Dictionnaire de théologie catholique/IMMACULÉE CONCEPTION I. Dans l'Ecriture et la tradition jusqu'au concile d'Ephèse II.L'immaculée conception dans l'Ecriture

Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.1 : HOBBES - IMMUNITÉSp. 431-443).

II. L’immaculée conception dans la sainte ÉciuTURK. —

Des auteurs graves, d’illustres défenseurs de la foi catholique, ont pensé que la révélation écrite ne fournissait rien, ou du moins rien de solide en faveur du glorieux privilège. Petau, indiquant les raisons qui lui font admettre la pieuse croyance. De incarnat. Verbi, t. XIV, c. v, ne fait même pas mention de la preuve scripturaire. Bellaimin dit dans un Votum émis devant Paul V en 1617 : Jn Scripturis nihil habemus ; ce qui, d’après le contexte, doit s’entendre en ce sens relatif : Nous n’avons rien qui permette de définir la pieuse croyance comme vérité de foi, ou de condamner l’opinion contraire comme hérétique. X. Le Bachelet, Auctarium Bellarminianum, Paris, 1913, p. 627. En revanche, d’autres tenants du privilège ont cité les textes avec une abondance, une prodigalité qui expliquent et justifient ces paroles de Mgr Malou, L’immaculée conception, Bruxelles, 1857, t. I, p. 242 : « Disons-le sans détour, de tous les arguments que les défenseurs de ce privilège ont fait valoir, ceux qu’ils ont tirés de l’Écriture sainte

ont été traités avec le moins de critique et d’exactitude. Trop souvent on a allégué, sans jugement et pour ainsi dire au hasard, une foule de textes complètement étrangers au sujet, et l’on a rarement songé à préciser le sens littéral ou mystique qui faisait tout le prix des passages que l’on pouvait alléguer à bon droit, i Pour comprendre la justesse de cette remarque, il suffit de jeter les j’eux sur la liste, incomplète pourtant, des vingt-quatre passages signalé ? par Plazz « , Cama immaculatæ conceptionif :, Act. i, a. 2. Il en est qui n’ont aucun rapport objectif avec la conception ni même avec la personne de Marie ; ils n’ont pu lui être appliqués que par un singulier abus d’interprétation ou d’accommodation ; tels, Gen., i, 3 : Dixiiquc Deus : Fiat lux, et fada est lux ; Job., iii, 9 : Exspedet lucem, et non videat, nec ortum surgentis auroræ, texte appliqué au démon et à la Vierge, mais dont le sens est tout autre dans l’original ; Ps. Lxxiii, 12 : Deus autem rex noster anle ssecula operaius est salutem in medio terrw. Dans d’autres passages, comme Is., xi, 1 : Egredietur virga de radiée Jesse, et Luc, i, 49 : Fecit mihi magna, qui polens est, l’expression est trop générale pour légitimer une application déterminée au point précis de la conception sans tache. Plus importante est cette phrase, dite incidemment de Marie, Malth., i, 16 : dequa natus est Jésus, qui vocaturChristus ; elle peut contenir virtuellement l’immaculée conception, comme privilège propre à la mère de Dieu considérée d’une façon concrète et dans son être moral ; mais ni la notion concrète ni l’être moral de Marie mère de Dieu ne peuvent être déterminés par ce seul énoncé : de qua natus est Jésus. Restent deux groupes de textes qui méritent d’être examinés. Le premier comprend ceux qui sont communément invoqués par les défenseurs de l’immaculée conception et qui, de ce chef, peuvent être appelés les textes princijjaux : Gen., iii, 15 et Luc, i, 28, 42. Au second groupe se rattacheront les passages non seulement secondaires, mais considérés comme inefficaces par le plus grand nombre : textes des livres sapientiaux et autres, se rapportant surtout aux figures de la Vierge dans l’Ancien Testament ; texte de saint Jean relatif à la femme revêtue du soleil, Apoc, xii. Viendront en lin les témoignages opposés par les adversaires, jadis ou maintenant.

1° Textes principaux Gen., iii, 15 ; Luc, i, 28. — Ces deux textes se rencontrent à la base de l’économie rédemptrice : dans l’un, la première annonce ; dans l’autre, Taccomplissement. De là vient qu’en rapprochant les’leux termes, on obtient une lumière plus vive. Néanmoins un examen distinct, sinon indépendant, s’impose. 1. J.c Prolévangile. — Le verset communément désigné sous ce nom est encadré dans le passage du livre de la Genèse où Dieu règle en quelque sorte le roniple des personnages qui ont concouru à la chute ori’iinclle. Adam interpellé s’excuse sur Eve, qui lui a présenté le fruit défendu ; Eve s’excuse sur le serpent, qui l’a trompée. Tout cela étant vrai et menant llnalement au démon, comme instigateur et première cause responsable du mal, la sentence commence par lui : « Jéhovah dit au scrpent : Puisque tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les animaux et entre toutes les bêtes des champs ; tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. » Ce qui s’applique au serpent, considéré comme instrument dont s’était servi Satan ; à ce dernier, pris en lui-même, convient le reste, parlie capitalede la sentence : Inlmlcilias ponam intcr te Et je mettrai des inimitiés r imilifrem, et scmen tuum entre toi et la femme, entre ri semm illiiis : ipsa rontcrct ton liRnafte et le sien : elle te cnpiit tuum. et tu insidiabroiera la tête, et tu p.s.^aicras IxTls calcanco ejus. de la mordre au talon.

a) Question textuelle et question exfgHique. — Le

texte hébreu diffère en plusieurs points du texte de la Vulgate. Au mot inimicitias correspond nais, ’êybûh, qui est au singulier. Le mot femme est précédé

de l’article déterminé, nrsn, ha’issâ. Différence plus

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notable, le pronom sin, hû’, correspondant à Vipsa, est au masculin et se rapporte, non pas à la femme, mais à son lignage, à sa descendance. Les Septante, personnifiant cette descendance ou traduisant le pronom par syllepse, ont mis, au lieu du neutre que demanderait le mot grec i-Jou.a, le masculin : aù-o’ç, qui se retrouve dans Vipse de l’Itala et de plusieurs Pères anciens. Enfin aux mots : conterct, insidiaberis,

répondent : qwi, qirr, yesûf, tesûf, dont la signification précise est contestée. La plupart interprètent les deux termes de la même façon, soit dans le sens d’observer, épier, comme les Septante : -T, prjcrî’.. Tïiprjas ;  ;, et l’Itala : servabii, servabis, soi !, plus habituellement, dans le sens de broyer, à la suite de saint Jérôme : Melius habet in hebrœo, Ipse conlcret caput tuum, et tu conteres ejus calcaneum. Liber qva^st. hebr., in h. t., P. L., t. xxiii, col. 943. Le sens serait alors : que la descendance de la femme broierait la tête du serpent, tandis que celui-ci n’infligerait qu’une légère blessure à son adversaire en l’atteignant au talon. Voii t. VI, col. 1209 sq. D’autres, par exemple, le P. de Hummelauer, Comment, in Genesim, Y>. 161, regardent le mot sûf comme susceptible d’une double acception, répondant à l’attitude diverse de l’homme et du serpent dans une lutte mutuelle, et s’en tiennent à la traduction de la Vulgate. La descendance de la femme broiera de son pied la tête du serpent, tandis que celui-ci essaiera d’atteindre son adversaire au talon. La divergence sur ce point n’afiecte en rien la valeur de la preuve qui sera proposée.

Les exégètes catholiques et beaucoup de protestants s’accordent à voir dans Gen., iii, 15, plus que la simple annonce ou l’injonction d’un antagonisme qui durerait désormais entre deux races, celle du serpent et celle de la femme ; il s’agit d’une inimitié d’ordre spécial, qui se projette dans l’avenir et que Dieu lui-même suscitera, comme un plan de revanche contre le démon : Quia fecisti hoc, makdictus es… et inimicitias ponam intcr te et muliercm, etc. Le résultat final sera la pleine défaite du serpent ; dégagée de la forme littéraire ou symbolique sous laquelle elle est énoncée dans le texte génésiaquc, cette défaite ne peut être que la ruine de l’empire diabolique. Voir t. VI, col. 1210. A s’en tenir à la lettre seule, on pourrait, suivant la remarque de plusieurs exégètes, se demander de quelle manière la victoire promise à la descendance de la femme serait réalisée : par tous les membres de la collectivité, ou autrement ? Que l’idée d’une victoire collective se soit iiréscntée à l’esprit de nos premiers parents, c’est une pure hypothèse ; en eût-il été ainsi, leur propre expérience de la vie les aurait promptement éclairés.

D’ailleurs, c’est mal poser le problème que de l’énoncer en ces termes : Quel sens Adam et Eve ont-ils attribué ou pu attribuer aux paroles divines ? Adressées directement au démon, ces paroles avaient un double caractère : celui d’un châtiment édicté et celui d’une annonce prophétique. Sous le second aspect, le Prolévangile intéressait assurément nos premiers parents et leur postérité : il fallait qu’ils comprissent assez la promesse pour y puiser l’espérance d’une revanche future, mais est-il nécessaire qu’ils en aient saisi expressément toute la portée ? « Restreindre la signification des anciennes prophéties à l’intelligence qu’en ont pu avoir ceux qui les ont entendu prononcer, c’est méconnaître l’économie de la divine Providence dans l’enseignement de la

foi, et répudier imprudemment une grande part de l’iiéritage de vérité que les Livres saints nous ont transmis. » Mgr MaJou, op. cit., t. i, p. 249. Le point capital est de savoir ce que Dieu lui-même avait en vue, et pour le savoir, il faut étudier le texte sous la lumière que projettent dessus et le développement de la révélation et l’accomplissement de la prophétie. Envisagé de la sorte, le Protévangile contient indubitablement le Messie, quelle que soit la manière, directe oa indirecte, explicite ou implicite, dont on préfère concevoir et dénommer cette contenance. Voir t. vi, col. 1210-1211. En va-t-il de même pour Marie ? Non pas qu’il s’agisse de la trouver verbalement là où elle n’est pas verbalement ; mais ne peut-elle pas apparaître dans le Protévangile par identification ou par connexion réelle avec la femme dont Dieu proclame l’inimitié à l’égard du démon ? Une distinction s’impose, historiquement non moins que théoriquement, entre Marie considérée d’abord en général, comme mère <lu Sauveur, puis en particulier, comme immaculée.

b) Marie, dans le Protévangile. — h’Ipsa de la Vulgate ne pouvant être invoqué sans pétition de principe, le débat se concentre sur l’interprétation de ces expressions : la femme et son lignage. Abstraction faite de nuances multiples, deux interprétations générales sont en présence.

i" interpTHalion. — La femme du Protévangile, c’est Eve, littéralement et directement ; car le mot liâ’issa se rapporte à une femme déterminée, celle que ce terme désigne dans les versets qui précèdent et qui suivent. Le lignage de la femme, c’est la descendance d’Eve, le genre humain pris soit dans sa totalité, soit dans son élite ou ceux de ses membres qui lutteront efficacement contre le démon et ses suppôts ; le lignage de la femme s’oppose, en effet, au lignage du serpent, et comme, dans ce dernier cas, l’expression doit s’entendre dans un sens collectif, soit des seuls démons, soit des mêmes et de leurs suppôts, le parallélisme exige que, dans l’autre cas, le lignage de la femme s’entende également dans un sens collectif. Cette interprétation a été soutenue à notre époque par des auteurs protestants, comme Hengstenberg, Chrisiologie des Allen Testamentes und Conimentar iXber die Messianischen Wcissagungen, Berlin, 1854, 1. 1, p. 21 ; Keil, Biblischer Commentar iXber die Bâcher Mosis, Leipzig, 1861, t. i, p. 58 ; Delitszch, Messianische Weissagungen, 2^ édit., Berlin, 1899, p. 28. Elle a trouvé laveur auprès d’un certain nombre d’exégètes catholiques : Reinke, Beilràge zur Erklarung des Allen Testaments, Munster, 1881, t. ii, p. 240 sq. ; Himpel, Die messianischen Weissagungen im Pentateuchen, dans Theologische Quarlalschritl, Tubingue, 1859, p. 217 sq. ; J. Corluy, Spicilegium dogmatico-biblicum, Gand, 1884, t. i, p. 347 ; A.-J Maas, Christ in type and prophecy, New York, 1893, t. i, p. 201, 203 ;

F. de Hummelaiier, Commentar. in Genesim, Paris, 1895, p. 161 sq. ; Crelier, La Genèse, Paris, 1901, p. 56 ;

G. Hoberg, Die Genesis, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1908, p. 49 ; W. Engelkemper, ûas Protoevangelium, dans Biblische Zeitschrift, Fribourg-en-Brisgau, 1910, t. viii, p. 363. Voir aussi t. vi, col. 1208, 1209.

A l’autorité d’exégètes marquants du temps passé, comme Bonfrère et Corneille La Pierre, ces auteurs ajoutent celle de divers Pères. Plusieurs ont appliqué le verset à la lutte entre le démon et tous les fidèles. S. Jacques de Nisibe, Interpretationum in Genesim Mllectanea, dans S. Ephrœmi opéra syr. laL, 1. 1, p. 136 : Hic enimvero calcaneo noslro perpétua imminet ; nos vero oportel ipsius observare capul, initium scilicct tentationum. S. Éphrem, Lib. Attende tibi, Opéra grsec. lat., t. I, p. 253 : gai conculcatur ab ils, qui faciunt voluntatem Domini puro corde. S. Basile, Homil. Quod Deus non est auctor malorum, n. 9, P. G., t. xxxi,

col. 347 : inimicilium tiobix Deus adversus illum indidit. S. Grégoire de Nazianze, Orat., iv, contra Julian. , n. 13, P. G., t. xxxv, col. 543 : ()ujs ftoc nobis dédit, ut calcemus supra serpentes et scorpiones ? S. Ambroise, De fuga sœculi, n. 43, P. L., t. xiv, col. 589 : Sumumus euangelicum calceamentum, quo venenum serpentis excluditur, etc. S. Jérôme, à l’endroit cité des Quæstiones hebraicæ : Quia et nostri gressus præpediuntur a colubro, et Dominas conteret Satanam sub pedibus noslris velociter. Saint Jean Chrysostome, en particulier, commente le verset en des termes qui montrent que, pour lui, Eve est « la femme » et ses descendants « le lignage de la femme » : " Je ne me contenterai pas de te voir ramper sur la terre, je ferai encore de la femme ton ennemie, ennemie irréconciliable ; et ce n’est pas elle seulement, c’est encore sa descendance que je donnerai à la tienne pour adversaire perpétuel. » In Gen., homil. xvii, n. 7, P. G., t. i, iii, col. 143. Voir t. vi, col. 1209-1210. Enfin d’autres Pères virent l’Église dans la femme visée par Dieu et les fidèles dans son lignage. S. Augustin, Serm., iv, in ps. ciii, n. 6, P. L., t. xxxvii, col. 1381 -. in figura dictum Ecclesiæ futuræ. Cf. Bède, Hexæmeron, 1. 1, P. L., t. xci, col. 58, et S. Bruno d’Asti, cité t. VI, col. 1210.

Toutefois, ne pas admettre que Marie soit désignée^ littéralement et directement, par la femme du Protévangile, ce n’est pas affirmer qu’elle en soit totalement absente. Les tenants de la première interprétation, les catholiques du moins, l’y retrouvent de diverses façons. Voir l’Ami du clergé, 1900, p. 127 sq. Pour les uns, notamment Corluy, Mans, Engelkemper, voir t. VI, col. 1211-1212, Eve relevée et redevenue l’ennemie de Satan serait la figure de Marie luttant avec son divin Fils et participant à la victoire définitive ; la mère du Sauveur rentrerait donc dans le sens spirituel ou typique de la prophétie messianique. 11 y aurait même davantage pour ceux qui, à l’exemple du P. Delattre, La femme dans l’histoire de la chute originelle, dans la Science catholique, 1891, t. v, p. 520, identifieraient le lignage de la femme avec la « descendance féminine d’Eve » et, par excellence, « celle qui a écrasé la tête du serpent », la bienheureuse Vierge. Aux yeux du plus grand nombre, cependant, si Marie rentre dans le Protévangile indirectement et par voie de conséquence, c’est en vertu de l’étroite connexion qui existe entre le Messie, implicitement révélé dans l’antique prophétie, et sa mère, ne faisant moralement qu’un avec lui dans l’œuvre de la réparation. Mais cette dernière affirmation est susceptible d’im double sens. On peut admettre l’unité morale du Messie et de sa mère dans la lutte et la victoire comme ayant un fondement objectif dans le texte lui-même, étudié et mieux compris sous la lumière combinée de la révélation intégrale et de l’interprétation patristique ou ecclésiastique. Dans ce cas, la preuve reste d’ordre scripturaire, et rien n’empêche un exégète soutenant que « la femme » désigne Eve au sens littéral et Marie au sens spirituel ou typique, d’affirmer en même temps que l’objet principal de l’annonce prophétique est plutôt la seconde que la première. Quelque chose de semblable existerait, au jugement de beaucoup, pour certains psaumes, où le Messie, enveloppé dans un sens spirituel ou typique, n’en serait pas moins l’objet principal visé par le Saint-Esprit. On trouve même des auteurs éminenls qui, après avoir déclaré que « la femme » et « son lignage » désignent directement Eve et sa postérité, font ensuite rentrer dans le sens littéralJésus-Christ et la sainte Vierge ; par exemple, Corneille La Pierre, § Nota secundo : Rursum, hœc ipsa magis Christo et beatæ Virgini contra diabolum pugnanti, eliam ad litteram comteniunt. Voir t. vi, col. 1211-1212. On

peut, au contraire, admettre l’unité morale du Messie et de sa mère dans la lutte et la victoire comme une donnée purement traditionnelle, étrangère au vrai sens du texte sacré, mais qui, dans la Vulgate, se serait accidentellement grellée dessus. Dans ce cas, quelle que soit la valeur que l’autorité de la tradition « t de l’Église confère à la doctrine prise objectivement, la preuve d’ordre scripturairc disparaît, comme l’enseignent expressément ceux qui adoptent cette manière de voir.

2e inlerprélalion. — Dans le Protévangile, « la femme » désigne littéralement et principalement, sinon exclusivement, la Vierge Marie. Soutenu depuis longtemps par la plupart des défenseurs de l’immaculée conception, ce sentiment est partagé, depuis la définition, par la presque totalité des théologiens < : atlioliques et par de nombreux exégètes, comme T. B. Lamy, Comment, in librum Geneseos, Malines, 1883, 1. 1, p. 233 sq. ; F. X. Patrizi, S. J., De intcrpretaiione Siripturanim sacrarum, Rome, 1844, t. II, q. iv. Voir t.. VI, col. 1211, et la bibliographie qui suiL Cette interprétation est intimement liée, dans l’esgcit de ses partisans, avec celle de l’expression correspondante : " le lignage » de la femme, entendu littéralement et principalement de Jésus -Christ. Lbid. Le développement de la révélation messianique nous apprend qu’eu lui repose le salut réservé aux nations. Gen., xxii, 18 ; Gal., ui, 16. Lui seul est venu au monde pour en chasser Satan et détruire ses œuvres, Joa., xii, 31 ; I Joa, iii, 8 ; pour dépouiller les principautés et les puissances, et ruiner par sa mort celui qui avait l’empire de la mort. Col., ii, 15 ; Heb., ii, 14. Lui seul est particulièrement attribué à la femme comme rejeton, dans un texte où l’apôtre le montre accomplissant son œuvre rédemptrice, Gal., IV, 4,.5 : jacium ex muliere… ut eos qui sub lege erani redimeret. Destiné à jouer le rôle décisif dans la défaite de Satan, Jésus-Christ était donc compris, non pas d’une façon quelconque, mais principalement, dans le lignage de la femme ; car la victoire, énoncée dans la seconde partie du verset et symbolisée par le coup mortel porté à la tête du serpent, ne s’est réalisée pleinement qu’en lui, le nouvel Adam. Cela étant, le lignage de la femme ne peut être proclamé victorieux, et son inimitié avec le serpent ne peut être censée efficace dans un sens plein et absolu que par métonymie, si l’on attribue à la collectivité ce qui convient au membrc principal. De celui-ci seul il est vrai de dire simplement et proprement : Ipse conteret eapul luum. Si dans un texte énergique saint Paul nous montre Satan sous les pieds des fidèles et affirme ainsi leur participation à la victoire finale, c’est direclenient à Dieu lui-même, au Dieu de la paix, qu’il attribue l’écrasement de Satan, Rom., xvi, 20 : 6 oï’lé.

v/v.

'ti jaTotvav jno

Pj ; ~ooa ; j’Aïuv

Nombreux sont les Pères des premiers siècles qui, dans le lignage de la femme, vainepieur du démon, ont vu Jésus-Christ, né de la Vierge Marie : tels, en Orient, S. Justin, Dial. cum Tnjphone, 100, P. G., t. M, col. 712 ; S. Irénée, Conl. Iiœr., ni, 23 ; iv, 40 ; V, 21, P. G., t. VII, col. 964, 1114, 1179 ; S. l’îphrem, tiymni ri sermoncs, édit. Lamy, t. ii, p. (iO(i : Conculcavil puer cxecrabilem serpenlem, et con/regil capui aapidis ; t. iii, p. 984 : Ex le (^taria) exiel infans qui coiilerel cnpnl aerpenlis ; S. Épiphane, Jlxr., Lxxviii, 18, 19, />. C, t. XLii, col. 728 sq. ; Lsidore de Péliise, EpisL, I. 11, epist. ccccxxvi, /-’. G., t. lxxviii, col. 418. Kn Occident, S. Cyjjrien, Teslimonia adv. Judœos, II, 9, P. /, ., t. IV, col. 704 ; S. Ambroise, Enarr. in pu. JXX VII, serm. i. P. L.. t. xiv, col. 1 01 2 sq. ; S. Léon, Srrm., xxii, in naliv. bom., ii, c. i, P. L., t. i.iv.col. 191. Voir L VI, col. 1210-1211. ICntre cette série de témoi gnages et celle que nous avons rencontrée plus haut, y a-t-il opposition ruelle ?’Il faudrait l’aflirmer, s’il était prouvé qu’en comprenant tous les hommes ou tous les justes dans la descendance de la femme ou en leur attribuant la victoire sur le serpent, les Pères allégués ont toujours prétendu donner le sens littéral, et cela d’nne façon exclusive. Mais cela n’est pas prouvé. La phipart n’ont touché au texte qu’en passant, par voie d-’allusion ou de supposition ; ceux qui s’en sont occupés expressément n’ont pas laissé des commentaires techniques où ils aient distingué nettement entre sens littéral ou moral, entre acception principale ou secondaire. Voir cependant les commentateurs de la Genèse, à partir du v<e siècle, t. VI, col. 1209, 1210. Ce qui est plus important encore, l’application générale qu’ils font à tous les justes des expressions : « lignage de la femme » et : « Il te broiera la tête », n’exclut nullement une application spéciale à Jésus-Christ, suivant une remarque du P. de Hummelauer lui-même, op. cit., p. 162 ; remarque confirmée d’ailleurs par l’exemple des saints Éphrem et Ambroise dans les passages cités.

L’argument que les tenants de la première interprétation tirent du parallélisme entre la descendance du serpent et celle de la femme, voir t. vi, col. 1209, n’a proprement de valeur qu’à rencontre des théologiens et des exégètes qui restreignent exclusivement à Noire-Seigneur la seconde expression. Du reste, à s’en tenir à la lettre du texte, le parallélisme n’est pas à chercher dans l’idée d’une collectivité opposée à une autre collectivité, mais dans celle d’une inimitié s’étendant non seulement à la femme et au serpent, mais encore à leur lignage réciproque, quels qu’en soient d’ailleurs le nombre et la condition. lbid. Enfin, sans être une collectivité, Jésus-Christ n’en présente pas moins quelque chose d’équivalent, quand on le considère comme clief moral de l’humanité rachetée. Gal., iii, 16, 29, autour duquel se groupent tous ceux qui, s’attachant à lui et s’appuyant sur lui, particijjeront à sa lutte victorieuse contre le démon et ses sui)pôts.

Dès lors que « le lignage de la femme » signifie, au moins principalement, Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, ’la fenune » ne doit-elle pas être la bienheureuse Vierge Marie ? C’est d’elle seule que, dans la sainte Écriture, Jésus est dit le rejeton ; c’est comme fils de Marie, n’ayant pas de père selon la chair, qu’il est vraiment, dans un sens unique, « formé d’iuie femme », comme dit l’apôtre. Gal., iv, 4. Surtout, le rôle attribué a la femme de la Genèse ne convient parfaitement qu’à Marie. L’inimitié que Dieu annonce et qui sera son œuvre n’existera pas seulement entre le lignage du serpent et celui de Marie, elle existera également entre le serpent et la femme ; la distinction est aussi nette dans le texte hél)reu cpi’elle l’est <lans le texte latin : inler te et muUerem. et inter semen luum et semen illius. Cette inimitié tendant à la déraite du serpent, comme à son terme, la femme sera donc unie à son lignage dans la victoire non moins que dans la lutte. Si tout se bornait à une reprise d’hostilités entre Eve et le démon, hostilités destinées à se perpétuer entre leurs lignages et suivies plus tard d’une victoire décisive que le seul Sauveur rcmporterait au nom et dans l’intérêt du genre himiain, pourquoi l’hostilité serait-elle attribuée à la femme avec tant d’emphase, et pourquoi à la femme plulôt qu’à l’homme ? l^n droit, i’inindtié entendue de cette manière ne conviendrait-elle pas tout au.ssi bien, sinon mieux, au premier homme, souche physique et chef moral de la race ? En fait, qu’y a-t-il de iiarticulier, sous ce rapport, dans l’histoire d’Eve et de sa descendance féminine, abstraction faite de Marie ? Si donc Dieu.-ittrilnie un rôle spécial à la femme dans la lutte contre le serpent,

n’en faut-il pas chercher la raison dans quelque circonstance mystérieuse que le seul texte de la Genèse ne révèle pas, mais que la suite de la révélatiou devait dévoiler ? Tout s’explique s’il s’agit de la nouvelle Eve, associée au nouvel Adam dans la victoire comme dans la lutte.

Qu’Eve soit réellement « la fenmie » désignée dans les versets qui précèdent et qui suivent le Protévangilc, c’est chose incontestable et incontestée ; l’écrivain sacré y raconte sa faute et celle d’Adam, 1-6, puis l’interpellation divine, 12-13, et le châtiment infligé aux deux coupables, 16-17. Le cas est tout autre dans les deux versets intermédiaires, où le Protévangile est enveloppé : Dieu s’y adresse, non pas à nos premiers parents, mais au démon, pour prononcer contre lui une sentence en punition du péché qu’il a fait commettre d’abord à Eve ; cette sentence comprend un plan de revanche dressé par Dieu contre Satan : « Puisque tu as fait cela, sois maudit…, et je mettrai une inimitié entre toi et la feiume, etc. » C’est-à-dire, « puisque tu t’es servi de la femme, comme d’un instrument, pour faire tomber le premier homme et détruire ainsi mon œuvre, à mon tour je me servirai de la femme, comme d’un instrument, pour détruire ton œuvre et restaurer la mienne. » Pour que ce programme se réalise, en ce qui concerne « la femme », il n’est pas nécessaire que ce mot désigne dans les deux cas un seul et même sujet. Quand on dit, suivant un adage connu : » La fenune nous a perdus, la femme nous a sauvés », le sens n’est pas que la chute et le relèvement viennent d’un seul et même individu, mais seulement qu’ils viennent, l’un et l’autre, d’une femme qui, dans l’hypothèse, représente et personnifie en quelque sorte l’espèce. De même, pour expliquer la double acception du mot ha’iasa, il suffit qu’au relèvement comme à la chute, une femme intervienne ; non pas une femme quelconque, mais une femme qui, par sa condition spéciale et le rôle qu’elle joue, puisse, comme Eve elle-même, s’appeler « la femme », soit par personnification de l’espèce dans un individu, soit par métonymie, la partie principale étant prise pour le tout. Cette application d’un même terme à deux sujets distincts est d’autant plus facile à concevoir ici, que les deux femmes, se trouvant dans le rapport de première et de seconde Eve, ne sont nullement, eu leur être moral et pour ainsi dire social, indépendantes l’une de l’autre. Considération qui explique, semhle-t-il, en quel sens certains auteurs ont pu voir dans la femme de la Genèse et Marie et Eve : la première principalement, la seconde secondairement, comme ne faisant moralement qu’une avec l’autre : Illa mulier principaliter est B. Virgo, cujus semen est Christus ; Eva vero solum in conjunctione cum filia sua. C. Pesch, Prœlectiones dogmaticæ, t. ni. De Deo créante, n. 302.

C’est sans doute à un rapport de ce genre que songeait l’auteur d’un sermon attribué à saint Augustin, quand il présentait Eve comme une anticipation de Marie, et celle-ci comme une révélation ultérieure de celle-là : In Eva jam tune Maria inerat, etper Mariam postea revelata est Eva. Serm., en, in nativit. Domini, X^. 5, dans Mai, Nova Patrum bibliolh., t. i, p. 212.

Réduite à cette simple idée, que Marie est étroitement unie à son Fils considéré comme le grand adversaire et comme le vrai vainqueur de Satan, l’interprétation du Protévangile qui vient d’être exposée répond à la doctrine générale des Pères et des écrivains ecclésiastiques. Plusieurs de ceux qui ont été cités comme voyant dans le lignage de la femme le Messie, parlent de ce dernier d’une façon concrète, comme né de la Vierge Marie : tels Justin, Irénée, Cyprien, Éphrem, Léon le Grand, Isidore de Péluse. D’autres identifient formellement ou équivalemment la mère

de Dieu avec la femme de la Genèse : S. Éjjiphane, Hær., Lxxiu, n. 18, 10, P. G., t. xui, col. 728 ; S. Éplircm, Orat. ad SS. Dei nuilreni. Opéra græc. lai., t. iii, p. 547 : Salve para, quie diaconis nequissi mica put contrivisti ; pseudo-Chrysoslome, Homil. in annunt. Deip., P. G., t. Lxii, col. 706 : Ave, et calca caput serpentis ; Hesychius, Serm., y, de S. Maria Deip., P. G., t. xciii, col. 1466 : Gloria luti nostri, quæ… audaciam draconis abscidit ; S. Joseph l’Hymnographe, A/ana/e, 16 avril, P. G., t. cv, col. 1102 : tu quæ gaudium peperisti, et serpentem interemisti.

En Occident, saint Jérôme, si, comme l’a soutenu G. Paucker, dans Zeitschrifl jûr die ôsterreich. Gymnasien. Vienne, 1880, t. xxxi, p. 891-895, il est réellement l’auteur de VEpist., vi, ad amicum œgrotum, de viro perjecto, c. vi, P. L., t. xxx, col. 82 : Mater itaque Domini nostri Jesu Christi in illa jam tune mulicre promissa est, etc. ; Prudence, Cathem., hymn. iii, V. 150, P. L., t. Lix, col. 806 : femincis vipera proteritur pedibus ; S. Avit, Carmina, t. III, c. vi, P. L., t. Lix, col. 340 : Conterai illa caput, victoremque ultima vincat ; divers exégètes au temps du pseudo-Eucher, Comment, in Gen., iii, 15, P. L., t. l, col. 914 : Quidam autem, quod dictum est : Inimicitias ponam inter te et mulierem, de virgine, unde natus est Dominus, intellexerunt ; S. Isidore rapportant le même texte, Mysticorum expositiones sacramentorum, P. L., t. Lxxxin, col. 221 (cf. Fidel Fita, La Biblia y san Isidore, dans Boletin de la Real Academia de la historia, Madrid, 1910, t. Lvi, p. 484 sq.) ; S. Fulbert de Chartres, Serm., iv, de nativ. B. M., P. L., t. cxii, col. 320 : Hœc (Maria) est ergo mulier ad quam divinum illud intendebat oraculum ; Rupert, De Victoria Verbi Dei, t. II, c. XVI, P. L., t. cLxix, col. 1256 : Equidem principaliter becda Virgo Maria, mulier illa est inter quam et serpentem inimicitias positurum se dixit, et posuit Deus ; S. Bernard, Homil., ii, super Missus est, n. 4, P. L., t. CLxxxiii, col. 63 : Quam tibi aliam prsedixissc Deus videtur, quando ad serpentem dixit : Inimicitias ponam inter te et mulierem ? De même, Serm. de duodecim prærogativis B. M., n. 4, ibid., col. 431 : Nimirum Ipsa est quondam a Deo promissa mulier, serpeniis antiqui caput virtutis pede contritura.

Mais pour avoir pleinement la pensée des Pères, il ne suffit pas de considérer les applications plus ou moins directes qu’ils ont pu faire du Protévangile ; il faut encore, comme le remarque à bon droit Palmieri, Traclatus de peccato originali et de immaculalo B. V. Deiparæ conceptu, 2e édit., Rome, 1904, p. 304, tenir compte de la doctrine, commune parmi eux, du nouvel Adam et de la nouvelle Eve, unis dans l’œuvre de la réparation ; doctrine appartenant à la tradition patristique des premiers siècles et qui, à ce titre, sera développée plus loin. Ébauchée par saint Justin et poussée plus avant par saint Irénée, elle se trouve aussi chez le plus ancien des Pères latins, TertuUien, avec moins de relief, mais nette encore dans ses lignes fondamentales. De carne Christi, 17, P. L., t. ii, col. 782 : « Dieu a recouvré par une opération contraire son image et sa ressemblance dont le démon s’était rendu maître. Dans Eve encore vierge s’était insinuée la parole qui créa la mort ; c’est aussi dans une vierge que devait descendre le Verbe de Dieu qui créa la vie, afin que le même sexe qui avait été la cause de notre perte devînt l’instrument de notre salut. B De là résulte, entre la première femme et la mère du Sauveur, une antithèse qui, dans la période postnicéenne, s’énonce couramment sous forme d’adage : Mors per Evam, vita per Mariam, dit saint Jérôme, Epist., xxii, ad Euslochium. n. 21, P. L., t. XXII, col. 408 ; au lieu d’Eve, Marie, àvTi -rr, : Iv-aç f, Mapîa. dit saint Jean Chrysostome, Homil. in Pascha, n. 2, P. G., t. lii, col. 708 : et saint Éphrem,

Hijmni et sermones, t. ii, col. 526 : « La mort est venue par Eve, et la vie par Marie. » D’autres témoignages, plus importants ceux-là, n’expriment pas seulement l’antithèse entre les deux femmes, mais en déterminent la portée dans l’ordre providentiel, conformément à l’idée contenue dans le texte de Tertullien. S. Cyrille de Jérusalem, CaL, xii, 15, P. G., t. xxxra, col. 742 : « Comme la mort était venue par Eve encore vierge, il convenait que la vie revînt par une vierge ; » S. Éphrem, De diversis, serm. m. Opéra sijr. lat., t. III, p. 607 : ’< Ce qui a été un instrument de mort, a donc été un instrument de vie ; » S. Augustin, De agorie christiano, c. xxii, n. 24, P. L., t. xl, col. 203 : Il fallait que le diable souffrît de sa défaite par les deux sexes, comme il avait joui de son triomphe sur les deux ; ce n’aurait pas été assez pour son châtiment que les deux sexes fussent délivrés, si les deux n’avaient point contribué à la délivrance. » Cf. Maxime de Turin, Homil., XV, de natio. Dont., x, P. L., t. lvii, col. 254.

Il y a donc, de la part de Dieu, un plan de revanche sur le démon ; plan qui comprend, en face d’Adam et d’Eve formant le groupe des vaincus, Jésus-Christ et sa mère formant le groupe des vainqueurs. D’où vient cette doctrine ? Pour ce qui concerne le Sauveur, nul doute qu’il n’en faille chercher le fondement dans l’Évangile et les écrits apostoliques, Joa., xii, 31 ; Rom., v, 14 sq. ; Gal., ii, 15 ; Heb., ii, 14 ; I Joa., ni, 8 ; car les expressions patristiques rappellent à la mémoire ces divers passages. Mais pour ce qui concerne la mère du Sauveur, nul autre fondement ne paraît assignable, qu’un rapprochement entre le récit de la chute originelle, Gen., iii, 1-10, et celui de l’Annonciation, Luc, I, 26-39. Au colloque du démon avec Eve, les Pères opposent le colloque de l’archange Gabriel avec la Vierge de Nazareth ; à l’orgueil et à la désobéissance de la première femme, ils opposent l’humilité et l’obéissance de Marie ; à la ruine que la conduite de l’ancienne Eve attira sur le genre humain, ils opposent le relèvement dont la conduite de la seconde Eve fut la condition et le principe. Cette dernière considération, telle qu’elle apparaît dans ceux des Pères qui l’ont tant soit peu développée, nous reporte au Protévangile. La traduction de la Vulgate, attribuant à la femme la défaite du serpent : Ipsa conlerel ciipul luum, confirme à sa manière cette conclusion ; car elle suppose dans ceux qui l’introduisirent ou l’adoptèrent la conviction d’une union étroite entre la femme et son rejeton dans la lutte contre l’ennemi, en sorte que la victoire de l’un pût être aussi considérée comme victoire de l’autre. II n’est nullement prouvé que cette traduction ait introduit dans le texte un ajjport doctrinal objectivement distinct ; elle contient, en réalité, la détermination et l’expression de ce qui était enveloppé dans le sens intégral de la mystérieuse prophétie.

Prise dans toute son ampleur, la doctrine du nouvel Adam et de la nouvelle Eve forme donc comme une interprétation pratique du Protévangile ; les Pères y ont trouvé le Messie et sa mère, cpioiqu’il en soit de la question de terminologie, discutable mais secondaire, à savoir s’il faut dire que tels et tels les y ont vus directement et explicitement, ou bien indirectement et implicitement. Les considérations précédentes écartent seulement l’opinion arbitraire de ceux qui, ne reconnaissant là que des données exclusivement traditionnelles, enlèvent par le fait même toute valeur scripturaire à l’argument tiré du Protévangile. lilles nous font aussi dépasser l’hypothèse « l’un sens spirituel ou typique, qui serait fondé sur un rapport d’analogie entre Eve, redevenant après son repentir l’ennemie du démon, et Marie, réalisant pleinement avec son divin Fils l’inimitié prédite. L’hypothèse ne rentre ni dans le cadre historique de

la révélation écrite ni dans celui de la tradition primitive. Quand l’Écriture fait mention d’Eve en dehors des premiers chapitres de la Genèse, où elle raconte son état primitif et sa chute, c’est toujours en rattachant à sa personne l’idée de ruine, de séduction, de prévarication. Eccli., xxv, 33 ; II Cor., xi, 3 ; I Tim., II, 14. De même, quand les anciens Pères considèrent la première femme après sa déchéance, ce n’est pas pour la comparer à la mère du Sauveur victorieuse avec son divin Fils ; c’est, d’ordinaire, pour opposer l’une et l’autre, suivant l’antithèse connue. Un autre rapprochement leur est, il est vrai, suggéré par le titre et la qualité de mère des vivants, Gen., in, 20 : Eve, mère du genre humain dans l’ordre physique, devient pour saint Épiphane, loc. cit., et d’autres après lui, la figure de Marie, mcre des hommes dans l’ordre de la grâce ; mais si ce rapprochement confirme qu’aux yeux de ces Pères Marie est la nouvelle Eve, il n’entraîne aucun rapport typique entre les deux femmes envisagées comme adversaires victorieuses du serpent. Voir card. Billot, De Vcrbo incarnato, 4e édit., p. 374 sq., note.

C’est donc avec raison que, dans la bulle Inef}abilis, i] est dit des saints Pères et des écrivains ecclésiastiques : « Ils ont enseigné que par ce divin oracle. Je mettrai l’inimitié entre toi et la femme, entre la descendance et la sienne, Dieu avait clairement et ouvertement montré à l’avance le miséricordieux rédempteur du genre humain, Jésus-Christ, son Fils unique, et désigné sa bienheureuse mère, la Vierge Marie. » Idée reprise, mais sous une forme plus absolue, par Léon XIII dans cette phrase qui contient une allusion manifeste au Protévangile : « Au début des siècles, quand, par leur péché, nos premiers parents se furent souillés eux-mêmes et eurent souillé toute leur postérité d’une commune tache, l’auguste Vierge Marie fut constituée comme le gage du salut et du relèvement futur. » Encycl. Augustissim ! P, sur le rosaire, 12 septembre 1897.

c) Marie immaculée dans le Protévangile. — Le glorieux privilège de la mère de Dieu ne ressort pas immédiatement de ce qui précède. Des Pères ont vu dans la femme de la Genèse Marie, nouvelle Eve, sans y voir Marie conçue sans péché ; il en fut ainsi de saint Bernard, si catégorique en ce qui concerne le premier point. Pour lui, comme pour d’autres, l’inimitié de la bienheureuse Vierge et son triomphe se seraient réalisés, soit en général dans sa vie morale, par l’absence complète de toute faute personnelle, soit en particulier, au jour de l’Annonciation, alors que par sa foi, son humilité et son obéissance, elle fit contre-poids à l’incrédulité, à l’orgueil, à la désobéissance de l’ancienne Eve et nous donna le Sauveur En outre, n’ayant pas traité formellement de la conception de Marie, les Pères des premiers siècles n’ont pas relié le privilège qui s’y rattache au rôle de nouvelle Eve que le Protévangile leur a révélé. Mais c’est là une question de fait qui ne préjuge en rien la question de droit. Dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, les anciens Pères ne sont pas parvenus à la connaissance explicite de ce qui n’était contenu que d’une façon implicile dans le texte génésiaque et ceux qui le complètent ou l’éclairent. Ils n’en ont pas moins posé, par la doctrine de la nouvelle Eve, intimement unie au nouvel Adam dans l’œuvre de la réparation, les prémisses d’où la conchision devait sortir un jour, l’Iilsprit-Saint aidant. Aussi, quand le problème de la conception de Marie entrera dans une phase de discussion formelle et publique, les défenseurs du privilège commenceront à invoquer expressément le Protévangile, parexemiile, au xue siècle, Osbcrt de Clare et Pierre Comestor dans leurs ser.nons De conrrplionr.

La femme de la Genèse et son lignage désignant, à tout le moins princ ; ipalenieiil, Marie et son divin Fils, l’inimiliO annoncée et voulue eflicaccment par Dieu se présente connue commune à l’un et à l’autre ; elle sera, pour la mère comme pour le Fils, complète, absolue. C’est là ce qui donne au plan de revanche divin toute sa signification et toute sa portée ; au groupe des vaincus, Adam et Eve, un nouveau groupe est substitué, le groupe des vainqueurs, qui se compose aussi d’un homme et d’une femme. La première Eve repentante et relevée a repris, il est vrai, les hostilités contre le serpent ; mais dans cette femme d’abord vaincue et n’ayant pas recouvré l’innocence originelle, la revanche ne peut être que partielle et relative ; il n’y aura de revanche totale et absolue que le jour où l’Eve primitive, celle qui sortit tonte pure des mains du créateur, revivra pour ainsi dire en une autre elle-même et se retrouvera près du nouvel Adam pour la lutte suprême.

Ainsi présentée, la preuve est indépendante du pronom Ipsa, qui se lit dans la Vulgate ; elle s’appuie directement, non sur le second membre du verset, où ce terme apparaît, mais sur le premier : Inimicitias ponam inler te et mulierem, etc. Les Actes préparatoires à la définition mettent d’ailleurs ce point hors de doute. La grande majorité des théologiens consultés, seize sur vingt, avaient invoqué le texte en faveur du privilège, la plupart d’une façon ferme. Les membres de la commission spéciale, chargée de préparer la bulle, insérèrent la preuve dans le Sillogc degV argomenii, avec cette appréciation : Deus non obscure præsignificasse videtur ; mais ils ne firent appel qu’au premier membre du verset, entendu d’inimitiés communes au Messie et à sa mère : non alias algue alias, scd iinas alque easdem inimicilias ab ipso Dco ponendas. Les notes explicatives, Dichiarazioni, renvoj’aient à un opuscule du P. Patrizi, De immaculala Mariée origine a Dec prædicta, p. 26 sq., en particulier pour ce qui concernait l’inefficacité de ces paroles : ipsa conlcrcl capul iuum, prises directement en elles-mêmes. Sardi, op. cil, , t. ii, p. 47, 55. La position est encore mieux précisée dans le document intitulé ; Brève espospionc degli Atli délia Commissione spéciale ; car deux conclusions y sont formulées : a) On ne peut pas tirer im argument solide en faveur de l’immaculée conception de ces paroles de la Gedèse : Ipsa conlerel capul Iuum ; b) ce privilège a un fondement solide dans ces autres paroles : Inimicilias ponam inler le et mulierem, etc. En appuyant cette interprétation du texte sur l’autorité des saints Pères, les théologiens de la Commission spéciale n’invoquent pas une affirmation explicite, mais seulement ce qu’ils appellent una trad.zione allusiva aquel luogo, c’est-à-dire une tradition se manifestant par des allusions à la lutte et à la victoire communes du nouvel Adam et de la nouvelle Eve. Les exemples donnés appartiennent à des auteurs du ve siècle ou postérieurs : Prudence, Proclus, les auteurs anonymes de l’homélie In annuntialione Deipnras et de la lettre De vira perfeclo, saint Joseph l’Hymnographe et autres poètes liturgiques de l’Orient. Sardi, op. cit., t. I, p. 796. Textes déjà signalés ou que nous retrouverons au cours de cette étude.

La communauté d’inimitié, attribuée dans la bulle au Messie et à sa mère, ipsissimas ulriusque contra diabolum inimicilias, fit quelque difficulté. Dans la réunion du 20 novembre 1854, Mgr Malou, évêque de Bruges, objecta que la chose n’était établie ni par le texte biblique, ni par l’interprétation que les Pères en avaient donnée ; mais il retira son objection quand on eut bien expliqué le caractère implicite ou indirect de la preuve et de quelle manière elle se rattachait à la tradition patristique et ecclésiastique.

Sardi, op. cit., t. ir, p. 169, 199 sq., 209. Un peu plus tard, le cardinal De Angelis, archevêque de Fernio, demanda qu’on indiquiU de quelque manière une difïérence entre la femme et son rejeton relativement aux itnmitiés à l’égard du démon. Ibid., p. 290. Toutes ces circonstances donnent une singulière importance au texte définitif de la bulle, comparé avec les rédactions précédentes. Ibid., p. 307. Il s’en distingue par plusieurs additions : les adverbes clare apcrtcque, qui accentuent le caractère messianique du Protévanglle d’après les Pères ; surtout la finale, où la communauté d’inimitié est maintenue et même mise en relief, mais où, en même temps, la subordination de Marie à son Fils dans la lutte et dans la victoire est soulignée par ces mots : una cum lllo, et per lllum. Additions imprimées en lettres italiques dans la traduction qui suit : " Les Pères et les écrivains ecclésiastiques… ont enseigné que, par ce diviii oracle ; Je mettrai des inimitiés entre toi et la femme, entre ta descendance et la sienne. Dieu avait clairement et ouvertement montré à l’avance le miséricordieux rédempteur du genre humain, Jésus-Christ, son Fils unique, et désigné sa bienheureuse mère, la Vierge Marie, et en même temps exprimé d’une façon marquée (insigniler) la commune inimitié de l’un et de l’autre contre le démon. C’est pourquoi, comme le Christ, médiateur entre Dieu et les hommes, se servit de la nature humaine qu’il avait prise pour détruire l’arrêt de condamnation porté contre nous et l’attacha triomphalement à la croix, ainsi la très sainte Vierge, unie avec Lui étroitement et inséparablement, fut avec Lui et par Lui l’éternelle ennemie du serpent venimeux et le vainquit pleinement en lui broyant la lêle sous son pied virginal. » Texte qui contient deux phi-a"*es nettement distinctes : une première, narrative, où l’on attribue aux Pères et aux écrivains ecclésiastiques le susdit enseignement, docuere ; une seconde, déductive, qnocirca…., où les Pères ne sont plus mis directement en scène ; ce sont les rédacteurs de la bulle et Pie IX avec eux, qui, partant de l’enseignement des Pères comme fournissant le principe, tirent la conséquence et font l’application.

Ces considérations d’ordre positif permettront d’apprécier à leur juste valeur certaines critiques faites couramment, dans des encyclopédies protestantes ou rationalistes, par les adversaires du dogme ou de la bulle de définition. Quand, par exemple, on reproche aux théologiens de Pie IX d’avoir fondé leur argumentation sur une leçon fautive, Ipsa de la Vulgate, on attribue à ces théologiens et au pape lui-même exactement le contraire de ce qu’ils ont voulu faire et ont fait réellement. Quand on objecte que, parmi les anciens Pères, nul n’a entendu’l’oracle génésiaque dans le sens immaculiste, on mêle, inconsciemment peut-être, ce qui, dans la bulle, est proprement attribué aux Pères et ce qui s’y trouve affirmé comme une conséquence tirée de leur enseignement. Ces adversaires méconnaissent le véritable état de la question, en ne tenant compte que des affirmations directes et explicites ; ils négligent à tort ce qui peut être contenu d’une façon soit équivalente, soit indirecte ou implicite, dans la doctrine générale des écrivains primitifs sur Marie nouvelle Eve et leurs allusions à l’union de cette nouvelle Eve avec le nouvel Adam dans la lutte victorieuse contre Satan.

Voir les théologiens traitant de l’immaculée conception : Plazza, op. cii., Act. i, a. 1, n. 77-8, 5 ; Perrone, De immaculala B. Maria’V. conceptu disqiiisHio Uieologica.p.204 sq. ; dans Pareri deW cpiscopato caltolico, Rome, 1852, t. T, Passaglia, De immaculaio Deipara’sempcr Virginis conceptu commeniarius, sect. v, c. 1, Rome, 1854 ; Palniieii, d’abord Tracialus de Deo créante et élevante, th. lxxxviii, Rome, 1878, puis Tractatus de peccato originali et de imma861’IMMACULÉE CONCEPTION

862

culato B. Mari.T V. cnnceptu, th. xxiii, Rome, 1904 ; Scheeben, llandbiich <Jer katholischen Dotimaiik, Fribourgen-’Brisgau, 1882, t. iii, n. 1687 sq. ; Christ. Pesch, Prælectiones dugmalicæ, t. m. De Deo créante et eleuante, 2’édit., Fribourg-cn-Brisgau, 1899, n. 302 ; L. Janssens, Summa iheologico. Traclatux de Deo liomine, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. V. p. 43-64 ; L. Billot, De Verfto incamato, th. xli, Rome, 1904 ; G. Van Noort, De Deo redemptore, 2’édit., Amsterdam, 1910, n. 215, 223, 244 ; C. Van Crombrugghe, Tractdtiis de beata Virgine Maria, Gand, 1913, p. 113-118. Études spéciales : F. X. Patrizi, De Sin, lioc est de iinmaciilata Marix crigine aDeo prædicta disquisitio, Rome, 1853 ; E. Bigarro, Piirixaimie Virginis Mariée Dei Geni-Iricis concepliis qimmodo inimaculaliis biblico in’j TTpwTc’jayvE Ltù’vi testiinonio staliiendiix, Venise, 1850, dans PareridelV cpineopato cailolico. t. vii, p. lx.xxi sq. ; G. Meignan, Les prophéties messianiques de l’Ancien Testofneat, t. i. Prophéties du Penlateiiqiie, Paris, 1866, p. 238-261 ; V. Cardella et H. Legnani. I. a Donna del Protoevangeloe le sue relazioni colin Cliiesa. dans Civiltà eattolica, nov.-déc. 1869, 7 « série, t. viii, p. 500, 650 ; Al. Schæfer, Die Gotlesmuttcr in der hl. Schrifl, Munster, 1887, p. 105 sq. ; H. Legnani. De spcunda Eva commentariiis in Protoevangelium, Venise, 1888 ; J.-B. Terrien, La mare de Dieu et la mère des hommes, II" part., Paris, 1902, I. I. c. ii ; M. Flunck, Dos Protoevangelium untl seine Bctiehung zum Dogma der unbeflcckten Empfàngnis Marias, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, Inspruck, 1904, t. xxviii, p. 641-671 ; H. Bremer, Die unbe/leckte Empfàngnis und die erste Prophezeiung (ter Erlôsung. dans Theologisch-praktische Quartalschrifl, Linz, 1904, p. 752-773 ; L. Murillo, El Protoevangelio y el dngma de lu cnncepciûn ininaculada de Maria, dans Ra : ôn y le, Madrid, 1904, num. extraord. (à compléter par El Cénesis. du mOme auteur, Rome, 1914, p. 303-307) ; S. Prolln. Le Proléimngile et V immaculée conception, dans la Revue airguslinienne, Paris, 1904. t. v, p. 449-460 ; G. Arendt, De Protoevangelii habitudine ad immaculatam Deiparaconceplionem, Rome, 1904. Ce dernier ouvrage est la principale monographie sur la question.

2. Lu salutation anrjéUque et celle d’Elisabeth. — Émises par des pcrsoiinaKes disliiicts et qui parlaient dans des circonstances différenles, mais l’un et l’autre au nom de Dieu ou sous l’aclion du Saint-Esprit, ces deux salutations doivent être rapiirocliées, la seconde complétant en quelque sorte la première.

Luc. I, 28. Ave, grstla

plena ; llominus tecum ; [be nedicta lu in nndieribusj.

42. 1{< nedicla tu intcr inu lieres, et benedictus fructus

ventris tui.

Je vous salue, pleine de

gr ; 1co ; le Seigneur est avec

vous ; [vous êtes bénie entre

les femmes].

Vous êtes bénie entre les

fennues, et Je fruit de vos

entrailles est béni.

IDans le texte crée de la salutation an.aélique, on lit seulement d’ajjrés les manuscrits : Xaii :, y. ; /av-T’ojjLivï, - ô v.jy.’:  ; ii-.’r - ; ’.j ;.les autres paroles, qui se retrouvent dans de très anciennes versions et divers (écrits des premiers siècles, ont été vraisemblablement empruntées : i la salutation d’Élisabetli : V.jKrj-^T, i.bi^

/% :::I. za ; ijLo’-r/j.iPi : ’, v.r’j-’tt

/, : x.o : A’.a ; Gnu.

Ce qui frappe d’abord dans la salutation angôliquc, ce sont les premiers mots, souli^més ainsi par Origènc, lu Luciinr, homil. vi, P. G., t. xiii, col. 1815 : « Puisque l’ange salua.Marie en des termes nouveaux, quc je n’ai pu trouver dans toute l’Écriture, il faut en dire quelque chose. Cette expression : Xr.y^. zr/oiv.T’.>|j.£vï, . je ne me rappelle pas en effet l’avoir lue dans aucun autre en<lroil des saints Livres ; par ailleurs, ce n’est point » ’i un honmic que sont adressées ces paroles : Xa-.o- :. zs/ « p ; T’i ; j. : vï, : c’est une salutation exclusivement réservée à Marie. l’assape dont saint Amhroise s’est Inspire quand il dit de la bienheureuse VierKc, Expos. Eoang. secundum Lucam, t. III, n. 9, P.L., t. XV, col. 1 5.5.5 sq. : limnlictiopis novam fommlam mtrabnliir, qiik niisquam Urta est, nusquam anle rnmpcrt’i. Snli Mari.T hwe salulalio servabatur. La reniaripie du docteur alexandrin, rcjirise par l’évOque de Milan, suppose manifestement que l’un et l’autre

attribuaient au mot Lî/aptT’.i ; j.£vv- ; une portée bien supérieure à cette froide traduction d’auteurs protestants : qui as été justifiée. Le mot yâo :  ; signifie dans le Nouveau Testament une grâce, une faveur, un bienfait venant de Dieu ; ce qui, dans le participe passé I. ; /ap ! TiasvY, . étant données la dérivation et la forme du verbe correspondant yap’.Toùv. mène directement au sens d’enrichie, comblée de grâce. Knabenbauer. Comment, in h. L, p. 60 sq. De même, quand Elisabeth, « remplie de l’Esprit-Saint », proclame sa cousine « bénie entre les femmes », il s’agit é^^idemment d’une bénédiction exceptionnelle, unique, dont la raison et la mesure se tirent des relations intimes de Marie avec celui dont il est dit : « Et le fruit de vos entrailles est béni, o

Cette plénitude de grâces et cette bénédiction singulière, qui sont propres à la mère de Dieu, renferment-elles le privilège d’une conception sans tache ? Les membres de la Consulte théologigue instituée par Pie IX en 1848 eurent à l’égard du texte de saint Luc la même attitude, dans l’ensemble, qu’à l’égard du Protévangile. La plupart le proposèrent comme argument valide ou le supposèrent tel ; ceux qui n’avaient pas admis la force probante du texte génésiaque n’admirent pas davantage celle de la salutation angélique, et quelques autres s’abstinrent d’en faire mention. Il ne figure pas parmi les preuves indiquées dans le Sillage degli argomenti, comme devant être utilisées. Sardi, op. cit., t. ii, p. 47. En revanche, le compte rendu des Actes de la Commission spéciale, Esposizionc degli Atti, contient l’argument comme admis d’un consentement unanime, sous cette détermination : Les paroles de l’ange, Luc, i, 28, ne suffisent pas, prises matériellement, à prouver le privilège de l’immaculée conception ; elles le prouvent, si l’on y joint la tradition exégétique des saints Pères. Ibid., t. I, p. 799 sq., conclus, m et iv.

Le passage de la bulle qui se rapporte à la salutation angélique, §Cu/n pero ipsi Patres, est rédigé dans le même sens : « Les Pères et les écrivains ecclésiastiques, considérant attentivement qu’au moment d’annoncer h la bienheureuse Vierge l’ineffable dignité de mère de Dieu, l’ange (iabriel, parlant au nom et par l’ordre de Dieu, l’avait appelée pleine de grâce, ont enseigné que, par cette salutation singulière et solennelle, juscpi’alors inou’ie, la mère de Dieu nous avait été présentée comme le siège de toutes les grâces divines, comme ornée de tous les dons de l’Esprit divin, bien plus, comme un trésor presqtie infini et un abîme inépuisable de ces mêmes dons ; de telle sorte que, n’ayant jamais été soumise à la malédiction, mais ayant avec son Fils participé à tine perpétuelle bénédiction, cWc a mérité de s’entendre dire jiar Elisabeth sous l’action du Saint-Esprit : Vous êtes bénie parni’les jenuncs, et le Iruit de vos entrailles est béni. » Le membre de phrase corresiiondant ici au latin : nunquam maledictis obnoria, et una cum Filio perpétua : bencdictionis purticcps, est projire au texte définitif de la bulle. Que l’addition ail été suggérée à Pie IX, ou qu’il l’ait fait insérer « au dernier moment, de.son propre mouvement et non sur la remarque de quelques consulteurs », comme l’anirme le P. Jugie. Le témoignage de saint Luc sur l’immaculée conci ption, p. 69, la nature et la valeur n’en seraient jias changées ; mais il reste que ce membre de phrase met en plein relief, comme renfermée dans la salutation d’Elisabeth, l’idie de bénédiction yiciiiétuelle, sans toutefois faire reposer sur cette idée toute la force de la jireuve, car le contexte montre surabondamment qu’elle repose encore et surtout sur le gratta plenn.

Ainsi comprise, la))reuve de rin ; niaciilée conception tirée de la salutation angélique est inséparablement liée à l’enseignement des Pères et des écrivains

ecclésiastiques ; enseignement qui sera développé plus loin. Quelques témoignages notables apparaissent dès le ive siècle avec les saints Éphrem, Ambroise et Épiphane. Mais le plus grand nombre se rapportent à la période postephésienne ; alors commencent à se dérouler ces litanies ou séries d’Ave, qui sont comme autant de commentaires oratoires de la salutation angélique. Contentons-nous ici d’énoncer quelques considérations générales qu’il importe de ne pas perdre de vue, si l’on veut apprécier exactement la valeur de la preuve fournie par les paroles de l’ange et celles d’Elisabeth, étudiées sous la lumière de la tradition active. Les Pères, même ceux des premiers siècles, comme Justin, Irénée, Éphrem, Épiphane, ont rapproché, nous l’avons vu plus haut, le dialogue qui s’établit, au jour de l’Annonciation, entre l’archange Gabriel et la Vierge Marie, de celui qui avait eu lieu, au paradis terrestre, entre le serpent tentateur et la première femme. Ce rapprochement leur a servi pour saisir dans toute sa portée la mystérieuse prédiction de la Genèse et y voir la nouvelle Eve à côté du nouvel Adam ; par une conséquence logique, Il y a pour eux comme une réaction du Protévangile sur la salutation angélique, et cette circonstance les aide à mieux comprendre la plénitude de grâces, l’union avec Dieu et la bénédiction propres à la nouvelle Eve, mère du Verbe incarné. En outre, dans leurs commentaires du texte ou leurs éloges de la bienheureuse Vierge, ils ne s’arrêtent pas au seul terme de z ; /apiT’» ; j. : vy|, ils pèsent aussi les autres mots, soit de la salutation angélique : Le Seigneur est avec vous, soit de la salutation d’Elisabeth : Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni ; alors le Fils et la mère leur apparaissent unis dans la bénédiction divine, de même qu’ils leur apparaissent unis, à titre de nouvel Adam et de nouvelle Eve, dans la lutte contre le serpent homicide et le relèvement du genre humain. Enfin cette plénitude de grâces, cette union spéciale avec Dieu, cette bénédiction singulière qui sont propres à Marie, mère du Verbe fait homme et nouvelle Eve, les Pères ne les rapportent pas, sauf quelques exceptions formellement désavouées par les autres, au seul moment où elle devient mère ; ils les considèrent comme des perfections préalables : Marie est déjà pleine de grâce, spécialement unie avec Dieu, singulièrement bénie, quand l’archange Gabriel la salue au nom du Très-Haut, et elle est telle, dans sa vie antérieure, en vertu de raisons ou de principes qui valent, non pour tel instant déterminé, mais indistinctement et indéfiniment pour toute la durée de son existence.

La conception immaculée de Marie est contenue dans cette doctrine d’une façon implicite ou équivalente, comme élément ou partie intégrante de cette plénitude de grâce, de cette union spéciale avec Dieu, de cette singulière bénédiction appelées en elle par son double titre de mère du Verbe incarné et de nouvelle Eve. Là s’insère naturellement le point de raccord entre l’interprétation patristique du texte de saint Luc et certaines considérations de théologiens modernes qui, prises spéculativement, pourraient paraître n’énoncer que de simples convenances ; soit, par exemple, ce passage de Newman, Du culte de la sainte Vierge dans l’Église catholique, trad. revue et corrigée par un bénédictin de l’abbaye de Farnborough, Paris, 1908, p. 68 sq. : « Est-ce trop inférer que Marie, devant coopérer à la rédemption du monde, avait reçu au moins autant de grâces que la première femme, qui fut, il est vrai, donnée comme aide à son époux, mais coopéra seulement à sa ruine ? Si Eve fut élevée au-dessus de la nature humaine par ce don moral intérieur que nous appelons la grâce, y a-t-il témérité à dire que Marie eut une grâce plus grande ?

Cette considération donne un sens à la parole de l’ange qui salue Marie « pleine de grâce » ; et cette explication du mot original est indubitablement Taie, aussitôt qu’on repousse l’hypothèse protestante, que la grâce est seulement une approbation ou acceptation extérieure, répondant au mot « faveur », tandis que, d’après l’enseignement des Pères, c’est une condition intérieure réelle ou qualité ajoutée à l’âme. Si Eve posséda ce don intérieur surnaturel dès le premier moment de son existence personnelle, peut-on nier que Marie n’ait eu pareillement ce don dès le premier moment de son existence personnelle ?

Plazza, op. cit., Act. i, a. 2, n. 145-169 ; Passaglia, op. cit., sect. V, c. IV ; Palmieri, De Dec créante, th. Lxxxviii ; De peccato origin., th. xxiv ; Malou.op. cit., c. viii, a. 1 ; Al. Schàfer, op. cil., p. 122-127 ; Knabenbauer, Comment, in Evangel. sec. Liicam, Paris, 1896, p. 60-64 ; L. Janssens, op. cit., p. 5658 ; M. Jugie, Le témoignage de saint Luc sur l’immaculée conception, dans Notre-Dame, 1911, 1. 1, p. 67-69.

Textes inefficaces ou secondaires.

1. L’épouse

sans tache ; la cité sainte ou la sagesse créée par Dieu lui-même. — A ces idées ou autres semblables se rattachent un certain nombre de textes de l’Ancien Testament empruntés au Cantique des cantiques, aux psaumes et aux livres sapientiaux.

Cant., Il, 2 : Sicut lilium Comme un lis au milieu inter spinas, sic amica mea des épines, telle est ma bienaimée parmi les jeunes filles.

Quelle est celle-ci qui monte du désert, comme une colonne de fumée, exhalant la myrrhe et l’encens, tous les aromates du parfumeur ?

Que vous êtes belle, mon amie, que vous êtes belle ! … Vous êtes toute belle, mon amie, et il n’y a point de tache en vous… C’est un jardin fermé que ma sœur fiancée, une source fermée, une fontaine scellée, un bosquet où croissent les grenades avec les fruits les plus exquis.

Ouvrez-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, mon immaculée…

Quelle est celle-ci, qui apparaît comme l’aurore, belle comme la lune, pure comme le soleil, mais terrible comme une armée en bataille ?

Dieu est au milieu d’elle : elle est inébranlable ; de bon matin Dieu vient à son secours.

Des choses glorieuses ont été dites sur vous, cité de Dieu… C’est le Très-Haut qui l’a fondée.

Levez-vous, Seigneur, venez au lieu de votre repos, vous et l’arche de votre sainteté !

Dès le commencement et avant tous les siècles j’ai été créée.

Le Seigneur m’a possédée au commencement de ses voies, avant ses œuvres les plus anciennes.

La sagesse a bâti sa maison, elle a taillé ses sept colonnes.

La sagesse n’entre pas dans une âme méchante, et n’habite pas dans un corps esclave du péché.

Tous ces textes ont été appliqués à Marie immaculée, quelques-uns rarement, d’autres fréquemment.

inter filias.

III, 6 : Qu » est ista quæ ascendit per desertum sicut virgula fumi ex aromatibus myrrhae et thuris et univers ! pulveris pigmentarii ?

IV, 1, 7, 12, 13 : Quampulchra es, amica mea, quam pulchra es ! … Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te… Hortus conclusus soror mea, sponsa, hortus conclusus. Ions signatus. Emissiones ture paradisus malorum punicorum, cum pomorum îructibus..

V, 2 : Aperi mihi, soror mea, sponsa, columba mea, immaculata mea…

VI, 9 : Quæ est ista, quae progreditur quasi aurora consurgens, pulchra ut luna, electa ut sol, terribilis ut castrorum acies ordinata ?

Ps. xLv, 6 : Deus in medio ejus : non commovebitur ; adjuvabit eam Deus mane diluculo.

Lxxxvi, 3, 5 : Gloriosa dicta sunt de te, civitas Dei… Ipse fundavit eam Altissimus.

cxxxii, 8 : Surge, Domine, in requiem tuam, tu et arca sanctificationis tuse !

Eccli., xxiv, 14 : Ab initio et ante sæcula creata sum.

Prov., viii, 22 : Dominus possedit me m initio viarum suarum. antequam quidquam faceret a principio.

IX, 1 : Sapientia aedificavit sibi domum. excidit columnas septem.

Sap., I, 4 : In malevolam animam non introibit sapientia, nec habitabit in corpore subdito peccatis.

La bulle Inefjabilis, § Quam originalem, nous fournil un exemple en ce qui concerne quelques textes des livres sapientiaux : « Les termes mêmes dont se servent les divines Écritures pour parler de la Sagesse incréée et pour représenter ses éternelles origines, l’Église a coutume de les eniploj’er dans ses offices et dans la liturgie sacrée, en les rapportant aux origines de cette Vierge, prévues dans un seul et même décret avec l’incarnation de la divine Sagesse. » De telles applications sont évidemment propres à nous révéler la croyance personnelle de ceux qui les font ; d’où cette juste remarque du P. J.-B. Terrien, La mère de Dieu, Introd., p. xv : « L’autorité de l’Église, qui les emploie (ces textes) pour nous dire ce qu’elle pense et ce que nous devons penser de Marie, peut leur donner par cet emploi mêiiie toute la valeur d’un argument théologique. Ils deviennent dès lors la manifestation de sa croyance et de ses pensées. » Mais la question présente est tout autre : les applications des textes répondent-elles au sens littéral, ou (lu moins à un sens spirituel suffisamment établi, en sorte qu’on puisse légitimement l’attribuer à l’écrivain sacré ou à l’Esprit-Saint, auteur principal ? Pour ce qui est du sens direct et principal, la réponse négative s’impose : il s’agit, dans les psaumes, de Jérusalem, la cité sainte ; dans les livres sapientaux, de la Sagesse divine, personnifiée ou personnelle ; dans le Cantique des cantiques, de la synagogue ou de l’Église, suivant l’opinion plus communément admise. Voir Cantique, t. ir, col. 1C78.

Marie rentre-t-elle dans ces textes au moins indirectement ou secondairement, soit dans le sens spirituel ou typique, comme figurée par la cité sainte et l’épouse du Cantique, soit dans une certaine extension du sens littéral, comme étroitement liée sous divers rapports avec la sagesse divine ? Des théologiens l’afïirment, notamment Mgr Malou, op. cit., c. vui, a. 3 : le sens mystique serait fondé, dans le Cantique, sur la ressemblance iiarfaite qui existe entre les destinées et prérogatives de l’Église et celles de la mère de Dieu ; dans le livre des psaumes, sur l’analogie commune à la cité et à la mère de Dieu ; dans les Proverbes et l’Ecclésiastique, sur l’association entre le Sauveur et sa mère, que la sainte Écriture et la tradition nous révèlent. De même Scheeben, Handbuch, t. iii, n. 1534-1549, surtout 1690, où il insiste sur plusieurs versets du Cantique, d’abord ii, 2 et VI. 9, puis iH, 6 et iv, 1 sq. Le plus grand nombre, cependant, n’estiment pas qu’il y ait de la part des Pères ou de l’Église un consentement ou un usage sulfisant pour justifier l’application de ces textes à la sainte Vierge en un sens spirituel ou quasi-littéral plutôt qu’en un sens accommodatice. En outre, les raisons alléguées ne prouvent pas ce qu’il faudrait prouver : autre chose, en cflet, est d’établir l’existence d’un rapport, soit de similitude entre Jérusalem, cité de Dieu, ou l’épouse du Cantique, comme type, et Marie, comme antitype, soit d’une étroite connexion entre la Sagesse divine et la mère du Verbe incarné ; autre chose est d’établir que ce rapport entraîne, comme conséquence voulue et manifestée dans ces mêmes textes, rexemption du péché originel ou la sanctilication de Marie au premier instant de son existence. Marie considérée comme mère de Dieu, alors qu’elle porte en son sein le Verbe fait chair, n’est-elle pas la cité sainte de Dieu, l’épouse du Cantique, le spicndide reflet de la Sagesse divine ? Les textes allégués n’ont donc pas, par eux-mêmes, de valeur démonstrative, quand il s’agit de prouver l’immaculée conception par la sainte Écriture ; ils donnent seulement lieu à des accommodations utiles, mais qui supposent déjà une connaissance préalable du privilège. Aussi n’ont-ils pas été invoqués par les

DICT. DF. Tllt^ ; oi, . CATHOI, .

théologiens de la Commission spéciale, ni dans VEsposizione degli Aiii, t. i, p. 798, ni dans le Silloge degli argomenti, t. ii, p. 47.

Passaglia, op. cit., sect. iv, Scripturarum ad ^’irginem accommodatio, t. ii, p. 51.3 sq. ; Perrone, Disquisitio, dans Pareri, t. vi, p. 368 ;.. Schæfer, op. cit., p. 99 sq. ; R. de la Broise, La sainte Vierge et les livres sapientiaux, dans les Études, 5 mai 1899. t. Lxxix, p. 289-311 ; I, . Janssens, op. cit., p. 59-61.

2. La femme et le dragon. Apoc, xii. — Outre la salutation angélique, le Nouveau Testament renferme un passage dont on peut se demander s’il a quelque rapport avec le glorieux privilège de Marie ; c’est le c. XII de l’Apocalypse, où l’apôtre saint Jean raconte l’une des mystérieuses visions qu’il eut dans l’île de Patmos : « Une femme revêtue du soleil, la lune sous ses pieds et, sur sa tête, une couronne de douze étoiles. » Les artistes chrétiens se sont inspirés de ce verset dans l’une des plus belles représentations qu’ils nous aient donnée de la Vierge sans tache. Deux fois le verset apparaît dans l’ofllce de l’Immaculée Conception, au (}<" répons de matines et au capitule de none. Enfin Pie X l’a utilisé dans son encyclique ilu 2 février 1904, Ad dicm illum, pour le cinquantième anniversaire de la définition. Mais ces applications ne constituent pas une interprétation authentique ; une simple accommodation suffit à les justifier. I, c texte doit être examiné de plus près, et le verset l’" ne doit pas être pris à part du reste du chapitre.

1. Et signum magnum ap- 1. Un grand signe parut

paruit in ccelo : mulicr amiedans le ciel : une femme

ta sole, et luna sub pedibus revêtue du soleil, la lune

ejus, et in capite rjus corona sous ses pieds et. sur sa têlc.

stellarum duodccini ; 2. et in une couronne de douze étoi utero habens, clamabat parles ; 2. elle était enceinte et

turiens, et cruciabatur ut criait, étant en travail et

pariât. dans les douleurs de l’enfantement.

3. El visum est aliud si-, ’i. Et un autre signe parut gnum in crelo : et ccee draco dans le ciel : un grand dragon niagnus rufus, habens capita roux, qui avait sept tôles septem, et cornua deccm, et et dix cornes et, sur ses têtes, in capitibus ejus diademata sept diadèmes ; 4. de sa septem ; 4. et cauda ejus traqueue il entraînait le tiers hebat tertiani parlem Stellades étoiles du ciel, et il les rum ca’li, et niisit eos in terjeta sur la terre. Kt le dragon rani ; et draco stctit anle muse tint devant la femme qui licrem, qua< cral paritura, ut, allait enfanter, afin <le dévocum peperisset, filium ejus rer son fruit, dès qu’elle devoraret. l’aurait enfanté.

5. Et pepcrit Tdium mas- 5. Et elle mit au monde

culum. qui recturus erat « m enfant nivlo, qui devait

omncs gentes in virga ferrea ; régir toutes les nations avec

et raptus est fdius ejus ad ime verge de fer. lit son en Deum et ad thronum ejus ; tant fut enlevé vers Dieu et

6. et niulier fugit in solituvers son trône. 6. Et la

dinem, ubi liabebal loeum fenune s’enfuit au désert, où

paratum a beo, ul ibi paDieu lui avait préparé une

scant eam diebus mille duretraite, afin d’y être nourrie

ccntis sexaginla. pendant mille deux cents soixante jours.

7. Et factum est pra-Iiuni 7. El il y eut un grand

magnum in cœlo : Michacl et combat dans le ciel : Michel

angeli ejus pra-liabantur et ses anges combattaient

cum dracone ; et draco pucontre le dragon : le dragon

gnabat, et angeli cjus ; 8. et et ses anges combattaient ;

non valucrunt, nequc locus 8. mais ils eurent le dessous,

invenlus est eorum amplius et leur place ne fut plus trou in ca-lo. 9. I- ; t projcclus est vée dans le ciel. 9. l-’.l il fut

draco ille magnus. scrpens précipité, le grand dragon,

antiquus, qui vocatur dial’anticpie serpent, celui qui

bolus et Salanas.qul scducil est appelé le diable et.Satan,

universuni orbem, et proqui séduit le monde entier ;

jectus est in lerrani. et anil fut précipité sur la terre,

gcli ejus cum illo missisunt… et ses anges furent précipités avec lui…

1.3. Et postquam vidit l.’J. i : t quand le dragon se

draco quod projectus cssel vit précipité sur In terre, Il

In terram, persctutus est poursuivit la femme qui

VU. —28

mulierem quae pepcrit tnas ciilum ; 14. et tlatne sunt

mulipri alic cluic afiuilie

magn : » ^, ut volarel iii descr tum in locuiii suum. ubi ali tur per tempas, et lempora,

et dimidium temporis, a

facie sorpenlis. 15. Et misit

serpens ex ore suo, post mu lierem, acpiam tanquam

flumeii, ut eam facerct tralii

a flumine. 16. Et adjuvit

terra mulierem, et aperuit

terra os suum, et absorbuit

flumen quod misit draco de

ore suo. 17. Et iratus est

draco in mulierem, et abiit

facere praîlium cum reliquis

de semine ejus, qui custo diunt mandata Dei, et

habent testimonium Jesu

Christi…

avait mis au monde l’enfant

mSle ; 14. et les deux ailes

du grand aif^lo furent don nées à la femme pour s’en voler au désert en sa retraite,

où elle est nourrie un temps,

des temps et la moitié d’un

temps, loin de la face du ser pent. 15. Et le serpent lança

de sa bouche après la femme

de l’eau comme un lleuve, afm

de la faire entraîner par le

fleuve. 16. Mais la terre vint

au secours de la femme : elle

ouvrit son sein et engloutit

le fleuve que le drason avait

vomi. 17. Et le dragon fut

rempli de fureur contre la

Jemme, et il s’en alla faire la

guerre au reste de sa race, à

ceux qui gardent les com mandements de Dieu et qui

ont le témoignage de Jésus…

Quelle est cette femme qiii, d’un côLc, apparaît aux yeux ravis de l’apôtre comme enveloppée de splendeur, et qui, de l’autre, enfante dans les gémissements, puis devient, elle et son fruit, l’objet d’une singulière hostilité de la part du grand dragon ? Quelques anciens Pères l’ont idenlifiée avec la Vierge Marie, par exemple, chez les latins, l’auteur du Sertn., ïv, de sijmbolo ad catech., imprimé à la suite des sermons de saint Augustin, P. L., t. xl, col. 665 ; chez les grecs, le pseudo-Épiphane, De laudibas S. Marias, homil. v, P. G., t. XLiii, col. 493 (à rapprocher du véritable Épiphane, disant que le verset 6, où nous voyons la femme fuyant au désert, a pu trouver son accomplissement en Marie : -x/t. ol ojvaiat ir.' aÙT^ -Xï, pojjOa'. . Hier., Lxxvra, 11, P. G., t. xcii, col. 716). Cette opinion conserva longtemps des partisans en Orient, comme en témoignent, au vie siècle, André de Césarée, et sur la fin du ix^ Aréthas, dans leurs commentaires sur l’Apocalypse. P. G., t. cvi, col. 320, 660. Mais on ne peut admettre cette interprétation qu’en s’attachant exclusivement h certains traits du tableau, abstraction faite de l’ensemble et du rapport étroit qui existe entre le c. xii et le reste du livre. Aussi d’autres Pères, en plus grand nombre et de plus grande autorité, ont vu dans la femme de l’Apocalypse une personnification de l'Église, considérée comme mère spirituelle du corps mystique du Sauveur et soumise, en cette qualité, à la loi de la souffrance et de la persécution : S. Hippolyte, De Antichristo, 60-61, P. G., t. x, col. 780 ; S. Victorin, Scholia in Apoc, P. L., t. V, col. 336 ; S. Méthode, Sijrnposion, VII, 4, P. G., t. XVIII, col. 145 ; S. Augustin, Enarr. in ps. CXLII, 3, P. L., t. xxxvii, col. 1846 ; Primasius, in h. L, P. L., t. Lxviii, col. 872 sq. ; André de Césarée et Aréthas, loc. cit., et beaucoup d’autres à la même époque et dans les siècles suivants, en sorte que cette interprétation est devenue courante parmi les exégètes, malgré les divergences qui se produisent quand il s’agit d’expliquer dans les détails l’allégorie complexe contenue dans la vision de l’apôtre, ou de déterminer d’une façon précise en quelle période de son existence l'Église doit être considérée.

Marie n’est donc pas au premier plan dans le c. xii de l’Apocalypse ; en est-elle complètement absente ? C’est une autre question. Si plusieurs des traits dont se compose le tableau d’ensemble ne lui conviennent pas proprement, d’autres ne lui conviennent pas moins qu'à l'Église, et certains ne conviennent même à celle-ci qu’en vertu d’une sorte d’attribution qui lui est faite de prérogatives réellement propres à la mère de Dieu. C’est ainsi qu’en face du contraste présenté par l'Église apparaissant en même temps

comme ' mère souffrante » et « sous un aspect divin », un auteur récent a écrit : « Cette emphase symbolique surprendra moins, si l’on admet que la mère allégorique du Messie, la communauté, est ici représentée sous les traits qui conviennent premièrement à sa mère réelle. » B. Allô, Le douzième chapitre de l' Apocalypse, p. 540. De même, en face du ꝟ. 5 énonçant la naissance de l’enfant mâle destiné à régir toutes les nations, Newman fait cette réflexion : » Personne ne doute que ! ' « enfant mâle « ne soit une allusion à Notre-Seigneur ; pourquoi donc la « femme » ne serait-elle pas une allusion à sa mère ? » Du culte de la sainte Vierge, p. 87 sq. D’autres allusions sont relevées par divers commentateurs. Saint Jean a fait un portrait idéal où, pour peindre l’enfantement du Christ mystique et la maternité spirituelle de l'Église au cours des siècles, il s’est inspiré de faits qui se sont réalisés dans l’ordre historique où Jésus-Christ et sa mère ont vécu. Par là s’explique que beaucoup d’auteurs ont été amenés à voir dans la femme de r.pocalypse non seulement l'Église personnifiée, mais encore Marie, son exemplaire ; il y a seulement différence de terminologie. Les uns parlent de sens spirituel ou figuratif, dont le fondement est le rapport de ressemblance qui existe entre Marie et l'Église, comme entre l’exemplaire et la copie. D’autres, envisageant les deux termes d’une façon plus intime et plus protonde, ajoutent au rapport de ressemblance un rapport de dépendance et de connexion tel qu’en dehors de lui, le sens même littéral du texte sacré n’est pas saisi dans sa plénitude ou sa portée intégrale. Voir, entre autres, J.-B. Terrien, La mère des hommes, t. II, p. 71 sq. ; Scheeben, op. cit., n. 1531. Pour ces derniers, Marie rentre donc, indirectement ou implicitement, dans le sens littéral.

Loin de contredire les données traditionnelles, cette interprétation les concilie plutôt ; elle synthétise et harmonise les deux courants qui se sont manifestés chez les Pères et les écrivains ecclésiastiques. Que la femme de l’Apocalypse ait été identifiée, par les uns avec l'Église, par les autres avec la mère de Dieu, il n’y aurait en cela d’opposition stricte que si, de côté et d’autre, l’affirmation se posait dans un sens proprement exclusif, ce qui, en général, n’est point le cas. Ils ne sont pas rares, au contraire, ceux qui combinent les deux points de vue ; voie moyenne dont saint Bernard est un illustre représentant, Sermo de duodecim prierogalivis B. V. M., ex verbis Apocalypsis, XII, 1, P. L., t. cLXxxiit, col. 430 sq. Le pieux docteur ne soutient pas, comme on le suppose parfois, que le texte sacré s’applique directement à Marie, mais que, néanmoins, on est en droit de le lui appliquer, n. 3 : Esio siquidem, ut de prsesenti Ecclesia id intéllige.ndum propheticse visionis séries ipsa demonstrel ; sed id plane non inconvenienler Marise videtur altribuendum. Idée que l’abbé de Clairvaux développe brillamment. Les précurseurs ne lui avaient pas manqué ; qu’il suffise de citer, au vie siècle, Primasius, op. cit., et Cassiodore, Complexiones in Apoc, xii, 7, P. L., t. Lxx, col. 1411 ; au vin", Ambroise Autpert, In Apoc, XII, dans Maxima biblioth. Patrum, Lyon, t. xiii, p. 530 sq. : Ipsa bcala ac pia Virgo hoc loco personani gerit Ecclesiie, quæ novos quolidie populos paril ; au ix", Haymon d’Halberstadt, qui répète le précédent, Expos, in Apoc, xii, P. L., t. cxi, col. 1081, et Bérengaud, le pseudo-Ambroise, Expos, in Apoc, xii, P. L., t. xvii, col. 876. Dès lors, ce qui convient à la femme de l’Apocalypse, comme copie ou figure de Marie, mère du Christ et de son corps mystique, convient également à celle-ci, non par simple accommodation, mais proprement, en vertu d’une connexion réelle et objective. Ainsi, dans la femme < revêtue du soleil, ayant la lune sous ses pieds 869

IMMACULEE CONCEPTION

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et, sur sa tête, une couronne de douze ctoiles, » Newman a-t-il pu voir, op. cit., p. 80, 87, « la doctrine de l’exaltation actuelle de la sainte Vierge n. Ainsi, dans l’enfantement douloureux de cette femme couronnée de gloire. Pie X a-t-il pu voir symbolisée, non pas précisément la conception sans tache, mais la maternité spirituelle de la nouvelle Eve : « Saint Jean vit donc la très sainte mère de Dieu au sein de l'éternelle béatitude et toutefois en travail d’un mystérieux enfantement. Quel enfantement ? Le nôtre assurément, à nous qui, retenus encore dans cet exil, avons besoin d'être engendrés au parfait amour de Dieu et à l'éternelle félicité. Quant aux douleurs de l’enfantement, elles marquent l’ardeur et l’amour avec lesquels Marie veille sur nous du haut du ciel, et travaille, par d’infatigables prières, à porter à sa plénitude)e nombre des élus. »

Pouvons-nous aller plus loin, jusqu’au privilège de la conception sans tache ? Il semble que non, à tout le moins par voie de preuve proprement dite ou d’infércnce directe. L’exaltation actuelle de Marie et sa maternité spirituelle ne sont pas, en fait, sans rapport objectif avec son immaculée conception ; mais ce rapport n’est que médiat, même dans l’ordre actuel, et le texte de l'.pocalypse ne fournit pas d'éléments suffisants pour rapprocher et nouer les deux anneaux. Mais ce texte peut fournir une confirmation appréciable de 1 intcrijrétation du Protévangile donnée ci-dessus. Dans cette allégorie complexe, où les points obscurs ne font point défaut, un trio de personnages se distingue pourtant avec une grande netteté : la femme, l’enfant mâle qu’elle met au jour et leur adversaire acharné, le dragon, expressément identifié avec l’antique serpent. « Cette rencontre de l’homme, de la femme et du serpent, observe justement Newman, op. cit., p. 88, ne s'était pas reproduite depuis le commencement de la Bible ; voici qu’on la retrouve vers la fin du texte sacré. De plus, comme pour suppléer, avant de clore la Bible, à ce qui manquait au début, saint Jean, dans ce passage de l’Apocalypse, nous dit, pour la première fois, que le serpent du paradis était l’esprit du mal. » La révélation nouvelle complète donc et précise l’ancienne en montrant cette hostilité singulière du démon, qui se concentre sur l’enfant et sa mère et se traduit par des attaques répétées, mais stériles. Ces attaques vont sans doute au Christ mystique et à cette mère allégorique qu’est son Église ; mais elles supposent et attestent, par voie de connexion, les attaques préalablement entreprises contre le Christ réel et sa niére naturelle, attaques continuées et, dans un certain sens, reproduites au cours des siècles. Quand le peuple chrétien aime à contempler Marie, et que ses artistes la représentent, comme la femme » revêtue de gloire, ayant la lune (et le dragon) sous ses pieds et, sur sa tête, une couronne de douze étoiles », fait-il autre chose en réalité qu’interpréter et combiner les données, corrélatives et cotnpiémentaircs, que lui fournissent le Protévangile et le chapitre douzième de r.Npocalypse ?

Mgr Ullalhornc, The immaciilate conceptionof II. s inothcr 0/ fimî, Londres, 185.5, p. 77-82 ; Newman, A letler adilrestrti lo Ihe Rru. E. B. Pii.sci/, D. D., on occasion of liis Eirenictui, 1800, réimprimée dans Certain difficnUics frit by Anglicans in mlholic tcachinq, Londres, 1876, p. 53 sq. ; trnd. frHHç. déjà cilOc, p. 80-'.)2 ; X…. La Donna dcl Protoevanqrlo, novembre 1869, dans Ciniltà caUolira, 7' série, t. VIII, p. 505 ; Schirben, Ilandlnich tler kalhol. Dogtnatik, t. iii, n. 15, 'îl ; Al..Schîcfer. Die Gottesmnitcr in der « . Sc/iri/f, p. 241-218 ; H. Lc « nani, l>c secundo Eua.c. xviii, V « ii » e. 18.S8, p. 90-98 ; l. de la llroise. Millier amicla sole, dans Usfiliides, 1897, t. Lxxi. p.298-.'J07 ; J.-U. Tcrricn.JLa mérc de » hommes, t. ii. p. 59-84 ; U. Fonck, Das sonntimgliinxle und slcrnenbekrdnzle Weib in der Apokalypse, dans

Zeilschrifl fiir kaihol. Théologie, Inspruck, 1904, t. xxviii, p. 672-681 ; B. Allô, Le douzième chapitre de l’Apocalypse, dans la Revue biblique, 1909, t..xviii, p. 529-554.

Textes opposés.

Tous ceux qui ont nié jadis

ou qui nient maintenant encore l’immaculée conception, protestants, grecs schismatiques, vieux-catholiques, tous ont pris ou prennent un point d’appui dans la sainte Écriture. Les textes qu’ils allèguent se ramènent à quatre chefs généraux : 1. Universalité du péché chez les fils d’Adam, Rom., v, 12, 18 : in quo omnes peccaverunt… Sicut enim per unius delicium in omnes homines in condemnaiionem… ; Eph., II, 3 : Et cramas natura filii iræ, sicut et cœteri. 2. Universalité de la rcdeniption en Jésus-Christ, fondée précisément sur l’universalité du péché, Rom., ni, 23 : Omnes enim peccaverunt, et eqent gloria Dei ; v, 18 : Sic et per unius juslitiam in omnes tiomines in justiflcationem viise ; II Cor., v, 14 : Quoniam si unus pro omnibus mortuus est, ergo omnes mortui sunt. Il faut donc de deux choses l’une : ou soustraire Marie à l’universelle rédemption du Christ, ce qu’on ne peut faire, puisqu’elle-même proclame Dieu son S<uweur, Luc, 1, 47 ; ou la soumettre à la loi du péché coiunuin. 3. Universalité de la mort, considérée comme elTet ou peine du péché, Roin., v, 12 : et ita in omnes liomincs mors pertransiit, éo' (> -àvTi ; rjjvapTov, c’pst- ; i-dire parce que tous ont péché. Marie étant morle comme les autres, c’est donc qu’elle avait aussi péché. 4. Condition vicieuse, dans l’ordre actuel, de la génération humaine, prise et dans son principe et dans son terme, Ps. L, 7 : Ecce in iniqaitatibus conceptus sum, et in peccatis concepit me mater mea ; J oh, xiv, 2 : Qnis potest tacere mundum de immundo conccplum seminr ? Marie ayant été conçue dans les mêmes conditions physiologiques que les autres fils d’Adam, n’a donc pas pu échapper à la tare commune.

Ces textes sont graves assurément, assez graves pour qu’aux yeux d’un grand nombre ils aient donné lieu, pendant plusieurs siècles, à cette question préalable : la sainte Écriture ne s’opposc-t-clle » as à l’hypothèse d’une conception immaculée de Marie ? La solution complète de la difficulté est subordonnée au dévelopiiement de notre étude, car c’est au cours et sous l’innuence de la controverse que cette solution a été provoquée et qu’elle s’est formée. Qu’il suffise d’en donner ici le principe. Nul ne songe à nier que la sainte Écriture ne proclame ruiiiversalilé du péché originel et de la rédemption par Jésus-Christ, comme elle proclame aussi l’universalité de la mort ; mais les textes allégués, pris dans leur ensemble, énoncent des nécessités morales, des exigences de droit ou de principe : tout rejeton d’Adam est, de droit nu en principe, soumis à la loi du péché commun ; en conséquence, il l’encourra de fait au premier instant de son existence, A moins que, par un acte de sa volonté libre. Dieu ne fasse une exception. Car tout législateur qui jouit d’un pouvoir suprême et indépendant garde le droit de ne pas a])pliquer la loi dans un cas particulier, sans compromettre jiar là l’existence de la loi elle-même ; ainsi, nonobstant la loi générale qui reporte à la fin du monde la résurrection des corps, N’olre-Scigncur a pu. par une grJce spéciale, anticiper l'événement en faveur de sa mère bénie. Une exception de ce genre ne [icut pas être siml )lement supposée, c’est trop évident ; elle doit être prouvée, et d’une façon certaine. Mais une lois prouvée, l’immaculée conception de Marie n’est pas plus incompatible avec l’universalité des lois invo<|uécs ci-dessus, que d’autres privilèges de la mère de Dieu communément admis ne le sont avec des lois énoncées, elles aussi, d’une façon générale dans les oracles divins. Par exemple, saint Jacques <lit dans son Épitre, m, 2, que nous péchons tous en beaucoup de choses :

In muUis offendimus omnes ; ce qui n’a pas empêché, non seulement les Pères du concile de Trente, mais encore beaucoup d’adversaires de l’immaculée conception, d’attribuer à la mère de Dieu l’exemption de toute faute actuelle.

En outre, à l’interprétation des textes objectés se rattachent d’autres problèmes, ceux-ci tout d’abord : si Marie a été rachetée par l’universel rédempteur, ce qui est incontestable et incontesté, a-t-elle été rachetée comme les autres ? Si elle est morte, ce qui est un fait, est-elle morte au même titre que les autres ? Si, fille d’Adam, elle a été conçue par voie de génération charnelle, n’y-a-t-il eu rien de privilégie dans sa conception, considérée dans son principe comme dans son terme ? Si elle n’a pas encouru réellement la tache héréditaire, aurait-elle dû l’encourir et comment ? C’est-à-dire, a-t-elle été comprise dans la loi générale de solidarité qui fait dépendre d’Adam la cause de toute sa postérité ; ou bien, en a-t-elle été exclue ? Dans la première hypothèse, celle du debilum proximum, le privilège s’insérerait entre la loi et son exécution ; dans la seconde hypothèse, celle du debitum remotum, Marie serait dans un ordre à part, en dehors de la loi commune, mais toujours en vertu d’une application anticijjée des mérites futurs de son divin Fils. Autant de problèmes que les textes objectés pourraient soulever, et qu’ils soulèveraient effectivement le jour où la question de la sainte conception de Marie, posée formellement et nettement, entrerait dans une phase de discussion publique, et pour ainsi dire technique. Des siècles devraient s'écouler avant qu’il fiît possible de concilier dans une harmonieuse synthèse les deux séries de textes scripturaires invoqués en sens inverse par les défenseurs et les adversaires du glorieux privilège.

Plazza, op. cit., Act. i, a. 1 : Scripturir iestimonia ab adversa parte allegata ; Perrone, Disquisilio, part. I, c. v, a, 15, § 1, dans Pareri, t. vi, p. 347, 405 sq. ; Palmieri, De Deo créante, th. Lxxxii ; De peccal. orz’jm., th. xviii ; L. Jansscns, op. cit., p. 62-64 ; Sardi, op. cit., t. il. Silloge degli argoinenli, p. 48, 55.

4° Conclusion : révélation implicite du privilège dans la sainte Écriture. — Abstraction faite des textes a ineffjcaces ou secondaires », étudiés en second lieu, il résulte de ce qui précède que le Protévangile et la salutation angélique, rapprochés l’un de l’autre et pleinement saisis à l’aide de la tradition active, contiennent l’iminaciilée conception de Marie ; ils la contiennent comme enveloppée dans l’inimitié avec le seripent, la plénitude de grâces, l’union avec Dieu, la ibénédiction propres à Marie, mère de Jésus, unie .étroitement à son Fils non seulement comme mère, tnais encore comme nouvelle Eve, placée à côté du iiouvel Adam et formant avec lui un groupe à part <lans l'œuvre de la rédemption ou la défaite du serpent. Le privilège est donc contenu dans ces textes, d’une façon non pas explicite, mais implicite. Scheeben donne la note juste, op. cit., n. 1687 sq. ; après avoir déclaré qu’il n’y a rien de formel dans la sainte Écriture, il ajoute que, pris sous la lumière de l’interprétation ecclésiastique, le Protévangile et la salutation angélique, complétée par celle d’Elisabeth, figurent en Marie de telles prééminences et lui assignent dans l'économie de la rédemption une telle place, que le glorieux privilège s’y trouve nécessairement compris, non comme une simple conclusion théologique, mais comme rentrant dans le contenu immédiat du texte, entendu dans toute sa plénitude.

Parmi les théologiens catholiques qui, jadis, ont considéré l’immaculée conception comme pouvant être définie, il en est peu qui n’aient pas fait appel à ces deux textes, surtout au Protévangile. Plazza, op.. cit., n. 77 sq., accorde à ce dernier une place d’hon neur : Nullum (ère est in sacris lilleris, pro prseservatione B. Virginis ab originali peccato, locupletius testimonium ; il cite, l’ayant utiUsé, des docteurs plus anciens, tels que Denys le Chartreux, Lansperg, Jean Eck, Jacques de Valentia, etc. Même attitude de la part des théologiens qui, depuis la définition solennelle, se sont préoccupés d’indiquer ou de justifier les fondements du dogme : presque tous invoquent les deux textes, particulièrement le Protévangile, sans attribuer cependant à la preuve la même valeur. Quelques-uns se contentent de l’utiliser, par exemple, Van Noort, n. 244 : ita argumentari licet. D’autres parlent de valeur persuasive, qu’ils accentuent plus ou moins ; tels Palmieri, De Deo créante, p. 723 : suadeiur sallem vehemenlissimc, ou Christ. Pesch, n. 302 : vehemenler suadent. D’autres donnent la preuve comme suffisante, par exemple, Perrone, op. cit., p. 408 : fundamentum satis solidum, ou L. Janssens, p. 43 : sat valide erui potest. D’autres enfin tiennent l’argument pour démonstratif, comme le cardinal Billot, p. 377 : vim et robur plenæ demonstrationis, ou Van Crombrugghe, p. 117 : indubie fundat. Nous avons déjà vii, col. 860, 862, en quel sens les deux textes ont été maintenus et utilisés dans la bulle Inefjabilis. Il y est affirmé, § A' (7 igitur mirum, qu’au jugement des Pères la doctrine de la conception sans tache est consignée dans les saintes Lettres : doctrinam judicio Patrum divinis lilleris consignalam. Ailleurs, § Ilaqiic plurinnim, l’idée revient sous forme, non plus de simple constatation, mais d’assertion positive et directe : quam divina eloquia, veneranda tradilio, perpeluus Ecclesise sensus… miriflce illustrant atque déclarant. Du reste, les témoignages des Pères relatifs aux deux principaux textes, le Protévangile et la salutation angélique, ne sont pas rapportés dans la buUe d’une façon quelconque ; ils s’y trouvent comme des prémisses, d’où sont tirées des conclusions. Il semble donc qu’en sanctionnant sur ces points l’exposé doctrinal. Pie IX ait favorisé le sentiment de ceux qui relient le glorieux privilège à ces textes, sans prétendre toutefois faire porter là-dessus, ni de près ni de loin, aucune définition.