Dictionnaire de théologie catholique/ADULTÈRE (Le péché d’)

Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 238-240).

I. ADULTÈRE (Le péché d’).


I. Notion.
II. Espèces.
III. Culpabilité et peines.
IV. Obligations qu’il impose.

I. Notion.

D’après l’étymologie « ad alterum, sous-entendu ire », aller à un autre, ce mot désigne l’acte par lequel un époux, trahissant la fidélité jurée au mariage, livre son corps à une personne autre que son conjoint.

Seul le christianisme, doctrine morale par excellence, nous a donné la notion complète de ce crime. Sous l’empire du code romain il n’y avait adultère que dans le cas d’union illicite avec une femme mariée. L’époux de celle-ci pouvait, sans encourir le même reproohe qu’elle, entretenir des relations déshonnètes avec une fille libre (soluta), avec une esclave, une femme de basse condition ou une concubine ordinaire. Cf. Ad. Leg. Julia, De adult., 6, § 1 ff. Et il en a été ainsi dans la plupart des législations. C’est presque toujours sur la femme qu’elles ont déployé leurs rigueurs. Je veux bien, avec Montesquieu, que la violation de la pudeur suppose, chez la femme, le renoncement à toutes les vertus, je crois également, avec lui, qu’elle sort de sa dépendance naturelle quand elle enfreint les lois du mariage, je sais enfin que la nature a marqué son infidélité par des signes certains, mais tout cela n’excuse pas l’excessive indulgence que les lois ont montrée vis-à-vis de l’homme. Jésus-Christ s’attacha à combattre cette aberration. En rappelant la primitive institution du mariage et surtout en l’élevant à la dignité de sacrement, il enseigna que le pacte conjugal est violé’par l’infidélité de l’homme aussi bien que par celle de la femme. 1. époux, selon saint Paul, n’est pas plus libre de son corps que l’épouse. 1 Cor., vii, 4. En se plaçant à la lumière de l’Évangile, les Pères, qui furent, on le sait, les vrais fondateurs de la théologie, écrivirent des traités et firent des homélies pour faire prévaloir cette doctrine. On la retrouve dans les œuvres de saint Augustin, De bono conjug., P. L., t. xi., paisim, dans Tertullien De monogam. , c. ix, P. L., t. ii, col. ! li<(, et dans les Institutions de Lactance, VI, c. xxiii, P. L., t. vi, col. 719. Ils sont donc parfaitement autorisés, les théologiens contemporains qui définissent l’adultère : l’union illicite d’une femme mariée avec un autre homme que son mari, ou d’un bouillie marié’avec une autre femme que la sienne. Qu’on remarque bien tous les éléments de cette définition, si l’on veut se rendre compte de ce qu’elle exprime. Les lois ont quelquefois appelé adultère l’injuste délloration d’une ierge, aliquando adulterium ponitur pro stupro et vicissim, mais c’était à un moment où les notions n’étaient pas encore formées et pour donner l’horreur d’un crime fort grave en soi, puisque la virginité est la plus belle parure de la jeune fille. En réalité les rapports conjugaux, entre personnes libres de tout engagement, constituent le simple péché de fornication. Par contre, le mariage subsistant, tout commerce charnel, en dehors de ses lois, porte le stigmate de l’adultère, alors même que, par une infâme complicité, les époux entendraient se délier, l’un vis-à-vis de l’autre, du devoir de fidélité. Au {{rom|xvi)e siècle, quelques laxistes enseignaient que la permission, donnée par un mari à sa femme, de se prostituer enlevait, aux fautes de celle-ci, leur caractère d’adultère, mais l’Église protesta énergiquement et Innocent XI condamna, le 2 mars 1679, leur doctrine sous la forme de la proposition suivante : Copula cum conjugale /, consentie ate niarito non est adulterium, adeoque sufficit in confessione dicere se esse fomicatum. Prop. 50, Denzinger, Enchiridion, n. 1067. Comment, en effet, ne pas voir du premier coup que ces licences indignes traînent dans la boue la sainteté du mariage, brisent la foi jurée inviolablement, sont injurieuses pour le sacrement et portent en germe le principe du divorce’? Cependant De Lugo, De justifia et jure, disp. VIII, n. 10, Lyon, 1670, t. i, p. 191, pense que, dans ce cas, le péché n’est pas exactement de même nature que l’adultère ordinaire ; il n’y a pas injustice au préjudice du conjoint, puisqu’il a misérablement cédé ses droits autant qu’il le pouvait : Scienti et volenti non fit injuria, à celui qui sait et qui consent on ne fait pas injure, dit un axiome théologique.

L’adultère suppose donc essentiellement le mariage. Il requiert en outre le rapprochement des sexes ; il n’est constitué dans son individualité propre qu’autant que ce dernier a été consommé. Néanmoins, suivant la juste remarquede Sanchez, Dematrimonio. l.IX.c.XLVi.n. 17, les mauvais désirs, les privautés malsaines, les attouchements déshonnêtes et même, d’après De Lugo, De psenitent., disp. XVII, n. 387, et les docteurs de Salamanque, Theol. mor., c. vii, n. 100, l’abus de son propre corps, les fautes solitaires participent à la nature de ce crime, quand ils sont commis par des gens mariés. Il y a là une circonstance aggravante qu’il faut accuser en confession.

On voit par suite avec quelle réserve doivent se comporter les époux. Cependant la faute suppose la connaissance du mal que l’on commet. L’homme qui, succombant aux défaillances de la chair, serait, par erreur personnelle ou par tromperie, convaincu que sa complice est libre de tout engagement, ne commettrait qu’un péché de fornication, tout en faisant un adultère matériel. Ceci est formellement consigné dans le droit ecclésiastique. Aux termes du chapitre : Si virgo nupseris, du décret de Gratien, n’est pas considérée comme adultère la femme qui épouse par erreur un homme marié secrètement, à moins que, venant à découvrir sa véritable situation, elle ne continue à cohabiter avec lui. Le 1 crime commence à l’heure où, la lumière se faisant dans son esprit, elle n’en tient pas compte. Pareillement les chapitres In lectum et Si virgo nesciens, du môme décret, causa XXXIV, q. I, c. 5 ; q. ii, c. 6, disposent « qu’on ne peut accuser d’infidélité l’épouse infortunée qui aurait souffert violence ou aurait été surprise.

II. Espèces.

Au point de vue théologique on divise communément l’adultère en adultère simple et en adultère double, suivant qu’un seul des deux coupables est marié ou qu’ils le sont tous les deux. Les moralistes énoncent une vérité que chacun sait quand ils disent que le second est plus grave que le premier. Ce sont deux familles au lieu d’une qu’il atteint : il viole deux fois la loi du sacrement. Ce que nous comprenons très bien également, c’est qu’il est plus odieux quand il est commis par un homme libre avec une femme mariée, que lorsqu’il survient entre une fille et un mari ; car, dans le premier cas, il risque de faire entrer dans une famille un enfant illégitime, un héritier étranger.

III. Culpabilité et peines.

Quelle qu’elle soit, l’infidélité conjugale est, en regard du sixième et du septième précepte divin, un des crimes les plus énormes qui puissent souiller la conscience humaine. Foulant aux pieds les droits les plus sacrés, inscrits dans l’âme par la nature elle-même, l’adultère s’en va, par la voie du parjure et de la trahison, ravir ou prostituer un cœur et un corps qui sont la propriété d’autrui, porter la désolation et la ruine dans la société domestique, empoisonner les sources de la vie au mépris des lois sur la propagation de l’espèce et corrompre les joies et les gloires de la paternité. Après cela quoi d’étonnant que les peuples — même ceux qui regardaient la fornication comme un acte indifférent au point de vue de la conscience — l’aient toujours poursuivi de leurs anathemes et châtié sans pitié ?

Loi romaine.

Avant qu’il en fût question dans leur code, les Romains, obéissant à l’instinct naturel, le punissaient avec une implacable sévérité. Plus tard Auguste le traita comme un crime social et le rendit, à ce titre, justiciable des tribunaux. Par la loi qui porte son nom il édicta la peine de l’exil contre les citoyens ordinaires, et de la déportation dans un pénitencier contre les militaires, qui en étaient souillés. Ces châtiments furent remplacés par la peine capitale, on ne sait pas exactement à quelle époque ; les jurisconsultes hésitent entre les Antonins et Constantin, mais le fait est certain. Cf. Joseph Laurentius, Tract, de adult. et de meretric. ; Ant. Math…, De criminibus, 1. XLVIII, tit. iii, c. ii, n. 1.

Loi mosaïque.

Sous la loi mosaïque, inspirée, comme on sait, par Dieu lui-même pour un peuple grossier et brutal, les deux complices étaient punis du dernier supplice. Le premier endroit où il soit fait mention du cas, c’est le Lévitique, xx, 10 ; il ne dit pas le genre de mort qu’on devra inlliger : Morte moriantur mœchus et adultéra. Le Deutéronome n’est pas plus explicite, XXII, 22 : « Si un homme dort avec la femme d’autrui, que l’un et l’autre coupables soient punis de mort afin d’enlever le mal d’Israël. » On ne trouve pas non plus de plus amples informations dans l’histoire de Suzanne, Dan., xiii ; mais nous savons par les commentaires talmudiques et par le témoignage de saint Jean, viii, 5, que le supplice était la lapidation.

Loi évangélique.

La loi de crainte a fait place à la loi d’amour. De même que Dieu ne se contente plus de quelques paroles d’honneur qui tombent du bout des lèvres, ou de quelques rites purement extérieurs, mais veut être adoré en esprit et en vérité, de même il veut être servi dans la liberté et l’abandon du cœur et non comme un maître qui menace de la verge l’esclave insoumis. Jésus-Christ l’a fait entendre en plusieurs circonstances par ses paroles et par ses actes. On sait comment il défendit et pardonna, en lui recommandant de ne plus pécher, la femme infortunée que les Pharisiens prétendaient avoir surprise en adultère. Joa., viii, 3- Ce n’est pas qu’il approuvât son crime, il avait condamné non seulement l’adultère consommé, mais encore le désir de le commettre, les regards de convoitise jetés sur une femme, Matth., v, 8, seulement il voyait le repentir qui purifiait son cœur et la honte extérieure qui expiait sa faute, et puis il était bien aise de montrer par ce fait que les perspectives de la loi nouvelle ne se borneraient pas désormais aux horizons de ce monde. Mais pour être reculé jusqu’à la tombe, le châtiment de l’infidélité conjugale n’est ni moins certain ni moins grave que dans l’ancienne loi. La seule différence c’est qu’ici il revêt un caractère spirituel et peut être évité par le repentir, au lieu que sous le Lévitique la mort corporelle en était toujours la rançon. D’après les enseignements évangéliques, celui qui l’ayant commis mourra dans l’impénitence, sera pour toujours exclu du royaume céleste. Saint Paul le dit en propres termes : Neque adulteri regintm Dei possidebunt. I Cor., vi, 9.

Discipline ecclésiastique.

C’est sur ce texte que l’Église primitive régla sa conduite. Convaincue, d’une part, qu’elle représentait sur la terre le royaume céleste et, de l’autre, voulant à tout prix réagir contre les scandales païens et offrir au monde le spectacle d’une société sainte et immaculée dans ses membres eux-mêmes, elle bannit tout d’abord, de son sein, les malheureux qui avaient failli à la foi conjugale, de peur de paraître leur indulgente complice, devant un public qui ignorait ses doctrines et ne la jugeait que par les faits extérieurs. L’excommunication portée contre les coupables était perpétuelle, mais ils n’étaient pas pour autant contraints de mourir dans leur crime, ils pouvaient l’expier aux yeux de Dieu par des pénitences secrètes et dans ce cas la flétrissure ecclésiastique était purement externe, elle prenait le caractère d’un châtiment social. Plus tard, les motifs qui avaient fait établir cette discipline disparaissant, on jugea à propos de l’adoucir, et à partir du pape Callixte (217-222) on consentit à absoudre l’adultère à condition qu’il accomplit la pénitence publique imposée par l’évêque. Cette modification n’alla pas sans quelques tiraillements. Nonobstant, l’Église, maîtresse de sa discipline et pensant, non sans raison, que la rigueur exagérée engendre le désespoir, maintint sa seconde manière d’agir et la modifia encore plus tard, suivant qu’elle le crut utile au bien des âmes. Au début de cette nouvelle phase disciplinaire, elle ne fixait pas la durée de la pénitence pour se préparer à la réconciliation, mais il est certain qu’elle laissait gémir longtemps le coupable avant de lui rouvrir les portes de la basilique. Quand le temps et la paix lui eurent permis de s’organiser, elle créa la pénitence tarifée, sous le régime de laquelle l’adultère était puni de la déposition et de dix ans d’expiation publique, s’il s’agissait d’un clerc, et de l’excommunication de sept ans, quand le coupable n’était que laïc. Cf. dist. LXXVIII, c. 4 : Prsesbyter ; caus. XXVII, q. i, c. 27 : Devotam ; caus. XXVU, q. i, c. 6 : Si quis episcopus. D’autre part elle mettait à profit l’influence qu’elle prenait dans le monde pour adoucir l’esprit des législations civiles. Elle laissa.lustinien maintenir la rigueur de la loi Julia contre l’homme, mais pour la femme on lui fît grâce de la vie. Il fut décidé qu’on l’enfermerait dans un monastère après l’avoir battue de verges. La durée de son emprisonnement dépendait en partie de la volonté de son mari ; il pouvait la reprendre au bout de deux ans. S’il refusait de la faire bénéficier de cette disposition du droit, les portes du cloître se refermait sur elle pour jamais. Peu à peu l’Église en vint même à s’inscrire en faux contre la peine de mort infligée à l’homme. Cꝟ. 1. V., tit. xxxix, c 3 : Si vero. Llle stipula que, en tous car, ni le père ni le mari outragés ne pouvaient l’appliquer eux-mêmes au malheureux surpris en flagrant délit, car il n’y a pas parité, disait-elle, entre l’adultère et la mort. Aujourd’hui, par suite de l’affaiblissement du sens chrétien, les peines canoniques sont tombées en désuétude, mais au for (le la conscience, l’adultère demeure ce qu’il lui toujours, un crime odieux.

IV. Obligations qu’impose l’adultère.

Nous avons dit qu’il viole le sixième ci le septième commandemenl de Dieu. Nous n’avons pas à le redire, mais du chef qu’il enfreint le septième précepte du décalogue, il faut, pour le réparer, non seulement se repentir, mais encore faire les restitutions qu’il comporte. C’est l’avis de toutes les législations religieuses et de tous les théologiens interprètes du droit naturel. Quelle sera la mesure de cette restitution’.' Nous ne pouvons entrer ici dans des détails. Donnons quelques principes généraux. De Lugo, De justit. et jur., disp. XIII, résumant et complétant ses devanciers, enseigne que les deux complices sont tenus, si leur crime est connu ou soupçonné, d’effacer la tache d’infamie qui rejaillit sur l’offensé, soit en l’honorant dans le commerce ordinaire de la vie, soit en l’élevant, si possible, à une condition supérieure. Us doivent, en second lieu, le défrayer des dépenses qu’il a pu faire pour nourrir et élever l’enfant adultérin, ainsi que des dommages que la grossesse de la mère a entraînés pour la famille. Les deux complices sont solidaires l’un de l’autre. Dans le cas cependant où la faute n’a pas été égale de part et d’autre, où il y a eu, par exemple, séduction, ruse, ou surtout violence, l’obligation de restituer retombe tout entière à la charge du tentateur. Quoi qu’il en soit, il faut porter, dans la réparation, beaucoup de prudence et de sagacité. Le crime a été fait dans l’ombre et le mystère ; qu’on ne l’en sorte pas sous prétexte d’en effacer le dommage ; le bien qui en résulterait ne compenserait pas le mal qu’une divulgation maladroite ferait à la société conjugale et à l’honneur du foyer. Une femme a eu le malheur de mettre un enfant adultérin dans le sein de la famille, qu’elle redouble d’activité afin de subvenir discrètement à ses dépenses, mais que dans sa manière de procéder elle s’arrête en deçà des limites où le plus léger soupçon pourrait l’entacher. Il y a plus : qu’elle ne fasse rien d’insolite si la situation est telle qu’un changement dans sa vie journalière puisse devenir un indice quelconque pour son mari en défiance : elle n’est pas tenue à restituer, quand elle ne le peut faire sans dévoiler sa faute. Cf. De Lugo, De justit. et jur., disp. XIII ; Marc, lnstil utiones morales, tr. VII, c. ii, a. 3 ; Berardi. Praxis confess., Fænza, 1884, p. 306, n. 467 sq. Du reste, il peut arriver qu’elle ne soit pas sûre de l’illégitimité de son enfant. Le cas échéant, elle n’a pas à sepréoccuper de l’injustice possible, car la présomption juridique est en faveur de la paternité du mari.

Quand se produit un roman de cette nature, le malheureux enfant, fruit de l’adultère, est parfois porté à l’hospice. L’instinct de la nature veut qu’on ne l’abandonne pas, entre des mains étrangères, sans fournir les moyens de l’élever et de l’entretenir, d’autant que l’hospice ne trahira pas les secrets qui lui sont confiés. On ne saurait donc trop engager les parents coupables, à s’occuper de l’innocente créature qu’ils ont mise au monde. Cependant s’ils refusent de le faire, on ne saurait les y contraindre au nom de la justice, d’après l’opinion la plus probable des théologiens. Cf. De Lugo, op. cit., disp. XIII, sect. i ; Lessius, De justitia, l. II, . c.X, dub.v ; Marc, 1ns tit utiones morales A Ipfions., part. II, sect. ii, tr. VII, D ? 7° Decalogi præcept., c. ii, a. 2, §3.

R. Parayre.