouter les apologistes qui s’adressaient au peuple dans sa langue, pour le prémunir contre les nouvelles erreurs. Ainsi le dominicain Jean Dietenberger, voir t. iv, col. 756. dans les opuscules intitulés : Der Bauer. Obe die Christen mùgen durch iere gûlen Werk das lu/melreich verdienen, 1523, et encore Der leye. Obe der gelaub allein selig mâche, paru en 1524 avec une préface de Jean Cochlée ; le cistercien Berthold Pirstinger, évêque de Chiemsee, dont la Tewlsche Theologey, 1528, traduite en latin par l’auteur trois ans plus tard, est une véritable somme sur les matières de controverse. Voir Lâmmer, op. cit., p. 27-30.

En dehors de l’Allemagne, il faut signaler la Condemnaiio doctrinæ lulheranæ per Facultatem theologicam Parisiensem, du 15 avril 1521, texte dans Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum, t. n a, p. i-iv, cꝟ. 1. 1 a, p. 365 sq., rédigée par Josse Clichtoue. voir ici t. iii, col. 236-243, et surtout la célèbre Assertionis lutlicranæ conjutatio, 1523, due à l’illustre John Fisher, voir l. v, col. 2555-2561, évêque de Rochester et chancelier de Cambridge, dont on a dit qu’elle est la plus remarquable production polémique de la première moitié du xvie siècle. Lâmmer, p. 19.

Autour de la Confession d’Augsbourg.

Ces

efforts isolés prirent corps au moment de la fameuse diète d’Augsbourg, 1530, quand il s’agit d’opposer à la Confessio présentée au nom des protestants par Mélanchthon un exposé de la foi catholique.

Une commission de vingt théologiens, parmi lesquels figuraient la plupart des controversistes déjà nommés, fut chargée de ce travail. De leur collaboration sortit une Catholica et quasi exlemporanea responsio, qui suivait pas à pas la confession luthérienne et s’accompagnait de neuf appendices documentaires sur les erreurs de la secte. Ce document, parce que trop long et trop agressif, fut diversement remanié à quatre reprises pour aboutir à un texte définitif, qui fut accepté le 3 août et dont Jean Cochlée se bâta de faire un résumé populaire en allemand. Voir Lâmmer, p. 33-46, et Hefele, Hlst. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1117-112(1

Les novateurs étant restés irréductibles, la con troverse continua après comme avant. Aux champions déjà connus de l’orthodoxie s’ajoutèrent alors Jean Cochlée, voir t. iii, col. 264-265, avec ses quatre Philippiques. parues en juin 1531, dont la troisième répond aux art. 4-6 de V Augustana et porte, par conséquent, sur la justification ; plus tard, Jean Faber, qui devait devenir évêque de Vienne, avec son traité en trois livres De fuie et operibus, 1536.

Colloques postérieurs.

Malgré leur insuccès

immédiat, les conférences d’Augsbourg avaient amené les protestants à laire quelques concessions, dont leurs adversaires catholiques s’empressaient de profiter. C’est dans les années suivantes que l’évolution de Mélanchthon au sujet des œuvres, col. 2152, alla s’accentuant. En même temps, du côté catholique, quelques théologiens, soucieux de réaliser avant tout l’union de l’Église, s’ouvraient à l’idée qu’on pourrait s’accorder avec les luthériens en distinguant une double justice. Enseignée à Cologne par Albert Pighius et pleinement adoptée par son élève Jean Gropper, voir t. vi, col. 1880-1885, cette doctrine semblait offrir une possibilité de compromis.

Un nouveau colloque se tint, en effet, d’abord à Haguenau (27 juin 1540), puis à Ratisbonne (janvierjuillet 1541). Gropper en lut l’âme et, d’accord avec Bucer, élabora l’Intérim dit de Ratisbonne en vingt-trois articles, dont le cinquième est relatif à la justification. L’idée de la double justice en faisait les principaux frais : ce qui permettait de satisfaire les protestants en parlant d’imputation, moyennant quoi ceux-ci consentaient à entendre le fldes sola d’une foi vive et efficace. C’est au cours de ces tractations, auxquelles il assistait comme légat pontifical, que le cardinal Contarini, voir t. iii, col. 1615-1616, composa son Tractalus de justificatione, daté du 25 mai 1541, qui abondait complètement dans le sens de Gropper et obtint, entre autres, la haute approbation du savant cardinal Pôle. Voir sur ce mouvement Dôllinger, Die Rcjormation, t. iii, p. 308-322. Son ami Ant. Paleario poussait encore plus loin les concessions dans son Trattato utilissimo del beneficio di Giesu Christà, Venise, 1543. Lâmmer, op. cit., p. 66.

Cet accord hybride et quelque peu équivoque eut le sort qui attend en général ce genre de compromis : celui de ne contenter personne et d’être suspect à tous. Aussi, cinq ans plus tard, une nouvelle conférence s’ouvrait-elle encore à Ratisbonne (janvier 1546), où les interlocuteurs catholiques se tenaient fermement sur le terrain traditionnel. Dôllinger, op. cit., p. 322333. Il est vrai que, dans l’intervalle, étaient survenues les définitions du concile de Trente.

Au total, soit les controverses privées, soit les colloques officiels avaient eu pour résultat, sinon de ramener les dissidents, du moins d’attester l’existence d’un double courant dans la théologie catholique : l’un qui se contentait d’opposer aux erreurs protestantes la doctrine traditionnelle, l’autre qui cherchait à frayer entre les deux une sorte de via média. Ces deux tendances, si différentes par leur direction et si inégales dans leur valeur, doivent, de toute évidence, être étudiées séparément.

II, THÉOLOGIE TKAD1TIOSXELLE. — H. LàniIIUT,

op. cit., p. 137-176, a résumé en dix-sept thèses la doctrine de la justilication telle qu’elle s’exprime dans l’ensemble des controversistes énumérés ci-dessus. 11 suffit de les parcourir pour se rendre compte qu’elles représentent très exactement les positions du catholicisme en regard des innovations de la Réforme.

Conditions de la justification.

Leur principal

effort semble s’être porté surles causes et conditions de la justification — a) Doctrine. — Celle-ci n’est pas due à nos mérites, mais à la grâce de Dieu. Nusquam scribimus aut docemus Iwminem propler mérita sua jus

tiflcari, cumnon ignoremus sed faleamur aperle homines non per mérita sua sed per graliam Dei justiftcari et consequi remissionem peccatorum. Cochlée, Philipp., iii, 5, édition non paginée, Leipzig, 1534. Cf. ibid., 10 : Non enim ex noslris viribus, sed ex gralia Dei miserentis justificatio nostri est. La Con/utatio pontificia s’associe volontiers à l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg pour condamner les pélagiens qui font fi de la grâce. Texte dans C. A. Hase, Libri sijmbolici, Leipzig, 1846, p. lvii. C’est dire que, du côté de l’homme, il ne saurait être question que de conditions préalables.

Parmi ces conditions le premier rang appartient à la foi, que Jean Faber appelle déjà « le commencement du salut ». De fide et op., i, 10. Cf.Wimpina, Anacephal, ii, 9, ꝟ. 87a : Fidem… inilium nostree salutis et auspicium jundameniumque agnoscere’debemus. Mais la foi seule n’est pas suffisante pour justifier le pécheur. Cet aspect de la doctrine luthérienne est celui qui a le plus frappé nos controversistes, qui abondent en développements pour la réfuter.

Quod… justificationem soli ftdei tribuunt ex diametro pugnal cum evangelica veritate opéra non excludente, prononcent les auteurs de la Confutatio, i, 6, p. lviii-Lix. .Un petit dossier de textes scripturaires et patristiques appuie cette affirmation. C’est aussi à l’exégèse fécondée par une dialectique vigoureuse que John Fisher demande de rétablir ici Y evangelica veritas. Sa thèse générale est celle-ci : Prseler fidem exiguntur etiam cetera cuncta sine quibus frustra de juslificatione quis gloriatur. Ces « autres choses » se ramènent à notre apport moral : la foi qui justifie est celle qui est féconde en œuvres ou bien, si parfois elle justifie toute seule, c’est qu’elle est déjà par elle-même un commencement de justice, qui doit d’ailleurs être ensuite consommée par les œuvres effectives : Quoniam poieslate quadam intra se continet opéra quæ nundum in lucem édita sunt iccirco per eam iniliari solum justus dicitur, non autem consummari. Assert, luth, conf., art. 1, édition de 1524, s. 1., p. lxiv-lxv. Cf. art. 11, p. ccxxvi : Aliud est fidem exigi et aliud hanc solam sufficere.

Toute la troisième philippique de J. Cochlée est consacrée à ce point fondamental, qu’il s’applique à éclairer par les Pères et la raison, en même temps qu’il le soutient par de vives polémiques contre le crimen falsi dont se rendent coupables les protestants, ibid., 32, et contre les funestes effets de leur doctrine. Ibid., 59-63.

b) Méthode. — Sans insister sur un thème aussi fécond, il peut être intéressant de noter les principes de méthode posés à ce sujet.

Pour rendre compte de la doctrine de saint Paul, Wimpina distingue entre justice commencée et justice consommée : la foi seule suffit pour celle-là, mais les œuvres sont nécessaires pour celle-ci. La grande erreur des protestants est, à son avis, de méconnaître cette distinction. Anacephal., ii, 9, ꝟ. 87 a-b, 91 6-93 a, dans Làmmer, p. 151-153. J. Fisher s’inspire de vues toutes semblables. Assert., art. 1, p. lxv-lxix.

La synthèse exégétique vient à l’appui de cette analyse théologique. Car Fisher, par exemple, lit dans saint Augustin que certains passages de saint Paul isolés de leur contexte ont donné lieu à nier la nécessité des œuvres, p. lxxvii et lxxx-lxxxi. Aussi s’applique-t-il d’abord à rétablir le sens exact de ces passages, où il est question d’oeuvres légales et non pas d’œuvres tout court, puis à éclairer saint Paul, soit par lui-même, soit par les autres livres de l’Écriture et en particulier par l’Épitre de saint Jacques, p. Lxxmi sq. : Projecto sane intelligendus est et omnino cum divo Jacobo conciliandus. Neque enim hos inter se dissidere, neque horum alterulrum non dixisse verissima cuivis opinandum est, p. lxxxii. Pour Faber égale ment. De fide et operibus, i, 11, saint Paul trouve en saint Jacques son « très fidèle interprète ». L’accord des deux apôtres est un des lieux communs de nos controversistes. Làmmer, p. 154-156.

A ces deux règles s’ajoute une observation tirée de l’ordre psychologique et moral : c’est que « la foi est elle-même une bonne œuvre, » Berthold, Teivlsche Theologey, iii, 7, édition Reithmeier, Munich, 1852, p. 25, et qui en entraîne d’autres. Sans doute la foi peut être morte et nos auteurs s’accordent pour soutenir la possibilité de la fides in/ormis. Làmmer, p. 144. Mais normalement « une bonne foi ne peut pas être sans de bonnes œuvres. » Berthold, ibid. Elle engendre la charité, et c’est par là qu’elle devient propre n^nt justifiante. Fisher, p. xcv ; cf. a. 6, p. clxxxvi ; a. 9, p. ccxxiii-ccxxiv, et a. 12-13, p. ccxxxiii-ccxxxvi. Dès le premier jour, la pensée catholique a refusé de consentir à la dissociation de l’ordre religieux et de l’ordre moral.

Nature de la justification.

Autant nos auteurs

abondent sur la doctrine des œuvres dans ses rapports avec la justification, autant ils sont brefs sur la nature même de celle-ci. Soit parce qu’elle ne leur paraissait pas encore caractérisée, soit pour tout autre motif, la théorie protestante de la justics imputée n’a guère retenu leur attention. Néanmoins on ne manque pas de recueillir chez eux l’écho indirect et dispersé de la foi catholique sur ce point.

C’est ainsi que Berthold expose comment l’âme justifiée passe de l’injustice à la justice, rappelant que le baptême a pour effet de la laver et justifier. Op. cit., iv, 1-2, p. 29-31. J. Fisher s’attache à établir que, si la concupiscence demeure dans l’âme juste, elle n’est pas un péché, art. 2, p. ex et cxxx : toute la coulpe de nos fautes est effacée par le baptême, p. cxxii et cxxxvi-cxxxvii. Sa principale autorité est saint Augustin, au nom duquel il explique combien sont diverses dans saint Paul les acceptions du mot péché. Sur la foi des Écritures, il oppose à Luther qu’il n’y a pas de non-imputation possible sans véritable pardon, ibid., p. cxlii : Deum non imputare cuique peccatum est eidem remiltere et ignoscere penitus. Mais le péché ne peut être remis que gratiæ pnesentia, a. 13, p. ccxxxviii. Nam has duas, hoc est graliam et culpam, simul cuiquam adesse nequaquam est pDSsibile, a. 17, p. cccii. Cf. a. 36, p. dcxii. Aussi la grâce est-elle synonyme d’un principe de rénovation spirituelle : per Christi graliam renovamur et justificamur, a. 2, p. cxv, qui est infusé dans notre âme, a. 17, p. cccix, et devient sa véritable vie, a. 36, p. DLn.

En même temps que la grâce nous sont infusés les vertus et les dons du Saint-Esprit. J. Cochléa, Philipp. , iii, 15 et 48 ; Faber, De fide et operibus, i, 6 ; Berthold, Teivlsche Theol., xci, 1, p. 629, et autres dans Làmmer, p. 137-138. C’est par là que l’âme justifiés peut devenir féconde en œuvres de salut. J. Cochlée s’indigne comme d’un « blasphème contre le Christ » à l’idée que le juste pécherait dans tous ses actes. Philipp., iii, 60-61. J. Fisher consacre à réfuter cette assertion luthérienne tout l’art. 31, p. cccclxxccccxcvi. Au contraire, la grâce qu’il a reçue doit fructifier en bonnes œuvres, que Berthold, op. cit., Lxxvii-Lxxviii, présente comme une véritable « dette », p. 533-548, que J. Fisher et les autres réclament, comme on l’a déjà vii, tout à l’heure pour la « consommation » de notre justice. D’ailleurs « tous les théologiens sont unanimement d’avis, tous proclament d’une seule voix que la vertu méritoire des œuvres a sa source dans la passion du Christ, » Hochstraten, Aliquot disput. cont. Luth., i, 5, 1, Cologne, 1526, ꝟ. 62.

Ainsi la justification est progressive comme notre vie. Quamvis fide viva et fertili quis juslificatus fuerit, tamen adhuc eumdem per opéra magis et magis justi

ficari necesse est. J. Fisher, a. 1, p. lxviii. Car, sans mettre en cause la première grâce, il reste toujours à se défaire des restes du péché. Ibid., a. 13, p. ccxxxix. Et chaque fois que nous sommes absous du péché, c’est pour nous une nouvelle justification. Cochlée, Philipp., iii, 40.

Non seulement cette œuvre est toujours inachevée, mais r.otre fragilité la rend incertaine pour nous. Certissima quidem est Evangelii promissio secundum se, sed incertvm nobis et singulis an ea promissione digni simus. Cochlée, ibid., 46. Et J. Fisher de montrer la contradiction de Luther, qui, d’une part, promet à la foi l’assurance du pardon, tandis que, d’autre part, il afilime que nous ne sommes jamais sûrs de ne pas pécher mortellement par strite de quelque secret orgueil, a. 35, p. dxxxiv. La vérité est dans une modeste confiance qui n’exclut pas le recours à la miséricorde de Dieu.

S’ils n’ont pas épuisé le problème de la justification, ces premiers controversistes ont du moins bien aperçu l’essentiel des erreurs protestantes et commencé à mettre en œuvre les éléments de la théologie traditionnelle pour les réfuter.

/ ; I. ÉCOLE DE COLOGNE ; THÉORIE DE LA DOUBLE JV&T1CE. — Plus original, et d’ailleurs beaucoup moins heureux, fut l’effort de l’école de Cologne, qui crut pouvoir gagner les protestants en s’établissant sur le terrain contestable et assez mal défini d’une double justice.

La première manifestation littéraire en est due à Jean Gropper, dans VEnchiridion christianæ instituiionis qu’il joignit à l’édition des canons du concile provincial de Cologne, Canones concilii provincialis Coloniensis…celebrati anno 1536, Cologne, 1538. Un petit chapitre y développe sa théorie spéciale de la justification, ꝟ. 163-177, système qu’il reprit bientôt dans son Antididagma seu christianæ et catholicæ religionis per rev. et M.. :. Eccl. Coloniensis canonicos propugnalio, Cologne, 1544. Mais il en devait les principes à son maître, Albert Pighius, qui les avait publiés seulement dans l’intervalle, Controversiarum pracipuarum in comiliis Ralisponensibus traclatarum… explicatio, ouvrage dédié à Paul III, édité d’abord en 1541, puis de nouveau en 1542. La justification y occupe la seconde controverse tout entière en 41 grandes pages non foliotées.

Aux mîmes influences obéit le « traité de la justification t composé à Ratisbonne, en 1541, par le cardinal Contarini, publié ensuite dans l’édition complète de ses œuvres, Paris, 1571, p. 588-596, et reproduit dans A. M. Quirini, Epistolarum Reginaldi Poli…, pars III, Brescia, 1748, f° cic-ccxvi. C’est d’après ces trois témoins que nous avons à reconstituer les grandes lignes du système.

Doctrine de Pighius.

Victime du nominalisme

alors régnant, A. Pighius ne concevait le péché originel que tomme la simple imputation qui nous est faite du péché d’Adam. Linsenmann, Alberlus ] J ighius und sein theologischer Slandpunkt, dans Theol. Quurtalschrifl, 1866, p. 623-624. Ce qui le préparait à porter le même extrinsécisme dans sa théorie de la justification.

1. Exposé, — Strictement parlant, la justice ne se trouve qu’en Dieu : en nous, elle ne peut jamais exister que dans une mesure imparfaite et par voie de participation ; mais celle-ci même est réduite par suite de notre incurable misère. Et l’auteur d’emprunter à l’Écriture les passages qui soulignent notre état de péché pour conclure : Verum reperietur de hac ipsa, quanwis imperjetia, justitia quod non justificabitiir in conspeetu Dei omnis vivens. Ne pouvant trouver la justice en nous-mêmes, nous sommes invités a la chercher dans le Christ, qui interpose ses mérites entre le jugement du

Père et nos péchés, nous couvre d’abord de sa propre justice et par là nous met à l’abri de la colère divine, puis nous communique cette justice et la fait nôtre. Ainsi couverts, nous pouvons nous présenter devant Dieu et, non seulement paraître justes, mais l’être en réalité. Car nos péchés sont ensevelis avec le Christ et nous renaissons assimilés au nouvel Adam. Mais de nous-mêmes nous ne sommes jamais rien qu’impureté : c’est le Christ seul qui est notre justice.

Pour nous en obtenir l’application, il ne suffit pas de la foi : il faut, en outre, le repentir, l’espérance et l’amour de Dieu qui en découlent. Non pas qu’il soit nécessaire d’accomplir tous les commandements : pourvu que nous soyons disposés à le faire, Dieu nous tient compte de cette bonne volonté et nous applique la justice du Christ.

On voit que Pighius tient à s’éloigner des protestants. Il leur reproche d’attribuer la justification à la foi seule, sans tenir compte des autres vertus. Mais il ne veut pas non plus que nous soyons justifiés par elles, pas même par la charité : nous n’avons, en somme, d’autre justice que celle du Christ. Illi sola fide, non charilate nos juslificari affirmant : nos contra dicimus nec fide nec charilate nostra nos juslificari ccram Deo, si formaliter et proprie loquamur, sed una Dei in Christo justitia, una Christi nobis communicala justitia, una ignoscente nobis peccata nostra Dei misericordia.

Même après la justification, si nos œuvres sont méritoires, c’est non ex ipsis aut ex nobis sed ex divina gratia, parce qu’elles sont enveloppées dans les mérites du Christ… Dei hominis meritis, quæ nobis ut membris ejusdem communicantur, quibus nostra involvuntur atque induuntur opéra. Ailleurs Pighius, acceptant une formule caractéristique des réformateurs, disait de nos œuvres qu’elles ne nous justifient pas, mais nous sont imputées à justice : …nec nos vere justificare, sed misericorditer et gratiose nobis impulari a Deo ad jusliliam. Ratio componendorum dissidiorum, Cologne, 1572, p. 524. Voir Linsenmann, loc. cit., p. 640-643.

2. Appréciation.

Cette doctrine est surtout importante par ses conséquences.

Au cours de tout son exposé, Pighius fait moins figure de théologien que de moraliste et de mystique, attentif à minimiser l’œuvre de l’homme pour faire mieux ressortir l’œuvre de Dieu. Le savant cardinal Quirini s’est employé à défendre l’orthodoxie de sa doctrine sur ce point. Epist. Reg. Poli, t. ii, Diatriba ad Epislolas, p. cxxx-cxxxix. Et l’on peut y trouver, en effet, un écho assez fidèle de ce mysticisme pessimiste que la tradition de saint Augustin entretint à travers le Moyen Age. Voir col. 2120 sq. Mais les contemporains en furent choqués et y soupçonnèrent des accointances protestantes. Ruard Tapper, Explic. artic. ven. Facullulis Louan., Louvain, 1557, t. ii, p. 32, et Vega.De justificatione, vii, 21, Cologne, 1572, p. 159.

Doctrine de Gropper.

Élève de Pighius, Jean

Gropper n’eut pas seulement l’honneur de porter les doctrines de son maître aux célèbres colloques de Ratisbonne (1541), pour en faire la base d’un accord avec les protestants. Voir V. van Gulik, Johannes Gropper, Fribourg-en-B., 1906, p. 71-85. Il en reprit en même temps l’exposé systématique et semble leur avoir donné une expression tout à la fois plus théologique et plus modérée.

1. Exposé.

A rencontre des protestants, il affirme que la justification doit signifier une réalité intérieure : Jusliliam Dei tmputaiioam a justitia bomv conscicnti : r… non esse discernendam. Mais il tient à distinguer entre la justice de l’homme et celle de Dieu : Secundum omnium veterum sententiam potius discernendam esse dicimus justitiam Dei a justitia humana. Enchir. »

ꝟ. 163 v°. Aucun de nos actes ne peut être vraiment cause de la justification : toute notre confiance doit reposer en Jésus et les plus grands saints ne cessent pas de se dire à bon droit des pécheurs. La foi ellemême ne nous justifie que parce qu’elle nous met en mesure de recevoir la divine miséricorde. Elle nous tourne vers Dieu et nous invite à pratiquer sa loi : ce qui nous manque à cet égard est suppléé par la foi qui nous applique les mérites du Christ.

D’où il suit que la vraie cause efficiente de notre justification, c’est Dieu seul. La cause formelle est sa propre grâce ou son amour qui vient renouveler notre cœur : …graiiam Dei nos innovanlem, quæ proprie causa formalis justificationis est, accipiamus, ꝟ. 167 v°. Quant à la foi au Christ, elle joue le rôle de cause instrumentale. La justification ainsi produite nous infuse au cœur une véritable charité et se traduit en œuvres méritoires : malgré leur imperfection, nous devons être assurés qu’elles sont agréables à Dieu à cause du Christ en qui elles sont faites. Gropper ne cesse de reprocher aux protestants de réduire la justification à une simple imputation et de rejeter, en conséquence, les œuvres de la foi avec celles de la loi. Mais il admet que nous soyons justifiés sans celles-là : Constat… operibus noslris causant justificationis delrahi et recle ac vere dici nos sine operibus juslifîcari, ꝟ. 171 v°.

Cette doctrine est par lui reprise et plus clairement résumée dans son Antididagma, f° Il v°-15 v°. Dieu y est toujours donné comme la seule cause efficiente de notre justification : nos actes sont seulement des causse dispositivse et susceptivæ. Quant à la cause formelle, c’est-à-dire l’essence propre de la justification, elle est double. C’est, d’une part, la justice même du Christ en tant qu’elle nous est imputée : Justificamur a Deo justitia duplici tamquam per causas formates et essentiales. Quorum una et prior est consummala Christi justitia…, quando eadem nobis, dum tamen fide apprehenditur, ad justiliam imputatur. Telle est la cause principale, præcipua et summa justificationis nostrse causa. Mais, en même temps, il y a place aussi pour une justice qui nous devient inhérente. Aliter vero justificamur formaliler per justiliam inhserenlem, quæ… remissione peccalorum simul cum renovalione Spiritus Sancti… nobis donatur, injunditur et fit propria. Justice toujours imparfaite et qui ne saurait être notre principal appui : cui…, quod sit imper jecta, non innilimur principaliler, ꝟ. 13 v°. Cf. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 309-310.

Il y aurait donc lieu de distinguer deux éléments dans l’acte total de la justification : l’un intrinsèque et déficient, le seul qui nous soit propre ; l’autre extrinsèque et imputé, savoir la justice même du Christ qui vient s’ajouter à la nôtre et en suppléer les défauts.

2. Appréciation.

Dès l'époque, cette doctrine fut suspectée de connivences, au moins involontaires, avec le protestantisme et l' Enchiridion finit par être inscrit au catalogue de l’Index. Gulik, op. cit., p. 53-57. h' Antididagma fut censuré par l’Université de Louvain, le 9 juillet 1544, spécialement pour avoir enseigné que nos péchés nous sont remis per imputationem justitia ; Christi, que celle-ci nous est obtenue par la foi tamquam per causam susceplivam, que nous sommes justifiés par la justice du Christ tamquam (per) causam formalem potiorem, alors que la justitia inhærens ne serait qu’une sorte d’indice secondaire, une garantie d’expérience intime que la justice du Christ nous est imputée : tamquam inleriori quodam expérimente ceriificamur nobis… dimissionem peccalorum jactam et Christi consummalam justiliam imputari. Pièces éditées par Fr.Dittrich, Lovaniensium et Coloniensium theologorum de Antididagmate Joannis Gropperi judicia, Braunsberg, 1896, et résumées dans Gulik, op. cit., p. 102-105.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Gropper se défendit contre ses censeurs. Mais, quand sa doctrine fut portée au concile de Trente par Séripando, elle y fut l’objet d’une réprobation unanime, bien que le respect dû à l’auteur pour ses éminents services lui ait évité toute espèce de condamnation. Et. Ehses, Johannes Groppers Rechlferligungslehre auf dem Konzil von Trient, dans Rômische Quartalschri/l, t. xx, 1906, section d’histoire, p. 175-188. Il n’en sentit pas moins l’obligation d’abandonner ses positions anciennes, ainsi qu’il ressort de la lettre qu’il écrivit en 1552 à l'évêque Pflug de Naumbourg, qui l’avait questionné à ce sujet, Chr. G. Millier, Epistulse… ad Julium Pflugium, Leipzig, 1882, p. 114-116, encore que, dans cette lettre même, il nourrisse la suprême illusion de se croire d’accord avec l’esprit, sinon avec la lettre, du décret conciliaire.

Doctrine de Conlarini.

Légat pontifical à la

conférence de Ratisbonne, Contarini y eut l’occasion d’approcher les théologiens de Cologne et le thème de la justification tint une grande place dans leurs doctes entretiens.

A Pighius il adressait des observations très pénétrantes sur sa théorie, qu’il combattait au nom des principes mêmes par lui reconnus : savoir esse quoddam immanens per modum habitus infusum nobis divinilus quo ut forma quadam quæ menti inhæret vivimus vila christiana, et encore quod id animée inhærens a Deo inditum sit justitia qua possimus dici formaliter justi. Cette double notion, qu’il établit rapidement sur l'Écriture, la philosophie et les Pères, lui paraît atteindre la thèse fondamentale du maître de justitia qua sumus justi apud Deum quam tolam constituis extra nos in Christo. Lettre n. 88, dans Fr. Dittrich, Regesten und Briefe des Card. G. Conlarini, Braunsberg, 1831, p. 349-353.

Cette attitude de critique très avertie à l'égard du système n’a pas empêché Contarini d’en subir l’influence dans son propre traité sur la question.

1. Exposé.

Après avoir donné la définition des divers termes qui interviennent dans le problème, l’auteur aborde la justification proprement dite : ea qua impius adultus-ex impio fit justus, Quirini, f° cch. De ce changement l’Esprit Saint est la cause efficiente par le moyen des dispositions qu’il inspire à l'âme en vue de sa conversion. La principale est la foi, avec la confiance qui s’ensuit quod Deus remiltat peccata et jusliftcet impium per myslerium Christi. Quand cette foi se traduit en charité, Dieu ne nous donne pas seulement l’esprit du Christ, mais le Christ lui-même, et nous impute sa justice : Donat nobis cum Spiritu Christi Christum ipsum et omnem justiliam ejus gratis… nostram jacit, nobis imputât qui induimus Christum, f° ccm. Ainsi la justification n’est pas due aux œuvres, mais à la foi, en ce sens que celle-ci est le moyen par lequel nous recevons celle-là. Non quod mereamur justi ficationem per fidem et quia credimus, sed quia accipimus eam per fidem. f° cciv. Ce qui permet de dire que la foi nous justifie, mais à titre de cause efficiente, non de cause formelle, f° ccv.

Le terme est une double justice : alteram nobis inhserentem qua incipimus esse justi…, alteram vero non inhserenlem, sed nobis donalam cum Christo, justitiam inquam Christi et omne ejus merilum, f° cciv. Bien entendu, la première est toujours imparfaite et ne doit pas être notre principal point d’appui : les saints nous donnent partout l’exemple de la défiance et de l’humilité. C’est la seconde seule qui peut nous donner confiance : Justitia Christi nobis donala est, vera et perfecla justitia… Hac ergo sola, cerla et stabili nobis nilendum est et ob eam solam credere nos justificari coram Deo, id est justes haberi et dici justes, f° ccvi.

Contarini emploie côte à côte les termes de justilia nobis donala et imputala. Mais c’est le second qui com VIII. — 69

mande et explique le premier. L’auteur invoque à l’appui de cette conception la doctrine de saint Paul sur le baptême commentée par saint Thomas : … Mortem Cliristi, passionem ac meritum nobis donari, nobis imputari in baptismale… Non quod nobis inhæreant, qui jam vivimus, sed quia nobis donantur et imputantur, f° ccvn. Et il s’applique ensuite à réduire les textes de l'Écriture qui semblent parler d’une justice qui nous serait personnelle.

Quelques mots lui suffisent pour la seconde espèce de justification, celle qui consiste dans l’accroissement de la grâce reçue. Accroissement nécessaire, et qui se fait par nos bonnes œuvres inspirées par l’esprit de charité. Cette justification, à la différence de la première, lui paraît pouvoir être dite justiftcatio operum, f° ccxi. Néanmoins Contarini n’aimait pas qu’on parlât proprement de mérite à l'égard de la vie éternelle, parce que celle-ci nous est d’abord donnée gratuitement et que nous ne pouvons acquérir de droit sur elle, de mérite secundum quid, qu’en utilisant les dons mîmes de Dieu.

Aussi fut-il d’avis qu’on devait s’abstenir d’imposer aux piotestants une expression qui les choquait et s’en expliqua-t-il, auprès du cardinal Alexandre Farnèse, dans une lettre spéciale, datée de Ratisbonne, le 22 juin 1541, qui, devenue à peu près introuvable, a été reproduite par Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, t. xlv, p. 144-150. Simple résumé dans Dittrich, op. cit., p. 201-202.

2. Histoire.

Grâce à la renommée de l’auteur et au retentissement des accords de Ratisbonne qu’il avait conclus, sa doctrine attira de bonne heure l’attention. D'éminents personnages y applaudirent, tels que le cardinal Pôle. Quirini, t. iii, p. 25-28 et 53-54. Mais déjà les protestants se prévalaient de son attitude, et Jean Eck dut prendre sa défense contre Bucer dans son Apologia pro rev. et ill. princ. catholicis, Anvers, 1542, ꝟ. 145 V-157 v°. Chez d’autres, la formule de compromis trouva la plus vive opposition : ce fut, en particulier le cas pour Jérôme Aléandre, auquel Contarini jugea bon de répondre par une lettre apologétique, en date du 22 juillet 1541, dans Beccadelli, Monumenti di varia letteralura, t. i b, Bologne, 1799, p. 186-190.

Plusieurs théologiens importants exprimèrent à tout le moins des réserves dans des traités spéciaux ; par exemple Ambroisc Catharin, De perjecta jusli/icatione a fide et operibus ad G. Contarenum, 1541, p. 229 sq., et Jacques Sadolet, De justificatione, dans Beccadelli, op. cit., p. 162-167, qui écrivait à Catharin en juilletaoût 1541 : Nunquam milii persuaderi poluil /idem solam per se sine operibus bonis ad adipiscendum regnum Dci idoneam censeri debere… Mini eadem rei summa est ut judicem ad veram justificationem fidem cum operibus c&njunctam este oportere. Episl., xiv, 13, dans Opéra viiinia, Vérone, 1738, t. ii, p. 80.

Finalement le traité, qui avait paru intact dans l'édition de Paris, 1571, fut expurgé par les censeurs de l’Inquisition avant de figurer dans l'édition de Venise, 1589. Il a fallu attendre l'édition de Quirini, 1748, pour qu’en fût rétabli le texte primitif.

3. Appréciation.

Aussi le problème est-il depuis longtemps ouvert, devant l’histoire, du jugement à porter sur la tentative doctrinale de Contarini. Le cardinal Quirini ayant pris la défense de son orthodoxie, op. cit., t. iii, p. xi. i-i. iv, fut vivement con tredit par le luthérien J. R. Kiesllng, qui s’appliquait a montrer en lui un témoin de la « foi » selon la Réformei Quirini répliqua sous forme de lettres adressées à divers savants, auxquelles Kiesllng opposa de nouvelles ripostes. Et ce fut ainsi, au coins des années 1749-1753, une sorte de discussion publique, à laquelle mit fin la mort du docte évéque de Brescia.

Les lettres de Riesling sont réunies dans ses Epistolx anti-quirinianec, Altenbourg, 1765, p. 201-430, et les historiens modernes admettent, après Dôllinger, Die Reformation, t. iii, p. 312, qu’il eut gain de cause contre son adversaire. Plus récemment le procès de Contarini a été repris dans une longue étude de Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, p. 87-150, qui conclut, p. 141-142, en disant que, par son fond et ses tendances, cette doctrine est « authentiquement protestante ».

Il y a plus de modération et de vérité dans l’appréciation de H. Lâmmer, qui termine une consciencieuse analyse, op. cit., p. 186-197, en faisant ressortir les équivoques de ce traité, dues à l’imprécision de la matière et au désir d’aboutir à une formule de conciliation, mais en notant aussi les points qui le distinguent de la théologie protestante. La justification y demeure une grâce de sanctification, mais beaucoup trop imparfaite, puisque tout ce qui compte, en somme, c’est l’imputation de la justice du Christ que nous obtient la foi.

Par analogie avec d’autres controverses historiques, Hefele applique à cette théorie de la double justice, telle qu’elle fut développée par l'école de Cologne, le terme de « semiluthéranisme », Hisl. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1247, et la formule a eu quelque succès chez les historiens postérieurs. Elises, toc. cit. p. 183. Bien que cette qualification paraisse excessive, appliquée à des théologiens qui voulaient retenir l’essentiel de la doctrine catholique et que l'Église, en somme, n’a jamais censurés, elle n’en souligne pas moins le fait d’une tendance incontestable à jeter sur le fossé qui déjà se creusait entre catholiques et protestants une sorte de pont.

C'était aussi l'époque où des mystiques encore moins pondérés tels que le Vénitien Ant. Paleario, sous prétexte de faire ressortir aux âmes le « bienfait de Jésus-Christ », parlaient de notre « impuissance » à obéir aux commandements divins, proclamaient que « Dieu nous donne le Christ et sa justice sans aucun mérite de nos œuvres, » que nous sommes justifiés « par la foi seule » et que cette conception s’impose à tous les chrétiens qui n’ont pas « des âmes hébraïques ». Trattato utilissimo del beneflcio di Giesu Christo, Venise, 1543, reproduction fac-similé de l'édition originale, Londres et Cambridge, 1855, c. ii, ꝟ. 5 r° ; c. iv, ꝟ. 29 r° et v°, ꝟ. 36 v° et 37 r° ; c. vi, ꝟ. 70 r° et v°.

Soit sous forme d’infiltrations théologiques inconscientes, soit par l’attrait suspect d’un mysticisme mal défini, le protestantisme menaçait évidemment d’introduire la confusion dans bien des esprits. Il était temps pour l'Église d’intervenir.


III. DÉFINITIONS DE L'ÉGLISE : CONSTITUTION du concile de Trente (13 janvier 1547). —

Parmi les 41 erreurs de Luther condamnées par Léon X, dans sa bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520, aucune ne porte sur le point précis de la justification. Tout au plus les principes directeurs du système protestant y sont-ils implicitement visés dans les propositions relatives au caractère coupable de la concupiscence, n. 2-3, Denzlnger-Baruvwart, n. 742-713, et Cavallera, Thésaurus, n. 1019 et 1460, à l’extinction du libre arbitre et à la malice de tous nos actes même bons, n. 31-32 et 35-36, ibid., n. 771-776 et 869, au rôle nécessaire et suffisant de la foi dans la rémission du péché par l’absolution sacramentelle, n. 10-12 et 15, ibid., n. 750-755 et 1209, 1236.

Loin de se soumettre, Luther accentua sa révolte et la controverse ne tarda pas à taire apparaître au grand jour que la justification formait la clef de voûte du nouvel évangile. Aussi cette question allait-elle former le centre et le bloc principal des définitions que le concile de Trente opposerait à l’hérésie,

I. histoire du DÉCRET.

Il est peu de textes conciliaires qui aient été aussi longuement et aussi soigneusement élaborés que le décret du concile de Trente sur la justification. Tous les* documents en sont aujourd’hui à la portée de l’historien, depuis la publication intégrale des actes de la vie session, Conc. Trid., t. v, Act., pars 2 a, édit. Elises, Fribourg-en-B., 1911, p. 257-833, auxquels il faut ajouter de nombreuses pièces contenues dans les volumes consacrés aux diaires, spécialement t. ii, 1901, p. 428-432, et aux épîtres relatives à cette période, t. x, 1916, p. 531-789. Bien qu’il ait paru avant cette publication, le volume de J. Hefner, Die Enlslehung gseschichte des Trienter Rechtferligungsdekretes, Paderborn, 1909, écrit d’après les papiers du cardinal Cervino, reste indispensable et toujours très précieux pour débrouiller cette vaste matière. Il annulé en tout cas les vieilles esquisses de B. Seeberg, dans Zeitschrift fur kirchliche Wissenschafl und kirchliclies Leben, 1889, p. 546-559, 604-616, 643-700, et de W. Maurenbrecher, dans Hislorisches Tasclienbuch, 1890, p. 237-330.

Préparation du décret.

Dès le 30 janvier 1546,

le légat Marcel Cervino, cardinal de Sainte-Croix, qui devait être « l'âme du concile en cette matière, » Hefner, p. 33, écrivait à Borne qu’il lui paraissait opportun de mettre au programme de l’assemblée d’abord la question du péché originel, puis celle de la justification. Conc. Trid., t. x, p. 352 ; cf. p. 459 et 470. Le 13 mai, le cardinal Farnèse faisait, de son côté, savoir aux légats que le pape était impatient qu’on arrivât sans retard aile cose sustanliali corne è l’articolo délia giustificazione, p. 487. A quoi ceux-ci répondaient, le 19, que, per andare ordinatamente, il leur paraissait logique de commencer tout d’abord par le péché originel, p. 492 ; cf. p. 496 et 526.

Il en fut ainsi fait et ce décret préalable fut mis à l'étude, puis promulgué à la ve session (17 juin 1546). Dès le 21, les légats proposaient à l’assemblée d’aborder le point de la justification. Articulas… salis difficilis, observait le cardinal Cervino, cum alias decisus non fuerit in conciliis. Conc. Trid., t. v, p. 257. Quelques évêques inclinaient à attendre l’arrivée d’un plus grand nombre de prélats, per essere (queslo punlo) il più importante che si possa traltare in queslo concilio, t. x, p. 532. Ils se rendirent pourtant aux raisons des légats et adoptèrent, tutti ad unum, le plan proposé, t. v, p. 357-360.

1. Préparation éloignée.

Très sagement, l'évêque de Belcastro avait demandé que, pour ne pas se perdre en disputes inutiles, la question fût d’abord soumise à des spécialistes. Cervino décida, en effet, qu’on commencerait par entendre les théologiens : ante omnia theologi minores audientur quibus aliqui articuli proponentur hanc materiam comprehendentes. Ibid., p. 260. Ces « articles » furent au nombre de six, qui portaient sur la notion de la justification, ses causes du côté de Dieu et de l’homme, le sens de l’expression justificari per fidem, la valeur des œuvres ante et post, les circonstances antécédentes, concomitantes et subséquentes de la justification elle-même, les autorités scripturaires et traditionnelles relatives à ces divers points. Ibid., p. 261. « Et parce que l’importance de ce concile en matière dogmatique, dépend principalement de cet article, » les légats suppliaient le pape de le faire étudier également à Borne par ses propres théologiens, t. x, p. 532.

Les consulteurs conciliaires ne tinrent pas moins de six longues séances du 22 au 28 juin, t. v, p. 262-281, per essere la maieria importante et di lunga discussione, comme en rendaient compte les légats, t. x, p. 536. Trente-trois docteurs de tous les ordres y prirent part : seuls les mémoires du jésuite Alphonse Salmeron et du franciscain Antoine de Pignerol, celui-ci naturelle ment d’inspiration scotiste, se sont intégralement conservés, t. v, p. 265-272 et 275-277.

Dans l’ensemble, les réponses furent concordantes ; mais deux augustiniens, Grégoire Perfecto de Padoue et Aurélius de Boccacontrata, soutenus par le dominicain Grégoire de Sienne et le servite Laurent Mazzochi, se distinguèrent des autres en soutenant que le libre arbitre ne concourt à la justification que mère passive et semblèrent diminuer en conséquence le mérite des œuvres. Qui non satis videntur catholice loculi, note le secrétaire Massarelli. Le dominicain Jean d’Udine se joignit à eux pour dire que « la -foi nous justifie, parce que nous sommas justifiés quand nous croyons fermement recevoir la rémission de nos péchés par les mérites du Christ. » Ibid., p. 280. Doctrines qui paraissent offrir « une certaine parenté avec les conceptions protestantes, » Hefner, p. 91, et que les légats jugèrent, en tout cas, défavorablement. Mais l’ensemble de la discussion, à laquelle beaucoup d'évêques avaient assisté, leur paraissait propre à jeter « une grande lumière » dans l’esprit des prélats appelés à trancher la question. Lettre du 1 er juillet, t. x, p. 516. 2. Préparation prochaine.

Aussi, dès le 30 juin,

les légats proposaient-ils au concile un programma en trois points : première justification ou passage de l’infidélité à la foi, deuxième justification ou conservation et développement de la première, troisième justification ou recouvrement de la grâce perdue par le péché. Chacun était accompagné de brèves formules où étaient condensées les erreurs, en tout vingt-deux, soumises à l’examen des Pères, t. v, p. 281-282.

Approuvé à la réunion générale du 30 juin, ibid., p. 282-285, ce programme fut aussitôt mis en discussion. Tous les prélats devaient donner individuellement leur avis : beaucoup lurent des déclarations écrites, plus ou moins étendues ; mais d’autres se contentèrent de se rattacher en quelques mots à l’un ou l’autre des préopinants.

Les délibérations sur le premier point remplirent huit assemblées du 5 au 13 juillet, ibid., p. 286-336, coupées, le 8, par la réception des ambassadeurs de France et le discours de Pierre Danès, p. 309-316. D’importantes communications doctrinales y furent faites : le 5, par l’archevêque de Matera, p. 287-291 ; le 6, par l'évêque de Feltre, p. 296-298 ; le 7, par les évêques de Vaison, p. 299-302, et de Motula, p. 302308 ; le 10, par les évêques de Badajoz, p. 322-324, et de Bellune, p. 325-327 ; le 13, par le général des augustins, Jérôme Séripando. p. 332-336. Ce dernier fut particulièrement remarqué, bien qu’il manifestât déjà sa tendance à réduire la part de l’homme au profit de la grâce. Hefner, p. 93. Ces divers avis furent résumés à la séance du 14, t. v, p. 337-340.

Pour aller plus vite en besogne et rédiger le décret ainsi préparé, le concile désigna, le 15, une commission de quatre membres. Bobert Vauchop, archevêque d’Armagh, et Benoît de' Nobili, évêque d’Accia, obtinrent chacun 19 voix ; Jacques Jacomelli, évêque de Belcastro, fut élu par 23 suffrages et Cornelio Musso, évêque de Bitonto, par 40. Ibid., p. 310. Entre temps, les délibérations se poursuivaient sur la deuxième et la troisième justification, qui occupèrent encore huit séances, du 15 au 23 juillet. Ibid., p. 340378. Ce furent le plus souvent les mêmes orateurs qui eurent l’occasion de s’y distinguer.

Un incident tragi-comique interrompit la gravité de ces échanges de vues. L'évêque de La Cava, Jean Thomas Sanfelice, qui avait soutenu, le 6 juillet, que nous sommes justifiés per solam fidem, p. 295, reprit la parole, le 17, pour maintenir son opinion, p. 317, et remit un mémoire écrit dans ce sens, p. 352-351. Indigné de ces propos, qu’il avait déjà blâmés en parI ticulier, l'évêque de Chiron, Denys Zannettino, sur

nommé le Greccheto, se mit à l’accuser à haute voix d’ignorance ou d’insolence. Sur quoi Sanfelice lui porta vivement les deux mains au visage et lui secoua si rudement la barbe qu’il lui en arracha plusieurs poils, t. v, p. 357-359. Le scandale étant public, une sanction était inévitable. Il y eut enquête d’urgence, t. v, p. 354-359, et le bouillant Sanfelice dut subir par ordre des légats quelques jours de prison préventive au couvent de Saint-Bernardin, t. x, p. 565. Mais, le 28, sur les instances de Zannetino, qui avait bien conscience d’avoir un peu provoqué l’incident, l’assemblée décréta sa délivrance, sous la double condition qu’il quitterait le concile et irait se faire absoudre par le pape, t. v, p. 359, 396-397, et t. x, p. 576. L’incident est également relaté dans le journal de Massarelli, 1. 1, p. 561 et 563.

En dehors de cette « rixe », les consultations théologiques suivirent paisiblement leur cours. Un prélat désireux d’avancement, l’évêque Staphileus de Sebenico, prenait même le soin d’envoyer les siennes au pape, afin de se recommander par là en vue d’un poste plus avantageux, t. x, p. 561-563. Les séances se terminèrent le 23 juillet par une longue exposition de Séripando, t. v, p. 371-375, et du général des Carmes, p. 375-378. Il ne restait plus qu’à résumer l’ensemble, p. 378-384, pour aborder ensuite la rédaction même du décret.

Dans l’intervalle, les avis des théologiens romains, si souvent sollicités, étaient expédiés de Rome le 17, t. -x, p. 566-567, et arrivaient à Trente le 22, p. 569570. Mais à ce moment-là le travail des commissaires du concile était déjà prêt.

Élaboration du décret.

Avant d’arriver à sa

forme actuelle, le décret sur la justification est passé par trois rédactions successives, et plus ou moins différentes, qui furent tour à tour abandonnées.

1. Premier projet.

Sans perdre de temps, la commission désignée le 15 juillet s’était mise à la tâche, avec le concours des théologiens choisis par elle « parmi les meilleurs », t. x, p. 565 et 569. Le plus important fut le franciscain André Véga, qui, d’après des sources encore inédites, serait le primus et principulis auctor de ce premier projet. Elises, t. v, p. 384, et Hefner, p. 103.

Le texte en fut distribué aux membres du concile le 24 juillet, t. v, p. 384-391. Il comprenait vingt et un petits chapitres, dont les trois premiers seuls avaient une forme affirmative, tandis que les autres commençaient par une formule d’anathème contre l’erreur visée. Chacun était suivi d’arguments théologiques et scripturaires propres à l’établir. On a n mai que avec raison, Hefner, p. 107, que ce projet primitif suit de très près la liste des vingt-deux propositions dressée par les légats en date du 30 juin.

En raison des difficultés intérieures qui entravaient alors la marche du concile, la discussion de ce texte fut retardée jusqu’au mois d’août. De Rome on suggérait d’ « expédier l’article de la justification », t. x, p. 612, afin de procéder ensuite à la translation de 1’asseiublée. Cette suggestion ne fut pas suivie et la discussion occupa les congrégations des 13, 17 et 28 août, t. v, p. 402-419.

Le piojct des commissaires fut assez maltraité. Quelques théologiens avaient déjà fait à son endroit des remarques de détail, p. 392-394, Presque tous les J’en s en critiquèrent la forme, qu’ils trouvaient longue et obscure. D’autres y signalaient des superlluités ; beaucoup se plaignaient de n’avoir pas sous les yeux

les notes des théologiens. 1.’architecture même en

déplaisait à plusieurs, parce qu’ils y voyaient trop de raisonnements et pas assez de décisions. Ainsi l’évêque de Sinigaglia souhaite que les canons soient rédigés

in tnodum dedivuiis non persuasionis, p. 403. Non

placent tôt rationes, appuie l’évêque de Bertinoro, p. 404, quia Spiritus Sanctus déterminât dogmata, non rationes. Moins mystique, l’évêque d’Agde en appelle à la suprême autorité du concile : Non reddantur rationes in canonibus, cum conciliorum suprema sit auctoritas, p. 409.

Profitant de ces hésitations, les prélats du parti impérial cherchaient à faire durer les débats par des chicanes de procédure. Ainsi l’évêque de Saint-Marc désirait revenir sur la liste des erreurs proposée le 30 juin, p. 408, et le cardinal de Jaën voulait connaître au préalable les raisons des commissaires, p. 410. Pour des scrupules théologiques, motivés par l’importance et la gravité de la question, le cardinal Pôle demandait de son côté qu’on prît du temps. Lettre du 28 juillet, t. x, p. 630-632.

Sur quoi le cardinal del Monte conclut le débat en promettant un nouveau texte, amendé juxla censuras Patrum, p. 410, auquel on trouverait bien moyen d’ajouter, sur la certitude de la grâce, p. 419, une formule propre à donner satisfaction aux desiderata de l’assemblée.

2. Deuxième projet.

Pour aboutir d’une manière

plus rapide et plus sûre, le cardinal de Sainte-Croix, Marcel Cervino, résolut de renoncer aux services de la commission et de prendre l’affaire en mains propres. Il recourut à cette fin aux lumières de Jérôme Séripando, dont le rôle déjà considérable allait ainsi devenir prépondérant.

Le général des augustins a lui-même raconté les vicissitudes de cette collaboration, t. ii, p. 428-432. Dès le 24 juillet, il était mandé par Cervino, qui le priait de rédiger un decrelum de justifteatione et lui faisait part de ses vues à cet effet. Ce texte fut prêt le Il août et le cardinal sembla fort le goûter : il est publié au t. v, p. 821-828. Quelques jours après, le 19, Séripando lui en présentait, sur ses désirs sans doute, une seconde rédaction, légèrement remaniée sur certains points. Ibid., p. 828-833.

Car, entre temps, Cervino consultait aussi d’autres théologiens. A l’aide de ces divers éléments, il rédigea un travail personnel, que Massarelli commençait à transcrire dès le 20 et qu’il reprenait les jours suivants, après des conférences privées avec l’auteur qui durèrent souvent de longues heures, t. i, p. 568-570. On voit que le cardinal, comme il s’en rend témoignage, ne recula pas devant la fatigue, t. x, p. 623 et 629. Ce texte fut soumis, dans les premiers jours de septembre, à divers évêques ou théologiens importants. Massarelli, t. i, p. 571. Le 10, les légats pouvaient rendre compte à Rome qu’ils y avaient travaillé sans interruption et qu’il n’était pas un seul mot qui n’eût été pesé en particulier avec tous les membres du concile che son qui di qualche repulatione, t. x, p. 642 ; cf. p. 647 et les notes de Massarelli, t. i, p. 573-575.

Le projet si soigneusement élaboré fut envoyé à Rome le 22, t. x, p. 660, et soumis au concile le 23, t. v, p. 420-430. Il paraît que « personne n’ouvrit la bouche si ce n’est pour le louer, » t. x, p. 06 1 Seul Séripando n’y reconnut pas son œuvre sous les multiples remaniements qui l’avaient modifiée et en présenta ses observations au cardinal, t. ii, p. 430. Les langues allaient d’ailleurs se délier au cours de la discussion.

A la différence du premier, ce nouveau projet séparait nettement l’exposition positive, en onze petits chapitres, et la condamnation des erreurs en vingt et un canons qui suivaient. Il fut d’abord discuté en congrégation par les théologiens, les 27, 28 et 29 septembre, t. v, p. 431-1 12, puis en assemblées générales par les Pères du concile, les 1. 2,.">, 6. 7, 8, 9, Il et 12 octobre, p. 442-197. Les diverses observations qui furent faites sont résumées p. 498 509, tilles portaient sur maints détails de fond ou de forme et faisaient,

dans l’ensemble, sentir le besoin d’une rédaction encore plus courte et plus claire. Dans l’intervalle, on avait aussi reçu les avis des théologiens romains, t. x, p. 692693, tandis que les théologiens du concile discutaient, au cours de dix séances, les deux points de la justice imputée et de la certitude de la grâce, p. 523-633. Cf. t. x, p. 684.

Il fallut donc se mettre à un nouveau remaniement, mais il n’en est pas moins vrai de dire, avec Hefner, p. 113, que « le projet de septembre restera la base du décret futur. »

3. Troisième projet.

Dès le 25 octobre, Cervino demandait à Séripando de se remettre à l’œuvre pour tenir compte de toutes les suggestions qui lui en paraîtraient dignes et écarter d’un mot les autres.

Celui-ci se livra soigneusement à cette révision, avec le concours de Massarelli, qui venait chez lui de grand matin, t. ii, p. 430, et 1. 1, p. 581-582. Le travail fut terminé le 31 octobre. Ibid., p. 583. Voir le texte t. v, p. 510-523. Puis il fut remis à Cervino, qui lui fit subir de nouvelles et sensibles retouches, t. i, p. 583. Aussi, lorsqu’il fut soumis au concile le 5 novembre, Séripando eut encore la surprise de le voir tellement modifié, deformatum et quoad materiam et quoad formam, qu’il ne le reconnaissait plus. Cervino crut devoir s’en excuser auprès de lui, en alléguant qu’il avait dû sacrifier ses préférences personnelles pour donner satisfaction au cardinal del Monte, t. ii, p. 430.

Le nouveau texte se présentait avec seize chapitres, quelques-uns du précédent projet ayant été dédoublés, précédés chacun d’un titre qui en marquait l’objet. De vingt et un le nombre des canons était également passé à trente et un, t. v, p. 634-641. La discussion générale s’ouvrit le 9 novembre et occupa quatorze séances jusqu’au 1 er décembre, p. 642-685. Elle fut surtout marquée, les 26 et 27, par une longue intervention de Séripando en faveur de la double justice, p. 666-675.

A l’aide de ces monologues successifs, un travail de précision finissait par s’accomplir. Pour le mener à bonne fin, la commission de quatre membres, qui chômait depuis le mois de juillet, reprit ses travaux, p. 678, et classa les critiques formulées par les Pères en trois catégories, suivant leur gravité, p. 685. C’est de là qu’allait sortir rapidement le texte définitif.

Quelques observations parurent assez légères pour que la commission prît sur elle de les régler. Neuf seulement furent jugées assez sérieuses pour être soumises à l’assemblée, qui en délibéra du 3 au 6 décembre, p. 685-691. Puis, du 7 au 16, elle aborda l’examen des chapitres et canons réformés suivant ses désirs, p. 691723. Trois ou quatre points plus délicats furent remis à de nouvelles assemblées ou laissés au jugement des prélats théologiens, qui s’en occupèrent dans les dernières semaines de décembre et les premiers jours de janvier, p. 724-778.

Ce travail minutieux donna lieu à de nombreuses modifications de détail et à l’addition de deux canons nouveaux, dont le nombre total s’éleva de la sorte à trente-trois. Deux suprêmes séances eurent encore lieu les Il et 12 janvier, p. 780-786, et la proclamation solennelle du texte fut décidée pour le lendemain.

77. PROMULGATION DU DÉCRET. — Au milieu de cette élaboration théologique, la diplomatie avait dû également s’exercer.

Si la justification était, en effet, une de ces questions doctrinales qui intéressent au premier chef la foi de l’Église, elle avait aussi, ou risquait d’avoir, des répercussions sur la politique de l’empereur. Celui-ci, qui gardait toujours l’espoir de réduire les protestants par la force, ne pouvait voir de bon œil que l’Église accusât trop vite ou trop fort les divergences dogma tiques qui la séparaient d’eux et mît par là un obstacle infranchissable sur le chemin de l’union rêvée. Voilà pourquoi, en dehors de ses ambassadeurs officiels, l’empereur eut au concile des représentants attitrés et connus comme tels — dont le principal était Pierre Pachecco, cardinal de Jaën, Hefner, p. 36 — qui s’employèrent de leur mieux à retarder l’élaboration, puis, en tout cas, la promulgation, du décret jugé compromettant. Hefner, p. 73-79.

1° Manœuvres dilatoires. — Tant que durèrent les débats, les impériaux s’appliquèrent à les prolonger par des méthodes qui ressemblaient fort à l’obstruction.

Dès que l’article de la justification fut proposé pour l’ordre du jour conciliaire, le cardinal de Jaën commença par demander qu’on fît soigneusement collection des erreurs adverses, de manière à ne pas procéder contre elles avant d’avoir établi la contumace, t. v, p. 257. Au cours de la discussion, il lui arriva souvent de se dérober sous prétexte qu’il n’était pas prêt, p. 340 et 403, d’insister pour faire remettre la session sine die, p. 394, d’en appeler à l’assemblée contre l’arbitraire des légats, p. 399-401. Il était soutenu par les évêques espagnols, qui ergotaient à l’envi sur les textes et les procédures en vue de gagner du temps.

Aussi avait-on l’impression dans le concile que, pour les impériaux, la discussion doctrinale avait moins pour but de chercher la vérité que de traîner les choses en longueur, t. x, p. 582. Les légats s’en plaignaient à plusieurs reprises, p. 593, 616, 660 et 708 ; non sans quelque exagération, l’évêque de Chiron, Zannettino, assurait qu’avec toutes ces entraves on était en train de faire durer, non pas seulement huit mois mais huit ans, une affaire qui pouvait se liquider en huit jours, p. 585.

Le conflit.

 Comme malgré tout l’élaboration du

décret suivait son chemin, les opposants cherchèrent une position de repli en essayant d’en faire ajourner la promulgation.

La manœuvre se dessina clairement à la session du 2 octobre, où le vieil évêque de Siriigaglia, Marc délia Rovere, après avoir approuvé le texte du décret, fit valoir que la question était trop grave et le concile momentanément trop déconsidéré, vu le petit nombre de ses membres, pour qu’il ne fût pas opportun de surseoir. Il avouait avoir eu et souvent exprimé une autre manière de voir ; mais les événements l’avaient contraint à changer d’avis. Voir son votum au t. v, p. 460, à compléter par le résumé plus étendu qu’en donne Severoli, t. i, p. 104. Les évêques de Castellamare et de Lanciano adoptèrent aussitôt son sentiment, t. v, p. 461.

Au cours des sessions suivantes, les évêques espagnols firent chorus et plusieurs demandèrent qu’on abordât plutôt les questions relatives à la réforme ; car les mauvaises mœurs faisaient plus de tort à l’Église que les hérésies, t. v, p. 467 et 470-471, tandis que d’autres prélats prenaient une position inverse, p. 456 et 467-468. Les légats, qui rendaient fidèlement compte au Saint-Siège de ces incidents, se tirèrent d’affaire en déclarant que la question de promulgation ne se posait pas encore et qu’il fallait tout d’abord achever la rédaction du décret : après quoi on aviserait à lui faire un sort, t. x, p. 668-669 et 670-673.

Pour déjouer cette manifesta et aperta conspiralio, le meilleur moyen leur paraissait être la translation du concile à Rome, p. 674 et 679-680. Mais de Rome on suggérait, le 22 octobre, de rester à Trente et, pour donner satisfaction à l’empereur, d’ajourner à six mois le décret de la justification, qui serait publié eu même temps que le décret disciplinaire relatif à la résidence, p. 697. Les légats, au contraire, voulaient brusquer la situation en mettant les impériaux en demeure de se

proiîorcer sur le décret et par là de provoquer euxiiu’mes la suspension du concile, p. 702 et 708. De toutes façons, ils ne pouvaient consentir à une remise du décret, p. 713 et 717-718.

Entre temps un nouvel expédient dilatoire était imaginé par l’empereur, qui faisait demander qu’on consultât au préalable les universités sur la question, spécialement celles de Louvain et de Paris, p. 721.

La solution.

Sur ces entrefaites, le cardinal

Farnèse, qui arrivait d’Allemagne, ménagea, le 16 novembre, une entrevue aux deux partis en présence et l’on tomba d’accord que la publication ne semblait pas opportune dans l’état actuel de l’opinion. On décida donc de surseoir à la promulgation du décret, mais à condition que l’empereur consentirait, de son côté, à une suspension du concile que le Saint-Siège trouvait désirable à tous égards, p. 726-728

La réponse de l’empereur à cet appuntamento se fit attendre plus d’un mois. Pendant ce temps les Pires du concile travaillaient au décret senza alcuna intermissione o perdita di tempo, p. 730 et 741, et la répugnance des opposants à la promulgation semblait faiblir, p. 732, tandis que croissait l’impatience des autres. Le dominicain Thomas Stella se plaignait, le 28 novembre, qu’on embarrassât une doctrine aussi claire de questions scolastiques sans intérêt, p. 742743. Malgré les entraves, qui ne manquaient toujours pas, les légats pouvaient témoigner, le 7 décembre, que, con la nostra palientia et assiduité, per non dire arte, en finissait par aboutir, article par article, à des solutions définitives, p. 752.

Cependant la réponse impériale n’arrivait pas et les légats avaient bien l’impression que ce retard promettait un refus, p. 734, 736, 741 et 746. Aussi se préparaient-ils dès le 15 à fixer la session qui promulguerait le décret, croyant d’ailleurs sentir un fléchissement dans la résistance des impériaux, p. 758-759. Le 20, les cardinaux de Jaën et de Trente communiquaient enfin la réponse désirée, qui était négative sur toute la ligne : l’empereur ne voulait ni de la promulgation du décret ni de la suspension de l’assemblée, p. 762-763. De ce chef, le compromis conditionnel du 16 novembre devenait caduc et les légats avaient les mains libres pour hâter l’œuvre doctrinale du concile.

A la séance du 29, le cardinal del Monte attirait l’attention sur les raisons pour lesquelles on ne pouvait plus retarder sans scandale la promulgation d’un décret depuis si longtemps attendu, t. v, p. 741-742, et une majorité des deux tiers, non solo col consenso, ma con plauso ancora de più. che dui terzi del concilia, t. x, p. 772, adoptait pour la session définitive la date du 13 janvier.

De Rome Paul III approuvait la conduite de ses légats, p. 771 et 779. Il fallait cependant tout prévoir et, bien que le pape tînt en principe à l’alternative : ou publication du décret ou suspension du concile, on devait envisager l’hypothèse où les impériaux opposeraient au dernier moment un non placet. Alors même que cette opposition s’expliquerait uniquement par des scrupules politiques sur une promulgation jugée inopportune, elle ne manquerait pas d’être interprétée dans le sens d’une répugnance doctrinale, ce qui aurait pour conséquence d’affaiblir l’autorité morale du décret. Pour cette raison, sans limiter l’initiative des légats qui jugeaient mieux sur place de la situation, le pape les autorisait et les engageait même à contremander à la dernière minute la promulgation litigieuse

et à choisir comme un moindre mal la suspension

Immédiate du concile. Lettre du 7 janvier, p. 782-734.

Séance de promulgation.

Il ne fut pas besoin

de recourir à cet expédient désespéré.

La session du 13 janvier fut célébrée avec toute la pompe liturgique d’usage. André Cornaro, archevêque

de Spalato, célébra la messe solennelle du Saint-Esprit, suivie d’un grand sermon par Thomas Stella, évêque de Salpe. Texte au t. v, p. 811-817. Puis ce fut le cardinal del Monte qui prit la présidence de la cérémonie et souligna la gravité de l’heure devant l’assemblée, en évoquant les fameux textes messianiques où Isaïe, lx, 1 chante la lumière qui jaillit de Jérusalem sur le monde enténébré. « Nous siégeons, ajoutait-il, comme les censeurs de l’univers chrétien… Vous avez entendu lire à l’évangile : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. » Jamais parole ne fut d’application plus actuelle qu’aujourd’hui, quand nous avons à assaisonner la terre du sel de la sainte doctrine et de la véritable sagesse… » Puis lecture fut donnée par l’archevêque de Spalato, * à haute et intelligible voix », du décret sur la justification, et chacun des Pères fut invité à donner son placet. Il n’y eut pas une seule voix discordante et le cardinal del Monte en exprima sa joie par ces paroles consignées au procès-verbal : Gratias immensas agimus omnipotenti Deo ; sanctum hoc decretum de justificatione approbalum est universaliter ab omnibus uno consensu, p. 790-802. Un Te Deum solennel clôtura cette mémorable séance, 1. 1, p. 121-122 et 601-602.

Rendant compte de ce résultat obtenu nemine discrepante, les légats ne purent dissimuler que leur bonheur égalait leur surprise. « Le fait (de cette unanimité) a paru un miracle, non seulement aux autres, mais aux prélats eux-mêmes. » Et ils notaient que les Espagnols avaient été li primie li più pronli. D’autres témoins, tels que l’archevêque d’Armagh, dans une lettre à Paul III, eurent aussi l’impression d’un « évident miracle » et, plus tard encore, le franciscain Véga, en écrivant son traité de la justification, n’en cachait pas son étonnement. Hefner, p. 78. « Notre Saint-Père et tout le Sacré Collège, continuaient les légats, en peuvent rendre grâces à Dieu ; car, depuis des centaines et des centaines d’années, il n’y a peut-être pas eu de concile qui ait produit un exposé doctrinal de cette importance. » Lettre du 13 janvier, t. x, p. 786-788.

En termes semblables et d’une parfaite justesse historique, Jean-Baptiste Cicada, évêque d’Albenga, pouvait se féliciter le lendemain auprès du cardinal Farnèse, p. 790-791, que l’Église eût reçu de cette sixième session une bellissima doltrina et tanto examinata quanlo sia possibile. Le jugement de la postérité n’a pas démenti ces impressions du premier jour.

/II. analyse DU DÉCRET. — Extérieurement, après un petit prologue en guise d’introduction, le décret si laborieusement mis sur pied se présente avec seize chapitres, suivis de trente-trois canons. Mais ceux-ci, comme il ressort de la formule de transition, ne font que reprendre et compléter sous une forme négative le contenu de ceux-là. Post liane de justificatione doctrinam. .., placuil sanctæ Synodo hos canones subjungere, ut omnes sciant, non solum quid lenere et sequi, sed etiam quid vitare et fugere debeant. Cette distinction fut adoptée dès le projet de septembre, et toujours conservée dans la suite, comme plus favorable à la clarté. Mais elle n’empêche pas l’unité réelle de ces deux parties. D’autant que l’ordre des canons est à peu près parallèle à celui des chapitres. Il faut donc, pour restituer sa logique interne à ce diptyque doctrinal, rapprocher l’un de l’autre ces fragments symétriques d’un même tout.

Prologue.

 Sans contribuer d’une manière précise

à la doctrine de la justification, le prologue indique l’esprit dans lequel fut conçu le décret. Il n’est pas reproduit dans Denzlnger Bannwart, mais bien dans Cayallera, Thésaurus, n. 872.

Cum hoc tempore non Attendu qu’en ce temps, sine luiillarum aiiinmrum pour la perte île beaucoup jætura et gravi ecclesiasd’Aines et nu grave détriment

ticae unitatis detrimento, erronea quædam disseminata sit de justificatione doctrina, — ad laudem et gloriam omnipotentis Dei, Ecclesiae tranquillitatem et animarum salutem, sacrosancta oecumenica et generalis Tridentina synodus, in Spiritu Sancto légitime congregata — præsidentibus in ea, nomine sanctissimi in Christo patris et domini nostri domini Pauli, divina providentia papas tertii, reverendissimis dominis Io. Maria episcopo Prænestino, de Monte, et Marcello, tit. S. Crucis in Jérusalem presbytero, sancta ? Romanae Ecclesise cardinalibus et apostolicis de latere legatis — exponere intendit omnibus Christi fidelibus veram sanamque doctrinam ipsius justificationis, quam sol justitiae Christus Jésus, fidei nostrae auctor et consummator, docuit, apostoli tradiderunt et catholica Ecclesia, Spiritu Sancto suggerente, perpetuo retinuit, districtius inhibendo ne deinceps audeat quisquam aliter credere, prædicare aut docere quam præsenti décret o statuitur ac declaratur.

de l’unité ecclésiastique, une doctrine erronée de la justification a été répandue, — pour l’honneur et la gloire du Dieu tout-puissant, pour la paix de l’Église et le salut des âmes, le saint concile œcuménique et général de Trente légitimement réuni dans le Saint-Esprit, présidé, au nom de notre très saint père et seigneur dans le Christ Paul par la divine Providence troisième pape du nom, par les très révérends seigneurs Jean Marie del Monte, évêque de Palestrina, et Marcel, prêtre du titre de Sainte-Croix à Jérusalem, cardinaux de la sainte Église romaine et légats apostoliques, — se propose d’exposer à tous les fidèles du Christ la vraie et saine doctrine de cette justification même que le Christ Jésus, soleil de justice, auteur et consommateur de notre foi, a enseignée, que les apôtres ont transmise et que l’Église catholique, sous l’action du Saint-Esprit, a toujours conservée, en interdisant sévèrement que personne désormais ose croire, prêcher ou enseigner autrement qu’il est décidé et déclaré dans le présent décret.

Où l’on voit, en dehors des formules de chancellerie, que le concile prend soin de préciser l’occasion, le but et l’objet du document qui va suivre. L’occasion en est fournie par l’erreur protestante et ses ravages ; le but en est, comme toujours, la gloire de Dieu et le bien des âmes ; l’objet en sera la proclamation de la doctrine traditionnelle que l’Église tient de son divin fondateur. Déjà s’afïîrme l’autorité doctrinale et le caractère définitif du décret, puisque le concile, non content d’ « exposer la vraie doctrine », y ajoute l’interdiction de manifester ou seulement de professer une autre conception. Langage impératif qui annonce une définition de foi.

2° Corps du décret : Première justification (c. i-ix). — Suivant le plan primitif proposé le 30 juin 1546, l’architecture du décret reste dominée par la distinction d’un triple état possible de l’homme et du triple aspect sous lequel on peut, en conséquence, envisager la justification. Il est d’ailleurs entendu que la première est de beaucoup la plus importante et commande « tout le processus » de cet acte divin, t. v, p. 281. Aussi tient-elle à elle seule plus de la moitié du décret.

1. Bases dogmatiques de la justification (c. i-iv). — Pour suivre sur leur terrain les protestants, qui aimaient déjà grouper autour du concept de justification toute l’économie du surnaturel, et aussi pour marquer la place centrale qui revient à ce dogme dans l’ensemble de la foi, le concile a voulu rappeler en quelques mots les prémisses dont il dépend. Les titres officiels qui précèdent les chapitres permettent, ici et ailleurs, de suivre aisément la liaison des idées. On les trouve reproduits par Denzinger-Bannwart dans la table initiale des matières, tandis que le corps du volume ne les donne qu’en abrégé.

Un premier chapitre expose les conditions négatives de la justification, en traitant, sur les pas de saint Paul, de naturse et legis ad juslificandos homines imbecillitate, c. i, impuissance à laquelle remédie la

rédemption qui nous vient du Christ. Cette condition positive, à la fois seule nécessaire et seule suffisante, de notre justification fait l’objet des deux chapitres qui suivent, soit d’abord le principe ou la mission du Rédempteur : De dispensalionc et mysierio adventus Christi, c. ii, puis l’application ou l’union de l’homme à l’œuvre rédemptrice : Qui per Christum jusdficantur, c. m. A la suite de ces considérations préliminaires arrive logiquement la notion générale de la justification, dont un texte de saint Paul, Col., i, 12-14, fournit les éléments : Insinuatur descriptio juslificationis impii et modus ejus in statu gratise, c. iv.

Les trois premiers canons affirment, à rencontre des erreurs pélagiennes ou semipélagiennes, l’insuffisance de la nature et la nécessité de la grâce, can. 1-3.

2. Genèse de la justification (c. v-vi). — Quoique la justification soit un fruit de la grâce, il y a place pour un effort de l’homme en vue de s’y préparer. De cette préparation le concile affirme d’abord le fait : De necessilate preeparationis ad justificationem in adultis et unde sit, c. v ; puis il en décrit le mode, en esquissant le schéma psychologique de la conversion : Modus preeparalionis, c. vi.

A cette section correspondent six canons, qui condamnent les erreurs protestantes sur le libre arbitre et la valeur des œuvres qu’il produit, ainsi que sur la justification par la seule foi, can. 4-9.

3. Nature de la justification (c. vii-vm). — - Au terme de cette préparation survient la justification elle-même.

Sa nature est exposée en un long chapitre, où, après quelques mots de définition plus précise, le concile en marque d’abord les causes, puis l’essence et les effets : Quid sit justificatio impii et quæ ejus causse, c. vu. Un chapitre complémentaire, sorte d’appendice apologétique au précédent, explique, à rencontre des protestants, comment il faut entendre ces mots de saint Paul dont ceux-ci abusaient tant au profit de leur thèse : savoir que nous sommes justifiés « par la foi » et « gratuitement », c. viii.

Cinq canons réprouvent, en regard, le système des novateurs sur la foi justifiante et la justice imputée, can. 10-14.

4. Conséquences psychologiques de la justification (c. ix). — De leur système les protestants déduisaient la possibilité, voire même la nécessité, pour le chrétien, de se tenir pour absolument assuré de sa justification. Le concile tient à écarter spécialement cette « vaine assurance », en marquant les limites dans lesquelles notre confiance peut et doit se. tenir. D’où le c. ix : Contra inanem heereticorum fiduciam, et les canons correspondants, qui joignent à ce thème celui de la prédestination, can. 15-17.

3° Corps du décret : Deuxième et troisième justifications (c. x-xv). — Après avoir ainsi amplement traité de la première justification, le concile aborde ensuite les deux autres : c’est-à-dire le développement de la grâce reçue et la récupération de la grâce perdue.

1. Développement de la justification (c. x-xm). — Assimilation de notre âme au Christ, la vie surnaturelle n’est jamais tellement parfaite qu’elle ne puisse encore grandir. De même qu’il appartient à l’homme, avec le secours de la grâce, de se préparer à la justification, ainsi est-il en mesure et en devoir de la développer. Le fait et ses conditions générales sont exposés au c. x : De acceptée juslificationis incremento.

Il ne saurait y avoir d’autre moyen pour cela que la pratique de la loi divine. Ce qui fournit au concile l’occasion de s’expliquer ex professo sur les commandements de Dieu, que les protestants donnaient volontiers, soit comme impossibles, soit comme superflus : De observatione mandatorum deque illius necessitate et possibilitate, c. xi. Cette vie morale soulève naturellement les deux problèmes connexes de la prédesti

nation et de la persévérance finale. Le concile tient à protéger contre toute « présomption téméraire » le mystère de l’une et de l’autre : Prædestinationis temerariam prxsumplionem cavendam esse, c. xii : De perseverantiæ munere, c. xiii.

Par analogie, les erreurs protestantes sur ces deux derniers points avaient été rapprochées, can. 15-17, de celles qui visent la certitude initiale de la justification, can. 14. Il ne restait plus au concile qu'à rejeter ici celles qui portent sur l’observation des commandements divins, can. 18-21, puis sur la valeur des œuvres morales qui sont le moyen d’obtenir le don de la persévérance et de réaliser notre accroissement spirituel, can. 22-26.

2. Récupération de la justification (c. xiv-xv). — Au lieu de ce perpétuel progrès que tout rend possible et nécessaire, c’est trop souvent la défaillance qui se produit. Voilà pourquoi le concile ajoute aussitôt le moyen de retrouver la grâce perdue par le péché : De lapsis et eorum reparatione, c. xiv. Simple esquisse de cette doctrine de la pénitence qui devait faire, cinq ans plus tard, l’objet de la session xiv (25 novembre 1551). Après l’avoir ici touchée en quelques mots, le concile écarte la conception protestante, qui solidarise tellement la justification et la foi qu’on ne perdrait jamais l’une sans l’autre. Ce qui lui fournit l’occasion de distinguer les deux plans de la foi et de la charité dans l'édifice surnaturel : Quolibet mortali peccato amitti gratiam, sed non fidem, c. xv.

Deux canons reprennent la condamnation de cette erreur, can. 27-28, tandis que les deux suivants visent celles qui portent atteinte au principe même de la récupération, can. 29-30.

4° Conclusion du décret : Fruits de la justification (c. xvi). — « Aux hommes ainsi justifiés, soit qu’ils aient toujours conservé la grâce une fois reçue, soit qu’ils l’aient perdue et recouvrée, » il reste à faire fructifier le don de Dieu par des œuvres saintes, dont la vie éternelle sera la récompense.

Par cette transition qui ouvre le c. xvi : De fruclu justificationis, hoc est de merito bonorum operum deque ipsius meriti ratione, le concile marque bien que cette doctrine du mérite est le couronnement de toute la foi catholique en matière de justification. Une fois de plus s’y affirme, dans la perspective du terme final, cette collaboration de Dieu et de l’homme qui est la loi de la vie spirituelle pour l’humanité régénérée par le Christ.

Les deux canons 31 et 32 vengent la notion du mérite contre les objections et préjugés des protestants.

Telle est « la doctrine catholique en matière de justification, » dont le concile de Trente, dans une antithèse expressive calquée sur la finale du symbole de saint Athanase, déclare en terminant qu’il est indispensable de la croire pour être justifié : …calholicam de juslificatione doclrinam, quam nisi quisque fidclilcr firmilerque reccperit justificari non poterit. A tous les canons qui ont condamné dans le détail les erreurs opposées le décret en ajoute encore un dernier, can. 33, qui tend à la couvrir contre un grief d’ensemble.

Si quis dixerit per hanc doctrlnam catholicam de justiflcatione, a sancta synodo hoc præsenti decreto expressam, aliqua ex parte gloria : Dei vel meritis Jesu Chri.stl Domlnl nostri derogari, et non potius verltatem fidei nostra :, Dei denique ac Christl Jesu gloriam illustrari, anathema

Ml.

Si quelqu’un dit que cette doctrine catlioliquede la justification, exprimée par le saint concile dans ce présent décret, déroge en quelque mesure à la gloire de Dieu ou aux mérites de Jésus-Christ Notre -Seigneur, et non pas plutôt qu’elle met en lumière la vérité de notre toi, la gloire do Dieu en lin et celle du Christ Jésus, qu’il soit anathème.

Le décret se clôt sur ces paroles solennelles, où le concile, en même temps qu’il énonce la suprême protestation de l'Église contre les calomnies passionnées de ses adversaires, dégage l’inspiration fondamentale et le but dernier de sa définition.

IV. PRINCIPAUX ENSEIGNEMENTS DU DÉCRET. —

Relever et commenter toutes les doctrines contenues dans un document d’une telle envergure équivaudrait à écrire un vaste traité De ente supernaturali. Plusieurs parties en ont été étudiées en leur temps aux art. Attrition, 1. 1, col. 2239 ; Foi, t. vi, col. 82, 280, 395 ; et surtout Grâce, ibid., col. 1569, 1608-1609, 1618-1619, 1626-1629, 1631-1635, 1640, 1654-1655, 1659, 1678, 1684-1685 ; Indifèles, t. vii, col. 1772-1779. D’autres le seront aux art. Libre arbitre, Mérite, Péché originel, Persévérance, Prédestination, Rédemption. Il nous suffit de noter ici les points qui précisent la tradition catholique sur la question proprement dite de la justification, à rencontre des innovations introduites par les premiers réformateurs.

Préparation de la justification.

 Un des points

fondamentaux de la Réforme était que la justification est absolument gratuite, sans autre concours de notre part que la foi, et que le libre arbitre y joue un rôle purement passif sous l’action de la grâce. Ce qui amène le concile à définir l'égale nécessité de la grâce et de notre libre coopération.

1. Question de principe.

Elle est tranchée auc. v, Denzinger-Bannwart, n. 797, et Cavallera, Thésaurus, n. 877.

Déclarât præterea (sancta synodus) ipsius justificationis exordium in adultis a Dei per Jesum Christum præveniente gratia sumendum esse, hoc est ab ejus vocatione qua nullis eorum exsistentibus meritis vocantur, ut qui per peccata a Deo aversi erant per ejus excitantem atque adjuvantem gratiam ad convertendum se ad suam ipsorum justificationem eidem gratiae libère assentiendo et cooperando disponantur.ita ut, tangente Deo cor hominis per Spiritus Sancti illuminationem, neque homo ipse nihil omnino agat inspirationem illam recipiens, quippe qui illam et abjicere potest, neque tamen sine gratia Dei movere se ad justitiam coram illo libéra sua voluntate possit.

En outre, le saint concile déclare que le commencement de la justification chez les adultes doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par Jésus-Christ, c’est-à-dire dans cet appel qu’ils reçoivent sans aucun mérite de leur part, de telle sorte que, détournés de Dieu par leurs péchés, au moyen de sa grâce excitante et adjuvante ils se disposent à se tourner vers leur propre justification en consentant et coopérant librement à cette même grâce. Ainsi Dieu touche le coeur de l’homme par l’illumination du Saint-Esprit de telle façon que l’homme lui-même ne reste pas absolument inerte sous le coup de cette inspiration, car il peut aussi bien la repousser, et que cependant sans la grâce de Dieu il ne peut se mouvoir vers la justice devant lui par le libre effort de sa volonté.

L’objet de ce chapitre est visiblement double : c’est, d’une part, d’opposer à toutes les formes de seinipélagianisme l’initiative de la grâce divine ; mais, en même temps, d’affirmer contre les protestants la possibilité et la nécessité de notre libre coopération. Suivant son habitude, le concile indique à l’appui de cette doctrine deux catégories de textes scripturaires : les uns, tels que Lament., v, 21, qui soulignent la part de la grâce ; les autres, tels que Zach., i, : t, qui marquent celle de la liberté.

De ces deux points le premier ne souffrit pas de difficultés : V exordium jusliflcationis, comme au concile d’Orange l’inttlum fldei, ne pouvait qu'être reporté à Dieu. Pour bien préciser, le concile Introduit ici les termes de grâce prévenante ou excitante depuis longtemps adoptés par l'École.

Le concours de l’homme souleva plus de discussions ; car, en vertu d’un « augustinisme mal compris », Hefner, p, 140, d’aucuns crurent pouvoir réduire cette part de notre libre arbitre. Dans les consultations préalables, quatre théologiens soutinrent, d’après le résumé de Massarelli, t. v, p. 280, quod liberum arbilrium se habet mère passive et nullo pacto active ad justificationem. Voir p. 263-264 le détail de leurs vues, qui semblent avoir été plus nuancées, puisqu’ils admettent les œuvres de l’homme, sinon comme « nécessaires », du moins comme dispositiva ou disponentia, encore qu’on ne puisse parler proprement de dispositiones effectives. Au cours des débats, l’archevêque de Sienne, François Piccolomini, s’exprima dans le même sens — omnes justificationis partes ad Christum tribuit, au rapport de Severoli — et fut, de ce chef, mal noté apud plerosque, t. i, p. 86 ; cf. t. v, p. 286. C’est assez dire qu’en dépit des augustiniens la majorité n’eut pas d’hésitation à reconnaître le rôle effectif de notre liberté.

Une fois l’accord sur le fond réalisé, la rédaction fut assez rapide. Ébauché dans le projet de juillet, c. x-xi, t. v, p. 387, le texte actuel est à peu près acquis dans celui du 23 septembre, c. vi, p. 422, qui suit en le modifiant d’une manière assez heureuse le brouillon de Séripando, p. 829. Les principaux changements qu’il reçut dans la suite n’intéressent guère que la forme : troisième personne du pluriel au lieu de la première ; suppression de quelques pléonasmes tels que præveniente (misericordia seu) gratia, per (impietaies et) peccata ; adoption pour écarter l’erreur protestante, au lieu de l’image un peu forte tamquam exanime quoddam organum, d’une formule à la fois plus philosophique et plus atténuée : ita ut… neque homo nihil omnino agat. Un seul détail touche un peu le fond : c’est l’addition à la dernière ligne, après movere se ad justitiam, des deux mots coram Deo ou plus tard coram illo. Proposée par Claude Le Jay, procureur du cardinal d’Augsbourg, à la séance du 23 novembre, p. 658 et 681, elle était encore discutée le 7 décembre, parce qu’elle paraissait exclure opéra moralia et mérita de congruo, p. 693 ; mais, le 9, l’ensemble de l’assemblée s’y montrait acquise, p. 695.

Comme ailleurs, le concile a eu soin de se maintenir ici dans la ligne des principes certains. Il affirme la nécessité de la grâce, mais sans dire le mode de son efficacité ; la possibilité et l’obligation de notre libre concours, donc la valeur de nos œuvres préparatoires à la justification, mais en évitant de prononcer, malgré l’avis favorable de la majorité des théologiens, p. 280, qu’elles constituent un mérite de congruo. Un canon primitivement prévu pour condamner la doctrine d’après laquelle nos œuvres antérieures « pourraient mériter vraiment et proprement la justification devant Dieu, » t. v, p. 426, fut définitivement écarté pour ne point heurter de front la thèse scotiste sur ce dernier point.

Des mêmes principes s’inspire le can. 4, spécialement dirigé contre les erreurs protestantes.

Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitatum nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque vocanti, quo ad obtinendam justifleationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, sed velut inanimé quoddam nihil omnino agere mereque passive se habere, anathema sit.

Denzinger-Bannwart, n. 814, et Cavallera, n. 892.

Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme mû et excité par Dieu ne coopère aucunement en donnant son assentiment à Dieu qui l’excite et l’appelle, par où il se prépare et dispose à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut pas refuser son consentement s’il le veut, mais que, à la façon d’un être inanimé, il est absolument inerte et joue un rôle purement passif, qu’il soit anathème.

Le dogme catholique de notre coopération à la grâce est fixé ; mais les divers problèmes théologiques qui s’y rattachent sont laissés à la libre discussion des écoles. Hefner, p. 146-147.

2. Question d’application.

Après avoir ainsi posé le principe de notre préparation, le concile en décrit aussitôt le mode, c. vi, Denzinger-Bannwart, n. 798, et Cavallera, n. 878.

Disponuntur autem ad ipsam justitiam dum, excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu concipientes, libère moventur in Deum, credentes vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt atque illud imprimis a Deo justificari impium per gratiam ejus per redemptionem quae est in Christo Jesu ; et dum, peccatores se esse intelligentes, a divinse justitise timoré quo utiliter concutiuntur ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore illumque tamquam omnis justitiae fontem diligere incipiunt ; ac propterea moventur adversus peccata per odium aliquod et detestationem, hoc est per eam pænitentiam quam ante baptismum agi oportet ; denique dum proponunt suscipere baptismum, inchoare novam vitam et servare divina mandata.

Or ils se disposent à la justice dans ce sens que, excités et aidés par la divine grâce, ils conçoivent la foi par l’ouïe et se tournent librement vers Dieu ; qu’ils croient aux vérités et aux promesses révélées par Dieu, à celle-ci surtout que l’impie est justifié par la grâce de Dieu au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus ; que, se reconnaissant pécheurs, de la crainte de la divine justice qui les frappe utilement ils en viennent à considérer la miséricorde de Dieu et s’élèvent à l’espérance, ont confiance que Dieu leur sera propice à cause du Christ et commencent à l’aimer comme source de toute justice ; que, par conséquent, ils se retournent contre leurs péchés dans un sentiment de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence qu’il faut faire avant le baptême ; qu’ils se proposent enfin de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.

Logiquement cette doctrine est précédée par celle du canon 9, dirigé contre le point central de la conception protestante. Denzinger-Bannwart, n. 819, et Cavallera, n. 892.

Si quis dixerit sola fide impium justificari, ita ut intelligat nihil requiri quo ad justificationis gratiam consequendam cooperetur, et nulla ex parte necesse esse eum su » voluntatis motu præparari atque disponi, anathema sit.

Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la foi seule, de telle sorte qu’il entende que rien d’autre n’est requis pour coopérer à la grâce en vue d’obtenir la justification, et qu’il n’est aucunement nécessaire qu’il se prépare et dispose par un mouvement de sa propre volonté, qu’il soit anathème.

Contre les scrupules de quelques Pères, t. v, p. 453 et 508, il fut entendu, p. 522, que ce canon ne visait aucunement le cas de ces baptêmes hâtifs, tantum christianæ credulitatis confessione clariftcata, autorisés par une fausse décrétale attribuée au pape Victor. Hinschius, Décrétâtes pseudo-Isidorianæ, p. 128. -Il ne pouvait être question ici que de condamner le dogme capital de la Béforme. Aussi, sans rien dire des spéculatifs qui tenaient à la vertu justifiante de la foi, le concile se place-t-il dans l’ordre des réalités morales, en réprouvant ceux qui donneraient la foi comme la seule condition nécessaire et suffisante de notre part. Il demande en outre « un mouvement de volonté », qui reste indéterminé ici, mais dont le chapitre vi a précisément pour but d’analyser le détail.

Une marche psychologique y est tracée, où, sous l’action antécédente et concomitante de la grâce, on voit l’âme du pécheur franchir progressivement les étapes suivantes : foi en Dieu et en ses promesses,

spécialement en sa grâce rédemptrice ; sentiment du péché et crainte salutaire de la justice divine ; espérance en la miséricorde de Dieu et commencement d’amour ; détestation du péché par une sincère pénitence ; bon propos de recevoir le baptême et de mener une vie nouvelle conforme aux commandements divins.

a) Insuffisance de la foi. — De ce double texte l’intention ressort en premier lieu de marquer à la foi son rôle et de fixer en même temps qu’il s’agit de la foi théologique ou croyance, et non pas de la confiance mystique, fides fiducialis, dont parlaient les protestants. Voir Foi, t. vi, p. 56-84. C’est là que, « par suite d’une connaissance superficielle de saint Paul, quelques Pères s’approchèrent fâcheusement des conceptions luthériennes, » Hefner, p. 147-148, en croyant pouvoir se contenter de cette foi pour la justification. « Après que Dieu a éclairé notre intelligence, expliquait, à la session du 6 juillet, Thomas Sanfelice, évêque de La Cava, qu’il a rectifié notre volonté et nous a donné cette foi vivante qui entraîne avec elle l’espérance et la charité, il n’attend pas pour nous justifier que nous fassions un acte d’espoir ou d’amour. Mais, dès que l’intelligence s’est ouverte par la foi au mystère de la Rédemption et que la volonté s’est persuadée par la foi de la miséricorde divine au point de n’en pouvoir plus douter, aussitôt les péchés sont remis et l'âme rétablie dans la grâce de Dieu… D’un mot, l’homme est aussitôt justifié ; et cela se fait en dernier lieu par la foi, soit parce qu’il n’appartient pas à l’espérance ni à la charité qui accompagnent toujours cette foi de percevoir la miséricorde et la justice de Dieu…, soit parce qu’il a plu au Dieu tout-puissant de nous prévenir de ses dons… L’impie est donc justifié par la foi seule ; puis, ainsi transformé, il aime Dieu et espère en lui. » T. v, p. 295.

A la séance du 10, l'évéque de Bellune, Jules Contarini, neveu du cardinal, se fit le défenseur de vues toutes semblables qu’il tenait sans nul doute de son oncle, p. 325. Opéra nostra facla extra justificationem nullius esse ponderis, assurait-il. Tout ce qui regarde notre disposition au salut doit être laissé à la bonté et à la miséricorde divines. Il suffit à l’homme d’avoir cette foi vivante dont la charité est l’annexe : jam enim factus est fidelis et juslus ex eo quia Dei fldem accepil, per quam fidem applicantur ei mérita Christi. R. Seeberg a pris la défense de cette doctrine, qu’il trouve d’inspiration thomiste. Zeitschrift fur kirch. Wissenscha/t und kirch. Leben, 1889, p. 656-662. Au témoignage de Severoli, t. i, p. 88, elle choqua pourtant les membres du concile, dont quelques-uns allèrent jusqu'à parler d’hérésie, et l’auteur jugea bon de s’en défendre à la séance du 20 juillet, t. v, p. 364. On a vu plus haut, col. 2166, les incidents soulevés par Sanfelice, et R. Seeberg reconnaît, bien qu’on puisse l’expliquer, que cet auteur se rapproche davantage du point de vue protestant. Loc. cit., p. 663-666.

b) Bôle des œuvres. — C’est pourquoi l’assemblée décida d’affirmer le rôle des œuvres préparatoires à la justification et, pour le mieux marquer, d'énumérer au moins les principales.

Préparée par Séripando, dont le texte était cette fois plus bref, p. 829, la matrice du texte actuel est déjà constituée dans le projet du 23 septembre, p. 422423. Il fut successivement retouché dans les séances des 10, 13 et M décembre, p. 695 698 et 704-708, des 8 et 9 janvier, p. 763 et 776. Dans l’intervalle, on avait remplacé les substantifs per fidem, per spem, prévus tout d’abord, par les participes enduites, etc., qui

avaient l’avantage de ne pas préjuger l’existence <l<s

vertus infuses, on avait primitivement écrit que le

pécheur est justifié a Deo SOLO ; cet adjectif fut supprimé comme équivoque. En revanche, à per odium

on ajouta aliquod, p. 713, pour sauvegarder l’attrition ; mais un passage contesté sur la crainte de l’enfer et son rôle dans la vie morale fut remplacé par la formule plus atténuée : quo (timoré) utiliter concutiuntur. Voir Attrition, t. i, col. 2254-2255. On discuta fort pour savoir si la crainte précède l’espérance ou vice versa, p. 704-705 : le 14 décembre, l’archevêque d’Armagh soutenait encore que l’espérance doit précéder ; mais les prélats théologiens convinrent de donner le premier pas à la crainte, p. 708.

Thomistes et scotistes s’affrontèrent plus sérieusement sur la question de l’amour naturel de Dieu, de telle sorte que le commencement d’amour mentionné dans le projet du 23 septembre, p. 423, avait disparu dans celui du 31 octobre, p. 511, et du 5 novembre, p. 636. Il fut rétabli le 10 décembre, p. 695, et définitivement conservé : mais il n’y est question que d’un amour ébauché, diligere incipiunt, et l’on évite d’y parler d’un amour super omnia. Ainsi le concile se tenait, ici encore, au-dessus des controverses d'école. Voir Charité, t. ii, col. 2236-2251.

Les canons correspondants ne condamnent, eux aussi, que les erreurs protestantes sur l’extinction du libre arbitre, can. 5-6 ; sur la malice radicale de toutes les œuvres faites avant la justification, quacumque ralione facta sint, can. 7 ; sur le caractère coupable de la crainte de l’enfer, can. 8. Denzinger-Bannwart, n. 815-818 et Cavallera, n. 892.

De cette psychologie de la conversion prise dans son ensemble il est d’ailleurs entendu qu’elle représente une sorte de type abstrait, dont le concile n’a pas prétendu dire qu’il soit indispensable ni toujours réalisé. Ainsi en témoigne formellement Véga, Trid. decreti de juslificatione exposilio, Venise, 1548, p. 89 : Non ila patres harum sex dispositionum hoc loco meminerunt ut asserere voluerint eas omnes necessarias esse et neminem vel una earum déficiente justifleari. Neque eo animo eas ordine slatim expresso numerarunt ut eum ordinem semper servari a Deo aut a nobis crediderinl in prœparando nos ad gratiam. Noverant mine ordinem hune, nunc illum a Deo servari et mine pluribus, nunc paucioribus dispositionibus trahi peccalores et venire ad gratiam Dei.

Nature de la justification.

Plus encore que la

préparation de la justification, c’est sa nature même qui était mise en cause par la Réforme. Aussi le concile est-il particulièrement étendu sur cet article. Il fait l’objet du c. vu tout entier, Denzinger-Bannwart, n. 799-800, et Cavallera, n. 879-880, qui devient ainsi « le point culminant de tout le décret ». Hefner, p. 2 17.

1. Notion générale de la justification.

Tout d’abord le concile y pose une définition de la justification, qui anticipe sous une forme générale ce qui sera dit plus loin de son essence.

liane dispositionem seu præparationem justificatio ipsa consequitur, quac non est sola peccatorum remissio, sed et sanctificatio et renovatio interioris huminis per voluntariam susceptionem gratias et donorum, unde homo ex injusto fit jusi us. et ex inimico amicus.

Cette disposition ou préparation est suivie de la justification elle-même, qui ne consiste pas seulement dans la rémission des péchés, mais encore dans la sanctification et le renouvellement de l’homme intérieur par la réception volontaire de la grâce et des dons, par quoi l’homme d’injuste devient juste, et d’ennemi ami.

On ne trouve cette définition sommaire de la justification que dans le projet du 5 novembre, p. 636, et encore en quelques mots seulement qui furent un peu plus développés dans la suite, à la demande surtout de l’archevêque de Torrès, p. 64 i et 681. Elle est évidemment conçue pour exprimer en gros le concept catholique et l’opposer au système protestant. Il en

ressort que la justification n’est pas un acte purement négatif, sola peccatorum remissio, cf. can. 11, Denzinger-Bannwart, n. 821, et Cavallera, n. 892, mais une rénovation positive de notre état spirituel. Formule qu’on rapprochera du c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876, où la justification est définie, d’après saint Thomas, comme une trunslatio de l’état de péché à l’état de grâce.

Dans ce sens tout à fait général, le texte proposé ne pouvait soulever que des difficultés de rédaction, qui furent aisément résolues dans la séance du Il décembre, p. 700-701. La formule définitive est construite de manière à ne préjuger aucune opinion d’école, par exemple sur le rapport de la grâce et des dons, sur la relation logique entre la rémission des péchés et l’infusion de la grâce..Hefner, p. 258. Au rapport de Véga, op. cit., p. 52, les mots per vohmlariam susceptionem furent expressément introduits adversus dogma Lutheri asserentis etiam nolentes et reluctantes adullos justificari.

2. Causes de la justification.

Pour mieux situer

dans l’ensemble du champ dogmatique le concept ainsi défini, le concile continue par un petit développement sur les « causes de la justification », c’est-à-dire, en style d’école, les divers agents qui, à divers points de vue, interviennent pour la réaliser.

Hujus justificationis causse sunt, finalis quidem : gloria Dei et Christi ac vita seterna ; efficiens vero : misericors Deus, qui gratuito abluit et sanctificat… ; meritoria autem : dilectissimus Unigenitus suus Dominus noster Jésus Christus, qui… sua sanctissiraa passione in ligno crucis nobis justificationem meruit et pro nobis Deo Patri satisfecit ; instrumentais autem : sacramentum baptismi, quod est sacramentum fidei sine qua nulli unquam contigit justificatio. Demum unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos facit.

De cette justification voici les causes. Cause finale : la gloire de Dieu et du Christ et la vie éternelle ; cause efficiente : le Dieu de miséricorde qui nous purifie et sanctifie gratuitement… ; cause méritoire : son très cher fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui…, par sa passion très sainte sur le bois de la croix, nous a mérité la justification et a satisfait pour nous à Dieu son Père ; cause instrumentale : le sacrement de baptême, qui est le sacrement de la foi sans laquelle personne n’a jamais obtenu la justification. Enfin l’unique cause formelle est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes.

Dès le 29 juin, les légats avaient interrogé les théologiens mineurs sur les « causes de la justification », t. v, p. 261. Et les réponses n’avaient pas manqué ; mais elles n’entrèrent pas dans les premières rédactions du décret, pas même dans le projet du 23 septembre, p. 423. C’est seulement celui de Séripando, en date du 31 octobre, qui commence à leur faire une place, p. 512. D’où ce paragraphe est passé dans le texte officiel du 5 novembre, p. 536. Il ne reçut dans la suite que des retouches insignifiantes. D’aucuns voulaient y faire entrer la foi, qui, plus qu’une simple disposition, leur paraissait être au moins un commencement de cause formelle. L’évêque d’Oporto y tenait avec beaucoup d’autres, et Séripando n’en était pas éloigné, p. 743. A un autre point de vue on discuta pour savoir si la « gloire du Christ » devait y figurer au titre de cause finale. Toutes ces questions furent réglées dans le sens actuel aux séances du 23 et du 28 décembre, p. 737-743.

Cette partie du décret fournit ce qu’on pourrait appeler le cadre général de la justiiication. Son principal intérêt est d’amorcer par symétrie l’exposé de la cause formelle ou essence de la justification qui suit immédiatement.

3. Essence de la justification — Il n’était guère de point plus discuté, soit par les protestants, soit même par certains théologiens catholiques. Après une longue élaboration, le concile aboutit au texte suivant :

L’unique cause formelle de la justification est la justice de Dieu, non pas celle par laquelle il est juste en lui-même, mais celle par laquelle il nous rend justes, c’est-à-dire celle qu’il nous donne et qui renouvelle l’esprit de notre âme, de manière à ce que non seulement nous soyons réputés justes, mais vraiment appelés et constitués tels par le fait que nous recevons en nous la justice… Quoique, en effet, personne ne puisse être juste que par la communication des mérites de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ceci se produit, dans cette justification du pécheur, de telle façon que, par le mérite de cette très sainte passion, grâce à l’Esprit Saint, la charité de Dieu se répand dans le coeur de ceux qui sont justifiés et leur devient inhérente. D’où il suit que, dans la jus, tification même, avec la rémission des péchés, l’homme reçoit en même temps, par Jésus-Christ auquel il est inséré, tous ces dons infus : la foi, l’espérance et la charité.

A ce chapitre se rattachent étroitement les can. 10 et 11, Denzinger-Bannwart, n. 820-821, et Cavallera, n. 792, qui indiquent à quelles conceptions le concile entend opposer sa doctrine.

Unica causa formalis est justitia Dei, non qua ipse justus est sed qua nos justos facit, qua videlicet ab eo donati renovamur spiritu mentis nostrae et non modo reputamur sed vere justi nominamur et sumus, justitiam in nobis recipientes. .. Quamquam enim nemo possit esse justus nisi cui mérita passionis Domini nostri Jesu Christi communicantur, id tamen in hac impii justificatione fit dum, ejusdem sanctissimae passionis merito, per Spiritum Sanctum caritas Dei diffunditur in cordibus eorum qui justificantur atque ipsis inhæret. Unde in ipsa justificatione cum remissione peccatorum hæc omnia simul infusa accipit homo per Jesum Christum cui inseritur : fidem, spem et caritatem.

Can. 10. Si quis dixerit hommes sine Christi justiati per quam nobis meruit justificari, aut per eam ipsam formaliter justos esse, anathema sit.

Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés sans fa justice du Christ par iaquelle if a mérité pour nous, ou que c’est par elle-même qu’ils sont formellement justes, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit que les hommes sont justifiés ou bien par la seule imputation de la justice du Christ, ou bien par la seule rémission des péchés à l’exclusion de toute grâce et charité qui serait répandue dans leurs cœurs par l’Esprit Saint et leur deviendrait inhérente, ou encore que la grâce qui nous justifie est seulement la faveur de Dieu, qu’if soit anathème.

a) Première rédaction : Le problème de la double justice. — Ce n’est qu’après beaucoup de temps et de peine que fut arrêté le texte ci-dessus.

En effet, tout le monde voulait enseigner contre les protestants une justification effective du pécheur. Quoad nomen justi ficatio idem est quod justifactio, justificari idem quod juslum fieri coram Deo ; quoad rem autem justi ficatio est remissio peccatorum per graliam. Tels sont les termes dans lesquels Massarelli résume, t. v, p. 279, les dépositions, unanimement concordantes au fond, des théologiens dans les séances d’études tenues du 22 au 28 juillet. Et parmi les

. Can. 11. Si quis dixerit homines justificari vel sola imputatione justitiae Christi vel sola peccatorum remissione, exclusa gratia et cantate quæ in cordibus eorum per Spiritum Sanctum difundatur atque illis inhæreat, aut etiam gratiam qua justificamur esse tantum favorem Dei, anathema sit. « erreurs » soumises le 30 au concile par les légats, figure, sous le n. 7, la suivante : …dimissa peccala per justitiam Christi nobis, licet injustis, imputatam et justitiam aliam inhserentem non habentibus, p. 282.

De fait, les Pères furent d’accord, d’après le résumé de Massarelli, pour dire : Gratis (homo) justifteatur a Deo non per imputatam sibi justitiam Christi solum, sed per gratiam inhwrentem, qinr sibi donatur, in)unditur et fit propria, ila ut illa justus efficiatur, p. 337. Les canons 4-7 du premier projet, déposé le 24 juillet, parlent, eux aussi, de donalio justilia ; et repoussent l’idée d’une justification comprise comme une dénomination tout extrinsèque : … tantum justum reputari et non justum fieri, ut ipsa justificatio sit sola imputatio justilia’… ; gratiam… nihil esse nobis inhærens vel nos informons, p. 386.

Mais, dans ces premières ébauches, on peut déjà remarquer la nuance très étudiée de cette formule restrictive : … non per imputatam justitiam Christi solum. N’est-ce pas dire équivalemment que, dans un certain sens, notre justice consiste en une imputation ? C’est bien de cette façon que l’entendaient quelques Pères, dont Massarelli exprime ainsi la pensée : Justificatio est justitis 1 Dei imputatio per Christum, p. 339. On retrouve très nettement cette conception jusque dans le projet du 23 septembre, rédigé sous l’inspiration de Séripando qui en fut toujours un des plus déteiminés partisans : Ejus enim (Dei) juslitia proinde nobis, quando juslificamur, communicatur et imputatur ac si nostra essel, p. 423.

Dans ces formules caractéristiques on saisit l’influence de ce système de la double justice qui avait été construit, dans les années qui précédèrent le concile, par l’école de Cologne et adopté par le cardinal Contarini.

b) Discussions sur la double justice. — Ainsi esquissée, la théorie de la double justice ne tarda pas à passer au premier plan, et ce fut le gros débat du concile.

Car les discussions qui s’étaient produites à son endroit parmi les théologiens allaient reprendre au sein de l’auguste assemblée. Hefner, p. 209-244. Il est remarquable cependant que les deux évêques de La Cava et de Bellune, qui se signalèrent en défendant un autre élément du système, savoir la justification par la seule foi, col. 2179, ne se prononcèrent pas nettement sur la justice imputée. Hefner, p. 211. Mais cette conception trouva un zélé défenseur en la personne du général des augustins, Jérôme Séripando.

Ses dépositions du 13 et du 23 juillet trahissent déjà, bien que discrètement exprimée, une appréciation minimiste de la justice propre à l’homme, p. 335 et 371-375. Plus nette est sa pensée dans son brouillon du 19 août, p. 829, où, tout en reconnaissant que nous sommes vraiment justes et non pas seulement réputés tels, il tient à préciser, d’après les Pères, quod est juslitia et gratia Dei per Jesum Christum quodque ea vere justus est quicumque justus est. Aussi n’y est-il nullement question de justice inhérente, et pas davantage dans le projet du 23 septembre dont il fut le principal inspirateur. Cependant le texte en était encore trop formel à son gré et il intervint expressément, à la séance du 8 octobre, pour exposer le système de la double justice. Il ne faisait, eu cela que rapporter les vues (le ces piissimi et criidilissiini viri doclores quoque celeberrimi et catholici, qui les axaient exposées dans leurs écrits ; un peu plus loin il cite nommément Contarini, Cajétan, Pighius, Pflug et Gropper. Mais il tient a les défendre contre toute accointance avec l’hérésie. C’est pourquoi il supplie les membres du concile de prendre garde à l’importance « le la question et de songer, avant de condamner cette doctrine, au Jugement divin qu’ils devront subir un jour, p. 181) ISS.

Il semble bien que cette énergique intervention dut exciter quelque surprise, puisque les légats crurent bon de faire observer, à la séance du 12, que cette opinion n’avait rien de commun avec l’erreur des hérétiques. En tout cas, il fut décidé qu’elle ferait l’objet d’une discussion spéciale, p. 496-497, et Séripando lui-même fut chargé de poser les termes de la question qui devait être soumise aux théologiens, t. ii, p. 431. Son texte un peu modifié devint finalement celui-ci : Utrum justificalus qui operatus est opéra bona ex gratia… ila ut retinuerit inhærentem justitiam… censendus sit salisfecisse divinie juslitiæ ad meritum et acquisitionem ville seternse, an vero cum hac inhærenle justifia opus insuper habeat misericordia et justilia Christi… quo suppleantur defectus suæ justifia ?, t. v, p. 523.

Ces consultations commencèrent le 15 octobre pour se terminer le 26. Au rapport de Massarelli, 1. 1, p. 449, trente-sept théologiens prirent la parole au cours de ces dix séances. Sur ce nombre, cinq seulement se montrèrent favorables à la justice imputée : savoir les trois augustins Aurélius de Roccacontrata, t. v, p. 561-564, Marianus de Feltre, p. 599, Etienne de Sestino, p. 607-611 ; le séculier espagnol Antoine Solisius, p. 576, et le servite Laurent Mazocchi, p. 581586, qui dixerunt, résume Massarelli, p. 632, inhærentem justitiam non sufficere sed esse opus impulatione justitiee Christi. Tous les autres se prononcèrent contre, spécialement, à la séance du 26, le jésuite Jacques Lainez, p. 612-626, qui opposa douze raisons à la justice imputée et discuta un à un onze arguments de la thèse adverse.

Éclairés par ces débats, les Pères du concile ne firent guère qu’en reprendre les conclusions, du 9 novembre au 1 er décembre. Seul le franciscain Antoine de la Cruz, évêque des Canaries, tout en admettant unica… juslitia qua nos juslificamur, soutint, au sens scotiste le plus avancé, que cette justice ne nous est pas véritablement inhérente : Quæ juslitia non est ipsa caritas, sed est ipsa acceplalio et ipsa justificatio qua formaliter justi sumus… Non sumus justi caritale nobis inhærente, sed quia Deus acceptât nos in gratiam propler Christum, p. 654.

Aux deux séances du 26 et du 27 novembre, Séripando, qui n’avait pas caché son mécontentement du texte déposé le 5, où il croyait voir la « très pure justice du Christ… noyée dans le gouffre des inventions humaines, » t. ii, p. 430, intervint encore une fois pour préciser et défendre sa doctrine des deux justices. Il n’entendait pas parler des grands saints, mais des justes médiocres qui mêlent tant d’imperfections à leurs œuvres les meilleures, et il expliquait comment ils doivent compter, devant le tribunal divin, sur la justice du Christ qui leur est imputée plus que sur la leur propre. Cette justice d’ailleurs produit en nous un effet qui nous rend formellement justes ; mais ces deux principes restent différents, bien que très étroitement unis, de telle façon que nous devons toujours nous appuyer sur les deux, t. v, p. 666-675.

De ces discussions le concile retint qu’il y avait lieu de condamner la justice Imputée, comme l’indiquait le cardinal dei Monte, secundum assertioncm lurrclicorum, p. 633. Le projet du 5 novembre fut conçu dans ce sens, p. 636 : il est à peu près littéralement Identique au texte définitif, sauf l’incise augustinienne : … justilia Dei, non qua ipse justus est sed qua (corant ipso) justos facit, qui fut ajoutée le Il décembre.

p. 700, et soulagée le 23 du complément circonstanciel

coram ipso, p. 737. Quant à la condamnation plus nette de la justice imputée que demandaient plusieurs Pères,

p. 087 et 691, elle fut renvoyée aux canons 10 et 11. présentés à la séance du 15, p. 711, et. adoptés le

16 après quelques légères modifications, p. 722.

c) Doctrine conciliaire. — Au terme de cette minu

tieuse élaboration, le décret conciliaire se contente d’écarter discrètement le système de la double justice, en précisant que, la « cause formelle » de notre justification est « unique ».

Du reste, la suite marque, à plusieurs reprises, que notre justice est dans un rapport d’étroite dépendance avec la justice de Dieu, et l’imperfection de la nôtre est soulignée par ce qui est dit plus loin de son essentielle incertitude. Où l’on peut voir, avec Hefner, p. 244-247, un gain providentiel dû au système de Contarini. Les vaillants efforts de Séripando eurent au moins pour résultat que toute forme directe de condamnation lui fut épargnée. Elises, dans Rômische Quartalschrift, 1906, t. xx, p. 187-188.

Tout le décret tend par ailleurs à affirmer que nous sommes véritablement renouvelés et justifiés, que nous recevons en nous la justice et que celle-ci nous devient inhérente avec son cortège de dons surnaturels. C’est la tradition catholique opposée à la justitia forensis des protestants. A quoi les canons ajoutent la réprobation formelle de leurs principales erreurs. D’où il appert que, si nous ne sommes pas justifiés indépendamment de la justice du Christ, celle-ci n’est pourtant pas la cause formelle de notre justification ; que la grâce que nous y recevons n’est pas une pure imputation, ni la seule rémission des péchés ou toute autre forme de dénomination extrinsèque qui la ramènerait à une simple « faveur de Dieu », mais bien une réalité interne que l’Esprit Saint répand dans l’âme juste et qui lui demeure attachée.

Dans un enseignement tout entier dirigé contre les erreurs protestantes, il n’y a évidemment pas lieu de chercher une solution aux controverses d’école sur l’essence ou le siège de la grâce sanctifiante, son rapport avec la charité ou avec les dons, que le concile s’est soigneusement abstenu de toucher. Hefner, p. 264. Voir sur toute cette question la monographie de A. Prumbs, Die Stellung des Trident. Konzils zu der Frage… der heiligmachenden Gnade, Paderborn, 1909.

Propriétés de la justification.

 De l’essence de la

justification découlent logiquement ses propriétés. Il suffira de relever ici les principales d’après les derniers chapitres du décret.

1. Gratuité de la justification.

Bien que la gratuité

de la justification ressortit déjà suffisamment du rôle attribué à la grâce dans son origine, les protestants accumulaient tellement de préjugés sur ce point que le concile a voulu s’en expliquer ex professo. C’est l’objet du court c. viii, où sont interprétées les deux formules connexes de saint Paul que nous sommes justifiés « gratuitement » et « par la foi », Rom., iii, 24 et 28. Denzinger-Bannwart, n. 801, et Cavallera, n. 881.

Cum vero Apostolus dicit Lorsque l’Apôtre dit que

justificari hominem per fil’homme est justifié par la

dem et gratis, ea verba in foi et gratuitement, ces pa eo sensu intelligenda sunt rôles doivent être comprises

quem perpetuus Ecclesiae dans le sens que le consente catholicae consensus tenuit ment perpétuel de l’Église

et expressif, ut scilicet per catholique a tenu et exprimé,

fidem ideo justificari dicac’est-à-dire quenous sommes

mur quia fides est humanae dits justifiés par la foi parce

salutis initium, fundamenque la foi est le commence tum et radix omnis justifiment du salut, le fondement

cationis… ; gratis autem juset la racine de la justifica tifleari ideo dicamur quia tion…, et justifiés gratuite nihil eorum quae justificament parce que rien de ce

tionempra’cedunt, si ve fides qui précède la justification,

sive opéra, ipsam justificani la foi ni les œuvres, ne

tionis gratiam promeretur. mérite la grâce même de la justification.

Parmi les textes de saint Paul que les réformateurs aimaient exploiter au profit de leurs doctrines, ces deux étaient les principaux. Aussi tiennent-ils naturellement beaucoup de place dans les délibérations

conciliaires. Les théologiens furent expressément consultés le 22 juillet sur le rôle de la foi, p. 261, et les Pères s’en expliquèrent abondamment, p. 339-340. Aussi le besoin se fit-il sentir d’une interprétation officielle, qui est déjà esquissée dans le projet du 23 septembre, p. 423, et devient l’objet d’un chapitre spécial, c. vii, dans celui du 5 décembre, p. 636.

Cependant les opinions étaient loin d’être unanimes. Deux tendances se firent jour, dont l’une entendait qu’il s’agit de l’acte de foi comme première disposition dans la voie du salut ; l’autre, de la vertu de foi, qui concourait à l’acte même de la justification. Hefner, p. 278-279. Ce point fut spécialement discuté les 6, 17 et 21 décembre, t. v, p. 696-700 et 724-735, pour être définitivement tranché le 8 janvier, p. 763-764.

Dans l’intervalle, sur les instances réitérées du cardinal Cervino, on avait décidé de s’en tenir au sens des Pères anciens, p. 725, et d’interpréter les textes de saint Paul de manière à comprendre, non seulement la première justification, mais aussi les autres, p. 731. Pour le cardinal, il étudiait de près saint Augustin et l’on a retrouvé dans ses papiers, Hefner, appendice, p. 126-127, une collection de textes sur ce point. Dj fait le concile s’en tint à des formules augustiniennes, Hefner, p. 290-291, sur la foi comme « commencement » et « fondement » du salut, sans autrement spécifier son rôle. Le chapitre précédent avait déjà précisé qu’il s’agit de la foi vivante et active, c’est-à-dire de celle qui s’accompagne de la charité.

Puisque la justification dépend ainsi de la foi, elle ne peut être que radicalement gratuite. Cette conséquence fut spécialement examinée le 22 décembre, p. 735-737. On convint qu’il n’était pas nécessaire de relever l’expression paulinienne sine operibus, mais qu’il était bon de souligner la gratuité de la justification. D’où la formule actuelle, d’après laquelle rien de ce qui précède la justification n’a de valeur proprement méritoire pour l’obtenir. Elle fut proposée par le cardinal Cervino comme un moyen de conciliation et acceptée comme telle, sous réserve qu’on ne toucherait pas au mérite de congruo.

2. Incertitude de la justification.

Non sans beaucoup de tergiversations, la Réforme en était venue à dire que le chrétien peut et doit se tenir pour assuré de sa propre justification. Le concile ne pouvait éviter un point de cette importance. Il est tranché au c. ix, Denzinger-Bannwart, n. 802, et Cavallera, n. 882.

Quamvis autem necessarium sit credere neque remitti neque remissa unquam fuisse peccata nisi gratis divina gratia propter Christum, nemini tamen fiduciam et certitudinem remissionis peccatorum suorum jactanti et in ea sola quiescenti peccata dimitti vel dimissa esse dicendum est…

Sed neque illud asserendum est oportere eos qui vere justificati sunt absque ulla omnino dubitatione apud semetipsos statuere se esse justificatos neminemque a peccatis absolvi ac justificari nisi eum qui certo credat se absolutum et justificatum esse atque hac sola fide absolutionem et justificationem perfici, quasi qui hoc non crédit de Dei promissis deque mortis etresurrectionis Christi efficacia dubitet.

Bien qu’il soit nécessaire de croire que les péchés ne sont remis et ne le furent jamais que gratuitement par la grâce divine à cause du Christ, il ne faut pas dire cependant qu’il en soit ou fut ainsi fait pour aucun de ceux qui affectent l’assurance et la certitude de cette rémission et se reposent en elle seule…

On n’affirmera pas non plus qu’il faut que ceux qui sont vraiment justifiés s’établissent eux-mêmes dans ce sentiment sans l’ombre d’aucun doute, et que personne n’est absous de ses péchés ou justifié s’il ne croit avec certitude qu’il est absous et justifié, et que seule cette confiance réalise notre absolution ou notre justification, comme si ne pas le croire revenait à mettre en doute les promesses de Dieu, l’efficacité de la mort et de la résurrection du Christ.

Nam, sicut nerao pius de

Dei misericordia, de Christi

nierito deque sacramento runi virtute et elficacia

dubitare débet, sic quilibet,

dum seipsum suamque pro priam infirmitatemet indis positionem respicit, de sua

gratia forraidare et timere

potest, cum nullus scire

valeat certitudine fidei, cui

non potest subesse falsum,

se gratiam Dei esse conse cutum.

Car, de même qu’aucun

chrétien pieux ne doit mettre

en doute la miséricorde de

Dieu, le mérite du Christ, la

vertu et l’efficacité des sacrements, ainsi chacun, quand

il se regarde soi-même avec

sa faiblesse et ses mauvaises

dispositions, peut craindre

au sujet de son état de grâce, puisque personne ne peut

savoir d’une certitude de

foi, de cette foi qui est

incompatible avec l’erreur,

qu’il a obtenu la grâce de

Dieu.

Les trois canons 12, 13 et 14, Denzingcr-Bannwart, n. 822-824, et Cavallera, n. 892, reprennent la même doctrine sous la forme d’anathèmes portés contre les divers aspects de l’erreur protestante. A la « vaine confiance des hérétiques » l’Église entend évidemment opposer l’incertitude de notre justification.

a) Position et discussion du problème. — Mais cette question était une de celles où les théologiens catholiques avaient déjà pris position. Saint Thomas, suivi par Biel, se montrait contraire, tandis que Scot était ou passait pour être favorable à la certitude subjective de la justification. Après le concile, sans doute, les franciscains Alphonse de Castro et André de Véga ont essayé de laver le docteur subtil sur ce point ; mais, au moment du concile, l’exposé de Biel faisait foi, qui lui attribue la possibilité pour le chrétien de connaître son propre état de grâce certitudinaliter…, licet non evidenter. Hefner, p. 301-303.

Or ces deux écoles avaient leurs représentants au sein de l’assemblée, dont plusieurs membres, au rapport de Séripando, t. ii, p. 432, et notamment le cardinal légat dei Monte, étaient acquis à la thèse scotiste. Aussi les discussions furent-elles très longues et très vives sur ce point. Résumé dans Hefner, p. 304-323. Elles commencèrent avec le projet du 24 juillet, c. xviii, p. 390, à propos duquel le général des conventuels défendit l’opinion de Scot, p. 404. Plusieurs Pères exprimèrent un semblable sentiment, tandis que d’autres demandaient que la question fût étudiée de près, p. 408-410. La séance du 28 août y fut consacrée tout entière et l’on résolut de laisser la question indécise pour condamner seulement l’erreur luthérienne, p. 418-419.

De fait, le projet du 23 septembre, c. vii, p. 424, s’exprime d’une manière plus circonspecte et se contente d’une formule à peu près identique au premier paragraphe du texte actuel. Il y eut de fortes objections en faveur de la certitude de la grâce, qui furent surtout présentées, le 6 octobre, par le dominicain Ambroise Catharin, évêque de Minori, p. 471. Aussi la question fut-elle de nouveau soumise, conjointement avec celle de la justice imputée, aux délibérations des théologiens, p. 523 : Utrum aliquis possit esse cerlus de sua adepta gratia secundum prsesentem jusliliam et quo génère certitudinis. D’après la statistique de Massarelli, t. i, p. 449, vingt et un furent d’avis qu’une certitude est possible en certains cas, quatorze absolument déterminés contre et deux restèrent neutres.

Le texte du 5 novembre, c. ix, t. v, p. 037, conserva celui du 23 septembre sans parvenir à rallier tous les suffrages, thomistes et scotistes le trouvant, chacun dans leur sens, trop peu allirmalif, p. 082. Il s’agissait, en tout cas, de savoir si l’erreur protestante était suffisamment condamnée, ("est une des questions qui lurent soumises au concile le 3 décembre, p. 687, et une douzaine de Pères furent d’avis que la condamnation devait être plus nette, p. 691. Devant ces et i Il i culte

  • , la discussion fut renvoyée à la fin et, le 17 dé

cembre, la majorité décidait enfin de condamner seulement le mysticisme protestant sans trancher le problème de fond, p. 727-728.

b) Solution du problème. — Entre temps les légats avaient consulté Rome et, le 14 janvier, le maître du sacré palais adressait à Cervino une lettre assez enflammée contre la thèse de la certitude. Hefner, app., p. 128134. Le concile cependant s’en était tenu à sa décision du 17 décembre et le chapitre définitif fut adopté le 9 janvier, p. 772-773 et 777. Au texte primitif un second paragraphe était ajouté pour condamner les protestants, qui réclamaient l’assurance du salut comme absolument indispensable pour être justifié. Il se terminait par une formule transactionnelle, où il était précisé que la confiance légitime du chrétien ne peut jamais être une « certitude de foi ». El ita, note Massarelli, p. 773, cum magno gaudio omnes recesserunt.

De cette histoire, comme aussi du texte lui-même, il ressort que ce chapitre est tout entier conçu en fonction du système protestant. Il enseigne que l’assurance du salut ne saurait jamais être suffisante, « puisqu’elle peut aussi bien exister chez des hérétiques et des schismatiques, et que, de nos jours encore, on prêche à grand bruit contre l’Église cette doctrine aussi vaine qu’impie. » Cette assurance n’est pas davantage nécessaire comme condition absolue de la justification, et la raison en est qu’elle n’est, à vrai dire, pas possible. Non pas que nous devions douter de Dieu, mais nous avons toujours dans notre misère persistante de graves raisons pour douter de nous. Tandis que la doctrine luthérienne est anthropocentrique et réclame la certitude personnelle de la grâce, la doctrine de l’Église est théocentrique et, tout en admettant les motifs qui fondent la confiance légitime du chrétien, rappelle ceux qui lui imposent le devoir d’une crainte salutaire. Hefner, p. 326-327. Dans ces limites, il y a place pour la liberté des systèmes suivant les préférences de chacun. Voir Grâce, t. vi, col. 1620-1626.

Les deux problèmes de la prédestination et de la persévérance finale sont résolus d’après les mêmes principes, c. xii-xin et can. 15-16. Denzinger-Bannwart, n. 805-806, 825-826, et Cavallera, n. 885-886 et 892. Au regard de la logique aussi bien que de l’histoire ces textes sont étroitement connexes à celui-ci.

3. Inégalité et perfectibilité de la justification.

Étant une réalité intérieure et conditionnée par notre préparation personnelle, la grâce de la justification ne saurait être la même pour tous. Aussi est-il marqué dès le c. vii que « nous recevons en nous la justice chacun selon sa mesure, que le Saint-Esprit répartit à chacun comme il le veut, I Cor., xii, 11, et selon sa propre disposition et coopération. » Denzinger-Bannwart, n. 799, et Cavallera, n. 879. D’où il suit qu’elle est susceptible de progrès et appelée normalement à se développer. Cette conséquence est déduite au c. x, à propos de ce qu’on appelait, en style d’école, la seconde justification. Denz., n. 803, et Cav., n. 883.

Sic ergo justificati…, per

observationcm mandatorum

Dei et Ecclesiæ, in ipsa jus titia per Christi gratiam ac cepta, coopérante fide bonis

operibus, crescunt atque

magis justiflcantur.

Ainsi justifiés…, par l’ob servation des commande ments de Dieu et de l’Église

(les hommes) croissent dans

la justice reçue par la grâce

du Christ, la foi coopérant

aux bonnes œuvres, et de viennent de plus en plus

justes.

Ce chapitre est complété par le can. 2 1 dirigé contre l’erreur protestante. Denz., n. 834 et Cav., n. 892.

Si quis dixerit justitiam Si quelqu’un dit que la

acceptant non conservarl justice reçue, n’est pas cou atque etlam augeri coram serves et encore augmentée

Deo per bona opéra, sod devant Dieu par les bonnes

opéra ipsa fructus solummodo et signa esse justificationis adeptæ non autem ipsius augenda ; causam, anathema sit.

œuvres, mais que les œuvres sont seulement les fruits et les signes de la justification obtenue et non pas la cause de son accroissement, qu’il soit anathème.

Dès le 30 juin, la question du progrès de la justification était posée au concile, p. 281 ; mais le projet du 23 septembre n’y touchait encore qu’en quelques phrases dispersées au cours des c. vu et vrn, p. 423424. Celui du 5 novembre lui consacre un petit chapitre spécial, p. 637, qui s’est conservé à peu près tel quel dans la suite. On y ajouta seulement le complément coopérante fide bonis operibus et, dans le dossier scripturaire particulièrement étoffé qui comprenait déjà Ps. lxxxiii, 8 ; II Cor., iv, 16 ; Apoc, xxii, 11, et Eccli., xviii, 22, on introduisit encore Jac, ii, 24, plus le début de la collecte pour le XIIIe dimanche après la Pentecôte. Toutes modifications qui lurent adoptées sans grandes difficultés dans la séance du 13 décembre, p. 705-708.

Ainsi était affirmé contre les protestants le caractère vivant et progressif de notre justification, Hefner, p. 329-335, et, par voie de conséquence, la valeur surnaturelle de nos œuvres morales, qui, sous l’action de la grâce, sont les agents de ce progrès.

Diverses dans leur détail, ces œuvres rentrent toutes dans une catégorie générale, savoir « l’observation des commandements de Dieu et de l’Église. « Luther professait l’impossibilité, l’inutilité, voire même la nocivité de la loi, y compris la loi chrétienne. Cette doctrine est écartée par le c. xi, Denzinger-Bannwart, n. 804, et Cavallera, n. 884, qui affirme que la pratique de la loi chrétienne est possible, nécessaire et fructueuse. Cf. can. 18-21, Denzinger-Bannwart, n. 828834, et Cavallera, n. 892.

En portant cette définition, « les Pères du concile savaient bien qu’il y a dans saint Paul, saint Augustin et saint Bernard plusieurs expressions qui semblent favoriser la théorie du réformateur. » Mais le tout est de ne pas exagérer les conséquences du péché originel. Sans se prononcer entre les théories d’école, le concile se contente d’enseigner qu’avec le secours de la grâce il n’est pas de commandement qui soit impossible au chrétien. « Dans la formule de définition plusieurs expressions de saint Augustin furent littéralement reproduites, pour montrer en cet endroit qu’il y a la plus complète harmonie entre la doctrine bien comprise du grand théologien et celle de l’Église. » Hefner, p. 335-336.

D’une manière plus générale encore, cette synthèse tend à sauver l’harmonie entre le sens chrétien et le sens moral.

4. Amissibilité de la justification.

Professer

l’accroissement de la justification, c’est en reconnaître la caducité toujours possible. Les protestants admettaient qu’elle dure autant que la foi qui en est l’unique condition. Cette erreur est spécialement visée au c. xv. Denz., n. 808, et Cav., n. 888.

Adversus etiam hominum quorumdam callida ingénia asserendum est, non

modo infidelitate per quam et ipsa fides amittitur, sed etiam quocumque alio mortali peccato, quamvis non amittatur fides, acceptam justilicationis gratiam amitti. ..

Contre la perfidie de certains hommes… il faut affirmer que, non seulement l’infidélité qui nous fait perdre la foi elle-même, mais encore tout autre péché mortel, bien qu’il ne porte pas atteinte à la foi, nous fait perdre la grâce reçue de la justification…

De ce chapitre il faut rapprocher les canons 27 et 28. Denz., n. 837-838, Cav., n. 892.

Can. 27. Si quis dixerit Si quelqu’un dit qu’il n’y nullum esse mortalepe ccaa de péché mortel que celui

tum nisi infidelitatis, aut nulloalio.quantumvis gravi et enormi.proeter quam infidelitatis, peccato semel acceptam gratiam amitti, anathema sit.

Can. 28. Si quis dixerit amissa per peccatum gratia simul et fidem semper amitti ; aut fidem quæ remanet non esse veram fidem, licet non sit viva ; aut eum qui fidem sine cantate habet non esse christianum, anathema sit.

d’infidélité, ou bien qu’aucun autre péché, quelque grave et énorme qu’il puisse être, ne fait perdre la grâce une fois reçue, qu’il soit anathème.

Si quelqu’un dit qu’en perdant la grâce par le péché on perd en même temps toujours la foi ; ou que la foi qui survit n’est pas une vraie foi, bien qu’elle ne soit pas vivante ; ou bien que celui qui a la foi sans la charité n’est pas chrétien, qu’il soit anathème.

En accord avec les principes préalablement posés sur le rôle de la foi et des œuvres, le décret marque ici que le maintien de la justification, tout comme son origine, ne dépend pas seulement de celle-là, mais encore de celles-ci. Il en ressort qu’il y a deux manières de perdre la grâce de Dieu : l’une totale (sur laquelle le concile n’insiste pas), quand on perd le foi qui en est la base ; l’autre moins complète, quand la foi survit à la ruine de la charité détruite par un péché mortel. Par où le concile manifeste l’intention de « défendre la doctrine de la loi divine, qui exclut du royaume de Dieu, non seulement les infidèles, mais aussi bien les fidèles quand ils sont fornicateurs, adultères, efféminés, impudiques, voleurs, ivrognes, médisants, rapaces, I Cor., vi, 9-10, et tous autres qui commettent des péchés mortels dont ils pourraient s’abstenir avec l’aide de la grâce divine et par suite desquels ils sont séparés de la grâce du Christ. » C. xv.

D’où il résulte que la foi et la charité sont séparables. Ce point, touché dès le premier projet, c. xix, p. 390, et repris dans le second, c. x, p. 425, fut contesté, le 7 octobre, par l’abbé Lucien de Sainte-Marie près Ferrare, qui, au nom des autre-s abbés, soutint que tout péché entame la foi : Peccata omnia ex fidei imperfectione prodire et unumquemque nostrum tantum peccare quantum a fide deficimus, p. 476. Il proposait donc, ou de supprimer l’article, ou d’ajouter à la mention du péché mortel cette précision tendancieuse : quami’is non sine quadam infidelitate.

Le texte ayant été maintenu quand même dans le troisième projet, c. xv, p. 639, l’abbé Lucien revint à la charge le 23 novembre. Per peccata fides amittitur, disait-il, et fides non potest slare cum peccato. Ce qu’il soutenait per argumenta lulheranorum. Sur une question du cardinal del Monte, il précisa qu’il entendait parler de la fides christiana. Doctrine qui suscita de vives rumeurs et fut taxée d’hérésie. Lucien reprit la parole le lendemain pour se soumettre au concile et expliquer qu’il ne pensait qu’à la vera fides ou fides formata, p. 659-660. Sur quoi il reçut l’assurance publique du cardinal légat que « le concile lui pardonnait et, prenant en bonne part toutes ses paroles, l’admettait comme fils. » Ce qui ne l’empêcha pas d’être contredit plusieurs fois dans la suite, notamment, le 29 novembre, par l’évêque d’Oporto, p. 677.

Aussi, non seulement la teneur du texte projeté fut-elle intégralement conservée le 14 décembre, p. 709712, mais le dernier canon, qui, dans le projet du 5 novembre, ne contenait encore que la première phrase, p. 641, fut successivement complété par les deux autres, p. 716, à l’effet de bien préciser que la foi du pécheur, pour n’être pas une fides viva, n’en est pas moins une « vraie foi ». Une dernière fois cependant, le 1 er janvier, la question fut posée aux prélats théologiens de savoir s’il fallait spécifier dans le chapitre quelle est la foi qui subsiste dans un pécheur après son péché, p. 752. Ils furent tous d’avis que les termes du décret fussent maintenus sans autre explication.

r. CONCLUSION. — Tels sont les principaux enseignements du célèbre décret sur la justification. Il manifeste partout l’intention d’opposer aux nouveautés de la Réforme les principes de la tradition catholique. On y trouve clairement et indubitablement exprimée la conception commune à l’ensemble de la scolastique, qui l’avait héritée de saint Augustin, sur l’essence de la justification. Loofs, Dogmengeschichle, p. (367. Voir également F. Biehler, Die Rechtferligungslehre des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die tridentinischen Beschlùsse, dans Zeitschrift fur die kirchliche Wissenschafl und kirchliches Leben, 188C, t. vii, p. 417-434. « Mais, continue F. Loofs, le décret conciliaire est équivoque et prudemment obscur dans le détail, quand il s’agit de toucher aux difféiences qui existent entre la notion augustino-thomiste de la grâce et le néo-semipélagianisme des anciens franciscains, comme aussi de Scot et des nominalistes. » Ce qui revient à reconnaître, de mauvaise grâce, que le concile, comme il s’en était fait une loi, t. i, p. 108, n’a pas voulu trancher les questions librement discutées entre catholiques. Sur presque tous les points on a pu voir le concile s’arrêter à des formules qui planent au-dessus des controverses dont l’écho s’était fait entendre jusque dans son sein. Il faut y chercher la définition du doî-iiucatholique, non l’élaboration d’une théologie systématisée.

Ses tendances sont d’ailleurs tellement nettes que, suivant son mythe familier, F. Loofs, p. 668-669, y trouve aussitôt des traces de « néo-semipélagianisme ». C’est-à-dire que, sous l’action de la grâce divine à qui revient toujours le premier rang en matière de surnaturel, l’homme garde sa part de libre concours, soit, aux origines, soit dans tout le processus ultérieur de la justification. Pour arriver à la grâce, une préparation de notre paît est possible et nécessaire, qui met en œuvre toutes nos énergies morales ; il ne s’agit pas de croire seulement, mais d’agir en conséquence. La justification elle-même se traduit en une grâce de régénération qui vient renouveler notre être spirituel et lui donner la possibilité, en même temps que lui imposer l’obligation, de fructifier en œuvres méritoires de salut. Moyennant cette coopération, la grâce initiale se développe ; mais elle diminue si notre volonté défaut et I eut arriver à se perdre si nos actes sont gravement contraires, quitte à pouvoir se rétablir d’ailleurs par une nouvelle conversion.

Cette mutuelle interaction, dans l’œuvre du salut, de Dieu ( anse première et de l’homme régénéré par sa grâce caractérise la doctrine catholique, qui par là se place à égale distance entre le rationalisme pélagien qui supprime l’action divine et le mysticisme protestant où disparaît la collaboration humaine. De cette doctrine fondamentale on retrouve la trace à toutes les lignes du décret. Sous la pression irrésistible de leur exclusivisme confessionnel, les historiens de la Réforme prononcent volontiers à ce propos le mot de <’compromis ». Loofs, op. cit., p. 671, et Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., t. iii, p. 714. C’est, en réalité, d’équilibre qu’il faudrait parler, en présence d’une doctrine assez large et synthétique pour dominer tous les extrêmes et absorber les vérités partielles qu’ils contiennent jusqu’en leurs excès.

Au regard de l’histoire comme de la théologie, le mérite du concile <ie Trente est d’avoir officiellement fixé les iiK ||( s maîtresses de cette synthèse. Son œuvre

i ce point de vue est assez, heureuse pour que, malgré

tous ses préjugés, Ad. 1 larnack lui-même, » Pcit., p. 711, ne puisse lui refuser un hommage significatif. » Bien qu’il soit un produit artificiel, le décret sur la justification est, à plusieurs égards, parfaitement travaillé. On peut même douter que la Réforme se lût

développée, si ce décret avait été publié par le concile du Latran au commencement du siècle et était effectivement passé dans la chair et le sang de l’Église. »

Ce qui importe, c’est que, pour atteindre ce résultat, le concile n’eut qu’à puiser dans le trésor de l’ancienne tradition catholique. Qu’il y ait apporté les précisions rendues nécessaires par les besoins nouveaux, ce n’est pas douteux. Mais, si l’on peut noter avec Ad. Harnack, p. 693, après F. Loofs, p. 663, que la Réforme a contribué à cette « régénération du catholicisme », c’est à condition d’ajouter, pour ramener ce paradoxe historique à ses véritables proportions, que ce fut à la manière dont le mal engendre le bien, dont l’erreur sert à la manifestation plus éclatante du vrai.


V. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION DEPUIS LE CONCILE DE TRENTE.

En proclamant définitivement la doctrine de l’Église en matière de justification, le concile de Trente avait terminé la cause ; mais il était loin d’avoir, par là-même, mis fin à l’erreur. Les protestants semblent n’avoir profité du décret conciliaire que pour élaborer plus fermement, de leur côté, leur propre doctrine. Œuvre d’ailleurs laborieuse et précaire, comme toutes les entreprises tentées en vue d’aboutir à une consolidation dogmatique de la Réforme, et qui n’allait pas tarder à subir, sous l’action combinée des divergences intestines, du temps et de la critique, une dissolution progressive, qui n’en laisse presque plus aujourd’hui subsister de traces. Elle n’en a pas moins amené, par réaction, la théologie catholique à défendre ce point capital toujours menacé et à l’enserrer de plus en plus dans cette armature technique que le génie de l’École a pour mission d’élever autour des vérités de la foi.

I. Théologie protestante. —

Par suite de la place centrale que la justification a toujours occupée dans le protestantisme, l’histoire de cette doctrine se confond avec celle des mouvements théologiques et religieux qui ont successivement agité la Réforme. Il suffira d’en noter ici les traits les plus généraux.

I. ÉLABORATION DU PROTESTANTISME OFFICIEL.

— Bien que déjà constituée dans toutes ses lignes essentielles, la doctrine protestante de la justification allait prendre, à l’occasion du concile de Trente, un surcroît de précision.

Polémique anti-catholique.

Elle a tout d’abord

développé cet aspect polémique dont Luther avait marqué ses origines, que l’Apologia de Mélanchthon lui avait conservé et qui reste, sinon sa principale ressource, du moins son caractère le plus constant. Adversarii… inopes urgumentorum et divites calumniarum, faisait observer déjà Bellarmin, De justifie, i, 3, Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, p. 152. Seulement aux pamphlets du premier jour ou aux batteries légères, improvisées plutôt pour les besoins de la propagande que construites suivant les exigences d’une méthode scientifique, allaient succéder les œuvres massives, où, pour établir la foi nouvelle sur les ruines de l’ancienne, la dialectique la plus insidieuse s’unirait à la plus imposante érudition.

1. Polémique spéciale contre le concile de Trente. — A cet égard, le décret du concile de Trente était un document dont les controversistes de la Réforme ne manquèrent pas de mesurer l’extrême importance et qu’ils ne voulurent pas laisser sans contrepoids.

Dès 1517, Calvin donnait l’exemple en publiant un volume intitulé : Acta synodi Trldeniinet evan untidoto, où sont, en effet, reproduits les décrets concilaires avec les aniinadversiones de l’auteur. Voir Joannis Calvini opéra, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. vii,

Brunswick, L868, p. xxxiv-xxxvii pour l’histoire littéraire de l’ouvrage et col. 360-506 pour le texte. Les actes de la VI* session y tiennent naturellement la -1

place centrale et 1’ « antidote » du réformateur genevois y est particulièrement étendu, col. 441-486. Une traduction française parut l’année suivante, précédée d’un prologue en vers contre

ces Pères Cornuz

Qui souz le nom de Dieu sont convenuz Pour dépraver la doctrine céleste. Qu’ilz sachent donc que par tout son tenuz Asnes masquez, et Antéchristz au reste.

Un avis également versifié mettait le lecteur en garde contre la « belle apparence » de ces « editz malheureux », qu’il comparait aux charmes suspects de la courtisane.

Parquoy, Amy, si tu sens ta pensée De tel venin quelque fois offencée Prens ce remède ou gist la guerison.

Chez les luthériens, Mélanchthon avait donné le branle à l’offensive, dès 1546, par ses Acta concilii

Tridentini… una cum annolationibus piis et lectu dignissimis, opuscule parfois confondu avec celui de Calvin. Op. cit., p. xxxvii. Mais la grosse attaque devait être fournie par Martin Chemnitz, voir t. H, col. 2354-2357, avec son Examen concilii Tridentini, fruit de huit années de travail, dont les quatre parties s’échelonnèrent de 1565 à 1573. L’ouvrage fut de bonne heure traduit en allemand, puis en français, et a connu de très nombreuses rééditions. Voir D. Reimbold, Historiée examinis conc. Tridentini spécimen, Leipzig, 1736. D’après les protestants modernes, « comme réfutation complète des canons de Trente, cet Examen conserve son intérêt encore aujourd’hui. » Lichtenberger, Encycl. des se. relig., art. Chemnitz, t. iii, p. 103. Aussi cet ouvrage est-il resté comme l’arsenal où les controversistes postérieurs viennent en général se ravitailler.

La justification et les questions connexes y occupent la moitié de la première partie, édition in-folio, Francfort, 1596, p. 107-188. Chemnitz y reproche au concile d’avoir cédé à l’esprit scolastique et couvert sous une avalanche d’anathèmes la doctrine de tous les apôtres et prophètes, p. 128. Il s’attache donc à rétablir cette pure doctrine des Écritures, non sans y joindre également un petit dossier de veterum lestimonia, p. 141-144 ; puis il se livre à la critique méthodique des articles du décret sur la justification elle-même, la foi et les œuvres. Son dernier mot est pour prier le Saint-Esprit de préserver contre les ténèbres pontificales la lumière de sa parole allumée dans nos Églises, p. 188. Pour la genèse et l’analyse de l’ouvrage voir H. Hachfeld, Martin Chemnitz nach seinem Leben und Wirken, Leipzig, 1867, p. 229-252 ; pour l’appréciation de ses méthodes et de sa valeur du côté protestant, voir R. Mumm, Die Polemik des Martin Chemnitz gegen dus Konzil von Trient, Leipzig, 1905, p. 32-78.

Au cours des xviie et xviiie siècles, le concile de Trente fut encore l’objet de nombreuses attaques. Voir la liste bibliographique dressée par R. Mumm, op. cit., p. 79-104, qui ne comprend pas moins de cent vingt-sept numéros. Une des plus appréciées chez les luthériens est la Consideratio doctrines pontificise juxta duclum concilii Tridentini, œuvre posthume de Georges Calixte, Helmstadt, 1659-1672 ; chez les calvinistes, la Concilii Tridentini anatome historicotheologica, 1672, de J. H. Heidegger, reprise et augmentée par l’auteur, en 1690, sous le titre funèbre de Tumulus concilii Tridentini. La vi c session y est longuement ensevelie sous une masse compacte de questions et d’arguments, 1. 1, p. 243-548.

2. Polémique générale.

Sans être moins agressifs, d’autres prenaient une forme plus sereine. Des compilations érudites revendiquaient pour la foi nouvelle

I>ICT. DE THÉOL. CATHOL.

le témoignage du passé : tels le Calalogus leslium vert’tatis, Bâle, 1556, de Flacius Illyricus, voir ici t. vi, col. 1-12, et, spécialement en matière de justification, l’ouvrage de Herm. Hamelmann intitulé : Unanimis omnium Patrum ex apostolica Ecclesia, ex Media JEtale et qui postremis vixerunt seculis consensus de vera juslifieatione hominis coram Deo, Ursel, 1562.

Des théologiens se chargeaient de mettre en œuvre ces matériaux. La tradition de Mélanchthon, qui rééditait encore en 1559 ses Loci communes avec de nombreuses additions, Corpus Re/orm., t. xxi, col. 601-1106 — ouvrage désormais classique et qui a connu des traductions dans presque toutes les langues européennes, ibid., t. xxii — a largement inspiré les docteurs de la Réforme. Qu’il suffise de rappeler les Loci communes de Victorin Strigel, 1581-1584, de Chemnitz, 1591, de Léonard Hutter, 1619, de Henri Hôpfner, 1673, ceux surtout de Jean Gerhard, 16101622, suivis d’une Confessio catholica de même caractère, 1634-1637, et ceux d’Abraham Calov, 1655-1661 et 1677, voir ici t. ii, col. 1376-1377, dont on a dit qu’ils sont « la plus importante production dogmatique du siècle, avec celle de Gerhard, et dépassent même sous plusieurs rapports les Loci de ce dernier. » Kunze, art. Calovius, dans Realencyclopàdie, t. iii, p. 651.

Le double esprit de ces œuvres est bien exprimé par le titre donné par Jean André Quenstedt à sa Theologiadidactico-polemica, 1685, et il est inutile de faire observer que le problème de la justification ne cesse pas d’en faire les principaux frais. Aperçu de cette abondante littérature par Zscharnack, art. Orthodoxie, dans Gunkel-Scheel, Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. iv, col. 1056-1068 ; histoire méthodique dans W. Gass, Geschichte der protestantischen Dogmalik, Berlin, 1854, 1. 1, p. 147-378.

Divisions intérieures.

Tandis que les réformateurs

faisaient front contre l’Église, ils ne laissaient pas d’éprouver, au sein de leurs propres Églises, les plus graves dissensions. On en peut saisir les germes dès les premiers jours de la Réforme, voir plus haut col. 2148 sq : l’activité doctrinale suscitée par le concile de Trente fournit à ces querelles l’occasion de prendre un développement imprévu et qui ne tarda pas à devenir menaçant.

1. Conditions de la justification : Nouvelle controverse antinomiste. — Déjà discutées du vivant de Luther, les conditions de la justification le furent beaucoup plus encore après sa mort. L’influence de Mélanchthon devint prépondérante et se traduisit par ce qu’on a appelé le « philippisme ». Voir Realencyclopàdie, t. xv, p. 322-331. Un des éléments du système ou un des aspects de la tendance était une plus grande confiance faite à la nature humaine. D’où devait suivre une place plus considérable accordée aux œuvres dans le processus de la justification.

Cet esprit se manifeste dans le célèbre Intérim de Leipzig (22 décembre 1548), où il est question d’une justice communiquée et de la nouvelle obéissance qui en est la suite en des termes qui pouvaient s’accorder avec la doctrine catholique. Loofs, Dogmen geschichte, p. 867-868. Un de ses principaux artisans, George Major, voir Realencyclopàdie, t. xii, p. 85-88, se mit à soutenir (1552-1558) que les œuvres sont nécessaires pour le salut. Non qu’elles aient une nécessitas merili, mais il faut leur reconnaître une nécessitas regenerationis, mandali et debiti. Loofs, p. 898. Il fut soutenu par Juste Ménius, Realencyclopàdie, t. xii, p. 577-581, qui prenait la défense de la nova obedientia.

De telles propositions ne pouvaient que choquer les vieux luthériens et une vive controverse s’ensuivit. Résumé par G. Kawerau, ibid., p. 88-91, et Loofs, p. 898-900. Publiquement et violemment dénoncés par Amsdorf, voir ici t. i, col. 1123-1124, les novateurs se

VIII. — 70

défendirent. Il y eut un assaut général de pamphlets théologiques, de dénonciations politiques, de censures ecclésiastiques, que, pour le bien de la paix, Mélanchthon s’efforçait vainement d’arrêter. Voir sa lettre du 6 septembre 1552. Corpus Re/oim., t. vii, col. 1061. Le combat ne cessa qu’en 1558 par la mort de Ménius et le silence de Major.

Au point de vue doctrinal, les thèses des deux docteurs représentaient évidemment une réaction dans le sens catholique contre l’orthodoxie reçue. Elles entraînèrent par répercussion une crise aiguë d’antinomisme. Voir G. Kawerau, dans Realencyclopàdie, t. i, p. 590591. Car Amsdorf, soutenu par André Poach d’Erfurt et Antoine Otto de Nordhausen, défendait la thèse radicale que la loi n’a plus, pour le chrétien justifié, d’utilité pratique ni de valeur obligatoire. Il mit le comble au scandale quand il publia un opuscule, en 1559, pour établir que « les bonnes œuvres sont nuisibles au salut. »

Entre ces deux tendances extrêmes la position des luthériens orthodoxes était assez difficile. Les principaux représentants en furent Hesshusen, Westphal et surtout l’impétueux Flacius Illyricus, qui s’efforcèrent de montrer, non sans quelque embarras, que, si les auvres sont le fiuit de la justification, elles n’en sont à aucun titre la cause. Néanmoins, Flacius devait at corder que la foi est plus que « la main du mendiant », qu’elle est en elle-même une nova vita, voire n.in.e une ouvre bonne, encore que le croyant le doive oublier. Voir Y. Preger, Matthias Flacius Illyricus, Erlangen, 1859, t. i, p. 354-417. Même « chez les épargnes, l’intelligence du protestantisme réformateur tl-ispaiaissait de plus en plus. » Loofs, p. 897.

2. Controverse, syneryistique. — A peine assoupie, la t-c ntioverse allait renaître sur le problème spéculatif Ce la liberté et de son concours à la grâce. Voir (j. Kawerau, ait. Syneryismus, dans Realencyclopàdie, t. xix, p. 229-235, et Loofs, op. cit., p. 900-902.

Le synergisme de Mélanchthon avait trouvé un défenseur en la personne de Jean Pfeflinger, De liberIule icluntatis humanw. puis De libero arbitrio, 1555. Trois ans plus tard, Amsdorf d’abord, puis, avec sa violence coutumière, Flacius Illyricus, prirent position contre lui. Voir Preger, op. cit., t. ii, p. 113-166. Mélanchthon dut intervenir, Corp. Rejorm., t. xii, col. 651-654, et fut secondé par un ancien lieutenant de Flacius, Victorin Strigel. Celui-ci eut une conférence tontradictoire avec Flacius, à la cour de Weimar (2-8 août 1560), qui tourna contre ce dernier. Preger, t. ii, p. 195-227. Strigel dut cependant quitter Iéna ; mais 1-lacius en fut banni à son tour (1561), Preger, t. il, p. 109-180, et Strigel y retrouva son poste en 1562. Il fallut un changement de règne pour rétablir les affaires des vieux-luthériens.

Tout au moins avaient-ils nettement posé leurs principes. Contre ses adversaires, qui soutenaient le ooncours du libre arbitre, Flacius défendait notre entière passivité : Sicut truncus aut saxum se mère I assive Iwbet erga slatuarium aut lapicidam, sic et berna in conversion* et regeneratione erga Dcum. Le temps était proche ou cette doctrine, momentanément vaincue, reprendrait sa revanche et où le synergisme m i ait taxé d’erreur.

3. Essence de la justification : Jastite inhérente ou imputée. — Entre temps un nouveau débat avait surgi sur la nature nu nie de la justi Qcation. Il l’ut occasionné par le réformateur de Nuremberg, André Osiander.

I i s [549, ii Un ci s'élevait enotre l’Intérim où ne se trouvait pas, à son sens, la notion du la vraie jus.1 Ice, il lonna une pn mdère esquisse « le ses idées sur ce point dans une petite dissertation, De lege et evani (5 avril 1549), puis encore, le 24 octobre 1 550, dans ane Disputatio de justi ftcatione traduite en allemand

l’année suivante. En réponse aux critiques qu’il reçut, il s’expliqua dans un ouvrage plus étendu. Von dem einiyen Millier Jhesu Christo und Rechtfertigung des Glaubens, Kônigsberg, 1551, traduit en latin quelques mois après sous ce titre : De unica mediatore Jesu Christo et justi ficatione fidei. Voir V. Millier. Andréas Osiander, Elberfeld, 1870, p. 379-409. Ces publications allaient susciter une des plus violentestempêtes qu’ait connues le premier âge de la Réforme, à laquelle put seule mettre un terme la mort de l’auteur (17 octobre 1552). Pour le détail de la controverse, voir Môller, ibid., p. 410-522.

Osiander soutenait que, grâce aux mérites du Rédempteur, la justice de Dieu devient nôtre et se traduit en ce que le Christ habite en nous. Dès lors « être justifiés » signifie pour nous devenir réellement justes. Ce qui se produit par ce fait que la présence du Christ en nous et la divine justice qu’il y apporte nous sont imputées comme mitres. Mais cette imputation répond à une vérité objective : car Dieu, qui est un juste juge, ne peut nous déclarer justes sans nous rendre effectivement tels. Il faut donc entendre que nos péchés nous sont vraiment remis et que la justification se traduit par une rénovation intérieure. La foi en est l’instrument, non pas comme une bonne œuvre, mais parce qu’elle l’ait habiter le Christ en nous. Voir Mdller, p. 398-408, et A. Ritschl, Die Rerhl/crligungslehre îles Andréas Osiander, dans Jahrbùcher fur deulsche Théologie, 1857, t. ii, p. 795829, résumé dans Die christliche Lehre von der Rechtjertigung und Verso hnung, 1. 1, p. 235-240.

Cette nouvelle doctrine ne rencontra guère de suffrage favorable que chez le Wurtembergeois Jean Brenz, voir t. ii, col. 1128-1130, dont la pensée sur ce point a été étudiée par C. W. von Kiigelgen, Die Recht/erligungslehre des Joh. Brenz. Leipzig. 1899. Mais luthériens et philippistes s’unirent contre elle dans une commune et violente opposition. Non seulement Flacius Illyricus, toujours sur la brèche pour la bonne cause, voir Preger, op. cit., t. i. p. 205-297, mais les théologiens de Weimar, Ménius, Strigel et Schnepf, suivis par Amsdorf et Jouas, soutenus par le surintendant Pollicarius, prirent parti contre lui. Môller, op. cit., p. 478-491. Consulté par le duc Albert, Mélanchthon lui-même se prononça publiquement contre Osiander. Corp. Rejorm., t. vii, col. 892-902. Le grand reproche qu’on lui faisait était de s'écarter de Luther pour revenir à la doctrine catholique. Loofs, p. 870-872. Ce qui caractérise assez bien l’esprit de cette tentative doctrinale et dit en même temps' la raison de son insuccès.

3° Fixation de l’orthodoxie : Les derniers symboles. — Toutes ces divisions intestines firent sentir le besoin de resserrer les liens déjà flottants de l’orthodoxie C’est à quoi pourvurent les derniers symboles, qui ont donné leur physionomie officielle, sinon définitive, aux Églises issues de la Réforme.

1. Églises luthériennes : Formule de concorde (15771580). — En Allemagne, surtout, l’intérêt politique s’unissait à l’intérêt doctrinal pour faire souhaiter un accord si gravement compromis jusque-là. L’entrée en scène d’une seconde génération de théologiens, les protagonistes de la Réforme ayant tour à tour disparu, rendit possible l’u’uvrc nécessaire.

Sous l’action de Jacob Andréa, de Chemnitz et de Seinecker, un formulaire d’union fut élaboré, qui rallia les Églises de Souabe et de Saxe au cours des années 1574 et 157."). De nouvelles tractations, auxquelles

prirent pari Chytræus, Vtusculus et Kôrner, aboutirent, en mars 1577, a l’actuelle Formate de concorde,

qui lut successivement souscrite par presque tous les

États germano-évangéliques et publiée en allemand le

25 juin 158, 1. en attendant de l'être en lai in quatre ans -J2197

    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, THÉOLOGIE PROTESTANTE MODERNE

2198

plus tard. Voir R. Seeberg, art. Koncordicnformel, dans Realencyclopàdie, t. x, p. 732-745. Texte dans J. T. Millier, Die symbolischen Bûcher der evangelisch-lutherischen Kirche, p. 513-730.

Ce document capital se compose, de deux parties complémentaires, qui diffèrent surtout par la longueur. La première s’intitule : Epitome arliculorum de quibus controversiæ orlse sunt, p. 515-561 ; la seconde : Solida, plana, et perspicua repetitio et declaratio quorumdam arliculorum auguslanee Confessionis de quibus aliquandiu inler nonnullos theologos eidem addictos disputalum fuit, p. 563-730. Dans les deux s’affiche l’intention de résoudre ces points de controverse par un accord unanimement reconnu.

La justification y tient naturellement une place importante. Après avoir posé en principe que le péché originel est en nous quiddam essenliale cdque substantiale, on y affirme que l’homme est, en conséquence, « purement passif » dans l’affaire de sa conversion et que son libre arbitre y reste deterior lapide aut trunco quia répugnât verbo et voluntati Dei. Solida declar., ii, 59 et 89, Mùller, p. 602 et 609. C’était la revanche de la stricte orthodoxie luthérienne, dans les termes de Flacius encore aggravés, contre le synergisme de Mélanchthon. Voir pour l’étude détaillée Fr. H R. Frank, Die Théologie der Concordienformel, Erlangen, 1858, t. i, p. 118-145.

En elle-même, la justification se ramène au pardon des péchés : justificare… idem signiftcare quod absolvere a peccatis, et la rénovation spirituelle n’y entre à aucun titre. Ce pardon nous est accordé ex mera gratia ubsque ullo respectu nostrorum operum et consiste en ce que Dieu nous impute les mérites du Christ : donal algue imputai nobis juslitiam obedientim Christi. Pour obtenir cette grâce, nous n’avons pas à réaliser d’autre condition que la foi : Solam fidem esse illud médium et inslrumentum quo… Christum apprehendimus ; propter Christum enim fides illa nobis ad juslitiam imputatur. On insiste spécialement pour que soient maintenues les « particules exclusives » dont se sert l’apôtre Paul pour ramener au Christ toute la gloire de notre salut. Sans doute « la vraie foi n’est jamais seule » ; mais nous ne pouvons prétendre qu’à être tenus pour justes, sancti et jusli coram Deo Patri reputemur, et l’idée d’une sanctification réelle per caritatem a Spiritu Sanclo infusam fait partie des falsa dogmala dont il faut s’écarter. Epitome, m : De justitia fidei, Millier, p. 528529. Pour le développement, voir Solida declaratio, m, p. 610-624.

L’intérêt de ces formules est dans l’énergie avec laquelle elles condamnent les doctrines d’Osiander, Frank, op. cit., t. ii, p. 24-85, pour séparer la justification de la sanctification et pour faire de celle-là, bien que le terme technique de justitia forensis y soit évité, Loofs, p. 916, un acte juridique d’imputation.

Quant aux bonnes œuvres, la Formule de concorde repousse les deux erreurs opposées, d’après lesquelles elles seraient nécessaires, ou, tout au contraire, nuisibles au salut. Elles suivent la grâce de la justification lumquam fructus bonse arboris et donc entrent en ligne de compte pour le salut, mais sous réserve de la liberté chrétienne et de la prépondérance qui doit rester à la foi. Epitome, iv, Mùller, p. 530-533, et Solida dccl., p. 624-632. Ainsi sont écartées les doctrines extrêmes, soit de Major, soit d’Amsdorf. Frank, op. cit., t. ii, p. 148-215. Toutes décisions valables à perpétuité, avait l’illusion d’affirmer la Solida declaratio, Introd., 16, Mùller, p. 572, et qui avaient au moins l’avantage de fixer l’orthodoxie sur les positions mieux précisées de la Confession d’Augsbourg.

2. Églises réformées.

C’est aussi vers la même époque que les Églises réformées arrêtèrent leurs symboles de foi : Suisse (1562), France (1559), Pays-Bas

(1561), Ecosse (1560), Angleterre (42 articles en 1552 et 39 articles en 1571). On y voit s’accuser les traits distinctifs de l’anglicanisme ou du calvinisme ; mais la doctrine de la justification plane au-dessus de ces controverses intestines et garde sans difficulté la physionomie que lui avait donnée le protestantisme primitif.

Il y est donc question partout de justice imputée, Conf. helv. post., art. xv, et Conf. gallic, art. xvii, dans H. A. Niemeyer, Collectio Conjessionum, p. 319 et 494 ; de justification par la seule foi, Conf. gall., art. xx, p. 320 ; Conf. belg., art. xxii, p. 374 ; Conf. helv., art. xv, p. 495 ; Conf. anglic, art. xi, p. 603. La foi elle-même n’est que l’inslrumentum quo Christunt juslitiam noslram apprehendimus. Conf. belg., art. xxii, p. 374.

Mais on y peut remarquer çà et là quelques touches discrètes qui diffèrent du luthéranisme Ainsi les bonnes œuvres, bien qu’elles ne constituent pas un mérite, sont nettement proclamées possibles et nécessaires, après la justification, comme fruits de la foi et condition du salut. Conf. helu., art. xvi, p. 497, et Conf. anglic, art. xii, p. 603-604. La Confession gallicane, art. xxti, p. 320, déclare même que « par cette Foy nous sommes régénérez en nouveauté de vie, » et pareillement celle des Pays-Bas : Credimus veram hanc fidem… in nobis productam nos regenerare ac velut novos homines efficere. Conf. belg., art. xxiv, p. 375. D’après la Confession helvétique, art. xv, p. 495, nous sommes donati justitia Christi et la Confession d’Ecosse, art. xiii, p. 346, identifie cette justice avec le sancti ficationis spiritus.

On a remarqué aussi que les symboles anglicans « adoptent une attitude très réservée à l’égard des doctrines le plus spécifiquement luthériennes, » telles que la corruption originelle et l’inutilité des œuvres. L. V. Grensted, A short history of the doctrine of the Atonement, Manchester, 1920, p. 259-260. Et ce trait est à retenir pour comprendre l’évolution de plus en plus générale de l’anglicanisme moderne.

Au total cependant, les deux Églises s’accordaient à fixer en orthodoxie les positions caractéristiques des premiers réformateurs.

Hérésies naissantes.

 Cette codification de ses

doctrines n’allait d’ailleurs pas empêcher le protestantisme de sentir la menace de nouvelles hérésies.

1. Socinianisme.

A l’extrême aile gauche de la Réforme allemande s’est développé le rationalisme socinfen. En niant la satisfaction du Christ, voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption, Étude théologique, Paris, 1914, p. 412-421, il ébranlait le fondement même de la justification. Aussi l’imputation des mérites du Christ y est-elle écartée comme un nonsens. On y parle bien encore de justification par la foi, et par la foi seule ; mais cette foi est comprise comme l’adhésion et l’obéissance au témoignage divin, c’est-à-dire comme un commencement de vie morale. Commencement d’ailleurs très imparfait, mais dont Dieu veut bien nous tenir compte par grâce. En tout cas, nous n’avons pas besoin d’une justice étrangère : la nôtre nous suffit. Voir principalement F. Socin, Traclatus de jusli ficatione, dans Bibliotheca fratrum polonorum, t. i, p. 601-627, et De Jesu Christo servatore, part. IV, ibid., t. ii, p. 213-246, suivi d’une courte Justi ficationis noslrse per Christum synopsis, p. 247252.

Ce rationalisme hardi fut maintenu en marge de l’Église officielle et n’eut guère que l’influence d’une école, en attendant d’inspirer la secte des unitariens.

2. Arminianisme.

Plus sérieuse fut la crise provoquée,

chez des réformés, par les arminiens, qui, en soulignant la libellé humaine contre la stricte prédestination, arrivaient forcément à rendre aux, œuvres

une bonne partie de leur valeur. Noir Arminius, t. i, col. 1968-1971. Ils admettaient que la seule foi salvifique est relie qui s’accompagne (le charité et possède dès lors en elle-même une qualité justifiante. Aussi faisaient-ils entrer la sanctification dans l’acte même de' la justification. Toutes positions où A. Ritschl ne craint pas de constater des tendances catholiques. Op. cit., p. 344-345. C’est pourquoi la nouvelle doctrine fut vivement combattue par les calvinistes orthodoxes et finalement condamnée au synode de Dordrecht <(> niai 1619), aux tenues duquel la justification est gratuite, la loi un pur don de Dieu, la régénération spirituelle une suite et non un élément de la justification, ii, 4, et m-iv, 11-12. Xiemeyer, p. 707 et 710-711. En regard de la tradition catholique définie par le concile de Trente, le protestantisme avait désormais son dogme, où ses docteurs croyaient bien avoir fixé au nouvel évangile ses contours définitifs.

5° Scolastique des xviie et XVIIIe siècles. — Autour de ces confessions de foi les théologiens protestants s’appliquèrent à élever le rempart d’une véritable scolastique.

1. Orthodoxie classique.

Elle marque d’abord le règne d’une orthodoxie que personne ne songeait plus guère à contester et qui s’affirmait avec une égale confiance à l’encontre des hérétiques de droite et de gauche.

On a signalé plus haut, col. 2194, les principaux de ces théologiens et il n’y aurait aucun intérêt à les suivre en détail. Ils s’accordent à rejeter la doctrine des ctuvres comme entachée de pélagianisme, celle de la ji stice iiifuse comme inspirée de vaines catégories philosophiques au détriment de l’Evangile et de saint Paul. La justification y est commandée par une conception tout à fait pessimiste du péché originel, aggravée, chez les calvinistes, par le dogme de la prédestination absolue. Ce qui interdit d’accorder à nos oeuvres préparatoires aucune valeur et permet de s’opposer aux catholiques comme aux sociniens.

En elle-même, la justification est étroitement coordonnée à une théologie spéciale de la rédemption, où le Christ a pleinement satisfait pour nous à la justice divine par sa double obéissance active et passive. Voir J. Rivière, op. cit.. p. 381-401. Cette œuvre rédemptrice, nous pouvons et devons nous l’approprier par la foi ; mais celle-ci ne joue que le rôle d’instrument, Cpyavov Xtjtctixôv suivant la formule technique, par lequel nous saisissons les mérites du Christ. Sur quoi Dieu veut bien nous remettre nos péchés, qui ne nous sont plus imputés a cause de la satisfaction pénale que le Christ a fournie à notre place, et nous imputer, au contraire, le prix de sa sainte vie. La justification est essentiellement cette procédure divine qui nous inscrit, malgré notre misère constitutive, parmi les bénéficiaires de l'œuvre du rédempteur, qui nous déclare justes en dépit de nos péchés. Dans la mesure OÙ elle est possible avec une nature essentiellement corrompue, la sanctification ne peut être qu’une suite de ce premier acte divin.

Comme spécimens de cette théologie, on peut consulter, chez les luthériens, .1. Gerhard, Luc. theol., loc. xvii et xviii. édition Cotta, Tubingue, 1768, t. vii, p. 1-317, et t. viii, p. L-199 ;.1. A. Quenstedt, Theologia didaclico-potentica, Wittemberg, 1701, part. 111, c. viii, p. 514-578 ; chez les réformés, Fr. Turretin, Insliluliones iheologiæ elencticæ, Genève, 1082, t. ii, p. 691 792. 2. Écoles et tendances. - A travers cette commune

opposition a la loi catholique, il n’est pas impossible

d’apercevoir quelques divergences entre luthériens

et réformés. On a pu en saisir le germe chez les initiateurs de la Réforme, COl. ZHH gq, et nous en retrouvions tout à l’heure la tiare jusque dans la sobriété voulue

des symboles officiels. Il résulte de l’exposition comparative établie par Matthias Schneckenburger, Vergleichende Darstellung des lulherischen und reformirien Lehrbegriffs, Stuttgart, 1855. surtout t. u. p. 12-134 que ces premières tendances n’ont fait que se développer dans les âges suivants.

Le principal point de divergence porte sur l’essence même de l’acte justificateur. Tandis que les luthériens s’en tiennent à la stricte imputation, il est frappant que les réformés éprouvent le besoin de dire, d’après Rom., ii, 2, que le jugement divin est et doit être secundum vcrilatem. C’est-à-dire qu’il suppose une réalité correspondante, et cette réalité n’est autre que notre union au Christ déjà réalisée. Imputalio non dénotât fictionem mentis et opinionem, sed vertim justumque judiciiim, dit Rodolph. Judicium Dei de fidelibus in communione justitiæ jam constituas vocatur justificatio. précise Melchior.Hulsius va jusqu'à parler d’une justice qui nous est inhérente : Cerlum est, cum justificatur, eum non esse peccalorem in statu peccati, sed fidelem et consequenter justum justitia inhwrente. Schneckenburger. ]>. 15-16 ; cf. p. 64.

A. Ritschl, op. cit., p. 295-305, s’est appliqué àréduire ces textes et autres semblables. Mais ils ont été retenus et augmentés par Dortenbach. art. Sùnden vergebung, dans Realencyclopadie, l re édit., 1802, t. xv, p. 237-239. (Cet article n’a pas' été conservé dans les éditions suivantes.) Il est à remarquer avec Schneckenburger, p. 23-24, que ces expressions n’apparaissent que dans les exposés sereins et ceci en explique la rareté, tandis que la polémique contre l'Église les ramène au pur système luthérien.

En conséquence, plusieurs réformés admettent que nous sommes justifiés, non pas per /idem, mais propter /idem. Schneckenburger, p. 78-79. Ce qui les conduit à écarter la fides fiducialis pour donner le premier rang à la croyance et à la receplio ipsins Christ i qui en est l’acte spécifique. Mastricht, ibid., p. 97. Pour eux, la foi est un mouvement de l'âme tout entière et comprend déjà l’amour. Heidegger et Marck, ibid., p. 1 13114. Ainsi une certaine régénération morale est à la base de la justification : elle en devient surtout le terme, parce que les bonnes œuvres y sont plus nettement réclamées, soit, d’un point de vue subjectif, comme signe de la foi, ibid., t. i. p. 38-74, soit, du point de vue objectif, comme condition du salut. Ibid. p. 74-94 ; cf. t. ii, p. 90-91.

Conformément à l’esprit des xxxix articles, les théologiens anglicans sont particulièrement aflirmatifs sur les œuvres et l’on a pu dire de Cranmer, par exemple, que i dans le fond, si ce n’est dans la forme, il adhère à la doctrine de la justice infuse. » Grensted. op. cit.. p. 250.

Du moment que ces tendances, dont l’importance a pu être exagérée mais dont la réalité n’est pas niable, apparaissent en plein règne d’une orthodoxie particulièrement rigide, on peut prévoir qu’elles se montreront plus actives quand le concours de diverses causes aura fait perdre à l’ancien dogmatisme le meilleur de son crédit.

II. ÉVOLUTION DU PROTESTANTISME UODBRNb. — En matière de justification comme ailleurs, il ne reste depuis longtemps que le souvenir des symboles pri mitil’s et de la théologie qui les commenta. L'édifice de l’orthodoxie protestante était a peine construit qu’il menaçait ruine et ne pouvait survivre qu’au prix des plus profonds remaniements.

l° Dissolution de l’orthodoxie. - Nombreuses et diverses sont les causes qui précipitèrent la dissolution de l’orthodoxie si laborieusement édifiée et tout d’abord si fidèlement maintenue.

1. l’ii’tismc.

Par réaction contre la sécheresse du

protestantisme officiel, se forma de bonne heure un

-courant de mysticisme, dont J. Arndt fut l’initiateur, voir 1. 1, col. 1983-1984, Spener le théologien, et qui est Allé se développant à travers les xviiie et xixe siècles. Voir A. Ritschl. op. cit., p. 347-363 et 588-606. On y prônait la vie intérieure et l’union avec le Christ comme étant la marque du vrai christianisme et, pour les alimenter, on ne craignait pas de revenir aux sources et aux pratiques de la piété médiévale. Cette tendance ne pouvait que se répercuter sur la doctrine de la justification au détriment du vieux dogme protestant. L’importance de ce mouvement ressort de la grande place qu’il tient dans V. Gass, Geschichte der prot. Dogmatik, t. ii, p. 374-499, et t. iii, p. 12-104.

Un adversaire orthodoxe, G. Thomasius, Christi Person und Werk, t. ii, p. 458, marque en ces termes la principale influence de cette école. « On y mettait sur la vivacité et l’activité de la for un accent tel qu’il pouvait sembler que ce n’est plus la foi comme telle, mais la pénitence qui l’accompagne et la charité qu’elle contient qui serait l’élément justificateur. » « Plus on attache d’importance à l’effort subjectif de la foi, écrit de son côté A. Ritschl, op. cit., p. 363, plus il -apparaît clairement que le jugement divin qui prononce notre justification n’est que la consécration de la valeur représentée par cette foi. » En conséquence, les théologiens de cette école, Schwenkfeld, Weigel, Bôhme, Dippel et, en Angleterre, les Quakers, s’élèvent contre la conception d’une justice imputée et la veulent remplacer par une régénération spirituelle dont le Christ serait en nous l’auteur. Voir Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, p. 459-477. Cf. A. Ritschl, op. cit., p. 360-362.

2. Rationalisme.

Tandis que le piétisme ressuscitait dans les âmes la mystique catholicisante d’Osiander, l’école de l’Au/klârung ramenait les intelligences au rationalisme de Socin. Elle refusait à la vie et à la mort du Christ toute valeur satisfactoire et ramenait toute son œuvre rédemptrice à la vertu d’un exemple. Baur, op. cit., p. 478-530, et Ritschl, p. 363-419. L’imputation de ses mérites était dès lors sapée par la base et le salut ne pouvait plus être dû qu’à nos efforts personnels, sauf que la miséricorde divine veut bien nous tenir compte d’une foi encore imparfaite comme si elle répondait à toutes les exigences de sa loi. Renchérissant encore, Kant ne voit plus dans le dogme ecclésiastique que l’expression symbolique de ce qui se passe dans l’ordre moral, où le premier mouvement de la liberté vers le bien, parce qu’il est un signe et un principe de régénération, compte déjà pour la vie dont il contient la promesse. Baur, op. cit., p. 575-580, et Ritschl, op. cit., p. 438-459.

Sous son action s’est formée, avec Flatt, Staiidlin, Tieftrunk, Sùskind, toute une école de théologie rationaliste, dont Wegscheider est resté le plus important docteur. Voir F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, t. ii, 2e édit., Paris, 1888, p. 2830. o Le principe que nous sommes justifiés par la foi et non par les œuvres n’y a plus d’autre sens que celui-ci : c’est que Dieu ne regarde pas à nos actions isolées, mais à l’ensemble de notre intention morale, pour laquelle l’homme devient l’objet du bon plaisir divin, et cela dans la mesure où il devient moralement plus parfait. » Thomasius, op. cit., p. 458. Cf. Ritschl, op. cit., p. 477-478.

3. Libéralisme.

Cette crise de moralisme rationaliste, où tout disparaissait du surnaturel chrétien, a suscité par réaction ce mouvement complexe, où semble revivre l’esprit du piétisme mais privé de ses bases dogmatiques, et qui, sous le nom de libéralisme, domine tout le protestantisme contemporain.

Soit qu’il s’agisse, avec Schleiermacher, de la conscience du renouvellement intérieur qui accompagne Ja conversion, Baur, op. cit. p. 635-638, et Ritschl,

| op. cit., p. 531-538, ou, avec Ritschl, du sentiment que Dieu qui est un père plein d’amour est tout prêt à nous accueillir malgré nos péchés si, de notre côté, nous sommes disposés à travailler à l’œuvre de son règne, la justification n’est plus qu’un phénomène subjectif. Sur la doctrine de ce dernier, voir Die christliche Lehre von der Rechtlerligung und Versôhnung, t. iii, p. 84183 ; résumé en français par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891, p. 111139.

Aussi la doctrine classique de l’imputation y est-elle l’objet d’une critique en règle. Ritschl, op. cit., t. iii, p. 84-90 ; cf. p. 60-61 et 255-256. La justification ne saurait être qu’une modification de nos états de conscience, qu’on s’efforce de rattacher plus ou moins vaguement à l’œuvre du Christ. Voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 213-222, et Gass, op. cit., t. iv. p. 435649.

De bonne heure, le subjectivisme libéral a été importé en France. Auguste Sabatier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904. p. 253403, et Eugène Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921, spécialement t. i, p. 15-34, 259-263, 282-285 ; t. ii, p. 16-50, 390-408 ; t. iii, p. 487491 ; t. iv, p. 109-112 ; t. v, p. 182-183, en fuient d’illustres et très écoutés propagateurs. Quoi qu’il en soit des nuances qui distinguent leur pensée, ils sont d’accord pour ramener la foi à un sentiment de religieuse confiance et tous les libéraux souscriraient sans doute à la formule par laquelle Ménégoz entend concilier saint Jacques et saint Paul, op. cit., t. iv, p. 49 : « à savoir que Dieu accorde le salut à tout homme qui lui consacre sincèrement son cœur. »

4. Critique historique.

Le même auteur a écrit, op. cit., t. iii, p. 148, que « la grande ennemie de l’orthodoxie…, c’est l’histoire. » Lui-même oppose volontiers l’enseignement de Jésus à celui de ses disciples et de saint Paul lui-même, t. ii, p. 405-407, à plus forte raison à celui des Églises, t. iii, p. 489-491. Cette arme redoutable est, depuis quelque temps surtout, dirigée avec une particulière insistance contre la citadelle de l’orthodoxie.

Au cours de pamphlets célèbres, publiés en 1873 puis en 1891, P. de Lagarde en dénonçait crûment les points faibles. La doctrine de la justification, d’après lui, n’est pas l’Évangile, mais une petite découverte paulinienne due à l’esprit judaïque de l’Apôtre. Même dans saint Paul, ce n’est pas la seule ni la plus profonde manière de résoudre la question du rapport de l’homme avec sa dette de péché. Elle n’a pas été non plus le principe fondamental de la Réforme et aujourd’hui elle est entièrement morte dans’les Églises protestantes. Et cela avec raison. Car les doctrines de la justification et de l’expiation sont des mythes qui ne sont acceptables qu’à condition d’admettre le vieux dogme de la Trinité : ce qui n’est plus le cas pour personne aujourd’hui. Ueber einige Rcrliner Theologen et ivas von ihnen zu lernen ist, Gœttingue, 1897, p. 104-108. Cf. Deutsche Schriflen, Gœttingue, 1886, p. 58. On dirait que, depuis lors, divers auteurs ont pris à tâche de réaliser les diverses parties de ce programme agressif.

Des historiens de l’Église ont contesté que la justification ait été le centre de la Réforme et joué un rôle. capital dans son histoire. W. Dilthey, Gesammelte Schri/len, Leipzig, 1914. t. ii, p. 211, cf. p. 157, et J. Haller, Die Ursachen der Re/ormalion, Tubingue, 1917, p. 42. Plus graves étaient les coups portés par les exégètes au rôle joué par elle dans les origines chrétiennes. Déjà Weizsàcker ne lui accorde plus qu’un rang secondaire dans le développement de la pensée de saint Paul. Das aposlolische Zeitalter, 2e édit., Fribourg-en-B. , 1892, p. 138-139. Wrede ne lui attribue

plus d’autre valeur que celle d’un moyen pour échapper au judaïsme, tandis que la vraie conception paulinienne serait la doctrine de l’esprit et de la vie nouvelle dont il est le principe. Tous ceux qui tiennent à l’influence des religions de « mystères » se rangent à sa suite.

Ainsi seraient définitivement détruites par l’histoire les bases du vieux dogme et le péril paraît assez grand aux tenants de l’orthodoxie pour qu’ils éprouvent le besoin de s’en préoccuper. Voir K. Holl, Die Rechtfertigungslehre im Licht der Geschichte des Protestantismus, 2e édit., Tubingue, 1922, p. 1-3.

Transformation de l’orthodoxie.

Sous le coup

de ces attaques diverses, l’orthodoxie n’est pas restée sans défense : mais pour cela elle n’a pas dû tarder à s’établir de plus en plus loin du terrain primitif.

1. Restauration des anciennes formules.

A la dissolution croissante du dogme il était naturel que ses défenseurs cherchassent tout d’abord à opposer le rempart des anciens foimulaires et de la théologie qu’ils avaient inspirée. C’est ainsi que la première moitié du xix° siècle a vu renaître en Allemagne une orthodoxie de stricte observance, voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 295-314, dont le nom le plus brillant est Ern. Sarlorius, avec son petit livre souvent réédité Lie Lehrc von der heiligen Liebe, 1844. Voir sur lui Ritschl, op. cit., p. 638-640. Déjà plus souples, les théologiens de la génération suivante s’en tiennent encore aux ioimules classiques du luthéranisme, interprétées et vivifiées à l’aide de l’expérience religieuse. Lichtenberger, op. cit., t. iii, p. 149-209. Le plus marquant de tous est G. Thomasius, qui, après avoir rappelé l’autorité dogmatique des symboles ecclésiastiques, Bas Bekenntniss derevang. lutherischen Kirche, Erlangen, 1.S48, entreprit d’en développer systématiquement le contenu dans son grand ouvrage : Cluisli Person und Werk, 1e édit., 1852-1861 ; 3e édit., 18861888. Il y distingue formellement la sanctification de la justification, laquelle est un premier acte, d’ordre proprement juridique, où Dieu nous impute les mérites du rédempteur, et qui ne demande pas d’autre condition que la foi. La vie nouvelle dans le Christ survient ensuite comme conséquence. Voir t. ii, p. 405-493. Sur les tendances de Thomasius et de son collaborateur Philippi, voir Ritschl, op. cit., p. 641-644, et. sur l’ensemble de l’école orthodoxe, Gass, op. cit., t. iv, p. 80-179.

En France également, le mouvement du Réveil, qui se produisit au début du xix° siècle, fut marqué par une dévote fidélité aux formes les plus strictes de l’ancienne orthodoxie. « La justiiication et la sanctification ne sont plus présentées comme les deux laces distinctes d’un même fait moral qui ne saurait Être absolument scindé ; mais elles sont entièrement séparées, si bien que le salut est complet avant même que l’œuvre de rénovation ait commencé. » Ce qui plaçait les apôtres du Réveil, en dépil de toutes leurs bonnes intentions, "sur la pente de l’antinomisme l Géologique ». Edm, de Pressensé, Essai sur le <h><jme de lu Rédemption, Paris, 1867, p. 45-46.

Le même auteur rapporte pour la Suisse un témoignage de Vinet, qui dénonçait dans l’antinomisme « l’une des faiblesses de notre Réveil ». et signale < la même tendance dans l’école évangélique anglaise. * « Vous pouvez, écrivait le 1 tév. Read, Le sang <I. Jésus, p. 3(i, par le pardon de imis mis péchés obtenir à tout instant la paix avec Dieu, attendu que VOUS n’avez pour cela ni à vous repentir, ni à faire la moindre chose, ni à attendre, niais qu’il vous suffit simplement de croire. Ibid., p. M. Cꝟ. 1 '>. l’ozzj, Histoire du dogme de la Rédemption, Parts, 1868, p. 109, après E. Guers, Le Sacrifice de christ, Genève, 1867, p. 84. 1 Jl ne faut évidemment pas se presser de voir un sys tème arrêté dans ces formules de prédicateurs. Elles n’en montrent pas moins combien tendait à se simplifier, aux dépens de la vie morale, la doctrine officielle de la justification par la foi.

2. Essais de formules nouvelles. — D’autres besoins n’allaient d’ailleurs pas tarder à surgir qui feraient éclore un peu partout des formes nouvelles d’orthodoxie. Rien n’est plus difficile que de s’orienter à travers une littérature particulièrement touffue et il faut résister à la tentation d’y chercher des courants uniformes ou universels. Mais on peut y relever quelques manifestations assez saillantes pour montrer à quel point les défenseurs du surnaturel chrétien tournent le dos au dogme périmé de leur Église et retrouvent, sans peut-être le vouloir ni le savoir, la grande voie de l’enseignement catholique traditionnel.

a) Allemagne. — Ici comme ailleurs, c’est de l’Allemagne qu’est venue l’impulsion.

Déjà un orthodoxe rigide comme E. W. Hengstenberg voulait synthétiser les doctrines de saint Paul et de saint Jacques, puisqu’elles se trouvent toutes deux dans le canon, et, avec le vieux piétisme, restituer sa place dans la justification à l’amour repentant. Voir ses articles sur l’Épître de saint Jacques, dans Evangelische Kirchenzeitung, 1866, n. 92-94, col. 1097-1129, et sur la pécheresse, ibid., 1867, n. 23-26, col. 265-303. Cf. ibid., n. 47-48, col. 553-575. On consultera sur lui Ritschl, op. cit., p. 644-646 et K. Holl, op. cit., p. 44.

Une impulsion plus forte et plus efficace dans ce sens fut imprimée à la théologie allemande par J. T. Beck de Tubingue, dont on a résumé la doctrinedans les propositions suivantes : « a) La justification n’est pas un fait déclaratif ou forensique se passant en Dieu, mais un effet se réalisant en l’homme, b) La justification n’est pas un fait initial, mais consécutif à la sanctification, c) La justification n’est pas un fait absolu ou seulement continu, mais progressif au même titre (lue les deux autres actes du salut, la sanctification et la glorification. » Où l’on reconnaît à bon droit « la tradition représentée tour à tour par saint Augustin, saint Thomas d’Aquin et Osiander. » A. Grétillat. Expose de théologie systématique, Paris, 1890, t. IV, p. 376. Pour plus de détails, voir du même auteur Beck et sa doctrine de la justification, dans Revue de théologie et de philosophie, 1884, t. xvii, p. 5-30 et 144-181. Cf. Ritschl, op. cit., p. 630-632. Sur la controverse provoquée par ces doctrines, voir E. T. Gestrin, Die Rechtfertigungslehre des Professoren J. T. Beck, etc. Berlin, 1891, p. 88-122.

De semblables principes inspirent l’école dite de conciliation, où l’on veut, avec Tholuck, que la justification soit « une déclaration conforme à la vérité » et, avec Nitsch, que « la conversion et la justification deviennent vraies dans la mesure où grandit la sanctification. » Or ces vues ont rallié en Allemagne un nombre toujours plus grand de théologiens. A..Malter. art. Justification, dans F. Lichtenberger, Enci/cl. des sciences religieuses, t. vii, p. 571. Les plus modernes se réclament à la lois de la Bible, de l’expérience et de Luther pour identifier cette justification et cette sanctification que l’ancienne orthodoxie s’appliquait à séparer. Voir Jellinghaus, Das vôllige, gegenwartii/c llcil durch Chriatus, 5’édit., 1903 ; E. Rietschel, Lutherische Rechtfertigungslehre oder moderne, Jleiligungslehre, 1009 ; B. Steffen, Das Dogrna von Kreuz, t.ulersloh, 1920, p. 168-174.

b) Suisse et l’rancc. — Ces doctrines ont aussi pénétré dans la théologie de langue faneaise.

Le principal initiateur à eel égard lut Alexandre Vinet. Voir de lui La grâce et la lui. dans Etudes rruugéllquts, 2e édit., Paris, 1861, p. 287-805, où l’ontrouv » un plaidoyer pour la doctrine de saint Jacques, et, à l’adresse de « ceux qui réclament à grands cris les »

œuvres, » un développement psychologique d’où il appert que la foi est « une œuvre aussi, la première des œuvres, l’œuvre des œuvres pour ainsi dire…, un acte qui contient tous ceux qu’il faut faire, qui exclut tous ceux dont il faut s’abstenir. » p. 300. Cf. J. F. Astié, Les deux théologies nouvelles, Paris, 1862, p. 277-280.

En France, Edm. de Pressensé a consacré son éloquence et sa piété à la défense des mêmes conceptions. Pour lui, l’appropriation du salut réclame 1’ « assimilation au Christ, » autrement dit un « douloureux travail de sanctification. » Sans doute cette appropriation se fait par la foi. s Mais cette foi justifiant ; est déjà sanctifiante, elle implique la renonciation au mal et l’entrée dans une voie nouvelle ; elle est repentir et amour, et, par conséquent, elle a été précédée par des actes libres, par des déterminations de volonté. > Op. cit., p. 105-106. Il est vrai que l’auteur tient à se distinguer du concile de Trente en ce que « cette régénération commencée » est seulement un « moyen pour nous de saisir sérieusement le sacrifice parfait de la rédemption. » Mais, dès là que ce moyen est « le seul », autant dire qu’il a une valeur causale et, s’il subsiste encore des différences avec la doctrine catholique, comment n’être pas plutôt frappé des convergences réelles qui tendent à s’établir sous la diversité des mots ? La foi qui justifie, pour M. Jean Monod, est pareillement « la foi vivante qui porte en elle le principe des bonnes œuvres. » Encycl. des sciences religieuses, art. Foi, t. v, p. 7.

En Suisse, un exégète de grand crédit, Fréd. Godet, ne veut pas non plus entendre parler d’une opposition entre saint Paul et saint Jacques. Éludes bibliques, Paris, 1874, t. ii, p. 255-260. Pour les concilier, il distingue « la justification d’entrée », dont parlerait saint Paul et qui s’obtient par la seule foi, de la justification finale, qui comporte les œuvres et à laquelle s’attache saint Jacques. Ibid., p. 260-267. Ainsi s’établirait « la vérité simultanée des deux formules. » D’autant que l’œuvre, pour Jacques, est « celle qui est accomplie en état de foi, » et que, « aux yeux de Paul, l’élément actif de l’âme, la volonté, est compris dans la notion de la foi, » c’est-à-dire que « l’œuvre émane spontanément de la foi dans laquelle elle est virtuellement renfermée comme la conséquence dans son principe » et qu’il n’y a de foi efficace que « celle de la conscience embrassant l’homme complet et opérant par la volonté. » Ibid., p. 265-267. Voir du même auteur le Commentaire sur l’Épîlre aux Romains, Paris, 1879, t.. i. p. 311-130.

Tout en critiquant cette distinction d’une double justification, op. cit., t. iv, p. 4Il et 417-419, Aug. Grétillat ne laisse pas d’en tenir compte, puisque les œuvres doivent intervenir dans l’appréciation de la personne morale au jugement, p. 422. Pour sa part, il se rallie sans doute à la « doctrine de l’imputation », p. 388. et tient, en conséquence, que « la justification est un acte déclaratif ou forensique résidant en Dieu et non pas un effet se réalisant en l’homme, » p. 392. Tous traits, semble-t-il, de la plus scrupuleuse orthodoxie protestante. Cependant cette justification, à son sens, doit avoir, non seulement unellet négatif ou rémission des péchés, mais un effet positif, qui est de « réhabiliter l’homme dans son droit primitif, fondé d’ailleurs comme tout droit de l’homme sur la grâce divine qui l’a institué et qui le restitue : le droit de filiation, » d’où suit le libre accès auprès du Père et « la réceptivité rendue à l’homme pour tous les dons de Dieu, p. 400. La justification ainsi conçue s’obtient par la foi ; néanmoins cette foi se traduit par « une appropriation personnelle de la justice de Christ, » p. 403, c’est-à-dire, en somme, par « une œuvre », p. 413, mais qui tire sa valeur de l’objet qu’elle s’approprie et dont le Christ qui en est le terme supplée l’imperfection,

p. 416-417. Dans le moule des anciennes formules un esprit nouveau, ou, plus exactement, le vieil esprit catholique, n’est-il pas évidemment jeté ?

<) Angleterre. — On retrouverait la même tendance chez de notables représentants de l’anglicanisme moderne, sauf qu’en général l’attachement aux formulaires du xvi 1’siècle y est moins prononcé. Voir, par exemple, J. Macleod Campbell, The nature of the alonemenl, l re édit., 1855, cité d’après la 6e édit., Londres, 1906, p. 80-92 et 333-310 ; R. V. Monsell, The religion of Rédemption, l re édit., 1866, cité d’après l’édition populaire, Londres, 1901, p. 219-254 ; J. Scott Lidgett, The spiritual principle of the atonemenl, Londres, 1897, p. 398-409 ; R. C. Moberly, Alonemenl and personalitg, Londres, 1907, p. 136-153 et 277-285 ; J. Denney, The Christian doctrine of reconciliation, Londres et NewYork, 1918, p. 286-332 ; P. L. Snowden, The atonement and ourselues, Londres, 1919, p. 191-264. D’aucuns mêmes deviennent nettement agressifs à l’égard de l’ancienne orthodoxie : tels l’évêque Forbes, qui, au cours d’une explication des trente-neuf articles, dénonce la 8 grave erreur » commise par Luther dans son insistance sur la justification forensique et l’inutilité des œuvres. A cette doctrine classique une autre est opposée, qui présente la justification comme a certain supernatural change. « Changement » qui consiste en ce que « nous sommes rétablis dans la grâce de Dieu, en ce que nos péchés nous sont remis et nos âmes renouvelées. » Exposé dont on a pu dire avec raison « que le retour au point de vue romain y est incontestable. » Grensted, op. cit., p. 268-269. D’une manière générale, la caractéristique de la théologie récente, ibid., p. 363, serait que « la justification, quelque distincte qu’elle puisse être en stricte logique de la sanctification, ne peut pas, en fait, être séparée d’elle sans devenir une abstraction sans valeur. »

Ce n’est pas, bien entendu, que les théologiens protestants de toutes confessions et de tous pays renoncent à la justification par la foi, qui fut le mot d’ordre de la Réforme, et ne S2 fassent, en général, de cette formule une arme contre les doctrines romaines. Mais, pour tout observateur impartial, l’examen objectif des faits montre cjue ces polémiques portent à faux et que les anciens vocables conservés par habitude recouvrent un tout autre contenu. Déjà signalé par Môhler, Neue Unlersuchungen, 1872, p. 216, ce fait est reconnu par des protestants eux-mêmes. « On est en droit de publier ouvertement que, dans la conscience protestante aujourd’hui régnante, la direction semipélagienne du dogme catholique est plus sensible que la conception de la Réforme dans son austère majesté. D’où il est arrivé que les théologiens protestants de nos jours, et de ceux qui s’estimaient les porteurs du pur luthéranisme, ont présenté comme la foi justifiante celle-là précisément qui agit dans l’amour, conformément au concept scolastique de la fides formata, et l’ont opposée à un prétendu dogme catholique de la justification par les bonnes œuvres. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, 7e édit., Leipzig, 19d(i, p. 2(51-262. « La théologie croyante moderne ne peut pas s’empêcher de reconnaître que sa doctrine de la justification est substantiellement d’accord avec la conception romaine et mystique. » Fr. Ad. Philippi, Kirchliche Glaubenslehre, Stuttgart, 1867, t. v, p. 203. Cf. R. Bartmann, Lehrbuch der Dogmalik, Fribourgen-B. , 2e édit., 1911, p. 482-483.

Ainsi, pour le dogme de la justification comme pour celui de la rédemption qui en est la base, voir J. Rivière, op. cit., p. 498-548, c’est à rencontre de leurs symboles les plus officiels et dans le sens de la tradition de l’Église toujours méconnue que, par la force des choses, s’orientent aujourd’hui les théologiens pro

testants qui veulent rester fidèles à l’esprit chrétien. Sur cette < réforme silencieuse », voir les conclusions du Dr K. Krogh-Tonning, Die Gnadenlehre und die stille Re/ormalion, Christiania, 1894, p. 45, 61-62, 72-84.


II. Théologie catholique. —

Si le concile de Trente avait fixé tout l’essentiel de la doctrine catholique, par le soin même qu’il avait mis à se tenir au-dessus des controverses d’école il laissait aux théologiens bien des points à éclaircir ou du moins à explorer. Il fallait aussi défendre le dogme contre les attaques de la science protestante dont on a vu l’acharnement en cette matière. Aussi, depuis le xvi° siècle, la théologie catholique a-t-elle déployé autour du problême de la justification un effort sans précédent.

I. DÉveloppehext histoiuqve.

Cette littérature est en double connexion avec les vicissitudes de la controverse protestante et avec les progrès accomplis au sein de l’école dans la systématisation de l’enseignement relatif à la grâce.

Enseignements de l’Église.

Au décret du concile

de Trente à peine quelques actes nouveaux du magistère se sont-ils ajoutés.

1. Contre les erreurs de Bains.

Par ses tendances générales, Baïus était conduit à se rapprocher le plus possible des conceptions protestantes. Ainsi semblait-il ne pas admettre de justice infuse, établir entre la justification et la rémission des péchés une distinction suspecte, ou encore dissocier celle-ci de la charité parfaite. D’où la condamnation portée contre ses propositions 31-33, 42-44, 63-64, 69-70. Elles sont citées et commentées à l’art. Baïus, t. ii, col. 100-104. Il est facile de voir qu’elles allaient contre la lettre ou, tout au moins, contre l’esprit du concile de Trente et de la tradition qu’il définit.

2. Projet de nouvelles définitions au concile du Vatican. — Une méfiance excessive à l’égard des catégories scolastiques, jointe au désir de rendre la foi assimilable aux intelligences modernes, détermina en Allemagne, dans le premier tiers du xix° siècle, ce mouvement de théologie rationalisante dont Hermès fut le principal fauteur. Sous la poussée d’un nominalisme aigu, il ne concevait plus la justification comme une réalité immanente à l’âme, mais bien comme la disposition où Dieu se trouve d’accorder à l’homme les grâces actuelles qui lui sont nécessaires. Voir Hermès, t. vi, col. 2299-2300. Cette erreur n’est pas nommément signalée dans le bref de Grégoire XVI en date du 25 septembre 1835 : mais elle fut aperçue et réfutée par les théologiens catholiques. Voir J. Kleutgen, Die Théologie der Vorzcit, .Munster, 1854, t. ii, p. 274-291. Le souvenir en était encore assez vivant en 1870 pour que le concile du Vatican ait projeté de lui opposer une plus ferme déclaration de la foi catholique. « Parce que de nos jours quelques-uns ont perverti toute la doctrine de la grâce sanctifiante, celle-là surtout qui en fait un don inhérent (à l’âme), il paraît nécessaire de l’enseigner distinctement et de l’inculquer à nouveau. » Ainsi s’exprime le rapport justificatif qui accompagne le premier Schéma de doclrina catholica, note 42, dans Collectio Lacensis, t. vu. col, 551. C’est pourquoi le chapitre xvin du projet porte sur la grâce. Sancti/icans graliu, y est-il dit, neque in favore Dei tantummodo, neque in prwtereunlibus actibus conslituitur ; sed est [jermanens supernaturate doniim a Deo anima in/usum atque initierais, lu canon dirigé contre Hennés aurait condamné ceux qui disaient sanctificantem graliam nihil aliud esse quam eondonationem peccalorum dut fuvorem divinum quo Deus hominem lanquam graluni acceptet paratusque ait ad concedenda ei auxilia gratis actualis. Ibid., col. 517-518.

On retrouve le même texte dans le projet soumis aux Pères de la Députât ion de la foi. col. 1635 et 1638, sauf que les canons y sont rejetés à la fin et que le

deuxième vise plus nettement la justification : Si quis dixerit justifleationem non esse nisi remissioncm peccalorum, etc. Les Pères en discutèrent le 20 mars, col. 1667-1668, et plusieurs proposèrent quelques précisions encore plus poussées sur la remissio peccalorum. Mais le Schéma reformatum conserva le même libellé. Voir c. v, 2, col. 562, et can. 2-3, col. 566. Le rapport officiel expliquait qu’on avait voulu renouveler plus clairement la définition du concile de Trente, mais en évitant comme lui les termes techniques d’habitus ou de qualilas. Ibid., col. 562, n. 2.

Si elle avait abouti, la définition projetée par le concile du Vatican aurait, en somme, laissé le problème en l’état. Mais le concile fut prorogé avant qu’elle pût être mise en délibération.

3. Erreurs de Rosmini.

Parmi les 40 propositions de Rosmini condamnées par le Saint-Office le 14 décembre 1887, la trente-cinquième est relative à la justification. Denzinger-Bannwart, n. 1925.

Quomagis attenditurordo Plus on prend garde à

justificationis in homine, eo l’ordre de la justification

aptior apparet modus dicendans l’homme, plus apparaît

di scripturalis quod Deus juste le langage de l’Écri

peccata quredam tegit aut

non imputât.

ture d’après lequel Dieu

couvre ou n’impute pas cer tains péchés. « D’après le Psalmiste, xxxi, 1, continue le texte, il y a une différence entre les iniquités qui sont remises et les péchés qui sont couverts. Celles-là, semble-t-il, sont les fautes actuelles et libres, ceux-ci les péchés non libres de ceux qui appartiennent au peuple de Dieu et qui n’en reçoivent de ce chef aucun dommage. » Opinion singulière qui vise plutôt la responsabilité morale du chrétien ; mais l’Église n’a pas voulu laisser s’accréditer un langage qui rappelle celui du protestantisme en matière de rémission des péchés.

Production théologique.

A défaut de controverse

nouvelle, les problèmes soulevés par la Réforme et périodiquement repris par ses docteurs ont largement suffi à défrayer l’activité des défenseurs de l’Église.

1. Théologiens du concile de Trente.

Il faut faire un rang à part aux théologiens qui, après avoir participé aux délibérations du concile de Trente, consacrèrent leurs talents à en exposer et défendre les doctrines.

Déjà le P. Grisar a édité le texte intégral d’un votuni très important du jésuite Lainez, Dispulationes Tridentinse, Inspruck, 1886, t. ii, p. 153-192. Un volume spécial est annoncé par la Gôrresgesellschafl, pour la publication des traités relatifs à la justification que provoqua l’assemblée conciliaire. En dehors de ces textes que réveille l’érudition moderne, d’autres furent publiés dès l’époque par leurs auteurs, dont quelques-uns eurent un particulier retentissement.

Le premier en date est le traité du dominicain Dominique Soto, De natura et gratin libri III ad synodum Tridentinam, Venise, 1547, qui se présente comme un commentaire des décrets de la v c et de la vi c session. Sa manière de concevoir l’incertitude de la grâce fut contestée par son confrère Ambroise Catharin, qui publia contre lui une Dejensio catholicorum pro possibili cerliludinc gratite, Venise, 1547. Il s’ensuivit une vive polémique entre les deux théologiens sur ce point précis. Voir H. Ilurter, Nomenclaior litlcrurius, 3’édil., t. ii, col. 1371-1375.

Plus importante encore est la contribution du franciscain André de Véga, ibid., col. 1390-1391. Avant même que le concile abordât le problème de la justification, celui-ci avait mis à profit ses loisirs pour écrire un Optisculum non soltim de justifications, sed etiam de gralia, fide, operibus et merilis egregie tracions quastiones quindecim, Venise, 1546. Peu après Soto,

il écrivit à son tour un commentaire très étendu sur le décret de la vi c session : Tridenlini decretî de juslificatione expositio et defensio libris quindecim distincta tolam doctrinam justificationis compleclentibus, Venise, 1548. Ce dernier ouvrage valut à son auteur les éloges du cardinal Cervino, Hefner, op. cit., appendice, p. 101, et connut dans la suite de nombreuses éditions. Les deux furent réédités en un seul volume par Pierre Canisius, Cologne, 1572. Véga s’y préoccupe de répondre à l’Antidotum de Calvin et fournit beaucoup de détails précieux sur les délibérations conciliaires auxquelles il avait pris une part active.

En dehors du dogme qui les unit, ces deux œuvres reflètent des tendances théologiques assez différentes pour que Petau, en rendant hommage à leur grande valeur, les puisse appeler duo inter se pugnanles libri. De Trid. conc. et S. Augustini doclrina, c. xv, dans Dogmala theologica, édit. Vives, Paris, 1866, t. iv, p. 688. Soto est, en effet, un adhérent de l’école thomiste, tandis que Véga se rattache, d’une manière d’ailleurs plutôt indépendante, aux doctrines franciscaines.

Dans cette catégorie on peut encore mentionner l’œuvre plus tardive du jésuite portugais Andrada de Païva, voir ici t. i, col. 1179, qui prit la défense du concile de Trente contre les attaques de Chemnitz et dont celui-ci tient compte dans son Examen concilii Tridenlini.

2. Controversisles des XVIe et XVIIe siècles. — Il était difficile d’exposer la doctrine du concile de Trente sans prendre parti contre les protestants. Mais d’autres s’adonnèrent à la tâche spéciale de critiquer ex professo leurs positions ou de rétorquer leurs arguments. Dans cette abondante littérature de controverse, la justification occupe naturellement un rang de choix.

En abordant à son tour ce problème, Bellarmin énumère les principaux de ses précédesseurs. -De ; tis/<L, i, 3, Opéra omnia, Paris, 1873, t. vi, p. 152. Il y remonte jusqu’aux polémistes des premiers jours de la Réforme : Driedo, Latomus, Pighius, John Fisher, Y Enchiridion de Cologne. Puis il mentionne les auteurs qui écrivirent immédiatement avant ou après le concile de Trente : Dominique Soto, Pierre Soto, Pierre de Castro, André Véga, Catharin, Cajétan, Andrada. Enfin il signale les controversistes postérieurs : Hosius, ConI. pol., 61-75, Jean de Louvain, De fide speciali, François Turrianus, Henri Helmésius, Nicolas Sander, tous trois auteurs d’un traité De justifieatione, Josse Tiletanus, Apolegia pro conc. Tridentino, Ruard Tapper, Explic. articulorum Lovaniensium, et termine par le nom illustre de Thomas Stapleton, Universa justi/icationis doclrina. Tout cela, ajoute-t-il modestement, prœler alios multos qui mihi noli non sunt .

Cette énumération, en tout cas, suffit à montrer que les attaques des protestants n’étaient pas restées sans réponse du côté catholique. Mais, pour méritoire qu’elle soit, l’œuvre de ces divers controversistes a été éclipsée par celle de Bellarmin lui-même, dont les cinq livres De justifieatione, 1593, ibid., p. 145-386, restent le modèle du genre. Résumé dans J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 666-704. Son importance est attestée par les multiples réfutations qui en furent tentées par les protestants. Voir Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, t. i, col. 1175.

Au xviie siècle, la controverse dure encore, mais tend, en général, à se faire plus irénique. Bossuet s’y est livré dans ce sens, à plusieurs reprises, au cours de sa longue carrière, voir ici t. ii, col. 1054-1055, 10581060, 1080-1081. La justification est déjà traitée dans la Réjulalion du catéchisme du sieur Paul Ferry, 1655, 2e section, Œuvres complètes, édit. Vives, t. xui, p. 393-432. Elle est touchée plus brièvement dans

l’Exposition de la doctrine catholique sur les matières de controverse, 1671, c. vi-vn, ibid., p. 62-67, et reprise enfin, en vue de dissiper les équivoques dont cette matière commençait tout juste à se dégager, dans sa pacifique discussion avec l’abbé luthérien Molanus. Pour les positions de Molanus, voir Cogitaliones privatæ, dans Œuvres complètes, t. xvii, p. 402-403, et, pour celles de Bossuet, Episc. Meld. sententia, ioid., p. 473-475, 478-479 ; Declar. fldei orthodoxas, c. i, p. 500-510 : Réflexions, c. i, p. 549-562. Voir également Histoire des variations, t. III, c. xxxiii-xli, t. xiv, p. 116-123.

3. Théologiens scolasliques.

Pendant ces assauts de la dialectique ou de l’érudition, l’École poursuivait en paix la systématisation de la foi catholique en matière de grâce. Non pas d’ailleurs qu’on y perde entièrement de vue la controverse protestante ; mais cette dernière est subordonnée aux problèmes d’ordre proprement théologique, qui prennent ici le premier pas avec tout le cortège de discussions et de précisions qu’ils ne manquent pas d’entraîner.

Les monuments les plus imposants de cette scolastique furent élevés par Suarez, De gralia, et Ripalda, De ente supernaturali. Chez l’un et l’autre, les questions diverses que pose la doctrine de la justification tiennent une large place. Voir Suarez, De gratia, 1. VU-XI, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. ix, p. 90686, et Ripalda, De ente supernaturali, t. IV, disp. lxxxvi-lxxxviii, et t. VI, disp. cxxxii, édit. Palmé, t. ii, p. 165-193 et 694-785. A la suite de ces maîtres, tous les traités de la grâce consacrent à la justification des exposés plus ou moins étudiés, dont les détails sont naturellement influencés par l’école théologique à laquelle ils se rattachent.

Chez les initiateurs de la théologie positive au xviie siècle, c’est surtout la grâce actuelle qui estau l’ordre du jour. A propos des missions divines, Petau est amené’cependant à traiter de la grâce sanctifiante, qu’il veut identifier, d’après les Pères grecs et spécialement d’après saint Cyrille d’Alexandrie, avec la substance même du Saint-Esprit présent dans l’âme régénérée. De Trinitate, t. VIII, c. iv-v, dans Dogmala theol., édit. Vives, t. iii, p. 453-481. En établissant le Consensus scholæ de gratia, Thomassin rapporte et discute quelques opinions des théologiens anciens ou récents sur la justification, celle, par exemple, de Contarini. Voir Dogm. theol., édit. Vives, t. vi, p. 209212 ; cf. p. 219-220, 324, 349.

Dans l’ensemble, les aspects historiques du problème de la justification sont abandonnés aux controversistes, tandis que les théologiens s’en réservent les côtés spéculatifs.

4. Théologie et controverse au XIXe siècle. — Jamais entièrement assoupie, la controverse a repris une nouvc’e activité, dans les pays de religion mixte, au coura i du xixe siècle.

Le premier signal en fut donné en Allemagne par ! célèbre Symbolique d’Adam Môhler, Mayence, IKïl où l’auteur s’applique à montrer les oppositions dogmatiques des catholiques et des protestants d’après leurs symboles officiels. Nécessairement l’article d la justification y tient une très grande place et Môhler est conduit à mettre en relief, à la lumière des textes, les particularités un peu estompées depuis lors du protestantisme primitif. Voir dans la dernière édition, Mayence, 1872, p. 99-253, et le résumé de G. (joyau, Mwhler, Paris, 1905, p. 175-257. L’ouvrage eut un succès retentissant en Allemagne et dans les autres pays catholiques. A leur façon les protestants en nnrquèrent la valeur par de nombreuses et vives ripostes. Il y eut notamment une intervention de Christian Baur, Der Gcgensalz des Kalholicismus und ProlesUmlismus, Tubingue, 1833. Môhler se défendit contre lui

dans s ( s Neue l’ntersuchungen der I.ehrengeijensâlze zwischen den Kaiholiken und Proiesianiea, Mayence, 1834. Baur répliqua, cependant que Marheræcke et

C. J. Nitsch entraient en lice de leur côté pour la défense du protestantisme. Sur la Symbolique et la controverse qui s’ensuivit, voir A. Vermeil, Jeanvdam Mo Mer et V école catholique de Tubingue, Paris, 1913. p. 190-21Ï et 249-260.

Sans avoir le même retentissement, les publications de Dôllingi r sur la Réforme, surtout son volume Kirehe und Kirclien, Munich., 1861, voir ici t. iv. col. 1521, ne passèrent pas inaperçues et le Dr J. E. Osiander prit la peine de défendre contre lui la tradition protestante en matière de justification. liemerkungen ùber die evangelische Rechtfertigungslehre und ihre GeschicHe, dans Jahr bûcher fur deutsche Théologie, 1863, t. vin. p. 691-715.

Récemment encore la bataille s’est rallumée autour du Luther und Lulhertum du P. Dcnifle, dont la juslilication forme le centre, et que l’auteur a complété par un volume documentaire sur la Justitia Dei dans l’ancienne exégèse en Occident. Voir ci-dessus, col. 21 07 et 21 1 1. D’innombrables articles ou brochures ont tendu à venger la mémoire de Luther contre les conclusions du premier ouvrage, v. gr. L. Ihmels, dans Neue kirchliche Zeilschrifl, 1904, p. G18-648, tandis que le Di K. i l’ill s’appliquait à réduire la portée du second, dans Fcstgabc… A. von Harnack… dargebrachl, Tubingue, 1921, p. 73-92. A la même intention polémique sont dues les diverses publications de l’ancien dominicain Alpli. Victor Mùller, col. 2129, que l’on a pu nommer un « Anti-Denifle ». Grisar, Luther, t. iii, p. 1012.

Ces controverses avaient au moins l’avantage de ramener périodiquement au grand jour les éléments essentiels de la question. Les théologiens s’en sont plus ou moins largement inspirés dans les traités de la grâce qui se sont multipliés pour les besoins de l’exposition ou de l’enseignement. Voir Grâce, t. vi, col. 16861687. De cette collaboration entre les principes de l'École et les faits de l’histoire est appelée à sortir la systématisation intégrale de la doctrine catholique sur l’article de la justification, soit pris en lui-même, soit dans son opposition essentielle au système protestant.

II. EXPOSÉ SYSTÉMATIQUE.

Peu d’idées sont plus complexes que celle de justification. Sans l'élargir indûment, on peut y faire entrer, et on l’a fait quelquefois, toute la théologie de la grâce. Quelle que soit la raison d'être de cette synthèse, on peut aussi s’en tenir à la stricte analyse et l’on comprend alors sous le tenue de justification, conformément à son élymoJogie et à son acception dans la langue de l'École, le passage de l'état de péché à l'état de justice ou l'établissement de la grâce dans l’ame. Ainsi entendue, la justification répond à un problème précis et qui reste. même et surtout après cette restriction, le nœud vital ou s’entre-croisent, tant au point de vue de la spéculation que de la psychologie, tous les fils de la trame surnaturelle.

1° Conditions de la justification. - - Si elle se traduit, en dernière analyse, par un acte de la huile puissance divine qui institue ou restitue la vie de la grâce dans l'âme pécheresse, la justification est, en réalité, le tenue d’un long processus qui l’a rendue possible. Il y a donc lieu d’en étudier tOUt d’abord la genèse, en vue de marquer les agents qui contribuent à la produire et de préciser le rôle de chacun.

l. Part, de Dieu ou rôle de la grâce, -Avant tout, la Justification est un acte essentiellement surnaturel el qui, è oe titre, demeure tout entier suspendu à l’action de la grâce divine. Nous sommes justifiés gratuite ment par sa grâce, l Rom., in. 24. Quelle que soit la

pari qu’il convienne de faire à l’action de l’homme, ce

travail humain s’entend toujours sous réserve de ce principe primordial. Il importe d’autant plus de le mettre en relief que les protestants nous accusent plus obstinément de l’oublier ou de le violer.

Cette grâce elle-même est tout d’abord, si l’on peut ainsi dire, d’ordre lointain et objectif, o…Justifiés gratuitement par sa grâce ». c’est-a-dire. comme continue l’Apôtre, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. 1 toctrine qui vient au terme d’un long développement dogmatique où saint Paul a établi l’insuffisance de droit et de fait, soit de la loi naturelle, soit de la révélation judaïque, pour conclure : < Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu… Mais la justice de Dieu s’est manifestée sans la loi…, justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ dans et sur tous ceux qui croient en lui. » Rom., iii, 21-23. « Car l'Écriture a renfermé toutes choses sous le péché pour que la promesse qui vient de la foi de Jésus-Christ fût donnée aux croyants. » Gal., iii, 22.

Le concile de Trente a consigné expressément en quelques lignes didactiques les principaux traits de cette philosophie religieuse de l’histoire que saint Paul se plaisait à dessiner. En tête du décret sur la justification, il est rappelé que, par la faute d’Adam, tous les hommes avaient perdu la justice originelle et étaient devenus à ce point esclaves du péché que « non seulement les païens ne pouvaient en sortir et s’en libérer par les forces de la nature, mais pas davantage les juifs eux-mêmes par la lettre de la Loi mosaïque. » Aussi Dieu le Père, quand fut venue la plénitude des temps, a-t-il envoyé son Fils « pour racheter les juifs qui étaient sous la Loi et pour que les païens, qui ne connaissaient pas la justice, en eussent communication, Rom., ix, 30, et que tous ainsi reçussent l’adoption des enfants. » Sess. vi, c. i et ii, Denzinger-lianiiwart, n. 793-794, et Cavallera, n. S7 :  ; 874. Doctrine reprise sous l’orme d’anathème aux canons 1-2, Denz.. n. 811-812, et Cav., n. 892. Toute l'économie de la justification se trouve ainsi conditionnée par une première grâce, savoir la grâce même de la Rédemption.

De là découlent les secours divins destinés à procurer aux hommes l’application de ce bienfait initial. Contre les pélagieiis, l'Église avait déjà défini en général la nécessité de la grâce pour le salut. Conc. Miter.. can. 3-4, Denz., n. 103-101. et Cav., n. S 13. A la suite des controverses semipélagiennes, le concile d’Orange avait précisé que cette nécessité s’applique même à l’inilium fidei et à ce t sentiment de confiance par lequel nous croyons en celui qui justifie l’impie et parvenons à la régénération baptismale. > Can. 5, Denz., n. 178, et Cav., n. 853. Voir également les canons 6-16 et 21-22. En conformité avec ces principes, le concile de Treille < enseigne que, chez les adultes, le commencement même de la justification doit être cherché dans la grâce prévenante de Dieu par le Christ Jésus » et que c’est cette grâce qui excite et aide les pécheurs à leur conversion, de telle sorte que, sans la grâce de Dieu, ils ne peuvent pas se mettre en mouvement devant lui vers la justice. » Aussi tous les actes de l’homme qui sont décrits dans la suite s’entendent-ils connue accomplis sous l’action de cette double grâce excitante et adjuvante. Sess. vi, c. v-vi, DenL., n. 797-79X, et Cav.. n. 677-878, Cf. ibid.. can. 3, Denz.. n. 813, et Cav., n. 892. I.a raison en est que la préparation à la justification est un acte surnaturel et qui ne saurait, dès lors, se faire sans une mol ion spéciale de l >ieu. S. Thomas, Sum. theol., [ I [ », q enc, a. 0. Voir Grâce, t. i. col. l">7.'i 1578.

2. l’art tic l’homme : Principe. lue lois assurée de i.i sorte l’initiative divine, il faut affirmer avec la même

énergie la possibilité el la nécessite de la coopération humaine'

C’est ce qu’enseigne le concile de Trente en rappelant que la liberté de l’homme doit donner à la grâce son assentiment et sa collaboration : eidem gratiae libère assenliendo et eooperando disponuntur. Denz., n. 797, et Cav., n. 877. Où l’on peut observer que les deux termes employés par le texte conciliaire sont intentionnellement progressifs pour mieux marquer l’étendue de notre concours, lequel ne consiste pas seulement à recevoir la grâce (assenliendo). mais à la faire efficacement fructifier (eooperando). Sous l’action de Dieu, c’est donc toute une vie morale qui peut et doit se développer dans le pécheur en vue de le disposer à la giâce de la justification.

Rien de plus conforme aux données de la révélation qu’une préparation humaine ainsi conçue. A titre d’indication, le concile rappelle que, s’il est des textes scripturaires, comme I.ament., v, 21, qui soulignent l’action prévenante de la grâce, il en est d’autres qui professent non moins nettement notre liberté. « Convertissez-vous vers moi et je me convertirai vers vous, » dit Jahvé, dans Zacli., i, 3. D’une manière générale, la prédication des Prophètes, comme d’ailleurs celle du Christ et des Apôtres, ne se résume-t-elle pas dans l’appel à la pénitence, c’est-à-dire au redressement effectif des sentiments et de la conduite ? S’il promet la régénération par la vie dans le Christ, le christianisme aussi, par un cercle qui n’a rien de vicieux, la suppose déjà commencée dans l’âme qui en doit recevoir le bienfait. Il s’agit de pleurer ses fautes comme la pécheresse, de réparer ses torts comme le publicain, de se retourner vers Dieu comme le prodigue ; pour tous, en un mot, de t faire la volonté du Père. » Matth., vii, 21. Quiconque est animé de ces dispositions n’est « pas loin du royaume de Dieu. » Marc, xii, 34.

De cette pédagogie élémentaire le principe rationnel est bien dégagé par saint Thomas. « La justification de l’impie s’accomplit par le fait que Dieu meut l’homme à la justice… Mais Dieu meut toutes choses selon la nature de chacune… Or l’homme a dans sa nature d’être libre. C’est pourquoi, dans un être doué de libre arbitre, la motion divine vers la justice n’a pas lieu sans une impulsion donnée à son libre arbitre. Dieu donc infuse de telle façon le don de la grâce justifiante qu’il imprime en même temps dans le libre arbitre un mouvement pour l’accepter. » Sum. theol., la Hæ q. cxiii, a. 3. Et s’il en est ainsi pour recevoir le don de la grâce, à plus forte raison pour s’y disposer. Ibid., q. exii, a. 2. On s’explique par là l’accueil différent fait à la prédication de l’Évangile. Suarez, .Z)e gratia, t. VIII, c. vi, 9, Opéra, t. ix. p. 336.

Chaque fois qu’on parle de cette préparation humaine, les protestants affectent de redouter qu’on ne fasse tort aux mérites souverains du Christ. Mais il était dans l’ordre que la grâce de la rédemption nous fût appliquée moyennant notre part de libre concours. « Par sa passion, explique saint Thomas, le Christ nous a délivrés de nos péchés par manière de cause… Car la passion du Christ précède comme une sorte de cause universelle de notre pardon ; mais il est nécessaire qu’elle soit appliquée à chacun pour la rémission de ses péchés personnels. » Sam. Iheol., Illa, q. xlix, a. 1, ad 2ume t 3uiu. Et cette application demande que nous soyons configurés à sa passion. assimilés à son corps mystique, en un mot pénétrés de son esprit. Ibid., a. 3, ad 2um et 3um.

Tout cela suppose que le péché laisse intactes les forces vives de notre âme. L’Eglise a toujours professé ce minimum d’optimisme spirituel et le concile de Trente en défend le principe contre le pessimisme radical de la Réforme. Dès lors, si nous sommes capables de quelque bien, il est normal que nous soyons invités à le fournir et il y a une vue psychologique des plus

profondes, en même temps que des plus salutaires, dans cette idée de l’homme travaillant sous l’action de la grâce à sa propre régénération. Le surnaturel selon la pensée de l’Église comporte une exaltation et, par conséquent, une utilisation de la nature. Toute autre conception n’est pas seulement une diminution spéculative de la dignité humaine, mais une atteinte grave portée à la valeur morale du christianisme.

3. Part de l’homme : Application. — De ce principe l’application est une simple affaire de psychologie religieuse qui ne saurait guère offrir de difficultés.

a) Rôle de la foi. — La première de ces dispositions est évidemment la foi.

Tout ce que les protestants ont dit de son importance et des textes scripturaires qui l’exigent peut et doit être retenu comme un élément positif de la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 512-514. La foi est, d’après le concile de Trente, humanæ salutis initium. fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess., vi, c. viii, Denz., n. 801, et Cav., n. 881. La raison en est, comme l’expose saint Thomas, qu’elle est logiquement et réellement le premier mouvement de l’âme vers Dieu. « Il faut pour la justification de l’impie un mouvement du libre arbitre, en tant que l’âme de l’homme est mue par Dieu. Or Dieu meut notre âme en la tournant vers lui-même…, et c’est pourquoi il faut pour la justification de l’impie un mouvement de l’âme en vue de se tourner vers Dieu. Or ce premier mouvement se fait par la foi, selon ce mot de l’épître aux Hébreux, xi, 6 : « Quand on s’approche de Dieu, il faut d’abord croire qu’il est. » Sum. theoi, D II », q. cxiii, a. 4. Voir Infidèles, t. vii, col. 1758-1827.

Par cette foi il faut entendre, non pas un sentiment personnel de la miséricorde de Dieu, mais l’adhésion au message divin de la révélation. Assurément cet acte ne peut aller sans des dispositions du cœur où la confiance a sa part : l’Église et la théologie lui maintiennent néanmoins un caractère essentiellement intellectuel. Voir Foi, t. vi, col. 56-84. La foi qui sauve est éminemment théocentrique et signifie la soumission de notre raison créée à la suprême autorité divine. Conc. Vatic., Const. Dei Filins, c. ni, Denz., n. 1789, et Cav., n. 145-147. Sinon on aboutit au fidéisme moderne où la foi n’est plus qu’un vague sentiment religieux sans aucun élément de croyance proprement chrétienne.

Néanmoins, parmi les vérités révélées et les promesses divines que nous devons croire, se trouve « surtout, celle-ci : que Dieu justifie le pécheur par sa grâce. » Principe général qui est évidemment susceptible d’une application personnelle. Aussi y a-t-il place pour un acte subjectif où le pécheur s’élève à « la confiance que Dieu lui sera favorable à cause du Christ. » Conc. Trid., sess. vi, c. vi, Denz., n. 798, et Cav., n. 878.

b) Rôle des œuvres. — Mais la foi ne saurait aller sans les œuvres. « Il est facile de se rendre compte que la foi tend nécessairement à devenir pratique… Comment, en effet, quelqu’un pourait-il croire que le Fils de Dieu fait homme est mort pour expier nos péchés sans être en même temps pénétré d’un très vif sentiment de contrition, et comment un tel désir pourrait-il être sincère s’il ne conduisait pas à l’aire des actes de pénitence ? … Enfin comment croire à l’incarnation et a la rédemption du Christ sans être pénétré pour lui d’un sentiment d’amour’?… La foi conduit donc d’elle-même à l’action, c’est-à-dire à la pénitence, à l’espérance, à l’aniouret à toutes les œuvres intérieures et extérieures que dictent de telles dispositions… Une foi qui ne contiendrait pas en elle-même tout au moins l’exigence de l’action ne serait pas la vraie foi. » Voila pourquoi « le chemin qui mène à la justification, c’est la foi et la charité jointes ensemble, réunies comme

dans une seule et même disposition. La foi en est le commencement, l’espérance en marque le développement, le début de la charité est le point de départ de son épanouissement. » L. Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. n : L’homme, Paris, 4e édit., 1921, p. 268-269.

Quelle que soit l’évidence de cette psychologie et la rigueur de cette logique, c’est ici le point qui a toujours le plus profondément choqué la Réforme. Il est Mai que plus d’une fois nos adversaires l’ont étrangement déformé. Sous le nom d’oeuvres, ils reprochent souvent à l’Église de ne compter qu’avec les actes extérieurs : ce qui réduirait le salut à une question d’observances matérielles. C’est pourquoi il importe de souligner que les actes externes ne sauraient avoir de valeur que par les sentiments qui les inspirent et que l’Église demande avant tout ceux-ci, encore que ceux-là doivent en être normalement la suite. Les œuvres justifiantes ne peuvent être que celles qui présentent un caractère moral et qui procèdent de l’esprit de loi vivant dans le cœur. Dans ce sens, l’École explique que seule la charité ou la contrition parfaite a le caractère de disposilio proxima, les autres œuvres n’étant qu’une disposilio remolu. Suarez, t. VIII, c. vi, n. 11-14, p. 337-339.

Plus subtilement on argue que ce n’en est pas moins mettre l’homme à la place de Dieu. Ce reproche de semipélagianisme s’évanouit lui-même si l’on tient compte qu’il s’agit d’oeuvres faites avec le secours de la grâce et qui, par conséquent, ne sont-elles-mêmes, en dernière analyse, qu’un don divin. Ainsi entendues, les œuvres de l’homme entrent comme condition indispensable dans le plan normal de sa justification.

On ne conteste pas que, soit d’après l’Évangile, Matth., xvi, 27, et xxv, soit d’après saint Paul, Rom., n, 6, c’est d’après elles que nous devons être jugés au dernier jour. Voir Jugement, col. 1754 sq. S’ilenest ainsi de la dernière justification, il est assez logique d’induire qu’il en va de même pour la première, sous peine de se heurter à ce que A. Grétillat est bien obligé de reconnaître comme « une des antinomies les plus aiguës de l’enseignement scriptnraire. » Op. cil., p. 417. N’estce pas déjà un avantage de la conception catholique que cette antinomie s’y résolve aisément en harmonie ?

D’autant qu’il n’est dit nulle part que la première justification se fera par la foi seule. Pour en donner l’apparence, les protestants doivent, non seulement isoler saint Paul des autres écrits du Nouveau Testanu 1. 1. mais donner à ses aphorismes une portée exclusivè que les textes n’autorisent pas. La réprobation de l’É] itre de saint Jacques et l’addition systématique de la particule sola là où saint Paul enseigne que nous sen nies justifiés « par la foi » sont les indices d’une position désespérée que seul le parti pris confessionnel a peimis de maintenir. Au contraire, en professant la solidarité et la continuité des témoignages successifs où nous apparaît la révélation néo testamentaire, l’Église se place dans les meilleures conditions pour en interprète]- exactement les divers aspects.

On voit, en effet, que partout Jésus lait appel à la bonne volonté, à l’effort moral des pécheurs qu’il invite à se convertir ; que saint Paul, quand il oppose !  ; t lui aux œuvres, n’expose pas précisément en moraliste les conditions pratiques du salut, mais développe en théologien le plan divin de la Rédemption, dans ! ( qu( I lée onemie de la loi chrétienne annule les observances d’une loi désoimais périmée ; que, pour lui-même, la foi justifiante est celle c|iù « opère par la charité -. Gai, v, 5 ; <in « - saint Jacques piée-isequ’il n’y

i | : is ele lui vivante sinon celle qui se’traduit e’H actes.

Avec des nuances qui tiennent au but OU au tempe i : in iil ele chacun, il y a parlait aee oiel, chez ces divers

témoins du christianisme primitif, pour rattacher le

salut à l’union étroite de l’élément religieux et de l’élément moral, à la profession de la foi et à la pratique des œuvres qui en sont la conséquence. La doctrine de l’Église est tout entière établie sur cette synthèse. Si cette position avait besoin d’être confirmée, elle le serait par l’exemple de la Réforme, qui. pour l’avoir quittée, n’a jamais su trouver qu’un équilibre précaire et se voit, en fin de compte, obligée d’y revenir.

c) X’ature des œuvres justifiantes. — Quant au détail des œuvres appelées par le processus de la justification du pécheur, il relève du moraliste et ne laisse pas de place à de sérieuses contestations.

Saint Thomas les ramène au moins liberi arbitrii in peccatum, c’est-à-dire à la pénitence, I » Ilæ, q. cxiii, a. 5. Le concile de Trente est plus explicite, sess. vi, c. vi et xiv. et dessine tout un schéma de la conversion, où figurent comme deux éléments connexes les actes personnels que l’action de la grâce provoque dans l’âme du pénitent et le recours à la médiation de l’Église par la réception des sacrements. Voir le commentaire qu’en donne Suarez, t. VIII, c. xv-xx, p. 392-417. Telle est, en effet, la grande direction, compatible d’ailleurs avec bien des itinéraires individuels, suivant laquelle doit s’accomplir tout retour sincère d’une âme vers son Dieu.

Il va sans dire que cette préparation s’entend de la conversion normale, sans préjudice pour ces cas exceptionnels, nécessairement rares, où, comme pour saint Paul, la grâce divine subjugue le pécheur sans aucune collaboration visible de sa part et réalise en un instant les conditions qui sont d’ordinaire le fruit d’un long effort. Suarez, ibid., c. xxiii, n. 3-4, p. 441-442.

4. Valeur de la préparation humaine.

On peut enfin se demander quelle est, d’un point de vue spéculatif, la portée qui revient à cette œuvre de l’homme dans l’économie totale de la justification.

Contre les protestants, toujours prompts à parler de pélagianisme, le concile de Trente marque expressément que notre justification reste absolument gratuite et que nos œuvres antérieures, même faites avec le secours de la grâce, ne méritent pas, à proprement parler, la grâce de la justification. Sess. vi, c. viii, Denz., n. 801 et Cav., n. 881. La raison en est que le mérite suppose l’état de grâce, qui, dans l’espèce, est, par hypothèse, encore à venir. Voir Mérite.

Néanmoins nos œuvres préparatoires ne sont pas seulement une condition sine qua non : elles jouent le rôle de disposition, comme s’exprime le concile de’Trente. Ce qu’il faut entendre tout au moins dans le sens d’une disposition morale, qui d’une certaine façon incline Die’U à nous accorder la grâce et comporte une véritable causalité. Il est vrai que l’Écriture ne parle jamais proprement de nos actes que comme d’une condition préalable au pardon divin..Mais ici, comme le dit Suarez, condition signifie logiquement cause : In materia promissiva, ut sic dicam, oplime in/ertur (causalitas) quando condilio requisita est aliquod obsequium libcrum e.rhibendum ab co cui talis j>romissio sub lali conditione fil et inluitu cujus aliquid promitlitur, et hoc est esse causant moralem. Suarez, De gratin, t. VIII, e. ix, n. 16, p. 354. Ce qui le confirme, c’est que plus loin, c. vii, Denz.. n. 789, et Cav., n. 879, le e-e>ne’ile précise que la gràev est infusée secundum propriam cu.ju.sque dispositionem et cooperationem.

Allant plus loin, d’aucuns ont parlé ele disposition physique, en ce se-ns que par elle L’essence de l’âme serait rendue apte à l’infusion ele la grâce. Contre Alvarez et d’autres, Suarez écarte cette opinion parce

que cette disposition physique devrait être surnaturelle, c’est-à-dire qu’elle supposerait une autre grâce, et sic in infuiitum. Op. cil., t. VIII, c. îv. n. 15, et c v n. 4. p. 327 et 330.

On est donc suffisamment’fidèle à la pensée de l’Église en restant dans l’ordre des réalités morales. Dans ce sens on peut tout au plus accorder aux œuvres de l’homme un mérite de congruo. Cette position de l’ancienne école franciscaine est aujourd’hui adoptée par les théologiens de la Compagnie de Jésus. Voir Chr. Pesch, Prælect. dogmat., Fribourg-en-B., 1897, t. v, p. 197 et Hurter, Theol. dogm. compendium, 10e édit., 1900, t. iii, p. 134. Mais les écoles thomistes et augustinienne s’en tiennent généralement à la doctrine de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiv, a. 5, qui n’admet pas de mérite à l’égard de la première grâce. Voir Bartmann, Lehrbuch der Dogmulik, Fribourg-en-B. , 1911, p. 486.

Diverses questions ont encore été soulevées dans l’École sur les rapports de l’acte de contrition et de l’acte de charité, c’est-à-dire exactement sur le point de savoir si la dernière préparation à la grâce relève déjà de la grâce habituelle ou d’un secours divin spécial. Saint Thomas se rattache à la première conception, tandis que Suarez défend la seconde. La controverse est exposée à l’art. Grâce, t. vi, col. 1630-1633, ainsi que les raisons qui militent pour l’opinion de saint Thomas.

Ces discussions subtiles auxquelles se complaisait le génie de l’École supposent acquise cette vérité fondamentale qu’il dépend de l’homme de se disposer à la justification par une préparation effective. Préparation, on ne saurait trop le redire, qui s’accomplit sous l’action de la grâce actuelle, mais qui associe l’homme à Dieu en vue d’aboutir à la grâce sanctifiante qui est le terme normal de cette collaboration.

Nature de la justification.

Ainsi préparée, la

justification ne peut être logiquement qu’une grâce de régénération intérieure. C’est, en effet, le point par où la doctrine catholique se distingue le plus fondamentalement de la Béforme.

1. Notion générale de la justification.

On s’est donné autrefois beaucoup de peine chez les protestants pour établir que, d’après l’Ancien Testament, la justification est une métaphore empruntée à l’ordre judiciaire et dont, par conséquent, l’application à l’ordre spirituel ne comporterait pas une modification réelle de l’âme qui en est l’objet. Toute la question, dès lors, semblait être de savoir si saint Paul avait ou non conservé ce sensus jorensis. Ces préoccupations peuvent se comprendre dans une théologie où la lettre de la Bible était censée dire le dernier mot de tous les problèmes : elles s’évanouissent dans une vue intégrale de l’économie de la divine révélation telle que l’Église l’a toujours professée.

Il est clair, en effet, que, d’une manière générale, l’Ancien Testament ne donne des mystères divins qu’une idée encore imparfaite et n’est, dès lors, pas qualifié pour fournir la clé du christianisme. Bartmann, op. cit., p. 475. On tiendra compte également que les images de l’ordre humain sont à la fois nécessaires et inadéquates pour traduire les réalités divines : ce n’est donc pas, en bonne méthode, celles-ci qu’il faut ramener à celles-là, mais inversement celles-là qu’il faut interpréter à la lumière de celles-ci. Si l’on se place sur ce large terrain, n’est-il pas incontestable que, même dans l’Ancien Testament, les justes apparaissent comme l’objet des complaisances de Dieu ? A plus forte raison en est-il ainsi dans le Nouveau Testament, où une mystique solidarité assimile les croyants à la personne et à la vie même du Christ. Et l’on sait que ce mysticisme n’a pas eu d’interprète plus éloquent que saint Paul. Or ces données religieuses ne se comprendraient pas si elles ne correspondaient à une réalité. Toute autre conception est Inacceptable tant du côté de Dieu que du côté de’homme.

S’il est vrai que la justification consiste en ce que Dieu prononce qu’une âme est juste, comment imaginer qu’il soit dupe d’une fiction ? Non seulement il y a là un anthropomorphisme enfantin, mais, dès lors qu’il s’agit du Tout-Puissant devant qui tous les cœurs sont ouverts, une véritable absurdité. Aussi les protestants sont-ils amenés à concevoir que le jugement divin ne peut qu’être secundum veritatem.

On a vu également que, pour être acquise à une âme, la grâce divine doit normalement être préparée par un effort de sa part. Comment échapper à l’évidence que cette préparation indispensable est déjà un commencement de la justification qui en est le tenuet que celle-ci couronne et consacre l’œuvre spirituelle esquissée par celle-là ? La conclusion est particulièrement rigoureuse dans la conception catholique, où la préparation humaine signifie un exercice complet de toutes nos puissances de vie morale. Mais elle ne s’impose pas moins dans la conception protestante, où la foi requise s’entend d’une foi vivifiée par le repentir et l’amour. L’imputation pouvait avoir un sens dans le mysticisme radical de Luther, où la foi n’était qu’un simple sentiment de confiance en Dieu. Ce qui lui permettait d’aboutir à ce paradoxe que nous sommes a la fois justes et pécheurs. En reculant devant cette extrémité, ses disciples ne peuvent pas échapper à cette conséquence qu’au moment où Dieu nous déclare justes cette justification est déjà nécessairement réalisée en nous.

Quant à distinguer avec l’orthodoxie protestante moderne deux moments théoriques : l’un qui serait la justification, acte purement déclaratif et judiciaire, l’autre la sanctification proprement dite, ce n’est plus qu’un artifice pour sauver les apparences d’un système dont on abandonne toute la réalité. « L’Église catholique, dit avec raison Bossuet, ne comprend pas cette subtilité superflue. Elle procède plus simplement : elle recherche les Écritures avec les anciens docteurs orthodoxes et elle n’y remarque aucune raison sur laquelle cette distinction puisse être fondée. » Rêfu’ation du catéchisme de Ferry, Ve partie, sect. ii, c. m. Œuvres, t. xiii, p. 399 ; cf. Réflexions sur l’écrit di Molanus, t. xvii, p. 560.

Voilà pourquoi la logique et la mystique sont d’accord pour définir la justification comme une modification réelle de notre état spirituel : Translalio abe i statu in quo homo nascitur filius primi Adx in statum gratin 1 et adoptionis filiorum Dei per secundum Ad i n Jesum Christian s : di>alorem nostrum, ainsi que s’exprime le concile de Trente, sess. vi, c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876. Formule qui, prise au sens actif, exprime l’acte divin qui nous justifie et, au sens passif, la réalité spirituelle qui en est le résultat. Elle répond à celle de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiti, a. 1 : Transmutatio quædam de statu injustitiie ad statum jusliliie, et tout de même à celle de saint Augustin, De spiritu et litlera, xxvi, 45, P. L., t. xiiv, col. 228 : Quid est enim aliud justificali quam justi facli abe > scilicel qui justi ficat impium (Rom., iv, 5), ut ex impiu fiât jus tus ? Ce réalisme ainsi affirmé à travers les âges est l’expression même du sens chrétien tel qu’il s’impose à tout esprit que les systèmes préconçus ou les passions confessionnelles ne font pas dévier.

2. Effets de la justification.

Sur la base de cette donnée fondamentale, la justification se décompose en deux actes distincts au moins en théorie : rémission du péché et infusion de la grâce, dont le commun résultat est une transformation réelle de notre état spirituel.

a) Rémission du péché. — Puisqu’on suppose, par hypothèse, le péché comme point de départ, le premier effet de la justification doit être de le faire disparaître.

Quelques textes exclusivement retenus et tendan

cieusement interprétés, tels que Ps. xxxi, 2, repris

dans Rom.) IV, 6-8, ont servi aux protestants pour appuyer leur théorie, d’après laquelle la justification consisterait en ce que le péché n’est pas imputé bien qu’il subsiste toujours. En réalité, leur système se fonde sur une considération pessimiste de la concupiscence, qui serait par elle-même un péché. Du moment qu’avec l'Église et la saine psychologie on écarte cette erreur, voir Concupiscence, t. iii, col. 809-812, il s’ensuit que le péché peut être remis, et tout demande qu’il le soit.

Bien que l’Ancien Testament s’en tienne souvent à des images tout extérieures, il est certain que la rémission des péchés y est offerte aux pénitents sincères, qu’elle est surtout promise comme le grand bienfait de l'ère messianique, et les termes employés ne peuvent s’entendre que d’une rémission réelle. Voir par exemple Is., xuv, 22 ; Ez., xxxvi, 25 ; Ps. l, 12, et en, 12. Cette promesse, le Nouveau Testament la donne comme devenue effective. Dans le Christ l'âme chrétienne se sent lavée, I Cor., vi, 11, et Apoc, i, 5 ; illuminée, Eph., v, 8 ; ressuscitée, Eph., ii, 5. Toutes expressions qui correspondent à ce que l'Évangile nous montre en acte, dans le cas des pécheurs ou des pécheress< s que l’appel du Maître éveille à une nouvelle vie.

Lu point de vue rationnel, dire que le péché n’est plus imputé par Dieu c’est être esclave d’une métaphore : comme si quelque chose pouvait en dissimuler le désordre à ses yeux 1 C’est aboutir à cette conséquence que, devant la souveraine vérité, le péché est tout à la fois et n’est pas. Il n’y a pas moyen de concevoir que le péché soit remis sans être réellement effacé. Non pas que rien puisse annuler la réalité historique du fait accompli, mais, par suite de la conversion qui redresse la volonté et la ramène dans l’ordre, ses méfaits antérieurs sont supprimés et anéantis dans leur portée morale. Si Dieu s’abstient de les punir, c’est parce que, en toute vérité, le désordre qu’ils constituaient n’existe plus. Ainsi l’exige, en regard de la raison, la notion de la sainteté divine et surtout, au regard de la foi, la plénitude do l’oeuvre rédemptrice. Du moment que la faute d’Adam nous a constitués vraiment pécheurs, le mérite du second Adam doit se traduire par le résultat inverse. « Sinon, fait observer saint Thomas, la malice de l’homme serait plus puissante en éloignant la grâce divine par le péché que la bonté de Dieu en éloignant le péché par le don de grâce. » Compend. theol., 145, Opéra omnia, t. xxvii, p. 58. Cf. Leclerc de Heauberon, De gratin, TV, 1, 2, dans aligne, Theologiæ cursus, t. x, col. 1089. En même temps que le péché, est détruite la peine éternelle qui lui est due, Rom., viii, 1, mais non les peines temporelles qui en sont la suite. L'âme chrétienne peut ainsi unir au sentiment de sa dignité retrouvée, qui permet la confiance et inspire l’action, celui d’une salutaire humilité et d’une pénitence dont le pardon même qu’elle a reçu lui fait davantage sentir le besoin.

b) Infusion de la grâce. — Ce1 aspect négatif de la justification est logiquement et réellement inséparable de son aspect posii il : savoir la régénération effective de l'âme par la grâce.

lin eilel, d’api es l « ssence même des choses, la nuit n’est expulsée que par l’entrée du jour et le mal que par l’action du bien. Aussi doit-on duc avec saint Thomas, Sum. ///< « L, U II », q. cxiii, a. o, ad 2°" » : Grattée infusio et remissio culpse… secundum subslan tiam aclus… idem smd ; cmlcrn l’iiim ni lu Drus et tnrgitnr

gràtiam et remitlit culpam. Entre ces deux faits qui constituent la Justification il ne saurait y avoir qu’une différence formelle. " On peut, si Ton veut, distinguer la Justification de la sanctification, mais a condition de signifier par ces deux mots les deux faces d’un seul

et même acte. » Labauche, <>i>. cit., >. 285.

Même dans l’Ancien Testament, le pardon divin ne va pas sans la communication d’un esprit nouveau, Ps. i.. 12 ; Jer.. xxxi. : il sep : Ez., xxxvi, 26. I. 'Évangile en apporte la réalité, Matth., v, 20 ; xiii, 23 et 33 ; Joa.. m. 5 : XV, 1-7 ; xvii, 21, et les apôtres en décrivent â l’eiivi le magnifique épanouissement. Tit., iii, 5 ; I Petr., i. 3, 15-10 ; ii, 1-11. Saint Paul est loin de faire exception. Car, pour lui, la justification n’est pas seulement future, mais déjà réalisée dans le présent. Rom., iii, 24 et v, 1. Et si elle s’enveloppe volontiers de formes judiciaires, elle est toujours effective et réelle au fond. Rom., v, 19 ; II Cor., v, 17 ; Gal., vi, 15 ; Eph., iv, 24. L’ensemble du Nouveau Testament suggère en traits multiples et variés une même mystique, qui faisait alors plus que jamais tout le fond du christianisme et se ramène à ces deux termes connexes : la vie du croyant dans le Christ ou la vie du Christ dans le croyant. Est-il besoin d’ajouter que cette création de l’homme nouveau coïncide avec la destruction du vieil homme de péché, c’est-à-dire avec l’acte même qui nous unit à la grâce du Christ, sans que rien autorise â pratiquer une dissociation chimérique entre ces deux réalités indissolubles que sont la justification et la sanctification ?

Plus récemement on a imaginé, dans quelques écoles protestantes, que cette sanctification initiale serait une simple anticipation de ce qui sera plus tard une réalité. Voir Grétillat, op. cit., p. 4JJ8. Et il est vrai que cette première grâce est appelée à se développer ; mais encore faut-il, pour qu’il y ait anticipation véritable, que le germe en existe dès le début. Si elle n’est pas une simple formule verbale, cette « théorie proleptique » signifie un retour déguisé, et par là-même insullisant, à la réalité de la grâce telle que l’a toujours enseignée l'Église.

On ne voit d’ailleurs pas comment une imputation purement extrinsèque peut avoir un sens devant Dieu, comment surtout elle est psychologiquement compatible avec cette vie nouvelle que les protestants euxmêmes demandent au chrétien. Non sans raison le cardinal Billot évoque à ce propos l’image évangélique du sépulcre blanchi. De gratia Christi, Rome, 1920, p. 212-213 Au contraire, puisque la loi du bien est de se répandre, il convient que Dieu communique à l'âme qui retrouve sa grâce une partie de son infinie sainteté, et, si l’on fait intervenir l’ordre chrétien, que la rédemption se traduise par une restauration de notre nature. L’homme ne gagne pas seulement à ce réalisme surnaturel un sentiment plus haut de sa grandeur, mais une puissance efficace d’action Il n’y a d’ailleurs pas lieu de craindre l’orgueil ; car cette grâce de vie nouvelle reste un don de Dieu et une source de plus grandes responsabilités.

c) Question d'école. — Une fois la justification ainsi comprise, on peut discuter le rapport théorique de ses deux éléments constitutifs.

I. école scotiste a toujours admis que le lien entre l’expulsion du péché et l’infusion de la grâce est ddrdre accidentel et extrinsèque. En toute rigueur, on pourrait concevoir que le péché fût remis sans que lui infusée la grâce et réciproquement. Tout en combattant cette conception. De gratia, t. VII, c. xix, p. 24 1-252, Suarez s’en rapproche par la thèse suivante, qu’il affirme et démontre aussitôt après, c. xx, p. 252-265 : Sou dubito quin possit liabilus charitatis iujuudi sine habilu gratinpeccatori et consequenter possit habitua carilatis u gratia separalus de absolula Dei potentia conseruari vel infundi homini existtnti m statu peccati mortalis et permanenti in Mo. Sur les rapports formels de la grâce et du péché, voir ibid., c. Mi-xviii, p. 182-241, ou l’auteur soutient notamment, c, xii, n. 12, p. 186 : l’cr justitinrn inluvrcntem et informantem animam non expellitur peccatum sine

peculiari voluntate quasi cooperaliva Dei ad remissionem peccaii. — Contre ces diverses nuances du nominalisræ l'école thomiste soutient que l’opposition entre le péché et la grâce est l’ondée sur la nature même des choses et que, dès lors, la justification a pour terme nécessaire une véritable rémission des péchés. Voir Billot, op. cit., th. xv, p. 214-224. En plus des autorités qui l’appuient, cette conception théologique a l’avantage de s’opposer plus nettement au protestantisme et de mieux correspondre à nos manières actuelles de penser.

Quoi qu’il en soit de ces discussions spéculatives, ce qu’il importe de retenir en tout cas, c’est que, dans le plan actuel de la Providence surnaturelle, la justification du pécheur signifie la communication d’une réelle sainteté. Par où le dogme catholique, en plus de ses attaches traditionnelles incontestables, s’enracine au plus profond de la vie chrétienne.

3. Essence de la justification.

Mais encore de cette sanctification peut-on se demander quelle est l’essence intime ou, en termes d'école, le principe formel.

Du moment que la grâce est une réalité d’ordre surnaturel, il est certain que c’est en Dieu qu’il en taut chercher la source. Étant une participation à la vie divine, voir Grâce, t. vi, col. 1612-1615, elle ne peut qu'être en elle-même un bien d’ordre essentiellement divin. Voilà pourquoi le concile de Trente enseigne que la « cause formelle unique de notre justification est la justice même de Dieu. » Non pas évidemment cette justice qui est l’attribut personnel et la propriété immanente de l'être divin, mais celle qui de lui découle sur sa créature : Justifia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos jucil. Mais, comme cette vie surnaturelle nous vient dans et par le Verbe incarné, on peut et doit dire avec saint Paul, I Cor., i, 30, que le Christ est « notre justice » ou, avec le concile de Trente, sess. vi, can. 10, que notre justice est celle du Christ. Les deux principes ainsi hiérarchisés n’en font, en réalité, qu’un seul : d’après le langage de l’Apôtre, II Cor., v, 21, « dans le Christ nous sommes laits justice de Dieu. >

Cependant il ne peut en être ainsi que si cette justice devient véritablement nôtre, c’est-à-dire se réalise et s’actualise en nous. Voilà pourquoi le concile de Trente précise qu’elle nous est accordée, qua ab eo donati, que nous la recevons en nous, justiliam in nobis recipienles, que la grâce est répandue dans nos cœurs et leur devient inhérente, c. vu et can. 11. Par où il condamne la conception des protestants qui ne voulaient admettre qu’une justice imputée, c’est-à-dire n’emportant aucune modification de notre être intérieur, et concevaient tout au plus la grâce simplement comme une dénomination extérieure pour exprimer la « faveur de Dieu » à notre égard. Mais, par là-même, il semble bien écarter aussi la conception de Pierre Lombard et de quelques autres anciens scolastiques, qui n’admettaient qu’une grâce incréée. Voir Katschthaler, De gratia, Ratisbonne, 1880, p. 282-283.

Il s’ensuit donc qu’il laut considérer la grâce comme un effet créé, qui a son principe en Dieu assurément, mais qui en est distinct et se réalise mystérieusement en notre âme pour l’assimiler à Dieu. Dans ces termes généraux, Suarez estime que cette doctrine est de foi définie depuis le concile de Trente, op. cit., t. VI, c. iii, p. 12-20. Elle exprime, en tout cas, la pensée la plus cei taine de l'Église et de la théologie catholique. Le concile du Vatican se proposait de la fixer encore une fois en définissant la grâce comme un donum supernaturale permanens et in anima inhserens. Cependant, puisque l'Église s’est soigneusement abstenue d’imposer les concepts scolastiques de qualitas ou d’habitus, il s’ensuit qu’elle n’excl it pas absolument l’opinion ancienne, reprise par Petau, qui explique la grâce

par l’habitation du Saint-Esprit, à condition d’entendre que ce principe se traduit par une réalité spirituelle et permanente en nous.

C’est à la théologie de la grâce qu’il appartient de développer cette notion, voir t. vi, col. 1609"-1612. Il sullit d’en retenir ici le principe qui caractérise exactement le concept catholique de la justification et que l’on ne saurait mieux résumer que dans les termes si pleins du concile de Trente, c. xvi, Denz., n. 809, et Cav., n. 889 : « Ainsi notre propre justice n’est pas déclarée propre comme si elle venait de nous, et l’on n’ignore ni ne repousse la justice de Dieu, Rom., x, 3. Car la même justice qui est dite nôtre parce qu’elle nous est inhérente et que par elle nous sommes justifiés est aussi la justice de Dieu pane qu’elle nous est infusée par Dieu au nom des mérites du Christ. »

On s’explique par là que la justice nous soit étrangère par son origine et que saint Paul puisse la comparer à un habit dont nous sommes revêtus, Eph., iv, 24, et Gal., iii, 27, mais aussi qu’elle soit réellement devenue notre propre bien depuis que la charité de Dieu est répandue en nous. Rom., v, 5. Dans ce sens, Bellarmiii, Z)e/'(is//y., ii, 7, Opéra, t. vi, p. 227, et d’autres après lui, Katschlhaler, op. cit., p. 261-205, ont admis qu’on puisse d’une certaine façon parler d’imputation. Non pas d’une imputation tout extérieure qui ferait de la justice du Christ le principe formel de notre justification — justificari sola imputatione justilue Christi, suivant la nuance très précise du concile de Trente, can. Il — mais, si l’on peut dire, d’une imputation active qui nous communique réellement la vie surnaturelle dont le Christ est en nous l’auteur et l’agent.

Propriétés de la justification.

-Cette conception

catholique de la justification commande celle de ses caractères. Quelques mots nous suffiront, la question ayant été largement traitév à l’art. Grâce, t. vi, col. 1616-1630, dont la justification est ici particulièrement inséparable.

1. Incertitude de la justification.

En vertu de leur conception anthropocentrique, les protestants étaient obligés de dire que la justification peut et doit être connue d’une manière certaine, sous peine d'être pratiquement comme si elle n'était pas. Le drame de conscience dont le péché est la cause ne peut se dénouer que par une assurance subjective, quand la foi en est le terme, ou, sinon, par le désespoir.

Au contraire, la doctrine catholique, parce qu’elle fait consister la foi dans la soumission à Dieu et dans l’effort moral qui en est la suite logique, est bien placée pour reconnaître ce fait d’expérience indéniable que nos dispositions sont toujours imparfaites et fort au-dessous de ce que Dieu était en droit d’attendre de notre collaboration. Quelles que soient donc les garanties objectives de notre salut, il reste un aléa dans leur application subjective. Ainsi voit-on dans l'Écriture que les meilleures âmes témoignent de cette humble défiance à laquelle personne ne saurait sans une funeste illusion échapper ici-bas. Eccl., ix, 1 ; Job, ix, 20 ; Prov., xxix, 9 ; Eccli., v, 5 ; I Cor., iv, 4 ; Phil., ir, 12. La raison théologique de son côté montre que la grâce n’est pas affaire d’expérience. Billot, op. cit., p. 207-208. Il n’y a aucun moyen d’excepter de cette règle la première grâce ou le fait même de la justification. C’est pourquoi il faut dire que la justification ne peut pas être connue d’une manière absolument certaine, bien qu’on la puisse conjecturer par des indices suffisants pour nous en donner une certitude morale. Voir Grâce, t. vi. col. 1616-1626. Ainsi se concilie la souveraine sainteté de Dieu, qui doit toujours nous inspirer une crainte salutaire, avec le besoin de confiance qui est une loi de notre vie.

2. Inégalité de la justification. '- Dans le système protestant, où la grâce de Dieu n’esl qu’une faveur

extrinsèque et où tout se ramène â la non-imputation

du péché, il ne saurait être question de degrés dans la justification. Ou elle n’existe pas, ou elle est un nonlieu égal pour tous les pécheurs. Une mesure d’amnistie peut couvrir des fautes plus ou moins nombreuses et graves : en elle-même elle ne comporte pas d’inégalité. Il en va autrement dans la conception catholique, où la justification se traduit par une réalité intérieure, par une sanctification effective de l’âme qui la reçoit. Dès lors, l’inégalité est non seulement possible, mais nécessaire et normale. « Nous recevons en nous la justice, enseigne le concile de Trente, chacun selon sa mesure. » Deux causes la font varier, savoir < le Saint-Esprit qui distribue à chacun ses dons comme il le veut, 1 Cor., xii, 11, puis notre propre disposition et coopération. » Sess. vi, c. vii, Denz.. n. 789. et Cav., n. 879. Ces principes valent éminemment pour le cas de la contrition parfaite, mais aussi pour le cas des sacrements, dont l’efficacité ex opère operato se diversifie suivant les dispositions personnelles du sujet. Voir Sacrement.

3. Développement de la justification. - — En conséquence de cette inégalité initiale et sous l’action des mêmes causes, la grâce de la justification peut et doit se développer. Mais il importe ici d’en bien distinguer l’origine et le processus ultérieur.

Bien qu’elle soit l’objet d’une préparation qui dans beaucoup de cas peut être lente et progressive, la justification en elle-même, sous peine de perdre son caractère surnaturel, doit être considérée comme un acte divin qui se produit instantanément. C’est la doctrine foimelle de saint Thomas, D Ilæ, q. r.xiii, art. 7, et des théologiens modernes. Voir Grâce, t. vi, toi. 1631, et Katschthaler, op. cit., p. 271-275. Mais cette première grâce est destinée à s’accroître et dans ce sens la justification est progressive. Voir Grâce, l. vi, col. 162(5-1028. Ce progrès est souvent marqué dans l’Écriture, Prov., iv, 18 ; Eccli., xviii, 22 ; Il Cor., iv, 10 ; Apec, xxii, 11 ; II Petr.. iii, 18, et expressément enseigné au concile de Trente, c. x, Denz., n. 803, et Cav., n. 873. Est-il besoin d’ajouter qu’il n’est pas de loi plus conforme aux conditions générales de notre vie intérieure ici-bas et plus capable, en même temps qie de grandir l’homme à ses propres yeux, de stimuler ses ell’orts dans la voie du bien ?

Ce développement de la justification est dû pour une large paît aux initiatives incontrôlables et aux poussées mystérieuses de la grâce divine. Mais il dépend aussi et en même temps de notre action personnelle. Parce qu’elle a reçu une grâce de régénération et de vie, l’âme justifiée peut et doit devenir l’ouvrière de son propre perfectionnement. Obligés à faire une place aux œuvres, les protestants ne les voulaient admettre que comme signes de la justilical tion. Contre eux le concile de’fiente en marque expressément la valeur réelle : de même qu’elles préparent l’avènement de la grâce sanctifiante dans nos âmes, elles sont la cause de son développement, eau. 21, Denz.. n. 834, et « ’.av., n. 892. Voir MÉRITE.

Nulle part n’apparaît mieux l’économie du surnaturel selon l’Église catholique, qui associe l’homme à l’action de Dieu et lui accorde l’honneur, en même . temps qu’elle lui impose le devoir, d’y collaborer. Conçue dans son principe comme une grâce de régénération spirituelle, la justification devient ensuite le moyen de la réaliser par des actes effectifs. N’est-il pas écrit que le bon arbre porte "le bons fruits et que, s’il vient a être stérile, il sera coupé el jeté au feu’.'

4. Amissibililé de lu justification. Comme tout le capital spirituel de l’homme ici-bas. la grâce de la justification peut se perdre. Plus encore que la raison, l’expérience atteste la versatilité du libre arbitre. Aussi l’Écriture multiplie-t-elle les appels à la vigilance

devant le danger toujours menaçant. Et cette instabilité, en même temps qu’elle est une condition inévitable de l’épreuve présente, devient une source d’effort moral.

Il faut pour échapper à ces évidences céder à un pharisaïsme naïf comme celui de Jovinien, voir col. 1577, ou tomber dans le prédestinatianisme absolu qui fut l’erreur de Calvin. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1406. Aussi le concile de Trente se contentet-il de quelques mots pour déclarer qu’< une fois justifié l’homme peut pécher encore et perdre la grâce, » can. 23, Denz., n. 833, et Cav., n. 892. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne fut pas véritablement justifié, mais qu’il a cessé d’en remplir les conditions.

Parmi ces conditions le protestantisme ne demande que la foi. Aussi le paradoxe passionné de son mysticisme et son mépris des œuvres conduisaient-ils Luther à déclarer la grâce de la justification compatible avec les pires désordres, tant que la foi restait sincère et vivace. La doctrine catholique, au contraire, fait dépendre de nos œuvres la durée tout comme l’origine de notre justification. Ce n’est pas seulement l’infidélité, mais tout péché grave qui peut la détruire. Voir Grâce, t. vi, col. 1628-1630. En quoi l’Église manifeste une fois de plus son intention de ne pas séparer, dans l’économie pratique de notre salut, l’élément religieux de l’élément moral, et de solidariser ou, mieux encore, de fondre dans la plus intime union la grâce de Dieu et le concours de notre volonté.

Conclusion générale. — Ainsi la doctrine catholique bien comprise se présente avec un caractère de plénitude propre à satisfaire tout â la fois le philosophe et le théologien. Tandis que celui-là y peut découvrir une conception harmonieusement équilibrée de l’ordre surnaturel, celui-ci constate sans peine, par de la les déviations tendancieuses du protestantisme, les multiples attaches qui la mettent en continuité avec la révélation scripturaire et la tradition patristique. Le rapport est ici tellement direct entre la foi définie au concile de Trente et les sources du christianisme primitif, si l’on prend celui-ci dans toute sa teneur, qu’on peut â peine parler de développement, sinon au sens tout extérieur d’un progrès dans la précision des analyses et l’ampleur de la systématisation.

Sans le trouble jeté par la Réforme dans les intelligences et les âmes, l’Église n’aurait peut-être jamais eu à intervenir en matière de justification et il n’est sans doute pas de définition dogmatique qui se tienne plus près du donné traditionnel, lai plus de son auto rite surnaturelle qui fixe le croyant, la raison, l’histoire et l’expérience s’unissent pour reconnaître dans ses formules discrètes le juste milieu propre à consolider, entre les prétentions inverses d’un rationalisme areligieux et d’un mysticisme amoral, le plus précieux de l’héritage chrétien.

Bibliographie. — Sans revenir sur les sources qui ont été signalées aux endroits respectifs de cet article, ou se contentera de grouper ici les principales publications modernes qui les ont exploitées et qui peuvent, à des titres divers, permettre encore d’en tirer parti. Cette question est naturellement le Bel des protestants et e’est assez dire quelles réserves s’imposent, en ce qui concerne la doctrine catholique, à l’égard de travaux toujours plus ou moins inspirés par les préjugés confessionnels.

I. Histoire de la doctrine : fin ois <i m h mi Une.doctrine aussi complexe que celle de la justification n’est guère susceptible d’être traitée sous forme de monographie. Mais elle tient une grande place :

1° Dans les histoires, surtout protestantes, du dogme de lu Rédemption. La plus complète a cet égard est Albert Rltschl, Die christliche Lettre von der Rechlfertigung und

Versôhnung, lîonn. Il’édit., 1889, I. i. On trouve aussi de

précieux renseignements, pour l’Allemagne, dans Chr. Baux, 222 :

JUSTIFICATION

2226

Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, et, pour l’Angleterre, dans L. W. Grensted, A short hislory o/ the doctrine o/ the Atonement, Manchester, 1920. Éléments partiels dans W. Liese, Der heilsnolwendige Glaube, Fiibourg-en-B., 1902.

Dans les histoires générales du dogme.

1. Du côté

protestant. — Les plus riches en données positives sont, parmi les anciennes, G. Thomasius, Die christliche Dogmengeschichte, Erlangen, 1874-1876 ; parmi les modernes : F. Loofs, Leilfaden zum Sludium der Dogmengeschichte, .2e édit., Halle, 1906 ; R. Seeberg, Lelirbuch der Dogmengeschichte, Leipzig, 1908-1917. — 2. Du côté catholique. — J. Schwane, Histoire des dogmes, traduct. française par A. Degert, Paris, 1909-1915, et, pour la période patristique, J. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 19091915.

3° Matériaux dans les œuvres des vieux controversistes. — Les plus importants sont : 1. Du côté protestant : Hermann Hamelmann, Unanimis omnium Patrum ex apostolica Ecclesia, ex Media JElate et quipostremis vixerunt seculis consensus de vera j usti ficatione hominis coram Deo, Ursel, 1562 ; Martin Chemnitz, Loci communes, Francfort, 1591, et Examen concilii Tridentini, Francfort, 1596, étudié par R.Mumm, Die Polemik des Martin Chemnitz gegen das Konzil von Trient, Leipzig, 1905 ; J.Gerhard, Loci theologici, édit. Cotta, Tubingue, 1762 sq., et Confessio catholica, Francfort, 1670.

— 2. Du côté catholique : Th. Stapleton, Universa justificationis doctrina hodie controversa, Paris, 1581 ; R. Bellarmin, Décimas quortæ controversiæ generalis de reparatione graliæ controversia secunda principalis : De justificatione impii et bonis operibus generalim, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, Paris, 1873, p. 145-386.

II. Histoire de la doctrine : Études spéciales. — 1° Période antérieure à la Ré/orme. — 1. Chez les Pères. — Ad. Harnack, Geschichte der Lehre von der Seligkeit allein durch den Glauben in der allen Kirche, dans Zeitschrift fur Théologie und Kirche, 1891, t. i, p. 82-178 ; J. Kôrber, Sanctus Irenxus de gratia sanctificante, Wurzbourg, 1866 ; J. B. Aufhauser, Die Heihlehre des hl. Gregor von Nyssa, Munich, 1910 ; E. SchoU, Die Lehre des hl. Basilius von der Gnade, Fribourg-en-B., 1881 ; Kohlhofer, Sanctus Cyrillus Alexandrinus de sanctificatione, Wurzbourg, 1866 ; E. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cyrill von Alexandrien, Mayence, 1905 ; J. Mahé, La sanctification d’après saint Cyrille d’Alexandrie, dans Revue d’histoire ecclésiastique (de Louvain), 1909, t. x, p. 30-40 et 479-492 ; J. Mausbach, Die Elhik des heiligen Augustinus, Fribourg-en-B., 1909.

2. Moyen Age.

H. Denifle, Die abendlàndischen

Schriftausleger bis Luther iiber Justitia Dei (Rom., I, 17) und Justificatio, Mayence, 1905 ; critiqué par K. Holl, Die Justitia Dei in der vorlutherischen Bibelauslegung des Abendlandes, dans Festgabe von Fachgenossen und Freunden A. von Harnack… dargebracht, Tubingue, 1921, p. 73-92 ; Albert Ritschl, Lesefrùchte aus dem hl. Bernhard, dans Theologische Studien und Kritiken, 1879, t. Ln, p. 317-334 ; J. Gottschick, Studien zur Versôhnungslehre des Mittelullers, dans Zeitschrift fiir Kirchengeschichte, t. xxi-xxiv, 1901, p. 378-438 ; 1902, p. 35-67, 191-222, 321-375 ; 1903, p. 15-45 et 198-231 ; K. Heim, Das Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1907 ; J. Stufler, Die entfernte Vorbereitung auf die Rechtfertigung nach dem hl. Thomas, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, 1923, t. xlvii, p. 1-24, 171-184 ; F. Biehler, Die Rechtferligungslehrc des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die Tridentinische Beschliisse, dans Zeitschrift fiir die kirchliche Wissemehaft und kirchliches Leben, 1886, t. vii, p. 417-434 ; P. Minges, Die Gnadenlehre des Duns Scotus, Munster, 1906 ; Alphonse Victor Millier, Luthers theologische Quellen, (liessen, 1912 ; Luther und Tauler, Berne, 1918 ; Ag. Favaroni e la teologia di Lutero, dans Bilychnis, 1914, p. 373387 ; O. Scheel, Aus der Geschichte der mittelallerlichen Rechtfertigungslehre, dans Theologische Rundschau, 1913, t. xvi, p. 58-75 et 95-111 ; J. Paquier, Luther et l’augustinisme, dans Revue de philosophie, 1923, t. xxiii, p. 197-208 ; du même, Un essai de théologie platonicienne à la Renaissance : le commentaire de Gilles de Viterbe sur le I" livre des Sentences, dans Recherches de science religieuse, 1923, p. 293-313 et 419-437 ; G. Ficker, Das uusgehende Mittelultcr und sein Verhàltniss zur Reformation, Leipzig, 1903 ; C. Stange, Ueber Luthers Beziehungen zur Théologie seines Oiiens, dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1900, t. XI, p. 574585 ; Luther iiber Gregor von Rimini, ibid., 1902, t. xiii, p. 721-727 ; O. Scheel, Taulers Myslik und Luthers reformer. DE THÉOL. CATHOL.

matorische Entdeckung, dans Festgabe fiir D’Julius Kaftan, Tubingue, 1920, p. 248-318.

Période de la Réforme.

1. Études d’ensemble. —

J. A. Mohler, Symbolik, 1e édit., Mayence, 1832 ; 8e édit. définitive, Mayence, 1872, et Neue Unlersuchungen der Lehrengegensatze zwischen den Katholiken und Protestanten, Mayence, 1834, édit. définitive, Ratisbonne, 1872 ; critiqué par Chr. Baur, Der Gegensatz des Katholicismu.-. und Protestantismus nach den Principien und Hauptdogmen der beiden Lehrbegriffe, Tubingue, 1833, et C. J. Nitsch, Fine protestantische Beantwortung der Symbolik Môhlers, 1835 ; I. Dôllinger, Die Reformation, Ratisbonne, 18461848 ; Kirche und Kirchen, Munich, 1861 ; critiqué par J. E. Osiander, Bemerkungen iiber die evangelische Rechtfertigungslehre und ihre Geschichte, dans Jahrbucher fin deulsche Théologie, 1863, t. vrn, p. 691-715 ; F. Loofs, Der articulus slanlis et cadenlis Ecclesiæ, Gotha, 1917 (extrait des Theologische Studien und Kritiken, t. xc, p. 323-420) ; K. Holl, Die Rechtfertigungslehre im Licht der Geschichk des Protestantismus, 2e édit., Tubingue, 1922 ; Mathia : -Schneckenburger, Ycrgleichende Darstellung des lutherisclien und reformierten Lehrbegriffs, édit. posthume par Ed. Gûder Stuttgart, 1855 ; W. Gass, Geschichte der protestantischeu Dogmalik, Berlin, 1854-1867 ; K. Krogh-Tonning, Dit Gnadenlehre und die stille Reformation, Christiania, 1894.

2. Monographies.

K. Holl, Die Rechtfertigungslehn in Luthers Vorlesung ùber den Rômerbrief, dans Zeitschrifl fur Théologie und Kirche, 1910, t. xx, p. 245-291 ; A. Hering, Die Mystik Luthers im Zusammenhang seiner Théologie, Leipzig, 1879 ; K. Thieme, Die sittliche Triebkra/I des Glaubens. Eine Untersuchung zu Luthers Théologie, Leipzig, 1895 ; A. W. Dieckhoff, Luthers Lehre in ihrer erster Gestalt, Rostock, 1887 ; Th. Harnack, Luthers Théologie, Erlangen, 1862 ; J. Kôstlin, Luthers Theologie, 2’édit.. Stuttgart, 1901 ; H. Mandel, Die scholastische Rechtferti gungslehre. Ihre Bedeutung fiir Luthers Entwickelung Greifswald, 1906 ; F. Loofs, Justitia Dei passiva i Luthers Anfdngen, dans Theologische Studien und Kril ken, 1911, t. lxxxiv, p. 461-473 ; critiqué par O. Sche.e Die Justitia Dei passiva in Luthers reformatoriscli* Rechtfertigungslehre, dans Aus Deutschlands kirchlicht r Vergangenheil, Festschrifl zu… Th. Brieger, Leipzig, 191 p. 93-115 ; Em. Hirsch, Initium theologiæ Lulheri, da Festgabe fiir Dr. Julius Kaftan, Tubingue, 1920, p. 150-1 (i A. Jundt, Le développement de la pensée religieuse de Luth jusqu’en 1517, Paris, 1905 ; H. Denifle, Luther und Luliie, tum, 2e édit., Mayence, 1904-1906 ; traduction française p J. Paquier, Luther et le luthéranisme, Paris, 1913-10 H. Balavoine, La définition de la justification selon Cah> Strasbourg, 1864 ; A. Bôgner, Quid Joannes Calvinus fide senserit, Strasbourg, 1876 ; J. Haussleiter, Melanchtli loci prsecipui und Thesen iiber die Rechtfertigung, da Abhandlungen Alexander von Ottingen gewidmet, Erlangci 1890, p. 250-257 ; F. Loofs, Die Bedeutung der Rechtfei gungslehre der Apologie fiir die Symbolik der lutherispi Kirchen, dans Theologische Studien und Kritiken, IN t. Lvn, p. 613-688 ; critiqué par A. Eichhorn.Di’e Recht) tigungslehre der Apologie, même périodique, 1887, t. p. 415-491 ; E. von Frank, Rechtfertigung und Wiedergebi dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1892, t. nr, p. 846 C. Stange, Uber eine Stelle in der Apologie. Ein Beitrag zu Rechtfertigungslehre der Apologie, même périodique, IN t. x, p. 169-190 ; Zum Sprachgebrauch der Reehtferligune, lehre in der Apologie in ihrem geschichllichen Gegenst zur mittelalterlichen und glcichzeitigen katholischen Theob ; dans Theologische Studien und Kritiken, 1906, t. lx^ p. 86-132 et 200-236 ; K. Thieme, Zur Rechtferti gungsl der Apologie, ibid., t. lxxx, p. 363-389 ; Otto Ritschl, l doppelte Rechtfertigungsbegriff in der Apologie der Ai burgischen Confession, dans Zeitschrift fiir Theologir, Kirche, 1910, t. xx, p. 292-338 ; J. Gottschick, Die Heil wissheit des evangelischen Christen im Anschluss an Lui même périodique, 1903, t. xrn, p. 349-435 ; J. Kunze, Rechtfertigungslehre in der Apologie, Giitersloh, 19 G. Kawerau, Johann Agricola, Berlin, 1881 ; du raï Beitràge sur Reformationsgeschichle, Gotha, 1896 ; W. 1’ger, Mathias Flacius Illyricus, Erlangen, 1859 ; Ail Ritschl, Die Rechtfertigungslehre des Andréas Osian dans J<ihrbiicher fiir deulsche Théologie, 1857, t. ii, p. 7 829 ; W. Moller, Andréas Osiander, Èlberfcld, 1870, C. von Kugelgen, Die Rechtfertigungslehre des Joh. Br< Leipzig, 1899 ; A. Grétillat, Bcck et sa doctrine de la ji fication, dans Revue de théologie et de philosophie, 18

VIII. — 71 222"

.JUSTIFICATION

JUSTIN, VIE

2228

t. wii. p. 5-80 et 144-181 ; Ebrard, Sola. Wissenschaftliche Beleuchtung von Beck’s Rechtfertigungslehre, 1871 ; critiqué par Sturhahn, Die Rechtfertigungslehre von Deck, Leipzig, 1890 ; E. T. Gestrin, Die Rcciit/crtigungslehre der Professoral der Théologie J. T. Beck, (). F. Mgrberg inul A. W. lngmarm, Berlin, 1891.

Concile île Tri nie.

1. Le milieu théologique. —

H. Laminer, Die nortridentiniseh-kutholiselw Théologie, Berlin, 18.">S ; Linsenmann, Alberlus Pighius und sein theologischer Standpunkt, dans Theologische Quartalschrift, 1866, t. XLvra, p. 571-644 ; Th. Brieger, Die Rechtfertigungslehre des Cardinal Contarini, dans Theologische Studien und Kritiken, 1872, t. xlv, p. 87-150 ; Et. Ehses, Johannes Groppers Rechtfertigungslehre auf dent Konzil von Trient, dans Rômische Quartalschrift, 1900, t. xx, section d’histoire, p. 175-188 ; Y. Braun, Gasparo Contarini oder der - Reformkatholizismus unserer Tage im Lichte der Geschichte, Leipzig, 1903.

2. Doctrine conciliaire.

Concilium Tridentinum, t. : Aclorum pars altéra, édit. Et, Ehses, Fribourg-en-B., 1911 ; IL Seeberg, Beilràge zut Entstehungsgeschichte der I.chrdecrete des Konzils von Trient, dans Zeitsehrift fur kirehliche Wissenschafi und kirchliches Leben, 1889, t. x, p. 546-559 ; 604-G16 et 613-700 ; W. Maurenbrechci, Tridentincr Conzil. Die Lehre von der Erbsiinde und der Reehtferligung, dans Historisches Taschenbuch, 1890, VI « série, t.rx, , p. 237-330 ; J. llelner, Die Entstehuhgsgeschichte des Trienter Rechtfertigungsdekreles, Paderborn, 1909 ; A. Pruntbs, Die Stellung des Trienter Conzils zu der T’rage nacli déni Wesen der heiligmachenden Giw.de, Paderborn, 1909.

III. Exposé systématique de la doctrine.

1° Chez les protestants. — Toutes les dogmatiques protestantes traitent plus ou moins copieusement de la justification. On se contentera designaler ici quelques ouvrages propres à orienter sur les tendances actuelles de la Réforme. — l.Du eaté libéral. — Albert Btitsohl, Die ehristliche Lehre von der Reehtferligung und 'ersohnung, 3 édit., Bonn, 1889, t. m ; résumé et critique du point de vue orthodoxe par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891 ; Aug. Sabalier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904 ; Eug. Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921. — 2. Du côté orthodoxe. — G. Thomasius, Christi Persan und Wcrk, 3e édit., par F. J. Wûrtar, Erlangen, 1888, t. ii, p. 370-392 ; Ed. Boni, Von der Reehtferligung durch Glauben, Leipzig, 1890 ; L. Ihmels, Die Rechtfertigung allein durch den Glauben muser f ester Grand Romgegenùber, -ùtws Neue-kirohliche Zeitsehrifl, 1904, t. xv, p. 618-648 ; du même, Allein durcli tien Glauben, Leipzig, 1918 ; K. lloll, Was hut die Rechtfirligungslehre dem modernen Menschen zu sagen '.' 1907 ;.lellinghaus, 1j>as volligi iftige Jleil durch (Jiristus,

5e édit., 1903 ; E. Rietschel, Lulherische Iteeht/ertigungslehre oder moderne Meilrgungslehre, 1909 ; G. S. l’abci, The primitive doctrine <>/ justification, 1839 ; J. Puchanan, 'The doctrine tif justification. 1867 ; IL W. Mensell, llie religion of Rédemption, édition populaire, Londres, 1901 ; IL C. Moberly, Atonement and Personaliiy, Londres, 1907 ;.1. Denney, The Christian doctrine of réconciliation, Londres et New-York, 1918 ; P. L. Snowden, The atonement ami ourselves, Londres, 1919 : A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, Paris, 1890, t. iv, p. 369-428 ;.1. Hoon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1896, t. il, p. 228294.

Résumés par A. Matler, ait. Justification, dans Lichteni, Encyclopédie des sciences religieuses, Paris, 3880, I. vii, p. ">(>. r)-576 ; L. Ihmels, art. Reohtfertigung, dans Realencyolop&die, 3 édit., 1905, t. xi, p. 482-515.

Chez les catholiques.

Moins dé eloppée que chez

les protestants, cette doctrine tient une place plus ou moins étendue dans t"us les traités de la grâce. Les plus utiles sont J. Koteohthaler, ©e gratta, Ratlsbonne, 1860 ; Mazzella, De gratta Christi, Rome, 1892 ; card. L. liiliot, Dr gratta Christi, 5 édit., Home, 1920 ;  !.. Labaucbe, Lepon de théologie dogmatique, t. n : L’homme. - édit., 1921 : rleinrich-Gutberlet, Dogmatische Théologie, Mayence, 1897, t. viii, p. 477-550 ; J. van der Meorsdh,

TractatM de dimno gratin, Bruges, 2 édition, 1924.

Monographies par J. il. Newman, Lectures on the iruir of justification, Londres, 6e édit., 1892 ; L. Nussbanm, Ole i.élire der hathoUschen Kirche ûber Rechtfertigung, M 1 8 "" J. il. Oswald, Die Lehre non der Helligung,

Paderborn, 1885.

J. Hiviëhe.