Dictionnaire de théologie catholique/JUDITH (LIVRE DE)

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 150-155).

JUDITH (Livre DE). —
I. Analyse du livre : son but religieux ; son caractère moral. --
II. Canonicité (col. 1712). —
III. Théologie (col. 1714). —
IV. Histoire du livre (col. 1717).

I. Analyse du livre : son but religieux ; son caractère moral. — (D’après la Vulgate). —

1° Analyse. — Un puissant roi oriental, dont ni la critique historique ni les découvertes modernes n’ont pu jusqu’ici déterminer le nom véritable, l’exacte nationalité, le siècle approximatif, a rêvé de soumettre toute la terre à son empire, et particulièrement l’Occident qui, sous les espèces des peuples de Cilicie, de Syrie, de Palestine et d’Egypte, lui a refusé l’hommage. i-ii, 6. A cet effet il envoie contre les réfractaires son général en chef, Holopherne, à la tête d’une armée formidable, comparable aux essaims pressés d’une nuée de sauterelles, ii, 7-11. Holopherne, réduisant à merci tout ce qui résiste, occupant toute province qui se livre de bon gré, mais saccageant avec férocité, malgré l’accueil, les sanctuaires « afin qu’il ne restât plus d’autre dieu que son roi », arrive aux frontières septentrionales de la Judée, ii, 12-m, 15.

Tout récemment revenus de la captivité (v, 23), les Juifs, saisis de terreur, et redoutant surtout que le temple du Seigneur ne partageât le sort des temples étrangers, mettent rapidement en état de défense les hauteurs et les défilés qui commandent l’accès du pays. iv, 1-7. Le grand prêtre qui les gouverne, Éliacim, parcourant Jérusalem et la contrée, exhorte tous et chacun à la persévérance dans les holocaustes, les jeûnes et les prières, affirmant hautement qu’à cette condition Dieu visitera son peuple et détournera le danger, iv, 8-17.

Irrité déjà que la nation israélite osât penser lui résister. Holopherne, sur ces entrefaites, apprend avec plus de fureur encore du chef ammonite Achior, qui est devenu son auxiliaire, qu’Israël est invincible s’il est fidèle à Dieu, ainsi que le prouve toute son histoire, et que si cette nation n’a péché, Dieu même la défendra pour la ruine et la honte de toute l’armée assaillante. v, 1-25. Par son ordre Achior est exposé, chargé de liens, à la vue des gens de Béthulie, cité juive sous les murs de laquelle on se trouve alors, afin d’apprendre, quand il aura partagé le terrible sort réservé aux enfants d’Israël, que « Xabuchodonosor » seul est dieu, v, 26-vi, 9.

Recueilli par les habitants de Béthulie, Achior

explique sa disgrâce ; c’est pour avoir affirmé que le « Dieu du ciel est le défenseur » des Juifs. Les chefs du peuple, Ozias et Gharmi, avec le conseil des anciens, le rassurent et le consolent : Ici l’on prie et l’on pleure ; mais le Seigneur Dieu accordera la délivrance, et Achior verra la déconfiture de ses persécuteurs. Puis l’on fait fête à Achior et l’on revient à la prière, vi, 10-21. Malheureusement Holopherne fait couper l’aqueduc et garder les sources qui ravitaillent d’eau la ville ; les citernes s’épuisent bientôt, et le peuple se trouve ainsi réduit à la soif la plus ardente et au désespoir. On parle de se rendre à l’assiégeant ; et Ozias impressionné finit par consentir a la reddition si dans les cinq jours le secours de Dieu n’est point venu. vu.

C’est alors que Judith, riche veuve, jeune encore et de la plus grande beauté, mais sainte et vouée depuis son veuvage à l’ascétisme le plus absolu, jouissant, enfin, de la vénération universelle, s’élève avec indignation contre la faiblesse d’Ozias et des anciens : « Qui êtes-vous donc pour ainsi tenter Dieu ? est-ce bien au Seigneur que l’on assigne un jour ? n’est-ce pas plutôt dans l’humilité qu’Israël, désormais fidèle à Dieu, doit attendre la manifestation de son bon vouloir et l’humiliation de l’ennemi ? » viii, 1-29. Du reste, c’est au nom de Dieu qu’elle parle et de par lui qu’elle s’affermit dans un extraordinaire dessein : cette nuit même, elle sortira de la ville accompagnée seulement de sa servante, et avant cinq jours, en effet, Dieu aura secouru Israël, son peuple, viii, 30-34.

Et Judith, rentrée dans son « oratoire », prie le Seigneur d’abattre, comme il l’a toujours fait, l’orgueil de l’ennemi qui s’est promis de violer son sanctuaire, de souiller son temple, de ruiner son autel. Puisse-t-il permettre qu’Holopherne se prenne au piège de la beauté d’une simple femme et trouve sa perte ex labiis charitalis meæ. Puisse-t-il vouloir que la maison divine demeure inviolée, et que les nations apprennent qu’il y a un Dieu, un seul Dieu, le Dieu d’Israël et de toute créature, ix, 1-19. Puis splendidement Judith se pare, recevant du Seigneur lui-même incomparable aspect, charge sa suivante de quelques modestes provisions de bouche, et franchit la porte de la ville devant les anciens stupéfaits de sa beauté rayonnante. Ceux-ci l’accompagnent de leurs vœux pour la gloire de Jérusalem, pour celle de son propre nom inscrit désormais au nombre des saints et des justes, x, 1-10.

La voilà au camp ennemi. Comme un philtre puissant son charme opère. Holopherne l’interroge : « Et pourquoi vous a-t-il plu de venir à nous ? » Juditlr répond : « J’ai fui une nation condamnée. Achior a dit vrai, Israël a péché et il pèche encore : pressés par la soif et la famine, les Juifs boivent le sang des bêtes abattues, mangent les offrandes sacrées faites au Seigneur. Ta servante est sortie t’en avertir… qu’on veuille la laisser aller et venir, prier hors du camp, xii, 5-6, Dieu lui dira l’heure qu’il aura choisie pour châtier son peuple ; elle-même conduira le général jusqu’au milieu de Jérusalem. » x, 11-xi, 21. Littéralement ensorcelés, Holopherne et ses gens la reçoivent et lui laissent toute liberté, xii, 1-9.

Au bout de quatre jours, Holopherne veut traiter ses familiers. Pensant amener Judith à ses amoureux désirs, il la fait inviter au festin. Docilement elle accepte. Le soudard enflammé boit outre mesure ; alourdi par le viii, il s’endort sur le divan. Chacun s’éloigne alors discrètement, xii, 10-xiir, 4. C’est l’ « heure » de Dieu. Deux fois Judith en larmes prie le Seigneur de l’affermir en son dessein conçu dans la foi la plus entière au secours divin ; puis, avisant le cimeterre suspendu à la colonne du lit de repos, elle saisit l’arme, et en deux coups rapides tranche la tête d’Holopherne. Le tronc ensanglanté prestement roulé à bas, la tête enveloppée dans la moustiquaire et mise dans

le sac aux provisions, .Judith et sa suivante sortent du camp et regagnent Béthulie. xiii, 5-12.

L’allégresse est grande en la cité à l’aspecl de la tête d’Holopherne : C’est Dieu même qui a tué l’ennemi ; c’est son ange qui a gardé l’héroïne en toutes ses démarches ; béni soit-il ! bénie soit-elle ! » xiii, 13-31. On s’apprête à taire une sortie au soleil levant. On suspend aux murs le sanglant trophée, et l’on s’avance vers le camp. xiv. 1-8. L’assiégeant s'émeut. On cherche Holopherne. A la vue de son corps décapité, le trouble et la terreur saisissent l’année entière : chacun s’enfuit. Les Juifs, ceux de Béthulie et ceux de toute la Judée, avertis de l'événement, font un grand carnage des fuyards, recueillent un immense butin, xiv, '.i-xv, 8.

Judith en reçoit sa bonne part. Le grand prêtre de Jérusalem vient la voir et la féliciter de l’appui et de la protection du Seigneur, xv, 9-15. Elle-même s’exalte et glorifie son exploit en un religieux cantique :

Assur est arrivé des montagnes du nord…

Mais Jahvé déjoua leurs projets,

Scbaddaï les anéantit par une main de femme. Ce ne sont point nos jeunes gens

Qui ont abattu leur puissant chef ; Ce ne sont pas les titans qui l’ont frappé. Ni les géants qui l’ont affronté : C’est Judith, la fille de Mcrari,

Dont la beauté l’a privé de force… XVI, .">, 7-8. Malheur aux nations qui s’attaquent à mon peuple ! e.ar Jahvé le vengera sur elles ;

sehaddai les visitera au jour du jugement. Au feu et aux vers il livrera leur chair, Clles en sentiront la cuisante à toujours. 20-21

(Grec et Vulgate.)

Le peuple se rend ensuite à Jérusalem célébrer la victoire, lue fête annuelle en consacre le souvenir. xvi, 22-31.

But religieux.

Histoire, fiction littéraire, allégorie

simple ou prophétique (sur la question du genre littéraire auquel il ressortit, voir Dictionnaire tir la , Bible, Paris, 1912, t. iii, col. 1820-1833 et Dictionnaire apologétique de la Foi catholique, Paris, 1915, t. ii, col. 1560-1564), ce récit a été conçu et rédigé dans une double intention, qui transparaît comme à Heur detexte et s’impose au lecteur avec tous les caractères de l'évidence : il veut établir cette vérité que Dieu n’abandonne jamais son peuple tant que celui-ci lui est tidèle ; il veut afïermir les Juifs dans la résolution de combattre tout ennemi de leur foi et de leur culte.

La vérité et la constance du fait divin s'établissent par l’histoire passée d’Israël autant et plus que par l’exemple des circonstances présentes, objet du récit. Cette histoire se reflète tout entière dans les discours ou les prières d’Eliacim, iv, 12-11 ; d’Achior, v, 5-25 ; de Judith, viii, 10-27 ; ix, 2-19 ; xi, 1-17, avec insistance sur la valeur et les eflets du pacte théocratique conclu entre Dieu protecteur ou justicier et le peuple observateur ou transgresseur des conditions religieuses OU légalistes de ce pacte. Elle se répète à l’heure où Béthulie et la Judée sont délivrées grâce a la fidélité de l’héroïne et de la nation aux devoirs qu’imposait la Loi ou son amplification traditionnelle, iv, 8-10 ; viii, 5-K ; x, 5 ; xii, 2, 9, 19. Cette fidélité est la marque même et comme la définition du la confiance en Dieu sauveur et secourable. iv, 12.

D’autre part, rien de plus opportun, semble ! il, que ce récit composé à la veille d’un danger suprême couru par Jérusalem et le judaïsme, tel qu’il dut s’en présenter plus d’un au cours de la période post-exilicn’ne où la Judée se trouva parfois jouir d’une autonomie et d’une tranquillité relatives sous la direction des grands prêtres, ou même des rois-pontifes asmo néens. Une lecture si pleine d'éléments édifiants et

rassurants ne pouvait manquer de relever le mora abattu et de soutenir le courage défaillant devant une menace nouvelle d’invasion et surtout de ses conséquences redoutées, la profanation du temple, la contrainte à des mœurs et à des observances étrangères au culte du vrai Dieu. Il n’est guère possible toutefois de déterminer le moment historique de la composition.

Caractère moral.

Non moins évident que le but

religieux du récit s’affirme le caractère moral des faits racontés. Dieu, voulant sauver son peuple et son culte d’un désastre irréparable, prend dans sa sagesse et sa providence aux desseins impénétrables, tout moyen humain de bonne guerre pour atteindre son but. La vertu de l’héroïne que lui-même inspire visiblement et qui agit sous l’impulsion de sa prévoyante et maîtrisante volonté, a, par une transposition temporaire de la responsabilité, sa sauvegarde dans le sentiment réel de la protection et du secours divins. Judith n’ignore pas que Dieu, parfois, « donne » « esprit de mensonge » quand il veut perdre et punir ses ennemis, III Reg., xxii, 22-23 : elle perçoit finement que dans le cas présent cet « esprit » réside élans l’empire absolu que prend l'être complexe féminin sur le cœur de l’homme vivement et sincèrement épris, et qui fait naître mainte occasion où s’endort la vigilance et s'éloigne même le péril d’un dénouement vulgaire. Il ne faut donc parler ici ni de « scandale », ni d' « odieux fanatisme », ni d' « assassinat », ni ele « sensualité raffinée i, ni de « conscience chrétienne révoltée ». (Auteurs rationalistes et théologiens réformés conservateurs.) Il ne faut pas non plus chercher des excuses maladroites à une entreprise aussi harelie, sous le prétexte par exem pie que Judith put bien vouloire provoquer élans Holopherne un amour honnête toujours susceptible de se résoudre en un mariage », Palmieri, De veritale hislorica Libri Judith, Golpen, 1886, p. 48, ou que la Bible n’entend pas approuver tout ce qu’elle raconte, Dictionnaire de la Bible, t. iii, col. 1823 ; Dictionnaire apologétique, t. ii, col. 1565. Judith souhaitant que l’ennemi capiatur laqueo oculorum suorum in me. et perculiatur ex labiis charitatis meæ, ix, 13, ne peut avoir imaginé pareille naïveté alors qu’elle vient de coin parer les assiégeants aux ravisseurs de Dina, tille de Jacob, qui violatores e.vstilerunt in coinquinatione sua. et denudaverunt fémur virqinis in confusionem. ix, 2. D’autre part, toutes les démarches de l’héroïne sont positivement louées, et d’une manière que l’on peut dire officielle, par les organes mêmes du magistère religieux cl moral du judaïsme, xiii, 22-26 : xv, 9-11, et par l’Esprit qui lui inspire son cantique, xvi. Elle a lait œuvre non seulement au-dessus de tout blâme, mais encore méritoire : idko eris benedicla in seternum… xv, 11.

IL Canonicité. — Bien que peut être écrit d’abord en hébreu (voir plus loin), le livre de Judith n’a point fait partie du canon palestinien des Livres saints. Les Juifs, qui le lisaient — sinon au temps d’Origène, Epist. ad Jul. Ajrican., c. xiii, P. (>'., t. xi, col. 80, du moins au temps de saint Jérôme, Pnvf. in lib. Judith, P.L., t. xxix, col. 37-38, — le comptaient parmi les htcûntm, extranei (libri), indiscutablement tenus hors du canon, encore qu’ils eussent été écrits avec le secours de la Bal qôl <> fille de la voix (divine) », inspiration de nature inférieure. Cf. Dict. dr la Bible, t.i, col. 1506 et t. iii, col. 1826 ; G. Wildeboer, De la formation du canon de l’Ancien Testament, trad. franc., Lausanne et Paris, s. d., ]). 66-67, Les Juifs hellénistes le transmirent comme saint et inspiré à l'Église chrétienne dans le corpus de la Bible grecque. S’il n’y est pas fait d’allusion certaine dans les écrits du Nouveau lesta ment--sinon peut être 1 Cor., ii, 10 (Judith, viii, 14) ; en revanche saint Clément de Rome et saint Ignace d’Antioche, parmi les Pères apostoliques, l’utilisent

au même titre que d’autres livres saints, le premier en le résumant et en mettant en relief l’exemple biblique de la « bienheureuse Judith », / Cor., lv, 4-5, ’IouSîÔ yj (xaxapîa ; cf. aussi lix, 3-4 (Judith, ix, 11), le second, Ephes., xv, 1, en citant le cantique, xvi, 17. Cette dernière citation est d’ailleurs fort douteuse. Cf. Funk, Opéra Patrum aposlolicorum, Tubingue, 1901, t. i, p. 168, 174, 176 et 224. — Au cours des iie et iiie siècles, les représentants de la tradition dans les églises alexandrine, africaine et orientale corroborent la tradition romaine de la canonicité du livre de Judith en l’employant ou en le citant expressément comme Écriture : Clément d’Alexandrie, Strom., iv, 19 ; ii, 7 (Judith, viii, 27), P. G., t. viii, col. 1328-1330 et 969 ; Origène, De oratione, 13, 29, P. G., t. xr, col. 452, 532 ; Tertullien, De monogamia, 17 et Adv. Mare., i, 7, P. L., t. ii, col. 952 et 253 ; Méthodius d’Olympe, Conuiv. decem virgin., xi, 2, P. G., t. xviii, col. 212. — Ici trouvent place les témoignages des plus anciens manuscrits grecs des Septante, le Yaticanus et V Alexandrinus, qui insèrent Judith au milieu du recueil sacré, avant ou après les Prophètes ; de la vieille version latine, dont maint texte, celui de Judith en particulier, se perpétue des siècles durant jusque dans la vulgate hiéronymienne (voir plus loin), et dont un catalogue stichométrique qui est peut-être du m siècle, celui du Codex claromonlanus, mentionne iudit parmi les scribluræ sanciæ, entre les Macchabées et hesdra. Dicl. de la Bible, t. ir, col. 147 et fig. 287 (fac-similé).

Le défaut extrêmement probable de canon des livres saints chez les Juifs alexandrins, à savoir de canon déterminé et clos officiellement, cf. t. ii, col. 1572-1574, et aussi t. iv, col. 2033-2034, a amené plusieurs écrivains de l’Église gréco-orientale à ne dresser, selon les nécessités ou les opportunités de leur enseignement, que le canon palestinien des livres hébreux. Ainsi Méliton de Sardes, dans Eusèbe, H.E., IV, xxvi, P. G., t. xx, col. 396 ; Origène, Expos, in Ps. 1, P. G., t. xii, col. 1084 ; saint Athanase, Ep. fesl., xxxix, P. G., t. xxvi, col. 1176, suivis par saint Cyrille de Jérusalem, saint Grégoire de Nazianze et saint Amphiloque, saint Épiphane, le concile de Laodicée, le 85e canon des Apôtres et, en Occident, par saint Hilaire de Poitiers, Rufin, saint Jérôme, voir t. ii, col. 1576-1578. Mais ces Pères et écrivains ne bornaient pas, comme on le sait, aux livres de ce canon les « Écritures divines », les « livres inspirés », les « volumes sacrés » ; cf. Dicl. de la Bible, t. ii, col. 119-155. Us citaient bien comme Écriture nos deutérocanoniqucs de l’Ancien Testament et parmi eux Judith ; ainsi S. Athanase, Apologia contra arianos, 11, se réfère sous la rubrique « comme il est écrit » à un passage de Tobie, xii, 7, P. G., t. xxv, col. 268 ; S. Hilaire, In Ps., cxxv, 6 : Judith, xvi, 3 est « inspiré », P. L., t. ix, col. 688 ; S. Jérôme, Epist., lxv, ad Principiam virgincm, 1 : Ruth et Eslher et Judith tantie gloriæ sunt , ut SACSIS voluminibus nomina indiderint. P.L., t. xxii, col. 623. Ailleurs, il est vrai, saint Jérôme introduit une restriction : citant le Lévitique et les Proverbes pour expliquer Aggée, i, 5-6, il ajoute : Similiter qui penilus non bibit siti peribit, sicut et in Judith (si guis lamen indt librum recipere mulieris) : Et parvuli siti perierunt (Judith, vii, 16), P. L., t. xxv, col. 139). Parallèlement, saint Basile, les écrivains de l’école d’Antioche, saint Éphrem, la tradition occidentale se perpétuant par saint Ambroise, saint Augustin, les conciles d’Hippone et de Carthage, le catalogue stichométrique africain de Cheltenham (pour la Vulgate, cl. Sam. Berger, Histoire de la Vulgate, Nancy, 1893, p. 319-324), le décret dit de Gélase et la lettre d’Innocent I er à Exupère, admettaient sans la moindre hésitation dans le recueil sacré Judith avec les autres deutéro-canoniques. Voir t. ii, col. 1578-1579, et Dicl. de la Bible, t. ii, col. 149-153. Jusqu’au décret

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

du concile de Trente — les doutes n’étant quVin écho affaibli de ceux de saint Jérôme et demeurant dans le domaine de la théorie — telle sera l’invariable situation. Voir t. ii, col. 1579-1582.

III. Théologie.

Dieu en lui-même.

Il est

désigné, ou défini, dans le livre de Judith par le moyen de noms divers qui s’interchangent au cours du récit, comme pour préciser graduellement l’idée que le lecteur pourrait concevoir de sa nature, depuis le nom propre, ou le simple appellatif, jusqu’à l’expression abstraite qui paraît vouloir éviter désormais tout vocable ayant une couleur anthropomorphique trop prononcée. — Les noms de Jahvé et d’Élohim, traditionnellement transmis, sont gardés encore en maint passage et transparaissent sous les traductions grecque ou latine xôpioç et 0s6ç, dominus et deus, cf. v, 17, 23 ; vi, 18 ; viii, 20, 33 ; ix, 4 ; xi, 12 ; xiii, 17, 19 (grec^iv, 2 ; vn, 19, 29-30 ; viii, 14, 16, 23, 25 ; xii, 8), particulièrement dans le cantique, xvi, 3 :

Dominus conterens bella,

Dominus nomen est illi… (Cf. ix, 10, Grec, ix, 8).

Kûpio ; ovofiâ <701 (Grec, xvi, 2).

Adonai Domine magnus es tu., xvi, 16. G. K-Jpie,

[jiâya ; il.

Il semble même que les antiques appellations’El’Eliôn, Gen., xiv, 18, Jahvé’Eliàn, Ps., xlv : i, 3, ’El Schaddaï, Gen., xvii, l, etc, se retrouvent sous le grec 0eôç ô û^wtoç, xiii, 18 (Vulg., xiii, 23), Dominus Deus excelsus et xûpioç TCaVTOxpàTcop, iv, 13 ; viii, 13 ; xv, 10 ; xvi, 5 et 17 (Vulg., xvi, 7 et 20 : Dominus omnipolens), comme traduisent habituellement les Septante. — Cette reviviscence d’anciens noms propres maintenant interprétés en qualificatifs de la divinité accuse la tendance du judaïsme à remplacer jusque dans les écrits le nom divin, qu’il était interdit de prononcer en dehors du service du temple, par des périphrases expressives qui voulaient marquer l’incomparable grandeur et majesté de Dieu. Ici même nous trouvons plusieurs formules circonlocutoires, quasi cérémonielles et liturgiques, où perce l’idée de la transcendance divine, à distinguer de celle du souverain domaine sur la création. Ce domaine s’exprime par les vocables, v, 8 : ô 0eôç io~j oùpacoû (Vulg. v, 9 : unus Deus cœli) ; vi, 19 : xûpie, ô Œôç toô ôopavoù (Vulg. vi, 15 : Dominus, Deus cseli et terrœ) ; ix, 12 : SéarcoTa tôv oûpavwv xal xîjç yî)ç (Vulg., ix, 17 : Deus cœlorum) ; tandis que l’idée de l’être divin plus abstraitement désigné encore transparaît dans les termes suivants : ix, 14 : ô 0ô6ç Tiâ-d^ç, 8’Jvâ[i.s<oç xal xpaTOuç, ix, 8 : tô ôvojjta TÎjç 86Çy)ç ctou (comp. Vulg., III Esdr., ix, 5 : benedicanl nomini glorpe luæ ; Dan., iii, 52 : benedictum nomen glorpe tuée ; I Mac, xiv, 10 : nominattim est nomen gloriæ ejus). — Le sentiment de l’unité dh ine s’affirme dans la définition même du paganisme, viii, 18 : adoration de « dieux faits de main d’homme » o17rpoaxuvouai.GeoTç x^P 07101 "^ 011 » (Vulg., deos alienos), c’est-à-dire d’êtres purement imaginaires. Mais cela n’empêche pas toutefois la spéculation de s’exercer au sujet des manifestations divines et de tendre à les personnifier comme autant d’intermédiaires entre Dieu, que l’on conçoit comme de nature transcendante, et le monde où elles rendent possible son action. On connaît la « Sagesse » des Proverbes. Judith célèbre 1’ « Esprit » que Dieu « émet » et qui « bâtit », xvi, 14 : à.n£-Tzi<xq tô irveufjia aou. xal wxoSoja.rj’jev (Vulg., xvi, 17 affaiblit : Misisti spiritum tuum, et creata sunt ). Elle tremble pour < le tabernacle du repos du nom de ta gloire, ix, 8 : tô axyjvcojxa tîjç xaTa^aûffscaç toô ôv6(i.atoç /tîjç S6^-/)çctou (Vulg., iii, 11 : tabernaculum nominis toi). La « Gloire » le « Nom » sont ici des sortes d’hypostases assurant au temple la présence, par mandat représentatif, de Dieu qui est au ciel. On sait, en effet,

VIII. — 55

que pour le Juif le nom représente la personne ; que le « nom » (de Jahvé) ut sic jouait un grand rôle dans le culte du second temple : qu’on < exorcisait ((adjurait) en Israël, II 1 Esdr., i. 18 : ôpxiaGeiç -<û> ôv6(LaTi xuptoo (conip. Marc, ix, 38 ; Luc, ix. 49) et même en dehors d’Israël, dans le monde païen, par contamination juive (cf. Ad. xix, MO. au nom saint de (Jahvé) Sabaoth » : ôzyJZa ce… tC) ôvôfxaTi tco àyîcp (i.aco) Aa>0 Aoatoô. Deissmann, Bible studies, Edimbourg, 1901, p. 274 sq.

— La Vulgate, a traduit, ou compris en ce sens de « manifestation. d’< liypostase » divine, se conformant du reste en cela à l’acception native du male’dk hébraïque, l’intervent ion protectrice de Jahvé à l’égard le Judith chez Holopherne, xiii, 20 : Vivit autem ipse Dominus, quoniam cuslodivil me angélus ejus et hinc euntem, et ibi commorantem, et inde hue revertentem (Grec, xiii, 10 : xal Çfj xôpioç Ôç SiefpôXaÇév px èv tjj oScô nou fj ênopeûô^v). Il semble bien qu’il ne s’agit point ici d’un esprit angélique détaché de la cour divine comme dans Job, v, 1 ; xv, 15 ; Eccli., xlii. 17 : Tob„ xi, 14 ; xit, 15 ; Dan., iv, 13 etc. (àyioi ééyyeXo’.).

Attributs de Dieu.

On ne connaît pas toutefois

Dieu réellement, tel qu’il est en lui-même ; on a beau « le sonder », on ne peut arriver à savoir ce qu’il pense, rèv voûv, ou ce qu’il médite, tôv Xoyiajjiôv, viii, 1 1. On ne l’apprécie que par ses œuvres, dont chacune révèle quelqu’un de ses attributs. — C’est ainsi qu’on le reconnaît créateur. Il est « le Dieu qui a fait toutes l > hoses viii, 14 : tôv Geov ôç ènoii)GS) -rà roiv-ra Taùra (cf. xvi, 14 : côxoSo^asv) ; et la notion de cette œuvre se définit et se précise, à la suite, dans les termes appropriés : xtÎctt7 ; ç « créateur », ix, 12 ; xiii, 18 (exTtccv), XTtctç « création », ix, 12 ; xvi, 14 (Vulg., creator, ix, 17 ; xiii, 24 (creavit), creatura ; xvi, 17). Il est maître absolu, roi de cette création, ix, 12 : SsoTtoxa twv oùpavcov xal ttjç YÎfc—i fJaaiXEÔ nâar^ç xtCoscoç (Vulg., ix, 17 : Dominus cwlorum…, dominus totius creaturse). — Dieu est juste, ici d’une justice qui s’exerce spécialement par le châtiment des « nations » ennemies d’Israël, xvi, 2, 4, 17 (Vulg., xvi, 4, 6, 20-21), soit aux jours de Judith, soit « au jour du jugement ». Mais c’est précisément parce qu’il est « le Dieu des humbles, le soutien des petits, le défenseur des faibles, le protecteur des méprisés, le sauveur des désespérés. » ix. 1 ! (Vulg., ix, 10 : liumilium et mansuctorum semper libi placu.it deprecatio). Ces « humbles », etc., sont les Juifs, ainsi que l’indique le contexte de la prière de Judith ; le CTWT/jpdes Septante n’étant, du reste, qu’une traduction du go’ël (yeêou’ah, yêia’) hébraïque, « vengeur > du peuple opprimé. — C’est en secourant ainsi les siens que Dieu fait paraître sa miséricorde, xiii, 14 : to eXeoç (Vulg., xiii, 18 et 21 : misericordia ; cf. aussi, ix, 17). Mais cette miséricorde louche de près à la colère ; et sous la reconnaissance de la bonté de Dieu, frémil le sentiment de la crainte de ses jugements, viii, 1 1-2 :  ; (Vulg., viii, 12 fort explicite : non est isle sermo, qui misebicordiam provocel, sed potius çui iram excitet, et i urorem accendat). De la sorte, l’épreuve, nsiptx<xii ; éç, vin, 2°>, 27, vient à être considérée comme une grâce, eîç /âpw, viii, 23 ; le châtiment, comme possédant une vertu éducative. Vulg., viii, 27 : quasi servi corripimur ad emendationem, non ad pcrditionrm… Comp. Job, xxxiu-xxxvii (discours d’Elihu). Les Juifs sont les < enfants » de Dieu, ix, 1. 13 : uioî aoo (Vulg, ix, I : servi lui) ; il suit que Dieu les éprouve « comme un père qui veut avertir » (Sap. xi, 10).

3° L’homme.- 1. Anthropologie juive. — La philosophie hébraïque distinguait dans l’être humain comme trois parties constitutives : le corps (chair et sang), l’esprit, l’âme vivante. Le corps était limon terrestre ou poussière ; l’esprit, souille de Dieu ; l’âme vivante, nne née de la réunion de l’un et de l’autre. Gen., il, 7 ; Eccl., ni. 19-21 : Job, xxviii, 3 ; xxxiv. 14- |

15 ; Ps. civ, 29-30, cf. t. iv, col. 2018. L’esprit et l’âme ne sont pas toutefois â distinguer réellement ; ce sont plutôt deux aspects d’un seul et même principe, la vie - deux ternies synonymes dont le second met l’accent sur l’existence individuelle réalisée par l’infusion du souille, de l’esprit. Le judaïsme les confond en effet, * comp. Sap., xv, 8, 16, 4 lu Xi = ^veùfia, et, en vertu du parallélisme des membres, Sap., xv, Il b et c ; xvi, Il bel c. Il partage l’homme simplement en corps et âme (vie), Judith, x, 13 : oiç>^, 7rveôu, a Çwîjç. Cf. II Mæch., vi. 30 ; vu. 37(Vulg.) ; xiv, 38 ; xv, 30. L’âme est le siège profond des sentiments humains, tô fiâOoç xocpStaç àvOpwrcou, de la parole intérieure où s’explicite la raison, 6 Xôyoç tt)ç Siavoiaç aùfoG, viii, 1 1 : la pensée, voûç, le dessein réfléchi, Xoyia|i.6ç (prêtés à Dieu par anthropomorphisme), en sont comme l’expression native et demeurent par essence « impénétrables ».

2. Éthique juive — Certaines données du livre de Judith nous permettent de présenter ici une courte esquisse de la morale particulière du judaïsme considérée dans ses motifs fondamentaux, dans son idée du péché et de la pénitence, dans quelques-unes de ses pratiques et observances ajoutées à celles de la Loi. dans son caractère remarquablement individualiste et dans son aboutissement possible à l’ascétisme. — Les Juifs trouvent une raison déterminante de pratiquer les règles de la loi morale, religieuse ou sociale, qui leur a été transmise traditionnellement, dans la croyance à une sûre et stricte rétribution pour le bien et pour le mal en cette i te. C’est le principe allirmé par Achior, porte-parole de la vérité séculaire qui v réaliser une fois de plus dans le cas présent, v, 17-1 s. 2021, comme par Judith elle-même dans son discours aux chefs « lu peuple, vra, 17-20, et concrétisé dans le l’ait de la longue vie de l’héroïne récompensée ainsi île ses vertus, xvi, 23. Il n’est point question dans le livre de sort particulier réservé, , au jour du jugement », aux Juifs méchants ou apostats, car on ne suppose pas qu’il y en ait encore de tels, viii, 18-20. L’n autre motif est la crainte de Dieu : thème souvent traité, et avec mainte variation, dans la littérature proprement juive depuis Eccli., i, 11-20, thème que reprend et résume le cantique, xvi, 15 et 16 :

Mais à ceux qui te craignent

Tu te montres propice…

Et’qui craint le Seigneur

Est grand à tout jamais.

La conscience du péché joue aussi son rôle dans les préoccupations de l’âme juive vis-à-vis de la loi morale. Le juif pieux et fidèle à Dieu paraît avoir éprouvé la sentiment profond d’être chargé des péchés de ses pères comme des siens propres, vil, 28 (Vulg., mi, 17 et 19). Judith conçoit la faute, l’iniquité, comme une sorte de « possession » dans l’être humain, xi, 11, comme une « souillure » et une « honte », xiii, 16 (Vulg., xiii, 20 : poUulio peccaii). Ce sentiment est si fort, qu’il nécessite la « conversion », v, 19, la « pénitence i < Vulg. : panitucrunl), comprise de la « prière » pénitentielle non moins que des signes extérieurs du repentir et de l’humiliation, le jeûne, les prosternements, le sac, la cendre. iv, 9-12 ; ix, 1-x, 3. — Le jeûne, la prière sont (avec Y aumône, cf. Tob., ii, 14 ; xii, 8 cod. B ; xiv, 9 cod n ; 11, cod. 15 : Dan., iv, 21 Grec) comme les piliers fondamentaux de la vie judaïque religieuse en dehors du temple, une sorte de nouveau service divin dépouillé de toute pompe extérieure, et qui déborde

de la synagogue sur la vie privée. Le jeûne apparaît dans le livre de Judith comme un renforcement de la prière, iv, 11,.13, comme une préparation nécessaire à la manifestation de la puissance divine, iv, 12. 1 I (Vulg.). Hors les cas de grande détresse, il était réglé

et assigné à certains jours, cf. Zach., vii, 5 ; viii, 19. Le jeûne plus fréquent était affaire de dévotion et de piété personnelles ; ainsi Judith jeune « tous les jours », « excepté la veille du sabbat et le sabbat, la veille et le jour de la néoménie, les fêtes, les jours de réjouissance de la maison d’Israël » (fêtes extraordinaires distinctes de celles qu’avait instituées la Loi), viii, 6. La prière elle-même paraît être aussi réglée, au moins pour les dévots, cf. Ps. lv, 18 ; Dan., vi, 10, et faite « trois fois le jour » ; car Judith demande à sortir du camp, « à la veille du matin », « pour la prière ». xii, 6 (Vulg., xii, 5, 7, 9). — Ces pratiques sont déjà pour une part en marge de la religion nationale, des lois cérémonielles qui en constituent toujours l’essence. Celles-ci restent observées : holocaustes quotidiens, vœux, dons volontaires, Judith, iv, 14 ; xvi, 18 (Vulg., iv, 16 ; xvi, 22), prémices et dîmes, xi, 13 (Vulg., xi, 12) ; mais à côté se développe un luxe de prescriptions qui, partant des principes généraux posés par la Loi, enserrent de leurs liens étroits la vie quotidienne pour chacune de ses éventualités : aliments « purs », x, 5 ; xii, 2, « ablutions » purifiantes, xii, 7-9, précautions dans les relations sociales avec les païens, xii, 1-2 ; xiii, 16 (Vulg., 20). Ainsi se forme et s’entretient la conviction que le juif pieux peut demeurer tel par ses propres elTorts en dehors des rites cultuels solennisés en commun. On fait couramment différence entre « les sacrifices au parfum agréable », « la graisse offerte en holocauste », qui en soi sont « peu de chose », et la « crainte du Seigneur », la vertu et la droiture individuelle qui en font tout le prix, xvi, 16 (absent de la Vulgate) ; cf. Eccli., vn, 9 ; xxxiv, 21-xxxv, 20 (Grec). — On peut aller ainsi jusqu’à l’ascétisme. Le mariage est certes toujours fort en honneur dans le judaïsme. Pourtant le long veuvage volontaire de Judith est expressément loué, vm, 4 ; xvi, 22 (Vulg., xvi, 26 : erat etiam virtuti castitas adjuncta ; cf. xv, 11 : eo quod castitatem amaveris ) ; il paraît même avoir dans la pensée de l’héroïne valeur déterminante pour le secours divin, ix, 4, 9 (Vulg., ix, 3).

4° La foi juive. Le prosélytisme. — Le centre de la piété juive est la croyance en Dieu, créateur de toutes choses, et en sa puissance, racine de l’immortalité, Sap., xv, 2-3 : èniarnoQa.i <je, cf. Sap., iii, 9 ; II Macch., vn, 28-40 ; IV Mach., xvi, 18-23, etc., formellement distincte de la confiance en la Sagesse ou en Dieu — cette confiance marquée par le même mot, tuoteûsiv

— et impliquant adhésion de l’esprit par conviction ou par choix, cf. Henoch, xlvi, 7 ; lxiii, 7, etc. Judith manifeste cette croyance, formule cette « confession » de foi dans son discours, viii, 14 et dans sa prière, ix, 14. Qui plus est, cette « foi » devient condition d’admissibilité dans la communauté, ainsi qu’il appert de l’exemple d’Achior converti au judaïsme, xiv, 10 : èjtîareucTev xtiS 6e< « >… (Vulg., xiv, 6 : credidit Deo et circumcidit carnem…). Le prosélytisme juif attesté par ce fait pour le pharisaïsme palestinien, procède ainsi par voie d’assimilation dans son effort pour réaliser son espoir de la conversion du monde païen, espoir bien marqué à cette époque : Dan., iii, 33 (Grec), 87, 90 (Grec) ; Tob., xiv, 6. Il absorbe les éléments étrangers qu’il recrute ; il défend et assure son caractère national persistant : le monde doit se faire juif et non le Juif se résorber dans le monde des nationalités.

IV. Histoire du livre.

Auteur et date.


L’auteur du livre de Judith est et paraît devoir rester complètement inconnu. La première rédaction se place d’elle-même entre le temps de l’exil et les premières années de la diffusion du christianisme. Elle est certainement post-exilienne ; car, iv, 3, 8 (Vulg., iv, 5, 11) ; v, 18-19 (Vulg., v, 23) les Juifs du récit sont « revenus de la captivité » et gouvernés « par les grands prêtres ». Elle est certainement aussi antérieure aux temps pre miers du christianisme ; car les citations de Clément Romain, / Cor., lv et lix, indiquent assez que le livre était bien connu dans les cercles juifs et chrétiens à cette époque et donc composé depuis au moins quelques dizaines d’années. L’état religieux et moral supposé par les détails du récit, tel qu’il a été rapporté plus haut, rapproche le livre de ceux de l’Ecclésiastique, de Tobie, de la Sagesse et des Macchabées et en situe la composition entre le commencement du iie siècle avant Jésus-Christ et l’époque hérodienne. L’ardent patriotisme et l’extraordinaire estime de la Loi qui s’y trouvent marqués conviendraient parfaitement à la mentalité d’un juif appartenant au parti assidéen que nous voyons déjà organisé à l’époque macchabéenne.

Voir sur la question : Dict. de la Bible, t. iii, col. 1833 ; sur les multiples hypothèses concernant la date, l’auteur et même les sources du livre, et pour la littérature du sujet : Tony André, Les Apocryphes de l’Ancien Testament, Florence, 1903, p 139-163, plus anciennement, O. Zôckler, Die Apokryphen des Allen Testaments, Munich, 1891, p. 187-188.

Texte original et versions.

1. Texte primitif

du livre de Judith. — Ce livre a dû être composé d’abord en hébreu classique ; car seul un texte original hébreu (à l’exclusion de l’araméen) peut rendre compte des tournures et des expressions sémitisantes qui se rencontrent dans le grec des Septante, cf. les passages : i. 1 : èv Taïç Yjjiipatç… etc., 10 fois ; les nombreux açoSpa simples : i, 12, 16 ; ii, 17, 18, 26, etc., etc., ou prégnants : iv, 2 ; v, 9, 18, etc. etc. ; les locutions : jfrvu. Tjfxepôiv, ni. 10 ; tootcc adepi ;, ii, 3 ; x, 13 ; xX/jpovo [i.eîv, v, 15 ; 81é0efo, v, 18…, comme des contre-sens qui ne peuvent s’expliquer dans le grec de la traduction que par de fausses lectures de ce texte original, ii, 2 ; iii, 10 ; viii, 21. Voir sur cette question, Movers, Ueber die Ursprache der deuterokanonischen Bûcher des Allen Testaments, dans Zeitschrift fur Philosophie und katholische Théologie, Heꝟ. 13, Cologne, 1835, p. 35 sq. ; Fritzsclie. Die Bûcher Tobi und Judith erklàrt, Leipzig, 1853, p. 115 sq. ; Tony André, Les Apocryphes de l’Ancien Testament, Florence, 1903, p. 158-159.

2. Principales versions.

a) Version grecque. — Elle existe sous trois formes : a. celle des Septante dans les principaux et plus anciens mss. Vaticanus, Alexandrinus, Sinaiticus, Venetus. (Bonnes éditions dans Fritzsclie, Libri apocryphi Veleris Testamenti grsece, Leipzig, 1871, p. 165-203 ; Swete, The Old Testament in Greek, Cambridge, 1896, t. ii, p. 781-814 (texte du Vaticanus, variantes de x et de B) ; b. celle du ras. 58 que l’on croit être à la base de la vieille latine et de la Peschitto ; c. celle de la recension lucianique, ms. 19 et 108. Autres textes grecs dans Scholz, Commentar ûber das Buch Judith, 2e édit., Leipzig, 1898, p. ii-cxxii (en appendice), qui utilise cod. 71 ; Vigouroux, La Bible polyglotte, Paris, 1902, t. iii, p. 528-602, qui prend pour base le ms. Paris, suppl. grec, 609.

b) Versions latines. — a. Vieille latine. — Édition de P. Sabatier d’après cinq manuscrits aux nombreuses variantes, Bibliorum Sacrorum latinse versiones antiques Reims, 1743, t. i, p. 744-790. Autres manuscrits signalés par S. Berger dans Notices sur quelques textes latins inédits de l’Ancien Testament, Paris, 1893, p. 28-28, et Histoire de la Vulgate pendant les premiers siècles du Moyen Age, Nancy, 1893, pages 19 à 101 passim. — b. Vulgate hiérony mienne. — Saint Jérôme connut cette ancienne version latine du livre de Judith par de « nombreux codices > dont les « divergences », à son avis « défectueuses », lui déplurent. Il paraît néanmoins en avoir fait usage pour sa traduction de ce livre — d’un texte araméen. chaldœo… sermone conscriptus — -et d’une façon pour le moins négative, en ce sens qu’il retrancha délibérément de ces mit JUDITH (LIVRE DE), HISTOIRE DU LIVRE — JUÉNIN

1720

codices tout ce qui ne correspondait point clairement au texte araméen, sola ea quæ intelligentia intégra in verbis chaldseis inrenire potui, lalinis expressi. Il fit cette traduction comme malgré lui, estimant peu ce livre, et s’attachant à rendre le sens plutôt que le mot à mot : cujus (libri) auctoritas… minus idonea judicatur. Acquievi poslulotioni veslnv, immo exacliuni…, magis sensume sensu quam ex verbo verbum trans/erens. Prse/al. in librum Judith, P. L., t. xxix, col. 39-40. C’est apparemment par le fait de ces restrictions du saint docteur, dont on eut connaissance dans les scripioria monacaux, que le texte de l’ancienne latine de Judith (et de Tobie, jugé également « apocryphe » ) se maintint longtemps dans les manuscrits de la Vulgate seul ou parallèlement à la nouvelle traduction hiéronymienne. S. Berger, loc. cit. Cette dernière difïère donc beaucoup du texte grec. Bien que passablement plus courte — d’un cinquième environ — elle contient par ailleurs nombre d’additions, parfois de versets entiers, et de développements différents, véritables amplifications qui trahiraient peut-être le midrasch. Ces divergences < portent sur des faits accessoires, étrangers à l’objet principal du livre ». Voir Dictionnaire de la Bible, t. iii, col. 1824-1825 ; Tony André, Les Apocryphes, p. 164-168 : tableau des additions, des différences dans les noms propres et dans les chiffres.

c)Versions syriaques. — a. Celle de la Peschitt ». — b. La syro-hexaplaire, dans un manuscrit aujourd’hui disparu.

On ne trouve de commentaires proprement dits du livre de Judith qu’à partir du Moyen Age : Raban Maur, P.L., t. cix, col. 539 ; W. Strabon, t. cxiii, col. 731 ; Hugues de Saint-Victor, t. clxxv, col. 744, etc., puis, dans les temps modernes, Corneille de Lapierre, Ménochius, Calmet, etc., dans leurs commentaires d’ensemble sur la Bible.

Commentaires spéciaux. — 1. Catholiques : Serarius, Mayence, 1599 ; Sanctius, Lyon, 1628 ; Pamelius, Cologne, 1628 ; Diego de Celada, Lyon, 1637 ; Joseph de la Cerda, Lyon, 1644 ; Vellosus, Lyon, 1649 ; Neuville, Paris, 1728 ; Nickes, Breslau, 1851 ; Gillet, Paris, 1879 ; Scholz, Wiirzbourg et Leipzig, 1887, 1898.

2. Non catholiques.

Fritzsche, Das Buch Judith, Leipzig, 1853 ; Wolff, Das B. Judith, Leipzig, 1861 ; Zôckler, Das B. Judith, dans Die Apokryphen des Alten Testaments, Munich, 1891, p. 185 sq.

Bibliographie abondante dans Zockler, op. cit., et Tony André, op. cit., p. 147-148.

L. Bigot.