Dictionnaire de théologie catholique/GLOIRE DES ÉLUS V. Gloire et grâce, et questions connexes

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 6.2 : GÉORGIE - HIZLERp. 92-95).

V. Gloire et grâce, et questions connexes.

Nous ne donnerons ici que quelques brèves indications, toutes les questions touchées devant être exposées aux art. Grâce, Mérite et Prédestination.

1° Gloire et grâce. —

1. Existence d’un rappoil entre la gloire et la grâce. — Rappelons les principes, qui seront développés à l’art. Grâce. La grâce est la vie éternelle dans son principe, Rom., vi, 23 ; la participation à la nature même de Dieu, II Pet., i, 3-11, et, par conséquent, le principe d’une activité, d’une vie nouvelle d’un ordre surnaturel, créé en nous à l’image même du Christ Homme-Dieu, Rom., vi, 4 : II Cor., v, 17 ; Col., ni, 3, et qui doit aboutir à l’état de gloire dans la société des élus. Rom., vi, 22 ; I Cor., i, 9 ; cf. I Joa., i, 3 ; Terrien, La grâce et la gloire, t. i, 1. II, c. n. La grâce est donc le principe de la gloire, puisqu’elle est le principe des opérations d’ordre surnaturel, vision, jouissance, amour, qui constituent voir col. 1395 sq., la gloire essentielle des élus et c’est pourquoi dès ici-bas la pratique des vertus est déjà en quelque sorte une gloire. Eccli., i, 11 ; xxiii, 38. Plus le principe sera puissant, plus les opérations seront intenses : plus la grâce sera abondante, plus la gloire sera parfaite. Il y a donc correspondance entre l’une et l’autre ; grâce et gloire « se rapportent [donc] au même genre, la grâce n’étant en nous que le commencement de la gloire, » S. Thomas, Sum. theol., II" 1P’, q. xxiv, a. 3, ad 2°’" ; la gloire < étant une grâce à son état d’achèvement et de perfection, » Catechismus concil. Trid., De oral, dom., p. iv, le degré de gloire sera proportionné au degré de grâce, et tout accroissement de grâce comportera un accroissement de gloire. Concile de Trente, De justificatione, can. 32, Denzinger-Bannwart, n. 842.

2. Nature de ce rapport.

a) Dans cette vie. — a. Ce n’est évidemment pas un rapport d’identité ; dans cette vie, en effet, il n’y a pas de gloire, parce que c’est la demeure qui passe, le voyage vers la patrie, II Cor., v, 1-3 ; cf. I Cor., xiii, 9, 12 ; Rom., viii, 18, 23 ; Heb., xiii, 14 ; le temps du labeur et du combat, que doit suivre l’éternité de récompense dans la gloire. I Pet., i, 3 sq. ; II Tim., ii, 1 sq. ; cf. I Cor., xv, 19 ; vu, 27 sq. La gloire n’est ici-bas le partage de personne, du moins d’une façon permanente ; l’erreur des béghards sur ce point a été condamnée au concile de Vienne, Denzinger-Bannwart, n. 474 ; voir lh’; r, HARDs, t. ii, col. 532 ; ce n’est qu’au ciel, après la mort, que la gloire pourra être possédée dans la vision béatifique.Denzinger-Bannwart, n.530 ; voirBENOiTXII, t. ii, col. 657 sq. Sur les exceptions possibles de la sainte Vierge, de Moïse, de saint Paul, de saint Benoit, et sur la gloire dont le Christ jouissait nonobstant sa condition mortelle, voir Intuitive (Vision). D’ailleurs la théologie de la gloire et celle de la grâce nous montrent l’identification de la gloire et de la grâce comme impossible. L’ordre de la grâce est constitué par l’habilus qu’on appelle substanlivus (non qu’il soit ontologiquement une substance, mais parce qu’il réside dans l’essence même de l’âme) de la grâce habituelle, d’où découlent, perfectionnant les puissances de l’âme, les habitas operativi des vertus infuses, lesquels disposent l’âme aux actes surnaturels, et les dons du Saint-Esprit. Or, la gloire est formellement constituée, non par un habitus, mais par une opération de l’âme. Voir plus haut, col. 1401. — b. Étant donné que l’opération qui constitue la gloire est causée par la puissance d’agir, perfectionnée ici par les habilus de l’ordre surnaturel, la gloire se trouve donc, par rapport à la grâce, dans un rapport qu’on peut ramener au rapport d’elîet à cause. La grâce est donc vraiment cause physique de la gloire, dans l’ordre de la cause vraiment efficiente, à la différence des bonnes œuvres qui ne causent la grâce et la gloire que méritoirement. Il n’est pas besoin d’une nouvelle acceptation de l’âme par Dieu à la gloire ; cf. S. Thomas, Sum. theol., V’IV, q. exi, a. 5 ; q. exiv, a. 3, à la filiation naturelle correspond le droit â l’héritage ; mais la grâce constitue l’homme fils adoptif de Dieu et lui confère un droit connaturel à l’héritage du ciel ; et, comme l’homme n’est pas naturellement capable d’hériter du ciel, la grâce lui confère par elle-même cette capacité, en communiquant â l’âme une qualité surnaturelle que l’âme ne possédait point, et qui la rend formellement, quoique analogiquement, participante à la nature divine. Cf. Rom., viii, 16-18 ; Billot, De gratia, Rome, 1912, p. 136-137 ; Salinanticenses, Cursus theologicus, tr. XIV, De gratia Dei, disp. IV, dub. ii, § 2, n. 29.— c. Mais si la grâce contient la gloire comme la cause contient l’effet, il faut cependant dire que le rapport de cause à effet n’est encore ici-bas que virtuel, d’autant plus que, si la grâce rend par elle-même, sans acceptation nouvelle de Dieu, l’homme apte à la gloire, l’obtention actuelle de la gloire nécessitera une nouvelle intervention de Dieu. La gloire est constituée par une opération qui requiert, dans l’âme glorifiée, l’infusion d’un nouvel habilus, voir col. 1401, et Intuitive (Vision), la lumière de la gloire. Dieu peut, de puissance absolue, refuser cette intervention et de même qu’il produit et conserve la grâce dans l’homme sur cette terre sans la gloire, il pourrait à la rigueur le faire dans l’autre vie. A l’inverse, on peut concevoir la possibilité absolue d’une gloire conférée par Dieu à une âme dépourvue de la grâce, parce que l’opération qui naturellement provient de Yhabitus surnaturel, peut provenir d’une simple motion actuelle par laquelle Dieu élèverait transitoirement les facultés de l’âme ; mais un tel mode d’agir serait violent et en dehors des voies posées par la sagesse et la justice divines. Suarez, De gratia, . VIII, c. iii, n. 12 ; Salmanticenses, loc. cit. Il faut conclure avec saint Thomas, Sum. theol., I a II æ, q. exiv, a. 3, ad 3’"", que, dès cette vie, la grâce contient virtuellement la gloire et se trouve par rapport à cette gloire dans la relation de cause à effet et que, par là même, elles sont l’une et l’autre dans le même genre ou plutôt, comme il s’agit ici de l’ordre surnaturel qui échappe à nos classifications scolastiques, qu’on peut les réduire au même genre. Cf. Cont. génies, 1. IV, c. xxiv.

b) Dans l’autre vie. — Le rapport de la grâce à la gloire restera substantiellement le même, mais il ne s’agira plus ici d’un rapport virtuel de causalité, puisque la grâce produira actuellement la gloire. L’union physique de l’une et de l’autre n’en sera que plus affirmée. La gloire actuellement possédée apportera-t-elle des modifications à la grâce ou plutôt à l’ordre surnaturel de la grâce ? c’est ce qu’il convient de rechercher brièvement en exposant ce que l’état de gloire, par rapport à l’ordre présent de la grâce, ajoute, supprime, conserve en le modifiant.

a. Ce que l’état de la gloire ajoute. — La vision béatifique requiert l’infusion d’un nouvel habitus surnaturel, la lumière de la gloire, dans l’intelligence glorifiée, voir Intuitive (Vision) ; dans la volonté, nul habitas nouveau ; pour aimer Dieu et en jouir dans la gloire, la charité consommée dans cette gloire suffira par elle-même. Voir Charité, t. ii, col. 2226, n. 4. Comment

toutes les opérations qui constituent la gloire procèdent de ces deux habitas, on l’expliquera à l’art. Intuitive (Vision) ; mais on l’a déjà rappelé brièvement dans le présent article, à propos des dotes animée bealse. Voir col. 1402.

Il est inutile donc d’admettre, avec quelques rares théologiens scolastiques, la nécessité, dans la gloire, d’autres habilus ou qualités similaires pour expliquer la sécurité dont jouissent les élus, Richard de Middletov, n, In TV Sent, 1. IV, dist.XLIX, a. 3, q. vii, la tension ou la compréhension de leur connaissance béatifique. S. Bonaventure, ibid., a. 1, q. v ; D. Soto, ibid., q. iv, a. 3 ; Occam et plusieurs autres. Voir plus haut, loc. cit. Cf. Suarez, De ultimo fine hominis, disp. X, sect. ii, n. 9, 10.

b. Ce que l’étal de gloire supprime. — Encore une fois il ne s’agit que des suppressions dans l’ordre de la grâce, le seul dont nous ayons à préciser le rapport avec la gloire actuellement possédée.— a. La foi est supprimée par la gloire. I Cor., xiii, 8. L’inccrr possibilité de la claire vue de Dieu et de la foi a été expliquée à l’art. Foi, col. 449 ; elle est admise communément par les théologiens, cf. Suarez, De fide, disp. V I, sect. ix, n. 6, mais pour des raisons différentes. Les thomistes n’y voient qu’une application particulière de leur doctrine de l’incompossiblité de la science et de la foi par rapport au même objet. Voir Foi, col. 450. Or, disent-ils, si la claire vue deDieu ne rend pas les élusoirniscients et laisse à Eieu la possibilité de faire à ses élus de r ou" elles révélations, l’état glorieux s’oppose à ce que ces révélations se fassent d’une façon obscure : tout ce que les bienheureux désireront savoir, ils le sauront et le verront, sinon dans l’essence divine, du moins par le moyen d’une science divinement infuse. Voir col. 1407. Tout autre moyen que la science (laquelle satisfait pleinement les légitimes exigences de l’esprit humain) serait imparfait et, par conséquent, indigne de 1 état glorieux. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ixvii, a. 3, 5 ; 11° IL 1’, q. i, a. 4, 5 ; In IV Sent., 1. Ill.dist. XXXI ; Capréolus, In IV Sent., 1. III, dist. XXX I, a. 1 ; cf. Lessius, De summo 60/10, 1. II. c. x, n. 81, 82. Les théologiens qui, comme Suarez et ses disciples, n’admettent pas l’incompossibilité de la science et de la foi, recourent à une autre explication, tirée uniquement de l’imperfection de la connaissance obscure par la foi. Suarez, De fide, disp. III, sect. ix, n. 23 ; disp. VI, sect. ix, n. 7 ; disp. VII, sect. v, n. 5 ; cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 159 sq.

En censéquence, l’état de gloire supprime chez les bienheureux non seulement la vertu surnaturelle infuse de foi, mais encore tout habitus surnaturel, infus ou acquis, se rappertant à la foi, en particulier, le don de science prophétique, tous les objets de connaissance étant actuellement présents aux intelligences glorifiées. Voir S. Thomas, Sum. theol., IP II*, q. clxxiv, a. 5 ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. VIII, sect. 1, n. 3 ; cf. De allributis negativis Dei, c. xxviii. Il faut en dire autant de la science de la foi, c’est-à-dire de la théologie ; toutefois, les espèces intelligibles acquises demeurent et resteront présentes à la mémoire des élus qui, voyant clairement les mystères, y trouveront un sujet nouveau de gloire accidentelle par rapport aux efforts méritoires qu’ils auront faits ici-bas pour les atteindre moins imparfaitement. Suarez, De ultimo fine hominis, loc. cit., n. 4-6, 12. L’opinion contraire, improbable, est défendue par Cajétan, Comment, in I" m Sum. theol. S. Thomic, q. 1, a. 2, et Melchior Cano, De locis theol., 1. XII, c. n. Ces auteurs assurent que l’obscurité n’est pas inhérente à la théologie en tant épie science de la foi, mais en tant qu’elle a ici-bas pour sujets des intelligences non encore parvenues à la claire vision des mystères. Saint Thomas n’a pas traité la question.

Cette conséquence n’est elle-même qu’une opinion, la plus probable, mais combattue cependant par quelques théologiens. Autre, en effet, est l’affirmation de saint Paul qui peut s’expliquer d’une façon orthodoxe en disant que la foi ne s’exercera plus dans la gloire, autre l’affirmation des théologiens qui nient, dans la gloire, l’existence de la vertu même de la foi. Aussi Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent, , 1. III, dist. XXXI, q. iii, iv, croit-il pouvoir affirmer que, si la foi ne s’exercera plus dans la gloire, du moins l’habitas surnaturel de la foi demeurera, tout comme demeure le caractère sacramentel. Même thèse chez Alexandre de Aies, Sum. theol., III", q. i.xiv. m. vu ; Thomas de Strasbourg, In IV Sent., 1. 111, dist XXXI, a. 3, et chez Sent. In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. iii, sauf que Scot, tout en admettant que ïhabitns puisse être conservé, dit qu’en fait, il ne l’est pas, parce qu’inutile. On en trouve des traces dans saint Irénée, Conl. hær., 1. II, c. xxviii, n. 3, P. G., t. vii, col. 806 ; cf. la note de Feuardent, col. 1580 ; les remarques de Massuet, col. 361 ; dans Tertullien, De patientia, c. xii, xiii, P. L., t. i, col. 1269 ; et le Maître des Sentences, 1. III, dist. XXIII, n. 4, P. L., t. exen, col. 805, semble l’appuyer. Cette opinion n’est pas à rejeter entièrement. Suarez, De fide, disp. VI, sect. ix, n. 7, remarque, conformément à ses principes antithomistes, qu’un acte de foi reste possible, absolument parlant, aux élus dans la gloire, mais que cela n’est, en fait, jamais réalisé, il ajoute : « Cette impossibilité de fait doit s’entendre de l’acte même de l’intelligence, l’acte de croire, et, conséquemment, de l’acte efficace de la volonté commandant l’adhésion de l’intelligence. Mais si nous parlons du simple acte de pieuse affection de la volonté, par lequel cette dernière se montre prête, si besoin en est, à incliner l’intelligence vers la soumission de la foi, un tel acte peut se retrouver chez les bienheureux, parce qu’il est simplement un acte de vertu, ne renfermant aucune imperfection qui répugne à l’état de béatitude. D’où cette locution conditionnelle : Si Dieu me commandait de croire, je le ferais, et autres semblables, peuvent exister chez les élus ; elles impliquent, non la réalisation d’un acte de foi quelconque, mais simplement une pieuse disposition de l’âme, possible chez les élus. » hoc. cit., n. 7. Cf. disp. VII, sect., v, n. 4 ; De. incarnatione, disp. XVIII, sect. iv. Suarez s’appuie sur saint Thomas, Sum. theol., III a, q. vil, a. 3, ad 2°" et sur le commentaire de Cajétan. — (3. L’'espérance, dont l’objet est la béatitude désirée comme notre propre bien, voir Espérance, t. v, col. 631, 636, ne petit également coexister avec la gloire. I Cor., xiii, 13, et surtout Rom., viii, 24-25, Mais sur ce point, plus encore qu’au sujet de la foi, il y a divergence parmi les théologiens pour expliquer cette cessation de l’espérance au ciel. Saint Thomas, .S’» 771. theol., I 1 IT", q. lxvii, a. 4, 5 ; IF II*, q. xviii, a. 2, et ses disciples semblent l’entendre, non seulement de. l’acte d’espérance, mais encore de la vertu et de tout habitas se référant à l’espérance. Comment, en effet, assigner une place à une vertu dont l’objet propre est une béatitude absente, alors que cette béatitude est non seulement présente, mais toujours, et, dans sa substance, tout entière actuellement présente ? S’il y a encore, dans le ciel, place pour un certain amour intéressé à l’égard de Dieu, cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq., cet amour procède de la charité consommée, la communication du souverain bien à notre âme, laquelle est l’objet de cet amour de concupiscence, étant la condition nécessaire de L’acte de charité, par lequel nous aimons Dieu pour lui-même. Cf. Esparza, Quæstioncs disputandse, Rome, 1664, De actibus humanis, q. iv, a. 5 ; Billot, De virtutibus infusis, proœmium de charitate ; C. Pesch, De virtutibus theologicis, n. 492 sq., 537 sq. Voir Charité,

t. ii, col. 2220-2221. Tout différent est l’avis de Suarez : Dico… in beatis mancre habitum spei quoad substantiam ejus, quamvis non clicial in cis actus spei bcalitudinis esscnlialis. De virtute spei, disp. I, sect. viii, n. 5. Les arguments de Suarez sont l’autorité de quelques Pères (ceux que l’on a cités à propos de l’opinion de Durand de Saint-Pourçain au sujet de la permanence de la vertu de foi) ; la nécessité de rapporter à la vertu d’espérance l’acte d’amour intéressé de Dieu, inséparable de l’amour et de la jouissance béatifiques, cf. Lessius, De summo bono, 1. II, c. xix, n. 163 sq. ; Mastrius, De virtute spei. q. xviii, acte qui ne renferme en lui-même aucune répugnance vis-à-vis de la gloire essentielle ; la nécessité d’expliquer les actes d’espérance louchant l’objet secondaire de cette vertu, glorification des corps, béatitude des amis et des proches. Les thomistes, avec saint Thomas, Sum. theol., I" IL 1’, q. lxvii, a. 4, ad 3 uæ, répondent que la vertu d’espérance ne saurait exister, même vis-à-vis de son objet secondaire, lorsque cet objet se présente sans être enveloppé de difficulté, sine ralione ardui : Non proprie dicitur ediquis qui habet pecuniam, sperare se habilurum aliquid quod statim in potestate ejus est ut emat. Et similiier illi qui jam possident gloriam animæ, non proprie dicentur sperare, sed solum desiderare gloriam corporis quæ ad gloriam animæ se habet ut inevilabile accessorium. Billot, De virtutibus injusis, c. i, q. lxvii. Voir la discussion dans Suarez, loc. cit., n. 6 ; Cajétan, In Sum. S. Thomæ, III q. vii, a. 4.

c. Ce que la gloire conserve en le modifiant. — La grâce habituelle, principe de la gloire, est évidemment supposée chez les élus ; c’est la grâce consommée, qui ne s’identifie pas cependant avec la gloire formelle des élus. Cf. Billuart, Cursus tl.eologiæ, De gratia, diss. IV, a. 5. Elle acquiert, par son épanouissement dans la gloire, une perfection qu’elle ne peut atteindre ici-bas ; c’est la filiation divine dans un degré suréminent : « les fils qui marchent encore dans la voie… sont, aux glorieux habitants de la patrie, ce qu’est à l’homme parfait un enfant à peine sorti des langes. » Terrien, La grâce et la gloire, t. ii, 1. IX, c. I. Cf. I Cor., xiii, 11-13. Cette suréminence de la grâce s’épanouissant dans la gloire ne se manifeste que médiatement, c’est-à-dire par les perfections qui en découlent et forment l’état surnaturel des âmes glorifiées. Outre l’addition de la vision intuitive avec le lumen gloriæ qui en est la condition nécessaire, l’état de gloire conserve, en les perfectionnant : a. la vertu (infuse et acquise) de charité, qui devient la charité consommée. Voir l’explication à l’art. Charité, t. il, col. 2226, n. 4 ; cf. S. Thomas, Sum. theol., V IL*’, q. lxvii, a. 6 ; IL II*, q. xxiv, a. 7, avec le commentaire de Cajétan, et In IV Sent., 1. III, dist. XXXI, q. ii, a. 2 ; p. les dons du Saint-Esprit, voir t. iv, col. 1747-1748 ; y. les vertus mondes, infuses et acquises. Les vertus morales infuses, supposé, selon l’opinion la plus probable, leur existence, demeurent dans l’état de gloire, quoique ne s’exerçant plus par les mêmes actes, matériellement considérés, qu’ici-bas : leur objet formel reste toujours le même, à savoir rectum et mensuratum in quolibet génère motuum humanorum. Pour la prudence et la justice, qui ont leur sujet dans l’intelligence et dans la volonté, pas de difficulté ; pour les deux autres vertus qui, en tant que vertus infuses, ont pour sujet dans la volonté, mais avec une relation essentielle à l’appétit irascible et concupiscible, elles ne demeureront que virtuellement dans les âmes séparées, et réapparaîtront formellement après la résurrection. S. Thomas, Sum. theol., V’II 3 *, q. lxvii, a. 1, ad 3° m ; cf. a. 2 ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. X, sect. ii, ii, 3. Cf. Billot, De virtutibus infusis, q. LXin, thés, ii, § 2 ; q. lxvii, § 2. Étant donné cette doctrine touchant la permanence des vertus infuses, la permanence des vertus acquises est facilement démontrable. La vertu acquise n’est pas autre que l’habitude d’où résulte une plus grande facilité de produire des actes vertueux. Or, si la possibilité d’actes vertueux provenant des vertus morales infuses est démontrée dans l’état de gloire, il faut conclure que non seulement les vertus acquises subsisteront, mais même que là où elles seront ou nulles ou dans un état d’insuffisance et d’infériorité, Dieu les infusera per accidens, conformément aux principes rappelés plus haut à propos de la science infuse per accidens dans l’âme des bienheureux. Cf. col. 1407. Enfin, il faut dire que la gloire ne supprime pas le caractère sacramentel, qui demeurera chez les élus comme une marque perpétuelle de leur fidélité à leur vocation. Voir Caractère sacramentel, t. il, col. 1706. Cf. S. Thomas, Sum. IheoL, III’, q. lxv, a. 5, ad 3° m.

L’ordre surnaturel, ici-bas, comporte aussi le secours de la grâce actuelle. La grâce actuelle subsistera-t-ellc chez les élus ? Il semble qu’on doive répondre affirmativement, quoique non plus pour les mêmes effets pour lesquels elle est donnée dans l’état de voie, non plus bien entendu pour éviter le mal et faire le bien, mais pour d’autres effets convenables à l’état de béatitude, en appliquant ici, toute proportion gardée, la distinction qu’on a coutume de faire là où il est question de la durée des vertus morales dans l’autre vie. La principale raison qui appuie cette réponse, c’est que les dons du Saint-Esprit demeurent chez les élus, comme ils existaient dans l’âme bienheureuse de Notre-Seigneur. Voir t. iv, col. 1748. Or, les dons sont des habitudes passives, c’est-à-dire des dispositions à recevoir les motions du Saint-Esprit ; habitudes qui doivent nécessairement, partout où elles existent, avoir leur emploi et conserver leur raison d’être. Nous voyons dans l’Évangile que Jésus-Christ était conduit par son Esprit, Matth., iv, 1 ; qu’il tressaillait sous l’action du Saint-Esprit. Luc, x, 21, etc. Ainsi en sera-t-il dans le royaume de la gloire, quoique nous ne puissions nous faire une idée des mouvements que le Saint-Esprit imprimera à ces heureux citoyens du ciel, des accents, des cantiques que lui, le divin citharœdus, tirera de ces âmes glorieuses. Apoc, xiv, 2-4. Or, ces motions, auxquelles sont ordonnés les dons, ont tout ce qu’il faut pour vérifier la notion de grâce actuelle. D’autre part, si l’on entend par grâce actuelle le concours divin nécessaire pour le jeu régulier des vertus surnaturelles, ce concours sera aussi nécessaire dans le ciel qu’ici-bas. Voir Grâce. Cf. Billot, De gratta, Prato, 1912, th. v, § 2.

Pour la première partie, voir la bibliographie complète à l’art. Grâce : consulter spécialement Salmantiecnses, De gratia, disp. IV, dans Cursus theologicus, Paris, 1878, t. ix. — Pour la seconde partie, consulter les auteurs cités au cours de l’exposition, mais particulièrement S. Thomas, Sum. theol., I" II » , q. lxvii ; In IV Sent, I. III, dist. XXXI, q. il ; Suarez, De ultimo fine hominis, disp. XIII, sect. x, et les différents traités De fide et De spe auxquels cet auteur renvoie lui-même ; parmi les auteurs modernes, C. Pesch, Pnvleetiones théologien*, t. iii, n. 476-480, 485, 486.

Questions connexes.

Il suffit de les indiquer

brièvement : ce sont celles qui se rapportent au mérite et à la prédestination.

La distinction fondamentale qui éclaire les discussions relatives au mérite et à la prédestination est, du côté de la gloire, la distinction entre gloire première et gloire seconde. La gloire première est celle qui correspond à la première grâce justifiante, que le pécheur ne mérite pas, sinon de congruo. Voir t. iii, col. 1138 sq. Cf. Ripalda, De ente supcrnaturali, disp. LXXXIX. C’est sur cette distinction qu’est construite la théologie de beaucoup d’auteurs touchant la

prédestination. Voir ce mot. Quant au mérite, on exposera, à l’art. Mérite, comment la gloire essentielle est son objet tout comme la grâce, et dans quelle mesure l’accroissement de gloire répond à l’augmentation des mérites. On a d’ailleurs déjà touché cette question à propos de l’accroissement de la charité. Voir t. ii, col. 2230-2231. Ces questions sont connexes au rapport de la gloire à la grâce, parce que le problème de la prédestination à la gloire et celui du mérite de la gloire dépendent intimement de la question de la grâce, qui, dans l’ordre ontologique, précède et produit la gloire.

A. Michel.

III. GLOIRE HUMAINE. La gloire purement humaine est celle qui se conçoit par rapport à une connaissance purement humaine de notre excellence. Objectivement, elle est constituée par cette excellence elle-même, abstraction faite de la connaissance dont elle peut être ou devenir l’objet, et de l’honneur qui résulte de cette connaissance. Elle existe soit dans l’ordre naturel, soit dans l’ordre surnaturel. C’est ainsi que la femme est la gloire de l’homme, I Cor., xi, 7 ; l’âme humaine, la partie la meilleure de notre être, est nommée dans l’Écriture kâbôd, gloire, de kâbâd, être illustre, Gen., xlix, 16 ; Ps. vii, 6 ; xxix, 13 ; evi, 9 ; evi, 2 ; les nobles d’une nation sont appelés sa gloire. Is., v, 13 ; vin, 7 ; x, 6 ; xvi, 14 ; xvii, 3, 4 ; Mien., i, 15 ; Judith, xv, 10. Voir Gloire, dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. iii, col. 251. Formellement, la gloire humaine est constituée par l’honneur humain qui rejaillit sur nous de la connaissance qu’on peut avoir de notre excellence. Selon l’acception stricte du mot « gloire » , cette connaissance doit être le fait du grand nombre, la gloire ne se concevant facilement qu’en rapport avec une louange rejaillissant sur nous par l’estime que la multitude fait de nos qualités. Mais, dans un sens plus large, la gloire s’entend encore de l’honneur qui rejaillit sur nous à la suite de la connaissance que peu de personnes ou même une seule personne ont de notre excellence ; bien plus, la connaissance personnelle que nous pouvons avoir de notre valeur peut suffire à nous constituer, à nous-mêmes, une certaine gloire. Cf. II Cor., i, 12 ; S. Thomos, Sum. theol., IIa-IIæ, q. cxxxii, a. 1 ; Demalo, q. ix, a. 1. Cette gloire humaine peut être :
1° légitime et bonne ;
2° désordonnée. En ce dernier cas, on l’appelle la vaine gloire.

I. Gloire humaine légitime.

1° Sa possibilité morale. —

Il semble difficile que la recherche de la gloire humaine puisse être, moralement parlant, légitime : « La louange, l’honneur et la gloire ne se donnent pas aux hommes pour une simple vertu, mays pour une vertu excellente. Car par la louange nous voulons persuader aux autres d’estimer l’excellence de quelques-uns ; par l’honneur, nous protestons que nous l’estimons nous-mesmes ; et la gloire n’est autre chose, à mon advis, qu’un certain esclat de réputation qui rejaillit de l’assemblage de plusieurs louanges et honneurs : si que les honneurs et louanges sont comme des pierres précieuses, de l’amas desquels reùscit la gloire comme un esmail. Or, l’humilité ne pouvant souffrir que nous ayons aucune opinion d’exceller ou devoir estre préférés aux autres, ne peut aussi permettre que nous recherchions la louange, l’honneur, ni la gloire, qui sont deues à la seule excellence. .. » S. François de Sales, Introduction à la vie dévote, part. III, c. vu. Il y a cependant des limites raisonnables, dans lesquelles la recherche de l’estime des autres ou de sa propre estime — ce qu’avec saint Thomas, dans un sens large, nous avons appelé gloire humaine — est légitime au point de vue de la morale. En effet, il est légitime et naturel à l’homme de rechercher la connaissance de la vérité : l’homme peut