Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION I. Dans l'Ecriture et la tradition jusqu'au concile d'Ephèse I.Notion du dogme d'après la bulle Ineffabilis Deus

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 430-431).

IMMACULÉE CONCEPTION, privilège propre à la bienheureuse Vierge Marie, d’avoir été conçue sans péché, c’est-à-dire exempte, au premier instant de son existence, de la tache du péché originel. Après avoir étudié la doctrine de l’immaculée conception de la sainte Vierge :
1° dans l’Écriture et dans la tradition commune jusqu’au concile d’Éphèse, on traitera spécialement de ce dogme :
2° dans l’Église grecque après le concile d’Éphèse ;
3° dans les Églises nestoriennes et monophysites ;
4° dans l’Église latine depuis le concile d’Éphèse jusqu’à nos jours,

I. IMMACULÉE CONCEPTION DANS L’ÉCRITURE ET LA TRADITION JUSQU’AU CONCILE D’ÉPHÈSE.


I. Notion du dogme d’après la bulle Ineffabilis Deus.
II. L’immaculée conception dans l’Écriture.
III. En Occident et en Orient jusqu’au concile d’Éphèse : période de croyance implicite.

I. Notion du dogme d’après la bulle Ineffabilis Deus.

Promulguée le 8 décembre 1854, cette bulle contient, à la suite d’un exposé doctrinal, la formule même de la définition :

Auctoritate Domini nostri Jesu Christi, beatorum apostolorum Petri et Pauli, ac Nostra declaramus, pronunciamus et definimus, doctrinam, qua ; tenet beatissimam Virginem Mariam in primo instanti suæ conceptionis fuisse singulari omni potentis Dei gratia et privilegio, intuitu meritonum Christi Jesu Salvatoris humani generis, ab onmi originalis culpæ labe præservatam immunem, esse a Deo revelatam, atque idcirco ab omnibus fidelibus firmiter constantferque credendam.

Par l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et la Nôtre, nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine suivant laquelle, par une grâce et un privilège singulier de Dien tout-puissant et en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, la très bienheureuse Vierge-Marie a été, au premier instant de sa conception, préservée de toute tache du péché originel, est une doctrine révélée de Dieu et qui, par conséquent, doit être crue fermement et constamment par tous les fidèles.


D’après cette formule, il est facile de déterminer nettement l’objet, le sujet, le mode et la certitude du privilège revendiqué pour la mère de Dieu.

Objet.

La définition concerne l’exemption de la tache du péché originel, de cette tare héréditaire à laquelle tout homme descendant d’Adam par voie naturelle est soumis, du fait même de sa conception. Ce qu’est exactement, dans sa nature intime, cette tache ou cette tare, l’Église ne l’a pas défini, mais elle en a déterminé les effets essentiels : privation de la sainteté et de la justice originelle, mort de l’âme, inimitié divine. En outre, elle a déterminé de quelle manière ces effets cessent, à savoir par une rénovation intérieure, en vertu de laquelle les rejetons du premier Adam passent, de l’état d’injustice où ils naissent, à l’état de grâce et de filiation adoptive en Jésus-Christ, notre Sauveur, le second Adam. Concile de Trente, sess. V, can. 1 et 2 ; sess. VI, c. i, iv, vii. Déclarer Marie exempte de la tache du péché originel, c’est donc écarter d’elle, dès le premier instant de son existence, les effets du péché originel qui viennent d’être rappelés ; par opposition, c’est lui attribuer, au même instant, la justice intérieure, la grâce sanctifiante, l’amitié divine et la filiation adoptive en Jésus-Christ. Aussi peut-on concevoir et énoncer le privilège marial sous une double forme : l’une négative, par exclusion de la tare héréditaire ; l’autre positive, par affirmation de l’état de grâce ou de sainteté primordiale. La forme négative est employée dans la formule de définition, ab omni originalis culpæ labe præservatam immunem ; l’autre apparaît souvent au cours de l’exposé doctrinal, en particulier § Nos considerantes, où sont rappelés les termes dont le pape Alexandre VII s’était servi dans la bulle Sollicitudo en 1661 : præveniente scilicet Spiritus Sancti gratia… animam B. Mariæ Virginis in sui creatione et in corpus infusione Spiritus Sancti gratia donatam.

Marie est déclarée exempte de toute tache de la faute originelle. La présence de l’adjectif omni pourrait, à la rigueur, s’expliquer par le double rapport qui convient au péché, celui de tache morale, en tant qu’il dit état de culpabilité devant Dieu, et celui de tache physique, en tant que, dans l’ordre actuel, il dit privation de la grâce sanctifiante. Mais comme, au cours de la bulle, le privilège est souvent exprimé abstraction faite de l’adjectif : ab ipsa originalis labe plane immunis, sine labe originali conceptam, a macula peccati originalis præservatam, rien ne prouve qu’il faille attribuer à la particule omni une portée spéciale. La définition exclut tout ce qui est vraiment péché, sans déterminer d’une façon précise en quoi cela consiste ; la concupiscence reste en dehors de cette notion, puisqu’elle n’est pas vraiment péché, suivant la doctrine formelle du concile de Trente, sess. V, can. 5.

Sujet.

C’est la bienheureuse Vierge Marie au premier instant de sa conception. Il ne s’agit pas de la conception active, c’est-à-dire de l’acte générateur de saint Joachim et de sainte Anne, pris en lui-même : il s’agit de la conception passive, c’est-à-dire du terme où l’acte générateur aboutit, et du terme parvenu à sa perfection, au moment où l’âme est unie au corps, parce qu’alors seulement la bienheureuse Vierge Marie exista connue personne humaine. C’est, en style scolastique, la conception passive consommée, ainsi dite par opposition logique à la conception passive commencée, dans l’hypothèse philosophique où l’embryon ne serait vivifié par une âme humaine qu’après une certaine période de préparation et de développement. A quel moment précis se fait l’animation ou l’union de l’âme et du corps ? Voir t. i, col. 130.5-1320. Cette question controversée, la définition de 1854 ne la tranche pas ; elle ne dit pas non plus dans quelle condition se trouverait la chair de Marie, si l’on supposait une conception passive d’abord imparfaite : elle détermine seulement que la bienheureuse Vierge a joui du privilège au premier instant de son existence humaine.

Mode.

L’inuminité attribuée à la mère de

Dieu est une immunité par voie de préservation, prœservalam immuncm ; de préservation faite en vue des mérites de Jésus-Clirist, Sauveur du genre humain. Il y a donc eu pour Marie application de ces mérites, non seulement anticipée, conmie pour ceux qui ont vécu avant Notre-Seigneur, mais exceptionnelle, unique en son genre. Aux autres descendants d’Adam Dieu applique le fruit des mérites du Sauveur, la grâce, pour les délivrer du mal héréditaire qu’ils ont réellement encouru ; à Marie la grâce est donnée au premier instant de son existence, en sorte qu’elle échappe réellement au mal. La Vierge est ainsi rachetée d’une façon plus noble que les autres, sublimiori modo redemptam, comme il est dit dans la bulle, § Omncs autem. Mais elle a été quand même rachetée, et elle devait l’être. Par ce côté, l’exemption du péché dont la mère de Dieu a joui par privilège personnel, diffère de celle qui convient soit aux bons anges, soit à nos premiers parents considérés au moment de leur création ou production. Elle diffère aussi de l’immunité propre au Sauveur, conçu virginalement par l’opération du Saint-Esprit et échappant, de ce chef, à la loi commune ; car l’affirmation que Marie dut à une grâce de préservation le privilège de ne pas tomber sous cette loi suppose, objectivement et dans la pensée de l’Église romaine, que la Vierge a été engendrée comme les autres descendants d’Adam, qu’elle eut un père selon la chair. Là intervient le problème du debiium peccati en Marie, c’est-à-dire de la nécessité où elle aurait été ou du moins aurait dû être, à ne considérer que sa descendance adamique, de contracter la tache héréditaire. Problème que nous rencontrerons au cours de cette étude, avec la controverse qu’il renferme relativement à la nature de cette nécessité ou à Ja façon dont elle s’applique à la mère de Dieu : de près ou de loin, immédiatement ou médiatement ; en termes techniques, théories du dehilum proximum ou du debitum remolum. Ce proljlènie, d’ordre relativement secondaire, est resté, après comme avant la définition, à l’état de libre discussion.

Certitude.

La conception immaculée de la

mère de Dieu a été définie, non pas simplement comme une vérité ou conclusion théologique certaine, mais comme une vérité divinement révélée, a Deo revelatam. Expression dont le relief s’accentue, quand on la compare avec cette autre, qui figurait dans le premier texte de la bulle : catholicee Ecclesiæ docirinam cum sacris litteris et divina et apostolica traditione cohærentem. Sardi, La solenne defmizione de ! dogma dell’immacolato conccpimenio di Maria sanlissima, Rome, 1904, t. ii, p. 38. Le dépôt de la révélation étant, d’après les principes de la foi catholique, contenu tout entier dans la sainte Écriture et la tradition apostolique, il faut que le privilège défini ait son fondement objectif dans ces sources, à tout le moins dans l’une ou dans l’autre. Toutefois trois remarques préalables s’imposent.

1. Autre chose est la contenance d’une vérité dans le dépôt de la révélation, autre chose est le mode de cette contenance. La révélation d’une vérité ayant pu se faire d’une façon explicite ou implicite, la contenance de la vérité dans le dépôt de la révélation peut être, également, explicite ou implicite. Quoi qu’il en soit de la question de savoir si, en réalité, l’immaculée conception de Marie a été révélée d’une façon explicite ou seulement implicite, il est manifeste que, dans la formule de définition, Pie IX a restreint son affirmation au fait de la révélation, esse a Deo revelatam, sans spécifier ni le mode de cette révélation ni, par conséquent, la façon dont le privilège mariai est contenu dans les sources primitives.

2. Autre chose est la contenance d’une vérité dans le dépôt de la révélation, autre chose est la profession ou croyance exiilicite de cette vérité dans l’Église. Les deux questions ne sont pas du même ordre : la première est d’ordre objectif et la seconde, d’ordre subjectif. Or il n’est nullement nécessaire qu’il y ait entre les deux ordres un tel parallélisme, qu’on trouve toujours formulé dans l’un ce qui est réellement contenu dans l’autre. Pareille concordance ne se vérifie même pas, en toute rigueur, pour les vérités explicitement révélées ; à plus forte raison serait-il abusif de l’exiger quand il s’agit des autres, car il peut se faire que la profession ou croyance explicite ne se manifeste pas ou même n’existe pas réellement dès le début, soit qu’on doute de la vraie contenance de la vérité dans le dépôt de la révélation, soit que, pour une raison quelconque, on n’en ait pas encore pris conscience.

Dès lors, qu’il y ait eu ou qu’il n’y ait pas eu, dès le début, croyance explicite au privilège de l’immaculée conception, n’est pas une question de principe qu’on puisse résoudre a priori ; c’est une question de fait oi ! i l’étude attentive des témoignages anciens a sa place marquée. Cette question de fait. Pie IX ne l’a pas plus définie que cette autre : de quelle manière, explicite ou seulement implicite, le dogme défini est-il contenu dans les sources primitives de la révélation ?

3. Autre chose enfin est le dogme lui-même, autre chose sont les preuves dont on peut l’appuyer. En dehors de la formule de définition il y a. dans la bulle Ineffabilis Deus, toute une partie qui précède à titre d’exposé historico-doctrinal : elle forme comme les considérants rationnels de la sentence pontificale. Trois chefs de preuves y apparaissent : l’Écriture sainte, la tradition et la convenance du glorieux privilège. Dans la formule même de définition. Pie IX n’a rien spécifié relativement à ces preuves, qu’il s’agisse de leur valeur absolue ou de leur influence respective dans la formation et le développement de la pieuse croyance, il n’en est pas moins vrai que, dans l’exposition et la défense d’un dogme défini, un théologien catholiqU’ne saurait faire abstraction des fondements où le magistère ecclésiastique a cherché la raison d’être de ses actes. Ne serait-ce pas construire en l’air, que de rêver, en dehors de ces fondements, soit une élaboration théorique, soit une défense apologétique du dogme défini ? Un tel procédé serait d’autant moins recevable, que les objections faites par les adversaires du privilège mariai n’atteignent pas seulement la doctrine elle-même, mais encore, et tout particulièrement, les fondements de la doctrine, tels qu’ils sont exposés dans la bulle.