Dictionnaire de théologie catholique/DOGME VI. Progrès accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 169-190).

VI. Progrés accidentel dans la connaissance et la proposition des dogmes chrétiens.

1° Ce progrès doit être, à toutes les époques de l’histoire de l'Église, une conséquence de la mission que Jésus-Christ a confiée à son Église d’enseigner et d’expliquer aux fidèles de tous les temps les vérités révélées et de les défendre contre de multiples et incessantes attaques. Car une telle mission ne peut s’accomplir sans quelque développement ou progrès dans renonciation de l’enseignement révélé. Il était d’ailleurs inévitable que, sous l’impulsion d’erreurs nouvelles ou de besoins nouveaux, on analysât plus soigneusement le dogme révélé et que l’on y reconnût plus clairement des vérités jusque-là plus obscurément perçues. O’oii devait encore résulter, avec l’approbation de l'Église, un progrès considérable dans renonciation des dogmes révélés.

2° Mais la vérité théologique du développement dogmatique ne nous suffit pas. Nous devons le constater historiquement dans les documents authentiques, pour en étudier ensuite la nature intime. Toutefois nous bornerons nos investigations actuelles au progrès dans

1rs dogmes chrétiens définis par l'Église comme révélés, sans atteindre directement le développement doctrinal des vérités non proposées comme révélées.

I. FAIT BISTORIQUE DE CE PROGRÈS DEPUIS LA VIS I>F. LA PÉRIODE APOSTOLIQUE Jl SQU’A L'ÉPOQUE ACTUELLE. — 1° Nous commençons ce cadre historique à la fin de la période apostolique, car c’est alors seulement que la promulgation de la révélation chrétienne reçut sa pleine consommation. Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 252. C’est l’enseignement du concile de Trente, déclarant absolument que la vérité, enseignée par Jésus-Christ et transmise par les apôtres, est contenue dans les livres inspirés et dans les traditions non écrites reçues de Jésus lui-même par les apôtres ou communiquées parle Saint-Esprit aux apôtres et transmises par eux à l’humanité chrétienne. Concile de Trente, sess. IV, Décret, de canonicis Scripturis. C’est d’ailleurs une conséquence de l’inspiration des écrits du Nouveau Testament et de la mission spéciale du Saint-Esprit pour enseigner aux apôtres toute vérité. Joa., xiv, 26 ; xvi, 13.

2° En commençant notre esquisse à la fin de l'âge apostolique, nous ne voulons point écarter pendant cette période tout développement dogmatique aussi justifiable à cette époque qu'à toute autre. Mais nous nous abstenons de toute investigation dans ce sens, parce que les documents que nous possédons ne nous permettent point de distinguer nettement ce qui pourrait être un développement dogmatique, de ce qui est ou peut être une tradition provenant de l’enseignement oral de Jésus-Christ, ou d’une manifestation spéciale du Saint-Esprit, selon la définition précitée du concile de Trente. Pour les mêmes raisons, nous n’avons aucunement la prétention de déterminer le contenu précis ou la formule exacte de l’enseignement explicite de l'Église au moment où se clôt l'âge apostolique. Nous nous bornerons à mentionner ce qui, d’après la comparaison des documents écrits des diverses époques tels que nous les possédons actuellement, atteste clairement ou suppose évidemment, à un moment donné de l’histoire, un progrès dans renonciation ou la proposition oflicielle des dogmes catholiques.

1™ période, depuis la fin de l'ère apostolique jusqu' au commencement du iv siècle. — l.La principale caractéristique négative de cette période, c’est que l’on ne rencontre point de nouvelle définition dogmatique bien explicite, à s’en tenir du moins aux documents que nous possédons actuellement. Plusieurs erreurs, il est vrai, furent alors réprouvées par l'Église, notamment les diverses erreurs gnostiques, le montanisme, l’unitarisme de Théodole de ISyLance et de celui de Paul de Samosate, le patripassianisme de Sabellius et le novatianisme, condamnés par plusieurs papes et par plusieurs conciles. Mais ces condamnations consistèrent plutôt en une réprobation de doctrine et dans une exclusion de l'Église, qu’en une définition explicite. lien fut de même pour la condamnation de plusieurs pratiques abusives, comme la pratique de renouveler le baptême des hérétiques. Ici encore, selon nos documents actuels, l'Église, sans faire aucune déclaration doctrinale bien explicite, ne fit guère que condamner la nouvelle pratique, au témoignage de saint Cyprien de Carthage et de Eirmilien de Cappadoce qui nous ont conservé la réponse du pape saint Etienne. Voir Baptême, t. ii, col. 227.

2. La principale caractéristique positive de toute cette période est un progrès notable dans l’affirmation ou la manifestation de diverses pratiques en usage universel d ; , ns l’Eglise et contenant ou supposant la croyance à quelque dogme, comme l’administration de chacun des sacrements déjà bien attestée à cette époque, la soumission habituelle à l'évéque de Home, impliquant évidemment sa primauté effective et même son infaillible

magistère, l’exclusion constante de l'Église, prononcée contre quiconque n’accepte point la doctrine intégrale prêchée par l’autorité ecclésiastique au nom de JésusChrist, la célébration habituelle du saint sacrifice de la messe pour les fidèles morts en communion avec l'Église, l’invocation de la sainte Vierge et des saints, l’habitude d’exiger des candidats au baptême une formelle adhésion au symbole intégral, et beaucoup d’autres pratiques connexes dont l’histoire détaillée est mentionnée aux articles spéciaux. Si l'évidence plus grande dont ces pratiques sont alors entourées n’est point par elle-même une démonstration péremptoire de progrès dogmatique, elle fournit cependant un indice très important, quand on la considère conjointement avec le développement doctrinal que nous allons constater chez les Pères de cette époque.

3. Mais si aucune nouvelle définition bien explicite n’apparaît pas pendant toute cette période, on observe cependant chez les principaux Pères un travail considérable de préparation dogmatique, qui devait puissamment contribuer aux définitions explicites des siècles suivants.

Nous noterons particulièrement : a) Le progrès accompli, surtout par saint Irénée et Tertullien, dans l’exposé de l’argument théologique de tradition, si intimement lié avec le dogme de l’immutabilité substantielle de la doctrine confiée par Jésus-Christ à ses apôtres, pour être par eux fidèlement transmise jusqu'à la consommation des siècles. S. Irénée, Cont. Iiœr., l. III, c. iii, n. 1 et 2 ; c. IV, n. 1, P. G., t. VII, col. 818 sq., 855 ; Tertullien, De prsescript., c. XXI, xxiii, xxvi, xxxvi, P. L., t. ii, col. 33, 34, 36, 38, 49 ; Origène, De princip., pru’f., n. 2, P. G., t. xi, col. 116.

b) Le progrès accompli surtout par saint Cyprien dans l’exposition du concept de l’unité de l’Eglise et de la primauté effective du pontife romain successeur de Pierre. L’unité de l’Eglise, incidemment ou implicitement affirmée par saint Ignace, saint Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et Origène, est formellement énoncée par saint Cyprien et appuyée sur l’institution de Jésus-Christ, conférant d’abord à Pierre seul tout le pouvoir qu’il devait ensuite communiquer aux autres, dépendamment de Pierre. De catholicæ Ecclesim unitate, iv, P. L., t. iv, col. 499 sq. La primauté effective du pontife romain précédemment indiquée par saint Irénée, Cont. hær., l. III, c. iii, n. 2, P. G., t. vii, col. 848 sq., et Tertullien, De prsescriptionibus, c. xxxvi, P. L., t. ii, col. 49, est plus explicitement formulée par saint Cyprien, De habita virginum, x, P. L., t. iv, col. 449 ; De uuilate Ecclesia', iv, P. L., t. iv, col. 500 ; Epist., xliv, n. 3, /'. L., t. iii, col. 710 sq. ; LI, n. 8, col. 772sq. ; liv, n. li, col. 818 sq. ; LXVI, n. 2 sq., col. 993 sq. ; i.xix, n. 8, /'. L., t. iv, col. 406 ; lxxi, col. 410 ; i.xxii, n. 3, P. L., t. iii, col. 105ÛJLXXIII, n. 7, 11, col. 1114, 1110 ; De exhortatione martyrii ad Fortunalum, xi, P. L., t. IV, col. 668, bien que la nature du pouvoir inhérent à cette primauté ne soit pas nettement précisée dans l’ensemble des écrits de l'évéque de Carthage. Voir Cyprien', t. iii, col. 2468 sq.

Aussi doit-on rejeter la thèse très téméraire de M. Tunnel dans son récent ouvrage, Histoire du dogme de la papauté des origines à la fin du IV siècle, Paris, 1908, rejetant finalement tout témoignage vraiment démonstratif de la primauté effective du pape avant la fin du IVe siècle. E. Portalié, Etudes religieuses du 20 août et du 5 septembre 1908, p. 525, 606 sq.

c) Le progrès accompli dans les affirmations doctrinales relatives aux sacrements, notamment aux sacrements de baptême, d’eucharistie et de pénitence. Saint Justin avait déjà parlé plus explicitement que ses devanciers du sacrement de baptême, dont il nous fait connaître les éléments constitutifs, les effets et les cérémonies principales. Apol., i, n. 61 sq., P. G., t. vi,

col. 420 sq. Saint Cyprien est encore plus explicite. Il mentionne formellement le baptême par infusion comme permis en cas de maladie, Epist., lxxvi, 12, P. L., t. iii, col. 1147 sq., ainsi que le baptême des enfants aussitôt après leur naissance, Epist., LIX, n. 3 sq., col. 1015 sq. ; en même temps il donne une plus complète description de l’administration de ce sacrement. Epist., i-xx, 2 ; lxxvi, 7, P. L., t. iii, col. 1040 sq., 1143 sq. Quelque progrès se manifeste aussi relativement à renonciation du dogme de l’eucharistie. Saint Justin avait mentionné explicitement la présence réelle de Jésus-Christ dans l’eucharistie en même temps que le sacrifice eucharistique et la communion. Apol., , n. 65 sq., P. G., t. vi, col. 428 sq. ; Bialog. cura Tryph., n. 41, 117, col. 564, 745 sq. Saint Cyprien est encore plus formel sur la présence réelle, Epist., x, 1 ; lvi, 9, P. L., t. iv, col. 254, 357 ; Epist., lxxvi, 6, P. L., t. iii, col. 1142 ; De lapsis, 16, P. L., t. IV, col. 479 ; De oratione dominica, xviii, col. 531 sq., et sur le sacrifice eucharistique, Epist., lxiii, 4, P. L., t. iv, col. 372 sq., qui est offert pour les vivants et pour les défunts. Epist., lx, 4 ; lxvi, 2, P. L., t. iv, col. 362, 399. Un progrès se manifeste aussi dans l’exposition du dogme de la pénitence. Tertullien, avant son adhésion au montanisme, avait, en décrivant la pénitence publique, indiqué assez clairement son caractère sacramentel et le pouvoir d’absoudre conféré aux prêtres. De pxiiit., iv sq. ; ix sq., P. L., t. i, col. 1233 sq. ; A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 344 sq. Saint Cyprien mentionne explicitement le pouvoir d’absoudre et la confession faite aux prêtres non seulement pour les péchés passibles de la pénitence publique, mais encore pour les fautes moins graves. Epist., xi, 2 ; xii, 1 ; De lapsis, xvi, xxviii, xxix, P. L., t. iv, col. 257, 259, 479, 488 sq.

2e période, depuis le commencement du ie jusqu’au XIIe siècle. — Celte période est surtout caractérisée par de nombreuses définitions nouvelles, où se manifestent plus complètement ou plus clairement plusieurs vérités jusqu’alors implicitement contenues dans quelque autre vérité expressément enseignée comme révélée. Nous signalerons particulièrement les définitions sur la grâce et sur le péché originel, portées par le IIe concile de Milève en 402, et par le concile de Carthage en 418 et spécialement approuvées par les papes saint Innocent I" et saint Zosime, DenzingerBannwart, Encliiridion, n. 101 sq. ; les enseignements sur la grâce ultérieurement donnés par saint Célestin I er dans sa célèbre lettre aux évêques de Gaule contre les erreurs des semipélagiens, n. 129 sq., voir Célestin I er, t. ii, col. 2052 sq., et par le IIe concile d’Orange en 529, n. 174 sq. ; les déclarations positives sur la primauté effective et le magistère infaillible du pontife romain, contenues dans le formulaire de foi prescrit par le pape saint Hormisdas aux évêques orientaux, n. 171 sq., dans les décrets ou lettres dogmatiques du pape saint Nicolas I er, n. 326, 332, et dans la lettre de saint Léon IX à Michel Cérulaire, n. 351 sq. ; l’enseignement formel du VIIIe concile œcuménique sur l’unité de l'âme humaine, n. 338, et celui du symbole de foi de saint Léon IX sur le fait de la création de l'âme humaine par Dieu, n. 348 ; enfin les définitions portées contre Origène, n. 203 sq., contre les priscillianistes, n. 531 sq., contre les monothélites, n. 289 sq., contre les iconoclastes, n. 302 sq., et contre les adoptianistes, n. 309 sq.

3e période, du XIIe au XVIe siècle, troublée par un nombre très restreint d’erreurs et cependant marquée par plusieurs définitions nouvelles, donnant un exposé plus complet du dogme catholique. Nous mentionnerons particulièrement la définition du deuxième concile de Lyon en 1270 sur la procession du Saint-Esprit ex Paire et Filio, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 460, la déclaration de Benoit XII sur le moment

auquel les âmes entièrement pures ou purifiées commencent à jouir de la vision béatifique, n. 530, voir Benoît XII, t. ii, col. 669 sq. ; la définition du IVe concile de Latran sur la présence réelle et la transsubstantiation, n. 430 ; l’enseignement du concile de Florence sur la primauté effective du pontife romain, n. 694, et sur la nécessité d’appartenir à l’Eglise catholique pour obtenir le salut, n. 714 ; la définition du concile de Vienne sur l'âme, forme substantielle du corps humain, n. 481 ; et plusieurs déclarations de l'Église sur les sacrements, notamment sur le baptême au IVe concile de Latran, n. 430, et au concile de Vienne, n. 482 sq., et dans le célèbre décret d’Eugène IV Ad Armenos, n. 696 ; sur la transsubstantiation et les accidents eucharistiques au IV" concile de Latran, n. 430, et au concile de Constance, n. 581 sq., sur les sacrements de pénitence, d’extrême-onction, d’ordre et de mariage, dans l’instruction Ad Armenos, n. 699 sq.

4e période, du XVIe siècle à l'époque actuelle, période dans laquelle l'Église oppose à de nouvelles et plus fondamentales erreurs de nombreuses et importantes définitions, proposant d’une manière plus explicite des vérités moins clairement proposées jusqu’alors. Nous signalerons particulièrement les définitions plus complètes portées par le concile de Trente sur l’autorité de l'Écriture et de la tradition, sess. IV ; sur la constitution de l’homme dans l'élut surnaturel et sur le péché originel, sess. V ; sur la liberté humaine, la justification, la grâce sanctifiante, les vertus surnaturelles et le mérite surnaturel, sess. VI ; sur les sacrements en général et sur chacun d’eux en particulier, sess. VU sq., et beaucoup d’enseignements plus explicites du Saint-Siège résultant de condamnations formelles portées parles souverains pontifes contre les erreurs de Baius, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1001 sq., contre 101 propositions extraites de Quesnel, n. 1351 sq., et contre les assertions erronées des jansénistes de l’istoie, n. 1501 sq.

Au xixe siècle, mention particulière doit être faite des enseignements très explicites du saint-siège sur les relations entre la raison et la foi, particulièrement contre les erreurs de Hermès et de Giinther, dans plusieurs lettres ou encycliques de Grégoire XVI et de Pie IX, n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., 1666 sq., 1679 sq., dans le Syllabus, n. 1708 sq., et dans le concile du Vatican, n. 1795 sq. ; de la définition dogmatique de l’immaculée conception de la très sainte Vierge Marie par Pie IX dans la bulle lneffabilis Deus du 8 décembre 1854 ; des définitions portées par le concile du Vatican sur l’inspiration des Ecritures, sur la foi, sur l'Église, sur la primauté ellective du pape et sur son magistère infaillible, et plusieurs enseignements dogmatiques proposés par Léon XIII à tous les fidèles, par exemple sur le mariage chrétien, sur l’origine du pouvoir civil, sur l'Église et sur ses relations avec la société civile.

Dans cette courte esquisse contenant d’ailleurs, avec beaucoup de définitions dogmatiques nouvelles, de simples déclarations doctrinales sur des matières appartenant indirectement au dépôt de la foi, il n’est point nécessaire que nous distinguions, avec une minutieuse exactitude de détail, entre ce qui est simple progrès dans l’expression ou dans la formule dogmatique, et ce qui est un véritable développement dogmatique d’une vérité jusque-là crue ou enseignée d’une manière simplement implicite. Ce travail sera accompli, autant qu’il est possible de le faire, dans l'étude particulière de chacun des dogmes révélés.

Il nous suffit présentement de retenir, comme solidement prouvée par plusieurs des faits précités, cette conclusion très certaine que, dans toute l’histoire de l'Église, se rencontrent des exemples bien caractérisés

de progrès dogmatique, necompli non seulement dans l’expression ou dans la formule, mais encore dans une vérité plus explicitement crue ou enseignée, après une période plus ou moins longue de croyance ou d’enseignement moins explicite. On doit considérer comme tels, non seulement les dogmes récemment proclamés de l’immaculée conception de la bienheureuse Vierge .Marie et de l’infaillibilité pontificale, mais encore quelques dogmes plus anciens, définis à diverses époques, et que nous rencontrerons bientôt.

II. OCCASIONS ET FACTEURS PRINCIPAl X DE CE PROGRÈS, selon la teneur des documents historiques. — 1° Occasions de ce 'progrès. — Les documents historiques, démontrant le fait d’un progrès dogmatique, attestent en même temps l’existence de trois occasions principales, dont le mode d’influence a été très variable selon les diverses circonstances de personne, de sujet, de temps ou de milieu. — 1. Influence occasionnelle <les hérésies. — A. C’est un fait constant que chaque erreur ou hérésie nouvelle, en formant les défenseurs de la foi catholique à scruter et à analyser plus minutieusement l’enseignement catholique et à l'étudier plus attentivement dans l'Écriture et dans la tradition, a toujours puissamment contribué à son élucidation plus parfaite et à sa plus complète exposition. — a. Ainsi à la fin du nr et au commencement du ive siècle, après les diverses erreurs unitariennesdeThéodote deByzance, de Paul de Samosate et de Sabellius, après les affirmations subordinaliennes émises d’une manière plus ou moins complète par plusieurs auteurs du IIe et du me siècle, et en face de l’hérésie naissante d’Arius, les défenseurs de la foi catholique, particulièrement saint Alexandre, évoque d’Alexandrie, et saint Athanase, furent contraints de préciser les formules exprimant la nature du Verbe divin, sa distinction du Père, sa génération éternelle et sa consubstantialité avec le Père. Les expressions apparemment favorables au subordinalianisme, assez fréquentes chez, les Pères du H" et du nr siècle que l’on doit cependant reconnaître comme substantiellement orthodoxes sur les points principaux du dogme trinitaire, furent dès lors complètement abandonnées. L’expression ôjj.ooJ<jio ; , précédemment condamnée, au sens sahellien ou modaliste de Paul de Samosate, par un concile d’Antioche en 269 et employée depuis par le pape saint Denys en un sens orthodoxe contre l’erreur subordinatienne, Ilefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. I, p. 202 sq., 434 sq., fut choisie comme plus apte à exprimer la consubstantialité du Fils avec le Père, en même temps que la distinction des personnes, et définitivement approuvée par le I er concile de Nicée en 325. Depuis cette époque, les expressions subordinatiennes disparaissent entièrement chez les auteurs orthodoxes. Ce progrès dans renonciation du dogme trinitaire, à l’occasion de l’hérésie arienne, est spécialement signalé par saint Augustin. Enar ratio in ps. LIV, n.22, P. L., . xxxvi, col. 613. — b. Au Ve siècle, les erreurs pélagiennes aidèrent au développement du dogme du péché originel. La transmission du péché originel à tous les enfants d’Adam avait été affirmée d’une manière plus ou moins explicite par les auteurs des IIe, IIIe et IVe siècles, antérieurs à saint Augustin, notamment par ceux que mentionne l'évêque dllippone dans son Contra Julianunt, l. I, C. m sq., P. L., t. xi.iv, col. 643 sq. Mais la plupart de leurs affirmations présentent encore un caractère incomplet, surtout à cause des préoccupations dominantes chez ces auteurs, de mettre en garde contre les erreurs alors particulièrement dangereuses du gnoslicisme, du manichéisme ou de l’origénisme et qui exigeaient que l’on mît en relief l’absence de corruption de l’homme par nature, ou l’absence de faute, c’est-àdire de faute personnelle, avant l’existence actuelle. Schwane-Degert, Histoire des dogmes, 2e édit., Paris,

1903, t. iii, p. 32 sq. Tandis que ces auteurs avaient plutôt indiqué le côté pénal ou afflictif de la faute originelle, saint Augustin, dans sa lutte contre Julien d’Eclane et ses partisans, fut amené à mettre principalement en relief l’aspect moral de la faute du genre humain en Adam. Non content de montrer les conséquences qu’elle entraîne pour toute la postérité d’Adam, il expliqua comment elle est, dans chaque individu, une transgression moralement imputable, non par une rébellion actuelle de la volonté, mais par quelque dépendance de la volonté d’Adam chef de l’humanité, et quel rôle la concupiscence joue dans la transmission du péché originel. Voir Augustin, t. i, col. 2394 sq. Les souverains pontifes, en approuvant les conciles tenus en Afrique à cette époque, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 101 sq., ou en enseignant directement la doctrine catholique sur ce point, comme dans la lettre de saint Célestin I er aux évoques de Gaule en 431, Enchirid’wn, n. 130 sq., choisirent dans la doctrine de saint Augustin ce qu’ils jugèrent être l’expression exacte du dogme, en omettant certaines explications secondaires concernant surtout le rôle de la concupiscence dans la transmission du péché originel. Ces explications que les théologiens scolastiques n'écartèrent point entièrement, ne disparurent effectivement qu’après les définitions plus explicites du concile de Trente et la condamnation des erreurs de Daius et des propositions jansénistes. — c. Aux Ve et vr siècles, les erreurs pélagiennes et semipélagiennes aidèrent aussi au développement du dogme de la grâce. Les Pères antérieurs au ve siècle avaient substantiellement affirmé ce dogme, comme le prouvent les fréquents appels de saint Augustin à leur témoignage. Mais Augustin dut, contre les négations pélagiennes et semipélagiennes, insister plus fortement sur ces deux points fondamentaux : nécessité de la grâce pour la rénovation ou régénération intime de l'âme et pour l’accomplissement des actionsou œuvres ayant quelque rapport direct avec le salut surnaturel, cl gratuité absolue de cette grâce, dépassant essentiellement tout mérite provenant des forces naturelles de la volonté humaine, ce qui est plus particulièrement vrai de la première grâce d’illumination ou de conversion surnaturelle. En développant toutes ces affirmations doctrinales, solidement prouvées par l'Écriture et par la tradition des siècles précédents, Augustin mêle à l’expression du dogme catholique des opinions ou explications personnelles, particulièrement sur le mode d’efficacité de la grâce. L’Eglise, en approuvant la doctrine du grand docteur de la grâce, surtout par la confirmation spéciale donnée au IIe concile d’Orange tenu en 529, Denzinger, Enchiridion, n. 174 sq., laissa ce qui ne lui parut point apte à exprimer le dogme catholique et fit porter son enseignement uniquement sur la nécessité de la grâce pour tout acle surnaturel en rapport direct avec le salut et sur la stricte gratuité de cette grâce, à l’exclusion de tout mérite naturel, particulièrement pour Yinitium fidei et le credulilatis affectas qui l’accompagne. De ces définitions les théologiens déduisirent ultérieurement de nouvelles conclusions qui préparèrent les définitions plus complètes encore du concile de Trente, ainsi que les condamnations portées contre les erreurs de Baius et des partisans de Jansénius. — d. Aux IVe et Ve siècles, les erreurs des rebaptisants et des donatistes furent, particulièrement chez saint Augustin, l’occasion d’une distinction plus marquée entre la validité des sacrements et leur efficacité. Jusqu'à l'évêque dllippone, on s'était à peu près borné à l’affirmation de la pratique de ne point rebaptiser, sans en donner la véritable raison. Saint Optât avait, il est vrai, montré que l’effet du sacrement ne vient pas du ministre ou operarius, mais de Dieu lui-même ; toutefois il n’avait point expliqué ce que produit le baptême validement administré par un hérétique ou à un hérétique. Saint

Augustin montre que l’effet produit n’est autre que le caractère du baptême qui, sans doute, ne produit point par lui-même la rémission des péchés, mais qui peut suffire pour la produire, dès lors que l’obstacle à la rémission des péchés est écarté par un vrai repentir. Contra epistolam Parmeniani, l. II, c. xiii, n. 29, P. L., t. xi.iii, col. 71 ; De baptismo contra donatistas, l. V, c. xxiii, n. 33 ; l. I, c.xii, n. 18, col. 193, 119. Cette notion du caractère sacramentel, ainsi mise en évidence par le grand docteur africain du ve siècle, et plus tard complétée par les travaux théologiques des scolastiques du moyen âge, conduisit aux xve et XVIe siècles aux déclarations positives du concile de Florence dans le décret Ad Armenos, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n.695, et à la définition du concile de Trente, sess. VII, can. 9. — e. De même les premières tentatives du schisme grec et sa consommation définitive amenèrent au i.v siècle et aux siècles suivants des définitions plus explicites sur la primauté effective du pontife romain. Nous citerons particuliôrementlesdéclarationsdu pape saint Nicolas I" dans un synode romain en 863, Enchiridion, n. 326, et dans sa lettre à l’empereur Michel en 865, n. 332 ; la lettre du pape saint Léon IX à Michel Cérulaire, n. 351 ; et la définition du concile de Florence, n. 691. Ces définitions furent d’ailleurs complétées par le concile du Vatican, sess. IV, qui détruisit les derniers restes du gallicanisme. — f. Comme dernier exemple, signalons sommairement les nombreuses définitions dogmatiques portées par le concile de Trente, à l’occasion des erreurs protestantes du XVIe siècle, notamment sur l’inspiration des Livres saints, sur le péché originel, sur la grâce sanctifiante, sur les sacrements, particulièrement sur les sacrements de pénitence et de mariage, et sur le sacrifice de la messe : définitions qui, sur beaucoup de points, marquèrent un progrès considérable non seulement dans la formule mais encore dans le concept du dogme catholique, comme on le démontrera aux articles spéciaux.

Notons toutefois que, pour tous les exemples précités, les définitions solennelles portées par l’autorité ecclésiastique ont été le plus souvent précédées, du moins pendant quelque temps, d’un enseignement ordinaire de l'Église proposant ces vérités comme devant être pratiquement crues par tous les fidèles, et qu’ainsi la définition ultérieure n’a bien souvent fait que déclarer d’une manière plus formelle ce que l’on croyait déjà auparavant.

II. Tout en constatant, selon Jes documents historiques, cette inlluence occasionnelle des hérésies, l’on doit remarquer qu’en fait elle ne fut régie par aucune loi uniforme relativement au développement dogmatique qui put en résulter. Ce développement dogmatique dépendit le plus souvent de la nature de l’erreur ou de l’hérésie, des circonstances particulières de son éclosion ou de sa propagation, de la manière dont la controverse fut conduite par les défenseurs de la vérité révélée et du mode d’intervention de l’autorité ecclésiastique ; ce qu’il nous suffira de signaler brièvement d’après les exemples déjà indiqués. — a. Ainsi des hérésies attaquant des dogmes souverainement importants avec lesquels tous les autres ont une intime connexion, comme la trinité, l’incarnation, le péché originel et la grâce, conduisirent à des résultats dogmatiques plus considérables qu’une controverse avec les iconoclastes ou avec les adversaires de l’immédiate possession de la vision béatifique pour l'âme suffisamment justifiée au moment de la séparation du corps. En même temps il est facile de constater que les définitions portées par l'Église sur des vérités très importantes furent, d’une manière très particulière, le point de départ de nouvelles déductions théologiques qui habituellement préparèrent des définitions ultérieures. — b. Le développement dogmatique résultant des con troverses avec les hérétiques dépendit aussi en très grande partie de la manière dont la question fut originairement posée des deux cotés, des arguments employés au cours de la controverse et des réponses ou distinctions présentées par les défenseurs de la foi catholique. Ainsi, au nie siècle, la controverse avec les rebaptisants, restreinte presque uniquement à la question de pratique universelle et constante dans l’Eglise, ne conduisit à aucun développement dogmatique. Au IVe siècle, la défense de la vérité catholique contre les rebaptisants amena saint Optât à affirmer, avec plus de netteté qu’on ne l’avait fait jusque-là, l’action simplement instrumentale du ministre du sacrement ; l’elfet du sacrement provenant non de la sainteté du ministre mais de l’action divine par l’invocation de la sainte Trinité. Deschismate donalistarum, l. V, n. 4, P. L., i. vi, col. 1051 sq. Ce ne fut qu’un peu plus tard que saint Augustin montra dans la doctrine du caractère sacramentel la vraie solution du problème. Il indiqua nettement la différence entre la production du caractère baptismal résultant de toute administration valide du sacrement, même quand il est reçu par les hérétiques, et la production ou réception de la grâce supposant le repentir des péchés et la détestation de l’hérésie. Contra epistolam Parmeniani, l. II, n. 28 sq., P. L., t. xi.iii, ce ! . 70 sq. Cette doctrine du caractère sacramentel ainsi mise en lumière, du moins pour le sacrement de baptême, et complétée plus tard par les théologiens scolastiques du moyen âge, conduisit un peu plus tard aux définitions explicites du concile de Florence, Denzinger, Enchiridion, n. 590, et du concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 9.

Dans d’autres controverses, la question fut dés le début plus nettement po- ; ée, ce qui assura un résultat dogmatique plus prompt et plus complet. Qu’il nous suffise de rappeler les éminents services ainsi rendus à la cause de la foi catholique par saint Athanase et par saint Cyrille d’Alexandrie des le début des hérésies ariennes ou nestoriennes, ou par le pape saint Léon le Grand, condamnant très promptement l’erreur d’Eutychès et formulant d’une manière précise l’enseignement catholique.

c) Enfin l’influence occasionnelle des hérésies sur le développement du dogme dépendit toujours très notablement de la manière dont le magistère ecclésiastique y intervint. Cette intervention, toutes les fois qu’elle se manifesta par une définition positive et finale, détermina exactement la formule et le sens précis du dogme attaqué par l’hérésie. Ce qui fut laissé en dehors de cet enseignement doctrinal imposé à tous les fidèles, put être considéré comme très recommandable à divers titres, mais sans pouvoir jamais être rangé au moins à cette époque parmi les dogmes catholiques. Ainsi dans les expositions dogmatiques faites par saint Athanase sur la personne du Verbe, par saint Cyrille d’Alexandrie sur l’unité de personne et la dualité des natures dans le Verbe incarné, ou par saint Augustin sur la question de la grâce, toutes les assertions doctrinales ne furentpoint approuvées par l’Eglise de manière à être incorporées à ses dogmes. Observons toutefois que des points non définis à l'époque où se clôtura officiellement la controverse avec les hérétiques, furent parfois définis à une époque postérieure, après de nouveaux travaux, théologiques sur les définitions déjà faites, comme nous l’indiquerons bientôt.

En résumé, puisque l’histoire du développement des dogmes provenant occasionnellement des hérésies, n’est soumise à aucune loi précise et uniforme, elle doit être étudiée attentivement pour chaque cas particulier selon les diverses circonstances que nous venons de signaler.

2. Influence occasionnelle de controverses entre théologiens catholiques.

A. Parmi les controverses de ce genre qui de fait conduisirent d’une manière plus ou 161 :

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moins immédiate à quelque développement dogmatique nous citerons particulièrement : a. Les controverses théologiques relatives au nombre des sacrements. Pendant le haut moyen âge les auteurs ecclésiastiques, se plaçant à des points de vue différents, avaient diversement énuinéré les sacrements parmi lesquels ils avaient souvent rangé de simples sacramentaux selon notre terminologie actuelle. Au xie siècle, saint Pierre Damien Y 1072) compte encore douze sacrements, Serni., lxix, P. L., t. cxi. iv, col. 897 sq., et un passage de Fulbert de Chartres († 1029) n’en mentionne que deux, le liaplême et l’eucharistie. Serm., VIII, P. L., t. CXH, col. 334. Au commencement du xii » siècle, Hildebert île Tours (7 1134) compte neuf sacrements et saint Bernard, sans donner une énumération complète, indique le lavement des pieds comme sacrement et laisse entendreque le nombre des sacrements est considérable. Sermo incena Domini, n. Isq., P. L., l. i.xxxiii, col. 271. Pour remédiera cette déplorable confusion, l'école d’Abélard d’abord, puis Pierre Lombard, insistèrent sur la définition du sacrement de la nouvelle loi au strict sens théologique de signe efficace de la grâce. L’application rigoureuse de cette définition fit écarter tous les sacramentaux et conduisit à la liste des sept sacrements telle que nous la possédons actuellement. Cette doctrine dès lors communément admise par les théologiens et solennellement approuvée par le deuxième concile rrcuménique de Lyon en 1274, Dcnzinger, Encliiridion, n. 465, fut de nouveau formulée par le concile de Florence dans le décret aux Arméniens, Enchiridion, n. 695 sq., et expressément définie par le concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 1.

b. Controverse sur la nature du caractère sacramentel. Au xiiie siècle, les théologiens essayèrent de déterminer la nature du caractère sacramentel dont l’existence était affirmée d’une manière bien explicite depuis saint Augustin. Si les opinions furent divergentes relativement à la catégorie d'être où l’on doit placer le caractère et aux relations qu’il donne avec JésusChrist, l’accord unanime se fit sur les poinfs qui devaient être bientôt expliqués ou définis parles conciles de Florence et de Trente : quoddam spiritual/' signum indélébile in anima impressum. Enchiridion, n. 695, 852.

c. Controvorse sur l’intention nécessaire pour l’administration valide des sacrements. Aux XIIe et XIIIe siècles, deux opinions sont en présence : Roland Bandinelli, le futur pape Alexandre III, et Robert Pull († 1221). entre autres, soutiennent que l’administration est toujours valide, dès lors que le ministre accomplit le rite sacramentel se’on les prescriptions de l’Fglise ; tandis que Hugues de Saint-Victor, l’auteur de la Summa sententiarum, Pierre Lombard, saint Thomas et la plupart des théologiens admettent la nécessité de quelque intention positive de faire ce que fait l'Église, parce que, selon la doctrine patristique, le ministre du sacrement agit avec le pouvoir et au nom de Jésus-Christ et de son Fglise ; ce qu’il ne peut vraiment accomplir d’une manière humaine et raisonnable qu’en subordonnant de quelque manière son intention à celle de Jésus-Christ et de son i.glise. Cet accord presque unanime des théologiens à partir du xiir siècle sur la nécessité de quelque intention positive prépara la déclaration formelle du concile de Florence dans le décrel mis Arméniens sur l’intention requise dans le ministre pour la validité du sacrement, Enchiridion, n. 590, et la définition du concile de Trente. Sess. VII, De sacramentis in génère, can. 1. La controverse postérieure au concile de Trente, sur l’opinion de Catharin renouvelant celle de Roland Bandinelli et de Robert Pull, sans conduire â une définition formelle, amena cependant une déclaration assez explicite d’Alexandre VIII condamnant le ? décembre 1690 cette proposition atteignant au moins indirectement l’opinion de Catharin :

Valet baplismuscollatusaministro qui oninemritum externum formamque baptizandi observât, intus vero in corde stto apud se resolvit : nonintendo quod facil Ecclesia. Enchiridion, n. 1185. Voir Alexandre VIII t. 1, col. 761.

d. Controverse relative à la nature du pouvoir d’absoudre les péchés dans le sacrement de pénitence. Quelques théologiens scolastiques du moyen âge, à la suite de Hugues de Saint-Victor et de Pierre Lombard, tout en reconnaissant dans l’Fglise le pouvoir d’absoudre les péchés, contre l’erreur déjà condamnée dans Abélard, faisaient dériver la rémission des péchés de la seule contrition parfaite et restreignaient le pouvoir d’absoudre à un pouvoir simplement déclaratif, auquel se joignait la faculté de remettre la peine temporelle due au péché ou la satisfaction pénitentielle déjà imposée. Voir ABSOLUTION, t. i, col. 172 sq. Leur opinion victorieusement combattue par saint Thomas disparut bientôt de l’arène théologique. La doctrine de saint Thomas sur l’efficacité réelle et entière de l’absolution, appuyée sur la constante tradition patristique et communément admise par les théologiens après le XIIIe siècle, prépara la déclaration du concile de Florence, Enchiridion, n. 699, et la définition formelle du concile de Trente. Sess. XIV, c. VI, can. 9.

e. Controverse sur la suffisance de l’attrition avec ia réception du sacrement de pénitence. Quelques théologiens du moyen âge, parmi lesquels Pierre Lombard et saint Ronaventure, avaient soutenu que seule la contrition peut procurer la rémission des péchés dans le sacrement de pénitence. Contre cette opinion saint Thomas et presque tous les théologiens subséquents enseignaient que l’attrition pouvait suffire avec le sacrement de pénitence, bien qu’il n’y eût point parfait accord dans leurs explications doctrinales. Voir Attrition.

Jusqu’au xvr siècle, aucune question n’avait été posée relativement au motif sur lequel doit s’appuyer cette attrition. A cette époque la question posée par Victoria, Dominique Soto et Melehior Cano, de la valeur de l’attrition dictée par la crainte des peines de l’enfer et considérée ou non en toute bonne foi comme contrition suffisante, souleva une controverse entre contritionistes et attritionistes, les attritionistes adoptant eux-mêmes diverses explications. Cette controverse eut pour résultat la définition du concile de Trente, sess. XIV, c. v, de laquelle se déduit rigoureusement la suffisance de l’attrition surnaturelle, pourvu qu’elle exclue la volonté de pécher et qu’elle soit accompagnée de l’espérance du pardon. Aussi après le concile de Trente, la controverse, encore subsistante parmi les théologiens, ne porte plus sur la suffisance de cette attrition, mais seulement sur les qualités qu’elle doit posséder, particulièrement sur la mesure d’amour dont elle doit être accompagnée ou qu’elle doit nécessairement renfermer.

f. Controverse sur Vimmaculée conception de la 1res sainte Vierge. Rien que la doctrine de l’immaculée conception eût un solide fondement dans la tradition patristique, elle fut niée par un assez grand nombre de théologiens scolastiques à partir du xiie siècle, soit à cause de leur opinion sur la transmission du péché originel par la concupiscence charnelle, soit parce que l'Église n’avait pas encore approuvé la fête de la conception. Leur opinion fut combattue par Duns Scot à la fin du xiii'e siècle. Fn se prononçant nettement pour la possibilité, la convenance et le fait de l’immaculée conception de Marie dès le premier instant de sa conception, il inaugura un grand courant théologique qui alla toujours en se fortifiant, grâce surtout aux encouragements successifs donnés par le saint-siège. L’accord presque unanime des théologiens, surtout à partir des constitutions apostoliques de Sixte IV un peu avant la fin du w siècle, prépara la déclaration du concile de Trente affirmant sa volonté de ne point comprendre

Marie dans l’assertion dogmatique sur l’universalité du péché originel, sess. V, Deere tum de peccato originali, et conduisit finalement à la définition formelle prononcée par Pie IX le 8 décembre 1854.

B. Encore ici nous constatons, d’après les documents, que l’influence réellement exercée sur le développement dogmatique, ne fut régie par aucune loi uniforme. — a. C’est un fait bien avéré que plusieurs discussions théologiques où l’enseignement de la foi n'était point immédiatement intéressé et dans lesquelles d’ailleurs on ne put démontrer aucune vérité révélée portant certainement sur la matière en litige, n’eurent point de résultat dogmatique direct. Telles furent particulièrement la plupart des controverses entre thomistes et scotistes, celle des thomistes avec les molinistes et les discussions de potentiel Dei absoluta sur beaucoup de questions spéculatives. Il ne serait cependant point juste d’affirmer qu’aucun avantage théologique ne résulta de ces controverses ou discussions. Elles eurent souvent pour effet de rendre plus circonspect dans l’usage des formules dogmatiques ou dans l’explication de l’opinion à laquelle on donnait la préférence. Elles aidèrent souvent aussi à fournir des hypothèses aptes à expliquer ou à justifier le dogme, sinon pour toutes les intelligences, du inoins pour celles qui étaient disposées à les accepter. Car, dès lors que les hypothèses réalisant les conditions nécessaires peuvent être utiles dans toutes les sciences, on ne peut refuser ce même avantage aux opinions ou hypothèses proposées en théologie, pourvu qu’elles se tiennent dans les limites permises.

b. Pour les controverses qui ont abouti à quelque résultat dogmatique, l’histoire montre que ce qui contribua le plus à cet heureux résultat, fut une exacte position de la question au début ou au cours de la discussion. Ainsi dans la discussion théologique sur l’immaculée conception, tant que la question roula simplement sur le fait de la transmission du péché originel dans toute conception où la concupiscence charnelle se rencontre, l’on ne put trouver de solution favorable au privilège et l’on soutint uniquement la sanctification de Marie avant sa naissance ; conclusion adoptée même par saint Thomas et saint Bonaventure. La question différemment posée par Duns Scot, qui donnait une autre explication de la transmission du péché originel et montrait comment l’immaculée conception de Marie pouvait se concilier avec le fait de sa rédemption et son titre de fille d’Adam, conduisit aussitôt à cette conclusion que le privilège était possible et souverainement convenable, et que dès lors on devait l’affirmer. Conclusion désormais soutenue par beaucoup de théologiens de toutes les écoles.

c. L’attitude du magistère ecclésiastique eut toujours aussi une profonde répercussion sur les controverses théologiques. Ainsi dans la controverse sur l’immaculée conception, la non célébration de cette fête dans l'Église romaine à l'époque de saint Thomas est considérée, à tort sans doute, par le grand docteur comme défavorable au privilège. Quodlibet., VI, q. v, a. 7. Un peu plus tard, au contraire, l’intervention du saintsiège approuvant cette fête et déclarant qu’elle avait pour but d’honorer la conception immaculée a primo instanti, amena promptement le consentement à peu près unanime des théologiens sur ce glorieux privilège, consentement encore confirmé par la déclaration subséquente du concile de Trente. De même, la recommandation faite par le concile de Vienne en 13Il de choisir tanquam probabiliorem et dictis sanctorum et doctorum modemorum théologies magis eonsonam l’opinion théologique affirmant que l'âme des enfants, non moins que celle des adultes, est, dans le sacrement de baptême, informée par la grâce et par les vertus infuses, Denzinger, Enchiridion, n. 411, fit bientôt

accepter cette doctrine par presque tous les théologiens.

d. Quant à la décision finale du magistère ecclésiastique statuant avec une souveraine autorité sur quelque controverse Ihéologique, ce qui la détermina habituellement, ce fut : a) l'éclosion de quelque nouvelle erreur qui, intervenant à une période quelconque de la discussion ou même après qu’elle se fût assoupie, obligea le magistère ecclésiastique à se prononcer sur la question en litige et à définir ce que tout catholique doit croire ou nécessairement admettre sur ce point. C’est ce qui motiva particulièrement les définitions formelles portées par le concile de Trente sur le nombre des sacrements, sur leur efficacité, sur leur institution divine et sur le caractère sacramentel, à l’enconlre de toutes les négations du protestantisme. C’est encore ce qui advint pour les définitions du concile du Vatican sur l’inspiration, sur la foi, sur les relations entre la raison et la foi, sur l'Église, sur la primauté effective du pape et sur son magistère infaillible, et pour les définitions de Pie IX et de Léon X11I sur le mariage chrétien. Toutes ces définitions, en même temps qu’elles affirmaient une vérité dogmatique contre une erreur nouvelle ou nouvellement agissante, arrêtaient définitivement les controverses théologiques antérieurement existantes. — (3) La décision fut parfois aussi déterminée par la nécessité de donner aux fidèles une instruction pratique qui pût les diriger effectivement dans l’observance de leurs devoirs chrétiens. C’est pour cette raison que le décret Ad (Lrmenos, approuvé par le concile de Florence pour l’instruction complémentaire de fidèles désireux de vivre dans la pleine union avec l'Église romaine, lit plusieurs déclarations positives sur îles points autrefois discutés par des scolastiques duxii c et du XIIIe siècle ; déclarations complétées un peu plus tard par les définitions formelles du concile de Trente. — y) Quelquefois la définition du magistère ecclésiastique est motivée simplement par l’absolue conviction que telle vérité désormais pleinement élucidée appartient certainement à la révélation divine, cl qu’il est souverainement sage et opportun de la proposer comme telle à l’acceptation st à la croyance des fidèles. C’est ce qui advint particulièrement pour le dogme de l’immaculée conception quand, après les déclarations successives de l’Eglise et l’accord unanime des théologiens pendant plusieurs siècles, le fait de la révélation divine fut pleinement manifeste.

En résumé, puisque l’inlluence des discussions théologiques sur le développement dogmatique n’est régie par aucune loi bien déterminée, elle doit être étudiée par l’historien des dogmes dans chaque cas particulier cl avec toutes ses circonstances concrètes. Toutefois il y a lieu de tenir exactement compte des observations précédentes. Sans être des lois historiques, elles se dégagent suffisamment de l’ensemble des faits et aident à mieux les comprendre.

3. Influence occasionnelle d’une étude approfondie du dogme révélé, en dehors de toute impulsion initiale donnée par quelque hérésie ou par des discussions entre théologiens catholiques. Deux exemples principaux peuvent être signalés : A. Le remarquable exemple de saint Vincent de Lérins, formulant le premier le concept explicite d’un réel progrès dogmatique, qui jusque-là n’avait guère apparu qu’implicitement contenu dans des formules assez générales. Cette exposition si nette du moine de Lérins, selon toute probabilité, ne fut occasionnée par aucune erreur ni par aucune controverse contemporaine. Elle résulta simplement d’une profonde considération du rôle que doit incessamment accomplir jusqu'à la fin des siècles le magistère infaillible de l'Église, avec une constante et inépuisable vitalité, en face de nouveaux et multiples besoins sans cesse renaissants. Il est toutefois bien -1619

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remarquable que ce concept du progrès dogmatique, si explicite chez, cet écrivain du Ve siècle, ait eu si peu d’influence sur les auteurs des siècles suivants, jusqu’au xixe siècle où l’attention universelle fut attirée sur le grave problème de la conciliation entre la nécessaire immutabilité des dogmes et les incontestables développements manifestés surtout par les travaux récents de la critique historique. Mais quelles qu’aient rie les causes de ce manque d’inlluence, saint Vincent de Lérins n’en eut pas moins un très grand mérite d’avoir si nettement formulé, à une époque aussi reculée, un enseignement que le concile du Vatican devait, dans des termes assez analogues, définir quatorze siècles plus tard.

B. Un exemple non moins remarquable, niais qui eut une inlluence plus heureuse presque dès les débuts, fut celui de saint Anselme arrivant, par le labeur personnel d’une étude très approfondie, à donner le premier, au XIe siècle, une formule très explicite et assurément très neuve du dogme de la rédemption satisfactoire accomplie par Jésus-Christ..1. Rivière, Le dogme de la rédemption, l’aris, 1905, p. 498 sq. A l’ancienne exposition dogmatique, insistant d’une manière générale sur la délivrance intégrale accomplie par l’incarnation et par la mort du Fils de Dieu, le grand initiateur de la scolastique au xi° siècle substitua une proposition très nette de l’expiation satisfactoire accomplie en toute justice par le Verbe incarné ; expiation qui ne pouvait être ainsi offerte que par une personne divine unie à la nature humaine, puisqu’une satisfaction d’une valeur infinie était rigoureusement nécessaire. Ce concept explicite de la rédemption satisfactoire, réellement contenu dans la tradition patristique dont il n'était que le développement légitime, fut peu après, grâce surtout aux erreurs d’Abélard, perfectionné par le génie tbéologiquede saint Thomas ; mais le rôle considérable de saint Anselme, en dehors de toute influence occasionnelle d’hérésie ou d’erreur, n’en est pas moins remarquable. En résumé, ici encore se manifeste la conclusion déjà mentionnée que le développement dogmatique au cours des siècles n’est régi par aucune stricte loi, ni dans les causes ou occasions qui lui donnèrent naissance, ni dans la marche progressive ainsi occasionnée.

Fadeurs immédiats de ce progrès.

Les constatations historiques, que nous venons de rappeler, nous autorisent à déduire en toute sécurité les conclusions suivantes : 1. Il est historiquement prouvé que les définitions nouvelles, portées par l'Église, sont habituellement préparées par le travail des Pères et des théologiens, accompli sous la direction et avec les encouragements ou l’approbation de l'Église. A. On doit bien observer que ce travail ne peut être qu’un facteur préparatoire, puisque l'Église, seule chargée par Jésus-Christ de garder intégralement et d’interpréter infailliblement le dépôt de la révélation chrétienne, a le pouvoir exclusif de proposer les dogmes chrétiens et d’en indiquer, avec une pleine autorité, le véritable sens. Le travail des Pères et des théologiens est donc simplement de mettre en évidence le fait de la révélation divine, tel qu’il est manifesté par les organes de cette révélation, l'Écriture divinement inspirée et la tradition catholique constamment maintenue el infailliblement interprétée par le magistère de l'Église. Cette mise en évidence s’accomplit principalement par l’explication des textes et des témoignages, par la solution des objections adverses et par l’interprétation des définitions ou décisions de l’Eglise. Après ce travail intégralement accompli, quand le fait de la révélation de telle vérité apparat) indubitable au théologien ou à celui qui étudie son travail, il y a dès lors obligation certaine d’adhérer à la vérité ainsi manifestée, bien qu’il soit difficile de posséder réellement

cette certitude en dehors de toute proposition faite par le magistère ecclésiastique.

Il est donc très certain que le travail des théologiens ne peut que manifester une vérité primitivement enseignée par Jésus-Christ et confiée par lui à ses apôtres et à ses successeurs jusqu'à la fin des temps. Il est non moins certain que la conscience individuelle ou collective des fidèles des premiers siècles ou des siècles suivants, n’a jamais pu et ne peut jamais être, en dehors de l’autorité de l'Église qui l’approuve, le point de départ initial ni le facteur constitutif d’aucun dogme. L’enseignement contraire a été formellement réprouvé par le décret Lamentabili et par l’encyclique Pascendi. C’est ce qui résulte de la condamnation des propositions suivantes dans ce décret : 31. Doclrina de Christo quant tradunt Paidus, Joannes et concilia Nicsenum, Ephesinum, Chalcedonense, non est ea quam Jésus docuit, sed quam de Jesu concepit conscientia christiana. — 36. Resurrectio Salvaloris non est proprie factum ordinis historici, sed factum ordinis mère supernaturalis, nec denionslralum nec demonstrabile, quod conscientia christiana sensim ex aliis dérivant. — 40. Sacramenta ortum liabuerunt ex eo quod apostoli eorumque successorcs ideam alignante ! intentionem Christi, svadenlibus et movenlibus circumslanliis et eventibus, interprétait sunt. — 54. Dogmala, sacramenta, liierarc/iia, tum quod ad nolionem, tutti ifinnl ad realilatem attinel, non sunt nisi intelligent uv christianm inlerpretaliones evolulionesque quæ e.nguum germen in Evangelio latens externis incrementis auxerunt perfeceruntque. — La condamnation portée par l’encyclique Pascendi dans le paragraphe concernant le moderniste théologien n’est pas moins formelle. Après avoir longuement exposé le système moderniste sur l'évolution des dogmes opérée par le travail de la conscience individuelle ou collective, Pie X rappelle solennellement que celle doctrine, suivant laquelle il n’y a rien de stable, rien d’immuable dans l’Eglise, a déjà été condamnée précédemment par Pie IX dans l’encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1 8 46 et dans la proposition 5' du Syllabus, et par le concile du Vatican. Sess. III, c. iv.

B. En étudiant ce travail préparatoire des Pères et des théologiens, l’on doit se garder d’attacher une trop grande importance aux diversités accidentelles d’exposition ou de forme qui peuvent s’y rencontrer. a. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes peuvent provenir des différences du génie personnel ou de l'éducation antérieure ou des habitudes intellectuelles précédemment acquises. Ainsi l’exposition que Tertullien nous donne de l’argument de prescription, se ressent de sa forte éducation juridique. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 261. De môme, l’esprit synthétique de Clément d’Alexandrie devait naturellement le porter à imiter les habitudes des Juifs alexandrins et des philosophes grecs dans l’usage fréquent de l’allégorie. Voir t. iii, col. 140. Chez Augustin, l’amour profond avec lequel il se porte vers la vérité pour la saisir tout entière et la communiquer pleinement aux autres, fait qu’il envisage les dogmes moins en eux-mêmes et d’une façon spéculative, que dans leurs rapports avec l'àme et avec les grands devoirs de la vie chrétienne, comme le montre la manière habituelle dont le saint docteur expose les questions théologiques. Voir t. i, col. 2453 sq. On doit aussi observer que cette même passion pour la vérité, si caractéristique chez Augustin, le conduit parfois à des exagérations et à des erreurs, en fixant trop son attention sur un seul côté d’une question complexe. Chez saint Thomas et chez la plupart des scolastiques, si l’on ne trouve pas la même vie et le même élan, l’on rencontre, avec une critique plus rigoureuse, plus de justesse et de précision dans les termes.

b. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes proviennent aussi des milieux bien différents où les auteurs ont vécu. Ainsi dans la période patristique, l’on observe une différence caractéristique entre l’esprit romain ou africain d’un Ambroise ou d’un Cyprien porté surtout vers les questions pratiques et le génie grec d’un Origéne ou d’un Grégoire de Nysse s’arrêtant de préférence aux questions spéculatives. L’excellent ouvrage du P. de Régnon, Études de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1892, peut donner une juste idée des spéculations du génie grec dans la plus belle période de sa métaphysique théologique.

c. Ces divergences accidentelles dans l’exposition des dogmes résultent encore de l’inlluence de systèmes philosophiques, auxquels on emprunte des expressions ou des formules, pour exprimer des idées chrétiennes plutôt que pour représenter les concepts particuliers d’une école. C’est ce que l’on peut observer spécialement chez Clément d’Alexandrie et chez Origéne qui, en réalité, ne se rattachent à aucune école philosophique déterminée. Quant aux opinions platoniciennes de quelques Pères, notamment de saint Augustin, elles ne peuvent être considérées comme ayant eu une inlluence appréciable sur leurs idées théologiques. Ainsi saint Augustin, franchement néoplatonicien tantque sa philosophie concorde avec ses doctrines religieuses, n’hésite point, dans le cas contraire, à subordonner sa philosophie à sa foi. Quand il adapte quelques théories néoplatoniciennes à ses explications dogmatiques, en réalité il n’emprunte à cette philosophie que l’expression représentant avant tout, pour lui, la pensée chrétienne. D’ailleurs, ces doctrines empruntées à la philosophie néoplatonicienne, appartiennent en grand nombre à la véritable et saine philosophie de tous les temps. Voir t. i, col. 2325 sq. Les mêmes remarques doivent être proportionnellement appliquées à l’usage que les scolastiques ont fait de l’arislotélisme dans l’explication des dogmes. Voir Aristotélishe de la SCOLASTIQUE, t. i, col. 1875 sq.

d. Quelque notables que puissent paraître ces divergences accidentelles dans l’exposition ou l’explication des dogmes, on doit, au point de vue strictement dogmatique, y attacher très peu d’importance. Ce que l’on doit surtout rechercher et observer, c’est la pensée dont ces expressions ne sont que le vêtement extérieur, c’est le concept dogmatique qui est pour tous ces auteurs la première préoccupation. Et si l’on constate, comme cela se rencontre de fait le plus souvent, que, malgré tant de causes apparentes de doctrines divergentes, il y a vraiment identité substantielle, on devra conclure qu’un tel accord doctrinal, indépendamment de toute autre considération, crée par luimême une forte présomption en faveur des vérités sur lesquelles il se maintient avec une telle constance.

2. L’histoire atteste en même temps que le principal fadeur constitutif de ce progrès dogmatique fut toujours l’action du magistère infaillible de l'Église ; facteur constitutif non en ce sens qu’il crée le dogme, puisque celui-ci ne peut provenir que de la révélation divine explicite ou au inoins implicite ; mais en ce sens que l’Eglise détermine, avec une souveraine autorité, ce qui, dans le travail antérieur des Pères ou des théologiens, occasionné par quelque controverse avec les hérétiques ou entre théologiens catholiques, présente vraiment, dans toute sa pureté et dans toute son intégrité, le dogme révélé. Ce que le magistère ecclésiastique ne propose point comme tel, n’a point droit à être rangé parmi les dogmes catholiques, bien qu’il puisse appartenir indirectement au dépôt de la foi, quand l'Église aflirme son intime connexion avec l’enseignement divin. Il est vrai que ce que l'Église ne définit d’aucune manière, peut parfois apparaître au

jugement privé des théologiens comme certainement révélé ; et que, dans cette hypothèse, d’ailleurs difficilement réalisable, ces théologiens doivent y donner l’adhésion de la foi, mais cette vérité n’est point un dogme, parce que la proposition de l’Eglise fait défaut. En fait, ce qui n’est aucunement défini par l'Église ou qui n’est point ratifié par un consentement unanime des théologiens supposant une approbation tacite de l’autorité ecclésiastique, rentre habituellement dans le cadre des opinions librement discutées, du moins jusqu'à ce que sa connexion avec une vérité révélée ou même son appartenance implicite à la révélation divine, soit devenue manifeste au jugement des théologiens et surtout au jugement de l'Église.

A l’appui de ces conclusions historiques, il nous suffira de rappeler quelques-uns des faits précédemment cités : la définition de la consubstantialité du Verbe au premier concile de Nicée, sans que l’on eût' nécessairement approuvé toutes les positions prises par saint Atlianase et par les autres défenseurs de la foi catholique au cours de la discussion avec Arius ; la définition de la maternité divine de Marie et de l’unité de personne dans la dualité des natures en Jésus-Christ, aux conciles de Chalcédoine et d’Ephèse, sans que l’on eût, même implicite ment, approuvé ton tes les expressions ou affirmations de saint Cyrille d’Alexandrie, le principal champion de l’orthodoxie catholique ; les définitions ecclésiastiques portées contre Pelage et ses disciples et contre les semipélagiens aux ive et ve siècles, sans que l’on eût, par le fait même, approuvé toutes les assertions ou opinions de saint Augustin, le grand docteur de la grâce.

Nous sommes donc autorisés à conclure que le magistère infaillible de l'Église, statuant avec une souveraine autorité sur le travail préparatoire des théologiens, est le principal facteur constitutif du progrès dogmatique.

3. Enfin l’histoire témoigne que les définitions du magistère ecclésiastique ont, à leur tour, souvent occasionné un nouveau développement dogmatique, en fournissant aux recherches et aux discussions théologiques une base plus solide, en limitant le champ des controverses et en resserrant l’union des catholiques. Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 30b' sq. Ce développement dogmatique, d’abord effectué dans les écrits des théologiens, a parfois conduit, avec l’approbation de l'Église, à un progrès dans les définitions explicites du magistère ecclésiastique. Ainsi les déclarations du concile de Florence dans le décret Ad Armenos sur les sacrements fortifièrent le consentement des théologiens et préparèrent les définitions positives du concile de Trente. Nous rappellerons aussi particulièrement l’heureuse inlluence de beaucoup de décisions dogmatiques des conciles de Trente et du Vatican, écartant des opinions reconnues peu conformes à l’enseignement ecclésiastique, et réalisant même parfois, parmi les théologiens, un accord doctrinal bien apte à préparer des définitions subséquentes. Ainsi l’affirmation du concile de Trente déclarant qu’il n’avait aucune intention de comprendre, dans le décret sur le péché originel, la bienheureuse Vierge immaculée, mère de Dieu, et insistant sur la fidèle observance des constitutions apostoliques de Sixte IV sur cette matière, écarta les dernières oppositions et conduisit au consentement unanime qui prépara la définition portée par Pie IX. De même l’enseignement du concile de Trente sur l’inspiration des Ecritures, à propos de leur canon intégral défini dans la IVe session, statuant simplement que Dieu est l’auteur des écrits justement considérés comme saints et canoniques, fixa le consentement des théologiens du moins sur la substance de la notion de l’inspiration ; ce qui prépara la définition plus complète donnée par le concile du Vatican.

-Même quand le progrès théologique, réalisé à la suite des définitions ecclésiastiques, ne s'étendit point jusquelà, il fut néanmoins appréciable ; c’est ce que l’on peut facilement constater pour les controverses théologiques post-tridentines sur l’efficacité des sacrements, sur leur institution divine immédiate et sur l’intention requise dans le ministre du sacrement. Pourrat, La lliéologie sacramentaire, p. 166 sq., 356 sq.

Donc, en résumé, c’est uniquement l’approbation du magistère ecclésiastique qui réalise effectivement, suivant l’ordre établi par Jésus-Christ, le progrès dogmatique préparé par le travail des Pères et des théologiens sous la direction de l'Église.

/II. LOIS SELON LESQUELLES SE SONT ACCOMPLIS LES DÉVELOPPEMENTS DOGMATIQUES. — 1° Dans le domaine historique où les volontés humaines s’exercent librement au milieu de circonstances très diverses, bien aptes à influencer le cours des événements, il ne peut être question de lois proprement dites dirigeant, d’une manière antécédente et constamment uniforme, une succession de faits. Il s’agit uniquement d’une certaine analogie dans les résultats, pour un ensemble de circonstances au moins très semblables, où les mêmes causes, quand rien d’extraordinaire ne modifie leur jeu normal, produisent habituellement les mêmes effets. Au lieu de lois antécédentes au cours des événements, il y a seulement des déductions postérieurement faites par l’historien, qui étudie attentivement les faits déjà accomplis et qui groupe dans une synthèse régressive les résultats ayant entre eux et dans leurs causes une similitude marquée. Dans la mesure où ces déductions s’appliquent ainsi à un groupement de faits analogues, on peut, dans un sens très large, les désigner sous le nom de lois historiques, lois sans doute assez imprécises, mais dignes cependant de l’attention de l’historien, parce qu’elles sont le principal fruit pratique de la science historique, et ce qui lui assure, en majeure partie, le titre de science.

2° Les lois historiques des développements dogmatiques, au sens que nous venons de définir, concernent : 1. les diverses occasions ou causes de ces mêmes développements, telles que nous les avons précédemment exposées, c’est-à-dire les controverses dirigées contre les hérésies nouvelles et se différenciant les unes des autres par beaucoup de circonstances souvent très notables ; les discussions entre théologiens catholiques suides points encore non définis ; parfois une étude théologique plus approfondie, faite sans le stimulant d’aucune controverse avec les ennemis du dehors ni d’aucune discussion entre catholiques ; enfin la définition du magistère ecclésiastique proposant, avec son autorité infaillible, comme certainement contenue dans la révélation faite par Jésus-Christ, une vérité finalement mise en lumière par le travail préparatoire des Pères ou des théologiens.

Les remarques faites précédemment sur chacune de ces occasions ou causes du progrès dogmatique, permettant de conclure facilement en quel sens restreint elles sont régies par certaines lois, nous ne nous y arrêterons point davantage.

2. On doit aussi admettre, au moins dans un sens large, des lois concernant la nature intime des développements dogmatiques réellement accomplis au cours des siècles, lois logiquement déduites du plan divin tel qu’il se manifeste dans le fait de la révélation chrétienne et dans l’institution du magistère infaillible de l'Église. Nous exposerons bientôt ces lois comme couronnement de tout cet article, sous le litre de conclusions dogmatiques sur la nature du progrès dans la connaissance et dans la proposition des dogmes. Il nous suffit de les indiquer ici pour donner une idée d’ensemble de ce que l’on est convenu d’appeler les lois du progrès dogmatique ou des développements dogmatiques.

IV. INDICATIONS HISTORIQUES SUR LE CONCEPT THÉOLOGIQUE DU PROGRÈS DOGMATIQUE AUX DIVERSES PÉRIODES DE L’HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE. — l n période, des temps apostoliques jusqu’au XIIP siècle, caractérisée chez la plupart des Pères ou des auteurs ecclésiastiques par un concept simplement implicite du progrès dogmatique, et, seulement chez quelques rares auteurs, par un concept assez explicite. — 1. Le concept implicite, tel qu’il se rencontre le plus souvent à cette époque, résulte de deux assertions assez fréquentes et assez nettement formulées. La première assertion est que la révélation chrétienne confiée par JésusChrist à son Église doit être conservée intégralement jusqu'à la fin des temps, de telle sorte que toute doctrine nouvelle, par le fait qu’elle est nouvelle et qu’elle n’a aucun appui dans la tradition, est pour cela convaincue d’erreur. C’est en réalité toute la substance de l’argument de tradition que nous avons signalé précédemment et qui se rencontre si fréquemment chez les Pères des premiers siècles après saint Irénée, Tertullien et Origène. La deuxième assertion a Irait à la divine mission de l'Église d’enseigner aux fidèles de tous les temps la doctrine de Jésus-Christ et à la stricte obligation qui incombe à tous de se soumettre pleinement à l’autorité doctrinale de l'Église ; assertion d’ailleurs nettement confirmée par la pratique constante d’exclure de l'Église quiconque refuse d’adhérer à l’enseignement qu’elle donne comme révélé par Jésus-Christ. Or de ces deux assertions il résulte évidemment que l'Église doit, aillant que l’exige la réfutation de nouvelles erreurs, proposer des définitions nouvelles éclairant, expliquant ou défendant, dans la mesure nécessaire, l’enseignement révélé par Jésus-Christ ; et il est non moins requis que ces définitions nouvelles soient toujours appuyées sur la doctrine antérieurement crue et sur l’enseignement primitivement confié' par Jésus-Christ à la garde vigilante de son Église. Cette conclusion, que nous nous bornons à mettre ici en relief, était véritablement présente à la pensée des Pères du iv et du Ve siècle, comme le démontrent leurs fréquents appels à l’enseignement et à la pratique des premiers siècles, en même temps qu’ils donnent eux-mêmes une plus complète explication de la doctrine nouvellement attaquée. C’est ce que l’on peut particulièrement observer dans saint Alhanase, De decretis nicœnse synodi, n. 25 sq., P. G., t. xxv, col. 460 sq., et dans saint Hilaire, De Trinitate, l. II, n. 1 sq., P. L., t. x, col. 50 sq., relativement à la consubstantialité du Verbe divin, dans saint Augustin pour le dogme de la nécessité et de la gratuité de la grâce. De prxdestinatione sanctorum, n. 27, P. L., t. xi. iv, col. 980 ; De dono perseverantive, c. xx, n. 53, P. L., t. xi.i, col. 1026 ; De civitale Dei, l. XVI, c. n. n. 1, P. L., t. xi.i, col. 477.

2. Chez quelques Pères cependant le concept du progrès dogmatique se rencontre d’une manière explicite. Omettant le témoignage d’Origène qui ne paraît point assez formel, De princip., præf., n. 2 sq., P. ('<., t. xi, col. 116 sq., nous mentionnerons en premier lieu saint Grégoire de Nazianze. Oyat, theol., v, c. xxvisq., P. G., t. xxxvi, col. 161 sq. Après avoir observé que l’Ancien Testament prêche clairement le Père et indique obscurément le Fils, l'évéque de Nazianze reconnaît que le Nouveau Testament a clairement manifesté le Fils et seulement indiqué, -j^eSeïÇe, la divinité du Saint-Esprit, qui, à l'époque où l’orateur parlait, était très ouvertement enseignée. Car, ajoute-t-il, de même que, sous l’ancienne alliance, il n’eût point été prudent de prêcher ou vertement le Fils quand la divinité du Père n'était point encore reconnue, de même dans l'économie chrétienne, tant que la divinité du Fils n'était point pleinement admise, il convenait de ne point ajouter la doctrine du Saint-Esprit qui eût pu être alors, pour des intelligences encore faibles, une nourriture trop forte. Il convenait

que par des manifestations progressives la lumière de la Trinité brillât d’un éclat plus resplendissant. C’est pour cette raison que Jésus suit une marche progressive dans son divin enseignement ; c’est pour cela aussi que certaines vérités, que les apôtres ne pouvaient encore porter, leur furent manifestées postérieurement par le Saint-Esprit. Parmi ces vérités pleinement manifestées seulement à une époque relativement tardive, Grégoire signale la divinité du Saint-Esprit, col. 161 sq. Saint Vincent de Lérins (y 450) est encore plus explicite. Après avoir reproduit l’enseignement de saint Irénée, de Tertullien et d’Origène sur l’apostolicité et l’immutabilité des dogmes chrétiens, il se demande si une telle immutabilité ne s’oppose pas absolumentà tout progrès dogmatique. Il répond négativement, mais il exige que ce progrès ne soit pas un changement. Ce doit être un accroissement de chacun et de lous dans toute l'Église ; accroissement dans l’intelligence, dans la science et dans la sagesse et aussi dans la permanence du même dogme : Crescat igitur oportet et multuni veliementerque proficiat tam singulorum quant omnium, tam unius hominisquam totiusEcclesisc, œlatum ac sœculorum gradibus, intelligentia, scienlia, sapientia, sed in suo dnnta.cat génère, in eodeni scilicet dogntate, eodern settsu, eademque sententia. Commonitorium primum, c. xxiii, P. L., t. L, col. 668. Pour faire comprendre l’intime union de cette immutabilité et de ce progrès, le moine de Lérins se sert de deux comparaisons empruntées au développement du corps humain et à la germination de la plante. C’est vraiment le même corps humain qui persévère depuis l’enfance jusqu'à la vieillesse en passant par l’adolescence et l'âge mûr, bien qu’il y ait une notable différence dans sa forme et dans sa stature. Il y a identité non moins réelle entre la semence jetée dans le sol par l’agriculteur et la plante qu’il récolte, puisque le développement s’accomplit toujours selon la nature de chaque semence, bien qu’il y ait accroissement en tout ce qui constitue la nature et la forme particulière de la plante. De même, les dogmes, en se consolidant avec les années, en s’ampliliant avec le temps et en grandissant avec l'âge, gardent leur parfaite intégrité. Ils ne subissent aucun changement, ne perdent rien de ce qui leur est propre et ne sont l’objet d’aucune variation dans leur définition. Ils sont avec le temps soigneusement travaillés, limés, polis, mais non changés ni mutilés. Ils gagnent en évidence, lumière et distinction, mais ils gardent, en tout ce qui leur est propre, leur parfaite intégrité, col. 668 sq. Le rôle de l’Eglise dans la conservation et l’enseignement des dogmes révélés est aussi indiqué très nettement. L'Église, vigilante et prudente gardienne des dogmes qui lui ont été conliés, n’y change jamais rien, n’y diminue ou n’y ajoute rien, n’en retranche point le nécessaire ni n’ajoute de superlluités ; elle ne perd rien du sien, ni n’empiète sur ce qui estd’autrui, mais elle s’attache, par tout moyen, à polir avec soin ce qui a déjà été anciennement ébauché, à consolider et à affermir ce qui a déjà été exprimé et expliqué, à garder ce qui a été confirmé et défini. Enfin que s’est-elle jamais efforcée de procurer par les décrets de ces conciles, sinon de faire croire avec plus de soin ce qui auparavant était simplement cru, de faire prêcher avec plus d’instance ce qui auparavant était annoncé avec moins d’activité, de faire cultiver avec plus de sollicitude ce qui auparavant était pratiqué avec moins d’attention ? C’est tout ce que l’Eglise catholique, excitée par les nouveautés des hérétiques, a jamais accompli par les décrets de ses conciles, si ce n’est qu’elle prit soin de consigner par écrit l’antique tradition en renfermant beaucoup de doctrine dans de courtes formules et en marquant d’une appellation nouvelle et bien choisie un sens non nouveau dans les vérités de foi, col. 669.

Toute cette citation de Vincent de Lérins nous fait comprendre quel sens il attache lui-même aux deux comparaisons précédemment citées. Étendre ce sens au delà des limites positivement tracées par l’auteur lui-même et se réclamer cependant de son patronage, comme l’ont fait quelques auteurs récents, n’est point œuvre de bonne critique.

Malgré ce témoignage si formel du moine de Lérins, c’est le concept principalement implicite de saint Augustin qui, sur ce point comme sur beaucoup d’autres, se maintint chez les auteurs ecclésiastiques de toute cette période. Outre le prestige dont jouissaient alors toutes les doctrines soutenues par l'évêque d’Hippone, on doit ajouter le fait bien notable qu’aucune controverse n’attira sur ce point l’attention des théologiens.

2e période, depuis le xiie jusqu’au XVP siècle, caractérisée surtout par l’indication formelle d’un progrès dogmatique dans renonciation ou l’explication des dogmes chrétiens et par l’indication au moins implicite d’un progrès réel dans les concepts eux-mêmes. — 1. L’indication formelle d’un progrès dogmatique dans renonciation ou dans l’explication des dogmes chrétiens est nettement formulée au xiii p siècle par saint Thomas, en réponse aux objections des schismaliques grecs contre les définitions nouvellement portées par l’Eglise romaine. Après avoir enseigné qu’il appartient au pape de formuler les symboles de foi, le saint docteur se fait cette difficulté qu’un tel pouvoir ne peut exister sous le Nouveau Testament, parce que tout l’enseignement révélé y est définitivement fixé par la doctrine de Jésus et des apôtres. Il est vrai, répondil, que les vérités de foi sont suffisamment explicites dans la doctrine de Jésus-Christ et des apôtres ; mais parce que des hommes pervers corrompent cette doctrine pour leur propre perdition, ideo necessaria fuit temporibus procedentibus explicatio fidei contra insurgeâtes errores. Sum. theol., IL IL 1 ', q. i, a. 10, ad l, jm. Le saint docteur donne le même enseignement, H" II », q. i, a. 9, ad L 2 1 "", et I », q. xxix, a. 3. Ce qui est vrai, non seulement pour le passé, mais encore pour l’avenir, car le souverain pontife a ce pouvoir jusqu'à la consommation des siècles, et la même raison de défense et de préservation s’applique à toutes les époques où surgissent de nouvelles erreurs, a. 10.

En même temps, saint Thomas laisse assez clairement entendre qu’il y a aussi quelque progrès dans les concepts dogmatiques eux-mêmes. Nous citerons comme exemples ces deux assertions de l’angélique docteur que la procession du Saint-Esprit ex Filio, bien qu’elle ne se rencontre point textuellement dans l'Écriture, y est contenue quoad sensutn, Sum. theol., I a, q. XXXVI, a. 2, ad 1'"", et que la maternité divine de Marie se déduit nécessairement des paroles de l'Écriture, III a, q. xxxv, a. i-, ad 1°"> ; double vérité qui, au jugement de saint Thomas, ('tait cependant de foi puisqu’elle était définie comme telle par l'Église.

Cet enseignement de saint Thomas est communément reproduit par les théologiens scolastiques. Nous citerons particulièrement Durand de Saint-Pourçain, In IV Sent., l. III, dist. XXV, q. n. Venise, 1636, fol. 259 ; Gabriel Biel, In IV Sent., l. III, dist. XXV, a. 3, dub. ni, Bâle, 1512, sans pagination.

2. Au xve siècle, commence à se dessiner un concept plus explicite du progrès dogmatique dans les concepts eux-mêmes. La première indication de ce genre paraît avoir été fournie parle cardinal Turrecremata († 1468), dans sa Summa de Ecclesia. Il y donne comme vérité catholique non seulement celle qui provient immédiatement de la lumière de la révélation divine in propria verborum forma, mais encore celle qui provient médiatement par une déduction nécessaire, implicite bona et necessaria continenlia, comme cette vérité C/tristus habuil animam rativnalem. Dans cette

deuxième catégorie sont particulièrement rangées : a) sous le n.2, les vérités qui sont déduites du contenu scripturaire, continentia necessaria et formait, car elles ont la même certitude et elles sont aussi nécessaires à croire que les vérités dans lesquelles elles sont ainsi nécessairement contenues ; b) sous le n. 4, les vérités qui ont été définies par l'Église universelle en concile plénier comme appartenant à la foi de la religion chrétienne, bien qu’elles ne se rencontrent pas expressément dans les livres inspirés ; c) sous le n. 6, les vérités qui ont été positivement enseignées par les docteurs approuvés de l’Eglise universelle comme devant être obligatoirement crues, bien qu’elles ne se rencontrent point expressément dans le texte sacré ; il) les vérités qui découlent continentia necessaria et formali des vérités exprimées sous les n. 4 et 6, pour la raison précédemment indiquée. Summa de Ecclesia, l. IV, part. II, c. viii, Rome, 1589, sans pagination. Toute cette doctrine montre, ce nous semble, Turrecremata comme le premier théologien qui ait formulé, bien qu’un peu vaguement, l’idée d’un développement dogmatique, précédemment contenu d’une manière implicite dans une vérité déjà manifestée comme révélée.

.', ' période, tir/mis le XVIe jusqu’au XIXe siècle, caractérisée du moins chez un certain nombre de théologiens, surtout depuis le XVIIe siècle, par un concept plus marqué des développements dogmatiques antérieurement contenus dans les vérités déjà connues comme révélées.

Au xvie siècle, où l’attention est principalement dirigée vers les erreurs protestantes, où la souveraine préoccupation est de défendre contre elles l’immuable continuité des dogmes chrétiens à travers les siècles, la question du progrès dogmatique ne paraît pas avoir été l’objet d’un enseignement explicite. Cajetan († 1 53 i j le suppose comme fait historique constaté dans les définitions successives des conciles, In II a ™ II", q. I, a. 7, mais il n’en analyse point la nature. Il en est de même de Melchior Cano, De locis theologicis, l. II, c. vu ; l. IV, c. m.

A la fin du XVIe et au commencement du XVIIe siècle, pour expliquer les définitions nouvelles parfois portées par l'Église, on commence à esquisser un enseignement plus explicite sur les développements dogmatiques.

Grégoire de Valence († 1603), répondant à cette objection que l’infaillible magistère du pape impliquerail des définitions entièrement nouvelles, inconciliables avec l’immutabilité des dogmes chrétiens, se borne à répondre que, si aucune nouvelle vérité ne peut être définie circa noslrse religionis capila ut circa Deum, circa sacramenta, circa similia, rien n’empêche qu’en matière particulière et contingente comme la canonisation des saints, l’approbation des ordres religieux ou les faits dogmatiques, des propositions nouvelles soient définies : nihil autem obslat quominus de particularibus et contingentibus maleriis quales saut illsein nostro proposito, aliquid pérdefinitionem pontificis innotescere nobis de novo possil. Analusis fidei catholicse, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 318. Ilannez (f IGOi) va plus loin. Il pose ce principe général que L'Église jusqu’alors n’a rien proposé à croire ou n’a rien défini qui ne fût contenu dans les saintes Écritures, ou exprimé dans les traditions apostoliques, ou irtuellement contenu dans l’une ou l’autre, ita ut mile per evidenlem consequentiam

educeretur. lu II /2 «, q. i, a. 7, Venise, 1002, t. iii,

col. 75. Mais il se contente d’affirmer ce principe, sans essayer de déduire les nombreuses et importantes conclusions dogmatiques auxquelles il pouvait conduire.

Suarez | 1017) réunit et complète les deux explications de Grégoire de Valence et de lîannez. Avec Gré goire de Valence, il admet que la foi explicite des apôtres a été imparfaite seulement en des matières particulières et contingentes qui ont été manifestées postérieurement. De /ide théologien, disp. II, sect. VI, n. 18. Comme Ilannez, il affirme que les propositions explicitement enseignées à une époque postérieure étaient contenues d’une manière implicite dans la doctrine crue antécédemment ; ce qu’il montre particulièrement par l’exemple de la validité du baptême conféré par les hérétiques, validité' non définie explicitement par le pape saint Etienne dans la controverse avec saint Cyprien, et cependant enseignée postérieurement comme vérité de foi, n. 16. Toutefois, nous devons rappeler ici que Suarez ne reste point dans la vérité quand il admet que toute conclusion théologique, quelle qu’elle soit, par le fait qu’elle est explicitement approuvée par l’Eglise, est conséquemment une vérité de foi.

Sylvius (-[- 1619), tout en s’exprimant comme lîannez, marque plus nettement que lui la cause du caractère non explicite de tel dogme à une époque antécédente. Cette cause réside en ce que la connexion de ce dogme avec les vérités déjà connues comme révélées n'était pas suffisamment manifeste ou parce que sa provenance de l’Ecriture ou de la tradition n'était point clairement prouvée. In II"" ll> q. i, a. 7, Opéra, Anvers, 1697, t. iii, p. 16.

Le cardinal de Lugo (-[- 1660) s’attache à mieux concilier un certain progrès dogmatiqne dans les siècles chrétiens avec la foi entièrement explicite des apôtres. Admettant le fait indiscutable de la définition explicite de beaucoup de vérités antérieurement proposées d’une manière implicite, comme l’infusion des vertus surnaturelles dans l'âme du baptisé, la valeur du baptême convenablement administré parles hérétiques, la justification par une grâce résidante dans l'âme et beaucoup d’autres semblables assertions, il explique que toutes ces vérités, primitivement révélées et crues d’une manière explicite par les apôtres, avaient ensuite subi un tel obscurcissement que leur obligation au moins commune avait cessé, jusqu'à ce que, avec le secours de la définition de l’Eglise, l’obligation de croire explicitement fût de nouveau manifeste. De virtute fidei divinæ, disp. III, n. 69. Observons toutefois que Lugo. comme Suarez, s'écarte de la vérité quand il soutient que toutes les conclusions théologiques, même déduites d’une seule prémisse révélée, deviennent vérités de foi, dès lors qu’elles sont définies par l'Église. Disp. I, n. 273 sq.

Oossuet (f I701), dans son Histoire des variations, publiée en 1688, avait fortement insisté sur la persistante immutabilité de la doctrine catholique, si opposée aux incessantes variations des Eglises protestantes, Histoire des variations, Préface, n. 5, et I. XV, c. i sq. et ci. xxvi, Œuvres, Paris, 1836, t. vii, p. 273, 516, 669 ; et il en avait déduit la fausseté des doctrines protestantes, parce que les variations dans l’exposition de la foi ont toujours été regardées comme une marque de fausseté et d’inconséquence. Préface, n. 2, p. 272. A cette thèse le ministre protestant Jurieu opposa l’enseignement souvent défectueux ou imparfait desPèresdes premiers siècles, particulièrement sur la génération du Fils de Dieu et son inégalité avec le Père ; assertions qu’il essaya d’appuyer sur les remarques critiques du jésuite Denis Pétau dans sa préface à l'étude du dogme de la Trinité. De theologicis dogmatibus, Venise, 1757, t. il, p. 10. Dossuet, s’appuyant sur l’enseignement de saint Vincent de Lérins, maintint, sans concession aucune, la substantielle immutabilité des dogmes catholiques, en affirmant que la différence entre les Pères anli iiicéens et les théologiens du XVIIe siècle n’est que dans les expressions. Premier avertissement sur les lettres de M. Jurieu, c. îvsq., Œuvres, t. viii, p. 217 sq.

C’est en ce sens que l'évêque de Meaux explique particulièrement le texte de saint Augustin, De ciritate Dei, l. XVI, c. ii, n. 2, P. L., t. xli, col. 477, sur lequel Jurieu prétendait s’appuyer, texte où l'évêque d’Hippone ne parle point de vérités nouvellement découvertes, mais de vérités dans lesquelles on se confirme, auxquelles on se rend plus attentif pour les mettre dans un plus grand jour et les défendre avec plus de force ; ce qui suppose manifestement ces vérités déjà connues. Op. cit., c. xxvii, p. 230. En même temps Bossuet admet que les Pères qui ont parlé après les hérésies ariennes et pélagiennes ont parlé avec des expressions plus distinctes, plus justes et plus suivies. Défense de la tradition et des saints Pures, l. VI, c. n sq., p. 90 sq. L’immutabilité substantielle des dogmes n’empêche donc point un réel progrès dans leur énonciation. Quant au progrès dans les concepts dogmatiques eux-mêmes, Bossuet ne l’affirme nulle part d’une manière explicite, mais l’on peut, ce semble, le déduire d’un passage où il soutient qu’avant l’hérésie pélagienne la foi de l’Eglise sur le péché originel et sur la grâce était parfaite, à cause de la pratique universelle de baptiser les petits enfants pour la rémission des péchés et de la pratique constante de tous les fidèles de demander en leurs prières la grâce de Dieu comme un secours, non seulement pour bien faire, mais encore pour bien croire et bien prier. Premier avertissement sur les lettres de M. Jurieu, c. xxxiv, Œuvres, t. viii, p. 235. N’est-il pas évident que dans cette double pratique, si manifeste et si constante qu’elle fût, Bosquet ne pouvait voir qu’une affirmation implicite du dogme expressément défini à une époque postérieure '.'

Au XVIIIe siècle, les positions des tbéologiens catboliques restent à peu près les mêmes. Tandis que plusieurs comme Henno, Theologia dogmatica moralis et scholastica, Venise, 1717, t. i, p. 291, et Erassen, Scutus academicus, Borne, 1720, t. viii, p. 312 sq., se bornent à montrer le progrès de la révélation chrétienne sur les révélations"faites sous l’ancienne alliance, d’autres tbéologiens, particulièrement Billuart, Summa sancti Thomæ, Tract, de jide, diss. 1, a. 7, et (Jotti, Theologia scholastico-dogmatica, Venise, 1750, t. ii, p. '130, disent nettement que ce qui fut défini dans la suite des temps était implicitement contenu dans l’Ecriture et dans la tradition, sans que l’on eût précédemment pris connaissance de sa réelle appartenance à la révélation.

î '-période, depuis la première moitié du XIXe siècle jusqu'à l'époque actuelle, caractérisée surtout par l’intérêt tout spécial qu’excile cette question et par un perfectionnement réel de l’enseignement théologique sur ce point. L’occasion de cet intérêt spécial fut le développement très considérable donné à l’histoire des dogmes, soit par beaucoup d’auteurs protestants ou incroyants qui les premiers s’engagèrent dans cette voie, soit par des auteurs catboliques désireux de défendre leur foi ainsi menacée. Ce nouveau et considérable développement, donné à l’histoire des dogmes, suscita de nombreuses et graves difficultés, dont la solution ne pouvait être que dans une doctrine plus complète du développement des dogmes. Comme nous l’avons précédemment rappelé, de nombreux faits étaient évidemment prouvés, pour l’explication desquels un progrès accidentel dans la formule des dogmes ne pouvait suffire. Il était donc nécessaire de présenter une explication dogmatique qui, en tenant exactement compte de tous les faits historiquement prouvés, maintiendrait suffisamment la doctrine de l’Eglise sur le caractère définitif et immuable de, la révélation chrétienne confiée à la garde de l’Eglise.

1. Adam Mœhler († 1838) ne fit guère que poser la grave question des développements dogmatiques, dans

sa Symbolique ou exposition des contrariétés dogmatiques entre catholiques et protestants d’après leurs confessions de foi publiques. Exposant la doctrine catholique sur le développement de la parole évangélique, il affirmait la nécessité de quelque progrès au moins dans les expressions par lesquelles la vérité chrétienne doit être formulée au cours des siècles : « La doctrine de l'Église et la doctrine de l'Écriture sont une seule et même chose. Toutefois cette unité, cette identité ne concerne ni la lettre, ni la forme ; elle ne comprend que l’esprit et l’essence. Puisque la vérité chrétienne devait durer jusqu'à la fin du monde, il fallait de toute nécessité qu’elle parût successivement sous des expressions diverses, qu’elle revêtit, pourainsi dire, dans le cours des âges, un extérieur nouveau ; la nature de l’Eglise, non moins que le but de son établissement, réclamait impérieusement cette apparente transformation. » La symbolique, trad. Lâchât, Paris, 1852, t. ii, p. 53. Et un peu plus loin : « Lorsque l’Eglise définit la doctrine primitive contre les hérésies, il faut de toute nécessité qu’elle change l’expression apostolique contre une autre plus propre à repousser l’erreur qu’elle veut condamner. Montrant la vérité divine sous tous ses points de vue, les apôtres ne purent en conserver la forme première ; l'Église ne le peut pas davantage. Puisque l’hérésie se reproduit sous mille faces différentes, puisqu’elle revêt toutes les apparences, emprunte toutes les couleurs, l’Eglise aussi doit prendre diverses positions, elle doit se mettre en face de l’erreur pour opposer à ces nouveautés d’expressions une nouvelle terminologie. Qu’on examine le symbole de Nicée, par exemple, et l’on reconnaîtra ce que nous avançons. Ainsi la tradition transmet la vérité chrétienne à travers les siècles sous des dehors multiples, en la revêtant d’une forme toujours nouvelle, et pourquoi'.' parce que cette vérité est confiée à des hommes qui doivent tenir compte des temps et des circonstances. Et de même que les écrits des apùtres ont répandu plus de jour sur la parole du divin Maître, ainsi l’enseignement de l’Eglise met dans une nouvelle lumière la doctrinede l’Ecriture sainte, » p. 55 sq. Nous nous abstenons de citer le reste de ce passage, parce que l’auteur y parle explicitement du progrès théologique qu’il affirme avoir été très considérable depuis trois siècles en ce que tous les dogmes remis en question par Luther ont été commentés, discutés, placés dans un nouveau jour, assis sur des bases plus fermes et mieux circonscrites, p. 57. En résumé, le progrès dogmatique affirmé par Mœhler est restreint, explicitement du moins, à des formules ou à des expressions nouvelles.

2. Le cardinal Newman († 1891) doit être regardé comme le principal initiateur du développement donné à la question du progrès des dogmes, particulièrement dans son ouvrage : Kssay on the development of Christian doctrine, terminé en 184-5, immédiatement avant sa réception dans l’Eglise catholique et revisé par lui en 1878. Cet ouvrage mérite donc ici une étude particulière, d’autant plus que la doctrine du célèbre oratorien a été mal interprétée tout récemment, soit par d’imprudents amis désireux de trouver en Newman une recommandation en faveur d’idées peu sûres, soit par des théologiens modernistes ou modernisants qui cherchaient à se couvrir de son patronage.

Le but immédiat de VEssay n'était point d’exposer une théorie complète sur les développements dogmatiques, mais de rechercher si les développements existant dans l’Eglise catholique sont légitimes et autorisent à conclure logiquement en faveur de la divine vérité de l’Eglise catholique, ou s’ils sont, au contraire, des corruptions doctrinales comme le prétendent les protestants.

A. Le.vistence de ces développements est d’abord

établie par plusieurs arguments a priori et par des faits nombreux et indiscutables, o. Un premier argument a priori est appuyé sur des considérations multiples : l’analogie avec ce qui se reproduit constamment dans le monde physique et moral, Essai/ on the developmeni of Christian doctrine, 2 r édit. de 1878, réimprimée à Londres en 1906, p. 74 sq. ; la nécessité pour le catholicisme, qui est une religion universelle, de s’adapter à tous les pays et à tous les temps, p. 58 sq. ; et l’insuffisance des textes scripturaires pour diriger suffisamment les fidèles en beaucoup de points pratiquement nécessaires, p. 57 sq. — b. Un autre argument a priori montre la souveraine convenance d’une autorité doctrinale infaillible, qui puisse avec certitude écarter de ces développements doctrinaux toute corruption ou erreur doctrinale, p. 77 sq. En même temps sont solidement réfutées toutes les raisons antécédentes tendant à prouver l’inadmissibilité d’une telle autorité', p. 80 sq. — c. Il apparaît aussi très probable a priori que les développements doctrinaux, tels qu’ils existent dans le catholicisme, réalisent l’attente fondée à laquelle ont conduit les raisons précédemment exposées. Cette forte présomption résulte du mode de formation de ces développements, de la puissante cohésion qui les relie aux vérités principales et les unit indissolublement entre eux ; cohésion telle que l’on est strictement tenu d’accepter ou de rejeter le tout, sans pouvoir rien diminuer et sans pouvoir rien écarter, p. 92 sq. — d. Une autre présomption bien fondée résulte de l’impossibilité de rencontrer ailleurs ces développements que nous sommes en droit d’attendre, el cette autorité infaillible dont nous avons entrevu la très probable dispensalion providentielle. Dans les premiers siècles, les doctrines hérétiques ont été manifestement stériles et de courte durée et n’ont pu tenir contre le catholicisme. Au moyen âge, l’opposition des Grecs aux Latins fut purement négative. C’est encore ce qui se réalise aujourd’hui pour la foi du concile de Trente ; on ne lui oppose aucun système qui puisse soutenir la comparaison : critiques, objections et protestations se rencontrent en abondance, mais l’enseignement positif fait défaut : ou si l’on y a parfois recours, l’on ne peut se dégager d’une multitude de difficultés conduisant fatalement à l’entière omission pratique des dogmes, parce que l’entente mutuelle y est irréalisable, p. 95 sq. — e. Une dernière présomption est fournie par le consentement universel qui attribue aux développements doctrinaux du catholicisme l’appellation exclusive de catlioliijues et qui rend hommage à leur cohésion surhumaine, sinon divine ; cohésion dont on ne peut discuter la constatée permanence dans la suite des siècles, p. 76 sq. — I. Toutes ces graves présomptions contribuent à rendre très probable la légitimité de ces développements et par conséquent la divine vérité du catholicisme ; probabilité que Newman juge bien suffisante pour diriger la volonté en ces matières, p. 113 sq., selon le système qu’il formula plus tard dans sa Grammar of assent. Quant aux objections préjudicielles présentées contre cette conclusion, elles sont écartées par quelques judicieuses observations sur la non-valeur des preuves que l’on voudrait tirer de l’absence de documents ou de témoignages dans les premiers siècles, en faveur d’une doctrine d’ailleurs connue comme postérieurement approuvée pur l’autorité de l'Église, p. 115 sq.

Et si l’on répond que la difficulté n’est point seulement dans l’absence de témoignages dans les premiers siècles, mais dans la présence de témoignages adverses, l’auteur oppose cette grave assertion à laquelle il ii aura rien à modifier après sa conversion finale : Je concède qu’il y a des évéques contre des évoques dans l’histoire de l'Église, des Pères contre des Pères et

I des Pères en contradiction avec eux-mêmes, car de telles différences entre des écrivains individuels se I conciliant avec l’idée d’un développement doctrinal ou plutôt y étant comme impliquées, ne peuvent conséI quemment être contre elle une objection réelle. La seule j question essentielle est de savoir si l’organe attitré | de l’enseignement, c’est-à-dire l'Église elle-même, j agissant comme l’oracle du ciel par i’intermédiaire du pape ou d’un concile, a jamais contredit ses propres assertions. S’il en est ainsi, l’hypothèse que je défends est immédiatement détruite ; mais jusqu'à ce que j’aie d’un tel fait une certitude bien positive, je ne suis aucunement porté à admettre la réalisation d’une si grande improbabilité, p. 120 sq. — g. Ces présomptions antécédentes sont vérifiées par des faits indiscutables. Car l’histoire rapporte de nombreux exemples de doctrines nettement affirmées et pleinement développées dans les siècles postérieurs et qui, dès l’abord, avaient été admises d’une manière seulement implicite. Parmi ces exemples sont d’abord cités : le canon des livres du Nouveau Testament entièrement fixé aux iv et Ve siècles ; la doctrine sur le péché originel implicitement crue dans les premiers siècles et entièrement développée seulement à l'époque d’Augustin et de Pelage ; et la pratique de baptiser les enfants qui ne devint constante et universelle qu’après Chrysostome et Augustin, p. 123 sq. Puis d’autres exemples, comme la doctrine de l’incarnation et celle de la maternité divine mieux connues et manifestées après les conciles du iv et du Ve, et la primauté du pontife romain plus explicitement proclamée après le rv B siècle, p. 135 sq. B. Après avoir ainsi prouvé l’existence certaine de développements doctrinaux dans le catholicisme, Newman aborde le grave problème du discernement à établir entre des développements dogmatiques légitimes, apanage exclusif de la véritable Église de Jésus-Christ, et des corruptions doctrinales, indice indubitable de l’erreur. Dans ce but, il établit tout d’abord sept critères qu’il déduit avec raison de l’analogie entre la présenation ou la perversion d’une doctrine et la conservation ou la corruption d’un être organique. Nous indiquerons sommairement en quoi consiste chacun de ces critères et comment il s’applique aux développements doctrinaux constatés dans le catholicisme.

a. Le premier critère est le maintien persévérant de l’idée type du catholicisme, non seulement dans les conditions générales de son existence extérieur ! '. mais encore dans sa doctrine et dans sa vie cultuelle. Ces deux derniers points, bien qu’ils ne soient l’objet d’aucun développement dans le texte de l’ouvrage, occupent cependant une place réelle dans la pensée de l’auteur comme l’indique la note ajoutée, p. 322, à l'édition de 1878, note que l’on ne saurait négliger sans se méprendre considérablement sur la signiiication de ce premier critère.

La réalisation de ce premier critère dans l'Église catholique, pour ce qui concerne les conditions générales de l’existence extérieure du catholicisme, est prouvée par la parfaite analogie, si facile à constater, entre les traits extérieurs les plus saillants du catholicisme actuel et ceux du christianisme des premiers siècles, p. 207 sq. Pour ce qui concerne le maintien persévérant de l’idée type du christianisme dans sa doctrine et dans sa vie cultuelle, la note de la page 322 indique sa vérification dans l'Église catholique, en s’appuyant sur ce que le développement du dogme chrétien s’y est accompli selon l’analogie de la foi, au sens de ce passage cité de VApologia, p. 196 : « Les idées chrétiennes sur la très sainte Vierge ont été, pour ainsi dire, agrandies dans l'Église de Rome dans la suite des siècles ; mais il en fut de même de toutes les idées chrétiennes, comme celle de l’eucharistie, etc. » Cet agrandissement, selon la comparaison empruntée

à saint Vincent de Lérins, suppose évidemment, dans la pensée de Newman comme dans celle de l'écrivain du Ve siècle, le développement in eodem dogmatc.

b. Le second critère est la permanente et active continuité de principes bien définis et particuliers au christianisme, qui ont constamment guidé dans l'élaboration de ces développements, p. 324. Parmi ces principes, l’auteur en signale quatre qu’il désigne, selon sa terminologie particulière, sous les noms de principe du dogme, principe de la foi, principe de la théologie et principe de l’interprétation mystique de l'Écriture. Par principe du dogme, Newman entend la nature du dogme dans la religion établie par JésusChrist : c’est une vérité surnaturelle nécessairement exprimée en cette vie par cet organe imparfait qu’est le langage humain, mais une vérité que la révélation donne comme définie et immuable, p. 325. En fait, dans l'Église catholique, cette nature spéciale du dogme a toujours été pratiquement reconnue, tellement que ce fut toujours contre elle de la part de ces ennemis un prétexte à une accusation, d’ailleurs injuste, d’intolérance et de fanatisme, p. 31(5 sq. Le principe de la foi, corrélatif du précédent, consiste dans l’acceptation absolue de la parole divine, donnée avec un assentiment interne, contrairement aux données des sens et de la raison, à supposer du moins que de telles données existent, p. 325. La nécessité de ce principe dans la religion établie par Jésus-Christ résulte de l’existence même de la révélation et des obligations qu’elle impose. Quant à sa constante réalisation dans l'Église catholique, elle découle de la constante doctrine des Pères et des théologiens sur ces trois points : que la raison est impuissante à se guider elle-même, que l’on doit se soumettre pleinement à l’autorité de la révélation et que, pour recevoir la foi, il suffit de percevoir les motifs de crédibilité comme probables, p. 327 sq. Cette dernière assertion appartient au système particulier de Newman sur la nature de la foi, tel qu’il est exposé dans sa Grammar of asscnt. Le principe de la théologie consiste dans l’analyse scientifique de la vérité révélée, faite avec le but d’en déduire ce qui y est implicitement contenu, ou dans une systématisation complète et méthodique de toutes les déductions ainsi obtenues, p. 33(5. Ce principe doit se rencontrer dans la religion établie par Jésus-Christ, puisque l'Écriture qui nous enseigne le devoir de la foi, nous enseigne aussi distinctement cette recherche amoureuse de la vérité qui a toujours été la vie de l'École, p. 337. Quant à la constante application de ce principe dans l'Église catholique, elle est facilement démontrée par l’histoire de la théologie catholique depuis les premiers siècles jusqu'à l'époque contemporaine, p. 338. Le principe de l’interprétation mystique de l'Écriture consiste à déduire toute vérité de l'Écriture, mais en ne se confinant point dans une interprétation exclusivement ou même principalement littérale et en s’aidant de l’enseignement de la tradition. Newman prouve que ce principe doit se rencontrer dans la religion chrétienne, comme conséquence du rôle des Écritures et de celui du magistère ecclésiastique et, qu’en fait, son application dans l'Église catholique a été constante, p. 338 sq.

c. Le troisième critère est le pouvoir d’assimilation par lequel la religion catholique, tout en restant fermement établie dans les doctrines qu’elle a possédées dès le commencement, s’approprie ce qu’elle rencontre d’utile dans les opinions de ses défenseurs ou de ses docteurs et même dans les systèmes destinés à la combattre. Seule, la vraie religion possède une telle vitalité. En fait, cette vigoureuse vitalité s’est toujours affirmée dans la religion catholique, non seulement par des développements doctrinaux, mais encore par des développements dans la vie chrétienne, notamment dans les pratiques cultuelles et ascétiques, p. 355 sq.

DICT. HE THÉOL, CATHOL.

d. Le quatrième critère, qui est la conséquence logique, distingue les développements légitimes des corruptions doctrinales par l'étroite et nécessaire connexion de ces développements avec la doctrine possédée dès le commencement, p. 188 sq. Ce principe, particulièrement appliqué à tous les développements doctrinaux de l'Église catholique sur le pardon et l’expiation des fautes commises après le baptême, montre leur légitime origine et par conséquent leur vérité, p. 383 sq.

e. Le cinquième critère, la possession initiale de li-gitinies indices des développements futurs, est également en faveur de la religion catholique. Ce qui est démontré par l’exemple particulier des développements des siècles postérieurs, dans le culte des reliques, dans la pratique de la virginité, dans le culte des saints et des anges et dans la dévotion envers la très sainte Vierge. Développements dont les premiers siècles possèdent déjà des indices très fondés, p. 400 sq.

f. Le sixième critère, la tendance des développements postérieurs à conserver la doctrine antérieurement possédée, est encore bien réalisé dans les développements doctrinaux de la religion catholique. Ce que Newman démontre particulièrement par quelques exemples. Ainsi les développements relatifs au dogme de la trinité n’ont porté aucune atteinte au dogme antérieur de l’unité de Dieu, de même que les développements du culte catholique envers Marie, loin de diminuer les hommages rendus au créateur ou au Verbe incarné ou de troubler la pratique de la vie chrétienne, ont au contraire notablement profité à l’une et à l’autre cause, p. 419 sq.

g. Un septième critère différencie les développements légitimes des corruptions doctrinales. Tandis que la corruption est de courte durée si elle est violente, ou manque de force si elle se prolonge, le développement légitime suppose une constante vigueur. Celle constante vigueur s’affirme d’une manière continue dans l’histoire du catholicisme, p. 137 sq.

A. Conclusion. — a) De l'étude attentive des critères établis par Newman pour discerner les vrais développements dogmatiques, particulièrement du premier critère avec l’addition insérée en note à la page 322, ainsi que du second et du quatrième, et, en même temps, de tous les exemples de développements dogmatiques rapportés par l’auteur, on doit conclure qu’il admet toujours une identité substantielle entre le dogme primitif et son développement ultérieur, bien que la mesure précise de cette substantielle identité ne soit pas nettement indiquée. Kien donc n’autorise les fausses interprétations des auteurs modernistes ou modernisants qui voudraient appuyer sur le témoignage du grand écrivain leur fausse théorie de l'évolution substantielle des dogmes. Notons toutefois la réserve avec laquelle Newman s’exprime relativement à la connexion qui doit nécessairement régner entre la vérité primitivement révélée et ses légitimes développements dogmatiques : « Cependant, dit-il, comme les exemples qui viennent d'être cités nous le suggèrent, cette unité de type, toute caractéristique qu’elle est des développements légitimes, ne doit pas être poussée jusqu'à la négation de toute variation ou même de tout changement considérable dans la proportion et lés relations des divers aspects d’une même idée, » p. 173. En preuve de cette assertion, Newman cite beaucoup d’exemples empruntés au monde physique et à l’histoire profane ou ecclésiastique d’où il conclut : « D’une manière semblable, les idées peuvent rester quand leur expression est variée à l’indéfini ; et nous ne pouvons déterminer si un développement admis par l’Eglise est réellement tel ou non, sans quelque connaissance autre que l’expérience du simple fait de cette variation, » p. 176. — p) Aucune parole de Newman n’autorise à supposer que les apôtres n’ont possédé qu’une imparfaite con IV. - 52

naissance des développements dogmatiques ultérieurs. Il affirme même formellement le contraire dans ce passage : « Ainsi les saints apôtres connaissaient, sans l’usage de formules ou d’arguments, toutes les vérités relatives aux doctrines relevées de la théologie, que les controversistes ont ensuite pieusement et charitable ment réduites en formules et développées par l’argumentation, » p. 191 sq. — y) De l’exposé des sept critères nevvmaniens ainsi que du reste de l’ouvrage, on peut conclure en quel sens et dans quelle mesure l’illustre écrivain admet des lois relatives aux développements dogmatiques. — a. Ces lois, déduites de l’ouvrage plutôt que nettement formulées, concernent principalement la nature intime des développements dogmatiques, c’est-à-dire leur identité substantielle avec la vérité primitivement révélée, et leur indubitable provenance de cette même vérité, soit par une analyse formelle, intime et pénétrante du contenu de cette révélation, soit par une sorte de jugement implicite provenant d’une conviction intime, latente, graduellement formée et profondément enracinée dans l’intelligence, p. 189sq. La première loi, concernant l’identité substantielle avec la vérité primitivement révélée, a déjà été suffisamment mise en lumière. La deuxième loi, découlant logiquement de la première, résulte d’ailleurs très manifestement des quatre premiers critères, surtout du troisième et du quatrième. Envisagée sous son premier aspect, en tant qu’elle suppose une analyse formelle du contenu de la révélation, elle n’a rien de spécial et ne fait que reproduire l’enseignement unanime des théologiens. Sous son deuxième aspect, en tant qu’elle suppose une sorte de jugement implicite provenant d’une conviction latente, elle fait partie intégrante d’un système particulier exposé par Newman dans sa Grammarof assent et que nous rencontrerons à l’article Foi. fi. Quant aux lois sur les causes ou occasions des développements dogmatiques, telles qu’elles peuvent être déduites de l’ouvrage de Newman, elles ne présentent rien de particulier et sont à peu près identiques à celles que nous avons indiquées précédemment. Il n’est donc point nécessaire de nous y arrêter.

y. N’ayant point à traiter ici de l’acte de foi ni du jugement de crédibilité, nous n'émettrons, pour le moment, aucune appréciation sur les opinions de Newman qui paraissent avoisiner le fidéisme ou porter quelque atteinte à la doctrine traditionnelle sur le jugement de crédibilité. Nous y reviendrons à l’article Foi. Qu’il nous suffise, pour le moment, de signaler ce passage de YEssay que l’on ne peut approuver au moins sous cette forme où Newman pose ce principe qu’il appelle le principe de la suprématie de la foi : « Que nous devons commencer par croire ; que les raisons de croire sont pour la plupart implicites et qu’il est seulement nécessaire qu’elles soient faiblement reconnues par l’intelligence qui est sous leur influence ; qu’elles consistent plutôt en présomptions et en essais pour entendre la vérité qu’en preuves précises et complètes ; et que des arguments probables, avec le contrôle et la sanction d’un jugement prudent, sont suffisants pour des conclusions que nous embrassons même comme très certaines et que nous appliquons aux usages les plus importants, » p. 327.

Quant au discours prononcé par Newman à Oxford le 2 février 1843 sur la théorie des développements dans la doctrine religieuse, il contenait déjà en germe renseignement de YEssay de 1845. Le professeur d’Oxford y montre que les développements doctrinaux ultérieurs ne sont que la manifestation ou l’expression (fi jugements implicites antérieurement existants dans la conscience chrétienne ou dans l’esprit de l'Église. Ces jugements implicites, loin d'être entendus au sens subjectiviste, supposent le fait extérieur de la révélalion sur lequel l’esprit travaille et réfléchit pour en

saisir, par une attentive analyse, tout le concept. Fifteen sermons preached before Ihe university of Oxford, 3e édit. de 1871, réimprimée en 1906 à Londres, p. 320, 323, 329. La principale différence doctrinale avec l’ouvrage de 181ô est que l’orateur de 18't3 insiste très longuement sur ce que l’intelligence ne peut jamais posséder qu’une idée imparfaite de la vérité révélée et que nos expressions n’ont jamais avec elle une réelle équivalence, p. 325 sq. D’où cette conclusion : les dogmes catholiques sont finalement des symboles d’un fait divin qui, loin d'être équivalemment exprimé par les propositions qui le manifestent, ne serait pas épuisé ni traité à fond avec un millier, p. 332. Conclusion qui, malgré l’abus qu’on pourrait en faire, ne suppose pas nécessairement le relativisme dans les dogmes, et qui, en toute hypothèse, paraît avoir été postérieurement abandonnée par l’auteur, car elle est omise dans l'écrit de 1815, que l’on est autorisé à considérer comme rellétant la véritable pensée de l’auteur, parce qu’il fut le fruit d’un travail plus réfléchi et plus mûr. 3. Position prise par les théologiens catholiques après Mwhler et Newman. -- C’est la même position qui avait été communément prise par les théologiens depuis plusieurs siècles, après Turrecrernata, Bannez, Suarez et de Lugo ; mais cette position est mieux précisée et plus solidement appuyée : A. On étudie avec plus de soin les faits relevant de l’histoire des dogmes et l’on se préoccupe davantage de mettre les explications doctrinales en accord avec les faits. Par une étude attentive des faits, on démontre qu’il y a eu progrès accidentel, non seulement dansla formule des dogmes, mais encore dans les concepts eux-mêmes, par le passage de l’implicite à l’explicite. Toutefois dans l’appréciation des faits, quelques divergences se manifestent. Tandis que quelques auteurs s’en tiennent plus strictement à la lettre des documents positifs et se refusent à admettre pour les siècles antérieurs ce qui n’est point ainsi démontré, d’autres n’accordant point de valeur démonstrative au simple silence des documents et s’appuyant davantage sur la tradition, surtout quand elle est constante et universelle à une époque assez rapprochée de l'âge apostolique, admettent plus facilement une pratique antérieure avec la foi implicite qui en dut être l’accompagnement, quand même les documents actuellement existants ne fourniraient point de preuve positive vraiment décisive. Comme exemple bien saillant, il nous suffira de rappeler les discussions récentes sur la pratique de la confession auriculaire dans les premiers siècles de l'Église.

B. Les théologiens catholiques n’hésitent plus à employer les expressions de progrès et d'évolution dogmatique ; mais ils en précisent nettement la signification. Ils excluent toute idée d’une évolution substantielle, supposant dans les concepts et les formules d’aujourd’hui un sens réellement différent de celui qui fut compris par l’Eglise primitive. Ils admettent un progrès simplement accidentel, supposant toujours l’identité substantielle du dogme, selon l’enseignement de saint Vincent de Lérins. Distinction est également faite entre l'évolution du dogme et celle de la théologie. La première s’applique seulement aux propositions définies ou susceptibles de l'être et présentées par l'Église comme primitivement révélées au moins d’une manière implicite. La seconde s’applique à toutes les conclusions que le raisonnement théologique, au cours des siècles, déduit effectivement des vérités révélées, que ces conclusions soient ou non approuvées ultérieurement par l'Église. La sphère où se meuvent l’une et l’autre évolution est donc bien différente. Aussi les théologiens sont-ils désormais à peu près unanimes, comme nous l’avons noté précédemment, à écarter l’opinion de Suarezet de Lugo qui rangeaient les conclusions théologiques parmi les dogmes, dès lors qu’elles sont

approuvées par le magistère infaillible de 1 Église.

c) Enfin l’on s’efforce de déterminer avec plus de précision ce qui, dans des développements dogmatiques, doit être considéré comme implicitement révélé, soit en s’appuyant sur le concept de la révélation et sur le minimum strictement requis pour sa réalisation, soit en s'éclairant des définitions de l'Église présentant certains développements dogmatiques comme révélés. Bellamy, La théologie catholique au xixe siècle, Paris, 1904, p. 128 sq. ; Vacant, Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 282 sq. ; Franzelin, Tractatus de divina traditione et Scriptura, 4e édit., Rome, 1896, p. 257 sq. ; de Groot, Summa apologelica de Ecclesia catholica, 2 édit., Ratishonne. 1892, p. 332 sq. ; Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 253 sq. ; Bainvel, De magisterio vivo et traditione, p. liO sq. ; Fei, De evangeliorum inspiratio)æ, de dogmatis evolulione, de arcani disciplina, Paris, 1906, p. 59 sq. ; Hugon, Réponses théologiques à quelques questions d’actualité, Paris, 1908, p. 153 sq. ; Kirchenlexikon, 2'édit., 1881, t. iii, col. 1910_sq.

4. Erreurs réprouvées par l’autorité de l’Eglise. — Pendant que les théologiens catholiques cherchaient dans la doctrine traditionnelle un moyen de concilier un progrès dogmatique accidentel avec l’immutabilité substantielle de la foi, quelques esprits aventureux poursuivirent la solution du même problème dans des systèmes qui furent bientôt condamnés par le magistère ecclésiasliqne.

A. La première erreur fut celle de Giinther (y 1863). Partant de ce principe que la raison humaine est capable de comprendre toutes les vérités révélées, il soutint qu’avec le progrès des sciences humaines et de la philosophie, cette intelligence des vérités révélées doit aller sans cesse en se perfectionnant. Les définitions dogmatiques, portées par l'Église à une époque donnée, représentent simplement l’intelligence du dogme telle qu’elle est possédée à ce moment. Les définitions de l’avenir, grâce au progrès incessant de la philosophie et des sciences humaines, contiendront, sous de nouvelles formules, un sens entièrement nouveau provenant d’une intelligence plus profonde des vérités chrétiennes. Les écrits de Giinther soutenant ces erreurs et d’autres, dont nous n’avons point à nous occuper ici, furent censurés par l’Index le 8 janvier 1857. Pie IX, dans un bref adressé à l’archevêque de Cologne le 15 juin de la même année, signale, parmi les erreurs qui doivent être réprouvées dans Giinther, celles qui attaquent la perpétuelle immutabilité de la foi. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1656. Réprobation renouvelée par Pie IX contre cette proposition du Syllabus : Divina revelatio est imperfecla et ideirco subjecta conlinuo et indeftnito progressui qui humanse rationis progressioni respondeat, n. 1705. Enfin le concile du Vatican prononça contre cette erreur une condamnation plus solennelle en frappant d’anathèrne quiconque soutient que les dogmes proposés par l'Église peuvent, avec le progrès de la science, recevoir un sens autre que celui que l’Eglise a compris ou comprend jusque maintenant. Sess. III, c. IV, et can. 3, De fide et ralione.

B. L'évolution substantielle des dogmes fut soutenue sous une forme non moins condamnable par M. Loisy et par l'école dite moderniste, déduisant primitivement tout dogme.de l’expérience religieuse individuelle. Suivant M. Loisy, la révélation étant simplement la conscience acquise par l’homme de son rapport avec Bieu, et la foi n'étant que la perception consciente du rapport entre l’homme et Dieu, les dogmes procèdent primitivement du travail de la pensée chrétienne individuelle et commune ; travail toujours déterminé par l’effort spontané de la foi pour se définir elle-même et par les exigences naturelles de la propagande ; tra vail déterminé aussi par les conditions perpétuellement changeantes du milieu intellectuel. A. Loisy, L’Evangile et l'Église, Paris, 1902, p. 138 sq., 162 sq. Toute vérité étant en nous quelque chose de nécessairement conditionné et relatif, les dogmes chrétiens possèdent également une relativité métaphysique et historique : une relativité métaphysique, parce qu’ils sont une représentation inférieure à leur objet, une relativité historique, parce que l’intelligence croyante travaille incessamment pour s’approprier cette représentation défectueuse et l’adapter aux conditions nouvelles de la pensée humaine. Autour d’un petit livre, 2e édit., Paris, 1903, p. 191, 204 sq. ; L'Évangile et l'Église, p. 164. Les décisions de l’autorité ecclésiastique ne font que sanctionner et consacrer le mouvement de la pensée et de la piété communes. L’Evangile et l'Église, p. 125. La formule ecclésiastique n’est pas vraie absolument, puisqu’elle ne définit pas la pleine réalité de l’objet qu’elle représente : elle n’en est pas moins le symbole d’une vérité absolue ; jusqu'à ce que l'Église juge à propos de la modifier en l’expliquant, elle est la meilleure et la plus sûre expression de la vérité dont il s’agit. Autour d’un petit livre, p. 206 sq.

Le système préconisé par M. Edouard Le Rcy avant le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi, n’est guère différent de celui que nous venons d’exposer. Rappelons simplement ce passage de l’article : Qu’est-ce qu’un dogme ? « On voit en outre comment les dogmes sont immuables et comment néanmoins il y a une évolution des dogmes. Ce qui est invariant dans un dogme, c’est l’orientation qu’il donne à notre activité pratique, c’est la direction suivant laquelle il infléchit notre conduite. Mais les théories explicatives, les représentations intellectuelles changent incessamment au cours des

; 'iges suivant les individus et les époques, livrées à toutes

les fluctuations et à toutes les relativités que manifeste l’histoire de l’esprit humain. Les chrétiens des premiers siècles ne professaient point sur la nature et la personne de Jésus les mêmes opinions que nous et ils ne se posaient point les mêmes problèmes : l’ignorant d’aujourd’hui n’a point sur ces hauts et difficiles sujets les mêmes idées que le philosophe ni les mêmes préoccupations intellectuelles ; mais, ignorants ou philosophes, hommes du premier ou du xxe siècle, tous les catholiques ont toujours effet toujours auront la même attitude pratique en face de Jésus. » Dogme et critique, Paris, 1907, p. 31. Voir dans le même ouvrage, p. 275, 281 sq.

Quant aux théories émises par les écrivains modernistes, il nous suffira de rappeler l’exposé qu’en donne l’encyclique Pascendi. — a) Le principe général des modernistes est que, dans une religion vivante, il n’est rien qui ne soit variable, rien qui ne doive varier. Dogme, Église, culte, livres saints, foi même, tout est tributaire des lois de l'évolution. — b) La foi prenant primitivement naissance dans la nature même et dans la vie de l’homme, le progrès de cette foi se fait aussi par la pénétration croissante du sentiment religieux dans la conscience et non par l’adjonction de formes nouvelles venues du dehors. — c) Le progrès de la foi, tout en se faisant par la pénétration croissante du sentiment religieux dans la conscience, est puisamment aidé par l’action de certains hommes extraordinaires que nous appelons prophètes et dont le plus illustre a été Jésus-Christ. Ces hommes extraordinaires concourent au progrès de la foi, soit parce qu’ils offrent, dans leur vie et dans leurs discours, quelque chose de mystérieux dont la foi s’empare et qu’elle finit par attribuer à la divinité, soit parce qu’ils sont favorisés d’expériences originales en harmonie avec les besoins des temps oii ils vivent. Ce quelque chose de divin que la foi reconnaissait en Jésus-Christ, elle l’a élevé et élargi peu à peu et par degrés jusqu'à ce que de lui elle ait

finalement fait un Dieu. — e) Le progrés dans la foi est encore stimulé par le besoin de s’adapter aux coutumes et traditions populaires et par la nécessité de s’harmoniser avec les formes existantes des sociétés civiles. — e) A côté de cette force progressive qui répond aux besoins et aux contingences de la vie et qui fermente dans les consciences individuelles, dans celles surtout qui sont en contact plus intime avec la vie, c’est-à-dire dans celles des laïques, il y a aussi dans l'Église une force conservatrice, provenant de la tradition que représente l’autorité religieuse et planant audessus des contingences de la vie avec la mission de modérer la tendance incessante vers le progrès. C’est par un accord entre ces deux forces, c’est-à-dire entre l’autorité et les consciences individuelles, que les changements et les progrès se réalisent. Les consciences individuelles, ou au moins quelques-unes, agissent sur la conscience collective, et la conscience collective agit sur ceux qui ont l’autorité en les contraignant à conclure quelque accord et à y rester lidèles. Tout ce système dont les principes avaient déjà été condamnés par Pie IX dans l’encyclique Qui plnribus du 9 novembre 1846 et dans la 5e proposition du Syllnbus, et par le concile du Vatican, sess. III, c. IV, est forinelllement réprouvé par Pie X. Notons aussi la réprobation dont le décret Lamentabili frappe l'évolution des dogmes au sens moderniste, notamment dans les propositions 39, 40, 42, 14, 46, 49-51, 53, 54, 59, 62, 61, 65.

L’histoire ecclésiastique des siècles passés nous est un su l' garant que ces condamnations récemment portées par l'Église, en écartant les erreurs principales en cette grave matière, aideront puissamment au véritable perfectionnement et progrès de l’enseignement théologique.

V. CONCLUSIONS HISTORIQUES ET DOGMATIQUES SUR

LA NATURE de ce progrès DOGMATIQUE. — Les documents ecclésiastiques et théologiques que nous avons signalés et les indications historiques que nous avons rapportées, nous autorisent à déduire les conclusions suivantes que nous formulons brièvement :

i" conclusion. — Aucun document ou fait historique n’exige le recours à l’hypothèse, d’ailleurs dogmatiquement erronée, d’une évolution substantielle des dogmes chrétiens. — 1. Les documents ecclésiastiques, précédemment rappelés, témoignent tous du souci constant du magistère ecclésiastique de garder dans toute son j ri té le dépôt de la foi conlié à ses soins vigilants. La teneur des définitions nouvelles implique toujours qu’il s’agit uniquement de nouvelles expressions, dévoilant ou réprouvant plus nettement une erreur naissante, ou d’une il jlaration plus explicite d’une doctrine implicitement crue auparavant. C’est ce que les documents ecclé. « '. ; stiques indiquent particulièrement pour les deux dogmes récemment définis de l’immaculée conception et de 1 infaillibilité pontificale.

La bulle Ineffabilis JJeus du 8 décembre 1851, en définissant nie de l’immaculée conception,

déclare que l'Église, vigilante gardienne des dogmes oui lui ont.'-té confiés, n’y change jamais rien, n’y diminue ou n’y ajoute rien : Chris ti enim Ecclesia sedula depositorum apud se dogmalum cristos et vindex, niltil in his unquam permutât, nihil minuit, nihil addit, si’d oiitni industriel vêlera fideliter sapientergue tractando, si qua antiquitus informata sunt et Patrum /ides sévit, ita limare exLolire studet, ut prisca illa cselestis doctrines dogmata accipiant evidenliam, lucem, distinctionem, sed relineanl pleniludinem, inlegritalem, prt>priclalem, ac in suo tantum génère crescant, in codent scilicel dogmate, eodem sensu, eademque sententia.

De même, le concile du Vatican, après avoir proclamé le dogme de l’infaillibilité pontificale et montré ses traces constantes dans toute l’histoire de l'Église, déclare que le Saint-Esprit a été promis aux successeurs

de Pierre, non ut eo révélante novam doclrinam patefæerent, sed ut eo assis tente trad.lam per apostolos revelationem seu /idei depositum sancte cuslodirent et fideliter exponerent. Sess. IV, c. iv.

2. Parmi les témoignages patristiques et théologiques antérieurs au xixe siècle, aucun ne peut être invoqué en faveur d’une évolution substantielle des dogmes chrétiens. C’est ce que nous avons précédemment noté pour saint Vincent de Lérins, en faisant voir que l’on ne pourrait, sans injustice, interpréter en ce sens ses deux comparaisons empruntées à l'évolution du corps humain et à la germination de la semence jetée en terre, quand tout le contexte affirme si nettement l’immutabilité substantielle des dogmes chrétiens. Nous croyons aussi avoir suffisamment prouvé qu’il serait non moins injuste de vouloir ranger Newman parmi lés défenseurs d’une évolution substantielle des dogmes.

3. On ne peut citer aucune preuve critique exigeant strictement une évolution substantielle des dogmes. Que l’on veuille bien remarquer le caractère purement négatif de notre assertion. Nous ne demandons point à la critique de prouver par des arguments historiques nos propositions dogmatiques. Nous exigeons seulement qu’elle ne les contredise en rien, et qu’elle considère comme scientifiquement inexact ce qui est certainement en désaccord avec un dogme certain, selon la définition du concile du Vatican. Sess. III, c. IV. Dans le cas particulier, nous mettons simplement la critique historique au défi d’apporter une preuve scientifiquement acceptable en faveur d’une évolution substantielle des dogmes. Nous devons nous borner ici à cette affirmation générale, en laissant aux articles particuliers sur les divers dogmes le soin de réfuter les allégations critiques que l’on essaie de nous opposer.

2e conclusion. — Aucun document historique ne démontre l’influence décisive d’un système philosophique quelconque dans l'élaboration et l’acceptation finale de nouvelles définitions dogmatiques d’une vérité révélée. — a) Les documents ecclésiastiques déjà signalés s’appuient uniquement sur l’Ecriture et la tradition comme sources du dogme révélé ; c’est ce qu’enseignent formellement le concile de Trente, sess. IV, Decrelum de canonicis Scripturis, Pie IX dans son encyclique Qui pluribus du 9 novembre 1846, DenLinger, Enchiridion, n. 1636 sq., et le concile du Vatican, sess. III, c. iv ; sess. IV, c. iv. La même doctrine a été habituellement affirmée par les Pères et par les théologiens, qui ont souvent déclaré, notamment dans les textes précédemment cités, qu’ils employaient les preuves de raison, non pour prouver les vérités de foi qui reposent uniquement sur l’autorité divine, mais seulement pour réfuter les objections adverses ou pour montrer la haute convenance de l’enseignement divin. C’est particulièrement ce qu’affirme saint Thomas, Sum. theol., I q. i, a. 8 ; Cont. gent., l. I, c. vii, ix, dont la doctrine sur ce point est suivie par tous les théologiens subséquents.

b) Quant aux expressions philosophiques employées dans les documents ecclésiastiques, nous avons suffisamment démontré qu’on n’a point le droit de les interpréter dans le sens particulariste d’une école ou d’un système, et qu’on est tenu de leur attribuer uniquement le sens déterminé par les circonstances et par le contexte. C’est ainsi que la définition du concile de Vienne, statuant que l'âme rationnelle est la forme du corps humain per se et essenlialiler, ne doit pas être Strictement entendue au sens de l'école thomiste, comme l’atteste d’ailleurs une lettre écrite par l’ordre de Pie I X le 5 juin 1877 à M « r Hautcœur, recteur de l’université catholique de Lille. Vacant, Eludes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. 1, p. 255 sq. Si quelques Pères ou quelques théologiens ont parfois dépassé cette sage mesure, nous sommes avertis qu’en

cela ils engagent leur seule autorité privée, la doctrine de l'Église ne dépendant d’aucune interprétation particulière, mais uniquement des définitions ou déclarations du magistère public.

3e conclusion. — Les documents historiques, en nous faisant connaître les occasions les plus habituelles et les facteurs les plus ordinaires des développements dogmatiques, ne nous autorisent point à établir de loi universelle présidant à l'élaboration préparatoire ou à l’acceptation définitive de ces mêmes développements. L'établissement de telles lois est empêché par la multiple diversité de circonstances spéciales dont l’inlluence échappe à toute détermination précise : nature particulière du dogme à définir, talent des défenseurs de la vérité catholique ou de ses opposants, manière de poser et de conduire la controverse, attitude immédiatement approbative ou d’abord expectante ou simplement laudative de l'Église : besoins plus ou moins urgents des fidèles, enfin progrès plus ou moins considérables de l’erreur ou de l’hérésie naissante. Donc en même temps que l’on étudiera attentivement l’histoire particulière du développement de chaque dogme, l’on se gardera soigneusement de toute généralisation trop hâtée ou insuffisamment motivée sur l’ensemble de l’histoire des dogmes, généralisation qui serait le plus souvent déduite d’idées ou de systèmes préconçus.

conclusion.

Au point de vue théologique, le progrès, réalisé dans les dogmes par les nouvelles définitions ecclésiastiques, s’explique, suivant les cas particuliers, ou par un simple perfectionnement des formules ou expressions théologiques, ou par un développement explicatif du concept révélé.

Le premier cas ne peut présenter aucune difficulté au point de vue du fait de la révélation divine, puisque le sens exprimé par la définition nouvelle est toujours substantiellement équivalent au sens précédemment proposé. Jusqu’au XVe ou au XVIe siècle, les théologiens suivant l’exemple des Pères ne donnèrent, explicitement du moins, que cette seule explication des définitions nouvellement portées par l'Église. C’est celle que donne expressément saint Thomas, Sum. theol., II a II-', q. i, a. 9, ad 2um ; a. 10, ad l" ra, bien qu’il paraisse ne pas ignorer le cas du perfectionnement du concept lui-même par le passage de l’implicite à l’explicite, comme nous l’avons indiqué précédemment.

Dans le second cas, l’appartenance à la révélation, quoique moins manifeste surtout au premier aspect, est cependant très réelle, parce que le développement nouvellement défini est en réalité une partie intégrante du concept primitivement révélé, non en vertu d’un raisonnement théologique toujours incapable de conduire à une vérité effectivement révélée, comme nous l’avons prouvé au début de cet article, mais en vertu d’une simple analyse montrant l'étendue intégrale du concept révélé, et dans ce concept intégral, le développement dogmatique lui-même. Rappelons toute fois que cette manifestation de la vérité révélée, peut parfois se produire lentement et tardivement, parce que l’attention des théologiens n’est aucunement attirée sur ce point et que d’ailleurs la pratique alors existante dans l'Église est considérée comme pleinement suffisante pour les besoins des fidèles, parfois aussi parce que des difficultés encore non résolues empêchent pendant quelque temps les théologiens d’apercevoir une connexion pourtant très intime et très évidente avec la vérité révélée.

Cette doctrine du progrès dogmatique par le passage de l’implicite à l’explicite, indiquée d’une manière assez vague par Turrecremata au xve siècle, signalée nettement par Bannez à la fin du xvie siècle, exposée plus complètement par Suarez et de Lugo malgré quelques erreurs accidentelles sur l’objet de la foi, et assez communément suivie par les théologiens du

xvii « au xixe siècle, fut à peu près unanimement adoptée parles auteurs catholiques du xixe siècle, mais avec quelques divergences assez notables, relatives à la manière de l’entendre et surtout à la mesure à garder dans son application. Sur ces divergences déjà mentionnées, nous proposons les remarques suivantes :

1. Cette explicitation des dogmes, bien qu’elle se produise parfois par le développement d’une vérité révélée d’une manière simplement implicite, se produit le plus souvent par le développement d’une vérité révélée explicitement au moins à quelque degré minimum. La différence entre les deux cas, bien qu’elle ne soit pas toujours bien considérable pratiquement, est, en principe, bien réelle. Dans le premier cas, la vérité n’est point révélée dans son concept particulier, mais seulement dans une autre vérité qui, sans elle, ne pourrait avoir son concept intégral, comme l’immaculée conception de Marie relativement à sa divine maternité. Dans le second cas, le concept caractéristique de la vérité divinement révélée est manifesté au moins d’une manière partielle sous son aspect particulier. Le reste du concept, laissé pour un temps dans une sorte de pénombre, attend, pour être mis en pleine lumière, une occasion providentielle qui, attirant sur les développements dogmatiques ultérieurs, l’attention des docteurs ou des théologiens, suscite quelque nouvelle déclaration explicite du magistère ecclésiastique manifestant plus distinctement, plus clairement et plus complètement tout ce que comporte la révélation primitivement faite. Comme exemples de vérité ainsi révélées nous citerons particulièrement : a) La rédemption chrétienne, d’abord manifestée principalement sous le concept de délivrance de la servitude du péché et de réconciliation avec Dieu, comprenant en même temps quelque indication de l’expiation accomplie pour nous par le rédempteur, indication beaucoup mieux précisée et développée par saint Anselme et les théologiens scolastiques, préparant la définition explicite du concile de Trente sur la satisfaction offerte pour nous par Jésus-Christ. — b) La transsubstantiation résultant évidemment, dès l’origine, du langage scripturaire et des expressions constamment usitées dans les documents traditionnels, et manifestée, sous son concept entièrement explicite, seulement à une époque plus tardive, surtout à partir du XIe siècle après l’erreur de Bérenger. — c) Plusieurs vérités postérieurement définies par l'Église sur la nature et l’efficacité des sacrements, sur l’existence et la nature du caractère sacramentel, et formulées d’une manière moins complète dans les écrits néo-testamentaires et dans la tradition primitive, selon la remarque déjà faite précédemment.

Nous crojons que l’on doit particulièrement ranger dans la même catégorie de vérités révélées l’institution immédiate du sacrement de pénitence, selon l’enseignement du concile de Trente : Dominas autem sacramentum psenitentise tune prsecipue instiluit, cum a morluis excitalus, insufflavit in discipulus suos dicens : Accipite Spirititm Sanctum, quorum remiseritis peccata, remiltuntur cis, et quorum retinueritis, retenta sunt. Sess. XIV, c. i. Nous estimons aussi qu’il en est de même de l’institution des sacrements de confirmation, d’extrême-onction, d’ordre et de mariage, selon le jugement presque unanime des théologiens, interprétant en ce sens l’enseignement du concile de Trente, sess. VII, De sacramentis in génère, can. 1, et s’appuyant sur le témoignage assez constant de la tradition, bien que pour ces quatre sacrements, comme pour le sacrement de pénitence, il y ait eu, dans la suite des siècles, un progrès marqué dans la proposition des vérités dogmatiques qui les concernent.

On doit donc, ce nous semble, rejeter l’opinion émise par P. Pourrat, La théologie sacramentaire, p. 273 sq., d’une institution immédiate simplement implicite pour 1(543

DOGME

1644

les cinq sacrements do pénitence, de confirmation, d’extrême-onction, d’ordre et de mariage, de telle sorte que Jésus aurait simplement posé les principes essentiels desquels, après un développement plus ou moins Ion ?, seraient sortis les sacrements pleinement constitués.

Il n’y a, croyons-nous, aucun lieu d’affirmer que cette opinion coïncide substantiellement avec celle des théologiens qui admettent que Jésus a laissé à son Eglise le pouvoir de déterminer in specie la matière et la forme de quelques sacrements ; car il est bien avéré que, suivant la plupart des théologiens qui soutiennent cette opinion, la détermination in specie faite par l’Eglise, selon la commission donnée par son divin fondateur, n’affecte aucunement la validité des sacrements, toujours entièrement sauvegardée dès lors que l’on emploie une matière et une forme répondant à l’institution divine, si générique qu’elle fût. Billot, De Ecclesiæ sacramentis, 2e édit., Rome, 1896, p. 157.

d) La primauté effective du pape, explicitement formulée dans la révélation néo-testamentaire et dans la tradition primitive, estcependantexprimée d’une manière beaucoup plus complète dans les définitions subséquentes, surtout celles du concile du Vatican.

Ces quelques exemples feront aisément comprendre que la plupart des développements dogmatiques qui se sont réalisés avec l’approbation finale de l’Eglise, appartiennent de fait au second genre de vérités révélées. Il est en même temps évident que leur perfectionnement se concilie sans peine avec l’immutabilité substantielle de la révélation chrétienne primitive, qui apparaît dès le début avec quelque caractère explicite.

Quant à la connexion intime des développements dogmatiques avec la révélation chrétienne primitive dans le cas de vérités révélées d’une manière simplement implicite, si cette connexion est moins évidente au premier abord, elle devient cependant bien manifeste par le travail successif des Pères et des théologiens mettant graduellement en pleine lumière le concept intégral de la vérité révélée, finalement sanctionné par l’approbation définitive de l’Eglise.

2. Relativement aux preuves servant à établir qu’une vérité a été primitivement révélée d’une manière explicite au moins à quelque degré minimum, nous proposons les observations suivantes : A. La démonstration scripturaire, en dehors des cas très peu nombreux où l'Église a défini que telle vérité révélée est certainement contenue dans l'Écriture, est difficilement assez certaine pour produire par elle-même cette ferme adhésion de l’intelligence qui constitue l’acte de foi. Mais, même en dehors d’une telle définition strictement obligatoire, on agira prudemment en suivant les simples préférences doctrinales de l’autorité ecclésiastique quand elles sont suffisamment marquées, ou l’autorité des Pères et des théologiens quand elle est solidement appuyée et qu’il n’y a point de raison évidente de rejeter leur témoignage. Toutefois il est bien entendu que la démonstration scripturaire proprement dite, dans la mesure où elle peut être faite, doit être appuyée uniquement sur des preuves exégétiques.

B. Pour le témoignage de la tradition chrétienne : et. On doit admettre que la simple absence de documents positifs, à une époque où ces documents sont très rares et sur un point où il n’y avait alors aucune nécessité particulière d’affirmer expressément une doctrine, ne peut être par elle-même un argument démonstratif en faveur de l’absence de toute révélation explicite, surtout quand, à une époque très rapprochée, se rencontre une tradition désormais universelle et constante, qu’il est difficile d’expliquer si l’on n’admet dès le début quelque révélation explicite. C’est ce qu’affirme particulièrement iWuman dans son Essai/ mi ilic development of clirislian doctrine. Après avoir

cité de nombreux faits d’absence de preuves positives dans des documents profanes ou ecclésiastiques en faveur de faits contemporains, aux diverses époques de l’histoire, il conclut ainsi : « Par ces remarques je puis paraître préparer la voie pour une large admission dans le christianisme primitif de l’absence de toute preuve en faveur de sa forme médiévale, mais je ne le fais point avec cette intention. Ce n’est point à cause de mécomptes de ce genre, mais au nom des droits d’une saine logique que je crois juste d’affirmer avee insistance, que, quels que soient les témoignages anciens que je puisse apporter en faveur de développements doctrinaux subséquents, ils sont dans une large mesure cités ex abundanle, par choix et non par nécessité. L’onus probandi incombe à ceux qui attaquent un enseignement qui est et qui a été depuis longtemps en possession. Quant aux preuves positives en notre faveur, ils doivent accepter ce qu’ils peuvent obtenir, s’ils ne peuvent obtenir tout ce qu’ils pourraient désirer, d’autant plus que des probabilités antécédentes, comme je l’ai dit, vont si loin dans le sens d’une dispense de la preuve positive, » p. 119 sq. Assurément on ne peut demander à la critique historique de fournir, en faveur d’une vérité révélée, des preuves positives quand celles-ci font réellement défaut. Mais on a le droit de réprouver la prétention, certainement opposée à toute vraie et saine critique, de rejeter, à cause de l’absence de documents scientifiques vraiment démonstratifs, toute existence d’une révélation oralement transmise et manifestant sa vitalité à la première occasion. En même temps que l’on doit réprouver cet excès du documentarisme, on doit être non moins sévère contre l’injuste prétention des dogmatistes, si tant est qu’elle ait jamais existé, de vouloir imposer à la critique des conclusions positives sur le caractère explicite d’un dogme même dans les deux ou trois premiers siècles, quand les documents nécessaires pour de telles conclusions font réellement défaut.

b. Il n’est pas douteux qu’une pratique constante de l’Eglise, même si elle n’est pas, dès le début, accompagnée de quelque déclaration doctrinale formelle, puisse autoriser à considérer comme explicitement révélée, au moins à quelque degré minimum, la doctrine qu’elle implique nécessairement. Cette conclusion est particulièrement vraie quand, pendant la suite des siècles, cette même pratique se maintient substantiellement identique et que la doctrine à laquelle elle est associée apparaît explicitement attestée, dès que l’exige une occasion impérieuse, telle qu’une attaque faite par quelque hérésie ou un besoin urgent d’expliquer plus complètement ce que l’on avait cru jusque-là.

Ainsi l’exclusion constante de l’Eglise, prononcée, même dès les premiers siècles, contre quiconque n’accepte point la doctrine intégrale prêchée par l’autorité ecclésiastique au nom de Jésus-Christ, impliquait manifestement, dès cette époque, quelque croyance explicite à la nécessité d’appartenir à l’Eglise et de se soumettre entièrement à son autorité pour obtenir le salut, même indépendamment de toute affirmation doctrinale de l’une ou l’autre nécessité. De même l’habitude fréquente du recours à l'évêque de Rome, même dans les premiers siècles, et de se soumettre pleinement à ses décisions, comporte évidemment quelque croyance à la primauté effective et même au magistère infaillible du successeur de Pierre, bien que l’un et l’autre concept ne soient pas encore proposés bien explicitement. lie la pratique de chacun des sacrements, suffisamment constatée même dans les premiers siècles où les affirmations doctrinales sont rares et peu explicites, on peut déduire des conclusions semblables, ne laissant aucun doute sur l’institution divine de chacun des sacrements, bien que leur nature (3

particulière ne soit pas encore l’objet d’un enseignement formel.

L’importance doctrinale d’une pratique traditionnelle, universelle et constante, se manifeste particulièrement dans la controverse avec les rebaptisants. Ce fut par l’affirmation de cette universelle et constante tradition que le pape saint Etienne I er (7 257) décida en faveur de la non-itération du baptême des hérétiques : Si qui ergo a quacumque hæresi renient ad vos, nihil innovetur nisi quod traditum est ut manus illis imponatur in psenitentiam, Denzinger-Bannwart, n. 46 ; et cette affirmation traditionnelle, qui trancha cette grave controverse, conduisit bientôt saint Optât et saint Augustin à des conclusions doctrinales beaucoup plus compréhensives, sur l’action simplement inslrumentale du ministre du sacrement et sur l’existence et la nature du caractère sacramentel, comme nous l’avons indiqué précédemment. Dans la suite, cette doctrine de saint Optât et de saint Augustin communément acceptée, dans son ensemble, par les théologiens prépara les définitions plus explicites de l’autorité ecclésiastique notamment aux conciles de Florence et de Trente.

De même, au jugement de saint Augustin, la pratique constante de recourir fréquemment à la prière, telle qu’elle avait toujours existé dans l'Église, était contre les pélagiens une preuve irrécusable de la croyance de l’Eglise à la nécessité de la grâce : Frequentationibus autem orationum simpliciter apjiarebat Dci gratia quid valeret : non enini poscerentur de Deo quæ pra-cipit fteri, nisi ab Mo donaretur ut fièrent. De prsedestinalione sanctorum, c. xiv, n. 27, P. L., t. xi.i v, col. 980 ; De dono perseverantise, c. xxiii, n. 63 sq., t. xlv, col. 1031 sq. ; De gestis Pelagii, c. XIV, n. 31, P. L., t. xliv, col. 338. Dans la même controverse contre les pélagiens sur l’existence du péché originel dans chacun des descendants d’Adam, saint Augustin s’appuie également sur l’universelle et constante pratique d’administrer le baptême à tous les enfants issus de la race d’Adam. De cette pratique attestée par d’innombrables documents des quatre premiers siècles et concédée par les pélagiens eux-mêmes, l'évêque d’IIippone concluait : Profecto nec baptismus est necessarius eis qui Mo 7'emissionis et reconciliationis bénéficia quæ fit per mediatorem, non opus habent. Porroquia parvulos baptizandos esse concedunt, qui contra auctorilatem universss Ecclesix, procid dubiu per Dominum et apostolos traditam, venire non possunt ; concédant oportet eos egere Mis bene/iciis mediatoris, ut abluli per sacramentum caritatemque fidelium, ac sic incorporali Cliristi corpori quod est Ecclesia reconcilientur Deo ut in Mo vivi ut salvi, ut liberati, ut redempti, ut illuminati /tant : undenisi a morte, vitiis, reatu, subjectione, tenebris peccatorum ? qux quoniam nulla in ea selale per suam vitam propriam comniiserunt, restât originale peccalum. De peccatorum meritis et remissione, l. I, c. xxvi, n. 39, P. L., t. XLIV, col. 131 ; Opus imperfeclum contra Julianum, l. I, c. LU, P. L., t. xlv, col. 1074. Conclusion que saint Augustin fortifie encore par l’analyse des cérémonies du baptême, telles que l’r.glise avait coutume de les pratiquer : lpsa sanctæ Ecclesiw sacramenta satis indicant parvulos a partu etiam recentissinws per gratiam Cliristi de diaboli servilio liberari. Excepto enim quod in peccatorum remissionem non fallaci sed fideli myslerio baptizantur etiam prius exoreizatur in eis et exsuffiatur potestas contraria : cui etiam verbis eorum a quibus porlantur se renuntiare respondent. De peccato originali, c. XL, n. 45, P. L., . xliv, col. 408.

Ces quelques exemples suffisent pour faire comprendre qu’un témoignage d’une révélation au moins .partiellement explicite, peut se rencontrer dans cer taines pratiques universelles et constantes, sanctionnées par l'Église.

c. On doit encore observer que le témoignage formel de la tradition chrétienne sur plusieurs vérités explicitement révélées, ne peut être infirmé par quelques imprécisions ou inexactitudes se rencontrant à quelque époque chez les auteurs ecclésiastiques, et portant non sur l’existence de la vérité révélée, incontestablement admise à cause de l’autorité du témoignage divin, mais sur les explications que l’on s’eiforce de donner de la nature du mystère ; imprécisions ou incertitudes provenant soit de la défectuosité des formules employées, soit de concepts philosophiques auxquels on a recours, non pour prouver une foi appuyée uniquement sur l’autorité de Dieu, mais pour faire mieux saisir, à l’aide des analogies créées, la nature du mystère révélé. C’est ce que l’on observe particulièrement chez plusieurs auteurs ecclésiastiques antérieurs à l’hérésie arienne, parlant avec quelque inexactitude, de la divinité et de la génération du Verbe et de ses rapports avec le monde créé. Tixeront, La théologie anténicéenne, 3e « dit., Paris, 1906, p. 233 sq.

Il en est de même du langage de beaucoup d’auteurs antérieurs au Ve siècle, sur les dogmes christologiques, sur le péché originel et sur la grâce, selon la remarque spécialement faite par saint Augustin pour ce qui concerne le péché originel et la grâce : Quid igitur optts est ut eorum scrutemur opuscula qui, priuêquam isla /ixresis oriretnr, non liabuerunt nécessitaient in liac difficili ad solvendum queestione versari ? quod procul dubio facerent, si respondere lalibus cogerentur. Unde factum est ut de gratta Dei quid aenlirent. breviter quibusdam scrvptorum snorum locis et transeunter altingerent ; immorarentur vero in eis quæ adversus inimicos Eccles’uv di.>pulabant, et in e.vhortationibus ad quasdam virtutes quibus Deo vivo et vero pro adipiscenda vila ssterna et vera felicitate servitur. Frequentationibus autem orationum simpliciter apparebat Dei gratia quid ralerel : non enim poscerentur de Deo quæ præcipit fieri nisi ab Mo donaretur ut fièrent. De prsedestinalione sanctorum, c. xiv, n. 27, /'. L., t. xliv, col. 980. Saint Augustin s’exprime de même relativement au péché originel, à propos d’un texte de saint Jean Chrysostome niant le péché dans les enfants que l’on baptise : At, inquies, cur non ipse addidil propria ? Cur, putamus, 711si quia disputons in catholica Ecclesia, non se aliter intelligi arbilrabatur, tait queestione nullius }>ulsabatur, vobisnonduni litigautibus securius loquebatur ? Contra Julianum pelagianum, l. I, c. VI, n. 22, P. L., t. xliv, col. 656.

Aussi doit-on réprouver comme dénuées de toute critique sérieuse les assertions de M. Turmel ampliliant et travestissant des inexactitudes de ce genre, jusqu'à affirmer qu’avant l'époque de saint Augustin on avait réellement fait bien peu pour le dogme de la Trinité, en dehors de la préservation de la formule d’abord faite par le pape Calixte, puis retouchée par le pape Denys, ce qui se bornait à une juxtaposition de la notion de l’unité de la substance divine et de celle des trois personnes. Louis Saltet, La question HerzogDup’ni, Paris, 1908, p. 166, 277 sq. ; E. Portalié, Éludes du 5 septembre 1908, p. 617. On doit porter le même jugement sur des assertions du même auteur, relatives au dogme du péché originel inconnu avant saint Augustin, et au dogme de la papauté réellement inexistant jusqu'à la fin du IVe siècle.

3. Nous n’essayerons point de dresser ici un catalogue des vérités révélées d’une manière simplement implicite. Les observations précédemment faites font aisément comprendre qu’un tel catalogue présente des difficultés insurmontables dans beaucoup de cas particuliers, surtout si l’on veut nettement délimiter les

vérités révélées d’une manière simplement implicite des vérités explicitement révélées à un degré minimum. Pratiquement on peut s’en tenir aux conclusions suivantes : a) l’ne vérité doit ou peut être considérée comme implicitement révélée, quand il est certain qu’elle a été postérieurement délinie par l'Église comme révélée, et que d’autre part sa révélation partiellement explicite n’est prouvée ni par des documents scripturaires ou traditionnels assez démonstratifs, ni par une pratique suffisamment établie comme constante et universelle. Toutefois l’on doit reconnaître que les appréciations sur la valeurprobante de ces documents traditionnels sont assez souvent divergentes. Une telle diversité, d’ailleurs inévitable en une matière aussi délicate relevant immédiatement de la critique bistorique, n’a, en réalité, aucune importance doctrinale. Tous les théologiens et les critiques admettent unanimement, au point de vue doctrinal, l’immutabilité substantielle de l’enseignement proposé par l’Eglise comme révélé. Tous aussi admettent la valeur dogmatique de l’argument de prescription appuyé sur cette immutabilité substantielle. L’unique question débattue est cette question documentaire : y a-t-il des preuves historiques suffisantes pour établir positivement, à une époque donnée, l’affirmation explicite de telle doctrine ? ou doit-on, en l’absence de telles preuves, s’abstenir de tout jugement historique positif sur ce point ? Dans cette deuxième hypothèse, l’absence d’un tel jugement n’autorisant pas, comme nous l’avons montré précédemment, à émettre une assertion doctrinale formelle, ne peut donc avoir aucune conséquence dogmatique, bien que l’on doive en tenir compte dans l’exposé des arguments. Théologiens et critiques restant ainsi sur leurs terrains respectifs, rien ne doit troubler l’accord entre le dogme et la critique historique.

b) Le strict minimum nécessairement requis pour qu’une vérité postérieurement définie par l'Église puisse être considérée comme implicitement révélée dans une autre, ne pouvant être défini a priori, en dehors de cette affirmation générale que son concept doit faire partie du concept intégral de la vérité primitivement révélée, on devra, dans l’appréciation concrète des développements dogmatiques historiquement constatés, ne point écarter facilement les hypothèses qui ne présentent aucune opposition dogmatique avec ce concept de la vérité primitivement révélée. Mais, d’autre part, l’on ne doit point oublier qu’il y a lieu d’admettre une révélation purement implicite, seulement au défaut de preuves suffisantes en faveur d’une révélation plus explicite, à cause de la présomption toujours existante, jusqu'à preuve contraire, en faveur de quelque révélation oralement faite par Jésus-Christ et transmise par la tradition toujours vivante dans L'Église.