Dictionnaire de théologie catholique/ADULTÈRE (L') et le lien du mariage, d'après l'Ecriture sainte

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 240-244).

II. ADULTÈRE (L’) et le lien du mariage, d’après l’Écriture sainte.

L’adultère entraîne- 1- ii, d’après la sainte Écriture, le droit de dissoudre le mariage ? La question ne peut être résolue qu’après un examen sérieux des témoignages de l’Ancien et du Nouveau Testament. Nous suivrons l’ordre des temps, et nous examinerons :
1° si le mariage pouvait être dissous pour cause d’adultère dans la religion primitive ;
2° s’il pouvait l’être dans la loi mosaïque" ; et
3° s’il peut l’être dans la religion chrétienne.

I. Dans la religion primitive.

Le livre de la Genèse, ii, 18-25, donne brièvement le récit de l’institution du mariage. Dieu voulait que l’union la plus étroite régnât entre Adam et Eve. Aussi forma-t-il la femme de la côte’du premier homme. Il importe peu ici de savoir comment il faut interpréter les paroles du ). 22 : « Avec la côte d’Adam Dieu forma une femme, » Ce qui est sûr, c’est qu’elles contiennent un enseignement moral. L’homme et la femme ne font qu’un ; l’homme aimera la femme comme une partie de lui-même, et la femme aimera l’homme comme le chef dont elle dépend. Adam, à son réveil, comprit de quelle manière Eve avait été formée, et le hut que Dieu s’était proposé en cela. « Celle-ci, dit-il, est l’os de mes os et la chair de ma chair. » Il ne pouvait signifier d’une façon plus précise l’indissolubilité du mariage, comme le remarque le concile de Trente : Matrimonii perpétuant indissolubilemque nexum primus humani generis parens divini Spiritus instinclu pronuntiavit cuni dixit : Hoc nunc os ex ossibus meis et caro de came mea : quamobrem relinquet homo, etc. Sess. XXIV. Nous lisons au ꝟ. 24 : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère — et s’attachera à sa femme — et ils seront deux dans une seule chair. » Les trois membres de cette phrase, disposés dans une gradation ascendante, démontrent clairement que le mariage établit entre les époux le plus fort de tous les liens ; on ne voit donc pas ce qui pourrait le briser. C’est une union plus intime encore que l’union qui existe entre les enfants et les parents, car l’époux devra quitter son père et sa mère pour s’unir à sa femme. Il est difficile de faire passer dans notre langue l’énergie de l’original : en effet le mot hébreu ddbaq ne désigne pas une union quelconque, mais bien une adhésion étroite (la Vulgate donne conglutinata est dans un autre passage, Gen., xxxiv, 3). « Et ils seront deux dans une seule chair. » Les Septante ont : « Et ils seront à deux une seule chair, » et c’est là d’ailleurs le vrai sens de la Vulgate, entièrement conforme à l’interprétation authentique du Christ : Itaque jam non sunt duo, sed una caro. Matth., xix, 5. La conclusion est que, dans la religion primitive, le mariage ne pouvait être dissous sous aucun prétexte ; l’homme n’avait pas le droit de séparer ce que Dieu avait uni. Notre-Seigneur a tiré lui-même cette conclusion du récit de la Genèse. Comme les Juifs lui opposaient le libellé de divorce autorisé par Moïse, il répondit aussitôt : Au commencement, il n’en était pas ainsi. Matth., xix, 8. Donc à l’origine, le mariage était indissoluble, même en cas d’adultère. Ces paroles de Notre-Seigneur ne supposent aucune restriction.

II. Dans la religion mosaïque.

Plus tard, les Juifs s’accommodèrent mal d’une législation aussi sévère, et Moïse dut condescendre à leur faiblesse en permettant le divorce dans certaines occasions. Néanmoins, la loi de l’indissolubilité’n’était pas abolie, et les exceptions autorisées par le grand législateur n’étaient qu’une dérogation temporaire à cette loi. Voici dans quelles circonstances Moïse a permis le divorce : « Lorsqu’un homme aura pris et épousé une femme qui viendra à ne pas trouver grâce devant ses yeux parce qu’il a découvert en elle quelque chose de honteux, il lui écrira une lettre de divorce… et la renverra de sa maison. » Deut., xxiv, 1. Les mots’érevat ddbdr ont donné lieu à de nombreuses controverses entre les commentateurs. Peut-être désignent-ils une maladie contagieuse, ou un péché de la chair ; en tout cas, il n’est pas question de l’adultère qui était puni de mort. Il faut remarquer que, dans les circonstances énumérées par Moïse, le divorce n’était pas un devoir, mais un simple droit. Au cas où il voulait user de ce droit, le mari était obligé de remettre à sa femme un acte de divorce ; c’était pour elle la preuve que le mariage était légalement dissous, et qu’elle pouvait contracter de nouveaux engagements.

III. Dans la religion chrétienne.

Les grecs et les protestants prétendent que les textes du Nouveau Testament permettent de dissoudre le mariage dans le cas d’adultère d’un des conjoints. Les catholiques croient que même en ce cas le mariage est indissoluble. Les textes en cause sont de deux sortes, les uns se prononcent d’une façon absolue en faveur de l’indissolubilité du mariage ; les autres parlent du cas d’adultère et présentent la doctrine sous une forme moins précise. Il convient de donner en premier lieu les témoignages absolus, nous donnerons ensuite les passages qui parlent du cas de l’adultère en ayant soin de les expliquer d’après les textes parallèles.

I. TEXTES ABSOLUS QUI NE PARLENT POINT DU CAS D’ADULTÈRE.

Marc, x, 11 ; Luc, xvi, 18 ; I Cor., vii, 10, 11, 39 ; Rom., vii, 2, 3. Nous lisons dans saint Marc : « Et [Jésus] leur dit : Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère à l’égard de celle-là. Et si une femme quitte son mari et en épouse un autre, elle commet l’adultère. » Notre-Seigneur condamne nettement le mari qui contracte une nouvelle union, sous prétexte de divorce, et la femme qui se remarie dans les mêmes conditions. Il a proclamé pour les deux conjoints la parfaite égalité des droits ; il était bon de mentionner cette disposition importante de la nouvelle législation. La loi juive, loin de reconnaître à la femme le droit de divorce, ne lui laisse aucune initiative sous ce rapport. La condition de la femme n’était pas non plus entièrement égale dans les lois païennes ; ces lois avaient de grandes indulgences pour le mari coupable d’adultère, tandis qu’elles punissaient sévèrement la faute de la femme. Voir l’article précédent.

Le texte de saint Marc est absolu et ne comporte aucune restriction. Les Grecs objectent que l’écrivain sacré laissait aux autres évangélistes le soin de le compléter, mais il faut répondre que chaque Évangile forme un tout complet et indépendant des autres livres du Nouveau Testament. A supposer que l’adultère entraîne la dissolution du mariage, rien ne justifierait donc, de la part de saint Marc, l’omission d’une restriction aussi importante.

Le texte de saint Luc, xvi, 18, donne lieu aux mêmes remarques. Le voici : « Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, commet un adultère, et quiconque épouse la femme répudiée par le mari, commet un adultère. » Ici encore Notre-Seigneur (c’est lui qui parle) inllige le nom infamant d’adultère à toute nouvelle union contractée par le mari après son divorce ; il condamne aussi formellement celui qui s’arroge le droit d’épouser la femme répudiée. La teneur de la loi est universelle et n’admet aucune exception.

Le précepte de l’indissolubilité est également absolu dans saint Paul. Après avoir affirmé que le mariage donne les mêmes droits à la femme et à l’homme vis-àvis l’un de l’autre, I Cor., vii, 4, il dit : « Quant à ceux qui sont unis par le mariage, j’ordonne, non pas moi, mais le Seigneur, que l’épouse ne se sépare pas de son mari. Si elle en est séparée, qu’elle demeure sans se marier ou qu’elle se réconcilie avec son mari… Que le mari ne quitte pas sa femme. » I Cor., vii, 10, 11 ; cꝟ. 39. Saint Luc envisageait uniquement le cas où le mari renvoie sa femme, saint Marc parlait en outre de la femme qui se sépare de son mari. Saint Paul s’occupe comme saint Marc du cas où la femme voudrait quitter son mari et du cas où le mari voudrait quitter sa femme. Il dit expressément que la femme qui a quitté son mari doit rester en dehors du mariage ou bien se réconcilier avec son mari. Quod si discesserit, manere innuptam aut viro suo reconciliari. Mais comme il vient de déclarer un peu plus haut que la femme et l’homme ont les mêmes obligations, on doit admettre que, dans sa pensée, le mari qui congédie sa femme est tenu aussi de rester en dehors du mariage ou de reprendre la vie conjugale avec son épouse. Saint Paul enseigne donc que le lien du mariage ne saurait être rompu sous aucun prétexte. Il s’exprime encore dans le même sens au chapitre vii, 2, 3, de son Épitre aux Romains. « La femme qui est soumise à un mari est liée par la loi [du mariage], tant que vit le mari ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc, elle sera appelée adultère si elle épouse un autre homme du vivant de son mari, etc. »

II. TEXTES QUI PARLENT DU CAS D’ADULTÈRE.

Ce Sont deux textes de saint Matthieu. Ils sont interprétés d’une manière différente par les catholiques et les protestants. D’après ces derniers, ils affirmeraient, en cas d’adultère, le droit de dissoudre le lien du mariage et de contracter une nouvelle union ; d’après les catholiques, ils permettraient seulement l’interruption de la vie conjugale ou la séparation quoad toruni. Voici les deux passages : « Et moi je vous dis : celui qui renvoie sa femme hors le cas de fornication, la rend adultère, et celui qui épouse la femme renvoyée commet un adultère. » Matth., v, 32. « Je vous dis que quiconque renvoie sa femme, si ce n’est à cause de la fornication et en épouse une autre, commet un adultère. » Matth., xix, 9.

Toutes les parties des textes sont-elles authentiques ?

Dans un opuscule écrit en 1804 sur le sujet qui nous occupe, Jager disait que cette expression du ꝟ. 32, c. v, ne se trouvait pas dans le texte primitif et qu’elle y avait été introduite par des juifs convertis, pour conserver le divorce autorisé par la loi mosaïque. Les arguments qu’il invoquait en faveur de son opinion sont rapportés par Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. iii, p. 149. Mais ils n’ont pas assez de valeur pour qu’il y ait lieu de nous y arrêter. D’ailleurs, Théophile d’Antioche cite déjà l’Évangile de saint Matthieu avec la clause. P. G., t. vi, col. 114. Origène la reproduit également dans son commentaire sur saint Matthieu. P. G., t. xiii, col. 1245. Enfin Tertullien, P. L., t. il, col. 473, donne ainsi les paroles de Notre-Seigneur : Qui dimiserit uxorem suant præter causant adulterii, facit eam adulterari : œque adulter censetur et Me qui dimissam a viro duxerit.

Plusieurs exégètes mettent aussi en doute l’authenticité de la restriction insérée au ꝟ. 9, c. xix : (j.r, èîti jropvsi’x, par exemple, Hug, De conjugii christiani vinculo indissolubili, Fribourg, 1816, part. I, p. 4. Us invoquent pour raison la multiplicité des variantes de ce passage : le codex Vaticanus (B) qui est du ive siècle donne : .Tapexxci ; Xôfou TCopveta ;  ; les codex N, C, 1, N, Z, etlaplupartdes autres portent iit 710pvetï. quelques-uns ajoutent et et écrivent et ^ èVt 710pveia. Mais la multiplicité des variantes n’est pas une preuve d’interpolation. Sinon, il faudrait rejeter une grande partie du Nouveau Testament. La plupart des manuscrits portant (jl-tj eut Ttopveia, il est permis d’accepter cette leçon comme la meilleure. D’ailleurs toutes les variantes que nous venons d’indiquer expriment le même sens.

On a prétendu aussi que les mots et aliam duxerit, xoù ya^fTTi ctX).T|v, n’appartenaient pas au texte primitif, parce qu’ils sont absents du codex Vaticanus et omis par quelques Pères. Mais leur présence dans les autres manuscrits et dans les citations de la plupart des anciens auteurs prouve leur authenticité.

Quel est le sens du mot fornicatio, porneia ?

Comme il s’agit d’une femme mariée, la fornication dont parle le Christ est un adultère. C’est ainsi que la plupart des auteurs anciens et modernes ont entendu ce passage. Jésus n’a pas employé le mot |j.ot-/eiot signifiant adultère, mais un terme plus générique, soit parce que le sens particulier de ce terme ressortait clairement du contexte, soit parce que, au chapitre xix, l’oreille aurait été choquée de la répétition des mots pot/eia et (xot^âtat. Telle est l’interprétation habituelle de ce terme rcopvet’a en cet endroit.

Cependant pour mettre le dogme catholique de l’indissolubilité absolue du mariage à l’abri de toute attaque, plusieurs commentateurs ont imaginé d’autres explications. Contentons-nous de signaler les principales.

1. Dœllinger, Christenthum und Kirche, Ratisbonne, 1860, p. 391 sq., 458 sq., entend ce terme d’une faute contre les mœurs commise avant le mariage. Elle donnerait au mari, lorsqu’il la connaîtrait, le droit de regarder comme invalide le mariage contracté par lui dans l’ignorance de cette faute de la femme qu’il prenait. Dœllinger s’appuie sur ce fait que rcopveta désigne une simple fornication et ne signifie pas adultère. Cependant, ce mot a dans d’autres passages de la sainte Bible le sens d’adultère que Dœllinger rejette. Cf. les Septante, Os., iii, 3 ; Am., vii, 17. D’ailleurs il n’est pas exact que le fait d’être tombé dans la fornication avant de se marier constitue un empêchement dirimant du mariage ou que l’ignorance où le mari serait de la culpabilité de sa femme suffise à vicier son consentement au mariage ; en tout cas, l’Eglise ne l’admet pas.

2. Le P. Patrizzi adopte une autre solution : L’homme et la femme ne doivent jamais se séparer, « moins qu’ils ne vivent en concubinage : excepta fornicationis causa. Ilopveta désignerait donc les relations d’un homme et d’une femme qui auraient contracté une union invalide pour cause de parenté ou pour tout autre motif. Leur mariage étant nul, il est évident que le divorce pourrait et même devrait être prononcé. Cette interprétation ferait disparaître les difficultés d’exégèse qui ont mis à la torture interprètes et théologiens ; c’est du moins l’avis du P. Patrizzi, Institutio de interprctalione Bibliorum, in-8°, Rome, 1876, p. 161, n. 281. Malheureusement la manière dont s’exprime le Sauveur dans tout ce passage et la comparaison qu’il fait avec le divorce permis par Moïse, supposent qu’il est question d’une épouse légitime, unie à son mari par un véritable mariage.

3. Dreher a proposé une autre interprétation dans le Katholik, 1877, t. ii, p. 578 sq. Les rabbins discutaient la signification des mots du Deutéronome’érevat dàbâr, qui expriment le cas où le divorce est permis au mari. L’école de Hillel admettait toutes sortes de causes ; l’école de Schammai restreignait le droit de divorcer. Les Juifs ayant demandé à Jésus, Matth., xix, 3, s’il (’tait permis de divorcer pour n’importe quel motif, comme le prétendait Hillel, le Sauveur leur aurait répondu sans vouloir s’occuper de la question controversée parmi les rabbins sous le nom de question de l’adultère. Excepta fornicationis causa signifierait donc « abstraction faite de la question de l’adultère au sujet de laquelle je ne dis rien ». Cette explication de Dreher ne répond ni au sens naturel des mots, ni au contexte.

Est-ce le divorce proprement dit ou une simple séparation que le Christ permet en cas d’adultère ?

En d’autres termes, l’époux lésé peut-il rompre le mariage et devenir ainsi libre de contracter une autre union, ou bien la première union reste-t-elle indissoluble même après l’adultère de l’un des conjoints ? C’est la question qui divise les catholiques d’avec les grecs et les protestants. Les catholiques croient conformément au canon 7 de la session XXIV du concile de Trente que le mariage ne saurait être rompu à cause de l’adultère. Voir V. Adultère (L’) et le lien du mariage d’après le concile de Trente, col. 506. Suivant eux, dans les textes qui nous occupent, Notre-Seigneur aurait autorisé le mari à renvoyer sa femme adultère, mais il ne l’autoriserait pas à se regarder comme libre de son mariage avec elle et à contracter de nouveaux liens. Les grecs et les protestants estiment au contraire que le Christ autorise ici l’époux innocent à rompre le lien du mariage déjà contracté et à convoler par conséquent à une nouvelle union. La plupart croient aussi qu’il autorise l’épouse adultère.-’. se remarier lorsque son mari l’a ainsi rendue à la liberté. Cependant certains protestants pensent que ce droit n’est pas accordé à l’épouse adultère mais seulement à l’époux innocent. Voir Charles Bois, article Mariage, dans Lichtenbérger, Encyclopédie des scieur, <$ religieuses, Paris, 1880, t. viii, p. 701. Un grand nombre ne le permettent à l’époux adultère qu’avec une dispense. Vering, Leltrbuch des kathol. orient, und protestant. Kirchenrechts, 2e édit., Fribourg, 1881, S 263, p. 930 si). Mais ce sont des détails dans lesquels nous n’avons point à entrer ici. La question principale est de savoir si le lien du mariage peut être oui ou non brisé en cas d’adultère. Nous allons montrer qu’il subsiste toujours, alors même que l’époux innocent renverrait son conjoint adultère. Cela résulte en effet du texte des versets de saint Matthieu, de leur contexte et des textes parallèles des autres écrivains sacrés.

1. Le texte. — Nous appelons le texte d’abord le verset 32 du ch. v de saint Matthieu : Ego autem dico vobis, quia oninis, qui dimiserit uxorem suam, excepta fornicationis causa, facit eam mœchari et qui dimissam duxerit adultérât, et ensuite le verset 9 du ch. xix : Dico autem vobis, quia quicumque dimiserit uxorem suam, nisi ob fornicationem, et aliam duxerit, mœchatur : et qui dimissam duxerit mœchatur. D’après ces versets, l’époux innocent, après avoir renvoyé son épouse adultère, commettrait-il un péché en s’unissant à une autre femme ? Voilà toute la question. Le premier texte ne répond pas formellement à cette question. Il dit seulement, dans sa première partie, qu’il y a péché à se séparer de son épouse, en dehors du cas d’adultère, parce qu’en l’abandonnant, on la met dans le danger de commettre l’adultère, facit eam mœchari. Il admet donc qu’il n’y a pas de péché à cette séparation dans le cas d’adultère ; en ce cas d’ailleurs la séparation ne serait pas la cause des adultères subséquents de l’épouse infidèle, puisqu’elle en commettait déjà auparavant. Le second texte parle de la nouvelle union que l’époux innocent voudrait contracter, après avoir renvoyé son épouse coupable. Il déclare que cette nouvelle union serait un adultère, et aliam duxerit, mœchatur. Y aurait-il adultère dans cette nouvelle union, même au cas où cet homme se serait séparé de sa première épouse, à cause de ses adultères ? Le texte, à s’en tenir à sa première partie, ne le dit pas clairement. On pourrait en effet l’entendre ainsi : « Quiconque aura renvoyé son épouse en dehors du cas de fornication, et aura pris une autre femme (en dehors de ce même cas) commet un adultère. » Le sens serait : Il est défendu de renvoyer son épouse et de se remarier, sauf en cas d’adultère de celle-ci ; mais en cas d’adultère d’une épouse il est permis de la renvoyer et de se remarier. C’est l’interprétation des grecs et des protestants. Elle s’imposerait, si l’exception nisi ob fornicationem se trouvait après et aliam duxerit ; car alors elle affecterait les deux membres de phrase quicumque dimiserit uxorem suam et aliam duxerit ; il y aurait lieu par conséquent de croire qu’en cas d’adultère de la femme qu’on a épousée, il n’y a pas plus de faute à se remarier, qu’à la renvoyer. Mais dans le texte évangélique, cette exception nisi ob fornicationem est mise seulement après le premier membre de phrase. On n’est donc pas en droit de dire qu’elle affecte aussi le second. Bien plus, comme elle a été placée après le premier membre, quand il eût été si facile de la placer après le second, c’est une raison de penser que, dans l’esprit du Sauveur, cette exception, devait affecter seulement le premier membre de phrase : par conséquent il y a adultère pour un mari à prendre une autre femme, alors même qu’il aurait renvoyé sa première femme parce qu’elle se serait donnée à un autre. Telle est l’interprétation admise par les catholiques. Suivant eux, les paroles du Christ signifient donc : Quiconque aura renvoyé sa femme si ce n’est à cause de ses adultères (cas auquel il lui est permis de la renvoyer) et aura pris une autre femme (que la première ait été renvoyée pour cause d’adultère ou non) commet un adultère.

Cette traduction s’accorde d’ailleurs mieux que la première avec la fin des deux textes où il est question de l’homme qui prendrait la femme renvoyée par son mari. Les deux textes que nous étudions portent : et qui dimissam duxerit adultérât, Matth., v, 32, et qui dimissam duxerit mœchatur. Matth., xix, 9. Ils déclarent donc qu’il y a non seulement fornication, mais adultère, adultérât, mœchatur, à prendre la femme renvoyée. Cela suppose que cette femme n’était pas libre, mais restait toujours liée par son premier mariage, alors même qu’elle aurait été renvoyée par son mari. Cela suppose donc que le renvoi n’a pas brisé le mariage, qu’il n’est pas un divorce quoad vinculum : il n’a pu être qu’une séparation. Reste à savoir si cela est vrai, même du renvoi en cas d’adultère. Les catholiques le pensent. En effet, Jésus-Christ parle ici de toute femme renvoyée par son mari, dimissam, et il y a moins de raison encore que tout à l’heure de supposer que l’exception nisi ob fornicationem, doit encore être sous-entendue ici après le mot dimissam.

Cependant d’après les grecs et les protestants elle est sous-entendue et, par conséquent, l’adultère imputé par Jésus-Christ à l’homme qui prend une femme renvoyée par son mari n’existe pas, si cette femme a été renvoyée à cause de ses adultères. Ne nous arrêtons pas à remarquer que ce serait là un encouragement à l’adultère. Contentons-nous de remarquer que pour soutenir leur opinion au sujet des textes de saint Matthieu, les grecs et les protestants ont besoin, comme pour les écrits de saint Marc, de saint Luc et de saint Paul, étudiés précédemment, de supposer des sous-entendus qui ne sont point réclamés par le texte. Certains protestants admettent, nous lavons dit, que la femme adultère ne saurait se remarier ; ils semblent reconnaître ainsi que ce sous-entendu ne doit pas être supposé dans le texte. Ils comprennent donc le qui dimissam duxerit de toute femme qui a mérité d’être renvoyée par son mari, même pour cause d’adultère. Mais ils ne tiennent pas compte du mot qui suit : adultérât, mœchatur. Il résulte en effet de ce mot que le renvoi de la femme adultère ne brise pas le lien du mariage, mais qu’il entraîne seulement une séparation, comme les catholiques le prétendent. Nous l’avons dit, en effet, en se servant des termes adultérât, mœchatur, le Sauveur range le péché de celui qui prend une femme renvoyée par son mari, non pas parmi les simples fornications, mais parmi les adultères. Ce qui suppose qu’elle est toujours la femme du mari qui l’a renvoyée, même pour cause d’adultère.

On le voit, l’interprétation des catholiques s’accorde mieux que l’autre avec les textes de saint Matthieu, pris isolément. Ajoutons qu’elle est seule en harmonie avec leur contexte et avec les textes parallèles.

2. Le contexte. — Dans le premier passage, Matth., v, 31, 32, le contexte consiste seulement dans une opposition de la déclaration du Sauveur, avec l’autorisation du libellé du divorce reconnu par la loi mosaïque. De cette opposition, il y a lieu de conclure que la loi du Christ n’admet pas le divorce comme celle de Moïse. Mais le contexte est beaucoup plus développé dans le second passage. Matth., xix, 3-10. Aussi jette-t-il plus de lumière sur le sens du verset 9. Interrogé par les Pharisiens si une cause quelconque suffisait pour renvoyer son épouse, quacumque ex causa, ꝟ. 3, comme le soutenait une de leurs écoles, Jésus s’élève au-dessus de la controverse des rabbins relative aux motifs de divorce, pour déclarer que, d’après l’institution primitive, tout mariage fait de l’homme et de la femme une même chair : leur union, qui est l’œuvre de Dieu, ne doit pas être brisée par l’homme : Itaque jam non sunt duo sed una caro. Quod ergo Deus conjunxit homo non separet, xix, 6 ; en d’autres termes, il ne doit y avoir de divorce pour aucune cause. Les Juifs comprennent que Jésus affirme l’indissolubilité absolue du mariage ; car ils lui objectent le libellé de divorce prescrit par la loi de Moïse, j>. 7. Le Sauveur ne mitigé pas l’enseignement qu’il vient de donner. Il le maintient au contraire, en disant que c’est à cause de la dureté de leur cœur que Moïse leur a permis de renvoyer leurs épouses, et il ajoute : Il n’en a pas été ainsi dès le commencement, ꝟ. 8. C’est alors qu’il formule, ꝟ. 9, sa doctrine que nous avons étudiée. Dico autem vobis, etc. Le contexte demande que cette doctrine soit conforme à ce que le Sauveur vient de dire de l’institution primitive du mariage. Il faut donc penser que Jésus a enseigné, ꝟ. 9, l’indissolubilité absolue du mariage et que, s’il autorise la séparation des époux en cas d’adultère, il n’autorise pas le divorce, comme Moïse. Les disciples le comprennent de cette manière, car ils disent : S’il en est ainsi, il n’est pas expédient de se marier, ꝟ. 10. Et le Sauveur leur répond en faisant l’éloge, non pas du mariage, mais de la virginité. D’après tout le contexte, Jésus a donc enseigné que le lien d’un mariage, une fois contracté, ne saurait être rompu pour aucun motif.

3. Les textes parallèles.

Nous avons rappelé plus haut les textes de saint Marc, de saint Luc et de saint Paul qui affirment l’indissolubilité de tous les mariages sans exception. Il est clair que la doctrine formulée en saint Matthieu n’est pas différente, par conséquent que l’adultère n’y est pas présenté par le Sauveur, comme une cause de divorce. Cette conclusion s’impose plus particulièrement, en raison du texte de saint Paul. I Cor., vii, 10. L’apôtre dit en effet : « À ceux qui sont unis par le mariage, je prescris, non pas moi, mais le Seigneur, non ego, sed Dominus, que l’épouse ne se sépare pas de son mari, mais si elle s’est séparée de lui, elle doit rester en dehors du mariage ou se réconcilier avec son mari, etc. » Il présente donc l’indissolubilité absolue du mariage comme ayant été enseignée par le Christ lui-même. C’est une preuve que les textes de saint Matthieu ne permettent point le divorce en cas d’adultère.

Objection. — On peut opposer à notre interprétation une difficulté : Pourquoi Jésus-Christ n’autorise-t-il la séparation qu’en cas d’adultère, comme si c’était le seul cas où il soit permis à un époux de se séparer de son conjoint ? L’Église en reconnaît plusieurs autres. — On répond : l’adultère est la seule cause de renvoi qui, de sa nature, soit permanente. Cette cause est d’ailleurs la seule qui soit particulière au mariage ; les autres se rencontrent dans toute espèce d’union ou de cohabitation.

Nous ne nous arrêtons pas à montrer que le Christ accorde à la femme les mêmes droits qu’au mari en cas d’adultère. Cette parité est fondée sur les enseignements de saint Paul que nous avons signalés plus haut.

Cf. Maldonat, Commentarii in quatuor Evangelistas, in-8o Mayence, 1874, t. ii, col. 379-383 ; Corluy, Spicilegium dogmaticobiblicum, Garnd, 1884, t. ii, p. 480 sq. ; Schanz, Commentar über das Evangelium des heiligen Matthæus, in-8o, Fribourg-en-Brisgau, 1879, p. 191-196 ; Crelier, La Sainte Bible. Genèse, in-8o, Paris, 1889, p. 43-44 ; Knabenhauer, Commentarius in Evangelium secundum Matthæum, in-8o, Paris, 1893, t. I, p. 227 ; Cornely, Commentarius in Epistolum primam sancti Pauli ad Corinthios, in-8o, Paris, p. 178-179 ; Fillion, La Sainte Bible : Évangile selon saint Matthieu, in-8o, Paris, 1878, p. 372 sq. ; Perrone, De matrimonio christiano, in-8o, Liège, 1801, t. iii, p. 147-219 ; Palmieri, De matrimonio christiano, in-8o, Rome, 1880, p. 168-188.

R. Souarn

III. ADULTÈRE (’) et le lien du mariage d’après les Pères de l’Église.

Nous allons voir que les premiers écrivains chrétiens qui furent amenés à s’exprimer sur cette question, comprenaient les textes du Nouveau Testament, comme nous les avons expliqués, dans l’article précédent. Ils affirment clairement qu’il n’est permis à aucun des deux conjoints de convoler à un second mariage, lorsqu’ils se sont séparés pour cause d’adultère. Cependant tous les Pères ne se prononcent pas avec une égale netteté. Aussi, pour se rendre compte de leur pensée, importe-t-il de ne pas perdre de vue trois observations importantes. — La première, c’est que la loi civile permettait un nouveau mariage en cas de divorce.

Voir VI. Adultère (L’), cause de divorce dans les Églises orientales, col. 514. Lorsque les Pères parlent des mariages conformes à la loi civile, ils ne les considèrent pas pour cela comme conformes à l’Évangile. — La seconde, c’est que l’on se servait souvent des mêmes termes pour exprimer la séparation de corps et de résidence que l’Évangile permet en cas d’adultère, et le divorce ou dissolution du lien conjugal qu’il condamne. Voir VII. Adultère (L’), cause de séparation de corps, col. 516. Aussi, pour conclure que les Pères admettaient le divorce proprement dit, en cas d’adultère, il ne suffit pas de leur entendre dire que les deux conjoints peuvent se séparer par un divorce, ils doivent ajouter que les conjoints divorcés ne commettraient aucune faute en contractant un autre mariage du vivant l’un de l’autre. — La troisième observation, c’est que le mot adultère n’avait pas, au temps des Pères, le même sens qu’aujourd’hui. Comme on l’a dit à l’article I. Adultère (Péché d’), col. 463, le droit romain n’appelait pas adultère le commerce charnel de l’homme marié avec une femme libre ; il réservait ce nom à celui de la femme mariée avec un autre que son mari. La signification donnée en droit civil au mot adultère était donc plus restreinte que celle d’aujourd’hui et les Pères étaient, par suite, portés à donner cette signification restreinte au mot fornicatio de saint Matthieu. Par contre, plusieurs d’entre eux étendaient la signification de ce mot à l’idolâtrie, qui est appelée adultère par l’Écriture, et même à d’autres fautes. Après avoir exposé qu’un homme doit se séparer de son épouse si elle tombe dans l’adultère, mais qu’il ne saurait prendre une autre femme, le Pasteur d’Hermas poursuit : « Non seulement il y a adultère lorsque quelqu’un souille sa chair, mais quiconque fait les mêmes choses que les païens est adultère. » Mandat., IV, I, 9, Funk, Opera Patrum apostolicorum, Tubingue, 1887, t. i, p. 391. De là une certaine difficulté à bien comprendre divers passages.

On a dit quelquefois que si les Pères ne permettaient pas un second mariage aux époux séparés pour cause d’adultère, c’était parce qu’ils regardaient d’une manière générale les secondes noces comme illicites. Mais cela n’est pas exact, du moins pour le plus grand nombre des textes ; car si les secondes noces ont été proscrites par certains hérétiques comme les montanistes, elles n’ont jamais été défendues par l’Église. Cf. Perrone, De matrimonio christiano, Liège, 1861, t. iii, p. 67 sq.

Ces observations faites, nous pouvons dire que l’Église, dès l’origine, a enseigné comme doctrine évangélique, la parfaite indissolubilité du mariage. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir la série des textes fournis par la tradition. Après avoir recueilli les principaux témoignages des représentants de l’Église grecque et de l’Église latine, nous ferons connaître quelques textes obscurs, où semble s’affirmer une doctrine différente.

I. Pères grecs.

On ne saurait récuser le témoignage d’Hermas, il date du milieu du IIe siècle. Voici ses paroles : « Hermas dit à l’envoyé de Dieu : Si quelqu’un a une femme fidèle dans le Seigneur, et qu’il la surprenne en adultère, commet-il un péché en vivant avec elle ? Et il me dit : Il n’en commet pas tant qu’il ignore la faute, mais si, connaissant la faute, le mari vit avec sa femme sans qu’elle fasse pénitence, il participe à son péché et à son adultère. Que fera donc le mari, si la femme demeure dans son péché ? Qu’il la renvoie et qu’il reste lui-même seul ; s’il épousait une autre femme après avoir renvoyé la sienne, il serait aussi adultère. » Άπολυσάτω αύτήν καί ὁ άνήρ έφ᾽ εάυτᾢ μενέτω έἁν δἑ ἁπολύσας τἡν γυναίκα έτέραν γαμήση, καί αὑτὁς μοιχάται. Mandat., IV, I, 4, 5, Funk, Opera Patrum apostolicorum, in-8o, Tubingue, 1887, t. i, p. 394. Hermas admet bien que l’adultère autorise la séparation quod torum ; mais le lien du mariage reste toujours intact. Il est à remarquer qu’Hermas veut aussi la récon