Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION II. Dans l'Eglise grecque après le concile d'Ephèse. V La croyance à l'immaculée conception dans l'Eglise gréco-russe à partir du XVIè siècle

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 488-495).

V. La croyance de l’immaculée conception dans l’église gréco-russe a partir du XVIe SIÈCLE.

Après avoir entendu les derniers théologiens de Byzance enseigner si clairement la sainteté initiale de la mère de Dieu, on est porlé tout naturellement à cr ire que cette doctrine avait définitivement acquis droit de cité dans l’Église grecque, et l’on s’attend à la retrouver chez les théologiens postérieurs. Or voici le phénomène étrange que l’on constate. L^n grand nombre de théologiens modernes nient ce qu’avaient affirmé les anciens, et se dédirent les adversaires de la doctrine catholique de liinmaculée conception. Dès le xvie siècle, commence à prendre consistance dans les milieux orientaux l’opinion timidement émise au xive siècle par Nicéphore Cullisle : « La Toute-Sainte a été conçue dans le péché originel tout comme les autres hommes. Elle n’a été purifiée de cette souillure qu’au moment de devenir la mère du Sauveur, lorsque le Saint-i.sprit descendit en elle, selon la parole de l’ange : « Le Saint-Esprit viendra sur vous et vous « couvrira de son ombre. < Lue., i, 35. Vers la fin du xviF siècle, la doctrine de l’immaculée conception est déjà rangée par quelques polémistes anlilatins au nombre des Innovations occidentales qu’il faut rejeter, et quand, en 1854, le pape Pie IX exprime dans une définition solennelle la foi de l’Église catholique, ce sont, en Orient et en Russie, des protestations et des attaques passionnées contre i le dogme nouveau inventé par ri-église papique sous l’innuence des jésuiies. » Il fcvU’cependant attendre l’année 1895 liour t"ouve, r dans l’Église grecque proprement dite un document officiel qui catalogue l’immaculée conception parmi les divergences qui font obstacle à l’union des Églises Ce document est la lettre synodale du patri.rche œcuménique.

thiine VII, écrite en réponse à l’cncycli que Prx.clnra çiraluhdionis du pape Léon XIII aux Orientaux. Quelques années auparavant, en 1 8-1, le saint-synode russe avait également fait figurer l’immaculée conception parmi les divergences entre les Églises dans un programme officiel de théologie polémique pour les éminaires et les académies ecclésiastiques. Comment expliquer cette rupture avec l’antique tr.idltion dans une Église qui est si fiôre de son l)assé ? Ce revirement ne s’explique point aisément et lient à des causes multiples.

M. lis tout d’abord, il faut se garder d’en exagérer l’étendue et la portée. A côlé du cou ; mt dielrina) fort puissant, il est vrai, loslile ; iu privilège ne M.iric, il y a toujours eu dans l’Église gréco-russe, ai’ii<)in8 jusqu’à la définition de 1851, un courant nettement

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IMMACULÉE CONCEPTION

favorab !.’ii ce privilej^c, loinin’, ' nous le inonlreroiis tout : i l’heure.

Par ailleurs, il ne fautpas.-Utribuor trop d’iniportance à ce que (lisent les lliéoiogiens de l’Église gréco-russe, voire même à ce que peut écrire un patriarche de Constantiiiople dans une encyclique ; car ni celui-ci ni ceux-là ne sont considérés comme infaillibles. Pou l’Église gréco-russe, l’unique sujet de l’infuillibilil’est le concile œcuménique. Tant qu’une assemblée d ce genre n’aura pas dirimé la question de rimmaculéc conception, celle-ci restera à l’état de question librement débatUie, et les partisans du privilège mariai auront autant de droit à l’aire entendre leur voix au sein de’l’orthodoxie » que ceux qui le rejettent.

L’opposition à la doctrine de la conception immaculée dans l’Église gréco-russe ne s’explique pas uniquement, comme on le dit communément, pai l’influence de la théologie protestante. Sans aucun doute, cette influence a été considérable. Elle fut prépondérante en Russie, au xin’e siècle. Mais elle est loin de rendre xaisoH de tous les cas particuliers, et, par exemple, du cas de Cyrille Lucar, qui fut, comme on sait. tout déoué aux doclrines de la Réforme et qui enseigna, cependant, très clairement l’immaculée conception, eu se référant à Bellirmin. D’autres causes se sont combinées avec cette influence pour détourner les grecs modernes de la voie tracée par leurs ancêtres. Mettons en première ligne l’ignorance de la tradition byzantine, cjue l’on remarque chez ceux-là mêmes qui devaient en êtvv ; les déposit.iires et les défenseurs. On remarcsuera que la plupart des témoignages exprimant la perpétuelle sainteté de Marie que nous avons rapportés pour la période postérieure au schisme sont tirés de pièces inédites ou publiées seulement au Xixe siècle. Ces témoignages, les théologiens grecs modernes ne les ont pas connus. A pnrtii du xvie siècle ils allèrent puiser leur instruction théologique dans les universités d’Allemagne, d’Angleterre et d’Italie. En Italie, ils prirent contact avec la scolastique latine. En Allemagne et en Angleteire, ils se familiarisèrent avec les doctrines de la Réforme. Si les leçons des professeurs protestants n’augmentèrent pas leur dévotion pour la « Panaghia », il faut reconnaître que la controverse qui divisait les théologiens catholiques au sujet de l’immaculée conception pouvait avoir un résultat tout autre que celui de leur inculquer cette doctrine. N’oublions pas qu’au xviie siècle, époque où beaucoup de grecs étudient à Venise et à Padoue, l’école dominicaine nie encore ouvertement le privilège de Marie. Si un décret de saint Pic V, en 1570, interdit aux prédicateurs, sous peine de suspense, d’attaquer la pieuse croyance que tous les fidèles admettent, les théologiens gardent la liberté de la discuter dans les académies, jusqu’au début du xviie siècle. Parmi les jeunes griîcs qui sont mis au courant de ces discussions, les uns se prononcent pour le privilège de la Toute-Sainte ; les autres se laissent impressionner parles objections, et le rejettent.

Au nombre des objections que les adversaires de l’immaculée conception ont, de tout temps, mis en av^mt, figurent les passages bien connus de saint Grégoire de Nazianze et de saint Jean Damascène, où ces Pères parlent d’une purification préalable de la Vierge par le Saint-Esprit avant l’accomplissement du mystère de l’incarnation. Plus que toutes les autres considérations d’ordre théologique, ces textes de deux de leurs Pères les plus vénérés portèrent les grecs à nier le privilège mariai. Les théologiens byzantins avaient cent fois expliqué que cette purification devait s’entendre d’une augmentation de sainteté et non de l’effacement d’une souillure’quelconque. Les étudiants grecs d’Occident, qui n’avaient pas lu les homélies de Grégoire Palamas, de Nicolas Cabasilas

et de Georges Schohirios, prirent au pied de la lettre le terme de purification, et adoptèrent l’opinion d’après laquelle.Marie a contracté la souillure originelle et qu’elle n’en a été pur, liée qu’au jour de l’annonciation. Cette thèse leur jiermettait de faire bande à part et de se différencier à la fois des partisans de l’immaculée conception et de ceux qui admettent une sanctification de la Vicr, ge dans le sein maternel.

On peut aussi assigner une cause d’ordre psychologique aux négations de certains polémistes anticatholiques d’Orient et de Russie. Tant que la doctrine de l’immaculée conception eut des adversaires parmi les théologiens catholiques, ils n’élevèrent pas la voix pour crier à l’innovation. Mais à mesure que le saintsiège patronna davantage cette doctrine et multiplia les défenses de l’attaquer, ces polémistes, obéissant plus ou moins inconsciemment à l’esprit de contradiction qui caractérisa toujours les sectes séparées de la véritable Église, commencèrent à mener campagne contre elle. On la repoussa moins parce qu’on la trouvait fausse et contraire à la tradition, que parce qu’elle avait les faveurs du pape. Si la définition de 1854 a été si vivement critiquée, c’est parce qu’elle a donné occasion au successeur de Pierre d’exercer avec éclat son infaillibilité doctrinale ; car c’est avant tout le pape que visent les attaques du schisme.

Ajoutons que l’hostilité de quelques théologiens orientaux à l’égard du dogme catholique a été motivé soit par une conception inexacte du péché origine ! soit jjar une fausse notion de l’enseignement catholique. Certains de ces théologiens se sont fait du péché originel une idée analogue à celle de Pierre Lombard, et ont établi une connexion comme phj’sique et matérielle entre la conception se produisant suivant h. voie ordinaire et la souillure du péché. La nature -de cette souillure n’est pas pi-écisée, mais il semble que. pour les théologiens auxquels nous faisons allusion, ce soit une sorte de qualité peccamineuse d’ordriphysique transmise par la génération charnelle et affectant directement le corps. C’est ainsi qu’on rencontre des auteurs qui, d’un côté, affirment que Marie a contracté la souillure originelle, dont elle n’a été délivrée qu’au jour de l’annonciation, et qui, d’un autre côté, enseignent que la Vierge fut, dès sa plus tendre enfance, et même dès le sein maternel, remplie du Saint-Esprit et de ses dons. D’après ces auteurs, la sainteté personnelle la plus éminente peut coexister dans le même individu avec le péché originel. Il va sans dire que l’opposition de cette étrange théologie avec le dogme catholique de l’immaculée conception est plus verbale que réelle. D’autres défigurent ce dogme par ignorance — nous n’osons dire par mauvaise foi — bien qu’il y ait parfois lieu de douter de l’existence de la bonne. Il n’est pas rare de rencontrer, de nos jours encore, des Grecs et des Russes, je ne dis pas parmi les simples fidèles, mais parmi les théologiens de profession et jusque dans le rang des évêques, des gens qui disent et qui écrivent que conception immaculée est sj’nonyme de conception virginale, que, d’après la croyance des catholiques, la mère de Dieu n’est pas née de l’homme et de la femme, mais par l’opération miraculeuse du Saint-Esprit, comme Jésus lui-même. Ceux-là se battent contre un fantôme qu’ils se sont eux-mêmes forgé. C’est ainsi que l’évêque russe Augustin, dans sa Théologie fondamentale, A’^édit. Moscou, 1898, p. 257, traduit « conception immaculée » par « conception sine semine », et que tout réccmnii-ut Mgr Antoine, archevêque de Volhj^nie, reprochait aux Starovières ou vieux-croyants de Russie, d’avoir puisé en Autriche « l’hérésie impie de la conception virginale (bezciemennom = sine semine) immaculée de la Très-Sainte mère de Dieu par Joachim et Anne. » Lettre de l’cminentissime Antoine, archevêque de Volhy

nie, à tous les Starovières séparés de l’Église orthodoxe, publiée dans l’organe du saint-synode, les Nouvelles ecclésiœiliques, n° du 10 mars 1912, p. 399. Un théologien starovière, A. I. Morosov, répondit à l’aichevêque de Volhj’nie qu’il se méprenait sur la doctrine des latins, et que ceux-ci n’enseignaient pas la conception virginale de la mère de Dieu. Dans sa réplique, parue dans les Nouvelles ecclésiastiques du 14 juillet 1912, p. 1143-1150, Mgr Antoine, assez embarrassé pour se justifier, écrivait avec désinvolture : « Il est vrai que les catholiques n’enseignent pas la conception virginale de Marie, mais votre missionnaire a affirmé cela dans une conversation avec le P. Xénophon. »

Ces remarques suffisent pour faire apprécier à sa juste valeur l’opposition qu’a rencontrée la doctrine de l’immaculée conception dans l’Église gréco-russe dissidente, à partir du xvi<î siècle. Il n’entre pas dans le cadre de ce dictionnaire de faire l’histoire détaillée de cette opposition, qui n’a été vraiment sérieuse qu’après la définition de Pie IX, en 1854. Nous croyons cependant utile de donner un bref aperçu de l’attitude observée par les théologiens dissidents à l’égard de la doctrine catholique pendant la période moderne. Nous parlerons séparément des théologiens grecs et des théologiens russes. Cette division s’impose par le fait que l’évolution doctrinale sur cette question, comme sur bien d’autres, i/a pas suivi une marche parallèle dans l’Église grecque et dans l’Église russe.

1 » Théologiens grecs. — Peu florissante chez les byzimtins, la théologie dogmatique n’existe pour ainsi dire pas chez les grecs modernes. Des catéchismes, des sermonnaires, quelques maigres résumés de scolastique occidentale, des traités de polémique contre les catholiques et les protestants, voilà, à peu près, à quoi se réduisent ses productions. Comme nous l’avons dit plus haut, relativement à l’immaculée conception, les théologiens grecs se divisent en deux groupes : le groupe des adversaires et le groupe des partisans de la doctrine catholique.

Parlons d’abord des adversaires. Le premier que nous rencontrons, au xi’siècle, est Damascène le Studite († 1577), auteur d’un recueil de sermons qui a cours encore de nos jours dans les pays grecs et qui porte le titre de Trésor, i-h, c-xjyi :. Voir Dam.scène LE Studite, t. iv, col. 27-28. Dans un sermon sui l’Annonciation, Damascène déclare que Marie n’a pas été exempte du péché d’Adam, et que, seul, Jésus-Christ a été engendré sans péché. C’est au jour de l’annonciation que la Vierge fut délivrée du péché originel. L’orateur ne donne pas d’autre explication et se contente d’invoquer l’autoiité de saint Jean Damascène. <-)ï, 77.jooç A7. ; j.a7L/, v’; j, édit. d’Athènes, 1893, p. 5-G..u demeurant, il ne paraît pas avoir une notion bien nette du péché originel, puisqu’il le fait coexistei dans l’âme de Marie avec la grâce du Saint-Esprit. Dans une homélie sur la Présentation, ibid., p. 159, il dit positivement qu’au moment où la Vierge fut iirésentée au temple, à l’âge de trois ans, elle était le tabernacle de l’Esprit-Saint, '></ ; ’// toi i- ; (oj IIvîo Un autre théologien du xvie siècle, Jean Nathanaèl, reproduit, en lui donnant la tournure d’une affirmation catégorique, le passage du commentaire de r’Aî’.'i/ ; -j-.[-/ de Nicéphore Calliste, dont nous avons parlé plus haut, col. 910, dans un ouvrage en giec vulgaire, Intitulé : La divine liturgie avec des explications de différents docteurs, Venise, 1574, p. 81. Cf. E. Lcgrand, Bibliographie hellénique des xv et xri’aiicks, t. ii, p. 201-205.

Au xvir siècle, les adversaires de l’immaculée conception se multiidient, et ce sont presque tous des noms illustres : Métrophane Critopoulos, patriarche d’Alexandrie († 1639), Georges Coressios, Mélèce

Syrigos († 1664), Dosithée, patriarche de Jésusalem († 1707), Sévastos Kyménités († 1702). Métrophane Critopoulos, dans sa Conicssion de foi, c. xvii, ne craint pas de présenter comme doctrine officielle de l’Église grecque l’opinion d’après laquelle Marie a été purifiée du péché originel par le Saint-Esprit, au jour de l’annonciation. Pour Mélèce Syrigos, la preuve irréfutable que Marie a contracté le péché originel, c’est qu’elle est morte. Sermon sur l’Annonciation, contenu dans le cud. 254 du Métochion du Saint-Sépulcre à Constantinople, p. 1018-1019. Bien pauvre théologie, il faut l’avouer ! Dosithée combat l’immaculée conception au nom de l’Épître aux Romains. K. Delicanis, IIaTçia'>-/tLà ïyypasa, Constantinople, 1905, t. iii, p. 211. Quant à Sévastos Kyménités, il écrit tout un traité contre la doctrine catholique et énonce, à plusieurs reprises, des propositions contradictoires sans avoir l’air de s’en douter. Parmi les arguments qu’il fait valoir se trouvent les deux suivants : 1° si Dieu avait exempté sa mère de la faute originelle, il aurait manqué d’impartialité et fait acception de personnes ; 2° si la Vierge n’avait pas eu le péché originel, le genre humain n’aurait pu être délivré de ce péché. Pourquoi ? Parce que, selon un adage célèbre formulé par les Pères contre l’hérésie d’Apollinaire : ce qui n’a pas été pris par le Verbe n’a pu être guéri par lui, to yaçi à-po<7), T|--ov iOspârsuTov. Belle raison, qui conduirait notre grec, s’il était logique, à admettre que Jésus-Christ a dû prendre une nature humaine souillée par le péché originel I

Au xviiie siècle, deux théologiens, Jean de Lindos († 1796) et Nicodème l’Hat-’hiorite († 1809), présentent ceci de particulier que, tout en professant que Marie fut purifiée de la tache originelle, au jour de l’annonciation, ils enseignent qu’elle était remplie de la grâce divine bien avant cette date et dès le sein maternel. D’autres, comme Diamantis Rhysios, Éphrem de Jérusalem, Eugène Bulgaris et ses disciples, Théoiihile ^de Campanie, Athanase de Paros, Joasaph Cornilios, s’en tiennent simplement à la position prise par Métrophane Cristopoulos dans sa Confession. C’est aussi le cas de la plupart des théologiens du xixe siècle. Tout récemment. Nectaire Képhalas, dans un opuscule sur les sept sacrements, MeXiTa ; - ; o ; -ôjv 0£i’.)v |j.u3- : T|pt’».)v, Athènes, 1915, p. 28-29, en note, a osé émettre une opinion nouvelle. D’après lui, la Vierge, bien qu’ayant contracté le péché originel au premier instant de sa conception, fut sanctifiée dans le sein maternel. Or, dit-il, la sanctification in utero entraîne nécessairement la délivrance du péché d’origine. Il ne voit pas, dès lors, comment on peut retarder pour Marie cette délivrance jusqu’au jour de l’annonciation.

A côté des adversaires du privilège mariai, nous rencontrons aussi bon nombre de théologiens qui marchent dans la voie de l’antique tradition. Au xvie siècle, un prédicateur, le prêtre Alexis Rharlouros, dans un sermon sur l’Annonciation, déclare que la Vierge fut sanctifiée parle Saint-Esprit dès le sein de sa mère et pleine de grâce, ïI. LotXia ; Tr, ; a.ù-i( ;  ; jLT|-poç’0 lIv£i|jLa TO ay.ov tï, v r^-^ixii’/, -La ! r, / -r[p^ ; yapiTO, A.oa/ai, Venise, 1560, et il semble bien qu’il parle d’une sanctification in primo inslanli.

Au xvHe siècle, CjTille Lucar, patriarche d’Alexandrie, puis patriarche de Constantinople († 1638), enseigne expressément l’immaculée conception dans un sermon sur la Dormition, daté de 1612, et dans un autre sur la Nativité de la Vierge, de 1616. Dans le premier, passant en revue les merveilles que Dieu a faites en Marie, il écrit ; « La merveille de la sanctification : parce que, bien que d’autres personnages aient été sanctifiés avant leur naissance, aucun ne l’a été comme la Panaghia. Elle fut, en effet, sanctifiée d’une manière excellente, et cette sanctification fut

si efficacc qu’elle fit que la souilluru du péché originel n’approcha pas d’elle. Aussi, lorsque nous disons qu’elle fut sanctifiée, cela ne signifie pas qu’elle passa de l’état de non-sainteté à l’état de sainteté, mais que d’un état de sainteté moindre elle passa à un état de sainteté plus élevée. Elle fut sanctifiée tout entière au moment même de la conception, lorsque son corps était formé, lorsque son âme était unie à son corps, » ’<jX-f r, Ytaaaivrj sv a’JTf) -.fi G-j/, Àr/I/ : ’., oTav to jiTvxa ijvr-jpsoîSto, oiav /] i^j/ï) Tto doii^xv.-. : Tj’n’iO/B-o. Cod. 263 du Métochiondu Saint-Sépulcre à Constàntinople, fol. G12613, un autographe de Lucar. Un peu plus loin, fol. 614 V", il dit que JMarie n’était pas soumise à la mort, parce que la mort est apparue à cause du péché, et qu’en la Toute-Sainte rien d’impur n’est jamais entré. Dans l’homélie sur la Nativité, il déclare que le Fils de Dieu a accordé par grâce à sa mère les biens et les privilèges qu’il possède lui-même par nature : « Le Christ est lumière, parce qu’irrépréhensible et immaculé dans sa chair, parce qu’il n’a point commis de péché. Quant à la Panaghia, qui ne sait qu’elle est pure et immaculée, qu’elle fut un instrument sans tache, sanctifiée dans sa conception et sa naissance comme devant contenir celui que rien ne peut contenir ? C’est pourquoi, elle aussi, elle est lumière, » La ; oy.s’joç / ; v ày.r^’K'.O’o ï|Y’.a^’j.ivov âv xf^ a-jÀXrJ’I/si xa ! Trj Y£vvrjC7£ :. Cod. 39 du Métochion du Saint-Sépulcre à Constàntinople, fol. 93, encore un autographe de Lucar.

Deux autres patriarches d’Alexandrie du xvii<e siècle ont également enseigné l’immaculée conception : Gérasime I" (1621-1636) et Gérasime II (1689-1710). Pour le premier, nous avons le témoignage du grec Hypsilantis, qui écrit dans sa Chronique : ’Vy’i.i-.’x T>|v txX’Djtv, Constàntinople, 1870, p. 131 : « Gérasime le Cretois, successeur de Cyrille Lucar sur le siège d’Alexandrie, composa de nombreux discours conservés jusqu’ici dans la bibliothèque patriarcale du Caire. Me trouvant dans cette ville, je lus son discours sur la Dormition de la mère de Dieu, dans lequel il dit que la Théotocos n’était pas soumise au péché rjriginel, » ox : où/ j~iy.ï’.-o /) WîotoLo ; Tfô -co-aTOO’.Lti’)

iix7.--, r[’x’xxi. Cf. l’édition de Papadopoulos-Kérameus

dans le t. xiii de la collection Hurmuzaki, p. 161, où il y a cette variante : Xiytt aïj c-jÀXr|œOr, vaL tï|V *-) : otoV.ov jr.o X ; > -po-atopiLo ; /j.afiTrJixaT’.. Quant à Gérasime II, Il laisse suffisamment entendre que Marie fut préservée de la souillure originelle, lorsqu’il dit, dans un discours sur la Nativité de la Vierge, « que Dieu, avant d’infliger le châtiment de la transgression commune, annonça a nos premiers parents qu’une fille tout-immaculée devait naître, dont la force invincible écraserait le serpent, auteur du mal, qui a rendu mortelle la nature liumaine, et que la sainteté sublime et la beauté de cette Vierge attireraient â elle tout l’amour de Di’U, » oxi ÈysvriUiî fjOjÀc [j.îav O ;  : s&ayvo ; Lopri, -f, ; ô-oîa ; f] arj- : -TïjTO ; 51jva ; j.L ; -ÀjÔsve cuvxpîtJ’T) xov apy^sxaLov ô^iv, ot.ou ida^/i-io-y- -r, v àvOpr.) ;  : îvT|V çûî’.v. Cod. 133 du Métochion du Saint-Sépulcre, à Constàntinople, fol. 238 r°.

C’est aussi un partisan de l’immaculée conception que nous trouvons en la personne de Nicolas Coursoulas (tl652), un des rares grecs qui, dans les temps modernes, ait écrit un manuel de théologie dogmatique. Son ouvrage, intitulé : ijvoii ; zr, ; L ; pàç Oio, oyiaç n’a, été publié qu’en 1862, à Zante, en deux volumes. Aux pages 336-342 du i" volume, la question de l’immaculée conception est assez longuement traitée. L’auteur est au courant des discussions et distinctions scolastiques. Il admet que Marie était soumise, comme fille d’Adam née suivant les lois ordinaires, à la dette du péché, mais il affirme très clairement que le péché ne l’a pas atteinte et que Dieu l’a préservée de la tache originelle : L’âme de la

sainte Vierge, dit-il, a été sans aucune tache de la faute originelle, dès le premier instant où elle fut créée par Dieu et fut unie au corps, de sorte que Marie, en tant que personne, ne participa nullement au péché, » çajASv Tr, ’/ i/jy/|V -.ffi -t^iaç rrap’jivo-j yopi ; tcvoç (ir.i’Ax : pj-oj Tïjç "pOYOV ! L^ ; àiJLapTÎa :, La ; ’Xj’.pi Y’T’"^’""’> v3v, () i-Xâ^Or| -apà Wsoù xat l’.t -’-i^’i çi.yLa etjfjXOïv. Il résout les objections cjue l’on tire des textes de saint Grégoire le Théologien et de saint Jean Damascène, et déclare que la doctrine de la conception immaculée, sans être un dogme proprement dit, doit cependant être acceptée, et que la rejeter serait se rendre coupable de témérité.

Au xviiie siècle, les tenants du dogme catholique sont encore nombreux. Au premier rang vient le célèbre prédicateur Elias Miniatis († 1714), auteur d’un traité sur les origines du schisme et les divergences entre les deux Églises, intitulé : La pierre de scandale, rii-rpa QY.y.’/oiAOj. Ce n’était rien moins qu’un latinisant, et cependant dans le recueil de ses discours ou Aioa/a ; ’, Venise, 1720, souvent réimprimé depuis, il enseigne clairement la sainteté originelle de la mère de Dieu : « ^larie est appelée cyprès, lisons-nous dans le second discours sur la Nativité de la Vierge, parce que le parfum inné en elle l’a mise à l’abri de toute corruption. Elle est appelée lis, parce qu’elle n’a jamais perdu sa blancheur immaculée, bien qu’elle ait poussé au milieu des épines de l’infortune commune… Elle est appelée jardin fermé, parce que le serpent infernal n’a jamais versé sur elle son venin mortifère. Elle est appelée montagne sublime de la sainteté, parce que le déluge du péché ne l’a jamais recouverte. Elle naît aujourd’hui de l’Orient mystique, du sein sanctifié d’Anne, la reine des étoiles, la Vierge toute chaste, portant sur son front les roses d’une beauté céleste et sans tache, sur sa poitrine les lis d’une innocence éternelle et immaculée, » ÀéYS~at opo ; ’Arfvo^/ Trj ; ^y- T’CiTOç. o-o-j -rj-i OcV -6 ï’3-Li~o.<zvi ô y.a’: a7.À-jS|j.o ; -f, : i[j.ap- : îaç. Aioa/a’, Venise, 1849, p. 266. Le passage suivant est répété jusqu’à trois fois dans trois discours différents : « Salut, rejeton royal de la tige de Jessé, toi qui, sortie d’un sein stérile, vis la lumière de la béatitude avant celle du jour ; qui fus citoyenne du ciel par ton âme avant de l’être de la terre par ton corps ; qui fus la fille du Père éternel avant tl’étre celle de Joachim et d’Anne, et qui, avant défouler la terre, avais foulé aux pieds la tête du dragon venimeux, » r.oCi-.x slos ; -Jt çcôç -i, ; ixdLy.y.OTfiZOi "acà èLsivo ~o^ 7(À ; ou "pùJTa âatâOr, ; xoXÎTtaaa to3 oùpavou jjlè tï, ’/ ^J/^^/ -.v.y% -fjç y^i ? [J-s to acôaa" zptÔTa OjvaTipa toU ~poa ! tov ; ’oj FlaToo ; ~api toû’Ifoay.£ ; ij. La ; t ?’; "’Avvi, ç. Ihid., p. 249, 257, 271.

Après Elias Miniatis, nous devons nommer Macairo de Patmos, un prédicateur, lui aussi († 1737), qui a laissé un recueil de sermons publié après sa mort sous le titre pompeux de Trompette évangélique, ! jaYYS’-'^-î’i aiz-iy ?, Leipzig, 1758. Dans une homélie sur la Présentation de la Vierge au temple nous lisons le passage suivant : « Voici que paraît la nuée très pure qui doit éteindre la flamme du péché que la transgression d’Adam a introduit… Saint Jérôme l’appelle la nuée du jour, parce que jamais cette nuée n’a été dans les ténèbres du péché, mais a toujours paru dans la lumière de la vertu, .’vjZir.u-.i /, v^çi/ai a-jtr, £ct^i y, jù To Qvvxot Tv^ ; ^ ; jLapT ; a ;. Op. cit., p. 280-281. Et dans une homélie sur l’Annonciation : « La sainte Vierge naquit d’une mère stérile pour montrer comment sa naissance eut Dieu pour principe. O quelle joie doit faire tressaillir toute notre race, puisque de cette race infecte et pécheresse Dieu a choisi une Vierge si pure, rose très sainte cueillie sur de dures épines, rose dont la beauté est devenue notre ornement, » j-= ; oJ, za ! ano TOJTO "o Y^^ ? ~ Ppt’)|J.ïpov La ! àaapT’oÀov, (ocràv oi-’)

nLX-qpaJ ; ày.avfjaî’; ày.i’JTaT&v poSôv, [û to orrolov : j ; j.’j ;  ; cov » ’j.a ô)pa ! o’)fjri ; ji£v. Ibid., p. 555.

Un autre prédicateur, Macaire Scordilès, enseigne aussi la sainteté originelle de Marie dans ses homélies publiées à Venise, en 1787, B ; 6Aiov-spis/ov Xo’yo-j ; k^y.’ox(x. :, - : y.O’jç y.ctl -avr|yjv.P.oùç l’.i k~ : iT, ’j.o-j ; 8 : 3-ot ; xà : ïo’.'k : y.al â~-’j.>-j. p. 16, 136, 146, 151. Un poète, Constantin Dapontès, dans un recueil de poésies mariales intitulé : Amulette niisoniiablc.’Ey.ô’L-’.o’/ AovLo, Venise, 1770, célèbre en termes enthousiastes la pureté immaculée de la Théotocos : « Je te glorifie, ô Marie, toi en cjui l’on ne peut trouver aucun sujet de b’âme. Tu es incorruptible en ton âme en ton corp’?, en ton esprit, ô Marie. Ta chasteté, ton incorruptibilité sont ineffables. Tu es l’homme sans péché, ô Marie la toute pure. En toi l’immunité complète du péché… Avant de te former dans le sein de ta mère. Dieu te connaissait, et il te sanctifia avant ta naissance dès le sein maternel. Tu es parmi les hommes et parmi les femmes la seule bénie. » Op. cit., p. 69, 30, 39.

Au xixe siècle, les voix se taisent à peu près complètement en pays grec pour célébrer l’immaculée. La théologie y est, du reste, ei décadence complète. Oi’cite comme favorable au privilège mariai le professeur athénien Christophe Damalas, qui, en 1855, fit la déclaration suivante : « Ce n’est point une nouveauté : nous avons toujours tenu et toujours enseigné cette doctrine, depuis les premiers siècles de l’antiquité chrétienne ; ou plutôt, je dirais volontiers que ce point a toujours été religieusement tenu pour acquis comme un fait sacré ; trop sacré, en réalité, pour donner lieu aux querelles et aux disputes, et n’ayant pas besoin d’une définition de la part de Rome. » Cité par Frédér c Georges Lee, dans son ouvrage : The sinless conception of Ihe motlicr of God, Londres, 1891, p. 58. Cf. X. M. LcBachelct, L’immaculée conception. Courte histoire d’un dor/mc, T^ partie. L’Orient, Paris, 1903, p. 62. Inutile de faire remarquer ce que cette déclaration contient de vrai et ce qu’elle contient de fau.x. Au demeurant, il circule toujours en pays grec bon nombre d’ouvrages anciens dans lesquels l’immaculée conception est enseignée, en môme temps que circulent, avec la même tolérance, d’autres ouvrages qui rejettent expressément cette doctrine.

2° Théologiens russe ;. — Fille spirituelle de l’Eglise byzantine, l’Église russe reçut d’elle, avec l’ensemble des autres vérités révélées, la croance à la sainteté originelle do la mère de Dieu, tant par l’intermédiaire des livres liturgiques que par des traductions des homélies mariales des prédicateurs grecs. Au xvi » siècle, le métropolite Macaire (1542-1564) réunit ces tiaductions dans sa vaste compilation des Tcheti Minia. sorte de inénologe renfermant « tous les livres saints et les éc its édifiants qui se trouvaicntalors en Russie, » distribués suivant l’ordre des fêtes du calendrier. Parmi les pièces qui s’y rencontrent signalons : la Vie de Ut sainte Vierge, du moine Épiphane, la /r » homélie sur la Nativité de la Vierge, de saint And é de Crète, 1’// mélie sur la Nativité de la Vierge, de saint Jean Damascène, le Discours sur la conception de la mère de Dieu, de Jean d’Eubée, tous documents qui nous ont fourni des textes exprimant la doctrine de la conception immaculée. Les premiers prédicateurs russes s’inspirèrent de cette litléiature et ne tardèrent pas à donner, eux aussi, les plus magnifiques éloges à Marie immaculée. Les monuments de la prédication russe sont rares aux xv « et xiiie siècles mais au xvii «  Ils abondent. C’est un fait parfaitement établi qu’à cette époque, dans toutes les parties de la Russie, aussi bien en Moscovie qu’en Ruthénie et en Russie Blanche. la croyance explicite à l’immaculée conception était générale. Cette croyance était regardée non comme

une pieuse opinion, mais comme un véritable dogme de l’Église orientale. La fête du 9 décembre prend souvent, dans les sermonnaires, le titre de « fête de l’immaculée conception de la mèi’e de Dieu. » Les théologiens russes dissidents de nos jours ont essayé d’expliquer l’existence de cette croyance générale par des influences latines. Cette explication est manifestement insuffisante et inadéquate, surtout quand on songe à l’hostilité très grande qui régnait entre catholiques et Russes dissidents dans la seconde moitié du xvie siècle et pendant tout le xxw^. Dans la réalité, les Russes restèrent plus fidèles que les grecs à l’ancienne tradition byzantine sur ce point comme sur bien d’autres, parce que, jusqu’au xviip siècl’, —, ils l’estèrent plus fermés à toute influence étrangère. Si l’influence latine se fit sentir, ce fut sur certaines modalités du culte mariai, et si elle fut acceptée, c’est parce cju’elle cadrait parfaitement avec lu croyance traditionnelle.

Il serait trop long de rapporter ici tous les témoignages qui établissent cju’au xviie siècle, l’Église russe acceptait la doctrine de l’immaculée conception comme un véritable dogme, dépassant même, sur ce point, la théologie catholique. Nous devons nous borner à c|uelques brèves inclications. Sur la doctrine des théologiens de Kiev, le P. Gagarin publia en 1858 une brochure réunissant un certain nombre de textes explicites, Le Mans, 1858, en russe. Une traduction de cette brochure parut, à Paris, en 1876, sous le titre : L’Église russe et l’immaculée conception. La littérature russe contemporaine a fourni d’autres renseignements non seulement pour le xvii<e siècle, mais aussi pour la première moitié du xii<’, époque où, déjà battue en brèche par l’influence combinée de certains grecs et du théologien de Pierre le Grand, Théophane Prokopovitch, tout dévoué au luthéranisme, la doctrine de l’immaculée conception réussit à se maintenir péniblement dans l’académie de Kiev. Voir Vichnevskj-, L’académie de Kiev dans ta première moitié du.r//e siècle, Kiev, 1903, p. 20 sq. : A. Palmieri, ThMlogia dogmatica orllKduxa, t. i. p. 153-156 ; M. Jugie, L’immaculée conception chez les Russes au Ar//e siècle, dans les Échos d’Orient. t. xii, p. 66-73. Parmi les théologiens de Kiev qui ont enseigné le privilège de Marie dans les termes mêmes de la théologie catholique, il faut nommer : Pierre Moghila, Joseph Kononovitch, Lazare Baranovitch, Joannice Galiatowski, Antoine Riidivilowski, InnocenI Ghisel, Varlaam lasinski, Dimitri Touptalo. évêquo de Rostov, cjue les Russes ont canonisé. Etienne Javorski, Innocent Popovski, (.hristophore Tchiarnoutski.Milarion Levitski.

En Russie Blanche, Marie immaculée avait aussi ses dévots et ses panégyristes. Au début du xv) ! "- siècle, l’archimandrite Karpovitch († 1620), qui fut plus tard évcque de Vladimir, célébndl en termes magnifiques les privilèges de la mère de Dieu dans un sermon sur la Dormition : « Marie est l’arche spirituelle dans laquelle la nature humaine a été délivrée de l’éternel déluge de feu, et dans laquelle la chair ne fit jamais la guerre à l’esprit, parce que Dieu lui infusa des inclinations saintes avec les dons de la grâce spirituelle. Elle est la Femme qui a brisé la tête maudite du serpent infernal. La toison de Gédéon symbolisait cette Toison spirituelle sur laquelle tomba sans bruit et invisiblement la rosée du ciel, alor.> que toute la terre était sèche, stérile et sous le coup cle l’éternelle malédiction. « Lectures de la Société impériale de l’histoire et des antiquités russes établie à l’université de Mo.scou. 1878, t. i, p. 70-71. 74, 79-80. Un peu plus tard, en 1651, une confrérie de l’immaculée conception s’établissait à Polotsk, et les membres do cette confrérie prononçaient une formule de consé

cration à IMarie immaculée, dans laquelle se trouvait ce passage : « Je promets d’honorer tous les jours de ma vie votre immaculée et très pure conception, comme aussi de rester fidèle aux dogmes de la foi catholique orthodoxe. » C. Goloubiev, Parat/raphes explicatifs sur l’histoire de l’Église russe-méridionale, dans les Troudy de l’académie de Kiev, novembre 1904, p. 464-467 ; cf. Échos d’Orient, art. cité, p. 73-75. La foi des Moscovites n’était pas différente de celle de leurs frères du sud et de l’ouest. Eux aussi restaient fidèles à l’ancienne tradition bj’zantine touchant la sainteté originelle de la mère de Dieu. Au concile de Moscou de 1666, les évêques russes, après un examen attentif, donnèrent une solennelle approbation à l’ouvrage de Siméon Polostski intitulé : Gezl pravleniia ( Virga direclionis), dans lequel il est dit explicitement que « Marie fut exempte du péché originel dès sa conception. » Gezl pravleniia, I’^ partie, réplique 10 « . Cf. Macaire Bulgakov, Histoire de l’Église russe, 1890, t. xii, p. 681. Le même ouvrage fut approuvé, l’année suivante, par les Pères du grand concile de Moscou, auquel assistèrent deux patriarches grecs, Païse d’Alexandrie et Macaire d’Antioche. Mais déjà certains grecs commençaient à faire pénétrer en Moscovie leur doctrine de la purification de Miuie, au jour de l’annonciation. Quand le patriarche Nicon voulut corriger les livres liturgiques des Russes, il demanda des éclaircissements aux patriarches orientaux, qui lui firent parvenir plusieurs documents, entre autres cette Explication de la liturgie du grec Jean Nathanaël, dont nous avons parlé plus haut, col. 965. La négation de l’immaculée conception qui y est contenue passa d’abord inaperçue ; mais lorsque le livre de Jean Nathanaël, traduit en slavon sous le titre de Skrigeal, eut reçu l’approbation du concile de Moscou de 1667, les russes qui ne voulurent pas accepter les décisions de ce concile relativement aux réformes liturgiques, et, sous le nom de starovières restèrent fidèles aux anciens rites et se séparèrent de l’Église officielle, ne manquèrent pas de relever le passage du Skrigeal, où il est dit que la mère de Dieu lut purifiée du péché originel au jour de l’annonciation. Ils en firent un grief contre l’Église niconienne, et l’accusèrent d’avoir dévié de l’antique tradition. Eux, les starovières, retiennent jusqu’à ce jour comme un dogme de foi la doctrine de l’immaculée conception : « Relativement à la très sainte mère de Dieu et toujours vierge Marie, disent-ils dans une profession de foi rédigée en 1841, nous confessons qu’en vérité elle est plus sainte que les chérubins et les séraphins, plus élevée que les cieux et au-dessus de toute créature… que seule, non seulement elle n’a participée) ! rien à la tache originelle, mais qu’elle est toujours demeurée pure comme le ciel et toute belle. » N. Soubbotine, Histoire de la hiérarchie de Biélocrinilza, Moscou, 1874, t. I, p. XLii de la préface. Leurs polémistes continuent à attaquer l’Église officielle sur ce point : « Sur notre sainte Dame, la mère de Dieu, ils n’ont une doctrine orthodoxe qu’à partir de l’incarnation du Fils de Dieu. Ils confessent que, jusqu’à la conception du Christ, Marie fut une simple jeune fille, ayant en elle, tout comme les autres femmes, le péché originel, dont elle n’aurait été purifiée qu’au moment où l’archange la salua. C’est ce qui est imprimé dans leur livre appelé Skrigeal. Or, en cela ils portent atteinte à l’honneur de la mère de Dieu et lui font contracter la tache du péché, comme si Dieu n’avait pas été assez puissant pour se créer sur la terre un ciel animé, pur de toute souillure. » Paul, starovière. Courte comparaison entre les diverses confessions hérétiques dont le baptême et l’ordre sont valides, cité par N. Soubbotine, op. cit., p. 457 ; Gagarin, op. cit., p. 84-85.

Introduite furtivement en Moscovie par le livre de Jean Nallianaèl, l’opinion novatrice des grecs modernes y rencontra une igoureuse résistance non seulement de la part des vieux-croyants, mais aussi de la plupart des théologiens russes de la seconde moitié du xvii< ! siècle. Sur la fin de ce siècle, les deux frères Likhoudès, deux grecs envoyés à Moscou par le patriarche de Jérusalem, Dosithée, attaquèrent ouvertement la doctrine de l’immaculée conception et réussirent à gagner à leur cause le patriarche russe Joachim (1674-1690). Celui-ci mit tout en œuvre pour combattre une doctrine, que les grecs lui représentaient comme une innovation latine. Ses efforts restèrent à peu près stériles, et nous avons dit plus haut comment le privilège mariai continua à être enseigné à l’académie de Kiev jusque vers 1750. partir de cette date, l’influence de la Tlxéologie protestantisante de Théophane Prokopovitch devint prépondérante dans toute la Russie. Prokopovitch avait nié ouvertement l’immaculée conception dans ses leçons de théologie dogmatique données à Kiev, dès 1711. Vivement combattues pendant sa vie, ses opinions luthériennes finirent par prévaloir après sa mort dans les académies et les séminaires. La plupart des manuels de théologie parus en Russie dans la seconde moitié du xtii<’siècle ne sont que des résumés de la Theologia christiana crthodoxa de Théophane.

Au xixe siècle, les théologiens russes restèrent sous l’influence protestante du siècle précédent jusque vers 1840. A cette date, il y eut un revirement vers des opinions plus modérées et plus voisines de < l’orthodoxie » du xvii<e siècle. En 1848, l’archimandrite Antoine Amphithéatrov publia à Kiev sa Théolagie dogmatique de l’Église orthodoxe catholique orientale, qui fut approuvée par le saint-sj’node comme manuel pour les séminaires russes, et que Théodore Vallianos traduisit en grec, en 1858. Chose curieuse, nous retrouvons dans cet ouvrage un écho de la doctrine de Grégoire Palamas sur la purification progressive des ancêtres de la Vierge, afin que celle-ci fût un rejeton immaculé. Après avoir dit que Jésus-Christ seul a été sans péché, parce qu’Homme-Dieu né sans le conc » urs de l’homme « de la Vierge toute bénie et tout-immaculée, que la grâce divine avait purifiée auparavant de toute souillure du péché, afin que le Fils de Dieu prît d’elle une nature humaine sans tache, » Antoine explique comment s’est faite cette puri fication préalable de la mère de Dieu : « Déjà dès l’époque d’Abraham, dit-il. Dieu choisit dans le genre humain l’unique génération des ancêtres de Marie, la Vierge toutesainte, et il les purifiait d’une manière spéciale et progressivement. Aussi, lorsque l’archange Gabriel annonça à Marie la conception virginale de Jésus-Christ, il l’appela pleine de grâce. Les saints Pères de l’Église, à leur tour, lui appliquent ces paroles du Cantique des cantiques : Tu es toute belle, et il n’y a point de tache en toi. Et saint Jean Damascène la nomme le rejeton tout-immaculé de Joachim. l’enfant toute-sainte d’Anne. Et notre sainte Église lui donne les épithètes de très pure, de seule pure, et l’appelle palais immaculé et sans tache, demeure toute-immaculée. » Antoine, op. cit., trad. grecque, p. 191-192. Quelle que soit sa valeur intrinsèque, la théorie de la purification progressive des ancêtres de JNIarie sauvegarde suffisamment l’idée dogmatique de la conception immaculée, et on est heureux de la trouver dans un manuel de théologie russe en plein xixe siècle, devenu également un manuel grec non encore complètement délaissé. Cela n’empêcha pas plusieurs théologiens russes d’attaquer la définition de 1854 ; mais il est remarquable que les grands théologiens du xi.x’e siècle, Philarète de Moscou, Macaire Bulgakov, Philarète Goumilevski, gardent un silence complet sur cette question de rt73

IMMACULEE CONCEPTION

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l’immaculée conception. Il faut attendre l’année 1881 pour voir apparaître dans la littérature ecclésiastique russe une longue monoijraphie contre le dogme catholique défini par Pie IX.

Alexandre Lebedev († 1898), l’auteur de cette nonographie, a puisé largement aux sources protestantes, et a tracé de la mère de Dieu un portrait qui est aux antipodes de la tradition byzantine. Il présente comme doctrine de l’Église orthodoxe .l’Orient une théorie toute nouvelle, que les grecs luodernes eux-mêmes n’ont jamais admise. D’après lui, IMaric fut conçue et naquit dans le péché originel, r^lle porta comme le reste des hommes « tout le poids lu jugement de Dieu », fut soumise aux luttes de la voncuplsccnce, et bien que sanctifiée au moment de la .onceptinn du Fils de Dieu, ne fut complètement jiuriflée du péché originel que près de la croix du Christ. Notre théologien laisse en suspens la question de savoir si la Vierge se rendit réellement coupable de péchés actuels après la conception de Jésus. Avec cela, il admet que Marie fut sanctifiée dans le sein maternel ; mais il a une manière à lui d’expliquer <ette sanctification, qui fut accordée à Marie « en considération de la foi de ses parents » et consista en une sorte de bienveillance cxtrinsèciuc de Dieu, ne posant dans l’âme ni grâce habituelle ni grâce actuelle et laissant subsister l’état peccamineux. C’est cette théologie qui valut à son auteur le grade de maître en théologie de l’académie ecclésiastique de Moscou. L’ouvrage d’A. Lebedev exerça une réelle influence sur les milieux intellectuels de Russie. En 1884, le saintsynode, comme nous l’avons dît plus haut, inscrivait la question de l’immaculée conception au programme de théokgie polémique. A partir de ce moment, les manuels de théologie polémique et ceux de théologie dogmatique attaquent tous le dogme catholique. Cette unanimité de la théologie officielle est du reste troublée de temps en temps par la voix de théologiens indépendants. C’est ainsi cjue récemment l’archiprètre P. Svietlov, un partisan de l’union des Églises chrétiennes sur la base des articles fondamentaux, déclarait cjue la croyance de l’Église occidentale sur la conception de Marie « est née d’une bonne source. <run sentiment de profonde vénération pour la mère (le Dieu. » Il trouve sans douti cju’on a dépassé la mesure, mais il fait remarquer aux « orthodoxes » que le culte mariai en Orient n’est pas toujours resté dans les bornes d’une sévère théologie, témoin l’invocation suivan-te : « Sainte mère de Dieu, sauvez-nous. » D’ailleurs, conclut-il, ks catholiciucs peuvent toujours <1emandcr quel est le concil.- œcuménique qui a condamné leur doctrine comme une liérésie. P. Svietlov, La doctrine chrcticnne au point de vue apilogétiquc, 2e édit., Kiev, 1910, t. i, p. 190.

Ce renvoi au concile œcuménique suffit, en effet, à fermer la bouche aux théologiens dissidents qui attaquent le dogme catholique et qui ont conscience de l’impuissance doctrinale de leur Église à résoudre n’importe quelle question. Des trois thèses actuellement en présence au sein de l’orthodoxie orientale : la thèse des grecs plaçant au moment de l’incarnation du Fils de Dieu la purification de Marie, la thèse d’Alexandie Lebedev, prolongeant cette purification jusqu’à la mort de.Jésus, et celle toute récente de Nectaire Kcphalas enseignant que la Vierge fut <lélivrée de la souillure originelle dans le sein maternel, laqufdie est la vraie doctiine de l’Église gréco-russe ? Qui pourra nous répondre ? Pour se tirer d’embarras, nos frères séparés ont tout intérêt à reprendre la chaîne de la tradition byzantine, que leur tendent Georges Scholarios et les théologiens kiéviens du "xvii » siècle, <l de confesser avec nous que la mère de Dieu a toujours été toute-sainte et que Dieu lui a

aiipliqué d’une manière excellente les fruits de la rédemption opérée par Jésus, en la préservant de la souillure originelle, qu’elle aurait dû régidièrement contiacter.

Le présent article, résumé d’un ouvrage plus, développé, ayant été rédigé directement d’après les sources et cellesci ayant été signalées eu leur lieu, nous croyons inutile d’en répéter ici l’énumération. Les sources manuscrites antérieures au xvr’siècle que nous avons utilisées sont en cours de publication dans la Patrolocjia orieiitalis de Graffin et Nau. Nous nous bornerons à indiquer les travaux spéciaux visant directement la doctrine de la conception immaculée dans la tradition grecque.

Sur le dogme du péché originel dans rt’glise grecque, qui fait le principal objet des considérations préliminaires, i’ai donné un bref aperçu dans la Rei.’iiCfiKyij.s/ini’cn/ic, 1910, t. XVI, p. l{i.’V177, mais sans mettre en relief l’importance de la doctrine thomiste au point de vue de l’interprétation <les textes patristiqucs, comme je le fais ici.

Pour la période qui va du concile d’Épliése à Michel Cérulaire, voir l’art. Marie. Imnuiciilée conception, du Diction’nairc apologétique de la foi catholiqiw, par X.-M. Le Bachclet, col. 221-21, 3 ; D. Placide de Mecster, J.e dogme de l’immaculée conception et la doclriue de l’Église grecque, ’ailicles parus dans la Revue de l’Orient chrétien, Paris, ! "liM-1 !)05 ; X. Marin !, L’immaculata concezione di Salaria Vcrginre la Chiexa greca ortodossa rfi’.S4 ! rfen/e, Rome, 1008, travail paru d’abord dans le Bessarionc, lilOl-l’JOS ;.V. Spaldalv, Les Pères grecs et l’iinnmculée conception de la mère de Dieu, 1 articles en tchèque dans Casopix katolickcho dnchuvensta iRcvue du clergé catholique de Pohênie), Prague, 1905 ; du même, im article paru dans la même revue, en 1906, sous’e titre : Quiv sit Palrum Ecclesix orieutalis doclrina de gratin sancti ficante B. JMaricc Virginis unie ipsins Filii mortem ; JI. Jugie, L’immaculée conception et les Pères grecs du V"- siècle, dans la revue Soirc-Damc. Paris, l’.'12, t, i, p. 225 ; Saint Sophrone et l’immaculée cnception, dans la Revue augustinienne, 1910, t. xvi, p. ôtiT-r^Vl ; Saipt André de Crète et V immaculée conception, dans les Échos d’Orient, 1910, t. xiii, p 129 ; Photius et l’immaculée conception, ibid., p. 198.

Pour la période du xi" au xv siècle : M. Jugie, De immaculata Deipane eoncer)tione a bt/zcuitinis scriploribus, posl schisma consummatum, edocta, dans les.cta II convenlus’clehradensis theologorum cotnmercii sludi<irum inter Occi(Iciitem et Orientem cupidorum. Prague, 191(1, p. 42 : Michel (ilijciis et l’immaculée conception, dans les Échos d’Orient, t. xiii, p. Il ; Grégoire Pahitnas et l’immaculée conception. dans la Renne augu.’iliniennc, 1910, t. xvii. p. 115 ; Le Discours de Démétrius Cgdonès sur l’aunonciation et sa doctrine sur l’immaculée conception, dans les Échos d’Orient, t. xvil, I). 97 ; Georges Scholarios et l’inuuaculée concepti<in, ibid., p. 527 ; L’homélie de Michel Psellos sur l’annonciation, ibid., I. xviii, p. 138 ; La doctrine mariale de Xicolas Caba.tilas, ibid., t. XIX, p. 375.

Sur la fête de la Conception chez les grecs et les textes liturgiques : Simon Wangnereck, Pielas mariana gnrcorum, ."dunich, 1647 ; Passaglia, op. cit., part. I, sect. lT ; p : irt.II, scct. vu ;, J. Gagarin, Troisième lettre à une dame russe sur le dogme de l’imnmculèe conception, Paris, 1857 ; Th.’l’oscuni et.los. Cozza, De immnculata Deipanv eonceptionc. Ilgiinielogia gra’corum ex edilis et manuscriptis codicibus Crijptofcrratensihus. Home, 1862 ; P. Thibaut, P<inégfiriquc de l’inuuaculée dans 1rs chants hi/mnograiihiqucs de la liturgie grecque, Paris, 1909 ; D. Placide de Mecsier, L<i testa délia concezione di Maria sanlissima nella Chiesa greca, dans le Bessarone. 2’série, t. vii, p. 89 ; A.-II. Kellncr, Ihortologie, Fribourg-en-Hrisgau, 1900 ; 3e édit., 1911, p. ISl sq.. ouvrage traduit en français par Jacques Hund, sous le titre : L’année ecclésiastique et les jètes des saints dans leur vi’olution historique, l’aris. 1909, p. 319-327, où il y a pas mal d’inexactitudes, que beaucoup de gens répètent.

Sur la croyance des grecs et des russes modernes et leurs attaques contre le dogme catholicpie :.1. Gagarin, (, )unlrième lettre à une dame russe sur le dogme de l’immaculée cmueplion l’aris, 187.'> ; Id., L’Église russe et l’immaculée conception, Paris, 1876 ; A. Spîddak, Die Strlluug <ler griechisrli-rnssischen Kirclie zur Lehre dcr l’ube/lecliten ICmpfdngnis.iiRn » Zeitsclirilt fUr t ; atholisrhe Théologie. 1901. t. xxviii. p. 707 ; Id.. Les objections îles théidogicns russes contre l’immaculée conception, dims la revue tchèque Cnsopis katolickcho duclmvrnsta, Prague, 1900, p.’lO, 100 ; S. Polrirlt-, , f.’immaciilée

conception et les yrecs nioilvmei, dans les Échos d’Orient, t. viir, p. 257 ; M. Jugio. L’immaculée conception chez les Russes (lu XVII’siècle, dans les Échos d’Orient, t. xii, p. 60,

'>2t ; Id.. Le doyme de l’immaculée conception d’après un

théolofiien russe (analyse de l’ouvrage d’Alexandre Lebedev. dont il est parlé dans l’article, col. ÎIT.’i), dans les Échos d’Orient, 1020, t. xx, p. 22 ; A. Palmicri, De Academiu’ecclesiasticiv Uiovicnsis doctrina hcatam ^lariam yirtjinem preemunitam fuisse a peccato originuli, dans les, lr(a // conventus Velchradensis. Prague. 1910, p. 39.

M. Jlgie.