Dictionnaire de théologie catholique/JUDÉO-CHRÉTIENS II. A l'époque post-apostolique

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 142-150).

II. Les manifestations judéo-chrétiennes a l’époque post-apostolique. —
1° Judéo-chrétiens orthodoxes : les nazaréens. —
2° Judaïsants hérétiques : les ébionites.

I. JUDÉO-CURE’TIENS ORTHODOXES : LES NAZARÉENS.

— Chrétiens issus du judaïsme, qui ajoutent aux pratiques de la religion de Jésus l’observation fidèle et scrupuleuse de la Loi de Moïse. Ils reçurent, à une époque assez tardive, le nom de nazaréens.

1° Leur histoire.

1. L’Église de Jérusalem à la mort de Jacques.

Le chef de l’Église judéo-chrétienne de Jérusalem, Jacques, le frère du Seigneur, mourut en 62. Sa fidélité à la Loi ne l’avait pas préservé de la haine des juifs. Profitant de l’intervalle de confusion et d’anarchie qui s’écoula entre la mort du procureur Festus et l’arrivée de son successeur Albinus, le raiid prêtre Hanan II, qui voyait avec dépit les progrès des premiers chrétiens, convoqua le sanhédrin et obtint une sentence de mort contre Jacques. Jacques fut précipité du haut du temple et lapidé. Eusèbe, H. E., II, xxiii, P. G., t. xx, col. 196 ; Josèphe, Antiqu. jud., t. XX, c. vin.

Il est difficile de déterminer de façon précise l’état d’esprit de la communauté chrétienne de Jérusalem, à la mort de Jacques, On ne saurait attribuer à tous ses membres les idées des judaïsants extrêmes que Paul réfuta au concile de Jérusalem et qu’il combattit en Galatie. Les premiers furent désavoués par les apôtres, présents dans la ville sainte, et Jacques était du nombre. Les seconds étaient peut-être étrangers à Jérusalem. Par contre les envoyés de Jacques qui soulevèrent l’incident d’Antioche entre Pierre et Paul paraissent bien refléter la façon de voir de l’ensemble de la communauté de Jérusalem.

Ces chrétiens sont des zélateurs de la Loi : ils continuent à la pratiquer intégralement ; ils se scandalisent, si elle est violée par un chrétien issu du judaïsme. Jacques était un modèle de cette soumission à la Loi. D’après Hégésippe, « il fut sanctifié dès le sein de sa mère, il ne buvait ni viii, ni boisson enivrante, ne mangeait rien qui ait eu vie ; le rasoir n’avait jamais passé sur sa tête ; il ne se faisait jamais oindre et s’abstenait des bains. A lui seul il était permis d’entrer dans le sanctuaire, car ses habits n’étaient pas de laine, mais de lin. Il entrait seul dans le temple, et on l’y trouvait à genoux, demandant pardon pour le peuple. > Eusèbe, H. E., II, xxiii, P. G., t. xx, col. 197. Quoi qu’il en soit de l’exactitude des renseignements fournis par Hégésippe, et dont plusieurs semblent légendaires, il est incontestable que Jacques attachait à l’observution de la Loi une véritable importance. Il est avec les presbytres qui, lors du dernier voyage de Paul à Jérusalem, se font les interprètes du mécontentement des frères contre l’apôtre. Ces milliers, Ttôffat. u-upiâSèç, de juifs qui ont cru, et qui sont demeurés zélés pour la Loi, ont entendu raconter que l’Apôtre enseignait aux juifs dispersés parmi les gentils de se séparer de Moïse. leur disant de ne pas circoncire leurs enfants et de ne pas se conformer aux coutumes. Act., xxi, 20-21. De graves récriminations sont à craindre de leur part. Pour les écarter, pour éviter des troubles, il faut que Paul consente à témoigner de son respect pour la Loi, en se soumettant à la pratique du nazirat. Les presbytres ne semblent pas prendre absolument à leur compte les reproches de la communauté ; cependant ils tiennent à ce que Paul se montre publiquement observateur de la Loi. Et lorsqu’ils ajoutent : « Quant aux croyants de la gentilité, nous leur avons écrit après avoir décidé [qu’ils n’ont rien à observer de tout cela, 1695

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si ce n’est (mss. C et D) ] qu’ils s’interdisent les idolothytes, le sauf ;, les viandes étouffées et la fornication », Act. xxi, 25, n’est-ce pas pour bien faire remarquer que la décision de Jérusalem ne s’appliquait qu’aux gentils, qu’eux seuls étaient exempts des observances mosaïques, et que ces dernières demeuraient obligatoires pour les chrétiens de la circoncision ?

Comment concevaient-ils cette obligation ? Ce n'était pas à coup sûr comme un simple moyen d’attirer plus facilement les juifs dans l'Église. Il ne parait pas non plus que ce soit seulement par habitude, par difficulté de se détacher d’un long passé où l'élément national avait une part aussi grande que l'élément religieux, ou par une véritable piété et par scrupule de conscience, qu’ils continuent à observer la Loi. Il y avait plus dans leur attitude : si le principe de la justification n'était plus dans la Loi, mais dans la foi en Jésus-Messie, ils considéraient néanmoins que le christianisme était le perfectionnement du judaïsme ; que ce qu’il y avait de nouveau dans l’enseignement de Jésus, et dans les pratiques qui en découlaient, se surajoutait à l’enseignement de la Loi et des Prophètes : que, par le fait, rien ne devait être retranché de ce que leurs pères avaient pratiqué : ils se croyaient tenus de l’observer, comme par le passé.

2. Le successeurs de Jacques, de 62 à 135. — Cet état d’esprit persévéra jusqu'à la destruction des communautés judéo-chrétiennes, englobées dans le massacre des juifs sous Hadrien. Le successeur de Jacques fut Siméon, un autre parent du Sauveur : il était fds de Clopas.. « oncle du Christ ». Sur la nature de la parenté de ce Clopas avec Jésus, voir col. 1171. D’après Eusèbe, H. E., III, xi, P. G., t. xx, col. 245. il fut élu par les apôtres et les disciples, « après le martyre de Jacques et la destruction de Jérusalem, qui arriva en ce temps t. Suivant Hégésippe, cité par Eusèbe, H. E., IV, xxii, ibid., col. 380, il fut choisi, « après le martyre de Jacques. » Or il s’est passé environ huit années entre le martyre de Jacques et la prise de la ville sainte par Titus. Eusèbe se trompe en plaçant les deux événements sensiblement à la même époque, et le témoignage d’Hégésippe doit être préféré au sien : ce dernier connaissait bien les Églises judéo-chrétiennes, étant lui-même judéo-chrétien, et se trouvait très rapproché des événements, puisque Siméon mourut en 107 et que c’est au milieu du second siècle qu’Hégésippe entreprit son voyage à travers le monde chrétien.

Siméon était donc déjà à la tête de l'Église de Jérusalem, lorsque se produisirent les graves événements qui devaient mettre fin à la vie nationale du peuple juif. Dès que commencèrent les premiers troubles et les soulèvements qui allaient amener l’intervention de Vespasien, puis celle de Titus, les chrétiens, avertis par une prophétie du danger qui menaçait leur ville, quittèrent Jérusalem, et se réfugièrent, accompagnés sans doute de leurs frères des autres villes et bourgades de Palestine, à Pella, en Décapole, dans le royaume d’Agrippa IL Eusèbe, H. E., III, v, P. G., t. xx, col. 221. Cette ville devint dès lors le centre principal de l'Église judéo-chrétienne : un autre centre, d’après Jules Africain, se créa à Kokhaba, également dans la région transjordanienne. Eusèbe, II. /-'., I, vii, ibid., col. 97. Lorsque la paix fut rétablie en Judée, un groupe de chrétiens rentra à Jérusalem, vraisemblablement conduit par Siméon. Épiphane, De mens. et pond., 14, P. G., t. xuu, col. 259-262 ; Eusèbe, J)emonst.evanij., III, v, t. xxii, col. 221. Cf. H. Knopf. JJas nachapostolische Zeitaller. Geschichte der christliclien Gemcinden viim lieginn der Flaviendynaslie bis zum Ende 1 lotirions, p. 11-15.

La ruine de Jérusalem et du Temple aurait dû être une leçon pour ces chrétiens. Ceux de la gentililé y virent nettement l’action de la Providence : Dieu se

séparait dé son peuple ; il lui enlevait la possibilité de lui rendre désormais un culte conforme aux prescriptions mosaïques ; il repoussait définitivement les sacrifices ordonnés par la Loi. N’y avait-il pas là une preuve tangible de l’abrogation définitive du mosaïsme ? Les judéo-chrétiens ne comprirent pas. Aveuglés par leur nationalisme, ils voulurent malgré tout demeurer Juifs. Ils continuèrent à circoncire leurs enfants pour les attacher à la nation juive ; ils remplirent toutes les prescriptions de la Loi, même les moins importantes : ablutions et purifications ; ils gardèrent scrupuleusement le sabbat, observèrent les fêtes, etc.

Ils eurent toujours à leur tête des Hébreux de vieille roche, ouç Tuâvrocç 'Eopaîouç <paaîv ôvtxç àvéxaŒv. dit Eusèbe, H. E., IV, v, P. G., t. xx, col. 309. Siméon gouverna la communauté depuis la mort de Jacques jusqu’en 107. Il mourut martyr, à l'âge de 120 ans, sous Trajan, Atticus étant gouverneur de Palestine. Eusèbe, II. / ;., III, xxxii, col. 281. On connaît après lui treize évêques judéo-chrétiens, dont les noms nous ont été conservés par Eusèbe. « Le premier fut donc Jacques, le frère du Seigneur ; le second après lui, Siméon ; le troisième, Juste ; Zacchée, le quatrième ; le cinquième, Tobie ; le sixième, Benjamin ; Jean, le septième ; le huitième, Matthias ; le neuvième, Philippe ; le dixième, Sénèque ; le onzième, Juste ; Lévi, le douzième ; Éphrem, le treizième ; le quatorzième, Joseph ; enfin le quinzième, Judas. Tels furent les évêques de la ville de Jérusalem depuis les apôtres, jusqu’au temps dont il est question présentement ; ils appartenaient tous à la circoncision. » H. E., IV, v, col. 309. Judas fut le dernier évêque de la circoncision. Ce fut le soulèvement de Bar-Kochéba et la guerre qui suivit qui mirent fin à l’existence de cette chrétienté, en l’an 19 d’Hadrien (135-136). L’empereur interdit aux juifs, et par le fait aux chrétiens de la circoncision, d’habiter yElia Capitolina, la nouvelle ville, construite sur les ruines de Jérusalem.

Il y eut ainsi quinze évêques de la circoncision. Jacques et Siméon étant mis à part, cela fait treize évêques pour un espace de moins de trente ans. C’est évidemment trop. A. Michiels, voit dans les troubles et les persécutions de l'époque, l’explication de cette anomalie. L’origine de l'Épiscopat, Louvain, 1900, p. 357. L. Duchesne, dans les Origines chrétiennes, (cours lithographie) c. x, p. 140, émet plusieurs hypothèses : « la première liste d’Eusèbe ne peut être acceptée que si l’on admet, ou une durée plus longue, ou plusieurs évêques simultanés. Les deux hypothèses sont possibles, car Eusèbe a tort d’introduire la révolte de Bar-Kochéba comme une époque dans la vie de l'Église de Jérusalem. Celle-ci avait émigré vers l’année 68, et ne pouvait être rentrée à Jérusalem, que d’ailleurs l’insurrection de Bar-Kochéba ne toucha pas. Il se peut que la liste de quinze évêques judéo-chrétiens, (Jacques et Siméon compris), corresponde à une existence plus longue qu’Eusèbe ne l’a cru. Il peut se faire aussi qu’il nous donne ici les noms des évêques de différentes Églises judéo-chrétiennes, colonies de l'émigration de Pella et pouvant toutes prétendre au titre d'Église de Jérusalem ». C’est la dernière hypothèse que réminent historien conserve dans son Histoire ancienne de l'Église, t. i, 5e édit., p. 120-121. « Si l’on accepte la liste et la limite telles que les donna Eusèbe, il sera naturel d’y voir des évêques. non seulement de Pella, mais de quelques autres colonies de la communauté primitive de Jérusalem. »

R. Knopf voit dans la liste donnée par Eusèbe les noms des parents de Jésus. Il part de ce fait que Jacques, frère du Seigneur, avait eu pour successeur un cousin de Jésus, désigné au poste d'évêque de Jérusalem, pour cette seule raison de parenté, et que les parents du Sauveur s’imposaient aux communautés 1697

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comme SeoTrôauvoi et comme guides. Jules Africain, dans Eusèbe, H. E., I ; xiv, P. G., t. xx, col. 97. Ce seraient ces personnages qui seraient donnés ici comme évêques de Jérusalem. Knopf, op. cit., p. 27-28.

Deux explications sont acceptables : plusieurs évêques simultanés, ou des évêques de plusieurs communautés. Il ne serait pas impossible que l’Église de Jérusalem ait été gouvernée collectivement, après saint Jacques, par plusieurs évêques : Corinthe, qui ne vivait pas dans l’isolement du reste de la chrétienté, comme les églises judéo-chrétiennes, avait encore un collège de presbytres à sa tête, à la fin du premier siècle. Mais si, après 73, Siméon est rentré avec quelques chrétiens à Jérusalem, si des évêques venant après lui ont ainsi continué de manifester parleur présence dans la Ville sainte, leur attachement à leurs traditions, il n’y a rien d’invraisemblable à ce que d’autres personnages aient présidé, dans le même temps aux destinées des communautés plus considérables de la Transjordane. Et ainsi s’expliquerait ce grand nombre d’évêqucs pour une période aussi restreinte.

3. Après l’expulsion des juifs sous Hadrien en 135. — En 132, Bar-Kochéba, se faisant passer pour le Messie, souleva toute la Palestine contre la domination romaine. Cette révolte eut le caractère d’un fanatisme exaspéré : elle fut le dernier soubresaut du nationalisme juif. Les chrétiens refusèrent de prendre part à l’insurrection : Bar-Kochéba ne pouvait être qu’un imposteur, puisque le Messie était venu en la personne de Jésus. Ils furent considérés par les juifs comme des traîtres et cruellement persécutés. En 135, la révolte était réprimée dans le sang par Sévère. L’empereur Hadrien fit raser la ville de Jérusalem et construisit sur son emplacement une cité complètement païenne à laquelle il donna son nom, JElia Capitolina. Défense fut faite aux juifs, sous peine de mort, de pénétrer dans la nouvelle ville. Eusèbe, H. E., IV, vi, P. G., t. xx, col. 312 sq. Les judéo-chrétiens, bien que restés en dehors de la révolte, furent compris dans la défense : ils étaient juifs, puisqu’ils continuaient à pratiquer la Loi.

A cette date, disparurent les évêques de la circoncision. Il se forma à yElia une nouvelle communauté chrétienne, formée non plus de juifs, mais de gentils : leur premier évêquc fut Marc. Eusèbe, H. E., IV, vi, col. 316.

Ainsi frappées, dépourvues d’évêquesde leur nationalité, ces communautés de la Palestine et de la Transjordane, mettront longtemps à mourir, sans plus guère faire parler d’elles.

Justin en considère les membres comme des chrétiens de bon aloi, qui peuvent se sauver tout en observant les prescriptions légales, pourvu qu’ils ne prétendent pas les imposer aux autres. Dialog., 47, P. G., t. vi, col. 576 sq. De même, Origène, Conl. Cels., v, 61, 65, P. G., t. xi, col. 1277, 1288, Eusèbe, H. E., III, xxvii, t. xx, col. 273, les distinguent d’autres judéochrétiens hérétiques ; mais ils les rangent tous sous la même dénomination d’ébionites. Cependant on ne tarda pas à réserver ce nom d’ébionites aux hérétiques, tandis que l’on désigna ceux dont la croyance était orthodoxe sous le nom de nazaréens, nom qui avait été donné par les juifs aux premiers chrétiens. Act., xxiv, 5. C’est sous ce nom que les désignent saint Épiphane, Hser., xxiX ; P. G., t. xli, col. 388 sq, et saint Jérôme, Epist., cxii ad Augustinum, P. L., t. xxii. col. 924. Jérôme leur reproche simplement de vouloir être à la fois juifs et chrétiens : qui credunt in Christum, filium Dei, natum de virgine Maria, et eum dicunt esse qui sub Pontio Pilalo passus est et resurrexit. in quem et nos credinuis ; sed dum volunt et Judœi esse et Christiani, nec Judœi sunt, nec Ctiristiani. Si Épiphane les range dans son catalogue d’hérésies, cela s’explique tant par

le désir de ne laisser échapper aucune aberration doctrinale que par le fait que l’évêque de Salamine n’est pas bien renseigné sur les doctrines christologiques de ces nazaréens. Après avoir dit qu’ils ne différaient des Juifs que par leur foi au Christ, et des chrétiens que par leur soumission aux rites judaïques, il avoue son ignorance sur leur doctrine relativement à la conception surnaturelle de Jésus. « LTepl XpiaToô Se ow oISx ebteïv, eî xqci aÙTol, tjj twv 7vpo£ipï)fiévcov rcepi Ky)p160v xat MyjpivOov (jio/07]pîa à^Oévreç, tyCkhv av6pco71 : ov vofitÇouaiv y), xa6wç r> àrfieix £X £l > Sià rivei>[i.aTo< ; àytou yeysvvTicrôxi, e * Maptàç 81a6e6xioîiv-7ai. » Hær., xxix, 7, P. G., t. xli, col. 401. Mais il est certain que sur ce point les nazaréens partageaient la foi de l’Église. C’est donc à tort que l’évêque de Salamine en fait des hérétiques.

A l’époque où écrivaient Épiphane et Jérôme, ils étaient disséminés dans les mêmes localités où l’on rencontrait des ébionites, dans la région de Bérée, en Célésyrie, dans la Décapole et en Batanée. La suite de leur histoire est des plus obscures. Ils auront mené une vie languissante, jusqu’à l’invasion de la Palestine par les premiers califes, au vue siècle.

2° Leur doctrine.

1. Leurs livres canoniques.

Selon Épiphane, les nazaréens se servaient du Nouveau et de l’Ancien Testament. Hær., xxix, 7, P. G., t. xli, col. 401. Qu’ils aient utilisé toute la Bible juive, cela est indiscutable, étant donné leur attachement à la Loi. Dans leur interprétation de l’Ancien Testament, ils argumentent fréquemment contre les scribes et les pharisiens. Jérôme, In Is., viii, Il sq., 19 sq. ; ix, 1 sq. ; xix, 17 sq., P. L., t. xxiv, col. 119, 123, 125, 136. Cette tendance antipharisaïque est d’ailleurs marquée dans leur évangile, où ils exagèrent les reproches de Jésus aux pharisiens. Var. de Mattli., xv, 5, cod. S 30.

Par contre, leur canon du Nouveau Testament était des plus restreints. Ayant un évangile à eux, écrit en araméen, différent des évangiles canoniques, ils devaient non seulement lui donner la préférence, mais laisser de côté les autres. Surtout les écrits pauliniens étaient peu en honneur parmi eux. Eusèbe parlant des ébionites modérés, qui sont les nazaréens, dit qu’ils rejetaient les épîtres de saint Paul, qu’ils appelaient « apostat de la Loi ». H. E., III, xxvii, P. G., t. xx, col. 273. Cette donnée d’Eusèbe n’est pas contredite par celle de Jérôme, affirmant qu’ils reconnaissaient la légitimité de la mission de l’Apôtre, novissimus omnium apostolorum. In 7s., ix, 1, P. L., t.xxiv, col. 125. II n’est pas nécessaire de dire que, sur ce point, les nazaréens ont « peu à peu modifié leur manière de voir ». A. Réville, art. Nazaréens, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses, t. ix, p. 544. Les judéo-chrétiens modérés n’ont jamais reproché à Paul son apostolat auprès des païens : les gentils pouvaient prétendre comme eux au salut par la foi au Christ ; s’ils étaient tenus à l’écart par les convertis du judaïsme, c’est que ces derniers voulaient maintenir leurs privilèges de descendants d’Abraham. Le reproche adressé à Paul d’avoir abandonné la Loi n’excluait pas l’admiration pour son œuvre d’apostolat.

2. L’Évangile des Nazaréens.

La question de l’évangile utilisé par les nazaréens est très obscure. Les récents travaux de Schmidtke, Neue Fragmente und Untersuchungen zu den judenchristlichen Evangelien, dans les Texte u. Untersuchungen, Leipzig, 1911, t. xxxvii, fasc. 1, et du P. Lagrange, L’Évangile selon les Hébreux, Revue bibliqu-, 1922, p. 161-181 ; 321-349, ont abouti à plusieurs conclusions acceptables. On trouvera ici celles de ce dernier auteur. Cf. Hennecke, Neutestam. Apokryphen, 2e édit.. 1923, p. 17 sq.

Les judéo-chrétiens se servaient d’un évangile écrit en lettres hébraïques et dans la langue commune aux .1699

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Chaldéens et aux Syriens, c’est-à-dire en araméen. Jérôme, Dialog. adv. Pelag., ni, 2, P. L., t. xxiii, -ol. 570. Cet évangile est signalé comme étant utilisé à l’exclusion de tout autre par les nazaréens de Bérée. Épiphane, Hwr.. xxix, il, P. G., t. xii, col. 405 ; Jérôme, De vir. ill., 3, P. I.., t. x.iiu, col. 613 ; In Malth., xii, 13 ; xxiii, 35, P. L., t. xvi, col. 78 et 174 ; In ls., xi, 2 ; xl, 9 sq. ; prætat. in t. XVIII, P. L., t. xxiv, col. 144-145, 405, 628 ; In Ex., xvi, 13 ; xviii, 7, P. L., t. xxv, col. 137, 174 ; Dialog. adi>. Pelag., iii, 2, P. L., t. xxiii, 570 II est certain que cet évangile était adopté par les autres communautés judéochrétiennes de la Palestine et de la Transjordane. Eusèbe laisse entendre qu’il avait une très large ditlusion : « nous avons trouvé dit-il, cet enseignement quelque part dans l’évangile qui est (répandu) parmi les juifs, en langue hébraïque. » Théophanie, iv, 12, Corpus de Berlin, Eusebius Werke, t. ni b, p. 183. Ailleurs, il parle de l’Évangile selon les Hébreux, dont les juifs qui ont reçu le Christ, aiment à se servir. H. E., III, 25, P. G., t. xx, col. 269.

U Évangile des Nazaréens, dont parlent Épiphane et Jérôme, et 1 Évangile selon les Hébreux, dont il est question ailleurs, sont un seul et même évangile. Jérôme ne doute pas qu’il y ait identité entre les deux : In evangelio quod iuxta llebreeos scriplum Xazarœi legiùmt. In ls.. xl, 9 sq., P. L., t. xxiv, col. 405. Cf. E. Amann, Recension de Schmidtke, dans le Bulletin d’are, litl. et d’archéol. chrél., 1912, p. 51. Jérôme a bien connu cet évangile. Il se trouvait, à la fin du IVe siècle, à la bibliothèque de Césarée ; les nazaréens de Bérée en avaient un exemplaire. Le solitaire de Bethléem put transcrire ce dernier, et en faire, pour son usage personnel, une traduction en grec et en latin. De vir. ill.. 2, 3, 16, P. L., t. xxiii, col. 611, 613, 633 ; In Malth., xii, 13, t. xxvi, col. 78 ; Dialog. adv. Pelag., ni, 2, t. xxiv, col. 570. C’est la traduction grecque de Jérôme, qui a été utilisée pour les variantes insérées en marge de quelques manuscrits grecs, sous la rubrique tô’IouSatxév. I.agrange, op. cit., p. 349.

Cet évangile a joui d’une certaine autorité dans l’Église, en dehors même des cercles judéo-chrétiens. Suivant le témoignage d’Eusèbe, certains le faisaient rentrer dans la catégorie des ouvrages contestés. II. L’., III, xxv, P. G., t. xx, col. 269. De même il est placé parmi les antilegomena du Nouveau Test ainent, après l’Apocalypse de Jean, celle de Pierre et l’Épître de Barnabe, dans une stichomélrie du IVe siècle, ajoutée aux œuvres de Nicéphore, vers 850. Lagrange, op. cit., p. 1X0. Epiphane le considère comme l’original de Matthieu. liai., xxix, 9, P. G., t. xii. col. 405. La pensée de Jérôme est plus flottante. Il rappelle l’opinion de ceux qui le regardent comme l’original de notre premier évangile canonique : in evangelio quo uluntur Nazarset et Iibionilæ (quod nuper in græeum de sermone hebraieo transtulimus et quod vocatur a plcrisque Mattluvi autlienticum). Comm. in Malth., xii, ’13, P. L., t. xxvi, col. 78. Il reproduit la même opinion dans le Dialog. adv. Pelag., ta, 2, t. xxiii, cit. 570 : In evangelio nixla Hebrœos, quod a chaldaim quidem syroque sermone, sed hebraicis titteris scriptum est, quo uluntiir usqiie hodie Nazareni, secundum Apostotolos, sive ut plerique uulumant juxta Matthseum, quod et in Cwsariensi habetur bibliotheca, nuirai historia, ete. Lui-même le cite comme texte de Matthieu, In hebraieo evangelio secundum Matthseum, Tract, in l’s. r.v.v.v i, renvoi a Matth., VI, 1 1, Anccdota Maxtdsolana, t. m b, p. 262 ; Mattlueua qui et Levi, ex publieuno apostolus, primus in Judwa, propter eos qui ex circumeisione crediderunt, Evangelium Chrùtt hebrseis litteris verbisque composuit… Port » ipsum hebraicum habetur usque hodie in Csesariemi bibliolheea. De vir. M., 3, P. L., t. xxiii, col. 618. Ailleurs,

cependant, il est loin d’être aussi allirmalif. Dans un texte du pseudo-Origène latin, texte vraisemblablement trouvé par le traducteur latin d’Origène dans les œuvres de Jérôme. Lagrange, op. cit., ; >. 335, on lit en effet : in evangelio quodam, quod dicitur secundum Hebricos. si tamen plucet alieui suscipere illud, non ad auctoritalem, sed ad mani/cstalionem proposilse quæslionis. P. G., t. xiii, col. 1293-129 1.

C’est à tort que cet évangile a été considéré par plusieurs Pères comme l’original de notre Matthieu canonique. L’opinion de Schmidtke, qui voit dans l’Évangile des Nazaréens une sorte de targum araméen du Matthieu grec, et dans YÉvangile selon les Hébreux, un écrit, grec d’origine, et en usage chez les ébionites, n’est pas’plus fondée L’Évangile des Nazaréens, identique à [’Évangile selon les Hébreux, est un remaniement du texte original de Matthieu ? Son texte n’est pas mutilé, comme le sera celui des ébionites r/ouenv Se -ô v.y.-.à MaTOaïov sùaYY^iov 7TX-/)péaTaxov’Ëêpaïcm, Épiphane, Hier, xxix, 9, P. G., t. xii, col. 105 ; mais ils l’enrichissent d’éléments anciens ou peut-être traditionnels. Jérôme, De vir. ill. 2, P. L., t. xxiii, col. 613 : In Matth., vi, 11 : xii, 13. t. xxvi, col. 43, 78. On peut même se demander si certains de ces textes ne représentent pas des paroles authentiques de Jésus, comme celle-ci : « Ne soyez jamais joyeux, si ce n’est quand vous voyez votre frère en charité. » Jérôme, In Eph., v, 4, P. L., t. xxvi, col. 520 ; ou cette autre : « Si vous étiez dans mon sein, et que vous ne fassiez pas la volonté de mon Père qui est au ciel, je vous arracherais de mon sein. » Var. de Matth., vii, 5, cod. S 30, dans Schmidtke, op. cit., p. 39. L’influence des autres évangiles, Marc et Luc en particulier, sur l’Évangile selon les Hébreux, est insignifiante et négligeable. Les judéo-chrétiens s’en sont tenus à ce texte de Matthieu, arrangé suivant leurs préoccupations. Cela explique sans doute la perte de l’original sémitique de Matthieu : les judéo-chrétiens avaient leur évangile selon les Hébreux, les chrétiens de la gentilité leur traduction grecque du premier évangile ; on ne s’occupa plus du texte original.

Ce remaniement judéo-chrétien de l’évangile selon saint Matthieu dut prendre naissance vers l’an 100, puisque saint Ignace le connaît et l’utilise. Jérôme, De vir. ill, 16, P.L., t.xxiir, col.633. C’est donc entre la publication de l’évangile sémitique de saint Matthieu et celle dernière date, qu’il faut en placer la rédaction.

Il ne reste que de rares citations de cet évangile. Cependant les quelques passages que l’on en trouve dans l’ancienne littérature chrétienne, avec les variantes tirées du Judaïque, tô’Iouo"<xïx6v, permettent de dégager quelques-unes des particularités doctrinales des communautés judéo-chrétiennes. Il n’y a rien d’ailleurs que d’orthodoxe dans les passages qui nous ont été conservés.

3. Doctrine sur le Christ. - L’ensemble des croyances nazaréennes est conforme à l’enseignement de la grande Église. Saint Justin parle de chrétiens, issus du judaïsme, qui acceptent tout l’Évangile, mais qui restent attachés à fa Loi de Moïse. Il croit qu’ils pourront se sauver, et qu’on doit les regarder comme des frères avec qui on est en communion, pourvu qu’ils ne prétendent pas imposer aux chrétiens de la gentililé ces mêmes observances. Dialog., 47, P. G., t. vi, col. 576 sq. Un peu plus tard. Hégéslppe, qui était judéo chrétien, constatait, dans son empiète parmi les Églises, que leur doctrine était conforme à la sienne, que toutes étaient lidèles à renseignement de la Loi, des Prophètes et du Seigneur. Kusèhc, II. E., IX, xxii, P. G., I. xx, col. 370 <|.

Saint Jérôme déclare à saint Augustin qu’Us croient « au Christ, lils de Dieu, né de la vierge Marie, qui a souffert sous l’once l’ilale. est ressuscité, en qui nous

croyons aussi ». Epist., cxii, ad August., P. L., t. xxii. col. 924. Leur seul tort est de vouloir être à la fois juifs et chrétiens. D’après Épiphane, ils croient en un seul Dieu et en Jésus-Christ, Fils de Dieu. Hær., xxix, 7, P. G., t. xli, col. 101.

Ils admettent la conception surnaturelle du Christ. Les ébionites supprimeront de leur évangile les chapitres i et ii, sur la naissance du Sauveur : rien ne permet de supposer qu’il en ait été de même dans l’Évangile selon les Hébreux. Épiphane dit qu’il est complet, uXTjpéaTocTov. Ibid., n. 9, col. 405. Le rôle particulier, que cet évangile accorde au Saint-Esprit, au baptême et dans la vie de Jésus, ne va pas contre cette croyance à la naissance virginale. Au baptême, . Jésus reçoit le Saint-F.sprit, qui le proclame son Fils premier-né : Faction est autem cum ascendissel Dominus de aqua, descendit fons omnis Spirilus Sancti, et requieuit super eum, et dixit illi : « Fili mi, in omnibus prophetis exspectabam te, ut venires, et requiescerem in le. Tu es enim requies mea, lu es fïlius meus primogenitus, qui régnas in sempilernum. > Jérôme, în ls., xi, 2, P. L., t. xxiv, col. 144-145. Dans saint Matthieu, après la descente du Saint-Esprit, sous forme de colombe, il est question d’une voix venant du ciel : El ecce vox de ccelis dicens. Matth., m. 17. Ici c’est le Saint-Esprit qui parle et qui appelle Jésus son fils premier-né. Cette manifestation de l’Esprit, mère de Jésus, n’a pas pour but de remplacer la conception surnaturelle ; mais de marquer l’œuvre de Dieu en Jésus, et l’accomplissement des prophéties. Que le Saint-Esprit soit appelé mère de Jésus, il n’y avait rien là qui pût choquer des juifs ; et les Pères qui citent ce passage ne s’en étonnent pas. Cela s’explique facilement pour Jérôme, car la divinité n’a pas de sexe, In ls., xl, 9 sq., P. L., t. xxiv, col. 405 ; ou par ce que, chez les juifs, l’esprit nn est du féminin. Comm. in Mich., vii, 6, P. L., t. xxv, col. 1221 ; Origène, In Joh., ii, 6, P. G., t. xiv, col. 132-133.

Dans le récit de la tentation, le Saint-Esprit joue un rôle qu’il n’a pas dans l’évangile canonique. C’est lui, et non le démon, qui transporte Jésus sur le sommet d’une montagne, ici précisée. « Ma mère le Saint-Esprit, m’a pris par un cheveu, et m’a porté sur la grande montagne du Thabor. » Origène, In Joh., ii, 6, P. G., t. xiv, col. 132-133 ; In.1er., hom. xv, 4, P. G., t. xiii, col. 433. On voulait ainsi éviter tout contact de Jésus avec le démon. N’est-ce pas parce que Jésus portait en lui la divinité ? Le démon n’avait pas eu de prise sur lui par le péché : si Jésus a reçu le baptême, ce n’est pas, comme les autres, in remissionem peccalorum. Il sait qu’il n’a pas besoin de cette purification, s’il veut bien en passer par là, c’est à la prière de Marie et de son entourage, pour faire comme les autres, pour l’exemple, et pour donner lieu à la manifestation de l’Esprit saint : Ecce mater Domini et fratres ejus dicebant ei : Joannes Baptisla baptizal in remissionem peccalorum ; eamus et baplizemur ab eo. Dixit autem eis : quid peccavi, ut nadam et baptizer ab eo ? Nisi forte hoc ipsum quod dixi, ignorantia est. Jérôme, Dialog. adv. Pelag., iii, 2, P. L., t. xxiii, col. 570. Nous sommes loin de l’erreur ébionite et gnostique, selon laquelle Jésus n’avait reçu le Christ qu’à son baptême : à ce moment, Jésus a conscience qu’il n’a commis aucune faute : ce qu’aucun homme ne saurait prétendre ; sa conception surnaturelle le préservait des atteintes du démon. Il est au-dessus de tous les saints et de tous les prophètes, car il a reçu la plénitude du Saint-Esprit : Descendit super eum omnis fons Spiritus Sancti, Jérôme, In ls., xi, 2, P. L., t. xxiv, col. 144 ; In prophetis poslquam uncti sunt Spiritu Sanclo, inventus est sermo peccali, Jérôme. Dialog. adv. Pelag., iii, 2, P. L., t. xxiii, col. 570 ; Variante de Matth., xviii, 22, dans s 77-175. Cf. Schmidtke, op. cit., p. 40.

Dans les passages relatifs à la résurrection, on constate le souci de donner plus de force aux preuves du premier évangile. Le texte nazaréen supprime dans Matth., xii, 40, les trois jours et trois nuits dans le tombeau (variante de z 175, Schmidtke, op. cit., p. 39), il signale la présence de soldats romains auprès du tombeau, qui. dans Matthieu, n’était gardé que par des juifs, xal roxpé&oxev ocÙtoîç avSpaç £VÔ7rXooç, ïva xaôéÇwvxat. xar’svâvriov toù aiT7jXsx£oi> xal r » )ptoj-îiv aùxôv Yjpispaç xal V’jxtôç, var. de Matth., xxvi, 65, S 30, Schmidtke, op. cit., p. 10 ; il insiste sur le fait que Jésus apparaissant n’est pas un incor » porale dœmonium. Jérôme, In ls., pnef. in t. XVIII, P. L., t. xxiv, col. 628, mais possède bien un corps réel, que les apôtres peuvent toucher. Qua : i ! o venit ad Petrum et ad eos qui cum Pelro eranl, dixit eis : ecce palpale me et videle, quia non sum dœmonium incorporale. El stai ; m teligerunt eum et crediderunt. Jérôme, De vir. HL, 16, P. L., t. xxiii, col. 633.

4. Particularités judéo-chrétiennes.

Comme il convenait dans un évangile judéo-chrétien, c’est Jacques qui joue le rôle prépondérant dans les apparitions, c’est lui, Jacques le Juste, qui le premier voit le Sauveur ressuscité. Ce récit est très significatif : Dominus autem cum dedisset sindonem servo saccrdolis, ivit ad Jacobum, et apparuit ci, quraverat eni Jacobus se. non comesurum panem ex Ma hora qua biberat calicem Domini, donec videret eum resurgenlem a dormientibus) rursusque post paululum, « adferle, ail Dominus, mensam et panem », stalimque additur : Tulit panem et benedixil et f régit et dédit Jacobo Justo et dixit ci : « Frater mi, comede panem tnum, quia surrexil Filius hominis a dormientibwi. » Jérôme, De "ir. ill., 2, P. L., t. xxiii, col. 613. La démarche du Sauveur, qui va trouver Jacques, la foi de ce dernier, qui attend dans le jeûne la résurrection, les expressions « Frater mi », Jacobo Justo, la première répétition de la Cène, tout est relaté pour donner une place de premier rang au futur chef des communautés judéo chrétiennes.

Ce n’est d’ailleurs pas la seule influence de cet esprit judaïsant que l’on remarque daus l’Évangile des Nazaréens. L’attachement à l’Ancien Testament y est plus accentué que dans saint Matthieu ; on y trouve cités des passages des prophètes, v. g. à propos de la rupture du voile du temple. L’auteur insère dans le texte le linteau, qu’il a trouvé dans Isal’e, vi, 4 : superliminare templi infinitse magnitudinis fraclum esse atque divisum. Jérôme, In Malth., xxvii, 51, P. L., t. xxv ;, col. 213. Il montre, à propos du jeune homme riche, comment l’accomplissement sincère de l’ancienne Loi conduit à la perfection de la nouvelle : Dixit ad eum Dominus : « quomodo dicis : Legem eci et prophelas ? quoniam scriptum est in lege : diliges proximum sicut leipsum, et ecce multi fratres tui, filii Abrahæ, amicti sunt slercore, mori entes pree famé, et domus tua plena est multis bonis, et non egreditur omnino aliquidex ea ad eos. » Et con » ersas dixit Simoni discipulo suo sedenti apud se : « Simon, filii Joanne, facilius est camelum intrare per foramen acm, quam divitem in regno cœlorum. > Pseudo-Origène, P. G., t. xiii, col. 1293-1291.

5. Morale.

Ce qui caractérise la morale des nazaréens, c’est un certain rigorisme. Jésus rejette ceux qui ne font pas la volonté de son Péri, quand bien même ils seraient dans son sein (Église ?) : èiv -/j-rc sv tô> xôXttu (i.oo xal tô 6éXr]u, a toù ITa-rpôç (xou xoû èv oùpavoïç (jir) noirTe, èx toù xôX7tou u.oo txTioppifytù û(xàç. Var. de Matth., vii, 5, S 30, Schmidtke, op. cit., p. 39. A propos du pardon des péchés, saint Pierre demande à Notre-Seigneur, d’après.Matth, xviii, 21 : « Domine, quolies in me peccabit frater meus, et dimitlam ei ? » Une restriction paraît apportée dans 17u ; i

    1. JUDÉO-CHRÉTIENS##


JUDÉO-CHRÉTIENS, APRÈS L’AGE APOSTOLIQUE

l’Évangile selon les Hébreux : t Si peccancrit f rater tuus in rerbo. et satis tibi /ecerit, septics in die suscipe îllum… » Jérôme, Dialog. ado. Pelag., iii, 2, P. L., t. xxiii, col. 570. Le pardon ne serait donc accorde sans limite, qu’aux péchés de parole, si on entend le terme verbo dans son sens strict. Enfin la joie n’est permise que lorsqu’on voit un frère rentré dans la charité : Et nunquam lœti sitis, nisi cum fratrem veslrum uiderilis in caritate. Jérôme, In Eph., v, 4, P. L., t. xxvi, col. 520.

II. LES JIDÉO-CBRÉTIESS HÉRÉTIQUES.

Il faut

y distinguer deux groupes : Les ébionites proprement dits et les eleésaïtes.

Les ébionites.

 La secte ébionite se distingue

nettement des nazaréens surtout par sa doctrine sur le Christ, dont elle nie la conception surnaturelle et la divinité. Voir Ébionites, t. iv, col. 1987-1995.

1. Orii/ines de l’ébionisme. — Au moment même où Hégésippe affirme la conformité des croyances des Eglises occidentales avec celles des communautés judéo-chrétiennes d’où il sortait, Irénée signale une secte de chrétiens circoncis, séparés de la grande Église, les ébionites. Hégésippe avait placé le commencement de l’erreur dans l’Église de Jérusalem, après la mort de Jacques, l’auteur en était un certain Thébutis, mécontent de n’avoir pas obtenu la succession du i frère du Seigneur », et d’avoir été supplanté par Siméon. Eusèbe, H. E., IV, xxii, P. G., t. xx, col. 380. Ce Thébutis était vraisemblablement le chef des zélateurs intransigeants de la Loi ; il se sépara des modérés, dirigés par Siméon, et commença de corrompre l’Église, demeurée vierge jusqu’alors.

l’n autre hérétique, Cérinthe, est mis par toute la tradition en relation étroite avec les ébionites. Irénée attribue à ces derniers la même doctrine qu’à Cérinthe, sur ce qui concerne le Seigneur. Qui autem dicuntur ebionilse consentiunt quidem muniliim a Deo (actum, ea autem quæ sunt cnja Dominum consimililer ut Cerinthus et Carpoerates ojnnantur. Cont. hær., I, xxvi, 1, P. G., t. vii, col. 695. Hippolyte, Philosoph., vii, 33-34 ; x, 21, P G., t.xvic, col. 3312, 3438 et Théodoret, Hærel. fab., ii, 3, P. G., t. i.xxxiii, col. 389, reproduisent les données de l’évoque de Lyon. Le catalogue d’hérésies annexé au De prwscriptione de Tertullien, marque entre les deux le même rapprochement, en ce qui concerne le respect de la loi mosaïque, la même divergence, dans la manière de concevoir les rapports de Lieu et du monde Hujus (Cerinlhi) successor Ebton fuit. P. L., t. ii, col. 67. Épiphane associe également les deux noms : "Ev6ev yàp ot TCpl Kï)pi.v00v xai’Eëtwva ^(.Xôv tôv àv6pco7rov xaxéa/ov. Hær., li, 6, P. G., t. xi.i, col. 897. Il fait de Cérinthe le chef des judaïsants de l’Église primitive, Hær., xxviii, 2, 4, P. G., t. xi.i, col. 380, 381, idée qui se. trouvait déjà dans Hippolyte. (Voir la citation de ce dernier dans Denys Bar-Salibi, In Apoculupsin, Actus et Epist. canon., édit. Sadleck, dans le Corp. script, orient., auteurs syriaques, ser. II, t. ci, p. 1). Enfin l’cvêque de S al aminé, prête aux uns et aux autres la même doctrine, Haï., xxx, 18 ; LI, 6 ; i.xix, 23, P. G., t. xjli col. 436, 897, t. xi.ii. col. 237 ; ébionites et cérinthiens ne se servent que d’un évancile, selon Matthieu. /Lrr., xxx, 3, P. (.’., t. xi.i, cjiI. 109.

Ce rapprochement, fait par les Pères entre Cérinthe et les ébionites, n’a-t-il pas un autre fondement que la similitude de leur doctrine en ce qui concerne le Sauveur ? Ne pourrait-on pas voir dans Cérinthe le principal initiateur du mouvement ébionite ? Il importe de remarquer que primitivement on ne parle pas de disciples de Cérinthe : c’esl.seulement au milieu du ine siècle, avec Denys d’Alexandrie, qu’il est question pour la première fois d’une hérésie cérinlhienne. Eusèbe, H. E., VII, xxv, P. G., t. xx, col. 697 ; aux

cérinthiens, Épiphane ajoute les mérinthiens, qu’il invente, ltur.. xxx, 3, P. G., t. xli, col. 46. Par contre Ébion n’est pas connu des premiers hérésiologues : il est nommé pour la première fois par Tertullien, De prœscript., 33, P. L., t. ii, col. 46, et à sa suite par le pseudo-Tertullien, De prwscript., 48, ibid., col. 67, Hippolyte, Philosoph., vii, 35, P. G., t.xvic, col. 3342, Épiphane, Hær., xxx, 17, P. G., t. xii, col. 433, et Théodoret, Hæret. lab., ii, 1, P. G., t. lxxxiii, col. 388. Comme on avait donné à Cérinthe des disciples, les cérinthiens, on chercha aux ébionites un chef de file et on trouva naturellement Ébion, alors qu’en réalité Cérinthe doit être séparé des gnostiques, pour être rattaché aux ébionites.

Comment expliquer cette confusion ? Selon toute vraisemblance, Irénée en est responsable. Il ne pouvait rattacher directement les ébionites à Cérinthe, malgré la similitude des doctrines professées par celui-ci et par ceux-là sur un grand nombre de points, car il attribuait à Cérinthe des idées gnostiques. Partant de cette attribution d’idées gnostiques à ce personnage, les écrivains postérieurs déplacèrent son centre d’activité. On savait seulement, de source sûre, que l’hérésiarque s’était signalé à Éphèse ; pour expliquer son gnosticisme, on le fit naître en Egypte < la patrie de la sagesse humaine et le lieu d’élection des hérésies ». G. Bardy, Cérinthe, dans Revue biblique, 1921, p. 351. Ce n’est en effet qu’au iiie siècle, qu’on rencontre ce nouveau renseignement sur la patrie de Cérinthe, dans Hippolyte, Philosoph., vii, 33 ; x, 21, P.G., t. xvic, col. 3341, 3137 ; Denys d’Alexandrie est le premier Égyptien qui en parle. Eusèbe, H. E., VII, xxv, P. G., t. xx, col. 697. Cette donnée récente sur l’origine égyptienne de Cérinthe est d’ailleurs en contradiction avec cette autre qui en fait un judaïsant extrême, et le protagoniste des judaïsants de Palestine : un juif égyptien aurait eu des idées plus larges.

Reste le gnosticisme de Cérinthe. Il n’est pas plus certain que son origine égyptienne. To.ite la tradition sur ce point dépend du texte d’Irénéc. Cont. hær., I, xxvi, 1, P. G., t. vii, col. 685. Irénée sait peu de chose sur la personne de Cérinthe, qu’il introduit par ces mots KrjpivOoç 8s tiç. La doctrine qu’il lui attribue <> exposée avec un si grand luxe de détails, n’offre rien d’original, on ne saurait la regarder comme la doctrine exclusive de Cérinthe. Elle reproduit dans ses traits essentiels, la doctrine des grandes écoles gnostiques ; et tout de suite saute aux yeux la préoccupation d’Irénéc : l’hérésiologue cherche des ancêtres aux valentiniens qu’il se propose surtout de démasquer et de confondre dans son ouvrage. Cérinthe est un de ces ancêtres. » G. Bardy, loc. cit., p. 345-346.

Il semble donc que l’on puisse considérer Cérinthe comme un des principaux initiateurs du mouvement judaïsant, qui reçut le nom d’ébionisme. Pourquoi ce nom ? On a vu que le nom propre d’Ébion reposait sur un fondement traditionnel peu solide. On a cherché l’explication du mot dans l’hébreu JV3K, pauvre. Et cette élymologie a donné lieu à plusieurs interprétations. Les hérétiques se seraient eux-mêmes désignés ainsi, à cause de la pauvreté qu’ils pratiquaient, conformément au précepte du Sauveur. Rien ne prouve que celle pauvreté ait été la marque spéciale de leurs mœurs, et surtout qu’elle ait été assez caractéristique pour les distinguer des autres chrétiens, pour qui le conseil évangélique n’était pas resté lettre morte. Peut-être ce nom avait-il servi primitivement comme celui de nazaréens, à désigner tous les chrétiens, pour être ensuite réservé à ces hérétiques par dérision, soit à cause de la pauvreté de la Loi, en laquelle ils mettaient leur espoir, soit à cause de la pauvreté de leurs doctrines, des idées mesquines qu’ils se faisaient de la personne du Sauveur.

2. Histoire.

Il est peu probable que ces judaïsants ébionites aient formé au début des communautés distinctes, indépendantes des églises judéo-chrétiennes ; mais bien plutôt ils demeurèrent disséminés, en groupes plus ou moins compacts, parmi les chrétiens de la circoncision. Thébutis pourrait être placé à la tête des judaïsants de Jérusalem et de la Transjordane ; ils paraissent avoir été asse/ remuants, puisqu’Hégésippe attribue à des hérétiques l’accusation <jui causa le martyre de Siméon. Eusèbe, II. E., III, xxxii, P. G., t. xx, col. 281. L’influence de Cérinthe s’est certainement exercée à Éphèse, où saint Jean le désignait comme un hérétique dangereux. Irénée, Cont. hær., III, iii, 4, P. G., t. vii, col. 853. La tradition en fait l’adversaire de Pierre, lors de la conversion du païen Corneille, celui des apôtres, à la réunion de Jérusalem. Il se serait surtout opposé à Paul, en exigeant la circoncision de Tite, en ameutant la foule contre lui, en organisant sur ses pas une contre-prédication, qui avait pour but d’imposer la loi aux gentils. Hippolyte, dans Denys Bar-Salibi, loc. cit., p. 1 ; Épiphane, Hær., xxviii, 2-4, P. G., t. xli, col. 580-581 ; Filastrius, Hær., xxxvi, 4, P. L., t.xii, col. 1152 sq. Cette action directe de Cérinthe a certainement été exagérée : on ne comprendrait pas que Paul, si prompt à démasquer ses adversaires, fussent-ils d’un rang plus élevé, n’eût pas désigné Cérinthe. On ne saurait cependant rejeter toute participation de ce dernier à l’opposition faite à l’apôtre des gentils : mais il agissait par des moyens détournés, sans se dévoiler. On ne se trompera pas en groupant autour de Thébutis et de Cérinthe, les judaïsants pharisaïques, qui maintinrent, malgré le décret de Jérusalem et l’autorité de Paul, la nécessité absolue de la circoncision.

Saint Justin combat ces chrétiens circoncis qui, non contents d’observer eux-mêmes les prescriptions légales, veulent les imposer aux chrétiens de la gentilité, affirmant que sans cela ils ne seront pas sauvés. Dial., 47, P. G., t. vi, col. 576. Il connaît des Juifs, « qui reconnaissent que Jésus est le Christ, tout en affirmant qu’il fut homme entre les hommes ». Ibid., 48, col. 580. Les auteurs postérieurs ne nous disent rien sur le développement de la secte, ni sur son histoire. De sa diffusion nous savons seulement que ces judaïsants se rencontraient en Syrie, dans le pays de Moab, à Kokhaba et dans l’île de Chypre. Épiphane, Hær., xxx, 18, P. G., t. xli, col. 430. Mais à l’époque où Épiphane donne ces renseignements, l’ébionisme s’est bien modifié : il a subi les influences du dehors, qui en ont fait une secte nouvelle, celle des elcésaïtes.

3. Doctrine.

a) Leur évangile. — Comme les nazaréens, les ébionites avaient leur évangile. Il nous est connu par Épiphane, qui en cite quelques fragments. Les ébionites appelaient cet évangile selon Matthieu, ou même selon les Hébreux. Mais Épiphane prend soin de noter que ce sont les ébionites qui donnent ces noms à leur texte. Hær., xxx, 3, P. G., t. xli, col. 409. C’est un évangile écourté, mutilé, oùj( ôXw 8s 7rXv ; peaTocTw, àXkà. VEVoQeuu.évo> xai /)xpcoT - /)piaa[i.évco. Ibid., 13, col. 428. Il est plus mutilé encore que celui de Cérinthe, qui avait conservé les généalogies. Il commence au baptême, èyévE-ro tiç àv/jp b^61an’Iyjaoùç, supprimant les récits de l’enfance, la conception surnaturelle, à laquelle ne croyaient pas les ébionites. Il ne ressemble pas plus à l’Évangile selon les Hébreux des nazaréens, qu’au premier évangile canonique. En réalité, il a été composé en grec, d’après Matthieu et Luc, vers l’an 200. Lagrange, L’Évangile selon les Hébreux, dans Revue biblique, 1922, p. 164-171. C’est vraisemblablement un remaniement de celui de Cérinthe.

b) La Loi. — L’ébionisme est la continuation de l’erreur des judaïsants, qui prétendaient imposer

l’observation intégrale de la Loi, non seulement aux Juifs, mais aux païens convertis. Il pousse cette doctrine jusqu’à ses conséquences les plus extrêmes. Il suflira d’en marquer ici les grandes lignes ; on recourra pour plus de détails à l’art. Ébionites, t. iv, col. 1989. Ces dissidents restent attachés à la circoncision et aux autres observances de la loi juive. Et quia scriplum sit : nemo discipulus supra magistrum, ne~ servus supra Dominum, legem cliam proponit (Ebion), scilicet ad excludendum evangelium et vindicandum judaismum. Pseudo-Tertullien, /Je priescript., 48, P. L., t. il, col. 67. Ainsi la Loi conserve son autorité et son efficacité. Le salut ne peut être obtenu que par elle.

c) Le Christ. — Une pareille conception de la Loi et du salut devait amener les ébionites à diminuer singulièrement le rôle du Christ. Celui-ci n’est pas supérieur à Moïse, son enseignement demeure subordonné à celui du grand législateur d’Israël. On le reconnaît pour le Messie ; mais ce Messie n’est qu’un homme, fils de Marie et de Joseph. Telle est du moins la conception commune parmi les ébionites ; car Origène connaissait de ces hérétiques qui admettaient la naissance virginale. Contra Cels., v, 61, P. G., t. xi, col. 1277. Irénée leur reproche leurs idées hétérodoxes sur la personne du Seigneur, non recle præsumentes de Domino. Cont. hær., III, xi, 7, P. G., t. vii, col. 884. De fait, ils nient sa divinité et rejettent la conception surnaturelle. Ibid., III, xxi, col. 946. Le Christ n’est plus pour eux le Sauveur. IV, xxxiii, col. 1074 ; V, viii, col. 1122.

Jésus reçut de Jean le baptême de pénitence. Comme il sortait de l’eau, l’Esprit de Dieu descendit sur lui et le pénétra. Et une voix se fit entendre : « Tu es mon fils bien-aimé ; en toi j’ai mis mes complaisances. Aujourd’hui je t’ai engendré. » Épiphane, Hær., xxx, 13, P. G., t. xli, col. 429. Jésus devint ainsi le fils adoptif de Dieu.

Les ébionites croyaient-ils à la résurrection de Jésus ? Irénée l’affirme. Cont. hær., I, xxvi, P. G., t. vii, col. 686. D’après Épiphane, parmi les cérinthiens, les uns croient qu’il ne ressuscitera qu’à la résurrection générale, d’autres nient toute résurrection. Hær., xxviii, 6, P. G., t. xli, col. 384-385. Peut-être Épiphane leur prête-t-il cette négation, pensant que la croyance à la résurrection était inconciliable avec la négation de la divinité de Je, us.

Ils attendent le retour du Messie, suivi d’un règne de mille ans. Mais le millénarisme de Cérinthe est des plus matériels et des plus grossiers. Il s’appuyait sur l’Apocalypse. Eusèbe, H. E., III, xxviii, P. G., t. xx, col. 276. Denys d’Alexandrie rapporte que certains disent que cet écrit (l’Apocalypse) n’a pas pour auteur un apôtre, ni quelqu’un des saints ou des membres de l’Église, mais Cérinthe, l’auteur de l’hérésie appelée de son nom cérinthienne, qui a voulu attribuer à ses propres compositions un nom capable de lui donner du crédit. Voici, en effet, quelle était la doctrine de son enseignement : le règne du Christ serait terrestre ; et il rêvait qu’il consisterait dans les choses vers lesquelles il était porté, étant ami du corps et tout à fait charnel, dans les satisfactions du ventre et de ce qui est au-dessous du ventre, c’est-à-dire dans les aliments, les boissons, et les noces, et dans ce qu’il croyait devoir rendre tout cela plus recommandable, des fêtes, des sacrifices et des immolations de victimes. » Eusèbe, H. E., VII, xxv, P. G., t. xx, col. 276.

d) Influences esséniennes. — L’évangile ébionite condamne les sacrifices, qui avaient une place importante dans le millénarisme de Cérinthe. < Je suis venu pour supprimer les sacrifices, et si vous ne cessez de sacrifier, la colère de Dieu continuera de s’appesantir sur vous. » Épiphane, Hær., xxx, 16, P. G., t. xli, col. 432. La force dé ce texte, attribuant à Jésus la suppression des sacrifices, sous menace de la

colère divine, laisse supposer une rupture avec un passé auquel on tenait beaucoup. Sous quelle influence se fit cette rupture V On a pensé aux esséniens. Tout en continuant à envoyer leurs ofïrandes à Jérusalem, les esséniens répudiaient les sacrifices, Josèphe, Antiq. jud., I. XVII I, c. ii, guidés sans doute par ce qu’ils lisaient dans les prophètes, de la supériorité de la pureté du cœur sur ces pratiques purement extérieures, de la perfection morale sur les sacrifices. Disséminés dans la même région que la secte juive, les ébionites purent subir son influence, et il ne serait pas impossible qu’ils l’eussent imitée dans sa répudiation des sacrifices. Cependant une autre explication paraît s’imposer. Après la ruine de Jérusalem, de 73 à 135, les judaïsants avaient encore la faculté de se rendre sur l’emplacement du temple, et d’accomplir, comme par le passé, les fonctions rituelles. Du temps de Cérinthe, les sacrifices étaient encore possibles. Eusèbe, H. E., VII, xxv, P. G., t. xx, col. 697. Mais après 135, après la construction de la ville païenne d’/Elia, et l’interdiction faite aux juifs d’y pénétrer, il devint impossible de continuer à observer ce point important de la Loi. Les sacrifices durent être abandonnés. Cette situation de fait, pénible à admettre pour des juifs, fut justifiée, chez ceux qui étaient devenus chrétiens, par une défense du Messie. Épiphane, Ihrr., xxx, 16, P. G., xli, col. 432.

Une autre particularilé des ébionites, l’abstinence des aliments animés, a été également considérée comme un emprunt à l’essénisme. D’après saint Matthieu, m, 4, Jean-Baptiste se nourrissait de sauterelles ; dans l’évangile ébionite, ces dernières, àxpîç, sont remplacées par des gâteaux à l’huile, èyxptç. Épiphane, Hser, , xxx, 13, P. G., t. xli, col. 428. A la question des disciples qui lui demandent : « OÙ voulez-vous que nous préparions la Pâques ? » Jésus répond : Myj êmOupû"/ èizzOùy-rpot. xpeàç toùto tô -KOLcya. çayeïv p.e6’i|xûv. Épiphane, Hser., xxx, 22, P. G., t. xli, col. 441. On s’interdisait donc, chez ces judaïsants, de manger ce qui avait eu vie. Il n’est pas du tout certain que les esséniens aient eu cette répugnance. L’idée qu’ils prescrivaient l’abstinence de la chair et du vin n’a pas de fondement dans les sources anciennes ; ces dernières laissent entendre tout le contraire, puisque les esséniens élevaient des troupeaux, I’hilon, Apologie, citée par Kusèbe, Preepar. evang., viii, 11, P. G., t. xxi, col. 64, et que Josèphe explique leur calme et leur tranquillité après le repas par le fait qu’ils ne prenaient que le nécessaire, pour l’apaisement de la faim et de la soif. De bel. jud., I. II, c. vu. Cf. Schiirer, Geschichte des jud. Volkes im Zeitalter J.-C, 4e éd., t. ii, p. 664-665. Et d’ailleurs la coutume ébionite pourrait tout aussi bien s’expliquer par le souci d’imiter L’ascétisme de Jacques, le frère du Seigneur, Eusèbe, II. P., II, xxiii. P. G., t. xx, col. i ! » 7, ou par une autre influence, d’origine philosophique ou religieuse.

Enfin on signale encore comme particularité, commune aux esséniens et aux ébionites, et pouvant faire croire à un emprunt de la secte chrétienne ; > la secte juive, la pratique des ablutions fréquentes. Les Clémentines représt ntent Pierre se livrant à de fréquentés ablutions. Hom., ix, 23 ; x, 26 ; xiv, 1. P. G., t. ii, col. 257, 276, 345 ; Recogn., iv, 3 ; v, 30. P. G., t. i. col. 1316, 1348. Les esséniens poussaient le souci de la pureté extérieure jusqu’à ses plus extrêmes limites, se baignant avant chaque repas, aussi souvent qu’ils satisfaisaient un besoin naturel, el chaque lois qu’ils avaient en contact avec un membre de l’une des is inférieures de la secte. Josèphe, De bell. jud. t. ii, C. mi. Il y a une ressemblance entre les deux

pratiques. Mais les Clémentines sont loin de représenter l’ébionisme proprement dit. Elles sont le témoin d’une

nouvelle doctrine, dans laquelle le judéo-christianisme n’entre que pour une part. Voir Clémentins (Apocryphes), t. iii, col. 201 sq.

En somme, ces vagues ressemblances entre l’essénisme et l’ébionisme n’imposent pas la conclusion d’un emprunt du second au premier ; il y a de plus entre les deux sectes des différences essentielles, qui se sont toujours maintenues. Ainsi les ébionites d’Épiphane rejettent les prophètes et ont un Pentateuque corrompu, Hser., xxx. 18. P. G., t. xli, col. 436, les esséniens utilisaient tout l’Ancien Testament, Josèphe, De bel. jud., t. II, c. vii ; le mariage était absolument interdit pour ces derniers, Philon, Apologie, citée par Eusèbe, Prsep. ivang., vui, 11, P. G., t. xxi, col. 644 ; Josèphe, Antiq. jud., t. XVIII, c. n ; De bell. jud., 1. IL c. vii, les ébionites condamnent la virginité et la chasteté, Épiphane, Hær., xxx, 2, P. G., t. xii, col. 408 ; on ne trouve pas, enfin, dans l’ébionisme, cette organisation et cette communauté absolue des biens, qui sont un des traits les plus caractéristiques de la secte essénienne, et qui aurait pu tenter ces « pauvres », les ébionites.

Il n’y a donc pas à tenir compte d’influences esséniennes, dans l’ébionisme proprement dit. Lorsque ces influences se firent sentir, elles agirent avec d’autres éléments, gnose, magie, astrologie, empruntés aux doctrines philosophiques et religieuses de l’Occident et de l’Orient, et qui transformèrent complètement la secte judaïsante. Ainsi naquit l’elcésaïsme.

Les eleésaïtes.

L’elcésaïsme est un syncrétisme,

à base de judéo-christianisme. On peut faire remonter son origine aux premiers temps de l’Église, puisque saint Paul combat déjà des manifestations de cette tendance syncrétiste dans son Épître aux Colossiens, n, 16. Cette tendance arriva à son plein développement au début du m c siècle, avec la secte des eleésaïtes. Voir l’art. Elefsaites, t. iv, col. 2333-2339.

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L. Marchal.