Dictionnaire de la Bible/Fourmi

Letouzey et Ané (Volume IIp. 2339-2340-2343-2344).

FOURMI (hébreu : nemâlâh, et collectivement nemâlîm ; Septante : μύρμηξ ; Vulgate : formica).

I. Histoire naturelle. — La fourmi est un insecte hyménoptère, ayant la tête triangulaire, le corps svelte porté sur de longues jambes, l’abdomen ovulaire et réuni au thorax par un pédoncule fort court. La tête est munie de fortes mandibules, qui servent à la fois d’armes et d’outils, et d’antennes coudées après le premier article. Les yeux sont gros et saillants chez les mâles, plus faibles chez les autres. Les pattes sont au nombre de six, les deux postérieures plus longues que celles de devant. Les fourmis se divisent en mâles, femelles et neutres. Les mâles et les femelles sont pourvus de quatre ailes assez grandes, mais inégales et veinées. Les neutres, plus trapues et plus petites que les mâles et surtout que les femelles, sont des ouvrières (fig. 693). Les fourmis vivent en sociétés très nombreuses et remarquablement ordonnées. Aux ouvrières incombe tout le travail nécessaire à la vie de la société : construction du nid, soin des larves, recherche des approvisionnements et enfin stratégie défensive et offensive.

1o Les nids de fourmis ou fourmilières varient beaucoup quant à la forme et aux matériaux employés. Ils sont énormes, proportionnellement à la taille de l’insecte. Ils se composent de galeries souterraines, formant dévastes labyrinthes, avec réduits disposés par étages, corridors de toutes sortes, et une excavation plus vaste où se tiennent la plupart des fourmis. La terre enlevée aux galeries est rejetée au dehors et forme, avec les débris apportés de tous les alentours, un monticule qui sert de toit au nid tout entier. Dans ce monticule sont percées des ouvertures pour l’entrée et la sortie. À l’approche de la nuit, les ouvrières barricadent ces issues avec soin, pour ne les dégager que le lendemain matin, sauf les jours où la pluie tombe.

2o Les larves, une fois pondues, sortent de leur coquille au bout de quinze jours et commencent leur transformation. Aux premiers rayons du soleil, les ouvrières les montent au sommet de la fourmilière pour les réchauffer, les placent ensuite dans des loges peu profondes et les y nourrissent des sucs qu’elles ont recueillis. Au bout [[File: [Image à insérer]|500px]]
693. — La fourmi.
1. Fourmi mâle. — 2. Fourmi femelle. — 3. Fourmi ouvrière.
d’un certain temps, les larves se filent une coque soyeuse, dans laquelle elles passent à l’état de nymphes. Quand leur transformation est terminée, les ouvrières percent la coque, en débarrassent les jeunes fourmis, et nourrissent celles-ci jusqu’à ce qu’elles soient capables de sortir.

3o La nourriture des fourmis se compose de viande fraîche ou corrompue, d’insectes dont elles réussissent à se saisir et de toutes les matières sucrées qu’elles peuvent rencontrer soit dans les végétaux, soit chez les animaux. Elles s’emparent même des pucerons, insectes de la famille des aphidiens, qui se nourrissent de la sève des végétaux et sécrètent un suc particulier dans une poche de leur abdomen. Elles les gardent soigneusement, comme un troupeau qu’elles vont traire de temps à autre. Elles mettent également à contribution la cochenille et un petit coléoptère appelé clavigère. Les fourmis savent du reste déployer mille industries pour amener au nid les proies qu’elles ont trouvées. Les chemins qu’elles tracent à travers la campagne vont parfois très loin. On y voit les fourmis s’y hâter à l’aller et au retour, s’avertir les unes les autres à l’aide de leurs antennes, rapporter avec un courage étonnant des fardeaux très lourds ou très embarrassants, et s’entr’aider mutuellement. Tout d’ailleurs se passe avec le plus grand ordre. L’une d’entre elles est-elle blessée, fatiguée par sa charge, les autres accourent pour la panser, la soulager, et au besoin la transporter à la fourmilière. Les mâles et les femelles sont cantonnés dans le nid et nourris libéralement par les ouvrières. Vers la fin de l’été, les fourmis pourvues d’ailes s’envolent dans les airs pour la fécondation ; puis les mâles périssent, les femelles reviennent à la fourmilière, où on leur coupe les ailes, et où elles sont surveillées, étroitement gardées et entourées des soins les plus délicats jusqu’à l’époque de la ponte. Au moindre danger, les ouvrières les saisissent et les transportent en lieu sûr.

4o Les fourmis ont beaucoup d’ennemis. À la première alerte, elles s’avertissent mutuellement, se rassemblent contre l’agresseur, cherchent à le mettre en fuite et s’efforcent au moins de sauver les larves, espoir de la colonie. Parfois l’attaque vient des habitantes d’une autre fourmilière ; les nymphes et les larves d’ouvrières sont l’enjeu de la bataille. Si la tribu agressive est la plus forte, elle les ravit et les emporte dans sa propre fourmilière, où les captives, même d’une espèce différente, s’accommodent aisément de leur sort et travaillent ensuite pour le compte de la colonie victorieuse. Les naturalistes qui ont observé les mœurs des fourmis relatent mille traits surprenants, qui tendent à montrer l’ingéniosité, l’activité, le courage, l’instinct merveilleux de ces petits insectes et l’étroite union qui règne entre les membres d’une même fourmilière. La fourmi du genre Atta se trouve abondamment en Palestine. On y rencontre aussi le genre Formica, qui n’a pas d’aiguillon, et le genre Myrmica, avec aiguillon. La fourmi formica est bien connue dans nos contrées. La myrmice creuse ses galeries de préférence dans les vieux arbres et cause des piqûres assez vives. On compte en Palestine plus d’une douzaine d’espèces de fourmis, de mœurs, de couleur et de taille différentes. Cf. Latreille, Histoire naturelle des fourmis, Paris, 1802 ; P. Huber, Histoire des mœurs des fourmis, 1810 ; Lespès, Les fourmis, dans la Revue des cours scientifiques, Paris, 1866, p. 257-265.

II. Les fourmis d’après la Bible.

1o Au livre des Proverbes, xxx, 24, 25, il est dit :

Il y a sur terre quatre petits êtres,
Mais qui sont sages entre tous :
Les fourmis, peuple faible,
Préparent leur nourriture en été.

Les trois autres animaux pourvus de sagesse sont les lapins, les sauterelles et les lézards. La sagesse à un degré peu commun est donc attribuée aux fourmis. Tout ce que nous avons dit de leurs mœurs justifie cet éloge. La grandeur de leurs entreprises paraît plus saillante encore quand on la compare à leur petitesse et à leur faiblesse. Le Sage donne comme exemple de la sagesse, chez les fourmis, le soin qu’elles ont de ramasser leurs provisions durant l’été.

2o L’éloge de la fourmi est plus circonstancié dans cet autre passage des Proverbes, vi, 6-8 :

Va à la fourmi, paresseux,
Observe ses mœurs et deviens sage.
Elle n’a point de chef,
Point d’inspecteur ni de maître,
Mais elle prépare sa nourriture en été
Et amasse ses aliments pendant la moisson.

La fourmi est représentée comme travaillant sans chefs. Ces insectes, en effet, n’ont d’autre guide que leur instinct. Aucun d’eux n’exerce d’autorité dans la fourmilière. On a même remarqué que, quand une armée de fourmis se met en mouvement pour une expédition, celles qui marchent en tête de la colonne se replient tour à tour sur les derniers rangs, de telle façon que celles qui paraissent diriger la marche ne la dirigent nullement et changent à chaque instant. Dans les deux passages, l’écrivain sacré dit que la fourmi amasse des provisions pendant l’été ou pendant la moisson, ce qui est la même chose. Voir Été, col. 1996. Ces provisions sont destinées naturellement à être consommées pendant l’hiver. Le même fait a été remarqué par d’autres auteurs, qui ont également signalé cette prévoyance de la fourmi. Horace, Sat., I, i, 35, dit que la fourmi est haud ignara ac non incauta futuri, « ni ignorante ni imprévoyante de l’avenir. » Virgile, Æneid., iv, 403, appelle ces insectes hiemis memores, « songeant à l’hiver, » et c’est en cette prévision que ingentem farris acervum populant tectoque reponunt, « elles pillent un grand tas de froment et le recueillent dans leur nid. » Saint Ambroise, Hexæmer., VI, iv, 16, t. xiv, col. 247, ajoute que « la fourmi toute petite ose entreprendre ce qui dépasse ses forces et, sans être astreinte au travail par aucune sujétion, obéit à une prévoyance spontanée et s’amasse des provisions de vivres ». Saint Jérôme, Vita Malchi monachi, 7, t. xxiii, col. 46, décrit les travaux d’une colonie de fourmis en Syrie, qui venturæ hiemis memores, « songeant à l’hiver qui va venir, » amassent des grains et les coupent avec leurs mandibules pour les empêcher de germer dans la terre humide de leur nid. Cf. Elien, De nat. anim., ii, 25 ; vi, 43 ; Piaule, Trinum., ii, 4. — La manière dont la Sainte Écriture parle des fourmis a été taxée d’erreur au nom des sciences naturelles. La fourmi est un animal hibernant, en sorte que chez elle la vie est suspendue par un profond engourdissement pendant tout l’hiver. L’insecte n’a donc pas besoin de nourriture durant ce temps, et c’est à tort que l’auteur sacré lui fait un mérite de préparer pendant l’été ses provisions d’hiver. — On pouvait répondre que le Sage parle de la fourmi selon les apparences : elle déploie une grande activité pour apporter à son nid toutes sortes de provisions, comme si elle avait à prendre ses garanties contre l’hiver. C’est cette activité qu’on propose en exemple au paresseux. Mais des observations plus attentives ont permis d’établir que le texte doit être entendu ici littéralement et que l’ignorance est attribuable non pas à l’auteur sacré, mais à ses contradicteurs. On compte cent quatre espèces de fourmis habitant l’Europe. Sur ces cent quatre espèces, il en est trois, l’Atta barbara, l’Atta structor et le Pheidole megacephala, qui font des provisions pour l’hiver. Mais ces espèces ne sont connues que dans la région méditerranéenne et n’existent pas dans les climats plus septentrionaux. En Palestine, les deux espèces les plus communes sont justement l’Atta barbara, qui est une fourmi noire, et l’Atta structor, une fourmi brune. Ces fourmis sont à la lettre des mangeuses de grains ; n’étant pas hibernantes, elles font des provisions pendant l’été en vue des jours d’hiver où la pluie ou le froid les empêcheront de sortir. On sait que les grains renferment toujours de la fécule d’où provient du glucose dont les fourmis sont si friandes. Le naturaliste Tristram a observé par lui-même les fourmis de Palestine. Il les a vues activement occupées à transporter quantité de grains d’orge dans leurs galeries. Il a trouvé leurs nids pleins de grains mélangés avec de la paille, de l’herbe, des cosses de toute nature. En plein mois de janvier, il a pu constater que les fourmis étaient au travail, parmi les tamaris des bords de la mer Morte, passant et repassant en longues files, et recueillant les pucerons et les exsudations sucrées des végétaux. Ce que le naturaliste anglais a observé, l’auteur sacré le connaissait bien, et les anciens, Horace, Virgile, saint Ambroise, saint Jérôme, etc., qui vivaient dans la région méditerranéenne, l’avaient également constaté. De notre temps, on a trouvé d’autres espèces de fourmis qui amassent des grains pour l’hiver, aux Indes, dans l’Amérique méridionale, etc. On a même eu à déplorer, à Hyères, des ravages considérables exercés par ces sortes de fourmis sur les grains des récoltes. Cf. Tristram, The natural history of the Bible, Londres, 1889, p. 319-321, 496-498.

Au Psaume lxxvii (lxxviii), 47, on lit :

Il a fait périr leurs vignes par la grêle,
Et leurs sycomores par le ḥǎnâmal.

Comme ce mot hébreu ne se rencontre qu’en cet endroit, le sens en est discuté. Septante : πάχνη ; Vulgate : pruina ; Aquila : κρύει ; S. Jérôme : frigore, Targum : « des sauterelles ; » Symmaque : « des vers, » etc. D’après J. D. Michaëlis et Gesenius, Thesaurus, p. 499, ḥǎnâmal aurait le même sens que nemâlâh et désignerait les fourmis. Cette étymologie n’est pas acceptable ; car, dans tout ce passage du psaume, le parallélisme est très régulier. Le mot ḥǎnâmal désigne donc quelque chose de correspondant à la grêle, ainsi que l’ont pensé les plus anciens traducteurs. D’ailleurs l’histoire ne parle pas de ravages causés par les fourmis pendant les plaies d’Égypte. Frz. Delitzsch, Die Psalmen, Leipzig, 1874, t. ii, p. 46, pense que le mot en question désigne la grêle, comme bârâd du vers précédent.